Chapitre premier. L’inflation sectorielle
p. 365-395
Texte intégral
Disparités de croissance et juxtaposition des secteurs
1Le développement industriel a jusqu’ici exercé un effet d’intégration limité en Amérique du Sud, car l’orientation des programmes de développement et les tendances spontanées du secteur privé ont favorisé l’essor d’activités, peu diversifiées, dans le cadre des régions les plus développées. C’est pourquoi les écarts de croissance se sont accusés et le caractère « dualiste » de ces économies a été renforcé2.
2La politique d’industralisation, en Amérique du Sud, a accentué le retard technique des exploitation traditionnelles. En effet, le développement des pôles de croissance s’est effectué dans un climat inflationniste, qui a réduit les possibilités de diffusion du progrès. Les grands ensembles industriels ne sont pas solidaires des entreprises artisanales préexistantes et celles-ci conservent leurs méthodes de production. En outre, la politique des prix des firmes dominantes et l’attitude des pouvoirs publics assurent la survivance des entreprises marginales, pour lesquelles le climat inflationniste constitue un véritable poumon d’acier3. De nouveaux intermédiaires peuvent alors proliférer et alourdir les circuits de distribution. Dès lors les écarts de productivité entre secteurs s’aggravent rapidement et constituent une source croissante d’inflation, car les producteurs marginaux compensent leur faible production par une politique de spéculation commerciale et de prix chers.
3La croissance accélérée de l’industrie a également renforcé le contraste des structures sociales en Amérique du Sud4. Les genres de vie traditionnels de l’intérieur du Brésil n’ont pas évolué depuis cinquante ans et les cadres politiques et sociaux de l’époque coloniale ont subsisté en grande partie. Ainsi s’explique que les zones rurales de l’Amérique du Sud aient conservé une organisation économique, de type féodal où les transactions monétaires sont réduites et les échanges limités. La structure des exploitations et leur niveau de productivité ne permettent qu’une faible commercialisation de la production. Le développement industriel bouleverse les équilibres sectoriels antérieurs et toute progression de l’économie monétaire et industrielle suscite de fortes pressions inflationnistes5. Le développement accéléré des régions et des secteurs les mieux dotés renforce de toute évidence les phénomènes inflationnistes.
4Mais surtout on remarque, dans ce processus, un écart croissant entre les niveaux de production et les genres de vie. Les zones urbaines et industrielles n’ont pas dans leur ensemble atteint le niveau de productivité des économies capitalistes évoluées, bien que de nombreuses statistiques et réalisations attestent des progrès spectaculaires. Mais les genres de vie adoptés sont très proches de ceux des pays les plus évolués et souvent la concentration des richesses permet d’atteindre un niveau de vie supérieur. Les structures sociales de « transition »6 des économies sud-américaines sont caractérisées par une différenciation de plus en plus nette, entre deux structures sociales opposées, l’une archaïque qui couvre encore les trois quarts de la population, au Brésil ou dans les économies andines, l’autre évoluée, encore peu importante, sauf dans les pays de peuplement européen prédominant, comme le Chili ou l’Argentine.
5Au contraste des structures sociales, correspond le pluralisme des secteurs, dans l’ordre économique. En réalité les disparités de croissance retardent l’intégration des marchés à deux niveaux :
- Tout d’abord au niveau de la demande on constate que la non-intégration des secteurs contribue au cloisonnement des marchés de consommation. Le mécanisme de formation des prix agricoles illustre cette forme de désarticulation. On remarque que, dans les régions attardées, le défaut de communications et la faiblesse des échanges, suscitent de fortes disparités de prix sur des marchés juxtaposés7. Dans ces hypothèses, les tensions inflationnistes sectorielles ne se transmettent pas au reste du marché, dans la mesure où les échanges sont limités. Les hausses conjoncturelles des prix agricoles restent autonomes et se résorbent lorsque les récoltes s’améliorent.
- Le repérage des tensions inflationnistes sectorielles est plus aisé au stade de la production, dans la mesure où des enquêtes industrielles permettent d’observer la structure de la production industrielle et les disparités sectorielles de croissance. De plus l’analyse des échanges inter-industriels permet de dégager les mécanismes de propagation de l’inflation. C’est pourquoi nous nous conformerons surtout à cette dernière optique, faute de moyens statistiques susceptibles de mettre en évidence les disparités de prix et le cloisonnement des marchés de consommation.
Les concepts d’analyse
6Avant de rechercher les principaux mécanismes de l’inflation sectorielle, il convient de donner ici quelques précisions de terminologie. C’est ainsi que nous retiendrons les notions de secteur et d’industrie motrice, et que nous préciserons le contenu du terme « inflation sectorielle ».
A. Secteur de production et secteur de financement
7La notion de secteur est en général envisagée dans l’analyse économique sous l’angle de la production. Les limites d’un « secteur de production » sont souvent mal définies, car il s’agit de catégories très générales, correspondant par, exemple, aux principales activités de production : secteur agricole ou industriel ou à la structure professionnelle de la population active : secteur primaire, secondaire, et tertiaire. Les instruments d’analyse de la comptabilité nationale utilisent une notion de secteur assez approchée de cette conception courante.
8La notion de secteur de financement8 correspond à une optique monétaire, qui ne se confond pas avec la première. La particularité des marchés sud-américains est l’importance des systèmes de financement autonomes. Dans la mesure où l’exploitation d’un secteur est assurée grâce à une autonomie financière, lui permettant de financer ses investissements à l’aide de son épargne propre, il s’agit d’un « secteur de financement autonome et clos »8. La notion de secteur de financement est donc surtout utile, lorsqu’il s’agit de déceler les secteurs non intégrés au marché national. Mais il existe de nombreux secteurs, reliés aux mécanismes de financement nationaux, dont les écarts de productivité sont très accentués et qui contribuent à la formation de tensions inflationnistes sectorielles. C’est pourquoi la notion de secteur n’est qu’un premier instrument d’analyse, qu’il convient de compléter par l’utilisation du concept d’industrie motrice.
B. Industrie motrice et pole de développement
9L’analyse de la croissance et de l’inflation, à partir de l’étude des secteurs de la production suppose l’adoption d’un concept opérationnel. A un premier stade, il est nécessaire, à l’aide d’enquêtes industrielles, de définir les principales « branches d’activité » en utilisant des critères mixtes : techniques, financiers, sociaux. Les entreprises du secteur chimique constituent de toute évidence un secteur caractérisé. Mais on se heurte dans cette recherche aux difficultés habituelles de délimitation des « groupes industriels » des « industries » et sous-groupes industriels. Tous ces concepts doivent être nécessairement utilisés pour l’étude de la structure industrielle ; mais il importe de dynamiser ces notions pour l’analyse des disparités de croissance.
10L’apport des études de la croissance économique permet, dans ce cadre d’analyse, d’utiliser la notion d’industrie motrice.
11Les premières études sur la croissance économique ont insisté sur le fait que le développement était un processus inégalement réparti, se produisant en certains secteurs privilégiés ou « Leading growth sectors »9. Les mécanismes de la croissance, au stade de la firme, de la nation ou des relations économiques internationales ont été pleinement mis en lumière par la théorie des « pôles de développement » du professeur F. Perroux10. Aussi la recherche des principaux pôles de développement et des mécanismes de croissance des industries motrices permet de souligner l’origine sectorielle de l’inflation et le rôle de certains secteurs dans la naissance et la propagation des tensions inflationnistes.
12La notion d’industrie motrice présente l’avantage essentiel de concilier de nombreuses optiques.
13Les limites d’une industrie motrice sont d’abord établies par des caractéristiques géographique et techniques ; ces limites sont plus précises que celles d’un secteur, car l’étude des méthodes de production permet d’isoler ces industries.
14La sphère d’action d’une industrie motrice est également déterminée par l’adoption d’une politique commune d’exploitation, de prix et d’investissement. C’est pourquoi la notion d’industrie motrice permet de combiner une analyse statique de la structure industrielle et une analyse dynamique de la croissance industrielle11. Ce deuxième aspect correspond à l’optique des centres de décision. Les caractéristiques d’une industrie motrice sont alors délimitées par la zone d’influence d’un centre principal de décision à la fois dans le domaine de l’exploitation courante et de la politique d’investissement12. Ces caractéristiques sont révélées par la structure financière des entreprises et le degré de concentration du secteur, ainsi que par l’analyse de la formation des prix dans les exploitations dépendantes de l’industrie motrice. Ce type d’analyse permet donc également de délimiter les secteurs de financement clos.
C. L’inflation sectorielle
15L’inflation sectorielle peut être définie comme :
16« Un déséquilibre persistant de la structure de la production, des échanges et des mouvements de capitaux, lié au développement inégal des secteurs et à l’insuffisance de l’intégration des marchés. Ces déséquilibres entre production et consommation, épargne et investissement, apparaissent au plan des secteurs et supposent donc l’abandon des analyses globales. »
17Comme tout phénomène inflationniste, l’inflation sectorielle présente un aspect réel et un aspect monétaire.
Aspect réel
18Les contrastes de la structure industrielle, en Amérique du Sud, expliquent la formation de nombreux goulots d’étranglement et la juxtaposition de zones de surproduction et de zone de pénurie. Certaines pénuries locales sont répercutées à tous les stades de la production et ralentissent la croissance des industries utilisatrices. Les déséquilibres sectoriels sont normaux dans un processus de croissance, car les plans des grandes entreprises ne sont pas harmonisés, faute de planification, et les productions complémentaires ne se développent pas au même rythme13.
Aspect monétaire
19La juxtaposition des secteurs contribue également au gonflement des flux monétaires, parce que la rémunération des facteurs de production, dans une économie non intégrée suppose la distribution d’un volume de revenus supérieur à celui qu’exigerait un marché organisé. Les dépenses totales nécessaires à la fabrication d’une unité de production sont beaucoup plus importantes lorsque les exploitations ne disposent pas de sources communes d’approvisionnement et de facilités générales de transports et services de base. Les flux de revenus distribués au cours du processus de production, pour la rémunération des facteurs employés varient considérablement d’un secteur à l’autre. De plus la diversité des taux de profit selon les branches d’activité contribue à l’irrégularité des flux monétaires. Enfin, les disparités de productivité entre secteurs expliquent que certaines activités jouent un rôle déterminant dans la formation des tensions inflationnistes. En particulier, l’orientation de la demande vers des secteurs spéculatifs, à faible production et productivité, suscite un déséquilibre inflationniste massif.
20La formation de tensions inflationnistes sectorielles conduit à rechercher les zones actives de l’inflation. Cette étude doit être complétée par une analyse des mécaniques d’amplification et de transmission de secteur à secteur et de propagation des déséquilibres initiaux à l’ensemble de l’économie.
Les secteurs inflationnistes en Amérique du Sud
21On peut distinguer, dans les systèmes économiques sud-américains, cinq secteurs inflationnistes principaux14, qui constituent les zones préférentielles de localisation des tensions inflationnistes :
22Le secteur extérieur ;
23Le secteur public ;
24Le secteur agricole ;
25Le secteur industriel ;
26Le secteur commercial.
27Nous ne retiendrons ici que les trois derniers secteurs.
28En effet, nous avons déjà souligné le rôle essentiel du secteur extérieur dans la formation des tensions inflationnistes, mais il s’agit d’une forme d’inflation distincte de l’inflation de croissance. Il faut rappeler cependant que la formation des tensions inflationnistes, dans le secteur du commerce extérieur, dépend à la fois de « facteurs exogènes » et de « facteurs endogènes ». Mais les facteurs endogènes jouent surtout au stade de la propagation de « l’inflation transmise ». Il faut rappeler également que l’industrialisation crée un déséquilibre persistant des échanges extérieurs et que les transformations de structure de ce secteur constituent des mutations structurelles, directement liées à l’effort d’industrialisation. L’insuffisance de la capacité d’importation, le coût élevé d’une importation additionnelle aussi bien que d’un effort de substitution d’importation, enfin la difficulté de diversifier les exportations, sont des sources de tensions inflationnistes beaucoup plus fréquentes et intenses, depuis que le rythme de croissance de l’industrie a augmenté.
29Nous ne retiendrons pas non plus le rôle du secteur étatique dans la formation des tensions inflationnistes sectorielles, bien que cette source d’inflation soit aussi importante que la première. Cependant, les tensions inflationnistes du secteur public correspondent, à titre principal, à un processus d’inflation institutionnelle. Certes, nous avons également montré que les difficultés du financement des investissements, dans le secteur public, contribuaient pour une part importante à la formation des tensions inflationnistes de croissance.
30C’est pourquoi nous étudierons les mécanismes de l’inflation sectorielle, dans les trois secteurs principaux de l’économie : agriculture, industrie et commerce, en procédant à une délimitation large des secteurs, englobant les entreprises privées et publiques.
Section I. L’AGRICULTURE DOMESTIQUE ET LES TENSIONS INFLATIONNISTES SECTORIELLES
31Le secteur agricole constitue encore, dans l’ensemble de l’Amérique du Sud, la forme prépondérante de production. L’agriculture contribue souvent pour plus de 50 % à la formation du revenu national et emploie près des trois quarts de la population totale. Dans les régions tropicales et subtropicales, cette prépondérance est encore plus accusée. Il existe deux secteurs dans l’agriculture, dont la structure et les possibilités de développement sont très différentes : les cultures d’exportation et les cultures vivrières destinées à la consommation interne15. Le premier secteur est très développé, car il reçoit des capitaux abondants, attire une main-d’œuvre importante et dispose de facilités de communication et de commercialisation. Mais nous bornerons cette étude au cas de l’agriculture domestique, puisque nous avons déjà relevé les principales causes des tensions inflationnistes, sur les marchés agricoles d’exportation.
32Deux caractéristiques principales des marchés agricoles internes expliquent la formation des tensions inflationnistes :
33D’une part, la rigidité de la production. ; D’autre· part, l’hétérogénéité de la demande, les fluctuations du revenu agricole et la sensibilité des prix agricoles aux variations de production.
§ 1. La rigidité de la production agricole
34Les productions agricoles, destinées aux marchés internes, se sont développées rapidement depuis la guerre dans de nombreuses économies sud-américaines, de façon à répondre aux besoins d’une population très rapidement croissante. C’est ainsi qu’au Brésil, les productions alimentaires, destinées au marché interne, ont doublé en quinze ans (1940-1955), alors que la production agricole, destinée aux marchés extérieurs, n’a augmenté que de 16 %16. Cependant, les possibilités d’une croissance rapide sont limitées dans ce secteur, non seulement parce que les caractéristiques naturelles de la production agricole (insécurité des récoltes, lenteur de la maturation des investissements) freinent la croissance, mais également parce que de nombreux obstacles structurels ont accusé l’inélasticité de l’offre, par rapport aux variations de prix ou de revenu. Parmi ces obstacles, trois facteurs retiennent l’attention : le régime foncier, l’archaïsme des méthodes de production et les disparités de productivité entre exploitations.
A. Les régimes fonciers sud-américains et les risques inflationnistes de la grande propriété
35Dans l’ensemble de l’Amérique du Sud, les structures agraires présentent des caractéristiques communes, en particulier la prèpondérance de grandes exploitation, les « estancias » argentines, les « fazendas » brésiliennes ou les « fondos » du Chili. Comme dans la plupart des pays sous-développés17, la propriété foncière est concentrée entre les mains de propriétaires qui représentent les forces politiques dominantes.
36Au Chili, par exemple, les propriétés de plus de 200 hectares constituent 10 % des exploitations agricoles mais occupent 86 % de la superficie agricole en 195518. Parmi ces grandes propriétés, les « fondos » dépassant parfois 1.000 hectares sont prépondérants et, selon certains observateurs, 50 % de la superficie agricole est concentrée entre les mains de quelques propriétaires, qui n’occupent que 1,5 % des exploitations19.
37Au Brésil, la situation est comparable et n’a pas sensiblement évolué depuis le début du siècle. C’est ainsi que le recensement de 1920 montrait que 85 % des aires agricoles occupées correspondaient à des exploitations de plus de 200 hectares et 26 % à des propriétés de plus de 10.000 hectares20. Au recensement de 1950, le nombre des petites propriétés a augmenté mais les exploitations dépassant 10.000 hectares représentent encore 19,4 % des surfaces cultivées et 1 % des exploitations21, soit 1.611 propriétés.
381. L’organisation économique des grandes propriétés explique leur extrême improductivité, surtout lorsqu’elles ne sont pas consacrées aux cultures d’exportation. La plus grande partie de la superficie de ces domaines est inexploitée. Au Brésil, par exemple, les terres en culture n’occupent pas plus de 10 % de la superficie des terres appropriées22. Dans les propriétés brésiliennes de plus de 10.000 hectares, les cultures alimentaires occupent 1 % de la surface cultivée, alors que ce pourcentage est de 8 % dans les exploitations de 100 à 1.000 hectares et de 55,3 % dans les petites exploitations de moins de 10 hectares23. Outre la faible proportion des terres mises en culture dans les grandes exploitations agricoles, le régime foncier et social de ces domaines crée de nombreuses causes d’improductivité.
39La production, écoulée sur le marché, provenant de ces exploitations est réduite par l’importance de l’autoconsommation interne du secteur. Les véritables zones de monoculture sont réduites en Amérique du Sud et la plupart des plantations se consacrent à la fois aux cultures vivrières internes et aux cultures d’exportation. Les grands propriétaires autorisent la main-d’œuvre à cultiver des produits alimentaires, destinés surtout à satisfaire leur consommation. C’est pourquoi les grandes exploitations ne contribuent que faiblement à l’approvisionnement des marchés urbains, sinon pour des produits ayant un marché national étendu, comme la canne à sucre, le riz ou les haricots.
40La prépondérance des grands domaines sur le marché suscite un alignement des rendements agricoles vers le bas, alors que dans les pays évolués les grandes exploitations sont au contraire un centre de diffusion de la productivité. Le secteur agricole domestique est toujours, en Amérique du Sud, une activité à très faible production et revenu. On estimait, en 1950, la valeur de la production à l’hectare au Brésil à 69 dollars24 et la production par travailleur serait encore plus faible, étant donné le surpeuplement relatif des exploitations agricoles. Mais de semblables données ne sont que partiellement significatives, car une très faible partie de la main-d’œuvre agricole est intégrée au marché et la production destinée à l’autoconsommation ne peut être évaluée que très approximativement.
41L’importance du « chômage déguisé » dans les grandes exploitations est un obstacle considérable à l’augmentation rapide de la production25. Le surcroît de main-d’œuvre résulte, en partie, de fadeurs sociaux — l’héritage de l’esclavage — de facteurs politiques — le rôle du « patronnage »26 dans la représentation politique des cadres ruraux traditionnels — et de facteurs économiques — l’organisation des plantations suppose une main-d’œuvre très abondante, lors des récoltes. Il convient de remarquer d’ailleurs que l’excédent de main-d’œuvre se traduit moins par un chômage réel, d’une partie des ouvriers agricoles, que par l’emploi à temps partiel, le travail saisonnier ou l’utilisation à des tâches, qui ne contribuent pas à l’accroissement de la production agricole27. Une part importante de la main-d’œuvre s’employe à des activités domestiques dans les fermes.
422. Le morcellement des petites exploitations contribue également à l’improductivité du secteur agricole en Amérique du Sud, car ces exploitations produisent très peu pour le marché interne et se consacrent surtout à des productions satisfaisant leur consommation propre. Au Brésil par exemple, en 1950, 34 % des exploitations avaient moins de 10 hectares, dont les deux tiers moins de 5 hectares28. Ce phénomène de l’extension des « minifundia » est29 surtout grave dans les pays où les surfaces arables sont limitées. Tel est le cas du Chili et des économies andines.
B. L’archaïsme des méthodes de production
43Dans le domaine agricole, le vrai problème agraire n’est pas celui de la grande propriété et du « latifundium », mais celui de l’inefficacité des techniques agricoles30. Les grands domaines sont souvent situés dans ces régions inaccessibles et ne peuvent pas écouler leur production, alors que les petites exploitations, situées près des marchés urbains, assurent une production très importante pour leur faible dimension. La grande propriété reste la forme prépondérante de l’exploitation agricole et l’archaïsme des méthodes de culture qui règne dans ces domaines est la cause fondamentale de la lenteur des progrès agricoles.
1° Insuffisance des techniques agricoles et pénurie de capitaux
44La principale manifestation du caractère primitif des techniques de production est la survivance de la culture sur brûlis et l’absence de rotation des cultures, qui conduit à un épuisement rapide des sols31. Ces techniques sont répandues aussi bien dans les cultures d’exportation, en particulier dans les plantations de café et de coton, que dans les cultures vivrières destinées au marché interne.
45Le manque de capitaux disponibles et d’enseignement agricole contribue également à l’insuffisance des rendements. La situation des branches d’activité révèle la faible intégration des progrès techniques.
a. Techniques de production agricole
46De façon générale la mécanisation est peu répandue, même sous ses formes les plus rudimentaires, c’est-à-dire le matériel aratoire non motorisé et la traction animale. A plus forte raison, l’utilisation de l’énergie électrique et de tracteurs est peu fréquente.
47Le défaut d’engrais est également général dans la plupart des économies sud-américaines, sauf au Chili qui dispose de ressources de nitrates. Cette carence conduit à l’abandon rapide des sols ; aussi certaines économies, où les surfaces arables sont limitées par les conditions naturelles (relief), souffrent d’une véritable pénurie de sols. Pour les mêmes raisons, le manque de capitaux et de connaissances techniques empêche l’exploitation de nombreuses régions, soit parce qu’elles sont situées dans des régions inaccessibles, soit en raison des conditions climatiques. C’est le cas, en particulier, des régions sèches du littoral chilien et bolivien, où l’irrigation permettrait d’accroître massivement les superficies arables32. A l’inverse, les servitudes de l’agriculture tropicale constituent une source générale d’improductivité et ne permettent que l’application de méthodes de production très primitives33.
b. Situation de l’élevage
48Dans le domaine de l’élevage, les améliorations apportées aux pâturages naturels sont rares ; les troupeaux ne sont pas entretenus et ne fournissent qu’une viande de mauvaise qualité. Certes les pays de la « Plata », comme l’Argentine ou l’Uruguay, spécialisés dans l’élevage, ont utilisé des techniques modernes et investi des capitaux importants dans l’amélioration des méthodes de sélection des races et de commercialisation de la viande. Mais, dans la plupart des économies d’Amérique du Sud, l’élevage est un secteur très improductif, qui ne constitue pas une activité d’exportation34.
49Ainsi au Brésil, le troupeau de bovins est plus important que celui de l’Argentine, mais il ne s’agit pas de la même production. Le Brésil n’est pas un gros producteur de viande, parce qu’une grande partie de la production est perdue en raison des maladies et des pertes au cours des transports ; d’autre part, cette production est, en grande partie, consommée sur place. Depuis quelques années, la production d’origine animale35 a été très développée au Venezuela et dans les économies andines, en particulier, dans le but de réduire les importations de viande et de répondre à l’accroissement de la demande de produits lactés. La réalisation d’investissements importants dans ce domaine doit permettre d’améliorer les méthodes de production et de réduire l’improductivité des exploitations.
2° Déficience des transports et des réseaux de distribution
50Une autre source générale d’improductivité provient de la déficience des transports, qui contribue à la perte d’une partie importante de la production et des possibilités d’augmentation des capacités de production. Les exploitations isolées des grandes voies de communication réduisent leur capacité de production, en raison du coût élevé du transport et des pertes qui se produisent. La déficience des transports est aggravée par l’insuffisance des moyens de stockage, or, le climat tropical rend les denrées très périssables36. Les pertes annuelles de production, dues à ce phénomène, varient de 25 à 40 % de la production totale, selon une estimation de la mission Klein-Saks, et ce pourcentage est aussi élevé dans des pays comme la Colombie ou le Venezuela37
C. Juxtaposition de secteurs et disparités de productivité
51L’agriculture sud-américaine n’est pas un secteur homogène et l’on constate de très fortes disparités de productivité, qui correspondent au dualisme fondamental de l’économie. Il n’y a pas qu’une agriculture ; celle du planteur des « latifundia » s’oppose à celle du paysan, et il existe de nombreux types intermédiaires d’organisation. Dans le cas des cultures vivrières on peut distinguer trois formes d’exploitation prépondérantes, dont la rentabilité est très différente : la grande exploitation de monoculture, sur laquelle les cultures alimentaires sont surtout destinées à l’autoconsommation, les petites exploitations hors marché, qui ne contribuent que faiblement à l’approvisionnement du marché national, enfin les nouvelles exploitation localisées près des marchés urbains, souvent gérées par des immigrants, et susceptibles de parvenir à des rendements élevés.
52La mesure des écarts de productivité entre ces secteurs est fort aléatoire, car la majeure partie de la production rurale échappe aux statistiques et il est très difficile de mesurer la productivité des deux premiers types d’exploitation. Les études, portant sur l’ensemble du secteur agricole, accusent des rendements très faibles38, sauf, pour les productions récentes des nouvelles exploitations. Par exemple, les rendements dans les plantations de fruits et légumes sont parfois élevés, parce que ces exploitations sont gérées souvent par des immigrants. C’est le cas des entreprises japonaises ou allemandes du sud du Brésil. L’improductivité des grandes exploitations est beaucoup plus accusée lorsqu’on tient compte de la main-d’œuvre utilisée, bien que les rendements à l’hectare puissent sembler plus élevés que dans d’autres pays sous-développés.
531° Dans l’ensemble de l’Amérique latine, la production par personne active dans l’agriculture est deux fois et demie plus faible que dans les secteurs non agricoles. Mais cet écart est beaucoup plus accusé au Brésil que dans les autres économies voisines, comme le confirment les données suivantes.
Tableau 57 : Amérique Latine : Production par personne active dans le secteur agricole et les autres branches d’activité
Pays | Année | Secteur agricole (Indice) | Secteur non agricole (Indice) | Pourcentage de la main-d’œuvre employée dans l’agriculture |
Amérique Latine | 1950 | 100 | 257 | 52,4 |
Argentine | 1953-1955 | 100 | 141 | 25,0 |
Chili | 1952 | 100 | 235 | 30,0 |
Brésil | 1950 | 100 | 290 | 61,0 |
Colombie | 1953 | 100 | 200 | 54,0 |
Canada | 1950-1952 | 100 | 145 | 19,0 |
Nouvelle-Zélande | 1950 | 100 | 60 | 22,0 |
54L’insuffisante productivité de l’agriculture sud-américaine est encore plus évidente si l’on compare les données agricoles à celles de secteurs à haute productivité. On remarque alors la disproportion des effectifs employés selon les secteurs et la prépondérance de la main-d’œuvre agricole à faible productivité.
552° Dans le cas de l’agriculture brésilienne, on remarque que la productivité moyenne est très faible, si l’on compare les rendements moyens à l’hectare39, pour les principales cultures, à ceux de pays se trouvant au même niveau de développement et à plus forte raison, par rapport à ceux de pays plus développés. L’insuffisance des rendements moyens apparaît clairement dans le tableau suivant :
56Un indice des écarts de productivité est fourni par une étude des experts de la C.E.P.A.L. dans le cas des cultures nouvelles du blé au Brésil40.
57On peut opposer, dans ce cas, les petites exploitations improductives ou « zone de colonisation » aux grandes exploitations mécanisées, ou « zona de campo ». Dans les deux types d’exploitation les rendements à l’hectare sont très faibles, de l’ordre de neuf quintaux, mais la disparité de productivité apparaît dans le fait que les petites exploitations doivent utiliser près de dix fois plus d’heures de travail à l’hectare. Mais cet exemple ne reflète nullement la situation d’ensemble de l’économie brésilienne, on remarque d’ailleurs dans ce tableau que les disparités de rendement n’ont pas la même signification pour une culture traditionnelle comme le maïs.
58Pour le Brésil, les données sont de 1955 pour les États-Unis, moyenne des années 1950-1953 et pour l’Argentine, récolte de 1955-1956.
§ 2. Hétérogénéité de la demande et des mouvements des prix agricoles
59Le déséquilibre entre l’offre et la demande, sur le marché des produits agricoles alimentaires, est fortement accentué par la structure de la demande. Trois particularités méritent d’être retenues :
- le cloisonnement des marchés ;
- l’instabilité du comportement monétaire rural.
- les déséquilibres créés par l’intervention étatique.
A. Cloisonnement des marchés et distorsions de prix
60L’étroitesse des marchés est une source d’instabilité permanente des prix, dans le domaine agricole. En effet, une très faible partie de la production est commercialisée, alors que l’accroissement de la population urbaine suscite une très forte demande. Dans les régions, où l’économie monétaire est encore peu développée, l’ajustement, entre la demande et l’offre reste localisé, si bien que l’on assiste à la formation de prix sectionnels. La juxtaposition des secteurs de production est renforcée par une juxtaposition des zones de consommation, aussi la hausse des prix des denrées alimentaires, dans un secteur où se produit une pénurie, ne peut pas être compensée par des échanges provenant du reste de l’économie. Ces déséquilibres conjoncturels sont accusés par le caractère cyclique des productions et les déplacements géographiques de la production, vers des zones où les cultures dominantes peuvent trouver des terres non épuisées. Lorsque ces déplacements d’activité se produisent, l’isolement des régions en régression s’accuse et les distorsions de prix suivent les périodes de disette et d’abondance, ces dernières devenant plus rares. Les contacts avec les régions plus évoluées suscitent des transferts limités, dont les effets inflationnistes sont certains41. Ces effets sont étroitement liés au comportement monétaire des classes rurales.
B. Comportement monétaire de l’agriculture et transmission de l’inflation
61Le comportement monétaire des populations agricoles amplifie considérablement les tensions inflationnistes sectorielles. Ces facteurs d’instabilité sont très nombreux, aussi ne retiendrons-nous que les principaux.
621° Tout d’abord, les déficiences de l’organisation des marchés agricoles facilitent la propagation des actions de monopole et la réalisation de profits très inégaux. Dans les secteurs isolés du marché national, une chute de production ne provoque pas une variation sensible du volume de revenu distribué dans le secteur et la demande monétaire reste stable. Par contre, dans les secteurs partiellement ou intégralement reliés au marché national, les variations du revenu sont très importantes et sont accusées par l’intervention des firmes dominantes. Les fluctuations de revenu et de prix sont amplifiées par le cloisonnement des marchés. Les exploitations, disposant de ressources propres de transport, peuvent vendre leur production beaucoup plus cher, sur les marchés urbains, que sur les marchés locaux, sans accroître pour autant leur productivité, si elles achètent les surplus de production des exploitations isolées du marché.
632° En second lieu, le comportement monétaires des producteurs est très différent selon le type d’entreprise. Un accroissement des revenus monétaires distribués, consécutif à l’augmentation des prix unitaires ou des quantités vendues, suscite une augmentation très rapide de la demande. Lorsque ces revenus sont perçus par les propriétaires, ils alimentent une consommation de luxe et des dépenses improductives. Lorsqu’ils sont distribués à des exploitants ; petits propriétaires ou ouvriers agricoles, ils sont intégralement consacrés à des dépenses de consommation et provoquent souvent des mouvements de hausse locale des prix, dans la mesure où la naissance d’un nouveau marché, isolé du marché national, permet de prélever des profits élevés, en imposant des prix supérieurs à ceux du marché national. Lorsque les revenus sont distribués à des catégories sociales, qui jusqu’alors produisaient peu pour le marché national, l’effet inflationniste est souvent encore plus accentué, parce que de nouveaux besoins sont créés et que le genre de vie est rapidement modifié.
643° En troisième lieu, l’expansion du revenu dans les secteurs agricoles en croissance pèse fortement sur le niveau de la demande globale, parce que les revenus sont presque intégralement dépensés.
65Les secteurs agricoles ont en effet une épargne fortement « spécifique »42, qui ne peut pas être transférée dans des secteurs où son emploi serait plus productif.
66L’épargne agricole est toujours réinvestie dans les activités ou elle est née. Lorsqu’il s’agit de cultures d’exportation, ce phénomène contribue à l’ampleur des crises, parce que les phases d’investissement et de désinvestissement provoquent l’instabilité de la production. Sur le marché interne, le même phénomène se produit dans l’élevage ou dans les grandes cultures (plantations de sucre). Une crise sur l’un de ces marchés provoque un transfert de l’épargne dans des activités de même nature et ne permet pas de diversifier les productions.
67Lorsque l’épargne cherche des emplois non agricoles, elle les trouve dans des emplois improductifs et spéculatifs. Une part considérable des profits agricoles des grandes exploitations est placée dans l’achat d’immeubles, de terrains et de biens de consommation durables ou thésaurisée sous forme d’or et de devises.
68Mais la majeur partie des exploitants agricoles consacrent l’intégralité de leurs revenus monétaires à la satisfaction de besoins de consommation. Il s’en suit une expansion secondaire de la demande dans les secteurs qui bénéficient de ces dépenses : commerce et services. Cette forme d’expansion correspond, en partie, à une extension du marché, cependant l’isolement n’est rompu que très lentement et l’absence de concurrence permet la prolifération d’intermédiaires et l’application de prix supérieurs à ceux des centres urbains. Dans le cas des firmes, mal intégrées à l’économie monétaire, l’expansion de la production commercialisée a pour seul résultat une augmentation du taux de profit des propriétaires et un accroissement de l’autoconsommation pour les producteurs, rémunérés par des avantages en nature, correspondant à la production non commercialisée. Cette situation augmente l’intensité des déséquilibres inflationnistes, puisque la production commercialisée augmente faiblement alors que les revenus distribués sont accrus par des prix plus rémunérateurs.
694° Une dernière source d’instabilité est constituée par l’introduction de nouveaux types de consommation, dans les zones rurales43. Les consommations urbaines, correspondant à des besoins évolués de santé, d’éducation ou de confort, introduisent des genres de vie nouveaux et des habitudes budgétaires inflationnistes. Le paysan qui pouvait satisfaire ses besoins essentiels par la consommation de sa propre production et la fabrication des objets domestiques, peut difficilement équilibrer ses recettes et ses dépenses lorsqu’il participe à l’économie monétaire. Ces habitudes de consommation ont contribué à l’endettement des milieux ruraux en Amérique du Sud, il est vrai qu’il existait déjà, dans le cadre des grands domaines, un fort endettement des ouvriers agricoles, qui renforçait leur dépendance juridique et sociale.
C. — Les déséquilibres créés par l’intervention de l’État
70L’accentuation des phénomènes inflationnistes en Amérique du Sud a provoqué une intervention fréquente de l’État, dans le domaine des prix agricoles, destinée à réduire la hausse des prix alimentaires44. Il ne semble pas que ces politiques aient rencontré un grand succès, sinon à court terme. La politique suivie a consisté surtout à appliquer des mesures de blocage des prix alimentaires, mais cette politique, étant rarement assortie d’autres mesures anti-inflationnistes, a contribué à l’aggravation des déséquilibres.
71La structure des marchés agricoles sud-américains rend les interventions étatiques particulièrement difficiles car le blocage des prix ne peut que ralentir l’intégration du marché. La seule incitation importante, pouvant décider l’exploitant agricole à produire pour le marché interne, est la perspective des prix rémunérateurs et l’acquisition d’un pouvoir d’achat important. Lorsque les prix alimentaires sont bloqués, la spécialisation dans la production pour les marchés extérieurs est plus rentable, car l’État assume en partie les risques de surproduction. Le blocage des prix alimentaires a créé de nouvelles causes d’inflation sectorielle et aggravé les déséquilibres du secteur agricole.
72Deux mécanismes inflationnistes peuvent être rattachés à l’intervention étatique :
731° Le blocage des prix a suscité un effet de freinage considérable sur l’ensemble de la production domestique.
74On constate une véritable stagnation de l’agriculture en Argentine et au Chili et un ralentissement très net de la production agricole brésilienne, dans les périodes où le blocage des prix a été généralisé. Dans le cas du Brésil, ce ralentissement est moins net parce qu’il a été contrecarré par les difficultés d’application de ce contrôle, si bien qu’une faible partie de la production y a été soumise. Lorsque le blocage est effectif, on remarque souvent une véritable régression de l’agriculture. Dans ces cas, le blocage des prix a entraîné un véritable déséquilibre structurel se traduisant par un désinvestissement agricole et un transfert de facteurs de l’agriculture vers l’industrie et les services, dont la rentabilité devenait supérieure.
75C’est ainsi que l’accélération de l’inflation a suscité un fort déclin de l’élevage en Bolivie, constituant un véritable désinvestissement. De même, l’augmentation des migrations rurales an Brésil vers les centres de hauts salaires de l’industrie et des villes traduit la stagnation de l’agriculture. L’appel de main-d’œuvre des centres industriels est une conséquence normale et nécessaire de la croissance économique, mais cette main-d’œuvre ne correspond pas toujours à l’emploi de « chômeurs déguisés », parfois il s’agit d’un véritable dépeuplement régional. Il est vrai que le coût de transfert d’une main-d’œuvre excédentaire, de l’agriculture à l’industrie est souvent supposé négligeable : le coût marginal de ce travail serait nul45. L’argument semble inexact lorsque la croissance de la production agricole se heurte à l’absence de stimulants efficaces et à un blocage des prix. Le coût excédentaire de cette main d’œuvre est au contraire très élevé, car il faut offrir aux nouveaux salariés un salaire total correspondant aux avantages en nature procurés par l’unité d’auto-consommation et la cellule familiale. En outre, il faut procurer aux travailleurs agricoles restants, la possibilité d’accroître massivement leur production pour satisfaire la demande nationale : il faut donc procéder à des investissements agricoles46.
762° En second lieu, on constate que les distortions de prix sont accusées par l’intervention de l’État.
77Dans les pays où la croissance a été rapide, comme le Brésil, la Colombie ou le Venezuela, les prix agricoles ont augmenté généralement plus vite que les autres prix, aussi bien au stade du producteur que du consommateur. Au Brésil, par exemple les « termes internes de l’échange » des produits agricoles par rapport aux produits industriels et aux services ont augmenté de 35 % entre 1939 et 1953 et cette hausse a été aussi rapide au stade de la production que de la consommation47. Cependant, l’écart entre les prix de gros et les prix de détail reste très élevé, en raison du coût important des transports et des pertes subies entre ces deux stades, mais également parce que les taux de profit, dans les industries alimentaires et surtout les commerces alimentaires, sont très élevés. On constate souvent que le prix des denrées alimentaires, non transformées, est deux à trois fois plus élevé à la ville qu’à la campagne48.
78Cette situation globale ne reflète pas l’extrême diversité des mouvements de prix selon les marchandises. D’une part, les interventions de l’Etat dans ce domaine n’ont exercé aucune action de nivellement, parce que les prix minima ne sont appliqués que partiellement et sont abandonnés puis repris. D’autre part, la politique des changes crée de nouvelles distorsions de prix, car, pour les produits domestiques concurrencés par les produits alimentaires importés, les mesures protectionnistes adoptées (contingentement) sont contrecarrées par une politique de soutien des prix et de lutte contre la vie chère et ces produits sont livrés sur les marchés internes à des prix peu élevés. Certaines productions agricoles internes reçoivent, par contre, des encouragements, sous forme de subventions, lorsqu’elles permettent de remplacer des produits importés. Les premières phases de cette production sont caractérisées par des prix de revient très élevés, et des prix de vente très supérieurs à ceux des productions traditionnelles. Si les prix sont bloqués dans ces secteurs, l’effet de stimulation disparaît. Le plus souvent l’État versera à la fois des subventions aux producteurs pour les encourager à produire et d’autres formes de soutien pour les aider à vendre au prix minimum.
79La dispersion des prix explique que l’évolution globale des prix agricoles ait masqué aux responsables de la politique économique les goulots d’étranglement locaux. Il est en effet presque impossible de distinguer, dans les fluctuations des prix sectionnels les mouvements de prix, comblant une détérioration injustifiée des rapports d’échange ou traduisant les répercussions d’un effort de modernisation, de ceux qui sont étrangers à toute croissance et correspondent à l’intervention d’un monopole, à une pénurie temporaire ou à un alourdissement de la distribution. Un exemple peut être emprunté à l’évolution récente des prix et de la production de l’agriculture, dans l’État du Paraná, au Brésil entre 1947 et 195349.
80On remarque, dans cette évolution, que la dispersion des prix est très accusée, Les prix unitaires de la tonne de blé ont baissé, alors que la production doublait. Le prix du café a augmenté très rapidement, par rapport aux progrès de la production. Le cours interne du café permet d’acheter trois fois plus de blé en 1953 qu’en 194750. Dan le cas dn riz, aliment important pour les Brésiliens, il est frappant de constater que les prix ont quadruplé, alors que la production a augmenté seulement de 78 %. La hausse des prix du haricot s’est surtout produite après 1951, au moment où la hausse du coût de la vie augmente d’intensité. Les rapports de prix ont également beaucoup varié, entre ces deux denrées. En 1947, la tonne de haricots coûtait davantage que la même quantité de riz et en 1953, le riz vaut un tiers de plus.
Section II. LES DÉSÉQUILIBRES DU SECTEUR INDUSTRIEL ET LA FORMATION DES ÉCARTS INFLATIONNISTES
81La croissance du secteur industriel a été accompagnée des phénomènes inflationnistes intenses, étant donné les difficultés d’accumulation du capital dans ce secteur, et la généralité des méthodes inflationnistes de financement. L’évolution générale des prix ne reflète aucunement l’intensité des tensions inflationnistes dans le secteur industriel, étant donné que les prix industriels ont augmenté moins rapidement que dans les autres branches de la production. Cependant, on constate que les tensions inflationnistes sectorielles sont importantes et se traduisent par une forte dispersion des prix de gros et de détail. La formation d’écarts inflationnistes sectoriels correspond à la disparité de la structure industrielle et au pluralisme des secteurs de financement.
82Les conditions de formation de l’écart inflationniste et de propagation des tensions inflationnistes sont déterminées par les caractéristiques techniques et financières des activités. Les risques inflationniste de la croissance industrielle sont d’une nature très différente selon les activités motrices. La cause principale de l’écart inflationniste est tantôt la carence de ressources financières, tantôt l’insuffisance de la productivité, tantôt une trop faible capacité de production et plus souvent tous ces facteurs sont réunis. Le repérage des zones actives de l’inflation, dans l’industrie sud-américaine montre avec évidence le caractère spécifique des risques inflationnistes, selon les branches d’activité. On remarque en particulier trois types d’activité : l’industrie lourde, le bâtiment, les industries de transformation, où les conditions de formation d’un écart inflationniste sont évidemment distinctes.
§ 1. L’industrie lourde et les industries de biens capitaux
83La croissance des industries de biens capitaux et particulièrement des industries lourdes (sidérurgie) comporte des risques inflationnistes immédiats très importants, pour deux raisons. Tout d’abord le démarrage de ces activités réclame des investissements massifs, souvent assurés par des plans d’investissements publics, dont le financement est particulièrement malsain. En second lieu, ces secteurs constituent de véritables industries motrices, aussi engendrent-ils un processus d’expansion monétaire et de hausse des prix, qui contribue à l’expansion rapide de la demande globale.
84Le déséquilibre entre l’offre et la demande est aggravé dans l’ensemble des activités dépendant du pôle de croissance, car l’expansion primaire et secondaire du revenu est très supérieure aux progrès réels de la production. Certes, nous avons constaté que ces tensions inflationnistes se résorbent en partie, en raison de la croissance induite de l’ensemble industriel. Cependant les mécanismes auto correcteurs ne se produisent qu’après un décalage important.
85Dans l’immédiat, la croissance des industries de biens d’investissement crée de fortes tensions inflationnistes sectorielles51.
86Certes, ces tensions inflationnistes traduisent-elles surtout un processus d’inflation de croissance, c’est-à-dire une expansion rapide du revenu, accompagnée d’un renchérissement temporaire des prix de revient, dans l’ensemble industriel affecté par les effets de polarisation. Les besoins de main-d’œuvre extérieure suscitent une hausse des taux de salaires ; la demande d’énergie, de transport et de techniciens exige un transfert de facteurs des autres secteurs et suppose souvent une hausse du coût de ces services, ce qui handicape les entreprises non intégrées à l’ensemble industriel. Ce bouleversement des équilibres sectoriels est compensé par la réalisation d’économies internes et externes d’échelle, qui atténuent les tensions de croissance.
87Mais en réalité, à plus long terme, les bouleversements structurels provoqués par la croissance des industries de base peuvent également donner naissance à des tensions de mutations, qui ne sont pas compensées par la formation de tensions déflationnistes. En effet, de nombreux obstacles institutionnels retardent les progrès de l’intégration économique.
- L’insuffisance des mécanismes de liaison, entre les pôles de croissance et les secteurs traditionnels, réduit l’expansion des échanges inter industriels et ne permet pas de remédier au retard technique de ces derniers. L’aggravation des écarts de productivité constitue alors une première source de tensions inflationnistes.
- La persistance du cloisonnement des marchés s’oppose également au progrès de l’intégration. Aussi les grands centres industriels sont-ils freinés dans leur expansion par l’étroitesse du marché national. C’est, en particulier, le cas des complexes sidérurgiques, dont la capacité de production doit être réduite, parce qu’elle excède les besoins solvables.
- Enfin, la force d’attraction des grands poles industriels, dans les pays sous-développés, accuse la concentration géographique des richesses, lorsque ces industries sont implantées dans les centres économiques et commerciaux traditionnels. De plus, lorsqu’il s’agit de nouveaux pôles régionaux, l’attraction de la main-d’œuvre s’accompagne d’une urbanisation accélérée. Or, les disparités économiques et sociales, créées par la concentration urbaine, sont également une source d’inflation de mutation, car elles s’accompagnent de mutations structurelles régressives52.
§ 2. Le secteur de la construction
88Les données statistiques relatives à l’industrie du bâtiment ne sont pas d’une rigueur suffisante pour permettre des comparaisons entre les économies sud-américaines. Il est cependant évident que, depuis la guerre, l’expansion de la construction a été très rapide dans toute l’Amérique du Sud et que cette activité a joué un rôle moteur, dans le déroulement des phénomènes inflationnistes53. On estime en effet que, dans la plupart des économies sud-américaines, la construction des immeubles urbains absorbe la moitié ou les trois quarts de l’épargne nationale. En outre, les nouvelles constructions sont concentrées dans les zones urbaines les plus développées. Un rapport de la C.E.P.A.L. estimait que pendant la guerre, plus de 80 % de l’activité de la construction était concentrée dans les villes de Rio et de São Paulo, au Brésil54. Le même phénomène pouvait être observé à Santiago du Chili, à Bogota en Colombie ou à Caracas au Venezuela. Nous ne pouvons ici qu’énumérer les causes principales de la formation d’un écart inflationniste dans ce secteur.
891. Tout d’abord, les caractéristiques techniques de l’industrie du bâtiment favorisent, en toute situation, la formation d’un écart inflationniste.
90Les capitaux nécessaires à la construction d’immeubles exigent des immobilisations très importantes et longues. La période de maturation des investissements dans ce secteur a toujours été une cause d’instabilité, il suffit de rappeler que le cycle du bâtiment analysé dans les pays industriels a été estimé à une durée moyenne de dix-sept ou dix-huit ans55.
91D’autre part, dans un pays où règne une inflation séculaire, les risques financiers de l’immobilisation des capitaux dans ce secteur sont aggravés par la hausse des coûts. Les entrepreneurs de construction sont incités à majorer leurs devis, dans des proportions considérables, pour faire face à l’accroissement du coût de la construction, et maintenir leur taux de profit.
922. L’organisation sociale et institutionnelle des économies sud-américaines accroît singulièrement la vulnérabilité de ce secteur. De nombreux éléments spéculatifs contribuent à la hausse cumulative du coût de la construction.
93La spéculation foncière est l’un des éléments prépondérants de la hausse des coûts. La hausse du prix des terrains s’est surtout développée depuis que la croissance urbaine a permis aux acquéreurs de réaliser des plus-values rapides. Mais la spéculation foncière a existé de tout temps en Amérique du Sud, soit pour les terrains urbains, soit pour les terres de culture, en particulier lorsque les activités dominantes d’exportation se déplaçaient. Le développement des plantations de sucre et de café, au Brésil, celui des pâturages et des terres à blé, en Argentine, ont constitué une source permanente de hausse rapide du prix de la terre, dès les premières phases du développement de ces pays. Aujourd’hui, il s’agit surtout de la hausse des terrains à bâtir, dans les zones proches des grandes villes. Les capitaux placés dans les terrains de la banlieue de São Paulo, au Brésil, permettent aux spéculateurs de doubler leur capital en deux ou trois ans. Plus récemment, le projet de construction d’une nouvelle capitale fédérale, dans le centre du Brésil, à Brasilia, a suscité un mouvement de vive spéculation foncière.
94D’autres éléments contribuent à la hausse rapide du coût de la construction. La hausse du matériel de construction a été très rapide, malgré la croissance accélérée des industries associées à ce secteur. La consommation de ciment était avant guerre assurée, dans presque toute l’Amérique du Sud, grâce à des importations. Aujourd’hui, la production nationale assure la plus grande partie des besoins. Cependant, le contrôle des prix exercé par l’État, dans ce domaine, s’est révélé inefficace et n’a pas enrayé la hausse des prix. C’est pourquoi le coût de la construction a augmenté plus rapidement que le niveau général des prix de gros56.
95La nature des constructions immobilières est également une cause essentielle du coût élevé des constructions. La plus grande partie des capitaux est placée dans la construction d’immeubles résidentiels. En 1955, au Brésil, 80 % des capitaux privés, investis dans la construction immobilière, étaient destinés à ce type de construction57. Les statistiques disponibles ne permettent pas de distinguer les capitaux immobilisés dans les immeubles sociaux et dans les immeubles de luxe. Cependant, la simple observation de la construction, dans les capitales sud-américaines, montre l’essor de la construction d’immeubles de luxe. Ces constructions ont un coût très élevé dans les pays sous-développés, parce que tous les travaux de finition et d’aménagement correspondent à des services très onéreux. Il faut remarquer que le secteur public participe également au mouvement de spéculation foncière et que le luxe des constructions administratives contribue fortement à l’expansion de la construction. Or, les marchés publics présentent pour les entrepreneurs des avantages et des perspectives de profit aussi occultes et incontestables que dans les pays industrialisés.
963. Un troisième élément du processus inflationniste dans la construction est constitué par l’organisation du financement. Les spéculations immobilières attirent la plus grande partie de l’épargne, et même de l’épargne modeste. Aussi, à la différence des autres secteurs, privés de capitaux, on pourrait supposer que de saines méthodes de gestion permettent de financer, sans risques considérables, les réalisations de ce secteur. En réalité, il s’agit de l’activité où les méthodes de financement sont les plus malsaines.
97Les capitaux investis dans les opérations immobilières sont en majorité des capitaux à court terme, aussi les entreprises immobilières doivent recourir aux mécanismes du crédit. En outre, les capitaux sont placés plus fréquemment dans l’achat des terrains que dans la construction, car ils sont facilement réalisables, étant donné la hausse rapide de leur valeur.
98La multiplicité des organismes financiers, prospérant en marge du marché immobilier, crée un alourdissement des prix de revient et une aggravation des risques financiers. Chaque intermédiaire prélève en effet une marge de profit élevée et recherche des acquéreurs suceptibles d’offrir un meilleur prix. Parmi ces intermédiaires, aucun ne prend, en réalité, la responsabilité du risque des opérations. Aussi, une grande partie du financement de la construction échoit au système bancaire et en dernière analyse, à la Banque centrale.
994. La structure des loyers est également un élément important du déséquilibre existant sur le marché immobilier. Les constructions de luxe sont recherchées par les capitaux privés parce que les loyers sont rarement soumis au contrôle de l’État et sont extrêmement élevés. La structure des budgets familiaux, dans les familles urbaines, surtout dans les classes supérieures de revenu, montre d’ailleurs que l’importance relative des dépenses de loyer est beaucoup plus élevée que dans les pays européens ; elle représente 20 à 40 % des dépenses totales. Les loyers des appartements neufs à Rio sont aussi élevés qu’à Paris ou New-York et parfois davantage58.
100Mais, un secteur important du bâtiment est soumis au blocage des loyers, comprenant les constructions d’habitation des classes moyennes et ouvrières, et certains immeubles commerciaux ou à usage industriel. Dans ce secteur, les loyers ont augmenté beaucoup moins rapidement que le coût de la vie. Dans l’immédiat après-guerre, la C.E.P.A.L. a calculé que l’indice des loyers était tombé à 50 % en dessous du niveau moyen des prix, en Argentine, entre 1945 et 1949, alors que le coût de la construction avait triplé59. Au Brésil, l’indice du coût de la vie à Sao Paulo révèle une augmentation beaucoup moins rapide des loyers que des autres chapitres de dépense60. C’est pourquoi l’analyse du coût de la vie est très fallacieuse : d’une part, les loyers réels pratiqués échappent aux contrôles, d’autre part, le niveau des loyers varie beaucoup selon les villes. Dans les capitales et les grandes villes, une grande partie des nouvelles habitations échappent aux contrôles et dans les nouvelles zones industrielles, on remarque également que les dépenses d’habitation sont beaucoup plus élevées. Un exemple en est fourni par les statistiques brésiliennes61. Le coût de la vie a augmenté de quatre à cinq fois, entre 1948 et 1957, selon les capitales d’État. On remarque que les dépenses de loyer ont augmenté, dans presque tous les districts plus rapidement que les autres postes de dépense. Alors qu’à São Paulo, ville où l’indice officiel du coût de la vie a été établi, l’indice des dépenses d’habitation atteint 759 en 1957 (1948 = 100), cet indice atteint 1.182 dans la capitale fédérale à Rio, 1.322 à Salvador, dans l’État de Bahia, 1.301 à Goiana, dans l’État de Goias. Dans d’autres régions, où le contrôle des loyers est plus efficace ou lorsque la spéculation est moindre, on constate que ces dépenses ont peu affecté la hausse du coût de la vie. Par exemple, à Fortaleza et Terezina l’indice n’a pas dépassé 500, à Florianopolis, dans le sud 297, et dans l’Amazone, à Boa Vista, 212, mais 721 à Manaos, centre urbain plus important.
§ 3. Les industries de transformation
101Les industries de transformation ont formé jusqu’à présent l’élément moteur du développement industriel de l’Amérique du Sud. Les industries alimentaires et textiles représentent, dans les économies sud-américaines, au moins 50 % de la valeur de la production industrielle et utilisent la plus grande partie de la main-d’œuvre, ainsi qu’un pourcentage élevé du capital existant. Sans doute, le rythme de croissance des industries de biens de production commence à dépasser celui des industries de biens de consommation. Au Brésil, de 1948 à 1954, les premières ont doublé leur production alors que l’augmentation est seulement de 47 % dans les secondes62.
102La valeur ajoutée par les industries de transformation aux produits de base est très élevée, lorsque l’on considère le bon marché relatif de la main-d’œuvre. Cependant, cet apport varie beaucoup selon les secteurs. L’enquête établie dans l’État de Paraná, au Brésil63, montre que la valeur ajoutée par la transformation industrielle est de 50 à 75 %, faible dans les industries artisanales (34 % dans les cuirs et peaux) et les produits alimentaires (28 %) mais très élevée dans les industries de transformation des métaux et de mécanique (75 %). Or, ce sont précisément les secteurs, où la valeur ajoutée est faible : produits alimentaires, textiles, vêtements, chaussures, qui jouent un rôle déterminant dans la formation des tensions inflationnistes et l’amplification de la hausse des prix.
103Sous l’angle demande, ces industries approvisionnent directement le marché interne, leur capacité d’intégration est donc forte. Leur consommation de capital, plus faible que celle de l’industrie lourde, permet de financer les investissements avec des risques moindres, car les détours de production ne sont pas longs et la rentabilité de l’exploitation permet un auto financement facile. Or, on constate que les méthodes de financement de ce secteur sont particulièrement malsaines. Les ressources des entreprises sont utilisées à l’augmentation des stocks plus qu’à l’extension et à la modernisation de l’équipement. Le crédit bancaire, accordé aux industries de transformation correspond rarement à des besoins réels d’investissement.
104Du point de vue de la production, il est évident que les industries légères ne constituent pas des pôles de développement aussi efficaces que les industries lourdes. Les investissements, associés au développement de l’industrie textile ou des industries alimentaires, sont très réduits et consistent surtout en un allongement des circuits de distribution. Localisées sur les marchés de production, ces entreprises emploient une forte main-d’œuvre et subissent les contre coups de la hausse des salaires ; les coûts de transport des matières premières y sont également importants. Mais surtout la faible dimension moyenne des entreprises est un obstacle à la réalisation d’économies d’échelle permettant de livrer des produits standardisés. Aussi, malgré la croissance rapide de l’ensemble du secteur, on constate une extrême improductivité, qui suscite de nombreux déséquilibres, masqués par la réalisation de profits inflationnistes.
Section III : L’ORGANISATION DE LA DISTRIBUTION ET LA FORMATION DES TENSIONS INFLATIONNISTES
105Le dualisme des économies sud-américaines est particulièrement accusé dans le domaine commercial. Des commerces urbains, très évolués, prennent la forme de « supermarkets », contrastant avec les méthodes de commercialisation des produits, dans les zones arriérées. Dans ce dernier secteur l’organisation de la distribution est alors très proche de celle du bazar oriental et du colportage. Lorsqu’il existe un marché suffisamment étendu, les intermédiaires peuvent prospérer, c’est pourquoi le commerce est d’abord urbain. Mais la juxtaposition des marchés, dans les zones encore peu développées, favorise également l’essor des activités commerciales, étant donné l’absence de concurrence. C’est pourquoi les diverses manifestations du monopole se retrouvent à tous les stades de l’organisation commerciale en Amérique du Sud, soit parce que l’isolement des marchés empêche toute concurrence, soit parce que la concentration des moyens financiers permet à certaines firmes de dominer les marchés urbains.
1061. Dans les commerces alimentaires, la situation des entreprises diffère totalement dans les zones urbaines et rurales. Sur les marchés urbains, quelques grands magasins modernes et bien organisés, concentrés par les groupes financiers, s’opposent à une majorité de petits commerces alimentaires traditionnels. Dans les deux cas, le blocage des prix alimentaires est peu effectif et les taux de profit sont importants.
107Dans les zones rurales, le petit commerce domine et peut réaliser des taux de profits très élevés. Lorsque ces régions sont touchées par l’industrialisation, les commerces alimentaires s’adressent à un marché en constante progression. L’afflux de main-d’œuvre, provenant des migrations régionales, constitue pour ces commerces une clientèle plus malléable que les consommateurs locaux, parce que ces ouvriers sont déracinés par rapport au milieu agricole et ne disposent plus de ressources d’autoconsommation.
1082. Dans le cas des commerces de produits manufacturés il faut distinguer trois situations, selon que les produits vendus sont d’usage courant (bazars), de semi-luxe (objets manufacturés) ou de luxe (voitures de tourisme, produits importés). On doit remarquer que la délimitation de ces activités est arbitraire, car les critères du nécessaire et du superflu varient selon les régions et les catégories sociales. En effet, pour l’ensemble de la population, la vente de chaussures constitue un commerce de semi-luxe, dans les régions rurales, ainsi que dans les agglomérations noires des grandes villes du Brésil, alors que cette catégorie est représentée par les commerces d’appareils ménagers, dans les zones urbaines plus évoluées. Ces formes de commerce se sont développées à un rythme très rapide dans les grandes villes, depuis la seconde guerre mondiale.
109On remarque surtout la prolifération des services de luxe : coiffeurs, hôtels, restaurants, tandis que les magasins de grand luxe : haute couture, fourrures, automobiles, ont vu leur essor limité par les restrictions d’importation. Ces entreprises se sont multipliées pour satisfaire les consommations ostentatoires des élites sud-américaines. Les revenus dépensés pour satisfaire ces consommations ont un effet inflationniste très accusé, car il s’agit d’une fuite de l’épargne et également parce que des produits souvent importés exercent une pression sur la balance des payements. Enfin, les profits élevés réalisés dans les commerces de luxe sont réinvestis dans ces activités ou affectés à des emplois également improductifs.
110Les commerces de demi-luxe connaissent aujourd’hui un essor beaucoup plus important car ils correspondent au déplacement de la consommation des salariés vers des besoins plus évolués, par suite de l’accroissement du revenu réel et du niveau de vie.
111Ce secteur correspond aussi bien à la vente de produits : meubles, appareils ménagers, appareils électriques, qu’à la prestation de services : réparations, loisirs (cinémas). Ces entreprises ont pu étendre leur marché et devancer les besoins de leur clientèle, grâce à des pratiques commerciales audacieuses, qui ont une incidence inflationniste importante. C’est ainsi que le crédit à la consommation s’est répandu en Amérique du Sud, depuis la seconde guerre mondiale, selon des formules particulièrement malsaines. La plupart des objets chers sont vendus à crédit, par mensualité, mais le commerçant entend couvrir ses frais sur les premiers versements, de façon à se prémunir contre le risque de non-versement et contre l’inflation. L’objet de consommation durable sera donc vendu souvent de façon à couvrir l’ensemble des frais, à la fin de la sixième mensualité. A ce terme, les frais supplémentaires encourus par l’acheteur représentent déjà l’équivalent de la valeur de comptant de l’objet, car le vendeur, insère dans sont prix, le coût de l’argent, emprunté à 3 ou 4 % d’intérêt par mois, une prime de risque contre la dépréciation, une prime pour le non-paiement des autres mensualités et sa propre marge de profit. De nombreux salariés, trop endettés, ne paient jamais la totalité des mensualités, mais lorsque le débiteur acquittera la totalité des versements, il a payé trois ou quatre fois la valeur de l’objet et le bénéfice du commerçant est considérable64.
1123. La multiplication des intermédiaires financiers constitue une autre catégorie commerciale, intervenant dans la plupart des circuits de distribution. Les activités de ce secteur sont très diverses. Outre les organismes bancaires, il s’agit des nombreux intermédiaires échelonnés à tous les stades de la distribution, dont la fonction est de collecter des ressources de trésorerie et de financement et de faciliter l’accès de nouveaux consommateurs sur le marché. Ces institutions se sont développées, dans le secteur commercial (crédit à la consommation), sur le marché de la construction (sociétés immobilières), dans le domaine du commerce extérieur (financement des campagnes d’exportation et des importations) et dans le secteur industriel (banques et sociétés de financement).
113L’expansion de ces activités a été très rapide. Au Brésil par exemple, le revenu courant des « intermédiaires financiers » a augmenté de 22 fois, entre 1939 et 1955, alors que l’ensemble du revenu national n’a augmenté que de 15 fois. En 1939 ces revenus ne représentaient que la moitié du montant atteint par les loyers et, en 1955, leur montant est équivalent. Cette évolution s’explique, en partie, par le blocage des loyers, cependant la croissance relative des intermédiaires financiers est également très importante par rapport aux autres activités65.
***
114Deux circonstances générales contribuent à la propagation des tensions inflationnistes sectorielles.
115D’une part, l’intervention de monopoles sur le marché contribue à la rigidité des prix, car la hausse des prix, dans un secteur dominant, est suivie d’un ajustement immédiat dans les exploitations dépendantes. Cependant le cloisonnement des marchés permet à une firme non intégrée de pratiquer une politique de prix élevés, sans risquer de perdre sa clientèle, si les concurrents éventuels sont éloignés de ce marché. C’est pourquoi, alors que les monopoles urbains supposent une concentration des moyens financiers et des exploitations, la politique des prix, dans une entreprise qui s’est assuré le monopole d’un marché non intégré, permet de réaliser un profit maximum, grâce à des prix très élevés, sans pour autant modifier la structure de l’entreprise.
116D’autre part, la prépondérance des petites firmes improductives renforce les tendances à l’inflation. L’instabilité monétaire leur permet de valoriser les stocks et de recevoir des profits d’inflation, alors qu’une stabilisation monétaire supposerait leur élimination. Le processus inflationniste permet de renforcer le cloisonnement des marchés et de maintenir des structures économiques improductives. Cette situation correspond à la formation de mutations structurelles régressives. Mais, si la survivance de structures économiques anciennes : artisanat, bazar, grande propriété, peut sembler nécessaire pour assurer une transition entre l’économie coloniale et féodale d’une part, et l’économie industrielle d’autre part, l’implantation de nouvelles firmes, à faible productivité, prospérant du seul fait de l’inflation, constitue un risque beaucoup plus grave. C’est pourquoi l’essor désordonné des sociétés immobilières, des intermédiaires financiers et de certains établissements commerciaux, constitue une source d’inflation, dont il importe de traiter les causes réelles et que la politique monétaire globale ne peut pas résorber.
Notes de bas de page
2 J. H. Boeke, Economies of dual societies (exemple de l’Indonésie), N. Y., 1953.
S. P. Schatz, A dual economy model of an underdevelopped country, Social Research, Winter, 1956 p. 419.
Inflation in underdevelopped areas : a theoreticial analysis, A.E.R., septembre 1957, p. 571, op. cit. M. Bye, Sur la notion d’économie à double secteur, on trouvera de nombreux développements dans le rapport au congrès de Rome Stabilité internationale et économies nationales, op. cit., et les Cours de Relations économiques internationales de doctorat.
Gunnar Myrdal, Economic theory and underdevelopped regions, London Duckworth, 1957.
A. O. Hirschman, Investment policies and dualism in underdevelopped countries, A.E.R., septembre 1957, p. 570.
G. D. de Bernis, Introduction au cahier de l’ISEA, niveau de développement et politiques de croissance, série F, réédition, mai 1958, p. 17.
3 M. Duverger, Le poumon d’acier, le Franc, Mythe et Réalité, La Nef, cahier no 3, juin 1953, p. 167. « Dans l’ensemble, industriels et commerçants cherchent peu à étendre leur marché, à améliorer leurs fabrications, à moderniser leurs méthodes… On s’efforce de maintenir et non d’augmenter, de conserver et non de développer, de partager les clients existants et non d’en chercher de nouveaux… Mécanisme permanent de déplacement des richesses des titulaires de revenus fixes vers les titulaires de revenus mobiles, l’inflation constitue en même temps un mécanisme permanent de sauvetage des entreprises économiquement non viables ; ce que l’appui de l’État ou le développement des ententes serait impuissant à maintenir, malgré tout, elle le maintient…, l’inflation seule permet la survie d’une économie infirme, seul ce poumon d’acier maintient la respiration d’un corps, aux muscles paralysés… »
4 J. Lambert, Le Brésil : structure sociale et institutions politiques, Colin, 1953. Également : Structures sociales et régimes politiques : la diffusion des institutions de la démocratie représentative dans les structures de transition des pays en voie d’industrialisation, Revue française de Science politique, octobre-décembre 1951, p. 455.
5 S.D.N., Industrialisation et commerce extérieur, 1945, op. cit.
E. Hoyt, The impact of a money economy ou consumption paterns, The Annals (U.S.A.), Agrarian societies in transition, may 1956, p. 12.
O.N.U., Développement de l’économie de marché en Afrique tropicale, 1954.
O.N.U., Rôle et structure des économies monétaires en Afrique tropicale, 1955.
6 J. Lambert, Structures sociales et régimes politiques…, R.F.S.P., 1951, op. cit.
7 E. Hoyt, The impact of a money economy…, op. cit.
P. Leurquin, L’évolution des prix agricoles au Ruanda Urundi, exemple de marché non intégré. Bulletin de l’Institut de recherches économiques et sociales (Louvain), septembre 1957.
8 M. Bye, Le rôle du capital dans le développement économique, op. cit.
9 Rostow, The process of economic growth, 1952, chapitre IV, p. 97-102.
The take of into self sustained growth, E.J., Mach 1956, p. 43.
Nous rappelons la distinction de l’auteur de trois catégories de secteurs stratégiques, leading growth sectors, dans la phase de démarrage de la croissance économique :
Primary growth sectors correspondant aux investissements de lancement ;
Supplementary growth sectors correspondant à des secteurs plus évolués, dont l’implantation suppose la réalisation du premier type d’investissement (effet de polarisation) ;
Derived growth sectors correspondant à des entreprises localisées sur le marché ; ce sont des activités dérivées, qui supposent un accroissement important du revenu réel moyen (effet de débouché).
10 F. Perroux, Note sur la notion de pôle de croissance, E.A., 1955, p. 309.
« Le fait, grossier, mais solide, est celui-ci : la croissance n’apparaît pas partout à la fois, elle se manifeste en des points ou des pôles de croissance, avec des intensités variables, elle se répand par divers canaux et avec des effets variables pour l’ensemble de l’économie. »
Nous rappelons que cette théorie a été également exposée souvent par l’auteur dans ses ouvrages récents (« L’Europe sans rivages ») et de nombreux articles. Par exemple : cf. Les pôles de développement et la politique de l’Est, Politique étrangère, no 3, 1957 ; L’idée de pôle de développement et les ensembles industriels en Afrique, Sentiers de l’Europe, no 1, 1957.
11 L’élaboration d’un tableau d’input-output, permet de préciser la structure de la production, à un moment donné et de dégager, pour chaque secteur, des « coefficients techniques de production ». Pour l’étude des tensions inflationnistes, il est nécessaire d’observer les transformations des méthodes de production, de la politique de prix et d’investissement des firmes, au cours d’une période donnée. Il importe donc de calculer les modifications des coefficients techniques et d’introduire les « coefficients de comportement ». Nous renvoyons, pour plus de détail, au début de notre seconde partie.
12 Les analyses du développement économique, conduisent nécessairement à recourir à l’optique des « centres de décision » de façon à déceler dans un système économique, les inégalités de développement, qui sont une source de progrès, de celles qui sont un facteur de stagnation. Ainsi, l’analyse de la croissance régionale bénéficie d’un concept plus opérationnel, avec la notion d’espace-plan, car celui-ci permet de fonder un modèle de décision, du type de ceux de Timbergen, et non plus un simple schéma d’explication, du type des modèles néo-keynésiens (Harrod). Cf. J. R. Boudeville, cours d’économie régionale de doctorat de la Faculté de Droit de Lyon, sur la région lyonnaise, cahier du Séminaire de Science économique, t. III, 1957 et cahier de l’I.S.E.A. précité, l’Économie régionale : espace opérationnel, série L (juin 1958).
13 A. Sauvy, Théorie générale de la population, II, p. 161.
« Dans toute économie, planifiée ou libérale, les rouages ne sont jamais bien réglés ou aussez souples pour permettre un alignement de chaque production avec les besoins correspondants. Il y a toujours un moment où l’on fabrique, par exemple, plus de vis que d’écrous ou plus de caoutchouc que de pneumatiques. »
14 M. Bye, Le rôle du capital dans le développement économique, Congrès de Rio, op.cit.
R. Campos, Inflation and balanced growth, rapport au Congrès de Rio, août 1957.
Les distorsions de croissance, « sectoral inbalantes », constituent, selon l’auteur, une source essentielle des phénomènes inflationnistes. Parmi les déséquilibres internes, l’auteur distingue trois zones de déséquilibre : agriculture, infrastructure et industrie.
15 M. Bye, Le rôle du capital…, op. cit.
16 G. F. Loeb, Industrialisation and balanced growth : with special reference to Brazil, Groningen 957, p. 118.
17 O.N.U., La réforme agraire : défauts de structure agraire, entravant le développement économique, N.Y., 1951.
Causes et conséquences de l’évolution démographique, N.Y., 1953, ST/SOA/SER A/17, p. 308.
18 Instituto de Economia, Desarrollo Economico de Chile, 1940-1956, op. cit., p. 106.
19 O.N.U., La réforme agraire…, op. cit.
T. Mende, L’Amérique latine entre en scène, Seuil, 1952, p. 172.
Zanartu, Amérique latine, problèmes de sous-développement, Revue de l’Action Populaire, janvier 1957, no 104.
20 T. Lynn Smith, Brazil people and institutions, Baton Rouge, 1946 : the size of holdings, p. 501. R. Bastide, Brésil, terre des contrastes, 1957.
L. A. Costa-Pinto, A estructura da sociedade rural brazileira, as classes sociais, a, propriedade e os meios de produção…, Sociologia (São Pauio), nos 2-3, 1948.
21 Conjunctura Economica, Some characteristics of Brazilian Farm System, July 1957, p. 54.
22 J. Lambert, Le Brésil…, cahier 44 de la Fondation des Sciences politiques, p. 97.
23 G. F. Loeb, Industrialisation…, op. cit., p. 114.
Conjunctura Economica, July 1957, op. cit., p. 54.
24 Conjunctura Economica, July 1957, op. cit., p. 57.
25 Leibenstein, Economic backwardness and economic growth, London, 1957, p. 61.
26 J. Lambert, Le Brésil…, Colin, 1953, op. cit., p. 133.
27 O.N.U., Causes et conséquences…, op. cit., p. 306.
28 Conjunciura economica, juillet 1957, p. 55, op. cit.
29 Economic survey of Latin America, 1950, ronéo, op. cit., p. 30.
30 P. Monbeig, Le Brésil, Que sais-je ?, no 628 (1954), p. 89.
« Ainsi réapparaît le dualisme fondamental du Brésil : il n’y a pas qu’une agriculture, mais une agriculture du « caboclo » s’opposant à celle du planteur. D’un côté les cultures vivrières, que l’on appelle parfois la petite culture, et de l’autre la grande culture et la distinction ne vient pas tant de la taille des propriétés que leurs économies. »
31 P. Monheig, Le Brésil, op. cit., p. 88.
M. Le Lannod, Le Brésil, Colin, 1955, p. 144.
Les effets désastreux des crises cycliques au Brésil ont été considérablement aggravés par l’instabilité des agriculteurs, pour lesquels le travail de la terre constitue une spéculation. Cf. « L’agriculteur brésilien, désireux de faire de l’argent, n’a pas tenté de maîtriser la terre et s’est borné à l’exploiter sans contrôle… ».
32 Zanartu, Amérique latine…, R.A.P., janvier 1957, op. cit.
33 P. Gourou, Les pays tropicaux. Principes de géographie humaine et économique, Paris, 1953.
L’Asie, Hachette, 1957.
34 C.E.P.A.L./F.A.O., La expansion selectiva de la produccion agropecuaria en America Latina en relacion con el desarollo economico, E/CN.12/378/Rev. 2, 1957.
35 Boletin Econoraico de America Latina, El problema de la carne en America Latina, Enero, 1956, p. 58.
A l’exception des pays de la Plata, la consommation de viande par tête reste très faible en Amérique du Sud, de l’ordre de 20 à 30 kilogrammes par an ; cette consommation dépasse 100 kilogrammes dans les économies occidentales développées.
Tandis qu’en Argentine, la consommation de viande atteint 97 kilogrammes par tête, au Brésil elle n’atteint que 27 kilogrammes en 1952-1953. La faible productivité de l’élevage brésilien est attestée par le fait que le cheptel ne fournit en moyenne que 20 kilogrammes de viande par bovin, au lieu de 43 kilogrammes en Argentine, mais 13,7 kilogrammes au Venezuela.
Economic survey of Latin America 1950, roneo, op. cit., p. 70.
Depuis la guerre, le troupeau de bovins a augmenté de 46 % au Brésil, de 53 % au Venezuela et de 81 % en Colombie (1939-1949).
36 Economic survey of Latin America 1948, « Agriculture », p. 82 ; « Transportation », p. 161.
En 1950, on estimait que seulement 1 % des exploitations agricoles du Brésil disposait de plus d’un camion ou wagon et qu’à peine 25 % utilisaient la traction animale. Les pertes annuelles de denrées agricoles, résultant de la déficience des facilités de transport et stockage, s’élevaient en 1954 à un montant représentant le coût de construction de 4.000 maisons d’habitation.
37 O Problema da Alimentação no Brazil, Relatorio de Klein-Saks, Rio, 1954, commentaires dans C.F. Loeb, Industrialisation…, op. cit., p. 123.
38 J. Franco, Productivité et développement économique en Amérique Latine, R.I.T., novembre 1955, p. 411.
C.E.P.A.L., Economic survey of Latin America 1956.
39 G.P. Loeb, Industrialisation and…, op. cit., p. 120, tableau 34.
40 C.E.P.A.L., La produccion de trigo en Brasil, Boletin economico de America Latino, February 1957, p. 44.
La zone coloniale du Rio Grande do Sal est la zone de petite propriété allemande et italienne, aussi les rendements à l’hectare y sont-ils très supérieurs à ceux des petites propriétés brésiliennes.
41 Cf. ci-dessus nos développements à propos de l’intégration de la notion d’économie dualiste dans les schémas inflationnistes.
42 M. Bye, Le rôle du capital dans le développement économique, op. cit.
43 E. Hoyt, The impact of a money economy on consumption patterns, The Annals, may 1956, op cit., p. 16.
44 R. Campos, Inflation and balanced Growth, Rapport au Congrès de l’A.I.S.E., Rio, août 1957, op. cit.
C.E.P.A.L., Economic survey of Latin America 1950, mimeo, op. cit., p. 38.
« La politique des prix a été un instrument, utilisé pour protéger à la fois le producteur et le consommateur… pendant la guerre, ces contrôles furent utilisés, surtout, pour protéger les consommateurs. Après la cessation des hostilités, de nombreux pays ont cherché à limiter ces restrictions aux produits qui affectaient le plus directement le coût de la vie et les plus facilement contrôlables, au stade de la distribution, c’est-à-dire qu’ils ont été maintenus surtout sur les produits alimentaires de base. Un conflit intense s’est alors élevé entre deux intérêts opposés : l’abaissement du coût de la vie et le développement de l’agriculture. »
45 Loeb, Industrialisation…, op. cit., p. 53-55.
46 H. Leibenstein, Economic Backwardness and economic Growth, New-York, 1957.
47 C.E.P.A.L., Economic projections II Brazil, p. 73.
48 Loeb, Industrialisation…, op. cit., p. 124.
« Il existe au Brésil une très grande différence entre les prix payés par le consommateur et ceux qui sont perçus par le fermier. Bien que le cas d’une différence de plus de vingt fois, pour une catégorie spéciale de poisson puisse, être une exception, les prix à la consommation pour les pommes de terre sont parfois, quatre fois plus élevés que le prix payé au producteur ; le riz, pour lequel le fermier du Goias obtient 1 cruzeiro par kilogramme (non décortiqué), se vend 22 cruzeiros dans le District fédéral (décor(décortiqué) ; le prix des haricots a suivi l’évolution typique suivante : les prix à la production ont augmenté de 1954 à 1956 de 3 cruzeiros à 6 cruzeiros, tandis que les prix à la consommation ont augmenté beaucoup plus rapidement, lorsque le contrôle des prix fut abandonné, de 6 à 23 cruzeiros le kilogramme. Une différence de 100 % peut être regardée comme normale. »
49 J.M. Chacel, O Estado de Paraná no periodo 1947-1953, R.B.E., Março, 1955, p. 73, et le tableau ci-dessous.
50 J.M. Chacel, O Estado de Paraná…, op. cit., p. 73.
En 1947 1 tonne de blé valait au Brésil 3.000 cruzeiros et, en 1953, 3.242 cruzeiros ; la même quantité de café passait de 6.335 cruzeiros à 22.642 cruzeiros. Le rapport, prix du café/prix du blé, est donc passé de 2 à 7.
51 J.R. Boudeville, Contribution à l’étude des pôles de croissance, op. cit.
52 Cf. nos développements sur les dangers de l’inflation de sous-développement en Bolivie.
53 C.E.P.A.L., Economic Survey of Latin America 1948, « The construction industry », p. 57.
Problems of housing of social interest, Pan American Union, Washington, 1954.
Jay Hovenstine, La place du logement, dans une politique de développement, R.I.T., janvier 1957.
Housing and economic development, Massachusset’s Institute of Technology, 1955.
Les chances et les risques de l’essor de la construction en Amérique du Sud sont fort contreversés. Dans ce dernier ouvrage, E. Weismann affirme que la politique du logement doit primer et que les coûts économiques sont faibles, au regard des avantages sociaux du développement de ce secteur. Leo Grebler, au contraire, souligne les risques de blocage de la croissance que comporte l’hypertrophie des activités de construction ; le souci de la productivité doit primer. M. Millikan et Paul Samuelson insistent sur la nécessité de transiger entre le souci de la productivité et celui du bien-être immédiat, car un développement, qui négligerait les besoins de logement serait trop déséquilibré et condurait également à des graves déséquilibres économiques. Une solution devrait être recherchée, dans une orientation vers des constructions moins onéreuses.
54 C.E.P.A.L., Economie Survey…, 1948, op. cit., p. 58.
55 Guitton, Économie politique, t. II, p. 719, Dalloz, 1951.
Nous rappelons les études spéciales de Hansen aux États-Unis et de Lord Beveridge en Grande-Bretagne, à propos du cycle du bâtiment, également l’ouvrage de Akerman, Cycles et structures, t. I, soulignant l’importance des fluctuations de l’activité de la construction, dans le déroulement des cycles économiques.
56 C.E.P.A.L., Economic Survey… 1948, op. cit., p. 59.
57 Conjunctura Economica, février 1955, p. 20.
58 L.F. Duban, Le Venezuela, Encyclopédie de l’Amérique latine, p. 615.
Une enquête effectuée au Venezuela, en 1950, montrait que le pourcentage moyen du revenu, dans l’ensemble des classes sociales, consacré au logement était de 23,6 % des dépenses. Rappelons qu’en Europe ce pourcentage dépasse rarement 10 %.
Un appartement de bon standing, à Rio ou Caracas, se loue souvent 100.000 à 150.000 francs par mois ; les annonces des grands journaux sud-américains offrent même souvent des locations supérieures.
59 Hausse du coût de la construction, cf. Economie Survey… 1948, p. 60.
Hausse des loyers, cf. Economic Survey… 1950, p. 134.
60 Anuario estatistico do Brasil 1957, I.B.G.E., Rio, 1958, p. 298.
Par rapport à l’année de base 1951 (100), l’indice général du coût de la vie à São Paulo a triplé en 1957 (300), mais alors que les dépenses de loyer ont seulement atteint l’indice 243, les dépenses alimentaires atteignent 341 et les meubles 431.
61 Anuario Estatistico do Brasil, 1957 op. cit., p. 294-295.
62 Conjunctura Economica, février 1957, Indice de la production industrielle.
63 J.M. Chacel, O Estado de Paraná…, R.B.E., Março, 1955, op. cit., p. 77.
64 T. Mende, l’Amérique Latine entre en scène, 1952, op. cit., p. 35.
65 Loeb, Industrialisation…, op. cit., p. 74.
Sistema de contas nacionais 1948-1954, R.B.E., décembre 1956.
Les données de la comptabilité nationale sous-estiment l’importance des « intermédiaires financiers » car les profits de ce secteur ne sont pas inclus dans ces totaux, il ne s’agit que des salaires et traitements.
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