Blocage de croissance, déséquilibres sectoriels et instabilité sociale
p. 231-263
Texte intégral
1L’inflation de sous-développement, loin de favoriser la formation d’épargnes nouvelles et de relever le niveau de productivité, conduit à de profonds déséquilibres et engendre une véritable stagnation économique. En Amérique du Sud, les expériences de l’Argentine, de la Bolivie et du Chili11 illustrent le danger de cette forme d’inflation. En effet, ces trois pays ont subi une inflation accélérée, souvent galopante, or, leur croissance économique a été particulièrement lente. On remarque que, depuis la guerre, ces pays n’ont pas progressé : le niveau d’équipement, les ressources disponibles sont restés aussi faibles qu’auparavant. Le retard économique des régions attardées s’est accusé, tandis que l’essor des régions industrialisées est moins rapide que dans les pays voisins. Le volume des échanges extérieurs n’a pas progressé et le financement du déficit de la balance des payements est devenu de plus en plus lourd. Enfin, l’inégalité des revenus a été accusée par le climat inflationniste et le climat social de ces pays est particulièrement instable.
2Les dangers de l’inflation de sous-développement se manifestent à trois niveaux :
- tout d’abord, elle entraîne la disparition des incitations à la croissance, en particulier elle décourage l’épargne et les investissements productifs ;
- en second heu, elle accentue la rigidité de la production et conduit à la stagnation et même à la régression de l’économie ;
- en troisième heu, elle provoque de graves déséquilibres sectoriels et suscite des inégalités sociales.
Section I. LE DÉCLIN DE L’ACCUMULATION DE CAPITAL
3Le prolongement d’un mouvement inflationniste rapide exerce toujours un effet défavorable à l’accumulation de capital, lorsqu’il s’agit d’une inflation à facteurs externes dominants ou à facteurs institutionnels et psychologiques. Ce danger est particulièrement accusé dans des économies sous-développées, où la production est peu diversifiée et où le commerce extérieur est prépondérant.
4La situation du Chili et de la Bolivie12, au cours des quinze dernières années, révèle que l’expansion monétaire n’a pas facilité le financement des investissements et que la répartition des capitaux a favorisé l’expansion de secteurs improductifs.
§ 1. Inflation et déclin de la formation de capital
5Le rythme de la formation de capital a été considérablement plus faible au Chili et en Bolivie depuis la seconde guerre mondiale, par rapport aux années qui ont précédé la grande dépression. Ce ralentissement est lié, à l’origine, à la détérioration des termes de l’échange ; mais l’insuffisance des investissements s’est révélée, lorsque l’inflation est devenue plus rapide. On constate que la diminution des taux d’investissement est aussi accusée au Chili qu’en Bolivie.
A. Le cas du Chili
6L’inflation a découragé la formation de capital au Chili à un double niveau. Tout d’abord les apports nets de capitaux de l’extérieur ont été ralentis, dans la mesure où les termes de l’échange ont été défavorables et où l’instalibité financière a découragé les capitaux étrangers de s’investir. Mais également, la formation de capital, d’origine nationale, a diminué en raison du déclin de la propension à épargner et à investir, par suite de l’accélération du processus inflationniste.
7Aussi le ralentissement de l’incitation à investir s’est-il effectué selon deux mécanismes distincts, dans la période d’inflation transmise (1940-1952) et au cours du processus d’inflation institutionnelle.
1° Inflation transmise et formation de capital (1940-1952)
8Le déclin de la formation de capital au Chili entre 1940 et 1952 est lié essentiellement à la détérioration des termes de l’échange et à la contraction de la capacité d’importation. La transmission des tensions inflationnistes extérieures s’est accompagnée d’une chute massive des taux d’investissement. Une étroite liaison apparaît entre, d’une part la chute du coefficient d’investissement et la stagnation de l’indice de la production industrielle et, d’autre part, la détérioration des termes de l’échange et la chute de la capacité d’importation. Cette évolution est retracée par le tableau suivant.
9Les termes de l’échange au Chili se trouvent en 1952 au même niveau qu’en 194013, mais entre temps, ils sont restés très défavorables. Entre 1942 et 1949, l’indice des termes de l’échange était de 20 à 25 % inférieur au niveau d’avant guerre ; l’amélioration procurée par la guerre de Corée ne se traduit qu’à la fin de cette période, aussi est-elle surtout une phase de détérioration. Cependant, les prix d’exportation ont presque constamment augmenté, mais beaucoup moins rapidement que les prix d’importation. Cette évolution est confirmée par le déclin de la capacité d’importation. En 1950, l’économie chilienne se procure, par la vente de ses exportations, un flux de biens importés sensiblement comparable à celui qu’il se procurait en 1940 ; entre 1950 et 1952, la capacité d’importation a augmenté de 42 %, mais cette amélioration est trop brève pour modifier l’évolution globale des échanges extérieurs au cours de cette période, d’autant plus que l’année 1952 a été exceptionnelle14.
10On constate que le coefficient brut de formation de capital a diminué parallèlement au déclin des termes de l’échange, bien que les recettes d’exportation en dollars aient presque triplé et que le gouvernement chilien prélevât un pourcentage plus élevé des recettes en devises sur les compagnies minières : 56 % en 1948, au lieu de 40 % en 1940. De plus, la composition des importations est modifiée au profit des biens capitaux, dont l’importance dans le total des importations a doublé entre 1940 (15 %) et 1950 (30 %).
11Le taux brut d’investissement est extrêmement faible au cours de cette période, il a rarement dépassé 11 % des biens et services disponibles15, alors qu’il atteignait 20 % dans les années de prospérité 1925-1929. La chute du taux d’investissement brut a été accusée par les difficultés du secteur extérieur, parce que les stocks de cuivre des compagnies minières ont été réduits massivement et sont comptabilisés dans le calcul de l’investissement brut16. Les données disponibles sur la formation de capital au Chili sont rares, il apparaît cependant que les investissements neufs ont été faibles pendant la guerre, faute d’importations, et après la guerre on estime que la valeur de l’investissement brut a augmenté du tiers, atteignant 220 millions de dollars en 1952, aux prix de 1950, c’est-à-dire moins du dixième du montant de l’investissement brut au Brésil (2 180 millions de dollars)17.
12Cette période est marquée au Chili par une très forte contraction des investissements publics qui ont augmenté moins rapidement que les autres dépenses budgétaires18.
13Les données relatives aux taux nets d’investissements calculés par la C.E.P.A.L. confirment ces tendances, l’investissement net a représenté, en moyenne, 10 % des biens et services disponibles au cours de cette période, et ce déclin est également étroitement lié à la détérioration des termes de l’échange19.
14En effet, alors que la capacité d’importation avait représenté 60 % des biens et services disponibles pendant la période 1925-1929, ce pourcentage n’est plus que de 21 % dans la période 1950-1953 ; par suite l’effet des termes de l’échange, évalué en prix constants, est tombé de 27 millions de dollars à 3,6 millions de dollars20.
15Par rapport à 1950, année où les cours du cuivre se rétablissent, le Chili, depuis 1942 perdait, en raison de l’effet défavorable des termes de l’échange, des sommes équivalant selon les années à 5 ou 6 % des biens disponibles.
16L’examen de la situation chilienne montre avec évidence que le climat inflationniste, dominé par des facteurs externes au cours de la période envisagée, loin de stimuler les investissements, a été une cause de déclin accéléré de la formation du capital.
2° Inflation institutionnelle et formation de capital (1952-1956)
17La diminution du rythme de la formation de capital s’est accentuée à partir de 1952, en raison de la vitesse plus grande acquise par le processus inflationniste. Les termes de l’échange se sont améliorés d’environ 25 % au cours de la période, ainsi que la capacité d’importation. Cependant les importations de biens de consommation ont augmenté plus rapidement que les importations de biens d’équipement20. De même les apports de capitaux de l’extérieur ont été faibles, en raison du ralentissement des investissements des compagnies étrangères dans les mines et de la méfiance des capitaux privés à l’égard de l’instabilité monétaire.
18La chute accentuée des taux d’investissement provient alors, essentiellement, de facteurs internes. Jusqu’à 1956, le gouvernement chilien n’avait adopté aucun plan d’ensemble pour arrêter l’inflation aussi bien que pour s’opposer aux menaces de récession. Aussi les dépenses de fonctionnement de l’État ont-elles continué de s’accroître aux dépens des dépenses d’investissement. Mais surtout l’épargne sociétaire et individuelle a rapidement diminué et l’effort d’investissement des entreprises s’est révélé très faible. L’expansion du crédit, dont les entreprises ont pu bénéficier, a surtout été utilisée pour faciliter la trésorerie, financer les stocks ou les augmentations de salaires.
19Le taux brut d’investissement est resté inférieur à 10 %, au cours de ces années : en 1957 il n’est que de 7,5 %21. En 1956, la valeur de l’investissement brut est plus faible qu’en 195222. Le Chili a connu depuis la guerre une véritable décapitalisation, car il est évident que, lorsqu’un pays ne consacre que 10 % de son revenu brut à la formation de capital, tandis que les prix augmentent de 50 à 70 % par an, ces sommes permettent à peine de renouveler l’équipement existant, sans pouvoir améliorer l’appareil productif.
B. — Le cas de la Bolivie
20La Bolivie a connu depuis la guerre le taux d’inflation le plus rapide de l’Amérique du Sud, cependant, la déficience des données statistiques ne permet pas de mesurer les répercussions du climat inflationniste sur le taux de formation du capital avec la même précision qu’au Chili. Il est cependant possible de relever la concordance de certains faits, retraçant une évolution similaire.
21Le rythme séculaire de l’inflation est particulièrement rapide puisque, entre 1931 et 1955, le coût de la vie a augmenté de 2.000 fois. L’accélération du rythme de l’inflation est particulièrement nette à partir de 1952 ; dans une représentation graphique, on constate que la pente de la courbe du coût de la vie devient presque verticale.
22La diminution du rythme de la formation de capital apparaît comme la résultante d’un processus d’inflation transmise, de même qu’au Chili. Les apports directs ou indirects de capitaux étrangers constituent en effet la source principale de capital, pour l’économie bolivienne.
23L’économie bolivienne a été affectée par un processus d’inflation continue, à partir de la guerre du Chaco (1932-1935) et de la crise économique. Aussi la Bolivie, devant ces deux sources d’instabilité, n’était pas parvenue à retrouver son équilibre économique avant la seconde guerre mondiale. Dès lors, un mouvement d’inflation transmise va se développer jusqu’à 1952, en raison de l’instabilité du marché de l’étain. C’est, au cours de cette période, que le déclin de la formation de capital est le plus significatif, car, après la révolution de 1952, la Bolivie subit, dans un climat d’hyperinflation, un véritable effondrement économique et il devient très difficile de sélectionner des données statistiques significatives.
241. Dès le début de la seconde guerre mondiale le commerce extérieur a été un élément de déséquilibre dans l’économie bolivienne et une instabilité persistante a marqué les années d’après guerre, jusqu’au conflit coréen.
25a. Le marché de l’étain a traversé, au cours de cette période, une phase de profond déséquilibre, dans une conjoncture de surproduction. La consommation mondiale a diminué sensiblement et la demande d’étain des pays industrialisés est restée très inférieure au niveau d’avant guerre23.
26Aussi les cours de l’étain ont subi des fluctuations importantes, marquées par une phase de hausse pendant la guerre, de 1940 à 1945, puis quelques années de chute des cours et une très forte hausse après la guerre de Corée, atteignant son maximum en 1952. Les mécanismes de propagation de l’inflation ont été surtout des phénomènes d’amplification de la hausse des cours internationaux, mais les fluctuations annuelles de cours ont été telles que, malgré l’accroissement des réserves, la situation globale des payements a été souvent déficitaire et que la hausse des prix d’importation a été rapidement plus forte que celle des cours d’exportation. On remarque, par exemple, que les réserves de devises ont doublé pendant la guerre, puis doublé à nouveau au moment du boom coréen en un an.
27b. Les termes de l’échange ne se sont pas améliorés au cours de cette période, malgré le redressement qui marque la fin de la période en 1952. L’augmentation des cours de l’étain a été compensée par une chute du volume des exportations. Aussi la valeur des exportations d’étain est moindre en 1952 qu’en 194024.
28Mais surtout les exportations d’étain ont en 1952 un pouvoir d’achat extérieur plus faible qu’en 1940, parce que les prix d’importation ont monté rapidement. La capacité d’importation ne dépasse pas 50 millions de dollars25 ; cependant, le volume total des importations comporte un surcroît de 20 à 30 millions de dollars, grâce aux prêts extérieurs, mais ce volume est sensiblement le même au début et à la fin de la période. Or, la composition des importations boliviennes reflète le faible niveau de développement et la dépendance de ce pays, puisque 38 % des importations sont consacrées à l’acquisition de biens de consommation et le reste est affecté aux besoins en matières premières (28 %), de combustibles (6 %) et de biens capitaux (28 %). La dépendance à l’égard des importations d’équipements de l’industrie naissante est également caractéristique du faible niveau de développement car ces importations représentent 50 à 60 % de l’investissement brut total.
292. La détérioration du commerce extérieur, en Bolivie comme au Chili, a été la cause initiale et principale de l’inflation, au cours de cette période. On remarque également qu’il existe une corrélation entre la chute de la valeur des exportations et le déclin de la formation de capital ainsi que la stagnation de la production industrielle. Cette évolution peut être retracée en comparant les données partielles disponibles.
30Tandis que la valeur des exportations a diminué de 20 % et que le coût de la vie a décuplé, on constate que la valeur de l’investissement brut dans l’industrie a augmenté d’environ 30 %. Mais surtout on remarque que l’effort d’investissement a été très irrégulier et que les fluctuations du stock d’investissement ont été extrêmes. Cette instabilité apparaît avec plus de netteté dans une représentation graphique.
31La contraction de la capacité d’importation explique le faible rythme de croissance de la Bolivie, car ce pays peut difficilement, livré à ses propres ressources, diversifier sa production et accélérer son industrialisation. L’industrie ne fournit d’ailleurs que 9 à 10 % de la valeur de la production nationale. Celle-ci est entièrement dépendante de l’approvisionnement en biens et services extérieurs : 10 % de matières premières sont importées, et dans de nombreux secteurs 80 %, mais, surtout, plus de 90 % des biens d’équipement, du matériel de construction et des machines le sont également. Pour l’ensemble de l’économie, on estime que les biens capitaux d’origine nationale ne représentent que le quart du total de l’investissement brut26.
32Dans la période récente, on estime pour la moyenne des années 1950-1955, que le taux brut d’investissement atteint 15 % du produit national brut et le taux net n’en représente que 3,8 %. Cette divergence entre le taux net et le taux brut d’investissement révèle que l’économie bolivienne peut difficilement accroître son potentiel productif, puisque les trois quarts des sommes consacrées à l’investissement sont utilisées à remplacer le matériel ancien et à prévoir la possibilité de maintenir ce matériel, en l’important à un coût en devises de plus en plus onéreux, en raison de la dépréciation de la monnaie. Une partie importante des sommes disponibles pour l’investissement interne provient d’ailleurs du désinvestissement de certains secteurs (élevage).
33En l’absence d’estimations globales de la formation de capital pour la période envisagée, on peut noter cependant que l’évolution de la formation de capital dans l’industrie reflète la stagnation de l’économie bolivienne et les difficultés croissantes d’approvisionnement en équipements importés. Le montant des investissements bruts dans l’industrie est sensiblement le même en 1951 et en 1940, mais, pendant toute la durée de la seconde guerre mondiale, la formation de capital a été amputée de moitié. En réalité, les investissements nets dans l’industrie ont été beaucoup plus faibles qu’avant la guerre ; entre 1941 et 1947, ils ont été inférieurs à 1 million de dollars et ont retrouvé en 1951 le niveau de 1940 (3 millions de dollars)27.
§ 2. Inflation et improductivité du capital
34La productivité des capitaux, autant au Chili qu’en Bolivie, a fortement diminué dans les années d’après guerre, sous l’action conjointe des difficultés commerciales et de l’instabilité monétaire. L’allocation improductive des investissements, se conjuguant à la réduction du montant absolu des capitaux, a été une cause essentielle de la stagnation de ces économies.
35Nous avons également retenu la période 1940-1952 pour illustrer ce phénomène, parce que l’on dispose de statistiques comparables pour les deux pays. Mais il est évident que l’accélération de l’inflation, sous l’action prépondérante de facteurs institutionnels, entre 1952 et 1956, a fortement accentué l’improductivité de la répartition du capital.
A. — Le cas du Chili28
36La faiblesse de l’investissement ne suffit pas à expliquer la stagnation du produit brut dans l’économie chilienne entre 1940 et 1952, car le stock de capital après un déclin prononcé pendant la guerre a augmenté rapidement entre 1945 et 1952. Au total le stock de capital est en 1952 de 35 % supérieur au niveau de 194029.
37Cependant la répartition de ce capital a été de plus en plus improductive, au fur et à mesure que le climat inflationniste s’est accusé et que les difficultés d’approvisionnement en équipement extérieur se sont aggravées. Cette évolution est reflétée par le déclin du coefficient de productivité du capital : celui-ci a fortement augmenté pendant la guerre parce que les équipements disponibles ont été utilisés au-delà de leur durée et de leurs possibilités d’utilisation normales, étant données les circonstances de pénurie. Ce coefficient a augmenté sensiblement de 0,53 en 1940 à 0,59 en 194530.
38L’évolution du coefficient de capital au Chili est irrégulière, car elle comprend une phase de progrès, pendant la guerre, et une phase plus durable de détérioration depuis lors.
39Pendant la guerre, la productivité du capital a sensiblement augmenté, car le coefficient de productivité du capital est passé de 0,53 en 1940 à 0,59 en 1945. Cependant cette amélioration est passagère et fictive, car on se trouvait, au lendemain de la guerre, face à des besoins accrus de renouvellement de l’équipement utilisé pendant les années de guerre, et l’accroissement du stock de capital fut destiné à des provisions d’amortissement plus qu’à la réalisation d’investissements neufs. Aussi le coefficient de productivité du capital a régulièrement diminué après 1945 et retombe en 1952 à 0,54. Bien que le stock de capital ait augmenté, la production par unité de capital a fortement diminué. L’explication de ce phénomène doit être recherchée à deux stades.
40a. Au niveau de l’épargne, l’inflation transmise, plus que toute autre forme d’inflation, encourage la spéculation dans tous les secteurs de l’économie et parmi les catégories sociales les plus diverses.
41En Amérique du Sud, on constate, par exemple, que la Colombie a bénéficié d’un afflux constant de devises, sans subir pour autant une inflation rapide, alors qu’un afflux de devises plus faible et irrégulier a suscité une inflation accélérée au Chili et en Bolivie. Ces exemples confirment les recherches de D. Félix sur les formes d’inflation accompagnant l’accélération du développement31.
42L’État, tout d’abord, comptant sur des recettes extérieures irrégulières, dépense plus qu’il ne reçoit et ne peut pas réaliser d’épargne budgétaire ; bien au contraire, les gouvernements renoncent à entretenir le capital national et souvent l’entament. Au stade des entreprises, l’instabilité monétaire accélérée encourage une sélection concurrentielle à rebours. Les entreprises inefficientes, qui spéculent sur la valorisation des stocks, réalisent des marges de profit moins aléatoires que celles des firmes qui persévèrent dans la recherche de méthodes plus productives et risquent de faillir dans cette réalisation. Enfin et surtout, les particuliers sont incités à dépenser beaucoup plus rapidement leurs revenus et renoncent à placer leur épargne dans les activités industrielles ou agricoles, en préférant les placements en biens immobiliers ou la thésaurisation en valeurs réelles.
43b. Au niveau de la répartition des investissements, l’inflation transmise est un facteur essentiel du déclin de la productivité de capital.
441. En premier lieu, le déclin des activités d’exportation a été une cause générale de déclin de la productivité de tous les facteurs de production. Les activités minières, avant guerre, constituaient un secteur prépondérant à très haute productivité, qui fournissait 29 % des ressources disponibles ; aujourd’hui ces produits n’en représentent plus que 18 %32.
45Or, la main-d’œuvre minière a du être reconvertie dans des activités moins productives, en particulier dans le secteur tertiaire. Les nouvelles opportunités d’investissement fournies par ces activités de remplacement, sont une cause prépondérante du déclin de la productivité du capital, bien que l’industrie interne ait pu profiter de ce déplacement. L’écart de productivité entre les mines de cuivre et le reste de l’économie reste cependant très important, même par rapport à l’industrie. En 1952, le produit brut par tête est de 853.200 pesos dans les mines de cuivre et seulement de 63.300 pesos dans l’industrie33.
46En outre, l’écart de productivité entre l’industrie et les autres secteurs s’est accru au cours de cette période, si bien que les capitaux disponibles ont été détournés des emplois dans l’agriculture ou les activités d’infrastructure. C’est ainsi que le capital employé dans les activités agricoles a diminué de 10 % entre 1945 et 195234, tandis que la population active employée dans ce secteur augmentait de plus de 15 %, si bien que la production par personne active est devenue deux fois et demie plus faible que dans l’industrie et la construction.
472. Mais surtout la chute globale de la productivité du capital provient de l’utilisation d’un pourcentage croissant du capital disponible dans des secteurs spéculatifs à faible rentabilité. L’essor de la construction et du capital immobilisé dans ce secteur est significatif. Les investissements dans la construction ont représenté, pendant la seconde guerre mondiale, plus de 50 % de l’investissement brut total et un pourcentage beaucoup plus élevé de l’investissement national35.
48Cette forme d’investissement a continué à représenter 30 à 40 % de l’investissement brut après la guerre.
B. — Le cas de la Bolivie36
49Les données boliviennes relatives à la répartition du capital et à sa productivité sont encore plus parcellaires que les données relatives aux taux annuels d’investissement. Cependant, on observe, à partir de données partielles, une évolution très proche de celle du Chili. Le stock de capital de l’industrie a augmenté sensiblement au cours de la période, passant de 38,5 millions de dollars à 52,5 millions de dollars (1940-1952), mais cet accroissement s’est presque totalement réalisé, entre 1947 et 1952 (30 % d’accroissement), alors que les importations d’équipement ont augmenté de plus de 40 %. En 1940 et en 1947 l’industrie bolivienne disposait d’un stock de capital comparable (38 et 40 millions de dollars) et ne recevait que 13 à 14 millions de dollars de biens capitaux d’importation, alors qu’en 1952, le stock de capital est de 52 millions de dollars et le volume d’importation de biens capitaux de 20 millions de dollars37.
50La dépendance de l’économie bolivienne à l’égard des capitaux étrangers s’affirme autant par rapport aux flux annuels d’investissement que par rapport au stock de capital existant. On ne dispose pas de données antérieures à la guerre pour mesurer la productivité du capital, mais il convient de signaler que celle-ci est extrêmement faible par rapport à d’autres économies sud-américaines.
51En 1950 le coefficient produit–capital était en moyenne de 0,29 % pour l’ensemble des activités économiques, mais des disparités considérables apparaissaient entre les secteurs. La productivité la plus élevée est celle des capitaux placés dans les services (0,70), les activités agricoles (0,45) et les industries extractives (0,33) ; la productivité la plus faible est celle des capitaux placés dans l’industrie (0,19), la construction (0,10) et les transports (0,07)38.
52Ces données conduisent à surestimer la rentabilité du capital car la répartition des capitaux entre ces activités et les possibilités de croissance de ces secteurs modifient la signification des chiffres que nous venons de rappeler. Le secteur agricole prépondérant ne fournit qu’une production par personne active minime de l’ordre d’une centaine de dollars, dix fois inférieure à celle des activités minières et ne reçoit que 20 % du capital existant. La productivité du capital investi dans les services n’est pas non plus un signe de progrès, car il s’agit surtout de capitaux placés dans les activités administratives, alourdies par un important chômage déguisé ; de plus, les services immobilisent plus de 30 % de la production nationale et reçoivent 40 % des capitaux disponibles. Aussi le capital disponible par personne active révèle, plus encore que les statistiques relatives aux produits par tête, la disparité de productivité par secteurs. L’écart entre le secteur agricole et les activités minières est alors de un à vingt-cinq et de un à treize par rapport à l’industrie39.
53Les effets adverses de l’inflation sur la formation de capital et sur la productivité des investissements réalisés ont été beaucoup plus accentués en Bolivie qu’au Chili, parce que l’épargne et les investissements d’origine domestique sont presque négligeables et leur répartition est très improductive. La production interne de biens capitaux ne représente en 1950 que 5 % de l’investissement brut ; la presque totalité de ceux-ci provient des importations et des investissements et coûts accessoires (frets, installations) nécessaires à l’exploitation de l’équipement importé40.
54Les phénomènes inflationnistes récents du Chili et de la Bolivie ont, sans conteste, provoqué un ralentissement des investissements et ont accusé l’orientation improductive de ceux-ci. Le principal avantage de l’inflation : financer l’augmentation de la capacité productive, s’est révélé inexistant ; à l’inverse, on a assisté à un processus de « décapitalisation ». Dès lors que l’inflation n’a pas permis de constituer une épargne forcée et moins encore d’améliorer le niveau d’équipement, on conçoit que cette forme d’inflation ait provoqué de nombreux déséquilibres globaux et sectoriels, conduisant à la stagnation et à la régression de l’économie.
Section II. LA STAGNATION DE LA PRODUCTION ET LE BLOCAGE DE LA CROISSANCE
55L’inflation accélérée de la Bolivie, du Chili et, dans une moindre mesure, de l’Argentine, a conduit à une stagnation économique prolongée. La croissance du produit et du revenu a été très faible dans ces pays et lorsque l’inflation est devenue très rapide, on a souvent constaté une véritable régression. Si, parfois, le revenu national a augmenté sensiblement, cet accroissement a été moins rapide que celui de la population, aussi le niveau de vie a généralement décliné.
56L’inflation de sous-développement a été un facteur de blocage de la croissance à un double niveau.
57Tout d’abord l’inflation assure la persistance de méthodes de production archaïques et de goulots d’étranglement dans les secteurs de base ; elle explique la diminution du rythme de croissance.
58En second lieu, l’inflation aggrave le déséquilibre extérieur et perpétue la dépendance économique ; elle suscite un blocage de croissance par le déséquilibre de la balance externe.
§ 1. La diminution du rythme de croissance
Argentine
59L’économie argentine connaît, depuis la guerre, une stagnation économique prolongée, qui s’est aggravée au fur et à mesure de l’augmentation des pressions inflationnistes.
60Le revenu national réel a augmenté très lentement ; en 1955, il dépasse à peine de 25 % le niveau de 1946 et n’a pas encore doublé par rapport à 193541. La stagnation du revenu réel par tête est encore plus accusée, puisqu’en 1954 celui-ci atteint le même niveau qu’en 1946. Au cours de cette période, la stagnation a été beaucoup plus accusée, à partir de 1950, lorsque le rythme de l’inflation s’est précipité.
61On remarque, en effet, qu’entre 1950 et 1954, le revenu national global a augmenté de 6 %, tandis que le revenu par tête à diminué de 3 %. Le taux d’investissement était très élevé jusqu’alors et dépassait 27 % en 1948, il n’est plus que de 19 % en 1954, aussi les investissements bruts ont-il diminué, en valeur réelle, de 16 milliards de pesos en 1951 à 14 milliards de pesos en 1954. L’indice de la production industrielle n’a pas augmenté. Enfin, le volume d’importations a diminué de 12 % et le volume d’exportations de 5 %.
62Cette situation peut être retracée dans le tableau suivant :
63Pendant ces quatre années, le coût de la vie a augmenté de 20 à 25 % par an, alors que, dans les années antérieures, cette hausse était de 15 à 20 %42. L’augmentation du rythme de l’inflation provient essentiellement de l’inefficacité du crédit et de l’accroissement des dépenses budgétaires, en particulier de l’intervention de l’État dans le domaine des salaires43.
Bolivie
64En l’absence d’estimations valables de l’évolution du revenu national de la Bolivie, on ne peut pas établir une mesure précise du déclin de la production. Cependant, de nombreux indices attestent la faible croissance de la production et du revenu.
65Dans la période 1940-1952, l’indice de la production industrielle44 n’a augmenté que de 50 %, la production de biens d’équipement nationaux est restée insignifiante et de nombreuses industries de biens de consommation ont périclité. La faiblesse du niveau d’équipement est révélée par la stagnation des moyens de transport et la pénurie d’énergie45.
66La Bolivie a connu, entre 1952 et 1956, le rythme d’inflation le plus rapide de l’Amérique latine. Le coût de la vie est 23 fois plus élevé en 1956 qu’en 1952. La dépréciation interne de la monnaie a été moins rapide que la hausse des prix, mais la dépréciation externe a été beaucoup plus importante.
67Cette situation a provoqué un rapide déclin de la production et du revenu, ainsi qu’un vaste mouvement de désinvestissement, particulièrement en 1953 et 1954. Le niveau de consommation par habitant a diminué de 10 % et on a constaté une pénurie accusée dans la plupart des domaines. Une aide très importante, fournie par les États-Unis, permit au gouvernement bolivien d’importer les produits alimentaires que l’agriculture domestique n’était plus en mesure de fournir.
68Cependant, malgré l’aide extérieure et l’utilisation du stock de capital, la chute du revenu national et du niveau de vie a été très rapide et les avantages de la croissance modérée de la production, réalisée depuis la guerre, ont été reperdus en quelques années. En 1956, on ne découvre, dans les statistiques boliviennes, que peu d’indices révélant un accroissement du niveau de revenu, de production ou de bien-être, par rapport à la situation de l’avant-guerre. L’hyperinflation a incontestablement été la cause d’un « blocage de croissance », L’ampleur du déclin économique de la Bolivie apparaît dans la confrontation des indices d’inflation et des indices de production.
Chili
69Le développement économique du Chili a été l’un des plus lents de l’Amérique du Sud, depuis la crise économique. La stagnation puis la régression économique de ce pays s’expliquent par la continuité et l’accélération des phénomènes inflationnistes.
701. Tout d’abord, l’augmentation de la production et du revenu ont été très faibles par rapport aux autres économies sud-américaines, pendant l’entre-deux guerres, et surtout après 1945. L’inflation a augmenté d’intensité dès les années 193046, et, si au début l’inflation a semblé propice à une reprise, en permettant d’absorber des facteurs de production non employés, rapidement le rythme de l’inflation et son caractère extérieur ont annulé cet effet. Le déclin de la formation de capital, depuis la guerre, a été accompagné par une détérioration sensible du rythme de croissance. On peut considérer que cette stagnation prolongée pendant plus de vingt-cinq ans constitue une véritable « interruption de croissance »47.
71Dans la période 1940-1952, où l’inflation est transmise par les fluctuations du commerce extérieur, le taux de croissance du revenu national a été faible et irrégulier. Le produit national brut a augmenté, à prix constants 1950, de 35 % entre 1940 (117 milliards de pesos) et 1952 (158 milliards de pesos) et cette augmentation se place surtout pendant la guerre48.
72Mais l’accroissement de la production n’a pas été plus rapide que celui de la population, aussi la production par tête est restée constante, dans la période 1945-1954, alors qu’elle avait augmenté de 20 % dans les années de crise et de guerre (1935-1945) par rapport aux années de prospérité (1925-1929)49.
73C’est ainsi qu’entre 1945 et 1954, la production totale a augmenté de 1,6 % par an et la production par tête est restée constante, cependant les biens et services disponibles par tête ont augmenté de 1,4 % par an, en raison de l’amélioration relative des termes de l’échange. Ce faible rythme de croissance correspond à l’insuffisance du taux d’accumulation du capital, on estime que le stock de capital par tête a augmenté dans cette période de 1,8 % par an50.
742. L’accélération du processus inflationniste au Chili, à partir de 1952, a provoqué un déclin accentué de la production et le blocage des facteurs de croissance. La dépréciation monétaire et la hausse des prix se sont effectuées à un rythme moins élevé qu’en Bolivie, mais beaucoup plus rapide qu’en Argentine. Les statistiques de la C.E.P.A.L. montrent que le produit national brut ajusté, après avoir augmenté très légèrement entre 1952 et 1954, a diminué fortement en 1955 et 1956. Aussi a-t-il diminué de 2,5 % entre 1952 (2.142 millions de dollars) et 1956 (2.088 millions de dollars) aux prix de 195051. Le taux d’investissement avait atteint en moyenne 13 % après la guerre, il n’est plus que de 8 % en 1956. Cette évolution régressive de l’économie chilienne apparaît dans toutes les branches de la production et particulièrement dans le domaine agricole. L’analyse des comptes nationaux montre que cette stagnation se produit à partir de 1953 lorsque l’accroissement du coût de la vie a dépassé 50 % par an.
§ 2. L’aggravation du déséquilibre extérieur et le blocage de la croissance
75L’inflation accélérée a été un facteur de blocage de la croissance, non seulement parce qu’elle a réduit la formation interne de capital et aggravé la rigidité de la production, mais également parce qu’elle a été une source de déficit extérieur, ce qui perpétuait la dépendance économique.
76En Argentine, on constate que, depuis 1950, le déficit de la balance des payements est devenu de plus en plus lourd et que l’instabilité de la monnaie et du change a provoqué une contraction des échanges extérieurs. Et pourtant, en dépit des restrictions de change et des mesures de confiscation des biens étrangers, la dépendance de l’Argentine à l’égard du commerce extérieur s’est accentuée. L’inflation de coût a rendu les rapports d’échange onéreux, car le prix de revient des exportations a augmenté trop rapidement pour pouvoir bénéficier des avantages de la dévaluation. L’exploitation des ressources pétrolières a été très lente, en raison de l’exclusion des capitaux étrangers. Aussi le goulot d’étranglement énergétique s’est-il accusé, tandis que les importations de pétrole absorbaient une part croissante des ressources en devises. Enfin, le déséquilibre extérieur ne put être atténué que par le recours à des concours étrangers et le service de la dette a amputé largement la capacité de payements extérieurs.
77Cependant, une démonstration encore plus nette du risque de blocage, par la balance extérieure, est fournie par les économies minières, le Chili et la Bolivie.
78Le mouvement inflationniste récent du Chili et de la Bolivie a été, dans ses éléments essentiels, une conséquence de l’instabilité des recettes d’exportation, mais il faut noter que la relation causale inverse est devenue plus importante, au fur et à mesure de l’accélération de la hausse des prix. Un climat d’inflation chronique perpétue le déséquilibre des comptes extérieurs et constitue une source permanente de déséquilibre de la balance des payements, car la hausse des prix internes et les dévaluations cumulatives augmentent la disparité des prix, par rapport à l’étranger. En 1952, le dollar coûte cinq fois plus cher au Chili et en Bolivie qu’en 194052.
79En Bolivie les réserves d’or et de devises ont augmenté de 75 % pendant la guerre et de 30 % en 1951, mais ces réserves n’ont jamais dépassé 40 millions de dollars, soit dix-huit fois moins que celles du Brésil en 1952. Au Chili les réserves d’or et de devises ont également augmenté dans les périodes de hausse des cours du cuivre, mais ont été rapidement épuisées ; en 1952, ces réserves atteignaient environ 100 millions de dollars et avaient presque doublé par rapport à 194053.
80Cependant, les réserves de devises ne forment qu’un pourcentage faible des réserves totales, 2,6 % en Bolivie en 1950, et 31 % au Chili54, et ne permettent de couvrir que 45 % des importations en Bolivie et 23 % au Chili. L’endettement extérieur et intérieur a augmenté au cours de cette période et obligé les gouvernements à réduire des importations essentielles et donc à ralentir le rythme de l’expansion industrielle. Cette situation tend à confirmer les théories de R. Prebisch, selon lesquelles la vulnérabilité aux crises des économies latino-américaines, les plus dépendantes du commerce extérieur, tend à se perpétuer, lorsqu’elles sont soumises à une inflation rapide et permanente55.
Section III : L’AGGRAVATION DES DÉSÉQUILIBRES SECTORIELS ET DES INÉGALITÉS SOCIALES
81L’inflation de sous-développement a été un facteur de blocage de la croissance, dans les économies sud-américaines qui en ont subi les répercussions pendant une longue période, autant en raison de son incidence globale que par les inégalités économiques et sociales qu’elle a encouragées. En effet, de même que l’inflation provient initialement d’un déséquilibre sectoriel, de même son incidence est localisée. Lorsque le rythme de l’inflation devient plus intense, les entreprises et les groupes sociaux disposent de moyens de protection contre la hausse disproportionnés et les sacrifices consentis par certaines catégories deviennent plus injustes. L’inflation de sous-développement aboutit à une sélection à rebours, tant dans le domaine économique que social ; elle favorise les comportements spéculatifs et improductifs et décourage l’innovation et le progrès. L’inflation renforce donc l’état de cristallisation structurelle et de « désarticulation » du marché de l’économie sous-développée.
82Tout d’abord, nous montrerons comment l’inflation a conduit à un développement déséquilibré, accompagné de pénuries dans les secteurs essentiels et comment les disparités accrues de productivité ont empêché la formation de pôles de développement.
83En second lieu, nous analyserons les transformations de la répartition du revenu national, pour souligner les dangers politiques et sociaux d’une inflation accélérée dans un pays sous-développé.
§ 1. Déséquilibres sectoriels et cristallisation structurelle
84L’inflation de sous-développement maintient l’économie sous-développée dans le cercle vicieux de la pauvreté, car elle s’oppose au jeu des incitations, intérieures ou extérieures à la croissance. L’inflation fausse les critères de rentabilité et favorise l’essor des types d’organisation traditionnels. Dès lors, le cloisonnement des secteurs persiste et les disparités de productivité s’accusent, sans que la désarticulation de l’économie soit rompue.
85Ces déséquilibres sont également marqués en Argentine, en Bolivie et au Chili.
86D’une part, les disparités de croissance entre les secteurs traditionnels et les secteurs modernes ont augmenté et les goulots d’étranglement, dans les secteurs de base, ont accentué le déclin de la production nationale.
87D’autre part, l’expansion d’activités à très faible productivité et de secteurs spéculatifs a constitué une nouvelle source de déséquilibre économique et l’inflation a facilité le maintien des structures traditionnelles.
A. Disparités de croissance et goulots d’étranglement
88Les périodes d’inflation accélérée mettent en lumière le rôle essentiel des disparités sectorielles et régionales qui, jusqu’alors, constituent des manifestations occultes de l’inflation. Les gouvernements de l’Argentine et du Chili n’ont constaté les inconvénients d’une croissance industrielle accélérée et d’une gestion financière malsaine, que lorsque l’accélération du rythme de la hausse des prix a permis de préciser la situation relative des divers secteurs de l’économie. C’est ainsi que la stagnation de l’agriculture expliquait la hausse des prix et la pénurie de denrées alimentaires. Le ralentissement de la croissance des industries de biens de consommation révélait la fragilité de nombreuses entreprises marginales. L’accroissement rapide de la production d’acier ou de ciment devenait sans objet, dès lors que la création de ces industries de substitution était d’un coût immédiat très élevé ; bien plus les débouchés auprès d’industries utilisatrices étaient faibles, parce que le marché restait congénitalement étroit, d’autant plus que la diminution du revenu réel réduisait encore la demande solvable.
89L’inégal développement des secteurs de production est particulièrement accusé dans le cas des économies minières, comme le Chili et la Bolivie, en raison de la présence de firmes étrangères, utilisant des méthodes évoluées et contrastant avec l’improductivité des productions nationales. Mais cette évolution est également très nette dans le cas de l’Argentine, où les productions sont pourtant plus diversifiées.
1° Le cas du Chili et de la Bolivie
90Depuis la seconde guerre mondiale, on constate que les écarts de productivité ont augmenté au Chili et en Bolivie, non seulement lorsque l’on compare la productivité des mines à celle des productions nationales, mais également si l’on confronte la productivité des diverses branches de la production interne.
91a. D’une part, l’écart de productivité entre les mines et le reste de l’économie, loin de s’atténuer s’est aggravé, étant donné que la pénurie de capitaux a surtout frappé les autres secteurs. Bien que la production des mines de cuivre chiliennes ait sensiblement diminué depuis la guerre, la productivité a augmenté ; ainsi, la valeur de la production de cuivre par jour d’ouvrier : 28 dollars pour les années 1940-1944, atteint 42 dollars pour la période 1950-1954.
92La productivité exceptionnelle des mines de cuivre apparaît, tout d’abord, lorsqu’on la compare à celle des autres exploitations extractives. Ainsi en 1950, la valeur brute de la production par personne est estimée dans les grandes mines de cuivre à environ 12.000 dollars (soit environ 6 millions de francs Gaillard), or, dans les mines de nitrates, elle atteint seulement 3.500 dollars et 2.000 dollars dans les exploitations de pétrole56.
93La productivité des autres secteurs de l’économie reste évidemment très faible et le retard des industries nationales s’est accentué dans les périodes d’inflation rapide, parce qu’elles ne sont pas protégées contre la hausse des prix de revient, comme les Grandes Unités Interterritoriales. Les hausses de salaires, le renchérissement des importations, l’aggravation de la fiscalité ont eu pour conséquence d’accroître le retard de ces secteurs par rapport aux mines. La productivité dans l’ensemble des branches de la production est onze fois plus faible que celle des mines, treize fois dans l’industrie et vingt fois dans l’agriculture. Il suffit d’ailleurs de comparer la production par personne active, dans ces trois secteurs.
Tableau 41 : Chili 1950/53. — Disparités de productivité entre les mines de cuivre et les autres secteurs de l’économie (Milliers de pesos 1950)
Ensemble de l’économie | Grandes mines de cuivre | Industrie | Agriculture | |
1950 | 68,6 | 770,6 | 60,0 | 39,9 |
1951 | 69,6 | 826,1 | 59,8 | 39,9 |
1952 | 70,7 | 853,2 | 63,3 | 40,2 |
1953 | 66,7 | 691,7 | 65,5 | 43,1 |
94b. D’autre part et surtout, la diversification de la production, qui a suivi la croissance industrielle, a abouti à un développement déséquilibré et les écarts de productivité entre les principaux secteurs de la production se sont accrus. En particulier, le développement de l’industrie s’est fait aux dépens de l’agriculture. Au Chili, on constate que les gouvernements doivent consacrer 15 % de leurs importations à l’acquisition de denrées agricoles, presque le double du pourcentage d’avant guerre. En Bolivie, la dépendance à l’égard des importations agricoles et alimentaires est encore plus élevée et représente 20 % des importations totales au cours de l’ensemble de la période, au lieu de 10 % avant la crise économique.
95Les rendements agricoles n’ont pas progressé, aussi l’accroissement de la production a été très faible, étant donnée l’augmentation rapide de la population dans les deux pays. C’est ainsi que les disponibilités brutes de riz, élément fondamental de l’alimentation en Amérique du Sud, étaient en 1952-1953, par personne, de 6,4 kilogrammes en Bolivie et de 14,7 au Chili, alors qu’au Brésil elles atteignent 52 kilogrammes57.
96La croissance de la production agricole a été très faible, surtout lorsqu’on la compare à celle de l’industrie ou de la construction ; au Chili, par exemple, l’augmentation de la production dans ces trois secteurs, entre 1925 et 1929 et 1945 et 1949, a été respectivement de 22 %, 126 % et 214 %58.
97De fortes disparités sectorielles à l’intérieur de l’industrie sont également révélatrices des déséquilibres inflationnistes, car, dans une économie en voie de stagnation, l’accroissement d’un secteur s’effectue souvent grâce au déclin des autres secteurs. Cette redistribution des activités économiques s’effectue avec une intensité particulière, dans un climat d’inflation rapide. Mais, alors que dans un climat de stabilité monétaire et de croissance, la sélection des activités et des disparités de développement entre secteurs constituent des mutations structurelles progressives, parce qu’elles contribuent à une allocation plus productive des ressources, dans un climat d’inflation chronique, les déséquilibres sectoriels correspondent souvent à des mutations structurelles régressives.
2° Le cas de l’Argentine
98Le cas le plus révélateur des déséquilibres sectoriels provoqués par l’inflation est cependant celui de l’Argentine, parce que les écarts de productivité sont incontestablement un phénomène récent et parce que ce pays a choisi une voie de croissance indépendante. L’exploitation d’un secteur d’exportation, sous contrôle étranger, ne constitue pas, comme au Chili ou en Bolivie, un secteur de haute productivité, soustrait aux mécanismes de croissance internes.
99On remarque, tout d’abord, la gravité de la crise agricole argentine : pendant la seconde guerre mondiale, les activités agricoles représentaient 24,5 % du produit national, en 1954, ce pourcentage n’est plus que de 17,4 %. Le capital disponible dans ce secteur a faiblement augmenté en valeur absolue et a diminué en valeur relative. Aussi les rendements agricoles sont très faibles et le revenu des classes rurales n’a pas progressé. On constate que les revenus à l’hectare perçus par l’agriculteur argentin sont beaucoup plus faibles, en valeur réelle, en 1954, qu’en 1948 ou même par rapport aux années de la grande dépression. Les surfaces ensemencées ont fortement diminué entre 1950 et 1954, mais on remarque que le contrôle des prix a joué un rôle prépondérant dans cette évolution. En effet, en 1955, les superficies ensemencées ont diminué de 15 % par rapport à 1950 et de 25 % par rapport à 1934-1938, pour les cultures soumises au contrôle des prix (céréales et oléagineux). Au contraire, les surfaces cultivées ont augmenté de 20 % entre 1950 et 1954 pour les cultures dont les prix étaient libres (riz, « mandioca », haricots, coton, maté, tabac, vignes, etc.)59. Le déclin de l’agriculture a provoqué une modification de la composition de la production, qui a bénéficié surtout aux activités tertiaires et au secteur de la construction60 ; ces secteurs ayant attiré la plus grande partie du capital disponible. En 1954, les activités tertiaires représentent 53 % de la valeur de la production ; elles ont attiré 52 % de la population active et 65 % du capital disponible.
100L’aggravation des écarts de productivité entre secteurs est étroitement liée à l’augmentation du rythme de l’inflation ; ce phénomène peut être mis en évidence si l’on confronte le montant du capital disponible et celui de la production par personne active dans les activités agricoles, l’industrie et les services.
B. Le maintien et le développement de structures économiques improductives
101Un climat d’inflation accélérée permet aux secteurs traditionnels de l’économie sous-développée de s’opposer au jeu des mécanismes de sélection du marché et d’éviter le risque d’une reconversion. Aussi l’expansion de ces activités s’oppose-t-elle à la diffusion de la productivité. Mais, en réalité, l’inflation ne s’oppose pas aux mutations structurelles, toutefois les transformations de structure qu’elle favorise ralentissent les mécanismes de croissance.
102Si l’on examine les transformations de structure de l’économie chilienne et de la Bolivie, on remarque deux transformations caractéristiques : le développement du secteur tertiaire et l’augmentation du taux d’urbanisation.
103Ces deux phénomènes sont très accentués dans l’ensemble de l’Amérique du Sud, mais leur coût économique et social est particulièrement lourd, dans les pays qui ont subi une forte inflation. En effet, dans les pays où le coût de la vie a augmenté très rapidement, alors que le niveau de revenu et d’emploi augmentait lentement ou diminuait, les migrations rurales vers les villes et le développement des emplois tertiaires, à faible productivité, ont aggravé le déséquilibre économique du pays et les tensions sociales.
1° Le développement du secteur tertiaire
104L’aspect le plus surprenant de l’évolution du Chili et de la Bolovie dans ces dernières années de stagnation est la transformation de la composition de la population active et l’augmentation de l’emploi dans les services.
a. Le Chili
105Le cas du Chili illustre les inconvénients de cette évolution. Ce pays, avant la guerre, avait une répartition professionnelle reflétant la prépondérance des activités agricoles et minières ; celles-ci occupaient, en 1930, 45 % de la population active. Le développement de l’industrie a provoqué un vaste appel de main-d’œuvre, si bien que les effectifs engagés dans le secteur primaire ne représentent plus que 34 % de la population active en 1952. Or les transferts professionnels se sont effectués bien plus au profit du secteur tertiaire que du secteur secondaire.
106C’est ainsi qu’entre 1940 et 1952, la population active employée dans l’agriculture a augmenté annuellement de 1,1 % et diminué de 0,6 % dans les mines, l’accroissement annuel a été élevé dans les activités groupant l’industrie, le bâtiment, le commerce et les transports, 3,1 %, mais surtout l’administration a bénéficié d’un accroissement de 3,9 % et les services personnels de 4,2 %61.
107Les données des recensements chiliens ne permettent pas de répartir avec précision la population active entre les trois secteurs, distingués par Colin Clark. Cependant, une estimation de la C.E.P.A.L.62 permet de considérer que les personnes actives employées dans les activités tertiaires (transports et services publics, fonction publique, commerce et finances et services personnels) représentaient 41 % de la population active du Chili en 1949. En réalité, ce gonflement des activités tertiaires n’est aucunement un signe de progrès économique, mais au contraire une manifestation d’improductivité. L’accroissement de l’emploi dans les services domestiques (20 % de la population active en 1952) correspond à un « chômage déguisé ». L’accroissement des effectifs de fonctionnaires masque également une extrême improductivité et un secteur où les salaires restent très faibles pour les subalternes63.
108Le passage direct du secteur primaire au secteur tertiaire est une des causes fondamentales de l’improductivité de l’économie chilienne, car le nombre des personnes improductives à charge des producteurs grève lourdement les possibilités de développement économique. Les conséquences du gonflement du secteur tertiaire sont d’autant plus graves que dans les pays neufs la population active est très réduite, puisque 37 % de la population chilienne a moins de 14 ans. La population active (36 % de la population totale) a légèrement augmenté entre 1940 et 1952 (5 %), mais faiblement par rapport à l’accroissement démographique (23 %)64.
109Aussi peut-on estimer qu’en 1949, sur une population de 5,7 millions d’habitants, seulement 23 % (1.307.000 personnes) contribuaient aux activités essentielles de la production : agriculture, mines, industrie et construction ; et encore ces activités recèlent-elles un important chômage déguisé65.
b. La Bolivie
110En Bolivie on ne dispose pas de recensements anciens suffisamment précis pour établir des comparaisons sur cette période, mais pour les données établies par la C.E.P.A.L., en 1950, on remarque une évolution similaire66.
111La population active représentait, à cette date, le tiers de la population totale (trois millions d’habitants) ; 64 % des personnes actives étaient engagées dans les activités agricoles, un peu plus de 10 % dans les activités industrielles, dont la moitié dans l’artisanat urbain, si bien que les emplois offerts par l’industrie ne dépassait pas 58.000, de même les industries extractives n’absorbaient que 5 % de la population active. Mais le phénomène le plus notable était l’importance des effectifs employés dans les services (227.000 personnes) soit quatre fois plus que dans l’industrie. Au stade de développement de la Bolivie, cette hypertrophie relative du secteur tertiaire est également un handicap important pour le développement économique.
2° L’augmentation du taux d’urbanisation
112Un second type de mutation structurelle régressive, particulièrement dangereuse dans les périodes d’inflation et de stagnation, résulte de l’accélération du rythme de l’urbanisation, Les transferts opérés dans la répartition professionnelle de la population ont accompagné la croissance rapide des villes et l’appel de main-d’œuvre dans les activités secondaires et tertiaires. Or, l’urbanisation a partiellement permis d’étendre la sphère de l’économie monétaire, mais également elle a accusé les différences de civilisation entre les zones urbaines et rurales et donc le caractère « dualiste » de l’économie. Les zones rurales ont connu une régression accusée, dont témoigne la stagnation et la crise de l’agriculture au Chili et en Bolivie. Les structures économiques archaïques et les cadres sociaux féodaux des zones rurales n’ont pas été modifiés par l’industrialisation et leur retard relatif s’est aggravé. Mais, de façon plus positive, l’urbanisation accélérée a également retardé l’évolution globale de l’économie, car il existe un « coût de l’urbanisation » très élevé67.
113Au Chili, par exemple, la population urbaine ne représentait en 1875 que 25 % de la population totale, ce pourcentage a régulièrement augmenté depuis, mais surtout entre 1940 (52,5 %) et 1952 (60,2 %)68.
114La rapidité de l’urbanisation est beaucoup moins nette en Bolivie, car la population rurale reste dominante et la croissance urbaine est un phénomène très récent69.
§ 2. Modifications de la répartition des revenus et tensions sociales
115L’un des dangers les plus importants de l’inflation de sous-développement est la redistribution des revenus, aux dépens des titulaires de revenus fixes et l’instabilité sociale qui en résulte.
1° Les transformations de la répartition du revenu national
116On remarque que les salariés, et en particulier les fonctionnaires, ont acquis, en Amérique du Sud, au cours des mouvements d’inflation rapide, des moyens efficaces de réajustement de leurs revenus aux variations du coût de la vie. C’est ainsi que la part des salaires dans le revenu national a sensiblement augmenté au Chili, de 39 % en 1940 à 45 % en 195070. Cependant, les réajustements de salaires n’assurent le maintien d’un pouvoir d’achat constant ou même croissant, que lorsque la hausse des prix ne dépasse pas un certain seuil.
117Devant l’accélération du rythme de l’inflation, la répartition du revenu national devient beaucoup plus inégale, malgré la progression apparente du revenu nominal des salariés. Les industriels et commerçants peuvent ajuster leurs revenus beaucoup plus facilement à la hausse des prix, que les autres catégories sociales, parce qu’ils ont la possibilité de stocker des biens réels qui ne se dévalorisent pas. La situation du Chili et de l’Argentine est significative à cet égard.
118a. Dans le cas du Chili, il peut sembler que les titulaires de revenus fixes soient entièrement protégés contre les risques de l’inflation, mais il est évident que, lorsque la hausse des prix a dépassé 50 % par an, les augmentations de salaires sont restées illusoires. Pour les agents de l’État, on remarque que leur revenu reste élevé et que ceux-ci ont reçu une part croissante du revenu national. Les fonctionnaires ont conservé en grande partie leur pouvoir d’achat, du moins pour les postes élevés, en raison de l’application de l’échelle mobile. Aussi en 1953, le Salaire moyen d’un ouvrier ne représente que le quart du traitement d’un fonctionnaire, au même stade de la hiérarchie71.
119Jusqu’à 1953, les salariés ont obtenu, au Chili, une augmentation sensible de leurs revenus réels et la part des salaires dans le revenu national a augmenté. Entre 1953 et 1956, il est incontestable que les salaires réels ont diminué72, puisque les salaires nominaux ont augmenté moins vite que le coût de la vie, particulièrement en 1954 et 1955, années où la hausse moyenne des salaires a été de 55 % et celle du coût de la vie de 73 %.
120b. En Argentine, les salariés du secteur privé, et surtout les fonctionnaires, ont été beaucoup moins efficacement protégés contre la hausse des prix qu’au Chili, bien que le rythme de l’inflation n’y ait jamais été aussi rapide. Tandis que le coût de la vie a augmenté de 217 % entre 1950 et 1954, les salaires nominaux ont simplement doublé et les salaires réels ont diminué très fortement jusqu’en 195373.
2° L’instabilité sociale
121Les dangers sociaux de l’inflation accélérée proviennent surtout du renforcement des oppositions de classes sociales. Les périodes d’inflation accélérées voient se constituer des inégalités de fortune qui sont beaucoup plus fortement ressenties qu’auparavant.
122Parmi les classes salariées, tout d’abord, l’effet général de l’inflation est d’écraser la hiérarchie des salaires ; cependant l’organisation sociale et institutionnelle des économies sud-américaines permet aux titulaires de salaires ou traitements élevés de se protéger efficacement contre l’inflation. Aussi, la concentration des revenus tend à s’accroître, même pour les revenus du travail. Cependant, les principaux bénéficiaires de l’inflation sont surtout les commerçants et les intermédiaires financiers. On remarque pourtant que le niveau des profits tend également à diminuer, dans son ensemble, lorsque la stagnation de la production se précise.
123La rapidité de la hausse du coût de la vie et le déclin des salaires réels s’accompagnent toujours de troubles sociaux graves, qui viennent accroître les difficultés des entreprises et les efforts d’assainissement des autorités étatiques.
124a. Au Chili, par exemple, les tensions sociales se sont accrues fortement depuis 1945. Les réajustements de salaires de l’industrie n’ont été obtenus qu’après un délai parfois important et au prix d’une instabilité chronique de la main-d’œuvre. Cette instabilité a contribué à la chute de productivité de nombreux secteurs. Ce manque à gagner provient surtout de l’augmentation du nombre des grèves. Entre 1947 et 1950, 1,2 million de journées d’ouvrier ont été perdues74 et la diminution du nombre d’heures de travail a été plus forte entre 1952 et 1956. Mais, de façon plus indirecte, la production a été ralentie par l’absence de stabilité de la main-d’œuvre et son absentéisme.
125b. Dans le cas de la Bolivie, on constate une évolution très différente, dans la mesure où les progrès de l’industrialisation ont été plus faibles et où les structures sociales dominantes sont moins affectées par l’évolution économique. Cependant les troubles sociaux ont été beaucoup plus graves, parce que l’inorganisation syndicale n’a pas permis aux titulaires de revenus fixes de réajuster leurs rémunérations aux variations du niveau des prix. Lorsque la hausse du coût de la vie a dépassé 50 %, les salaires réels dans la fonction publique et de nombreux secteurs de l’industrie (textiles), ont très fortement diminué et la crise agricole a réduit les ouvriers agricoles à un niveau de vie très bas. Ces circonstances expliquent les troubles révolutionnaires de 1952 et l’adoption d’une réforme agraire et de mesures de nationalisation des mines d’étain, ainsi que la crise économique et l’inflation galopante qui ont marqué les années récentes75.
***
126L’examen de la situation économique du Chili et de la Bolivie, dans la seconde après-guerre, et de l’Argentine plus récemment, montre que l’inflation a dépassé certains seuils et que sa vitesse a été trop rapide pour que des effets favorables puissent en résulter. Il est évident que la dépréciation monétaire et la hausse des prix ont découragé l’épargne et les investissements ; le gaspillage et la spéculation ont incité l’État, les entreprises et les particuliers à renoncer aux investissements productifs. Or, il s’agit bien dans ces pays d’une inflation de sous-développement. En Bolivie et au Chili, les facteurs institutionnels internes se sont progressivement ajoutés et substitués aux facteurs externes. En Argentine, les facteurs institutionnels et psychologiques de hausse ont toujours été prépondérants.
127Lorsqu’un pays sous-développé est conduit à l’inflation, parce qu’il refuse d’acquitter le prix du progrès : restriction des dépenses de consommation et élimination ou reconversion des improductifs, ce processus inflationniste tend à s’aggraver de lui-même et constitue un obstacle désisif à la croissance économique. Les paresseuses facilités de l’inflation monétaire masquent alors le retard économique et social grandissant. Il est évident que, dans les quinze dernières années, les décalages de développement en Amérique du Sud ont augmenté bien plus rapidement que dans les cinquante ans qui ont précédé la seconde guerre mondiale. L’accélération des phénomènes inflationnistes n’est certainement pas étrangère à cette évolution.
128Un pays livré à un processus d’inflation institutionnelle, pendant les quinze années à venir, risque de perdre pour très longtemps son rang dans l’échelle de la richesse des nations. Si les taux de croissance actuels du Venezuela, de la Colombie ou du Brésil se maintiennent, même compte tenu de l’accroissement démographique, il est probable que le revenu de ces pays se rapprochera de celui de l’Europe. A l’inverse, si la stagnation et l’inflation persistent au Chili et en Argentine, l’avance relative de ces pays disparaîtra et ils se retrouveront parmi les pays pauvres.
129Cependant, l’instabilité chronique de la monnaie et des changes, dans l’ensemble de l’Amérique du Sud, n’a pas empêché certains pays de se développer à un rythme très rapide. Tout processus inflationniste n’est pas incompatible avec la croissance économique. Nous avons constaté que certaines formes d’inflation conduisaient au blocage de croissance, parce qu’elles n’encourageaient pas la formation d’investissements productifs et parce qu’elles ne suscitaient aucun changement de structure favorable à la diffusion du progrès économique. C’est pourquoi l’objet de notre seconde partie sera de montrer comment « l’inflation de croissance », à l’inverse de « l’inflation de sous-développement », peut, dans certaines conditions, être compatible avec la croissance de l’économie sous-développée.
résumé. Inflation de sous-développement et blocage de croissance
130L’inflation de sous-développement est l’une des formes d’inflation les plus coûteuses pour l’avenir économique des pays attardés. Non seulement elle ne permet pas de créer des forces de résistance à la propagation des tensions inflationnistes, ce qui explique sa force d’accélération, mais encore elle fausse les critères de rentabilité et accentue la répartition improductive des ressources ; dans cette mesure elle constitue un facteur de blocage de croissance.
131La situation économique et financière de la Bolivie, du Chili et, dans une moindre mesure, de l’Argentine, permet de dégager les répercussions spécifiques de cette forme d’inflation.
132I. Tout d’abord, le risque principal de l’inflation de sous-développement est sa force d’accélération. La hausse des prix atteint progressivement 10, 20, 50 ou plus de 100 % par an. Ce processus, particulièrement accusé en Bolivie entre 1952 et 1956 et au Chili, semble également s’amorcer en Argentine. L’exemple du Chili est le plus caractéristique, car il montre comment les facteurs psychologiques et institutionnels de hausse se sont progressivement substitués au processus d’inflation transmise, par les fluctuations du commerce extérieur. Au fur et à mesure de l’accélération de l’inflation, on constate un raccourcissement des décalages entre les mouvements de la circulation monétaire, du crédit, des salaires et des prix. La course des salaires et des prix, donne naissance à une inflation de coût, qui provoque de nouveaux mouvements de hausse.
133II. En second lieu, l’inflation de sous-développement, en raison même de sa localisation et de son amplification, est un facteur de stagnation et de blocage de la croissance. Ce risque de blocage se manifeste à trois niveaux :
- Au niveau de la formation de capital, elle entraîne la disparition des incitations à la croissance. Au Chili et en Bolivie, on remarque que les taux d’investissement ont rarement dépassé 10 % entre 1940 et 1952, lorsque ces pays subissent une inflation transmise. La disponibilité de capital de ces pays a été également réduite par la répartition improductive des investissements. La productivité du capital a diminué fortement ;
- Au niveau de la production, elle réduit le rythme de croissance. Le revenu national et le niveau de vie ont peu progressé, bien plus depuis 1950 ils ont diminué dans les trois pays. La stagnation de la production intérieure a été accompagnée, surtout dans les économies minières, d’un déficit extérieur de plus en plus lourd. Le déséquilibre extérieur a constitué une source supplémentaire de blocage de la croissance et la dépendance de ces pays s’est trouvée accrue ;
- Enfin, au niveau des secteurs et des groupes, elle provoque des disparités, qui aggravent l’instabilité et la stagnation de l’économie.
134Les écarts de productivité entre secteurs ont augmenté et les secteurs bénéficiaires de l’inflation correspondent à des exploitations improductives et spéculatives. Les transformations structurelles suscitées par ce climat inflationniste sont régressives.
135Les injustices de la redistribution des revenus au profit des titulaires de revenus variables aboutissent à de fortes tensions sociales. Malgré l’ampleur et la fréquence des relèvements de salaires, le revenu réel des salariés et des employés subalternes a fortement décliné dans les périodes d’hyperinflation.
136L’inflation de sous-développement ne peut pas accroître le rythme de croissance de l’économie, parce qu’elle est trop rapide et décourage l’épargne et l’investissement et parce qu’elle n’encourage pas le développement des industries motrices ; elle aboutit à un état de cristallisation structurelle.
Notes de bas de page
11 On peut rappeler que le Paraguay a connu, au cours des dernières années, une inflation aussi rapide que celle du Chili, mais les ressources statistiques de ce pays sont beaucoup moins riches que celles que nous avons pu trouver pour le Chili ou la Bolivie.
12 Le déclin de la formation de capital est moins net dans le cas de l’Argentine, car l’accélération des phénomènes inflationnistes est plus récente.
13 Desarrollo Económico de Chile 1940-1956, Instituto de Economía, p. 80, tableau 36.
Cf. tableau n° 36 ci-dessus et graphique no 6 ci-dessous.
14 Desarollo Económico de Chile, op. cit., p. 77.
L’amélioration de 45 % des prix d’exportation et de 60 % des recettes d’exportation entre 1950 et 1952, a permis d’accroître la capacité de payements extérieurs de 80 % et les importations de plus de 120 millions de dollars.
15 Economic Survey of Latin America 1949, p. 293.
Les taux d’investissements calculés par la C.E.P.A.L. sont sous-évalués, car ils ne comptabilisent que la valeur des biens capitaux importés ou nationaux, à l’exclusion des investissements dans la construction. Les estimations de l’investissement total sont supérieures de 30 à 50 %, surtout pendant la guerre, où les investissements immobiliers se sont développés très rapidement. En 1948, l’ensemble de ces investissements aurait atteint 2,2 milliards de pesos au lieu de 1,7 milliard de pesos.
16 Economic Survey of Latin America 1954, Inflation and the anti-inflationary policy - the example of Chile, p. 24, note 25.
17 Estudio Económico de America Latina 1951-1952, p. 32, tableau 19.
18 Desarollo Económico de Chile 1940-1956, op. cit., p. 192.
Évalué en pesos constants, le montant des investissements sur fonds budgétaires est passé de 3,2 millions de pesos en 1940 (21 % des dépenses) à 3,8 millions de pesos en 1947 (20 % des dépenses) et 4,7 millions de pesos en 1954 (18,5 % des dépenses), soit une augmentation de 50 % entre 1940 et 1954. Dans la même période les dépenses de défense nationale ont doublé, ainsi que les dépenses de salaires et traitements.
19 Economic Survey of Latin America 1954, tableau 12, p. 26.
20 Economic Survey of Latin America 1954, p. 28.
21 C.E.P.A.L., Economic Survey… 1956, New-York 1957, p. 133.
Si l’on compare la structure des importations du Chili en 1943-1950 et en 1954-1955, on constate que les importations de biens de consommation ont augmenté de 43 %, alors que celles de biens d’équipement ont diminué de 6 %.
22 Latin-american Business Highligts. IV Quarter, 1958.
23 Economic Survey of Latin America 1950, p. 24 Mimeo. E/CN 12/217 Add 12, et Estudio Económico de America Latina 1953, p. 194. Le déclin de la consommation d’étain provient surtout de l’évolution de son utilisation industrielle. C’est ainsi que, pour 100 dollars de produits industriels dans les industries utilisatrices (fer blanc), la consommation d’étain a diminué de 40 % dans la période de 1940-1952 ; elle tombe en 1949 à moins de 250 grammes d’étain au lieu de 300 à 400 grammes, avant guerre.
24 El desarollo Económico de Bolivia, C.E.P.A.L., 15 de Mayo de 1957 E/CN/12/430, vol 1, p. 114-115.
La valeur des exportations boliviennes est évaluée en 1940, comme en 1952, à 101 millions de dollars, aux prix de 1950. Cette valeur a évolué entre 93 (1945) et 114 millions de dollars (1943). Mais la valeur des seules exportations d’étain est plus faible en 1952 (65 millions de dollars) qu’en 1940 (77,3 millions de dollars). En 1929, les exportations d’étain atteignaient presque 100 millions de dollars.
25 Economic Survey of Latin America 1954, p. 59.
La capacité d’importation de la Bolivie (50 millions de dollars) est extrêmement faible lorsqu’on la compare à celles des pays les plus développés de l’Amérique du Sud : en 1952, au Brésil, elle atteignait 1.590 millions de dollars, en Argentine 1.131 millions de dollars et au Vénézuela 1.257 millions de dollars.
26 Desarollo Económico de Bolivia, C.E.P.A.L. 1957, op. cit, vol. 1, p. 117.
27 Desarollo Económico de Bolivia…, vol. II, p. 45.
28 Cf. tableau no 36 ci-dessus et graphique no 6 ci-dessous.
29 Economic Survey of Latin America 1954, p. 24. Le stock de capital du Chili évalué en pesos constants était en 1940 de 218 millions de pesos, en 1945 de 232 millions de pesos et en 1952 de 302 millions de pesos.
30 Economic Survey of Latin America 1954, p. 24.
31 D. Félix, Profit inflation and industrial growth, Q.J.E. aug. 1956, p. 441.
L’accumulation des réserves de change a été dans les pays sous-développés la cause d’une inflation de profit qui ne semble pas avoir eu d’effets stimulants sur le rythme de croissance, dans la mesure où elle a provoqué des placements spéculatifs.
32 Economic Survey of Latin America 1954, p. 26.
33 Boletín Económico de America Latina, Enero 1956, Algunos aspectos dei proceso inflacionario en Chile, p. 44, tableau I.
34 Boletín económico…, op. cit., p. 44.
35 Economic Survey of Latin America 1948, The construction industry, p. 61.
36 Cf. tableau no 38 et graphique no 5.
37 Desarollo económico de Bolivia, C.E.P.A.L. 1957, op. cit., vol. II, p. 45. Tableau de l’évolution des investissements dans l’industrie entre 1925 et 1955.
38 El desarollo Económico de Bolivia, C.E.P.A.L. 1957, vol. I, p. 59, tableau 11-18.
39 El desarollo Económico de Bolivia, vol. I, p. 39, tableau de la production par personne active selon les secteurs, p. 62, tableau 20 « capital disponible par personne active, selon les secteurs ».
Dans l’agriculture, en 1950, la production par personne active est évaluée à 70 dollars et le capital à 170 dollars. Dans l’industrie, le produit est de 379 dollars, mais le capital de 2.024 dollars. Dans les mines, le produit atteint 1.337 dollars et le capital 4.107 dollars, enfin dans les services le produit est de 322 dollars et le capital de 1.324 dollars.
40 El desarollo Económico de Bolivia…, op. cit.
On peut établir, à partir de ces données, un coefficient de productivité du capital, employé par personne active. On constate alors que les résultats sont très différents de ceux qui apparaissent à travers les données globales. Pour l’agriculture ce coefficient est de 0,41, pour l’industrie de 0,18, pour les mines de 0,32, mais pour les services à la différence des données globales élevées, le coefficient n’est que de 0,24. La portée de ces calculs reste limitée, car la productivité relativement élevée du capital dans les activités agricoles est dépourvue de signification, étant donnée la faiblesse du montant de capital employé par personne active (60 fois moins que dans les mines).
41 Producto e ingreso de la Republica, en el periodo 1935-1954, Ministerio de Hacienda Buenos-Ayres, 1955. Cf. tableau ci-dessous no 40.
Latin American Business Highlights. IV Quarter 1958
La diminution du rythme de croissance s’est accusée après 1954. En 1957, le Produit national brut a augmenté de 33 % par rapport à 1946, mais la population ayant augmenté de 27 % la croissance du produit par tête, pour ces onze années a été de 5 %. Avec 3.550 pesos en 1957, la production par tête de l’Argentin est inférieure de 10 % à celle de 1948 (3.824 pesos). On remarquera également que le coût de la vie a augmenté deux fois plus vite entre 1954 et 1958 qu’entre 1950 et 1954, soit à un rythme de 30 à 40 %.
42 Il est surprenant de constater que le franchissement des seuils inflationnistes entre 1950 et 1954, en Argentine, résulte d’une faible augmentation de la hausse des prix qui, dans une autre économie sud-américaine, ne serait pas suffisante pour déclencher les mécanismes institutionnels et psychologiques de hausse.
43 Ministerio de Hacienda. Indices del costo de la vida y de la actividad industrial, également, Blanco, La moneda, los bancos y la económía nacional, déc. 1956. E. Patterson, The extent of the expenditures of the Argentina national government. Public Finance 1956, no 1, p. 36.
Entre 1940 et 1953, les dépenses budgétaires ont augmenté de dix fois, alors qu’elles avaient seulement doublé dans les vingt années précédentes. Time, december 22, 1958 : Development by inflation.
Depuis 1954, l’inflation de l’Argentine revêt les caractères spécifiques d’une inflation institutionnelle. Le déficit budgétaire n’a cessé de s’accroître, sous l’action de l’augmentation des dépenses de fonctionnement. Le déficit extérieur est devenu de plus en plus lourd et le peso s’est déprécié en quatre ans, bien plus vite que depuis le début de la guerre. En 1958, la hausse des prix a été précipitée par un relèvement des salaires de 60 %.
44 Cf. ci-dessus le tableau 37 et le graphique no 5. Inflation transmise, déclin de la formation de capital et stagnation de la production, (Bolivie 1940-1952).
45 El desarollo Economico de Bolivia, C.E.P.A.L., op. cit., vol. II, p. 191 et 207.
La consommation brute d’énergie par habitant en Bolivie a augmenté de 203 kilos d’équivalent pétrole en 1938 à 232 kilos en 1952. En 1954, la consommation d’énergie en Bolivie était la plus faible de l’Amérique du Sud. Au Chili, par exemple, elle atteignait en 1954, 771 kilos, en Argentine, 757 kilos.
En Bolivie, la production d’électricité a augmenté de 4,2 % par an entre 1947 et 1954, au lieu de 10 % au Brésil et 13 % en Colombie. Celle-ci atteint 109 kilowatts par habitant et seulement 57 kilowatts si l’on exclue la production nécessaire aux mines d’étain. Au Chili sans inclure les mines de cuivre, la production par habitant est de 329 kilowatts.
46 Ellsworth P. T., Chile : an economy in transition New York, 1945. L’auteur souligne l’instabilité de fa politique monétaire du Chili au lendemain de la crise économique : déflation en 1930 et 1931, inflation en 1932-1933 (les prix de gros augmentent de 50 % en 1933, le coût de la vie de 25 % et les moyens de payement de 85 %), stabilisation en 1933-1935 et hausse accélérée des prix en 1936-1939. Enfin et surtout, l’auteur consacre des développements importants à l’inflation de guerre. Cette analyse est reprise dans l’ouvrage collectif de Seymour Harris, Economic Problems of Latin America, Mc Graw Hill, New-York, 1944.
D. Grove, The role of the banking System in the Chilean inflation, F.M.I. Staff Papers, september 1951, p. 33. Analyse détaillée de l’inflation chilienne entre 1937 et 1950.
Desarollo Económico de Chile 1940-1954, Universidad de Chile 1956. Données statistiques sur l’évolution des prix à partir de la crise économique.
47 Nous prenons l’expression « interruption de croissance » au sens que lui a donné le professeur F. Perroux, dans son cours de Sorbonne (1957-1958) sur la propagation et les modèles de croissance.
48 C.E.P.A.L., Economic Survey of Latin America 1954, p. 24.
Les évaluations du Revenu national réel du Chili sont très variables selon les estimations. Pour D. Grove, par exemple, le Produit national réel n’aurait augmenté que de 25 %. Dans l’hypothèse que nous avons choisie, selon les experts de la C.E.P.A.L. (Economic Survey of Latin America 1954, p. 24) l’accroissement est de 35 % : on remarque que le produit réel a augmenté de 18 % pendant les cinq années de guerre et seulement de 14 % dans les sept années d’après guerre. Des données plus favorables sont calculées par l’Institut d’économie de Santiago, Desarollo Económico de Chile, op. cit., appendice statistique ; tableau A-I ; ces données ont été établies à partir des statistiques de la « Corporation de Fomento ». L’évolution du rythme de croissance est semblable à celle établie par la C.E.P.A.L., bien que l’ampleur des phénomènes diffère. Pour un accroissement global de 56 % du Produit Réel, au cours de la période 1940-1952, la croissance du produit a été de 28 % pendant la guerre et de 22 % dans la période 1945-1952. Selon les estimations le taux annuel cumulatif de croissance du produit réel, au Chili a été de 2,5 % d’après les données les plus pessimistes (D. Grove), 3 % d’après les estimations de la C.E.P.A.L. et 4,6 % d'après les estimations de l’Instituto de Economía.
49 Economic Survey of Latin America in 1949, p. 281. Production and available goods.
50 Economic Survey of Latin America in 1954, p. 23.
En 1940, la production par tète d’ouvrier était estimée, pour l’ensemble des branches de l’économie à 65.100 pesos et en 1952 à 70.000 pesos (aux prix de 1950). Les biens disponibles par tête atteignaient 21.400 pesos en 1940 et 26.200 pesos en 1952.
51 B.F.I., Note mensuelle, novembre-décembre 1957, cf. tableau ci-dessus.
52 D’après le Fonds Monétaire International, le dollar était coté en 1940, 25 pesos au Chili et 42 bolivianos en Bolivie ; en 1952, les cotations respectives au marché libre étaient de 128 pesos chiliens et de 200 bolivianos. Cf. également Picks Currency Yearbook, 1955.
53 International Financial Statistics, F.M.I. Mardi 1957, p. 14 et 16.
54 Aspectos monetarios de las economías latino-americanas, Mexico 1956, p. 116, tableau 5, et 110, tableau 3.
55 R. Prebisch, Economic development of Latin America, 1950, op. cit.
56 La estructura del empleo en America Latina, Bol. Eco. C.E.P.A.L., Febrero 1957, p. 34.
57 El desarollo económico de Bolivia, vol. II, p. 445.
58 Economic Survey of Latin America in 1949, p. 287, tableau 8-B.
59 La situación argentina y la nueva política economica, Boletín económico de America Latina, Enero 1957, p. 37.
60 Producto e ingreso de la Republica…, op. cit.
La valeur de la construction représentait, en 1935, 2 % du Produit national, et 5,6 % en 1954.
61 Economic Survey of Latin America in 1954, Inflation and the anti-inflationnary policy : the example of Chile, p. 27, tableau 14.
62 Colin Clark, The conditions of économic progress, troisième édition, London 1957.
Les tableaux de la répartition professionnelle de la population active présentée page 510, ne sont guère utilisables pour notre objectif, car ils portent sur les estimations de 1920, 1930 et 1940, et ne permettent pas de distinguer les effectifs des activités primaires, secondaires et tertiaires, bien que cette préoccupation tienne une place importante dans l’œuvre de l’auteur.
Economic Survey of Latin America in 1949, p. 270, tableau I. L’estimation de 1949 présente l’avantage de séparer les effectifs employés par l’industrie et les services publics (transports, gaz et électricité).
63 Estudio Económico de America Latina 1955. Ingresos y gastos de gobierno 1947-1954, p. 120. Les fonctionnaires représentent 13 % des effectifs employés dans les services au Chili, 15 % en Bolivie, et 17 % au Venezuela ; en Angleterre, ce pourcentage est de 13 %. Mais en réalité ces calculs sont sous-estimés car ils excluent l’Armée, l’Éducation Nationale et la Santé.
64 Population active d’après Economie Survey of Latin America 1949, op. cit.
H. Romero Y E. Médina, La America Latina como laboratorio demográfico. Conférence Mondiale de la Population 1954. Papers volume I, p. 531.
Les estimations des recensements sont entachés de fortes erreurs en Amérique du Sud, mais celui du Chili semble approximativement valable, tandis que celui de la Bolivie pour 1947 s’avérait surestimé de 24 %, d’après les données de 1950.
J. W. Nixon, The concept of population dependent on different activities. World Population Conference 1954. New York papers, vol IV, p. 787.
Le Chili est un pays où la population inactive est plus importante que la population dépendante, c’est-à-dire que les personnes actives, au sens démographique du terme (non-dépendantes) ne sont pas toutes des personnes occupant un emploi (actives, au sens économique du terme). En 1940, environ 3 % de la population totale était sans occupation, bien que leur position ne fut pas dépendante, cependant ce pourcentage est plus élevé dans les pays industrialisés, 22 à 26 % en Allemagne.
Woytinsky, World Population and Production, New-York 1953, p. 350.
La population active en Amérique du Sud comprend peu de femmes. En 1940, au Chili, 53 % des hommes étaient rémunérés pour leur travail et seulement 17 % des femmes. En 1946, en France, 67 % des hommes étaient employés et 37,5 % des femmes.
65 Sur la notion de chômage déguisé.
C. Clark, What constitutes rural over-population, World Population Conference, 1954, vol V, p. 227.
Okyar, La théorie keynesienne et les économies sous développées, Économie appliquée, 1951.
O.N.U., Causes et conséquences de l’évolution démographique, 1953, ST/SOM/Ser A. 17 ; chap. XV, Effets des tendances démographiques dans les pays sous-développés, p. 295.
J. Viner, Note on the concept of disguised unemployment, Mélanges Gudin, Rio, 1957, p. 345.
66 C. P. Gutierrez, Resultados practicos del censo de la populación de Bolivia, Conférence Mondiale de la Population, op. cit., vol. VI, p. 55.
Les comparaisons démographiques sont difficiles en Bolivie car il n’y a pas eu de véritable recensement entre 1900 et 1950.
El desarollo económico de Bolivia, C.E.P.A.L., op. cit., vol. I, p. 38.
Les calculs des experts de la C.E.P.A.L. sont fondés sur une estimation restrictive de la population active, en raison du fait que le travail agricole des femmes est surestimé par les organes du recensement si bien que, pour établir des comparaisons internationales, il est opportun de mesurer la population active effective, en équivalents d’hommes adultes. Dans ces conditions, la population active effective ne s’élève qu’à 1.043.289 personnes au lieu de 1.448.595.
67 Le coût de l’urbanisation accélérée, dans les économies sud-américaines est à la fois un coût économique et social.
Tout d’abord la concentration urbaine est une cause d’accroissement des charges financières globales, parce que les investissements d’infrastructure sont plus élevés dans les villes que dans les zones rurales (logement, services publics, loisirs), également parce que les investissements « démographiques », de santé et d’instruction sont plus importants.
Mais, la concentration urbaine a des « coûts sociaux » encore plus élevés, qui ne sont pas toujours évalués en termes monétaires et se traduisent par une insuffisante couverture des « coûts de l’homme ». L’appel de main-d’œuvre, créé par la croissance urbaine, semble entraîner une amélioration du niveau de vie des personnes employées antérieurement dans l’agriculture, mais après une première phase d’euphorie, l’absence d’auto-consommation et de sécurité familiale, crée une diminution du niveau de vie réel.
Les coûts de l’homme, au sens général des besoins fondamentaux, ne sont pas couverts (cf. F. Perroux, Trois outils d’analyse pour l’étude du sous-développement. I.S.E.A. Cahiers série F., fascicule I, page 32). On constate également que les coûts de l’homme dans leur mesure financière, au sens de Lotka, sont imparfaitement couverts et sont extrêmement lourds. Les frais d’éducation et de santé sont plus élevés dans les villes et pourtant les chances de survie et d’accessibilité à un niveau technique supérieur restent très faibles pour la première génération des migrants ruraux. Dublin et Lotka, The money value of man, New York, 1946.
68 Pour le Chili, Desarollo Económico de Chile, op. cit., p. 96.
David and Cassis, Urbanisation in Latin America, Milbank Memorial Fund Quaterly, April 1952.
H. L. Browning, Recent Trends in Urbanisation. A crowding hemisphere ; population change in the Americas. The Annals of the American Academy, p. 111-120 (March 1958).
O.N.U., Rapport sur la situation sociale dans le monde, L’urbanisation en Amérique latine, 27 février 1957, p. 182.
Woytinsky, World Population and ressources, op. cit., 1953, chap. IV, Cities, p. 111.
C.E.P.A.L., Three sociological aspects of économic development, Economie Review of Latin America, August 1955, p. 56. Dans l’ensemble de l’Amérique latine la population urbaine a augmenté de 110 % entre 1925 et 1950 et représente à cette dernière date 41 % de la population totale.
69 J. Beaujeu-Garnier, Géographie de la population, Médicis 1956, p. 389.
En 1950, la population urbaine de la Bolivie représente 33,6 % de la population totale, ce pourcentage est le plus faible de l’Amérique du Sud ; en Argentine, par exemple, il était de 62 % en 1947.
70 C.E.P.A.L., Estudio económico… 1954,, op. cit., p. 32.
71 Desarollo económico de Chile, op. cit., p. 4 et 7.
Economic Survey of Latin America 1954,, p. 32. La part des revenus de la propriété a diminué au Chili entre 1940 et 1952 par rapport à celle des salaires et traitements. En 1952, les salaires représentent 17,4 % du revenu disponible, les traitements 20,1 % et les profits, rentes et intérêts 55,4 %.
72 C.E.M.L.A., Aspectos monetarios…, op. cit., p. 88.
73 C.E.P.A.L., Estudio Económico…, 1954, p. 119 et 1953, p. 19-26.
Les revenus du travail par personne employée étaient estimés à 988 dollars en 1950 et 832 dollars en 1953, leur pourcentage dans le Revenu national étant tombé de 77,2 % à 69,6 %.
74 Desarollo Económico de Chile…, op. cit., p. 7.
75 El desarollo económico de Bolivia, op. cit., vol. I.
Notes de fin
a Erratum : l’échelle du coefficient de productivité du capital correspond au coefficient
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Meurtre au palais épiscopal
Histoire et mémoire d'un crime d'ecclésiastique dans le Nordeste brésilien (de 1957 au début du XXIe siècle)
Richard Marin
2010
Les collégiens des favelas
Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro
Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992