L’accélération du processus inflationniste et le déclenchement des mécanismes cumulatifs de hausse : l’inflation chilienne
p. 219-229
Texte intégral
1Le danger essentiel de l’inflation de sous-développement réside dans la carence des mécanismes auto-correcteurs, qui compensent souvent les déséquilibres initiaux dans les autres formes d’inflation. Ce processus conduit au déclenchement de mécanismes cumulatifs de hausse et engendre souvent une véritable hyperinflation.
2En Argentine, le déficit budgétaire, l’élévation du salaire minimum, l’accroissement des prêts bancaires ou une dévaluation exercent une pression constante sur la demande, tandis que la croissance de la production reste faible. Ces rigidités institutionnelles déclenchent un processus cumulatif de hausse des prix et des salaires. Jusqu’à la guerre de Corée, la hausse moyenne du coût de la vie ne dépassait pas 10 à 15 %, depuis les prix augmentent de 20 à 25 % par an, bien plus en 1957 et 1958 la hausse du coût de la vie a dépassé 30 % et l’Argentine subit actuellement l’inflation la plus rapide de l’Amérique du Sud.
3En Bolivie, on a pu constater, entre 1952 et 1956, une véritable hyperinflation. Le coût de la vie est 23 fois plus élevé en 1956 qu’en 1952 et les prix de détail ont augmenté, en 1953 et 1956, de 10 à 15 % par mois. La dépréciation externe de la monnaie a été souvent encore plus rapide que la dépréciation interne. L’accélération du rythme de l’inflation est surtout imputable à des facteurs institutionnels et psychologiques et le rôle des facteurs extérieurs a été limité.
4Nous retiendrons surtout l’exemple du Chili, car on peut suivre, à travers son histoire monétaire récente, les transformations du processus inflationniste et la substitution progressive des facteurs institutionnels aux facteurs extérieurs, au fur et à mesure que le rythme de d’inflation est devenu plus rapide.
5La situation monétaire du Chili, entre 1952 et 1956 offre le meilleur exemple d’accélération des phénomènes inflationnistes, sous l’influence de facteurs institutionnels et psychologiques. Depuis la seconde guerre mondiale et jusqu’à la guerre de Corée, le Chili a connu un climat d’inflation permanente et rapide, qui coïncidait avec une détérioration de la situation extérieure ; il s’agissait alors surtout d’un processus d’inflation transmise. Après 1952, les difficultés extérieures persistent et s’aggravent, mais elles sont moins la cause essentielle de l’inflation, qu’une conséquence de l’instabilité monétaire. Le Chili a connu, dans la période récente, une véritable hyperinflation, dont les mécanismes ont été dominés par des facteurs institutionnels et psychologiques. Aussi, convient-il de souligner tout d’abord l’accélération de la vitesse des phénomènes inflationnistes pour dégager ensuite le rôle des facteurs institutionnels et psychologiques dans ce processus.
§ 1. L’accélération de la vitesse des phénomènes inflationnistes
6L’économie chilienne a subi, depuis le début de la seconde guerre mondiale, une inflation très rapide ; cependant, si l’on confronte la situation monétaire et les mouvements de prix, au cours de la période 1945-1951 et 1952-1956, on remarque une forte accélération de la vitesse des phénomènes inflationnistes au cours de la seconde période. La première période est marquée par de violentes fluctuations extérieures provenant des alternatives de hausse et de baisse des cours du cuivre, dont la dernière est la phase coréenne. La hausse des cours internationaux a constitué l’origine immédiate de l’accélération du processus inflationniste, cependant les tensions inflationnistes externes ne suffisent pas à l’expliquer, car les mécanismes de l’inflation institutionnelle sont devenus prépondérants.
- Jusqu’à la guerre de Corée, l’accroissement de la circulation monétaire s’est effectué au même rythme que celui des prix et ceux-ci ont augmenté beaucoup plus rapidement au stade de la consommation qu’au stade de la production. La hausse annuelle du coût de la vie a été, en moyenne de 16 % au cours de cette période. Le peso a été fréquemment dévalué et le coût du dollar, au marché libre, a augmenté de 40 % entre 1948 et 19512.
- Après 1952, le rythme de l’inflation se précipite, les moyens de payement ont augmenté en moyenne3 de 46 % par an, mais le coût de la vie a augmenté plus rapidement, soit de 50 % par an. On remarque également que la hausse a été aussi rapide au stade des prix de détail qu’à celui des prix de gros. Enfin, le cours du dollar sur le marché libre a quintuplé, en passant de 128 pesos à 600 pesos.
7Cette évolution peut être retracée dans le tableau suivant :
§ 2. La substitution des facteurs internes aux facteurs externes et l’accélération de l’inflation chilienne
8Depuis la grande dépression, le Chili subit une inflation rapide ; pendant les années de crise, le coût de la vie a augmenté en moyenne de 5 % par an, puis le rythme de la hausse des prix a été de plus en plus rapide : 15 % pendant la guerre, 15 à 20 % dans la période pré-coréenne, plus récemment enfin de 50 à 70 %. Or, depuis 1940, les causes de l’inflation se sont déplacées et les facteurs institutionnels se sont progressivement substitués aux facteurs extérieurs. La transformation du processus inflationniste est particulièrement nette à partir de 1952.
A. Le développement des tensions inflationnistes externes : 1940-1952
9Depuis la seconde guerre mondiale, le Chili a été affecté par une instabilité croissante des cours de matières premières. Les fluctuations du commerce extérieur ont été l’une des causes prépondérantes de l’inflation, au cours de cette période. Cependant, l’intensité et la permanence des pressions inflationnistes est également imputable au jeu de facteurs institutionnels, qui deviendront prépondérants. Deux obstacles se sont opposés à la formation de tensions déflationnistes compensatrices :
- d’une part, le revirement de la conjoncture extérieure ne fait pas obstacle à la transmission des tensions inflationnistes. L’inflation chilienne a été aussi rapide dans la période de hausse des cours du cuivre de la guerre mondiale que lorsque les cours se sont déprimés en 1947-1949 ;
- d’autre part, les effets de stimulation du commerce extérieur ont été très faibles, car l’affectation des ressources en devises ne permettait pas de promouvoir l’expansion de secteurs productifs. En l’absence de mécanismes correctifs spontanés et devant l’inefficacité des interventions de l’État, l’inflation transmise s’est rapidement amplifiée.
10Deux causes d’accélération du processus d’inflation transmise méritent l’attention : d’une part, la rigidité croissante des coûts, d’autre part, le développement du gaspillage et de la spéculation.
a. Rigidité croissante des coûts
11Le maintien d’un déficit extérieur chronique et la pénurie croissante d’importation ont abouti à une rigidité croissante des coûts de production au Chili.
12La généralisation des tensions inflationnistes externes amplifie les effets déstabilisateurs de la hausse des prix, au stade de la production et de l’investissement.
13L’incidence de l’inflation sur les secteurs de production et leur rythme de croissance respectifs est inégale. Les disparités de production résultant de l’inflation renforcent les rigidités structurelles de « l’économie dualiste » et retardent l’intégration des marchés.
14Au stade de l’investissement, l’inflation réduit globalement le montant des capitaux et surtout modifie la répartition des investissements, au profit d’activités dont la rentabilité est faussée par des éléments spéculatifs ; les activités de base et d’infrastructure sont au contraire peu favorisées par l’investissement. Aussi les pénuries fondamentales (importation, énergie, transports, services publics) maintiennent un marché congénitalement étroit et une production faiblement croissante.
b. Gaspillage et spéculation
15L’accélération des phénomènes d’inflation transmise est surtout liée au développement du gaspillage et de la spéculation dans le secteur public et privé. Ce sont d’ailleurs ces facteurs institutionnels et psychologiques qui peu à peu deviennent les causes motrices de l’inflation.
16La transmission mécanique de l’instabilité externe est amplifiée par le jeu de facteurs psychologiques. Les modifications de la répartition des revenus, en période inflationniste, encouragent les groupements professionnels à devancer les hausses de prix et à rechercher des placements en valeurs réelles ou en devises étrangères, indépendamment de leur efficacité économique. Les catégories sociales favorisées par la situation inflationniste renoncent au placement de leurs revenus exceptionnels, pour accroître leur train de vie. Enfin, les fluctuations du change sont amplifiés par la spéculation.
17Surtout le rythme de l’inflation tend à augmenter sous l’influence des facteurs institutionnels. La politique économique et financière de l’État intervient sous deux formes dans le déroulement de l’inflation transmise : dans un but compensateur et à titre autonome.
18L’action compensatrice de l’État intervient surtout lorsque les tensions inflationnistes externes sont liées à la chute des cours d’exportation et au déficit de la balance des payements.
19L’intervention autonome du secteur public dans le déroulement des phénomènes inflationnistes est une source d’aggravation de l’instabilité monétaire beaucoup plus importante que la première forme d’intervention. Ces interventions autonomes de l’État ont été prépondérantes au Chili. Le passage des flux monétaires par le secteur étatique et les institutions budgétaires, fiscales ou bancaires est un facteur mécanique d’amplification des flux monétaires. Ces tensions monétaires sont particulièrement intenses en période de prospérité commerciale, lorsque l’accroissement des réserves internationales permet d’augmenter massivement les moyens de payement et lorsque l’État engage des dépenses nouvelles, qui ne pourront pas être couvertes par les recettes fiscales internes, si la situation commerciale se renverse.
B. Le développement des tensions inflationnistes institutionnelles (1952-1956)
20On peut discerner quatre facteurs principaux dans l’accélération des phénomènes inflationnistes au Chili, depuis 1952 :
- le déficit budgétaire a entraîné un accroissement massif de l’émission de papier-monnaie ;
- la politique du crédit a facilité l’expansion de la demande du secteur public et privé ;
- la politique des salaires a provoqué la formation d’un processus cumulatif de hausse ;
- enfin, la politique des changes a constitué un facteur supplémentaire d’aggravation des déséquilibres monétaires et de la hausse des prix.
21Ces interventions du secteur public ont provoqué un mécanisme d’accélération de la hausse des prix, qui peut se décomposer en plusieurs phases :
- Tout d’abord le déficit budgétaire croissant entretient une augmentation continue des moyens de payement et rend inopérantes toutes les mesures de restriction du crédit de la Banque centrale ;
- La politique monétaire contribue à la diminution du décalage entre les mouvements de hausse des prix et des salaires ;
- La politique des changes et, en particulier, la dévaluation accentuent la dépréciation interne de la monnaie et suscitent de nouvelles causes de hausse des prix.
Déficit budgétaire et expansion monétaire
22Malgré un effort de compression des dépenses, on constate que le déficit budgétaire a régulièrement augmenté, de 6 milliards de pesos en 1952 à 26 milliards de pesos en 1956, et le déficit cumulé de ces cinq années a été de plus de 60 milliards de pesos4. En réalité, le déficit total a été beaucoup plus important, car on ne tient pas compte, dans ces données, de la consolidation des avances de la Banque centrale (environ 10 milliards de pesos chaque année), ni du déficit des « offices autonomes ». On peut considérer qu’en 1952, sur 100 pesos de dépenses du gouvernement, 15 pesos sont financés par l’émission de papier-monnaie, puis 23 pesos en 1954 et ce pourcentage se maintient en 1955 et 1956. Le déficit budgétaire a été l’une des causes essentielles des émissions de papier monnaie et de l’accroissement du crédit. On remarque, en effet, que les prêts au secteur public avaient représenté en moyenne 20 à 25 % des prêts de la Banque centrale, entre 1945 et 1951, et ce pourcentage avait diminué à la fin de la période. Les prêts au secteur public ont, au contraire, régulièrement augmenté dans la période ultérieure ; ils représentaient 30 % des prêts de la Banque centrale, en 1952 et 52 % en 1955. Ce pourcentage est plus faible à la fin de 1956, année où le gouvernement chilien a mis en œuvre un plan de lutte contre l’inflation5.
2° La politique monétaire et la course des salaire et des prix5
23La course des salaires et des prix constitue une phase de développement de l’inflation, à partir de laquelle les causes initiales du déséquilibre perdent leur importance et le processus inflationniste se poursuit, même lorsque ces causes initiales disparaissent. L’inflation est dès lors alimentée par des facteurs institutionnels autonomes. Dans le cas de l’inflation chilienne, la course des salaires et des prix a été de plus en plus rapide et celle-ci a présenté les particularités suivantes :
- Les réajustements de salaires accordés par l’État aux fonctionnaires et l’augmentation du salaire minimum ont été supérieurs à l’augmentation du coût de la vie, du moins en 1952 et 19536. Ces réajustements, de plus en plus fréquents, ont été accordés tous les six mois à partir du moment où le coût de la vie a augmenté de 6 à 8 % par mois et non plus de 1 à 2 %. C’est pourquoi on remarque que les décalages entre les mouvements de hausse des prix et des salaires sont beaucoup plus courts.
- L’ajustement des salaires et des prix a été assuré principalement par la politique du crédit. Les hausses de salaires ont été entièrement répercutées au niveau des prix. D’une part, les réajustements de traitement dans la fonction publique ont été financés par le recours aux avances de la Banque Centrale ; d’autre part, la revalorisation du salaire minimum, dans le secteur privé, a été financée par une augmentation de crédit aux entreprises.
24Lorsque l’on compare les pourcentages annuels de hausse du coût de la vie et du niveau des salaires, entre 1940 et 1956, on remarque que la course des salaires et des prix a suivi plusieurs phases. Tant que la hausse du coût de la vie ne dépasse pas 20 % par an, l’augmentation du salaire minimum a été plus rapide et les salaires réels ont donc progressé. Mais lorsque la hausse du coût de la vie est devenue plus rapide (période 1953-1956), l’augmentation du salaire minimum a été moindre ; toutefois, les hausses de salaires sont restées la cause essentielle d’accélération du mouvement inflationniste. Cette évolution peut être retracée dans la figure suivante.
25Pendant la guerre, on remarque que le rythme de l’inflation était déjà très rapide, puisque le coût de la vie a augmenté en moyenne de 15 %. La hausse des salaires a toujours été plus rapide que celle des prix, mais elle n’a pas suffi à provoquer une hyper-inflation.
26Lorsque l’on compare la période 1945-1950 à la période 1951-1955, on remarque l’évolution suivante dans les accroissements de prix, des salaires et du crédit :
271° L’accroissement des prix a été beaucoup plus rapide que celui de la circulation monétaire. Cette situation se retrouve dans tous les mouvements d’hyper-inflation7 ;
282° Il existe une étroite corrélation entre la hausse des prix de gros et l’accroissement du crédit.
29Dans la phase pré-coréenne, la hausse des prix de gros se produisait en moyenne deux mois après l’accroissement du crédit au secteur privé ; les pourcentages de hausse des prix et ceux de la distribution du crédit sont très proches, au cours de cette période.
30Dans la phase post-coréenne, les séquences sont inversées et la hausse des prix de gros précède d’un mois l’accroissement du crédit. Cependant, à la fin de la période, ce décalage devient encore plus bref et les fluctuations du crédit sont plus importantes que celles des prix de gros. De même, on remarque que l’augmentation du crédit suit les mouvements de l’indice du coût de la vie, avec un retard de deux à trois mois, au lieu de trois à quatre mois dans la période antérieure ;
313° En troisième lieu, le décalage entre la hausse des prix de gros et celle du coût de la vie diminue également avec rapidité.
32Dans la phase pré-coréenne, une augmentation des prix de gros ne provoquait la hausse au stade des prix de détail qu’après un décalage de deux à trois mois.
33Dans la période plus récente, les augmentations de prix au stade de la production et de la consommation sont simultanées, puis le sens des mouvements s’inverse et la hausse du coût de la vie précède celle des prix de gros. De plus, l’ampleur relative des pourcentages de hausse devient aussi élevée dans les deux cas, et l’on constate même que l’augmentation des prix de gros est souvent plus élevée que celle du coût de la vie.
34Le mécanisme de la « spirale inflationniste » au cours de la période post-coréenne peut se ramener au principe suivant :
35Une augmentation des salaires se traduit immédiatement par une augmentation de la distribution de crédit ; cette hausse des salaires est répercutée par les entreprises et la hausse des prix de gros se produit au bout d’un mois, puis elle se traduit un peu plus tard, au stade des prix de détail. L’augmentation du coût de la vie provoque alors un réajustement de plus en plus rapide des salaires et le renouveau de la spirale inflationniste. Au fur et à mesure que le processus s’accélère, le décalage entre l’accroissement des prix de gros et de détail s’atténue. La demande de crédit devient alors beaucoup plus élevée, car le système bancaire doit satisfaire à la fois aux demandes des entreprises et des particuliers. Les entreprises ont des difficultés accrues de trésorerie, dès lors que la hausse des coûts (salaires et autres facteurs de production) devient aussi rapide que celle des prix de vente. Les banques doivent également satisfaire la demande de crédit des salariés (extension des ventes à tempérament). C’est pourquoi les prêts bancaires augmentent sous la double influence de la hausse des prix de gros et du coût de la vie. Si l’on suppose que les salaires sont relevés au premier janvier et financés par les banques, on constate une expansion primaire du crédit, dès que les salaires sont payés, puis une expansion secondaire et cumulative lorsque les prix de gros augmentent, avec un décalage d’un mois (février) et les prix de détail avec un décalage de deux mois (mars).
3° Dévaluation et hausse des prix
36En 1953, le gouvernement chilien a procédé à une dévaluation de plus de 70 % du cours du peso, la parité officielle, qui était de 31 pesos pour un dollar, fut portée à 110 pesos. En réalité, la dévaluation fut moins élevée, étant donné la multiplicité des taux de change effectifs. Pour les transactions en capital, le cours du dollar augmenta de 80 % et atteignit 220 pesos.
37Cette dévaluation était imposée par la situation désastreuse du commerce extérieur, puisque les exportations avaient diminué, au cours de l’année 1953, de 23 %, les recettes fiscales prélevées sur les compagnies de cuivre de 26 % et les recettes fiscales totales de l’État de 10 %8. Cependant, cette opération n’a produit aucun effet stabilisant et les taux de change du marché libre ont continué de s’accroître à un rythme accéléré. En 1956, le cours du dollar a atteint en moyenne 600 pesos et même à certains moments, 700 pesos. C’est pourquoi, les prix d’importation ont augmenté souvent plus rapidement que les prix internes et cet élément a fortement contribué à l’augmentation du coût de la vie, parce que les produits alimentaires sont fortement subventionnés et ces subventions ont alimenté le déficit budgétaire. En outre, la plus grande partie de l’industrie utilise des biens d’équipement, des combustibles et des matières premières importés, qui représentent une part essentielle de leurs prix de revient. Enfin, les avantages initiaux de la dévaluation, pour le secteur d’exportation, sont rapidement annulés, étant donné la fréquence et l’ampleur des relèvements de salaires et donc l’élévation des prix de revient. Il est évident que, pendant ces années, le déséquilibre de la balance des payements a été une conséquence de la situation inflationniste intérieure, plutôt qu’une cause autonome d’inflation.
§ 3. Le rôle des facteurs psychologiques dans l’aggravation des mécanismes inflationnistes
38Il est incontestable que les éléments psychologiques ont joué un rôle prépondérant, au Chili, dans le déroulement des phénomènes inflationnistes, au cours des années 1954 et 1955. Lorsque la hausse des prix dépasse 70 % par an, toute décision économique est nécessairement prise sur la base d’une anticipation de hausse au moins égale à celle qui vient de se produire. C’est pourquoi le comportement des groupes sociaux, à l’égard de la monnaie et des prix de revient, devient l’un des éléments prépondérants du mécanisme de l’inflation.
391. Tout d’abord, on constate que, dans les dernières années de la période envisagée (1952-1956), se produit une réaction généralisée de fuite devant la monnaie. La perte de confiance dans la monnaie se traduit surtout par une augmentation de la vitesse de circulation et par un déclin de la liquidité.
40On peut, en effet, constater que la vitesse de circulation de la masse monétaire a augmenté plus rapidement que le coût de la vie. Cette particularité se retrouve dans la plupart des mouvements d’hyperinflation9, elle provient de ce que la masse monétaire ayant moins augmenté que le niveau des prix, les revenus monétaires sont dépensés plus rapidement. Ce phénomène est d’autant plus accusé que les productions sont peu diversifiées et les possibilités de troc plus limitées que dans un pays entièrement industrialisé : aussi, l’utilisation de la monnaie, comme moyen d’échange, reste-t-elle inéluctable.
41On remarque également que l’augmentation de la vitesse de circulation se traduit par une diminution des disponibilités monétaires et donc, de la liquidité. Au Chili, cette diminution fut accusée par l’adoption de mesures de restriction du crédit en 1953, et par l’augmentation de la thésaurisation10. La recherche des valeurs réelles a fortement contribué à l’effondrement de la devise nationale, dans la mesure où la spéculation sur les devises s’est développée, mais elle a également été un élément décisif de la hausse des prix, dans la mesure où la rétention des stocks a provoqué une pénurie, dans de nombreux secteurs, et où l’épargne s’est investie de préférence dans les placements fonciers ou a été exportée à l’étranger.
422. En second lieu, la généralisation des anticipations de hausse permet d’expliquer la diminution des décalages entre les mouvements du crédit, des salaires et des prix.
43L’entrepreneur ne peut pas se contenter d’établir son prix de vente, en tenant compte des seules augmentations de coût actuellement existantes, car il doit prévoir l’augmentation des prix de ses fournisseurs et l’accroissement de la valeur de sa production lorsque, d’une part, les délais de livraison et, d’autre part, les délais de fabrication, seront écoulés.
44La réaction des salariés ne saurait être différente de celle des producteurs, aussi recherchent-ils également à devancer les hausses de prix, lorsqu’ils formulent leurs revendications de salaires.
Notes de bas de page
2 Cf., pour cette première période, on peut consulter deux documents de la C.E.P.A.L. : Economic survey of Latin America 1954, Inflation and anti-inflationary policy, the example of Chile ; Boletin Económico de America Latina, january 1956, Some aspects of the inflationnary policy in Chile, pour l’inflation chilienne de 1940 à 1952.
3 Le taux annuel d’accroissement du coût de la vie et des moyens de payement utilisé ici est la moyenne arithmétique des pourcentages d’accroissement d’année en année, au cours de la période.
4 C.E.M.L.A., Aspectos monetarios de las economías latino-americanas, Mexico, 1957, p. 87.
5 Cf., notre 3e partie, les politiques de stabilisation monétaire et les réformes institutionnelles. (Analyse de l’expérience de lutte contre l’inflation du Chili en 1956).
6 Desarrollo económico de Chile 1940-1954, Instituto de Economía, op. cit., p. 39-43
7 Desarrollo económico de Chile..., op. cit., p. 19-24.
On trouvera une analyse détaillée des mécanismes d’accélération de l’inflation dans cette étude, ainsi que des comparaisons entre l’hyperinflation au Chili et celle de la Chine en 1946-1949 ou de la Hongrie (1945-1946).
L’étude des décalages entre les mouvements des salaires, du crédit et des prix y est longuement développée.
Cf., le tableau 35 ci-dessus, pour comparer le rythme de hausse du coût de la vie à celui de la circulation monétaire.
Cf. pour une période plus récente 1956-1958 le fascicule précité de l’Instituto de Economía : Hechos y perspectivas de la economia chilena, abril 1958.
8 Algunos aspectos del proceso inflacionario en Chile, op. cit., p. 48.
9 Desarrollo económico de Chile, op. cit., p. 22-27.
On remarque que la vitesse de circulation de la monnaie a augmenté très rapidement, dans la plupart des hyperinflations historiques. Ainsi en a-t-il été au moment de la révolution d’Octobre, en Russie, ou en 1923, en Allemagne. Cependant, il semble que ce phénomène soit encore plus accusé, lorsque l’inflation se produit dans un pays sous-développé : les récentes inflations de la Grèce, de l’Irak, de l’Iran, de la Hongrie ou de la Chine, confirment ce fait. Dans le cas de la Chine, entre 1946 et 1949, on estime que la vitesse de circulation de la monnaie a augmenté trois fois plus vite que le niveau des prix.
10 Aspectos monetarios, op. cit., p. 162
Dans plusieurs pays d’Amérique du Sud, les dépôts à vue en devises représentent plus de 20 % de la valeur des dépôts en monnaie nationale. On ne dispose pas de statistiques pour le Chili, mais il semble que ce pourcentage soit également élevé.
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