Chapitre II. Expansion monétaire et inflation de crédit
p. 111-127
Texte intégral
1La politique monétaire et bancaire apparaît comme un instrument fondamental de la politique économique des gouvernements sud-américains, car elle doit suppléer, en partie, à l’insuffisance de la formation de capital. En effet, l’expansion du crédit est beaucoup plus rapide depuis la mise en œuvre des plans de développement. Cependant, étant donné le retard économique et institutionnel de ces pays, on constate que l’expansion abusive du crédit précipite souvent le rythme de l’inflation. C’est ainsi qu’au Brésil, E. Gudin49 affirme que « les erreurs de la politique du crédit sont une des causes essentielles des pressions inflationnistes actuelles, ce sont elles qui ont provoqué la hausse des prix et non l’inverse ». Les techniques bancaires, inspirées par les systèmes en vigueur dans les pays industrialisés, alimentent une expansion désordonnée du crédit, quand elles sont appliquées en Amérique du Sud. La rigidité de la production, l’étroitesse des marchés, la dépendance politique des autorités monétaires, à l’égard des appels de crédit du secteur public, comme du secteur privé, réclament des institutions, des règles de fonctionnement et de contrôle, qui ne sont pas celles des économies occidentales.
2Les risques inflationnistes du système monétaire et bancaire peuvent s’apprécier par rapport à un triple critère : celui de l’organisation, du fonctionnement et du contrôle. On constate, dès lors, que :
- Du point de que de l’organisation, la lacune essentielle des institutions monétaires et bancaires est l’insuffisance de la centralisation et de la coordination ;
- du point de vue du fonctionnement, les mécanismes d’expansion de la monnaie et du crédit reposent sur l’inobservation des règles de gestion bancaire ;
- enfin, du point de vue contrôle, on remarque que les autorités centrales ne disposent pas de moyens suffisants de persuasion auprès des banques pour contrôler la distribution et la répartition du crédit.
Section I. L’ABSENCE DE CENTRALISATION ET DE COORDINATION DES INSTITUTIONS MONÉTAIRES ET BANCAIRES
3La croissance des systèmes bancaires a été très rapide au cours des vingt dernières années, en Amérique du Sud, cependant le développement de ces institutions a été anarchique et les moyens de contrôle des autorités monétaires centrales sur les banques ont été très réduits. Les Banques centrales n’ont été investies du privilège de l’émission que depuis peu d’années et elles ne constituent pas encore une véritable « banque des banques », imposant à l’ensemble du système bancaire ses directives. Les banques privées se sont multipliées en conservant une grande autonomie et cette indépendance subsiste, même lorsqu’une nationalisation des principaux établissements bancaires est intervenue (Argentine). Cependant, les institutions bancaires varient beaucoup d’un pays à l’autre, c’est pourquoi nous donnerons tout d’abord un aperçu de la diversité des systèmes bancaires de l’Amérique du Sud, avant de dégager les lacunes essentielles du régime de l’émission et de l’organisation bancaire.
1° Diversité des systèmes monétaires et bancaires
4Les institutions monétaires et bancaires reflètent les différences de régime politique et de structure sociale. Nous nous bornerons à en citer quelques exemples :
- Dans les régimes fédéraux, on remarque que les gouvernements sud-américains ont souvent transposé l’organisation américaine des banques fédérales de réserve. C’est le cas du « Banco de la Répùblica » en Colombie50, mais le système nord-américain suppose, d’une part, que les réserves puissent être effectivement stérilisées et, d’autre part, que l’expansion secondaire du crédit dans l’ensemble du système bancaire, soit contrôlée par une simple modification des taux de réserve. Or, nous constaterons qu’un semblable système ne peut pas fonctionner rigoureusement, étant donné les faibles pouvoirs de la Banque centrale et le comportement des banques privées ;
- Dans d’autres pays, l’organisation du système bancaire a été profondément influencée par l’extension du secteur étatique. C’est ainsi que des instituts de développement (« Corporacciones de Fomento » au Chili, en Colombie et au Venezuela ; le « Banco Nacional de Desenvolvimento » au Brésil) ont été créés dans le but de faciliter la mise en valeur. Cependant, ces nouvelles institutions financières n’échappent pas aux influences privées, leur capital étant souvent, en partie, fourni par le secteur privé. Parfois des expériences de nationalisation ont eu pour but d’améliorer la gestion bancaire, mais elles ont entraîné une plus forte dépendance à l’égard des demandes de crédit du secteur public. C’est pourquoi le réseau bancaire est tantôt marqué par la prépondérance des banques privées (Brésil), tantôt par l’existence d’un secteur bancaire para-public très développé (Argentine).
2° L’absence d’unité du régime de l’émission et l’organisation des banques centrales
5L’absence de centralisation et de coordination des institutions monétaires et bancaires, en Amérique du Sud, provient essentiellement de l’insuffisance des moyens d’intervention des Banques centrales.
- Souvent, la Banque d’État partage le privilège de l’émission avec d’autres organismes. L’évolution du système monétaire brésilien est significative à cet égard. Jusqu’à 1945, la banque d’État, le « Banco do Brasil », ne disposait pas d’un privilège d’émission ; or, la réforme de 1945 n’a, en réalité, donné qu’une unité nominale au régime de l’émission. C’est ainsi qu’en 1954, le Trésor disposait, en principe, du privilège d’émission et pourtant n’assurait que la moitié de l’émission de papier-monnaie (28 milliards de Cruzeiros sur 60 milliards de Cruzeiros), le reste l’étant par trois directions de la Banque du Brésil, disposant d’une grande autonomie51.
- La faiblesse des pouvoirs de la Banque centrale provient également de l’insuffisante coordination entre les autorités responsables de la politique monétaire. Le système bancaire brésilien est encore ici un des exemples les plus frappants. Il n’existe pas de véritable banque centrale, mais la juxtaposition de divers organismes imparfaitement coordonnés. Le rôle directeur de la politique du crédit a seulement été confié à une super-intendance du crédit, « la Superintendencia da Moeda e do Credito » (S.U.M.O.C.)52, sorte de Conseil National du Crédit, dont les pouvoirs sont en réalité très insuffisants. A côté de cet organisme, la Banque d’État est subdivisée en départements qui disposent d’une grande autonomie et se plient difficilement aux directives de la S.U.M.O.C.53. C’est ainsi que la direction du réescompte et des emprunts bancaires dispose d’un pouvoir d’émission et ne peut pas refuser de prendre en charge des fonds d’État, lorsqu’elle est sollicitée par le Trésor ; les pouvoirs de ce département à l’égard du secteur bancaire sont partagés avec d’autres départements : une division générale du crédit et une division du crédit industriel et agricole. Les membres de la S.U.M.O.C. nommés directement par le pouvoir central peuvent être aisément révoqués. C’est pourquoi les directeurs de chacune des divisions de la Banque du Brésil disposent d’une autonomie suffisante pour résister aux directives de la S.U.M.O.C. D’autre part, les opérations relatives au commerce extérieur sont contrôlées par deux divisions supplémentaires ; celle des changes et celle des opérations d’export-import.
3° La croissance désordonnée des organismes bancaires
6L’implantation et la structure des réseaux bancaires, en Amérique du Sud, comporte de nombreux inconvénients imputables à un développement très rapide des établissements de crédit, dans un système monétaire décentralisé. Les défauts les plus fréquents de cette organisation sont : la dispersion des moyens financiers, la juxtaposition de réseaux bancaires inégalement développés, l’absence de crédit spécialisé.
a. Développement des établissements bancaires et dispersion des moyens financiers
7Les établissements bancaires se sont multipliés très rapidement, en Amérique du Sud, depuis la seconde guerre mondiale, étant donné l’augmentation des besoins de financement dans l’ensemble de l’économie. Le développement du réseau bancaire brésilien offre l’exemple d’un accroissement particulièrement rapide du nombre des banques. En effet, le nombre des établissements bancaires a augmenté de 70 % entre 1939 et 1945, puis de 115 % entre 1945 et 1956, si bien qu’il existe actuellement plus de 4.000 banques au Brésil. Ce développement a pour conséquence une extrême dispersion des moyens financiers, car la concentration bancaire reste très faible, le nombre des maisons-mères diminue lentement, tandis que les succursales se multiplient très rapidement54. Ce développement se poursuit sans heurt, parce que le climat d’inflation chronique empêche tout assainissement du marché, susceptible de révéler la fragilité de ces établissements. Sans doute, l’accroissement très rapide des dépôts bancaires semble justifier la nécessité de créer de nouveaux établissements ; mais, seul un mouvement de fusion des petites banques permettrait d’accroître la puissance et la sécurité des établissements de crédit. Le capital moyen par établissement bancaire est faible et n’a pas augmenté rapidement, en valeur réelle55.
b. La juxtaposition de réseaux bancaires inégalement développés
8L’implantation des réseaux bancaires, en Amérique du Sud, révèle la coexistence de plusieurs systèmes bancaires, répondant aux besoins particuliers de certaines activités économiques. Il s’agit, en réalité, d’une véritable « désarticulation institutionnelle »56, car ces types d’établissement ne sont pas interdépendants et n’assurent pas une circulation des capitaux dans l’ensemble de l’économie.
91. En premier lieu, on remarque de grandes différences de structure entre les établissements bancaires, selon leur caractère public ou privé, national ou étranger. Tel est le cas du Brésil, où ces différences sont très accusées.
10La Banque d’État est l’établissement bancaire le plus important du Brésil ; le « Banco do Brasil » reçoit autant de dépôts que l’ensemble des banques commerciales et prête davantage. L’implantation géographique des succursales de la Banque d’État est moins déséquilibrée que celle des banques commerciales, car les obligations de service public imposées à la Banque ont conduit à la création d’agences dans les régions déshéritées.
11Le réseau bancaire privé comprend, au Brésil, trois catégories d’établissements, dont la puissance financière est très inégale.
12Des banques étrangères, concentrées dans les régions portuaires et les centres industriels, qui effectuent surtout des opérations financières avec l’extérieur et les industries sous contrôle étranger. Ces grandes banques (35 au Brésil) ont des clients plus sûrs que les banques nationales, mais leurs méthodes de gestion sont souvent très proches de celles de l’ensemble du secteur bancaire. De même que les banques de dépôt nationales, les banques étrangères ont à la fois des fonctions commerciales et des fonctions d’investissement.
13Les banques de dépôt brésiliennes sont également implantées dans les régions riches, elles ont un très grand nombre de succursales et constituent à la fois des banques de dépôt et des banques d’affaires.
14Enfin, les « maisons de crédit » correspondent à de petits établissements, de faible capacité financière, ces établissements tendent à disparaître.
152. En second lieu, on remarque que de nombreux établissements financiers ont prospéré en marge des établissements bancaires et accomplissent les mêmes fonctions de crédit ou d’investissements, sans être pour autant soumis au contrôle des autorités monétaires. Tel est le cas des nombreux intermédiaires occultes dans certains secteurs spéculatifs, comme les plantations ou la construction. Mais surtout, le développement des institutions de sécurité sociale correspond à un circuit financier qui échappe au secteur bancaire et représente, dans des pays où le capital est rare, une source potentielle de crédit. Enfin, l’expansion des compagnies d’assurances constitue également un facteur supplémentaire de désarticulation, car le financement assuré par ces organismes ne bénéficie qu’à certains secteurs privilégiés de l’économie et forme un circuit financier autonome. Cependant, les gouvernements se sont efforcés d’utiliser ces institutions, en particulier, les compagnies d’assurances sont souvent obligées de détenir dans leur portefeuille des fonds d’État, c’est par exemple, le cas de la Colombie57.
c. L’absence de crédit spécialisé
16L’absence de séparation des fonctions commerciales et des fonctions d’investissment, en Amérique du Sud, explique que les institutions bancaire puissent remplir à la fois le rôle d’une banque de dépôts et celui d’une banque d’affaires, aussi les établissements de crédit jouent-ils un rôle essentiel dans le développement industriel. Dans les pays occidentaux, il est certain que les grandes banques d’affaires ont constitué l’une des forces motrices du développement industriel, mais, en Amérique du Sud, les banques présentent moins de garanties, car elles appuient plus volontiers les projets à caractère spéculatif, que les plans de croissance des firmes productives. Or, l’absence de crédit spécialisé est non seulement un facteur de vulnérabilité pour le système bancaire, mais elle conduit à une mobilisation incomplète de l’épargne et à une pénurie de crédit dans certains secteurs.
17C’est ainsi que la carence de banques agricoles organisée est une lacune générale des systèmes de crédit, dans les économies agricoles de l’Amérique du Sud. Dans les pays de la Plata, il existe des banques spécialisées dans les prêts à l’élevage : « le Banco de la Nacion Argentina » assure près de 40 % des prêts à l’agriculture58, mais, de façon générale, ces prêts sont accordés par la Banque centrale. En outre, l’insuffisance des caisses d’épargne, dans les zones rurales, conduit à négliger une source importante d’épargne.
18La possibilité offerte aux banques de conserver dans leur portefeuille des participations industrielles et surtout immobilières, explique que peu d’établissements soient spécialisés dans l’octroi de crédits spéciaux. C’est ainsi qu’il existe peu de banques hypothécaires organisées et que les banques de dépôt accordent des prêts immobiliers sans garanties réelles. De même, il n’existe pas de banques spécialisées dans le crédit aux opérations d’importation ou dans le financement des récoltes de café. Enfin, on remarque que les sociétés d’investissement sont peu développées, alors que cette formule permettrait de limiter les risques des prêts bancaires et d’atténuer la spéculation.
Section II. LES LACUNES DE LA GESTION BANCAIRE ET LES MECANISMES D’EXPANSION DU CRÉDIT
19La croissance du secteur bancaire, en Amérique du Sud, est allée de pair avec le maintien ou l’aggravation de règles de gestion très malsaines, qui paralysent les décisions des autorités monétaires et rendent inopérantes la plupart des réformes de crédit. Les principaux obstacles institutionnels à un déroulement sain du crédit se rattachent à trois faits essentiels :
- Les banques centrales n’observent pas les règles qu’elles imposent ;
- De nombreuses institutions financières échappent complètement aux contrôles monétaires ;
- Les banques privées adoptent des principes de gestion qui leur permettent souvent d’éviter les mesures de contrôle de la banque centrale.
1° Les banques centrales observent rarement les règles qu’elles imposent au reste du secteur bancaire
20L’une des causes essentielles de la faillite du contrôle du crédit est la dépendance des banques centrales à l’égard des demandes de crédit du gouvernement. Dès lors que la Banque centrale ne peut pas refuser d’accorder des avances au Trésor, pour couvrir le déficit budgétaire et de prendre en charge des fonds d’Etat, une restriction du crédit dans les banques privées est sans effet notable sur le rythme de l’expansion monétaire, puisque l’émission de papier monnaie est accrue.
21D’une part et surtout, la Banque centrale est souvent la principale banque de dépôt, aussi peut-elle maintenir une forte expansion du crédit, lorsqu’elle ne réduit pas le volume de ces prêts. La dépendance de la Banque centrale à l’égard du secteur public provient de ce que, souvent, plus de 20 % de ses fonds proviennent de titres publics et ce pourcentage joue un rôle d’autant plus décisif, qu’une proportion élevée de l’actif est constituée par des réserves de devises59.
22D’autre part, les crédits accordés au secteur public représentent un pourcentage très élevé des prêts de la Banque centrale. Le cas du Brésil est très net, lorsqu’on compare la répartition des prêts de la Banque du Brésil, en 1954 et 1957 ; on constate que les crédits au secteur public sont devenus prépondérants, étant donné la nécessité de couvrir le déficit croissant des finances publiques.
2° Certaines institutions échappent complètement aux décisions des autorités monétaires
23L’absence de centralisation monétaire conduit à l’échec des efforts des autorités monétaires pour enrayer l’expansion du crédit, parce que de nombreux circuits financiers leur échappent. Lorsque les banques commerciales sont obligées de réduire leur capacité de crédit, les compagnies d’assurances et les établissements financiers non bancaires, disposant d’amples réserves, peuvent accroître rapidement leur capacité de prêt. Les moyens de persuasion des autorités monétaires à l’égard de ces organismes, « ont très limités, sauf lorsqu’elles peuvent imposer l’achat de fonds publics. Au Brésil par exemple, la S.U.M.O.C. ne dispose pas de moyens de contrôle sur les compagnies d’assurances, sur les caisses d’épargne des États ou sur les organismes de sécurité sociale60. Les décisions des autorités monétaires n’ont qu’une efficacité très limitée, étant donné l’étroitesse de leur champ d’action, mais en réalité, les pratiques bancaires des établissements de crédit, soumis au contrôle des autorités monétaires, constituent un obstacle permanent à l’application d’une politique monétaire.
3° Les pratiques bancaires alimentent une expansion permanente de crédit et réduisent l’efficacité de tout contrôle de crédit
24La rapidité de l’expansion du crédit à travers le système bancaire s’explique par l’inobservation de certaines règles de gestion. Ces pratiques apparaissent, lorsqu’on examine les documents bancaires, dans la structure des comptes. On constate alors que les valeurs d’actif sont vulnérables et peu sûres, que les conditions de prêts sont peu rigoureuses et que les rapports entre les dépôts et les crédits sont dangereux. Ces trois éléments montrent que les règles traditionnelles de prudence de la profession bancaire ne sont pas observées.
a. Vulnérabilité des ressources du système bancaire
25Les ressources des banques commerciales sont essentiellement constituées par des dépôts, car leurs ressources propres sont limitées, étant donné la faiblesse de leur capital social61. En 1954, les dépôts représentent 83 % du passif des banques étrangères et 91 % dans les banques de dépôt brésiliennes. Or, ces valeurs d’actif sont peu sûres, parce qu’elles ne comprennent que très peu de dépôts à moyen terme, mais près de 80 % de dépôts à vue ou à court terme. Lorsque le rythme de l’inflation est très rapide, les particuliers et les entreprises ne déposant leurs fonds que pour des périodes très courtes et les ressources des banques deviennent encore plus liquides. Cette évolution est très nette au Chili, où les dépôts d’épargne et les dépôts à terme ont diminué en valeur relative, entre 1950 et 1956, les dépôts à vue représentant plus de 96 % du total des dépôts62.
b. Absence de précautions dans l’octroi des crédits
26L’absence de rigueur de la gestion bancaire, en Amérique du Sud, provient, en grande partie, de ce que les banques n’ont jamais besoin de chercher à étendre leur clientèle, étant donné que les difficultés de financement des entreprises sont générales et que l’expansion inflationniste de la demande semble écarter tout risque de récession et de déflation. Aussi, les prêts accordés par les banques comportent de nombreux risques, quant à la solvabilité de l’emprunteur et à la nature des opérations.
271. Tout d’abord, la solvabilité de l’emprunteur est une considération souvent accessoire dans l’octroi du crédit, étant donné que l’inflation offre à toutes les firmes la possibilité de spéculer sur stocks et de réaliser ainsi des profits, bien que les prix de revient soient très élevés. Mais surtout, le crédit est réservé aux anciens clients de la banque, de préférence aux firmes nouvelles. Dans les banques brésiliennes par exemple, les demandes de crédit sont accordées sur le vu de documents comptables incomplets, ne retraçant que l’activité principale de l’entreprise, et non les opérations auxquelles sont destinées les ouvertures de crédit. De plus, l’étude du bilan des firmes, en période d’inflation accélérée, ne révèle pas la situation économique et financière réelle de l’entreprise. Enfin, en l’absence d’une centralisation des risques bancaires, les banquiers accordent des ouvertures de crédit, sans vérifier la situation de leurs clients à l’égard des autres banques. Aussi, chaque entreprise, étant en relation avec plusieurs banques, les grandes firmes disposant d’ouvertures de crédit, dont le plafond n’est pas le même et, pour une même opération, elles peuvent disposer de nombreux prêts du secteur bancaire63.
282. En second lieu, la nature des opérations, pour lesquelles les banques commerciales accordent leurs prêts, est une source de vulnérabilité pour l’ensemble du système bancaire. Les prêts bancaires comportent deux risques opposés, d’une part, celui d’une immobilisation des fonds, d’autre part, celui d’une affectation du crédit à des opérations spéculatives et improductives.
29En volume et en valeur, les investissements bancaires ne représentent qu’une part relativement faible des prêts des banques commerciales. Au Brésil, Kafka64 a calculé que les placements à long terme des banques de dépôt ne dépassaient pas 10 % des prêts. Ces investissements correspondent, pour part égale, à des prêts hypothécaires, des placements immobiliers et des valeurs mobilières. Au Chili, ce pourcentage est également de 10 %, mais il est plus élevé dans le secteur bancaire public (13,5 % en 1955), que dans les banques privées (6,6 %). On constate que, lorsque le rythme de l’inflation est rapide, la part des investissements immobiliers et du portefeuille de valeurs mobilières augmente, aux dépens des fonds d’État : au Brésil, les placements à long terme constitués en fonds d’État dans les banques commerciales, ont diminué de 9 % en 1945 à 5 % en 195465 ; au Chili, les placements en obligations d’État représentaient 6 % des placements en 1945 et 0,1 % en 1955, tandis que les investissements en biens immobiliers passaient de 28 % à 35 %66.
30La répartition des prêts bancaires, selon les secteurs de l’économie, est caractérisée par la prédominance des prêts aux activités commerciales, et non aux activités directes de production. Au Brésil par exemple, la répartition des prêts bancaires, en 1955 et 1957, était la suivante :
31Les prêts à l’industrie et au commerce sont en majorité des prêts à court terme, comportant de faibles garanties et couvrant le déficit d’exploitation de certaines entreprises et des opérations de caractère spéculatif. C’est ainsi que, dans l’industrie, les crédits accordés par les banques sont souvent utilisés par les entreprises pour financer les augmentations de salaires ou d’impôts et facilitent la rétention des stocks, ainsi que le gonflement des importations. Enfin, l’extension du crédit à la consommation en Amérique du Sud, constitue une source supplémentaire de vulnérabilité du secteur bancaire. Cette situation n’est pas particulière au Brésil, et l’on remarque que le commerce reçoit, en moyenne 40 à 50 % du crédit bancaire, dans les autres économies sud-américaines.
c. L’absence de règles saines de gestion bancaire
32Un système bancaire ne peut présenter des garanties suffisantes de sécurité, que lorsque les établissements de crédit respectent des normes communes de gestion, concrétisées par l’existence d’un certain nombre de rapports entre les dépôts et les crédits, de façon à empêcher les banques d’immobiliser leurs dépôts dans des placements difficilement réalisables. Dans les systèmes bancaires anglo-saxons, ces règles de gestion sont inséparables des règles de contrôle du crédit67 car leur transgression rend inefficace toute mesure de contrôle quantitatif ou qualitatif du crédit.
331. Tout d’abord, on remarque que les « coefficients de trésorerie » ne sont pas respectés et que les éléments d’actif immédiatement réalisables sont relativement faibles, par rapport aux exigibilités à court terme. Au Brésil, bien que le coefficient global de trésorerie atteigne 20 à 25 %, alors qu’il est de 50 % en Grande-Bretagne, la gestion interne des banques est très malsaine. La fragilité du système bancaire provient surtout de la composition des dépôts et de la prédominance des dépôts à vue ou à très court terme. C’est ainsi que les dépôts à vue représentent 80 % du total des dépôts dans les banques brésiliennes et 96 % au Chili68. En outre, le « coefficient de liquidité », correspondant aux éléments les plus liquides de l’encaisse, c’est-à-dire le rapport espèces encaisse est également élevé, de l’ordre de 40 %. On remarque que ces coefficients varient beaucoup selon la catégorie d’établissement, en l’absence de normes communes. Au Brésil par exemple, la situation des banques étrangères, des banques de dépôt et des maisons de crédit est très différente.
342. En second lieu, la politique du réescompte de la Banque centrale a imposé aux banques commerciales de déposer une fraction de leurs dépôts auprès d’elle. Or, cette mesure a été souvent détournée de son but initial par les pratiques bancaires et a constitué, au contraire, un facteur d’expansion secondaire du crédit. Au Brésil, les banques commerciales conservent une part importante de leurs réserves en compte-courant à la Banque du Brésil, au-delà de leurs obligations légales69. Les banques commerciales peuvent ainsi échapper aux restrictions de crédit, lorsque les plafonds de réescompte sont relevés et alléger leurs charges financières, en reportant sur la Banque du Brésil la charge d’intérêt des dépôts en réserve.
Section III. L’INEFFICACITE DES POLITIQUES DE RESTRICTION MONÉTAIRE
35Les particularités de structure et de fonctionnement du système monétaire et bancaire, en Amérique du Sud, s’opposent à une application efficace des techniques habituelles du contrôle du crédit. Les réseaux bancaires sont concentrés dans quelques zones industrielles développées, aussi la répartition géographique du crédit tend à accentuer la désarticulation de l’économie et favorise la formation de circuits financiers indépendants. La juxtaposition de plusieurs systèmes bancaires, adoptant des normes de gestion différentes, s’oppose à l’application d’une politique d’ensemble du crédit dans le secteur bancaire. C’est pourquoi on constate que les mesures classiques du contrôle de l’expansion du crédit sont rarement suivies de l’effet recherché, qu’il s’agisse du contrôle quantitatif ou qualitatif.
1° Les difficultés d’application du contrôle quantitatif
36Les mesures importantes de restriction du volume du crédit rencontrent, dans le cadre institutionnel sud-américain, un triple obstacle : politique, économique et technique.
37Du point de vue politique, les bénéficiaires de l’expansion du crédit : planteurs, exportateurs, industriels ou collectivités publiques, sont les soutiens du régime et n’acceptent pas une modification de la politique traditionnelle.
38Du point de vue économique, une diminution brutale du crédit présente les mêmes inconvénients qu’une réduction des marges de profit, consécutive à une augmentation des salaires. Le crédit à court terme est une forme essentielle de l’investissement, aussi, une restriction brutale du crédit crée une menace de récession pour les firmes qui disposent de faibles ressources d’auto-financement. Certes, ce risque est souvent exagéré et avancé comme un argument irréfutable par les groupes d’intérêt de l’industrie, du commerce et de la grande agriculture. En effet, une restriction globale du crédit aurait, de toute façon, des effets sélectifs, car elle assainirait le marché, en éliminant les producteurs marginaux, les intermédiaires inutiles et les entreprises spéculatives. Cependant, il est également certain qu’une restriction quantitative du crédit défavorise les entreprises nouvelles au profit des firmes anciennes, dont les techniques de production sont plus archaïques.
39Enfin, du point de vue technique, les moyens de contrôle habituels sont peu utilisables, en raison de particularités institutionnelles et fonctionnelles du système bancaire.
40Les instruments de contrôle dont dispose la Banque centrale pour modifier le volume de la distribution du crédit sont essentiellement au nombre de trois : l’action sur les réserves des banques, la modification des planchers d’effets publics et la variation des plafonds de réescompte. Or, on constate que, dans ces trois domaines, l’autonomie de gestion acquise par les banques privées et la perversion de certains mécanismes monétaires (taux de l’intérêt) réduisent considérablement la portée de ces mesures. Enfin, il faut remarquer que ces techniques sont fréquemment employées simultanément par les autorités monétaires.
a. L’action sur les réserves des banques
41La faculté, pour les autorités monétaires, de faire varier les encaisses minima des établissements de crédit, existe dans de nombreux pays d’Amérique du Sud, soit parce que le contrôle du crédit est inspiré de l’organisation du « Federal Reserve Board » aux États-Unis, tel est le cas de la Colombie, soit parce que cette politique a été imposée par l’absence de marchés financiers et la perversion du taux de l’intérêt.
42Dans un système monétaire centralisé, discipliné et coordonné, une très faible variation des taux de réserve, de l’ordre de 1 ou 2 %, suffit à modifier radicalement les réserves, déterminant la capacité de crédit des établissements, et permet de neutraliser ainsi une fraction importante de l’expansion de crédit. Aux États-Unis, par exemple, la variation du taux des réserves légales détermine un coefficient d’expension du crédit, qui constitue une sorte de multiplicateur bancaire70. Si le pourcentage de réserves légales est élevé de 20 à 25 %, cette mesure signifie que, pour chaque dollar de réserve, les banques ne pourront plus prêter que 4 et non 5 dollars.
43En Amérique du Sud, l’autonomie des banques privées et la liberté de gestion, dont elles disposent, constituent un obstacle décisif à l’efficacité de ces mesures. Le système bancaire dispose en effet de nombreux moyens pour se dégager des servitudes d’un accroissement du taux de réserves obligatoires.
44Tout d’abord, pour que l’augmentation des taux de réserve puisse réduire la capacité de crédit des établissements de crédit, il faudrait que les banques centrales fussent assez rigoureuses pour n’accorder aux banques commerciales, sous forme d’avances ou de réescompte, aucun crédit supérieur aux réserves minima. Or, on remarque que ces prêts de la Banque centrale sont très supérieurs au montant des réserves, c’est ainsi qu’en 1955, les prêts de la Banque centrale de l’Équateur aux banques de développement excédaient de quatorze fois les réserves imposées à celles-ci71. Entre 1953 et 1955, période d’inflation rapide, on constate que les prêts des banques centrales aux banques commerciales ont augmenté de 256 % en Uruguay et de 187 % au Chili et dans ce dernier pays, ceux-ci représentaient 26 % de la capacité de crédit des banques commerciales72.
45Mais, surtout, les obligations de réserves peuvent être détournées, grâce à la liberté de gestion des banques privées. C’est ainsi qu’au Brésil, les dépôts en compte courant à la Banque du Brésil ne réduisent aucunement la capacité de crédit des banques. Bien plus, lorsque le gouvernement brésilien impose une seconde réserve auprès de la S.U.M.O.C., on constate que cette mesure peut également être atténuée, dans la mesure où les banques peuvent souscrire à cette réserve, à concurrence de 50 % en bons du Trésor.
b. L’action sur les planchers d’effets publics et la politique d’open-market
46Les politiques d’open-market ont joué jusqu’à présent un rôle secondaire dans la politique du crédit, en Amérique du Sud. Ce fait résulte de l’étroitesse des marchés financiers et de ce que la plus grande partie des fonds d’État est placée auprès des collectivités locales et des entreprises publiques, et non dans le secteur bancaire. C’est pourquoi, les gouvernements doivent recourir directement à l’émission de papier-monnaie pour financer les déficits budgétaires, faute de pouvoir prélever des fonds dans le secteur bancaire. Même dans les économies sud-américaines, où l’inflation est modérée, la demande de fonds publics est très réduite, étant donné le faible taux d’intérêt versé par l’État. Or, le contrôle des autorités monétaires est très limité, lorsque ces fonds sont conservés par les collectivités locales et les compagnies d’assurance privées ou publiques. Les mesures adoptées, pour encourager la diffusion des titres d’État dans le système bancaire, ont généralement été suivies de peu d’effet. Tantôt, la création de Fonds de Soutien des Rentes a eu pour effet d’amortir les fluctuations de cours des obligations ; il en est résulté un surcroît de discrédit pour ces titres, sur lesquels il devenait impossible de spéculer. Tantôt, les gouvernements ont accordé des avantages aux souscripteurs de bons du Trésor et d’obligations à moyen terme, dans le but d’accroître la liquidité de ces titres ; cette mesure constitue une menace supplémentaire pour la solvabilité des banques73. Tantôt enfin, les bons du Trésor sont admis par la Banque centrale comme éléments susceptibles de constituer une fraction importante des réserves légales des banques. Le Trésor peut ainsi procéder à des émissions monétaires supplémentaires, en plaçant des bons du Trésor dans le système bancaire, mais sans réduire leur capacité de crédit, si bien que l’expansion monétaire est suivie d’une expansion de crédit74.
c. L’action sur les plafonds de réescompte et la politique du taux d’intérêt
47La politique du réescompte est l’un des instruments les plus habituels du contrôle du crédit, en Amérique du Sud, mais plus que tout autre moyen, il se heurte à l’insuffisance de la centralisation monétaire et à des pratiques bancaires qui permettent d’en annuler les effets. Pour que le taux de réescompte de la Banque centrale joue un rôle efficace dans la distribution du crédit, deux conditions sont nécessaires :
- Les banques privées doivent être fortement endettées à l’égard de la Banque centrale ; or, les prêts de la Banque centrale représentent rarement plus de 20 % de la capacité de prêts des banques commerciales et souvent moins de 10 % (Brésil, Pérou, Venezuela).
- Le renchérissement des conditions de réescompte devrait constituer une lourde charge financière pour les banques, qui ne se plient pas aux directives de la Banque Centrale ; or, il est certain que la modification du taux de réescompte de la Banque Centrale n’est pas susceptible de modifier sensiblement le volume du crédit accordé par les banques commerciales. En effet, le taux d’intérêt est presque toujours inférieur au taux annuel de dépréciation de la monnaie. Au Brésil par exemple, le pouvoir d’achat de la monnaie a diminué dans les dix dernières années en moyenne de 15 % par an, or, le taux maximum de l’intérêt est de 12 %. C’est pourquoi, même lorsque le coût du crédit augmente, les banques doivent toujours faire face à une demande croissante de crédit. Enfin, l’intérêt du capital ne représente, en moyenne, qu’une fraction peu élevée du prix de revient et l’octroi du crédit compte beaucoup plus que son coût75, l’intérêt payé n’étant jamais suffisamment élevé pour réduire les marges de profit de l’industrie ou du commerce.
48Les politiques tendant à instituer les plafonds de réescompte ne rencontrent également qu’un faible succès. Le cas le plus frappant est, à cet égard, celui du système monétaire brésilien et l’échec du relèvement des plafonds de réescompte en 1954 est particulièrement significatif.
49Dès 1952, les lois bancaires prescrivaient aux établissements de crédit de constituer des réserves minima. En 1945, lors de la réforme du « Banco do Brasil », les banques commerciales furent obligées de constituer en réserve 15 % des dépôts à vue et 10 % des dépôts à terme et une seconde réserve auprès de la S.U.M.O.C., comprenant 8 % des dépôts à vue (dont la moitié peuvent être convertis en bons fédéraux) et 4 % des dépôts à terme. Ces réserves traditionnelles atteignent au total 17 à 19 % des dépôts76 Or, ces mesures n’ont guère freiné le rythme de l’expansion du crédit ; entre 1950 et 1954, la production a augmenté annuellement de 5 % par an et le volume du crédit de 25 %77.
50En 1954, devant l’aggravation de la situation financière, le Ministre des Finances E. Gudin décida de relever les plafonds de réescompte. L’instruction 108 de la S.U.M.O.C., d’octobre 1954, imposait un nouveau plafond de réescompte, les banques devaient constituer, auprès de la S.U.M.O.C. et non plus de la Banque Centrale, de nouvelle réserves correspondant à 50 % de l’accroissement des dépôts. Cette mesure, s’ajoutant aux réserves obligatoires traditionnelles et s’imposant même au « Banco do Brasil », permit de stabiliser le volume du crédit jusqu’à la fin de l’année. De plus, le taux d’escompte était porté de 6 % (mai) à 10 % (octobre). Mais ces mesures échouèrent et les dépôts constitués auprès de la S.U.M.O.C. furent restitués aux banques, ce remboursement engendra une inflation de crédit particulièrement rapide en 1955, puisque l’augmentation des prêts dans les banques commerciales fut de 1 % entre Septembre 1954 et Mars 1955, puis de 10 % entre Mars et Octobre 1955 et la même expansion s’est produite pour le « Banco do Brasil »78. De plus, le montant des titres réescomptés a augmenté de 50 % au cours de cette période. Aussi, l’ensemble des moyens de payement s’est accru de plus de 20 %.
51Les causes immédiates de l’échec sont évidentes, une telle mesure ne pouvait que déclencher des réactions politiques brutales et immédiates, parce qu’une restriction de crédit aussi massive créait des menaces de récession économique. Une mesure moins brutale aurait été probablement totalement inefficace. En effet les décisions de la S.U.M.O.C. ne s’imposent qu’à une fraction du système bancaire et les banques privées peuvent masquer l’accroissement de leurs dépôts par la pratique des dépôts bancaires. Mais surtout, la dépendance du « Banco do Brasil » à l’égard des pouvoirs publics est telle que le volume de l’émission monétaire est accru, lorsque se produit une contraction de crédit. C’est pourquoi, les demandes d’aide financière des États, des « Autarquias », du gouvernement et de l’ensemble du secteur privé conduisent à une politique d’émission de papier-monnaie, annihilant rapidement les avantages éventuels d’une restriction de crédit.
2° L’insuffisance des moyens de contrôle sélectif
52Une politique sélective du crédit paraît appropriée aux objectifs de croissance des pays sous-développés, or, il semble que ce type de politique soit très difficile à expliquer et ne conduise pas aux résultats escomptés.
53Tout d’abord, le crédit bancaire en Amérique du Sud est utilisé souvent pour faciliter la réalisation d’opérations commerciales ou spéculatives et non pour financer la modernisation ou l’extension des entreprises. La répartition du crédit contribue donc fortement à la mauvaise répartition des capitaux et à la faiblesse de la productivité du capital79.
54Si, à court terme, une différenciation du crédit en faveur des activités prioritaires semble pouvoir atténuer le climat inflationniste, certains auteurs considèrent que cette politique serait inefficace à long terme et créerait de nouvelles rigidités institutionnelles. Ainsi, un expert du Fonds monétaire international, I. Patel80 affirme que, lorsque le crédit sélectif suscite de nouvelles opportunités d’investissement, des crédits préférentiels accordés temporairement risquent de subsister et de créer des secteurs abrités. Bien plus, ces discriminations ne suffiront pas à décourager la spéculation foncière, car l’entrepreneur attache peu d’importance aux taux d’intérêt bancaires.
55Il convient de remarquer que les contrôles sélectifs du crédit ont été rarement appliqués en Amérique du Sud. Ces contrôles sélectifs peuvent revêtir trois formes ; selon que l’autorité monétaire entend agir sur le taux d’intérêt, les réserves ou les plafonds de réescompte.
- Les autorités monétaires utilisent souvent le taux d’escompte de la Banque centrale, dans le but de modifier la répartition du crédit. C’est ainsi qu’au Chili, la Banque centrale applique 29 taux différents81. Or, il est évident que si le taux d’escompte, pour des opérations immobilières, est supérieur de quelques points par rapport à celui qui est appliqué aux opérations industrielles, cet accroissement de coût ne décourage nullement la spéculation. De plus, l’État est incité à utiliser les taux de réescompte, bien plus comme un instrument d’intervention économique, que comme un simple instrument de contrôle monétaire et, dès lors, le souci de contrôler la répartition du crédit conduit à négliger celui d’en réduire le volume.
- La manipulation des taux de réserve et des planchers d’effets publics peut également être utilisée pour encourager certaines activités, en adoptant des mesures plus libérales pour certaines banques et des mesures de restriction à l’égard des banques qui pratiquent des opérations jugées peu favorables au développement. En outre, certains fonds publics peuvent être reçus dans des conditions plus favorables pour le calcul des taux de réserve. C’est ainsi par exemple qu’au Chili et en Colombie, certains titres d’emprunt lancés pour le financement de plans de mise en valeur, sont imposés aux banques dans la constitution de leurs réserves.
- Enfin, les plafonds de réescompte imposés au secteur bancaire peuvent varier, selon l’activité de la banque ou la nature des opérations. Les possibilités de réescompte sont souvent plus favorables pour les banques de développement, que pour les banques de dépôt82.
56De façon générale, les contrôles sélectifs sont peu développés, en particulier les secteurs les plus spéculatifs échappent à cette forme de contrôle. Depuis quelques années cependant, les autorités monétaires ont adopté des mesures spéciales de restriction du crédit pour freiner les spéculations sur importations. En particulier, les banques doivent exiger de l’importateur un cautionnement préalable, c’est le cas du système brésilien, par exemple.
Notes de bas de page
49 E. Gudin, Inflação, Credito e Desenvolvimento…, op. cit., p. 61.
50 B.I.R.D., A development plan for Colombia, 1951.
C.E.P.A.L., El desarrollo Economico de Colombia, 1957.
51 Anuario Estatistico do Brasil 1957, p. 183.
En 1938, la monnaie de papier avait été émise exclusivement par le Trésor (4,8 milliards de cruzeiros, en 1945 (année de la réforme bancaire), le Trésor n’a émis que 12,6 millards sur 17,5 et, en 1956, 39 milliards sur 80,8, le reste de l’émission étant assuré par la division du réescompte (34,8 milliards de cruzeiros) et la Caisse de mobilisation bancaire (7 milliards de cruzeiros).
52 J. R. Boudeville, Système monétaire brésilien et système monétaire français, mélanges Gudin, Rio 1957, p. 44-45.
53 J. Wolff, Quelques aspects de la désarticulation de l’économie brésilienne, Cahiers de l’I.S.E.A., série F, no 7, p. 50.
54 Spiegel, The Brasilian Economy…, op. cit., p. 61.
Anuario Estatistico de Brasil 1957, p. 200.
En 1959, il y avait 1.300 établissements bancaires ; en 1945 : 2.074 et en 1956 : 4.257. Cependant, tandis que les succursales ont plus que doublé (1.565 en 1945 et 3.897 en 1956), les maisons-mères se sont concentrées, diminuant de 509 à 360.
55 J. Wolff, Quelques aspects…, op. cit., p. 39 et Anuario Estatistico do Brasil 1957.
Le capital du total des établissements bancaires ont passé de 3,5 milliards de cruzeiros en 1945 à 16,2 milliards de cruzeiros en 1956, cependant que les prix avaient quadruplé ; en valeur réelle, l’augmentation est relativement faible. Le capital moyen, dont disposent les maisons-mères et leur ensemble de succursales (en moyenne 7) a augmenté pour le système des banques de dépôt brésiliennes, de 2,5 fois entre 1946 et 1954, alors que le coût de la vie a doublé.
56 J. Wolff, Quelques aspects…, op. cit., p. 37-50.
Les difficultés de fonctionnement du réseau bancaire s’expliquent à la fois par des facteurs géographiques (répartition inégale des centres d’activité économique et de la richesse), par des facteurs économiques (les réseaux bancaires ne peuvent se créer que dans les secteurs intégrés aux marchés et une part importante de la circulation des capitaux s’effectue à travers des institutions non bancaires) enfin, par des facteurs institutionnels (il existe plusieurs catégories d’établissements financiers, imparfaitement subordonnées aux autorités monétaires centrales).
57 C.E.P.A.L., El Desarrollo Economico de Colombia, Mexico 1957, p. 118-119.
En 1953-1954, les banques commerciales avaient placé, pour environ 100 millions de Pesos en obligations publiques ou actions, cependant, les compagnies d’assurances plaçaient pour plus de 160 millions de Pesos, dont la moitié en fonds d’État.
58 C.E.P.A.L., Economio Survey of Latin America 1948, op. cit., p. 134.
59 C.E.M.L.A., Aspectos Monetarios de las Economias Latino-Americanas 1956, Mexico 1957, p. 168, op. cit.
60 J. Wolff, Quelques aspects…, op. cit., p. 51.
61 J. Wolff, Quelques aspects…, op. cit., p. 39.
62 Desarrollo Economico de Chile 1940-1956, Instituto de Economia, Santiago 1956, p. 48.
63 Cf. J. Wolff, Documents non publiés, I.S.E.A.
Nous empruntons, pour ces développements, de nombreux faits et des idées déjà exprimées par l’auteur, dans ses recherches sur le système monétaire et bancaire du Brésil.
64 Kafka, Survey of the Banking System in Brasil, in : Comparative Banking Systems, H. Bekhart, 1952.
65 Anuario Estatistico de Brasil 1957, p. 203.
En 1955 et 1957, les immobilisations des banques commerciales ne dépassent guère 5 % de l’actif, soit 24 milliards de cruzeiros sur 441 milliards de cruzeiros.
66 Desarrollo Economico de Chile…, op. cit., p. 56.
67 Statistiques et Études Financières, Le contrôle du crédit à l’étranger, supplément de Finances comparées en 1954.
Notes et Études documentaires, Le Crédit en Grande-Bretagne, 1953, nos 1.710 et 1.715.
68 J. Wolff, Document non publié précité.
Desarrollo Economico de Chile…, op. cit.
69 G. Kingston, A expansão de credito no sistema bancario, R.B.E., septembre 1948, p. 21.
Credit expansion in the Brasilian Banking System, Bulletin of the International Statistical Institute, t. XXXIV. Rapport à la session de Rome, septembre 1953, p. 3 et 7.
70 M. Rist, La Federal Reserve et les difficultés monétaires d’après-guerre, Fondation des Sciences Politiques no 34, Colin 1954, p. 16.
71 Aspectos Monetarios…, Mexico 1957, p. 187.
72 Aspectos Monetarios…, p. 178.
73 C.E.P.A.L., Estudio Economico de America Latina 1955, op. cit., p. 162.
« Le degré élevé de liquidité des titres d’État constitue, par définition, une menace pour la solvabilité des institutions chargées de les gérer, et pour l’application effective de la politique monétaire et fiscale. A tout moment, peuvent survenir des ventes de caractère spéculatif, précisément dans la conjoncture où le gouvernement désire réduire la liquidité de l’économie ou dans celle où il a besoin d’un surcroît de crédit ».
74 G. Kingston, A expansão de credito no sistema bancario, op. cit., p. 16.
L’auteur a calculé un coefficient d’expansion primaire et secondaire du crédit, qui semble principalement influencé par le niveau élevé des coefficients de liquidité du système bancaire. Cette expansion cumulative du crédit est également imputable à l’importance des dépôts inter-bancaires, qui masque le niveau réel des réserves. Si les banques privées avaient limité leurs dépôts à la banque du Brésil à 15 % (minimum légal), le coefficient d’expansion bancaire, en 1946, serait tombé de 3,02 à 2,58.
75 Aspectos monetarios de la economias latino-americanas, op. cit., p. 184.
76 J. R. Boudeville, Système monétaire brésilien et système monétaire français, op. cit., p. 53. B.F.I., Évolution de l’économie des pays sud-américains, 1954, p. 16, 1955, p. 17.
Conjonctura Economica, Fevereiro 1958.
En 1956, le gouvernement brésilien a adopté de nouvelles mesures de contrôle du crédit. L’instruction 135 de la S.U.M.O.C. a pour but de stériliser 40 % de l’accroissement des dépôts dans les banques commerciales. Cependant, l’inflation de crédit s’est poursuivie et les moyens de payement ont augmenté de 34 % en 1956, autant du fait des émissions de la Banque du Brésil, que de l’expansion de crédit des banques privées.
77 E. Gudin, Inflação, Credito e Desenvolvimento, op. cit., p. 67.
78 E. Gudin, Inflação, Crédito e Desenvolvimento, op. cit., p. 119.
79 Aspectos monetarios…, op. cit., p. 189.
La distribution malsaine du crédit, à l’époque actuelle, comporte trois aspects principaux : le crédit est accordé, comme un capital circulant, pour financer invariablement la même catégorie d’opération et non pour les améliorer ; le crédit se concentre en quelques zones d’activité économique, qui sont déjà bien dotées en ressources financières ; en dernier lieu, il est concentré entre les mains de personnes qui en ont beaucoup moins besoin que d’autres, qui n’accèdent jamais au crédit bancaire.
80 I. Patel, Selective Controls in underdevelopped countries, F.M.I. Staff Papers, septembre 1954, p. 73.
81 Aspectos Monetarios…, op. cit., p. 191.
82 C.E.P.A.L., El Desarrollo Economico de Colombia, op. cit., p. 118.
En Colombie, le crédit à moyen et long terme est assuré essentiellement par les établissements du secteur bancaire public. Ces banques conservent d’importants dépôts du secteur public qui sont plus facilement admis au réescompte, tandis que les documents, détenus par les banques commerciales, sont plus difficilement réescomptable et doivent payer un taux plus élevé. Cette politique de taux différentiels a rencontré un succès certain, car les prêts à l’industrie des institutions officielles de crédit, négligeables jusqu’à 1950, sont devenus presque aussi élevés que les prêts à la construction, depuis quelques années. De même, les banques commerciales accordent un pourcentage plus élevé de leurs crédits à l’agriculture et à l’industrie (24 et 21 % de leurs prêts en 1954) ; cependant, les activités commerciales continuent à recevoir la moitié des prêts du secteur bancaire.
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