Conclusion : Problèmes du Guaïba
p. 130-135
Texte intégral
A. Problèmes hydrologiques
1° Le bassin
1Le Jacui, après Cachoeira, reçoit, outre le Taquari, des affluents modestes mais nombreux. Sur la rive gauche ils descendent du front de la cuesta qui borde le haut plateau ; sur la rive droite, ils naissent dans le bas plateau disséqué du Sud. Tous ces affluents, avant d’atteindre le Jacui, doivent traverser la dépression transversale : cette partie inférieure de leur cours atténue beaucoup leur violence mais non leur abondance : le plus important, le rio Pardo, ne semble pas avoir connu de débits supérieurs à 152 l/sec/km2 lors de la crue de 1953. Tous ces affluents ont vraisemblablement un comportement assez voisin de celui de l’Ibirapuitã : les 16.000 km2 qu’ils drainent doivent atténuer les débits relatifs des crues, augmenter ceux des étiages et jouer un rôle modérateur sur le Jacui ; celui-ci, d’autre part, n’a plus qu’une pente très faible de Cachoeira jusqu’à l’estuaire du Guaïba.
2Le Taquari, au contraire, garde une pente relativement forte jusqu’à son confluent avec le Jacui. En aval de Mussum, il reçoit d’abord des affluents de la zone disséquée du plateau ; ceux-ci ne semblent pas avoir d’autre influence que d’aggraver le caractère excessif de la rivière : à Bom Retira, pour un bassin de 24.900 km2, il semble qu’on ait observé des débits atteignant 535 l/sec/km2 en mai 1941 et ne dépassant pas 0,10 l/sec/km2 en avril 1945. En aval de Bom Retira, le Taquari reçoit encore quelques affluents : ils drainent la dépression transversale et devraient avoir une influence modératrice, mais ils ne représentent qu’un vingtième du bassin. La Taquari, qui coule entre des berges élevées même dans la partie inférieure de son cours, reste, en fait, jusqu’à sa confluence, la rivière la plus excessive du bassin du Guaïba.
3L’estuaire du Guaïba, formé essentiellement par le Jacui grossi du Taquari, reçoit enfin, sur sa rive gauche, à peu de distance en amont de Porto Alegre, trois affluents beaucoup plus modestes : le rio dos Sinos et le Caï descendent du front de la cuesta et malgré la traversée, dans leur cours inférieur, de la dépression transversale, paraissent assez violents ; ils drainent 8.000 km2. Le Gravataï, au contraire, avec un bassin de 2.000 km2, entièrement situé dans la dépression, appartient au type des affluents du Jacui inférieur.
4L’estuaire du Guaïba reçoit, à Porto Alegre, les eaux d’un bassin de 82.800 km2 qu’on peut schématiquement diviser de la façon suivante : 25.000 km2 appartiennent au type du Taquari à Mussum ; 38.000 km2 au type du Jacui à Cachoeira (Jacui jusqu’à Cachoeira, rio dos Sinos, rio Caï), 20.000 km2 au type Ibirapuitã. En fonction de cette division du bassin, on peut essayer de déduire, très approximativement, les caractères du Guaïba.
2° Abondance et régime
5En calculant pour chacune des parties du bassin la pluviosité annuelle moyenne entre 1940 et 1955 et en lui appliquant le coefficient correspondant au type auquel elle appartient, on obtient un module de 1.350 m3/sec soit 16,3 l/sec/km2. Le même calcul, pour chaque mois, donne une courbe des débits affectée d’un premier maximum en août et d’un second en octobre. Elle correspond à peu près à la courbe des moyennes mensuelles de hauteurs d’eau (fig. 62) donnée sous toutes réserves, pour le Guaïba à Porto Alegre, l’emplacement de l’échelle ayant été modifié et la série d’observations n’étant pas compléte. Le rapport entre les moyennes mensuelles extrêmes ne dépasserait pas 3,8.
3° Les crues
6Elles peuvent être catastrophiques, comme celle de 1941, où tous les quartiers bas de Porto Alegre furent inondés. Il faut, en fait, distinguer deux cas :
7Le plus généralement il n’y a pas concordance entre les crues du Jacui et celles du Taquari, celui-ci coulant beaucoup plus vite, sans action de freinage des débordements qui sont au contraire de plus en plus importants dans le Jacui inférieur. Les crues du Guaïba, sans être négligeables, ne prennent pas, dans ce cas, d’allure catastrophique. Les eaux du Taquari arrivent avec deux ou trois jours d’avance sur celles du Jacui, à la confluence des deux rivières. Il y a alors un contre-courant dans le Jacui, en amont de la confluence, par suite de la hauteur plus grande des eaux du Taquari, ce qui freine les crues de celui-ci. L’étalement de la crue du Taquari, le retard de celle du Jacui, tout contribue à donner aux crues du Guaïba un caractère plus modeste que la somme des crues des deux grands collecteurs, dans les cas ordinaires.
8Au contraire, lorsque plusieurs périodes successives de pluies s’abattent sur les deux bassins, il peut arriver que les flux coïncident : c’est alors la catastrophe pour Porto Alegre, comme en mai 1941. Cela a été d’autant plus grave, à cette date, que la dernière grande pluie a eu lieu le 4 mai sur le bassin du Jacui et le 5 mai sur celui du Taquari, supprimant ainsi une bonne partie du retard du Jacui. Le Guaïba a atteint la cote exceptionnelle de 4,65 m. à Porto Alegre, alors que la cote moyenne du mois de mai ne dépasse pas 80 centimètres (fig. 63). Cela représente un volume d’eau énorme, car le Guaïba, à Porto Alegre coule dans une plaine marécageuse, sans berges nettes, et son lit majeur a plus de 6 kilomètres de largeur. Plusieurs spécialistes ont tenté d’estimer le débit de pointe de cette crue de 1941 à Porto Alegre. Les chiffres varient entre 25.000 et 40.000 m3/sec. Il ne nous a pas été possible de reprendre ces calculs complexes d’estimation directe du débit. Tout au plus pouvons-nous raisonner indirectement, à la lumière des débits de pointe estimés par les services brésiliens, avec beaucoup de prudence, à Alegrete, Cachoeira et Mussum. La cote maximum a été observée le 7 mai à Porto Alegre. Or le 6 mai, l’étalement de la crue du Taquari vers l’amont du Jacui devait être terminé, car le Taquari avait été nettement plus haut que le Jacui le 5 mai. On peut donc penser que Porto Alegre a connu le 7 mai, un débit de pointe résultant des débits du 5-6 mai dans le Jacui, du 6 mai dans le Taquari et du 6-7 mai dans les affluents des 28.000 autres kilomètres carrés du bassin. Or, à ces dates, le débit aurait atteint 430 l/sec/km2 à Cachoeira, et 400 l/sec/km2 à Bôm Retiro ; par comparaison, on peut penser que les débits du Caï et du Rio dos Sinos ont été assez semblables à ceux du Jacui. Pour le reste du bassin, par analogie avec l’Ibirapuitã, on peut avancer un débit de 150 l/sec/km2. En pondérant la moyenne, on obtient un débit d’environ 350 l/sec/km2, soit environ 29.000 m3/sec, pour le 7 mai. Étant donné les étalements possibles, il semble raisonnable de considérer ce chiffre comme un maximum et de penser que le débit réel n’a peut-être pas excédé 25.000 mètres cubes.
4° Les étiages
9Ils dépendent aussi de la concordance entre ceux du Jacui et ceux du Taquari. Lorsque celle-ci est réalisée, les étiages sont très bas : le 11 avril 1945, la cote est descendue à 9 centimètres à Porto Alegre. Par la même méthode on peut essayer d’estimer le débit de ce jour de minimum : au contraire de celui des crues, le résultat sera exagéré puisque le calcul ne tiendra pas compte de l’évaporation de l’eau du Jacui et du Taquari entre le moment où elles passent à Cachoeira et le moment où elles atteignent Porto Alegre. Même avec cette exagération, le débit minimum reste faible : en effet, le 10 avril, on observait un débit de 0,4 l/sec/km2 à Cachoeira et de 0,3 l/sec/km2 à Mussum. Par analogie, on peut rattacher le Caï et le Rio dos Sinos au Jacui et le reste du bassin à l’Ibirapuitã où le débit était de 0,90 l/sec/km2. La moyenne pondérée donne un débit de 0,49 l/sec/km2 pour le Guaïba à Porto Alegre, soit environ 41 m3/sec.
10Cette valeur étant sans doute exagérée, le Guaïba reste un fleuve excessif, avec un rapport de près de 700 entre le maximum et le minimum. Par suite de cette violence des crues, et malgré la faiblesse de la pente, le Guaïba transporte peut-être jusqu’à Porto Alegre une grande quantité de matériaux solides.
B. Problème des transports solides
11Ce problème n’a pas été abordé au cours de cette étude, faute de documents : les services hydrologiques n’ont pas encore abordé, dans le Rio Grande do Sul, l’étude systématique des transports effectués par les rivières et il n’existe aucune mesure particulière, à ce sujet, pour le bassin du Guaïba. Nous nous contenterons donc, en conclusion, d’indiquer brièvement ce que nous avons pu noter personnellement au cours de nos randonnées dans le bassin.
12Une forte drague « aspirante » fonctionne en permanence dans le Guaïba, en amont de Porto Alegre, pour dégager le chenal navigable perpétuellement encombré de sables et de graviers apportés de l’amont. Les quantités retirées sont très grandes, mais, à notre connaissance, on n’y trouve pas de véritables galets. A cet apport solide s’ajoutent d’ailleurs certainement des quantités de boues en suspension, car les eaux sont très troubles et de couleur jaunâtre.
13Tous ces matériaux viennent aussi bien du Jacui que du Taquari, car ces deux cours d’eau transportent à chaque crue des milliers ou des dizaines de milliers de tonnes de matériaux. A Cachoeira, le Jacui au moment des crues apporte encore non seulement des sables et graviers, mais de nombreux galets, en général petits ou moyens ; dans l’énorme dépôt laissé par la dernière crue (1956), nous n’avons pas observé de galets plus gros que le poing. En eaux moyennes, le Jacui coule sur un fond de sables et de graviers dans un lit qui se modifie presqu’à chaque crue, par suite de la faible pente et du faible encaissement.
14Le Taquari, qui coule jusqu’à son confluent entre de hautes berges, avec une pente relativement forte, transporte jusque-là non seulement des sables et graviers, mais de gros galets, dont certains dépassent la grosseur d’une tête d’enfant.
15Finalement, aucun indice ne nous permet d’évaluer, même à 1.000 ou 2.000 % près, les transports de boues. Sont-ils de 50, de 200, de 500 tonnes par kilomètre carré, nous ne pourrons le savoir que par des mesures directes.
16Par contre, l’emploi judicieux de formules telles que celles de Meyer-Peter, permettrait peut-être à des services techniques d’estimer, sans trop d’erreur, les transports de matériaux de fond, gros sables et cailloux, car ces charriages tendent à atteindre les valeurs maxima possibles et se confondent avec les charges limites données par les formules, à condition que celles-ci soient suffisamment exactes. Faute de certitude sur ce dernier point, nous nous bornerons à dire que les charriages de fond effectués par le Jacui et surtout par le Taquari doivent être considérables, mais nous n’osons risquer de chiffres pour les caractériser. Signalons seulement, que même après Bom Retiro, dans la partie de son cours qui traverse la dépression transversale et s’entaille dans ses propres alluvions, le Taquari, a, par endroits, complètement nettoyé son lit et coule sur un fond rocheux qu’il faut entailler au pilon pour creuser un chenal navigable.
17Ces rivières, en effet, malgré leur violence, sont utilisées par la navigation : 300 barques, en moyenne, arrivent chaque nuit à Porto Alegre, venant du Jacui ou du Taquari. Le caractère excessif des cours d’eau, l’amplitude et la rapidité des changements de leur niveau, les rapides qui affectent leur cours, rendent leur utilisation difficile et dangereuse. Aussi le gouvernement brésilien a-t-il entrepris de les aménager, selon un plan d’ensemble dont le premier barrage est en cours de réalisation à Cachoeira. Mais, là encore, les caprices de ce fleuve instable rendent le travail très difficile : le Jacui s’est déjà vengé en arrachant par une crue imprévue, tous les premiers ouvrages. Que seront alors les représailles du Taquari, auprès duquel le Jacui fait presque figure de rivière calme, lui qui paraît pourtant si violent au regard du Paraïba do Sul ?
18Finalement, l’Ibirapuitã, le Taquari et le Jacui ont des régimes pluvieux à plusieurs maxima qui correspondent à une distribution complexe des pluies au cours de l’année. Faute d’une véritable saison sèche de longue durée, nous n’avons, à aucun moment, observé une quelconque influence d’un durcissement superficiel du sol sur l’efficacité des premières pluies, phénomène qui explique, au contraire, qu’en Afrique, aux mêmes latitudes, les crues les plus violentes surviennent au début de la saison pluvieuse.
19Ici, les rapports entre la pluviosité et l’écoulement sont dominés par le degré de saturation des sols au moment de la pluie. C’est ainsi que les plus grandes crues ne sont pas provoquées par les plus grandes pluies, mais par de fortes pluies tombant sur un sol saturé. Lorsque plusieurs chutes de pluie se succèdent à faible intervalle, les ondes successives qu’elles provoquent dans la rivière ont des coefficients d’écoule ment de plus en plus forts qui peuvent passer de 10-15 % à 85-90 %, ampleur de variation qui ressemble à celle qui a été observée pour le Pô en octobre-novembre 1928.
20Ce rôle des sols explique aussi que les pluies d’automne soient moins efficaces que les pluies de printemps : les coefficients d’écoulement de ces deux saisons sont respectivement de 30 et 42 % pour l’Ibirapuitã ; les pluies de printemps tombent, en effet, sur des sols saturés par les pluies d’hiver, tandis que celles d’automne tombent sur des terrains beaucoup plus secs, la température élevée empêchant les pluies d’été d’arriver à une saturation durable des sols. C’est encore un aspect qui rapproche nos rivières de la zone méditerranéenne, et en particulier du Rhône et de la Garonne.
21Bref, les rapports entre la pluviosité et l’écoulement dans la zone subtropicale du Brésil ne sont pas fondamentalement différents de ceux des régions tempérées chaudes. Les variations de température entre l’hiver et l’été sont assez amples pour exercer un rôle considérable sur l’abondance de chaque saison ; les pluies relativement violentes provoquent de fortes crues, surtout sur le plateau où les sols sont peu épais, mais les rivières méditerranéennes n’ont rien à envier au Jacui et au Taquari, de ce point de vue. La crue de mai 1941 donne un coefficient « A »1 de 76 à Cachoeira et de 84,5 à Bom Retiro ; ces valeurs sont voisines de celles qui caractérisent les plus fortes crues de la Garonne. Elles restent plus faibles que celles qui caractérisent certaines crues de l’Ardèche ou des rivières japonaises. Les étiages eux-mêmes sont assez voisins de ceux des rivières méditéranéennes à régime pluvial.
22A l’intérieur de la zone considérée, les différences entre l’Ibirapuitã, le Taquari et le Jacui sont commandées à la fois par les pentes et par l’épaisseur des terrains perméables. Tandis que le Taquari, dans le haut plateau aux sols peu épais, ressemble d’assez près à une rivière méditerranéenne, et que le Jacui ne s’en écarte pas énormément, ribirapuitã, qui coule au milieu d’un épais manteau de roches décomposées est beaucoup moins excessif : ses étiages sont moins creusés, ses crues plus étalées. Par un apparent paradoxe, son abondance est relativement plus grande, par suite de la rétention dans les parties inférieures du manteau d’altération, non soumises aux facteurs d’évaporation. Grâce à cette épaisseur des sols, les rivières de la dépression transversale bien que plus méridionales que celles du plateau, ont déjà des traits des véritables rivières tropicales : à la violence des pluies correspondent des extrêmes modestes par suite du rôle d’éponge joué par les sols. Ce facteur ne va plus quitter la scène, maintenant que nous aborderons l’étude du Paraïba.
Notes de bas de page
1 A = Q√S, voir à ce sujet : M. Pardé, Crues monstrueuses en fonction des surfaces réceptrices.
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