Chapitre IV. Le Jacui en amont de Cachoiera
p. 103-129
Texte intégral
1Comme pour l’étude du Taquari, nous sommes, pour celle du Jacui, en face du problème préalable de la documentation. Le poste de Cachoeira est le dernier, avant l’embouchure, à fournir des mesures de débit avec une garantie suffisante d’exactitude ; comme pour le poste de Mussum, sur le Taquari, nous avons réuni la série complète des débits mensuels du Jacui à Cachoeira, de 1940 à 1955, et quelques séries de débits journaliers.
2Cachoeira se trouve au commencement du Jacui inférieur ; celui-ci draine donc, en amont du poste, un bassin complexe qui groupe trois zones où les conditions d’alimentation diffèrent :
3La zone Est du bassin est formée par la partie inclinée du plateau, disséquée par les affluents de la rive gauche du Jacui et par le propre cours supérieur de celui-ci‘ orienté N.E.-S.O. La ligne de partage des eaux entre le Jacui et le Taquari culmine aux environs de 700 mètres ; les pentes sont encore relativement raides ; pourtant les vallées sont moins encaissées, les sols et la végétation forestière mieux conservés que dans le bassin du Taquari (fig. 38). L’inclinaison du trapp, d’autre part, fait bénéficier certains cours d’eau d’une alimentation exceptionnelle par les sources : en effet le trapp n’est pas formé d’une couche uniforme de basalte, mais de plusieurs coulées successives, séparées par des horizons de grès « intertrapp » qui constituent autant de niveaux hydrostatiques. Les vallées de cette partie orientale, lorsqu’elles ne sont pas strictement Est-Ouest, recoupent le trapp obliquement par rapport à son inclinaison structurale : chacun de ces niveaux est alors une zone de sources ; c’est le cas, en particulier, du Jacui supérieur.
4Dans la partie occidentale du bassin du Jacui moyen, les affluents coulent au contraire à contre-pendage et descendent d’une ligne de partage des eaux dont l’altitude n’excède pas 400 mètres en général. Cette zone est essentiellement déboisée.
5Depuis le début de son cours inférieur (arrivée dans la dépression transversale), à 40 kilomètres, environ, en amont de Cachoeira, jusqu’à cette ville, le Jacui reçoit enfin des affluents qui drainent la dépression transversale et le bord du plateau disséqué du Sud.
6Les mesures de débit actuellement effectuées ne permettent pas d’étudier avec précision le comportement de chacune des parties de ce bassin du Jacui en amont de Cachoeira. Nous disposons en fait d’un seul poste sûr, celui de Passo Bela Vista, situé légèrement en amont de la fin du cours supérieur du Jacui ; nous connaissons d’autre part l'hydrologie de la dépression transversale par l’étude de l’Ibirapuitã. Toute mesure fait défaut pour connaître l’autre partie du bassin.
7Après avoir rapidement dégagé les caractères du cours supérieur du Jacui, nous nous contenterons donc de décrire le résultat de l’interaction de ces trois parties du bassin sur le comportement du fleuve à Cachoeira.
I. Le Haut-Jacui à Passo Bela Vista (hors-texte 1)
8Sur une étendue de 3.812 km2, le bassin du Jacui, en amont de Passo Bela Vista, reçoit une moyenne de 1.700 millimètres de pluie par an ; la température moyenne annuelle n’y excède pas 18°. La rivière coule avec une pente moyenne de 2,1 m/km. Régime, abondance et crues donnent à la rivière des caractères intermédiaires entre ceux du Taquari et ceux de l’Ibirapuitã.
A. Variations saisonnières (fig. 46)
9Dans l’ensemble, les variations saisonnières restent semblables à celles du Taquari : hautes eaux de mai à octobre ; basses eaux de novembre à avril ; mais l’efficacité de chacune de ces périodes est légèrement supérieure, puisqu’elles ont respectivement 29 et 54 % comme coefficient d’écoulement, au lieu de 24 et 44 % pour le Taquari ; la pluie légèrement plus abondante ne suffit pas à expliquer cette différence qui place déjà le haut Jacui entre le Taquari et l’Ibirapuitã. Il y a de même un écart plus grand entre les deux périodes : là encore, c’est déjà une influence de l’Ouest où le maximum pluviométrique de janvier est moins abondant que dans l’Est de la région. Dans le haut Jacui, il suffit encore à provoquer un très léger bombement de la courbe des coefficients de débits, nettement plus faible, pourtant, que celui de la courbe du Taquari. A l’intérieur de la période des hautes eaux, remarquons enfin que la saison mars-août est moins efficace que la saison septembre-novembre (coefficients d’écoulement respectifs : 45 et 53 %) contrairement à ce qui se passe pour le Taquari où les coefficients sont 42 et 40 % : or à l’inverse du Taquari, le maximum pluviométrique de mai-juin est plus abondant, ici, que le maximum de septembre-octobre.
10C’est encore, semble-t-il, à la plus grande capacité de rétention des sols qu’il faut faire appel pour expliquer cet apparent paradoxe : les sols plus épais du haut Jacui, asséchés à la fin de la période des basses eaux, se gorgent d’eau pendant la première saison de la période des hautes eaux et réduisent ainsi l’efficacité directe des pluies, pour cette saison : saturés au commencement de la seconde saison des hautes eaux, ils donnent, au contraire, une efficacité directe accrue à ses pluies. Dans le Taquari, les sols moins épais sont plus vite saturés : ils n’ont alors pas d’influence d’une saison sur l’autre ; ils laissent la place principale à l’influence de la température et à la quantité brute de pluie de chaque saison.
B. L’abondance moyenne
11Elle se ressent aussi de l’influence des sols plus épais : avec 87,5 m3/sec, soit 23 l/sec/km2, pour une pluviosité de 1.700 millimètres, l’abondance du haut Jacui se situe, proportionnellement à la pluviosité, entre celle du Taquari et celle de l’Ibirapuitã : le déficit annuel ne dépasse pas 935 millimètres, il reste légèrement supérieur à la valeur générale proposée par M. Wundt qui est de 910 millimètres. 43,5 % des pluies tombées au cours de l’année sur le bassin s’écoulent en moyenne par an. Les variations du déficit annuel selon les années sont à peu près semblables à celles du Taquari, mais avec un décalage constant des valeurs absolues : le déficit croît régulièrement quand la pluviosité annuelle augmente de 1.200 à 1.700 millimètres et passe de 900 à 1.050 millimètres. A partir d’une pluviosité de 1.700 millimètres, il reste stable, aux alentours de 1.050 millimètres (fig. 47).
C. Les crues
12Leur étude nous conduit de nouveau à la même conclusion : elles sont proportionnellement plus violentes que celles de l’Ibirapuitã et moins violentes que celles du Taquari : du 15 avril au 12 mai 1941, le haut Jacui a reçu 690 millimètres de pluie, dont 62 % se sont écoulés ; le débit maximum n’a pas dépassé 425 l/sec/km21. La courbe des débits journaliers de cette période, comparée à celle du rio Guaporé, affluent du cours moyen du Taquari, montre une différence très nette (fig. 48). Alors que les deux dernières chutes de pluie ont provoqué deux clochers séparés extrêmement aigus dans le rio Guaporé, la rétention des sols a été suffisante pour qu’elles ne provoquent qu’une seule montée continue dans le haut Jacui ; le clocher est pourtant nettement plus aigu que celui de l’Ibirapuitã ; les berges élevées empêchent l’action de freinage des débordements. Le débit maximum du rio Guaporé a atteint 840 l/sec/km2, celui du haut Jacui 425, celui de l’Ibirapuitã n’a pas dépassé 168 l/sec/km2.
13Malgré une quantité nettement plus grande de pluies, le coefficient d’écoulement du haut Jacui, pendant cette crue est, nous l’avons vu, resté inférieur à celui de l’Ibirapuitã (62 % pour 690 mm de pluie contre 64 % pour 560 mm). Au cours de la crue de septembre-décembre 1953, le haut Jacui a reçu à peu près autant de pluie que le Taquari : le coefficient d’écoulement y a été supérieur et a atteint 70 % contre 63 % dans le Taquari.
14Non seulement les crues sont moins violentes que dans le bassin du Taquari, mais elles sont moins fréquentes et n’ont pas exactement la même répartition au cours de l’année (fig. 49). Alors qu’on trouvait de grandes crues en toutes saisons, dans le Taquari, une pluie violente mais isolée pouvant donner des débits de pointe très élevés, il faut ici un plus grand nombre de facteurs favorables pour que les débits atteignent des valeurs exceptionnelles : le maximum pluvieux de janvier ne suffit plus à provoquer de véritables crues : pendant l’été, on ne note aucun débit supérieur à 200 l/sec/km2, entre 1940 et 1955. Au cours de la période des hautes eaux on ne trouve, entre les mêmes dates, que six crues dont les débits maxima ont dépassé 200 l/sec/km2 : deux ont eu lieu en mai, une en septembre et trois en octobre : le mois de juin, d’autre part, n’a pas connu de grandes crues mais plusieurs crues moyennes : les débits maxima ont été quatre fois compris entre 150 et 200 l/sec/km2. Tous les maxima absolus mensuels, toutefois, sont supérieurs à 75 l/sec/km2. Finalement, la courbe des maxima moyens mensuels se calque sur celle des moyennes mensuelles, alors qu’il y avait distorsion entre les deux pour le Taquari.
15Les variations de débit sont donc moins fortes et plus régulières que sur le Taquari. Le rapport entre le maximum et le minimum absolus annuels nous porterait à croire qu’elles sont même moins fortes que celles de l’Ibirapuitã, puisqu’il ne dépasse pas 147 contre 224 pour cette dernière rivière. En fait c’est inexact et les crues du haut Jacui sont beaucoup plus violentes que celles de l’Ibirapuitã, comme nous l’avons vu : le rapport entre le maximum et le minimum est faussé par le fait que les étiages du haut Jacui sont exceptionnellement élevés.
D. Les étiages
16A aucun moment, entre 1940 et 1955, les débits ne sont descendus au-dessous de 11 m3/sec, soit 2,9 l/sec/km2 (fig. 50). Deux facteurs viennent expliquer que les étiages soient supérieurs aussi bien à ceux de l’Ibirapuitã qu’à ceux du Taquari : le haut Jacui bénéficie, dans la partie orientale de son bassin, de la zone de maximum pluviométrique général de Soledade où les pluies sont les plus abondantes et surtout les plus fréquentes : on pourrait penser que les débits ne sont jamais descendus au-dessous de 2,9 l/sec/km2, parce qu’entre 1940 et 1955, il n’y a jamais eu de périodes de sécheresse assez longue. En étudiant celle de mars-mai 1945, on voit que cette explication ne suffit pas. Après chaque chute de pluie, les courbes de débits redeviennent toujours subhorizontales à partir d’un débit de 11 m3/sec. et y restent, quel que soit l’intervalle entre les chutes de pluies (fig. 51).
17L’absence d’étiages faibles dans le haut Jacui doit s’expliquer en fait par les conditions spéciales d’infiltration des eaux et d’alimentation par les sources, dues à la structure du trapp à cet endroit. Ces conditions disparaissent dans la plus grande partie du bassin du Jacui en aval de Passo Bela Vista : les étiages se creusent et reprennent à Cachoeira une place intermédiaire entre ceux du Taquari et ceux de l’Ibirapuitã.
II. Le Jacui à Cachoeira
18Le bassin complexe du Jacui, en amont de Cachoeira, reçoit, sur 30.466 km2 une moyenne de 1.540 millimètres de pluie par an. La température annuelle atteint 19° ; la pente du fleuve après la chute de Salto Grande, qui limite le cours supérieur du Jacui, est en moyenne de 0,80 mètre par kilomètre jusqu’aux alentours du coude où, dans la dépression transversale, il prend une direction O.-E. A partir de ce moment sa pente devient beaucoup plus faible et ne dépasse pas en moyenne 0,07 mètre par kilomètre, de ce point jusqu’à la confluence avec le Taquari (fig. 10). Cela n’empêche pas le cours du Jacui de renfermer des zones de rapides, séparées par des paliers où la pente est presque nulle. Les berges du lit mineur, qui restent dans l’ensemble élevées dans le cours moyen, ne sont plus que de quelques mètres dans les parties en palier de son cours inférieur, ce qui entraîne de très vastes débordements lors des crues. Bien que moins excessif que le Taquari, le Jacui, en effet, est encore affecté de crues violentes tandis que les étiages restent souvent très maigres.
A. Les extrêmes
1° Les crues
19a. Répartition au cours de l’année (fig. 52). Huit mois sur douze ont connu, au moins une fois, dans la période 1940-1955, un débit supérieur à 100 l/sec/km2 : un seul a connu, une seule fois, un débit supérieur à 200 l/sec/km2 : c’est le mois de mai 1941 où la violence de la crue, générale dans toute la région, a pris ici une allure beaucoup plus exceptionnelle, avec un débit maximum de 435 l/sec/km2.
20Seuls les quatre mois d’été, de décembre à mars, sont exempts de crues véritables : le maximum pluviométrique de janvier existe pourtant encore : il atteint une moyenne de 145 millimètres contre 155 millimètres dans le Taquari : les averses de janvier sont aussi violentes que dans le bassin de cette dernière rivière ; elles sont incapables ici de donner de grandes crues, car les sols plus profonds, en particulier dans la partie sud du bassin, très asséchés par le minimum pluviométrique de novembre-décembre, adoucissent considérablement le clocher qui correspond dans la courbe des débits.
21En mettant à part la crue exceptionnelle d’avril-mai 1941, les autres crues, dont les débits maxima ont été compris entre 100 et 200 l/sec/km2, ont eu lieu le plus souvent en septembre-octobre ; on en compte neuf, pour ces deux mois, entre 1940 et 1955. C’est, en effet, à ce moment que les sols saturés par la précédente saison de pluies, malgré le minimum, trop bref, du mois d’août, donnent la plus grande efficacité aux chutes de pluies. Les autres crues se répartissent dans les divers mois de la première saison de pluie et illustrent encore ce rôle de la saturation des sols : on en compte deux en mai, deux en juin, trois en juillet, et quatre en août, alors que ce mois correspond à une diminution de la pluviosité. Signalons, enfin, que sans connaître de véritables crues, les mois d’été ne sont pas exempts de montées subites du fleuve, qui sont allées jusqu’à porter le débit à 75 l/sec/km2 en décembre et janvier, 50 l/sec/km2 en février et 40 l/sec/km2 en mars.
22b. Une crue « ordinaire » : septembre-octobre 1953 (fig. 53). Le bassin a reçu 390 millimètres de pluies du 8 septembre au 2 octobre : les courbes des débits à Passo Bela Vista, Dona Francisca (terminaison aval du cours moyen) et Cachoeira montrent comment les débits finissent par atteindre des valeurs élevées en ce dernier point. Une première période de pluie tombant sur des rivières déjà à leur débit moyen a eu pour centre le cours supérieur et la partie amont du cours moyen du Jacui, avec un maximum de 141 millimètres à Soledade : elle a provoqué un débit maximum de 180 l/sec/km2 à Passo Bela Vista et 125 à Dona Francisca, mais le débit n’a pas dépassé 48 l/sec/km2 à Cachoeira car la pluie a été faible sur la dépression transversale (moins de 30 mm). Il y a un décalage de trois jours entre le maximum à Dona Francisca et le maximum à Cachoeira. Une deuxième période de pluie, moins abondante, a eu deux centres : le bassin supérieur et la dépression transversale ; elle a provoqué une légère remontée des débits à Passo Bela Vista et Dona Francisca ; elle a maintenu les débits autour de 45 l/sec/km2 à Cachoeira, la décrue n’étant pas encore amorcée à cet endroit. Une troisième période de pluie, peu importante et localisée comme la première, ne réussit qu’à maintenir le débit à 40 l/sec/km2 à Cachoeira. Survient alors une quatrième période de pluie qui, sur l’ensemble du bassin, déverse entre 80 et 125 millimètres de pluies. De nouveau le débit maximum atteint 180 l/sec/km2 à Passo Bella Vista, 145 à Dona Francisca ; trois jours après il est de 100 l/sec/km2 à Cachoeira. La dépression transversale reçoit alors une forte averse de 40 millimètres : le lendemain le débit marque une pointe de 125 l/sec/km2 à Cachoeira, pour redescendre aussitôt à 100 l/sec/km2. C’est alors qu’arrive, sur les sols ainsi saturés dans l’ensemble du bassin, la cinquième période de pluie où toute la région reçoit plus de 100 millimètres à l’exception de la zone de Cachoeira où le total n’excède pas 80 millimètres. Au dernier jour de pluie, le débit marque un maximum à Passo Bella Vista, avec 250 l/sec/km2 et à Dona Francisca avec 185 l/sec/km2. Trois jours après il atteint la même valeur de 185 l/sec/km2 à Cachoeira, soit un débit de 5.600 m3 à la seconde.
23Les crues du Jacui, à Cachoeira sont donc essentiellement provoquées par la rencontre des flux venant de la dépression transversale et du cours moyen du fleuve. Ces apports sont affectés l’un par rapport à l’autre d’un certain retard par suite des débordements du Jacui entre Dona Francisca et Cachoeira et dans les parties inférieures des affluents de la dépression transversale. Cette dernière région, dans l’ensemble, a donné aux pluies, pendant cette crue, une efficacité plus grande que sur la région du cours moyen du Jacui ; les coefficients d’écoulement de la crue se répartissent, en effet, de la manière suivante : 70 % pour le cours supérieur du Jacui en amont de Passo Bela Vista, 55 % pour le cours supérieur en aval de Passo Bela Vista et le cours moyen jusqu’à Dona Francisca ; 66 % pour le bassin en aval de Dona Francisca. Or le cours moyen correspond à une zone déboisée, de relief accidenté et de mise en valeur assez intense pour avoir diminué l’épaisseur des sols : les pluies y perdent un facteur d’efficacité. Pour l’ensemble du bassin, le coefficient d’écoulement a été de 63 %. Il n’est pas directement comparable à celui du Taquari pour la même crue, car les pluies n’ont pas eu une distribution identique.
24c. Une crue exceptionnelle : avril-mai 1941 (fig. 54). Pour un total pluviométrique de 780 millimètres, le coefficient d’écoulement n’a pas excédé 70 %. Ce n’est donc pas une crue exceptionnelle par l’efficacité des pluies qui l’ont provoquée ; mais, étant donné le total énorme de ces dernières, elles ont fini par donner des débits extrêmement élevés, qui font de la crue de 1941 un cas unique pour le Jacui, entre 1940 et 1955.
25Tout a commencé par une crue ordinaire en avril 1941 : une première période de pluie a déversé environ 125 millimètres de pluie sur tout le bassin, mais avec un maximum net dans les cours supérieur et moyen ; elle a eu lieu à un moment où les rivières étaient en basses eaux et n’a donné que des débits maxima modestes (67 l/sec/km2 à Passo Bela Vista, 100 à Dona Francisca, 38 à Cachoeira). Une seconde période de pluie a commencé trois jours après la fin de la première ; elle a été extrêmement abondante dans la partie aval du bassin moyen et dans la dépression transversale : les débits maxima ont atteint 270 l/sec/km2 à Dona Francisca et 190 l/sec/km2 à Cachoeira, deux jours après ; ces valeurs correspondent aux fortes crues ordinaires du Jacui. Mais la décrue avait à peine commencé, le Jacui débitant encore 5.500 m3 à la seconde à Cachoeira, lorsque est survenue une autre vague de pluies exceptionnelles qui déversent environ 250 millimètres de pluie en 5 jours sur la partie nord du bassin et 175 millimètres sur la partie sud : le débit maximum atteint 265 l/sec/km2 à Cachoeira ; 24 heures seulement après ce maximum hydrologique, une quatrième période de pluie s’abat sur la région et apporte environ 150 millimètres de pluie, avec un maximum dans la partie aval du cours moyen : le Jacui à Cachoeira atteint, d’après les estimations des ingénieurs brésiliens, le débit de 13.300 m3/sec, soit 435 l/sec/km2 le 6 mai, un jour après la fin de la pluie.
26Il n’est pas possible de calculer, à Cachoeira, le coefficient d’écoulement dû à chaque période de pluie, car il n’y a plus, dans la courbe des débits, qu’une seule onde de crue. En revanche, le calcul, effectué pour les stations amont de Passo Bela Vista et Salto Grande, montre une progression des coefficients encore plus nette que celle qui a été observée à Mussum, pour la même crue. Certes, il faut prendre les chiffres avancés avec réserve, car les causes d’erreur sont multiples. Elles ne peuvent pourtant empêcher de prendre en considération les valeurs obtenues, étant donné les différences qui séparent les coefficients d’écoulement de chaque période : la première phase de pluie n’a donné qu’un coefficient de 18 % aussi bien à Passo Bella Vista qu’à Salto Grande ; la seconde a donné 61 et 70 % ; l’ensemble des troisième et quatrième, 75 et 85 %. De nouveau, nous sommes donc amené à insister sur le rôle primordial de la saturation préalable du sol sur l’efficacité directe des pluies.
27La valeur du débit maximum, donné pour Cachoeira, est avancée avec réserve par les services compétents ; elle donne au moins un ordre de grandeur ; elle montre que, malgré les conditions exceptionnelles de l’apport pluvial, le débit spécifique n’a pas atteint les valeurs observées dans le Taquari, non seulement en avril-mai 1941, où d’ailleurs, les quantités de pluies tombées ont été beaucoup moins exceptionnelles (535 mm au lieu de 790) mais également en septembre et janvier d’autres années. A ces crues moins violentes du Jacui correspondent des étiages moins maigres que ceux du Taquari.
2° Les étiages (fig. 55)
28La courbe des minima mensuels traduit, comme pour le Taquari, l’influence primordiale de la température. Pendant la saison chaude, les étiages sont moins creusés que ceux du Taquari, mais plus fréquents. De janvier à avril, les minima mensuels absolus restent compris entre 0,30 et 0,50 l/sec/km2 ; ils correspondent à la valeur à partir de laquelle les courbes de tarissement deviennent presque horizontales (fig. 58) ; les minima moyens mensuels sont inférieurs à 3 l/sec/km2. Faute de postes intermédiaires donnant des débits d’étiage suffisamment précis, il est impossible de suivre la destinée des étiages élevés du haut-Jacui et de préciser le rôle respectif du cours moyen et de la dépression transversale. Il est vraisemblable que la zone de très faible pente du Jacui après son coude vers l’Ouest entraîne une forte évaporation dans le lit même de la rivière. Peut-être faut-il ajouter aussi comme facteur secondaire d’abaissement des étiages, les pompages pour l’irrigation, bien qu’ils soient plus fréquents en aval de Cachoeira.
29Il est intéressant, d’autre part, de noter le décalage entre les minima pluviométriques et les minima hydrologiques : au minimum pluviométrique d’août correspond un minimum hydrologique moyen de septembre : dans ce bassin plus vaste que celui du Taquari à Mussum, les sols plus épais sont capables, par leurs réserves d’eau, de maintenir encore le débit pendant le mois du minimum pluviométrique d’hiver et ce n’est qu’au début du mois de la reprise des pluies qu’on note des étiages plus creusés. Bien plus, en saison chaude, le minimum hydrologique moyen correspond non pas au minimum pluviométrique de novembre mais au maximum de janvier ; ce dernier, très inefficace par suite de la température et de l’assèchement des sols, profite surtout aux réserves et fait sentir son action à retardement, en février, où les minima moyens sont plus élevés malgré le nouveau minimum pluviométrique de ce mois. Cette influence de la rétention des sols se retrouve dans les variations saisonnières de débit. Elle n’empêche pourtant pas que le rapport entre maximum et minimum absolus soit nettement plus élevé que pour l’Ibirapuitã. Il atteint 1.330 en prenant le maximum exceptionnel de mai 1941 et 600 en prenant le maximum de la plus forte crue ordinaire.
B. Variations saisonnières (fig. 57)
30Les moyennes pluviométriques mensuelles donnent une courbe légèrement différente de celle du Taquari : on y retrouve bien les trois maxima, aux mêmes dates, mais ils sont d’importance inégale : le maximum de mai-juin est plus marqué (163-175 mm contre 139-148), le maximum de septembre-octobre moins accentué (153-166 contre 174-182) ; le maximum de janvier, enfin, est à peu près égal mais plus bref : il n’affecte que ce mois, alors qu’il déborde sur le mois de février pour le Taquari.
31Cette dernière différence se traduit dans la courbe des débits en augmentant l’opposition entre hautes eaux et basses eaux : la saison froide a un coefficient d’écoulement de 47 %, supérieur à celui du Taquari (44 %) ; la saison chaude un coefficient de 20 %, inférieur à celui du Taquari (24 %). Les différences entre les deux autres maxima pluviométriques ne se traduisent pas de la même façon : c’est au mois d’octobre qu’on trouve de loin, le coefficient de débit le plus élevé, dans le Jacui, et la différence entre les deux maxima hydrologiques de période froide est à peine inférieure à celle du Taquari, malgré la grande différence des maxima pluviométriques. Alors que la courbe des débits du Taquari reflétait celle des pluies pendant la saison des hautes eaux, celle du Jacui est plus nettement modifiée par l’influence de la rétention dans les sols et elle se rapproche davantage de celle de l’Ibirapuitã : le maximum pluviométrique de mai-juin s’étale dans la courbe des débits, après une brusque montée en mai due à la fois à la violence des pluies de ce mois et à l’abaissement de la température : les sols non saturés ont encore un pouvoir de rétention : ils retardent le maximum hydrologique jusqu’en juillet et le minimum jusqu’en septembre. Le maximum pluviométrique d’octobre, tombant au contraire en fin de période froide, après que les pluies de septembre ont saturé les sols, se retrouve exagéré dans la courbe des débits.
32Dans la période chaude de basses eaux, la courbe des débits commence comme celle du Taquari : baisse progressive en novembre et décembre, malgré la reprise des pluies en décembre ; contrairement à celle du Taquari, elle continue de baisser régulièrement jusqu’en mars où se situe le point le plus bas des basses eaux moyennes : le maximum pluviométrique de janvier, plus étriqué, ne suffit pas ici à contrebalancer l’influence de la température et de la rétention dans les sols : il permet aux mois de février-mars de ne pas connaître de maigres trop accentués en soutenant, en moyenne, les minima par les nappes souterraines qu’il a alimentées ; il ne réussit pas à renverser, pour le mois de janvier, la tendance à la baisse des moyennes mensuelles, puisque la fraction non évaporée de l’eau de pluie est en grande partie retenue par les sols et ne profite pas aux débits du mois où elles sont tombées.
33Le rapport des moyennes mensuelles extrêmes atteint 6,3, presque le double de celui du Taquari, par suite de l’opposition plus marquée entre un maximum pluviométrique exagéré en octobre et un maximum absorbé en janvier. Cette absence de maximum en janvier ne signifie pas, cependant, que les pluies dans le bassin du Jacui, soient relativement moins efficaces que celles du bassin du Taquari. Le Jacui, au contraire, est légèrement plus abondant que le Taquari.
C. Abondance annuelle et saisonnière : variations selon les années
341° Abondance moyenne : le module relatif, avec 17 l/sec/km2, donne au Jacui une abondance relativement plus grande que celle du Taquari : pour une température nettement supérieure et une pluviosité nettement inférieure, le module spécifique est à peu près égal. De ce fait, le déficit y est plus faible et ne dépasse pas 1.003 millimètres. Il est légèrement supérieur à ce que donnerait le calcul par la formule Wundt-Pardé (960 mm). Il se situe donc entre celui nettement supérieur du Taquari, et celui de l’Ibirapuitã légèrement inférieur aux valeurs générales.
35Cette place correspond bien aux conditions d’écoulement dans le bassin, qui sont intermédiaires entre celles du haut plateau et celles de la dépression transversale. Le coefficient d’écoulement, égal à celui du Taquari (35 %) malgré la moindre importance des pluies montre bien que celles-ci sont en moyenne plus efficaces, dans ce bassin où dans l’ensemble les pentes sont moins raides et les sols plus profonds. Cette constatation vaut également pour chacune des trois saisons de pluie, comme nous le montrent les courbes de variation de leurs déficits selon les années.
362° Variations du déficit de chaque saison de pluie, selon les années.
37a. Saison décembre-mars (fig. 58). Le maximum pluviométrique toujours situé en janvier, donne à la courbe de variation une grande régularité : on constate que le déficit moyen mensuel croît rapidement, lorsque la pluviosité passe de 40 à 120 millimètres par mois, et augmente de 40 à 105 millimètres. Au-delà de 120 millimètres de pluviosité, le déficit grandit beaucoup plus lentement et ne dépasse pas 115 millimètres pour une pluviosité de 160 millimètres ; dans le Taquari, le déficit atteint 120-125 millimètres pour de telles valeurs de la pluviosité, alors que la température moyenne de la saison est plus basse.
38b. Saison avril-août (fig. 59). Sur le graphique, les points ont une répartition beaucoup plus confuse, malgré un groupement net autour d’un déficit moyen mensuel de 80-90 millimètres, quand la pluviosité passe de 90 à 170 millimètres.
39Trois points sont nettement au-dessus de cette valeur et se situent autour d’un déficit mensuel de 100 millimètres. Deux correspondent à des années où le minimum pluviométrique de février-mars s’est prolongé jusqu’en juin et a rendu les pluies de juillet-août inefficaces pour cette saison ; les sols ont retenu l’eau au profit de la saison suivante. Le troisième point correspond au contraire à une sécheresse exceptionnelle de juillet-août : les pluies groupées dans les mois les plus chauds de la saison ont été frappées d’une très grande inefficacité, l’évaporation étant plus active (année 1947).
40Trois points sont nettement en dessous de la valeur moyenne du déficit. L’un correspond à une année sans minimum net en février-mars : les pluies ont pris, dès le début de la saison avril-août, une grande efficacité. Le deuxième point est dû à une proportion plus grande de pluies en juillet-août, au moment où les températures sont les plus basses. Le troisième, enfin, semble s’expliquer par un hiver particulièrement rude.
41Finalement les déficits de la saison avril-août sont plus variables dans le Jacui que dans le Taquari : les changements de place du maximum et du minimum pluviométrique au cours de la saison prennent une importance accrue par suite du rôle des sols. En moyenne les déficits sont à peu près semblables à ceux du Taquari et se situent autour de 80 millimètres par mois.
42Nous avons, comme pour le Taquari, exclu le point de l’année 1941. Il donne un déficit nettement supérieur à la moyenne, puisqu’il atteint 120 millimètres. Est-ce à dire que le déficit continue à grandir lorsque la pluviosité augmente ? Est-ce que les très abondantes pluies d’avril-mai ont provoqué le même phénomène qu’en 1947 ? On hésite à conclure : on peut craindre que l’anomalie soit due à une sous-estimation des débits de pointe de la crue de mai. Cela nous permet, du moins, d’affirmer que ceux-ci doivent être pris comme des valeurs minima par rapport aux débits réels qui ont pu être supérieurs, mais certainement pas inférieurs aux valeurs que nous avons retenues sur le conseil des ingénieurs brésiliens.
43c. Saison septembre-novembre (fig. 60). Comme celui du Taquari, le graphique ne prend de sens que si nous groupons les années en fonction de la place du maximum pluviométrique. Ainsi divisé, le graphique nous montre des variations assez semblables à celles du Taquari, mais avec des différences plus grandes entre les courbes. Lorsque le maximum pluviométrique a lieu en septembre, le déficit mensuel plafonne à 70 au lieu de 75 millimètres ; lorsque le maximum se place en octobre-novembre, le déficit peut atteindre 135 millimètres, pour une pluviosité de 180 millimètres, au lieu de 125 millimètres pour le Taquari. Cette plus grande sensibilité du Jacui doit encore être imputée à l’influence des sols : comme le mois d’août est encore abondant, le maximum pluviométrique prend une efficacité considérable lorsqu’il est situé en septembre ; lorsqu’il est retardé jusqu’en octobre-novembre, une partie de l’eau est retenue par les sols, asséchés par le minimum prolongé d’août-septembre et provoque une inefficacité relative des pluies, au profit de la saison suivante.
44En moyenne, pourtant, cette saison est plus efficace dans le Jacui que dans le Taquari : le déficit mensuel moyen s’établit à 74 millimètres pour 143 millimètres de pluies contre 91, dans le Taquari, pour 152 millimètres de pluie. Cette plus grande efficacité, ajoutée à celle de la période décembre-mars, explique que, finalement, le déficit annuel soit plus faible dans le Jacui que dans le Taquari, malgré la température plus élevée.
453° Variation du déficit annuel selon les années (fig. 61).
46La pluviosité annuelle a varié de 1.170 à 2.600 millimètres et le déficit de 740 à 1.190 millimètres, mais les variations ne sont pas exactement parallèles. On peut distinguer sur le graphique une tendance générale : le déficit grandit d’abord avec la pluviosité quand celle-ci croît de 1.170 à 1.700 millimètres et il passe de 950 à 1.125 millimètres. Au-delà de 1.700 millimètres de pluie, les déficits restent stables autour de 1.125 millimètres.
47Plusieurs années s’écartent de cette tendance : trois ont des déficits supérieurs qui se situent autour de 1.180 millimètres pour une pluviosité de 1.400 et 1.625 millimètres. Pour deux d’entre elles, ce sont les déficits de la saison septembre-novembre qu’il faut incriminer, pour la troisième celui de la période avril-août. Trois années, au contraire, ont eu des déficits plus faibles que la moyenne : ce sont les années où les pluies de la période avril-août ont eu une efficacité exceptionnelle.
48Finalement entre 1940 et 1955, le module spécifique du Jacui a varié de 6 à 47 l/sec/km2 ; soit un rapport de 7,8 entre les extrêmes, pour un rapport de 2,2 entre les valeurs extrêmes de la pluviosité annuelle. Ces deux amplitudes de variation ne sont qu’indirectement liées l’une à l’autre, puisque l’année du plus grand module n’est pas plus l’année de la plus grande pluviosité que l’année de la plus faible pluviosité n’est celle du plus petit module. Là, comme ailleurs, on retrouve entre l’apport pluvial et l’écoulement, l’influence différentielle des conditions complexes de l’efficacité des pluies.
49Variabilité d’une année à l’autre, d’un mois à l’autre, d’un jour à l’autre même, crues catastrophiques, étiages déficients, tout concourt à donner aux rivières du Brésil méridional, subtropical, un caractère avant tout irrégulier et excessif. Cependant, la cause initiale de ce caractère, la violence et l’irrégularité de l’apport pluvial, est tantôt renforcée, tantôt atténuée par les autres conditions de l’alimentation des cours d’eau. Ainsi se différencient le Jacui à Cachoeira et le Taquari à Mussum. Après le confluent de ces deux rivières différentes, commence alors un fleuve complexe sur lequel nous ne possédons pas de mesures directes, mais dont nous allons essayer de dégager quelques grands traits, en conclusion, à la lumière de ceux des bassins que nous venons d’étudier.
Notes de bas de page
1 Cette valeur sous-estime peut-être légèrement le débit réel.
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