Introduction
p. 11-16
Texte intégral
1Au premier contact avec le milieu tropical brésilien, à la première averse d’été tombant avec une grande violence dans une ambiance surchauffée, à la première vue de l’énorme épaisseur du manteau d’altération qui recouvre presque toutes les pentes, même les plus raides, il n’est pas possible d’échapper à l’idée que ces conditions particulières doivent aboutir à des rapports originaux entre la pluviosité et l’écoulement ; aussi est-ce dans cet esprit que nous avons abordé l’étude des problèmes hydrologiques de ces régions et que nous avons cherché à analyser les conséquences de ce milieu tropical sur les régimes fluviaux.
2Bien des obstacles, pourtant, nous attendaient sur notre route. Nous nous sommes heurtés d’abord à l’immensité du sujet et à l’absence de tout travail hydrologique élaboré, préalable à notre étude. Or l’expression « milieu tropical » est presque vide de sens, même dans le simple cadre du Brésil : ce sont, en fait, plusieurs milieux tropicaux différents qui s’offrent à nous ; aucun, pourtant, ne semble ressembler trait pour trait aux milieux africains. L’hydrologie tropicale devient alors un immense champ de recherches dans lequel nous n’avons choisi qu’un petit secteur adapté aux conditions de travail d’un chercheur isolé. Nous n’apporterons donc ici qu’une modeste contribution à l’analyse de ces problèmes. Seule la multiplication de telles études détaillées de quelques fleuves judicieusement choisis, pourra, dans l’avenir, permettre d’élaborer, par comparaisons successives, une vaste synthèse qu’il n’était pas même question d’esquisser ici.
3Pour tenter, pourtant, de dégager quelques idées générales à l’échelle du Brésil, nous avons choisi de comparer les rapports entre la pluviosité et l’écoulement dans une zone tropicale proprement dite et dans une zone subtropicale, où les conditions de milieu ne sont plus typiques et forment transition avec les milieux tempérés. Ainsi avons-nous pu préciser quelques traits qui appartiennent en propre à la zone tropicale.
4Nous nous enfermerons donc volontairement dans une analyse minutieuse des mécanismes qui expliquent, dans chacune des deux zones, les différents rapports entre les pluies et les débits. Plutôt que de multiplier des comparaisons hâtives avec d’autres zones ou d’autres rivières tropicales, nous avons préféré, dans ce travail, nous contraindre à une patiente recherche à l’intérieur des régions choisies. Nous avons tenté de préciser ainsi quelques problèmes de l’hydrologie tropicale et quelques méthodes propres à les résoudre, dans l’espoir de contribuer à préparer une étude plus générale dont l’heure ne semble pas encore venue, mais que nous souhaitons mener à bien plus tard, avec l’aide de nos maîtres.
5Au sein de la variété des fleuves brésiliens telle que M. Parde l’a décrite dans un premier essai de synthèse sur l’hydrologie de ce grand pays, nous avons donc essayé d’analyser plus précisément les problèmes hydrologiques de deux zones climatiques différentes, en nous attachant à dégager, pour chacune d’elle, les aspects originaux des rapports entre la pluviosité et l’écoulement.
6Le bassin du Paraïba do Sul qui, à moins de 100 kilomètres de l’Atlantique, s’allonge parallèlement à la mer à une latitude de 20-23° Sud, nous a servi d’exemple pour la zone tropicale atlantique. Malgré des différences secondaires, selon les emplacements, l’ensemble du bassin, en effet, reçoit des pluies nettement groupées pendant la saison chaude. Celle-ci, de novembre à mars, bénéficie des trois quarts du total pluviométrique annuel. Pendant la saison sèche, pourtant, aucun mois n’est totalement exempt de précipitations ; le mois de juillet, le plus sec, reçoit encore 18 millimètres en moyenne.
7Ces pluies tombent sur un bassin au relief accidenté : le Paraïba coule dans une gouttière de largeur variable, entre deux montagnes, la Serra do Mar et la Serra de Mantiqueira, dont les altitudes atteignent parfois 1.500 mètres et dépassent même 2.000 mètres en quelques points isolés. Il coule d’abord de l’Est vers l’Ouest puis, après un brusque coude, son cours prend une direction opposée Ouest-Est, avant de s’infléchir vers le Sud, à quelques dizaines de kilomètres de son embouchure.
8Pour analyser les problèmes hydrologiques du Brésil subtropical, nous avons pris, comme exemple, des rivières du bassin du Guaïba et des régions voisines. Les cours d’eau qui forment le Guaïba et dont les principaux sont le Jacui et le Taquari, drainent deux zones fort différentes ; ils naissent dans la partie sud du plateau basaltique du Brésil méridional et prennent d’abord une direction Est-Ouest ou Nord-Est - Sud-Ouest, puis obliquent franchement vers le Sud. Ils atteignent alors l’extrémité méridionale du plateau et débouchent dans la grande dépression gréseuse qui le borde au Sud (dépression transversale) ; leur direction devient Ouest-Est jusqu’à l’estuaire du Guaïba et la lagune dos Patos dans laquelle celui-ci se jette en aval de Porto Alegre.
9Le plateau n’offre pas partout les mêmes conditions de relief : sur ses bords Est et Sud-Est, c’est une véritable montagne tandis que dans l’intérieur il prend vraiment un aspect de plateau et s’abaisse de 800 mètres à 400 mètres en allant d’Est en Ouest.
10Dans cette région la pluviosité moyenne abondante est bien répartie au cours de l’année, avec trois maxima plus ou moins nets ; elle cache, en fait, de très grandes variations selon les années ; elle est due, le plus souvent, à de violentes averses, comme dans le Brésil tropical.
11Ces fortes chutes de pluies qui tombent dans le Brésil subtropical sur des reliefs moins vigoureux que dans les hautes terres atlantiques plus septentrionales, font pourtant du Jacui et du Taquari des fleuves incomparablement plus violents et plus irréguliers que le Paraïba : le monde hydrologique se souvient encore de la terrible crue de mai 1941 et des étiages exceptionnels de janvier 1945. Rien de semblable dans le bassin du Paraïba : si le fleuve déborde et provoque des inondations, c’est que ses berges sont très basses, à certains endroits, mais les débits maxima restent fort modestes. Quant aux débits d’étiage, ils sont plus de dix fois supérieurs à ceux du Jacui ou du Taquari, alors que la région souffre d’une saison sèche de quatre mois dont il n’y a plus nulle trace dans le Brésil subtropical où les pluies tombent pendant toute l’année.
12A cet apparent paradoxe entre les conditions d’alimentation et les extrêmes des fleuves de nos deux régions, correspond une autre anomalie dans les valeurs de l’abondance : malgré la température moyenne plus élevée et la concentration des pluies pendant la saison chaude, le Paraïba, qui reçoit un apport pluvial annuel plus faible que le Jacui et le Taquari, est plus abondant que ceux-ci !
13Enfin, si, dans ces deux zones, les régimes se calquent sur la distribution des pluies, si les maxima hydrologiques correspondent avec un décalage plus ou moins grand aux maxima pluviométriques, la différence entre les moyennes mensuelles extrêmes des débits est beaucoup plus faible que celle des totaux pluviométriques mensuels pour le Paraïba et beaucoup plus forte pour le Jacui et le Taquari. Bref, les variations de l’écoulement semblent toujours exagérées par rapport aux variations de la pluviosité dans le Brésil subtropical et toujours adoucies dans le Brésil tropical atlantique.
14Cette opposition majeure domine tout ce qui peut différencier les rivières à l’intérieur de chacune des deux zones : avant de faire le bilan général des différents facteurs qui pèsent sur les rapports entre la pluviosité et l’écoulement, il nous faudra donc analyser séparément les problèmes hydrologiques de chacune des deux régions et chercher comment les conditions de relief, de sol1 et de climat se combinent pour créer une telle différence dans le comportement des rivières et leur donner des caractères parfois en contradiction avec l’une ou l’autre de ces conditions d’alimentation.
15Notre champ d’études ainsi restreint, de nouvelles difficultés surgirent, pour répondre aux questions que posèrent ces premiers contacts avec l’hydrologie des deux régions choisies. De nombreux documents faisaient défaut pour mener à bien cette confrontation entre la pluviosité et l’écoulement. La simple définition du milieu ambiant ne pouvait pas toujours être faite avec la précision désirable : malgré divers travaux, les problèmes morphologiques n’ont pas encore fait l’objet d’une synthèse générale : pour le Paraïba, nous avons bénéficié des conseils de J. Tricart, qui a bien voulu nous accompagner sur le terrain ; dans le grand bassin du Guaïba, en revanche, nous n’avons pas toujours pu dégager de façon satisfaisante les traits essentiels du cadre morphologique. Ajoutons, en effet, qu’il n’existe pratiquement pas de cartes à échelle plus grande que le 1/500.000, à l’exception de celles qui concernent la partie du Paraïba située dans l’État de Minas Gerais. Tout profil précis sera donc exclu de notre travail.
16Les stations pluviométriques, assez nombreuses, nous ont fourni des renseignements suffisamment précis sur les totaux journaliers, mais nous n’avons presque jamais pu étudier l’intensité réelle des averses, faute de précision sur leur durée exacte pendant la journée. Notre unité élémentaire, pour étudier les rapports entre la pluviosité et l’écoulement, a donc nécessairement été un jour de vingt-quatre heures. Grâce à l’abondance des stations, nous avons pu, en revanche, construire les cartes d’isoyétes, dans tous les cas. Tous les chiffres de pluviosité que nous indiquons, pour quelque bassin et quelque période que ce soit, ont donc toujours été calculés par la méthode des moyennes pondérées. Les mesures de la température et de l’évaporation nous ont donné plus de souci : nous n’avons disposé que des températures moyennes mensuelles et des résultats de l’évaporimètre Piche. Encore les stations sont-elles fort rares, qui donnent une série complète de mesures pour toute la période que nous avons envisagée. Les paragraphes relatifs à cet aspect du milieu ambiant resteront donc maigres et banals.
17Les stations hydrométriques sont, en revanche, plus nombreuses ; mais, malgré un très grand effort des services brésiliens de la Divisão de Aguas, les jaugeages ne sont pas toujours suffisants pour construire, de façon valable, la courbe Q = f (h), en particulier dans le bassin du Guaïba, où nous n’avons pu utiliser que trois stations. Finalement, nous n’avons pu disposer de tous les renseignements désirables que pour une petite rivière du Brésil méridional, située à proximité du bassin du Guaïba. Aussi, au risque de couper notre étude, avons-nous commencé par analyser les rapports entre la pluviosité et l’écoulement dans ce petit bassin de l’Ibirapuitã, afin de préciser les problèmes et les méthodes à employer pour les résoudre.
18Auparavant, il nous faut, pourtant, signaler un dernier point : nous n’avons pas essayé de faire une étude critique des données hydrométriques dont nous disposions ; nous n’avons pas tenté d’estimer certains débits inconnus. Certes, ce travail eût permis de préciser la valeur réelle des résultats donnés par la confrontation entre les débits et les pluies, mais nous manquions de temps et, provisoirement, de compétence, pour le mener à bien. Pris par l’ampleur de la documentation à rassembler pendant notre séjour au Brésil — presque toutes les données sont manuscrites et nous avons dû recopier, par exemple, tous les totaux pluviométriques mensuels d’environ cent cinquante stations, de 1930 à 1955, — nous nous en sommes remis, dans le domaine hydrométrique, à la compétence des ingénieurs brésiliens. Grâce à leur extrême amabilité, nous avons pu profiter, à tous moments, de leurs conseils et ne choisir que les séries de débits les plus sûres. Nous ne parlerons donc pas, dans notre étude, des courbes Q = f (h), d’ailleurs très précises et très méticuleusement construites, qui ont permis d’établir ces séries.
19Bref, ces deux voyages successifs dans le Brésil subtropical et le Brésil tropical atlantique n’aboutiront pas à des monographies complètes des fleuves que nous y rencontrerons, puisque la documentation ne permet pas encore d’aborder partout tous les problèmes. L’étude des transports solides sera réduite aux données que nous avons pu recueillir sur le terrain ; l’intensité des averses ne sera, la plupart du temps, estimée qu’à travers les totaux pluviométriques journaliers ; l’endroit même où nous étudierons le comportement des rivières ne sera pas toujours choisi parce qu’il délimite une partie précise de leur bassin, mais parce qu’il offre une série de débits que nous ne trouvons pas ailleurs. Nous avons limité notre tâche à la confrontation des données sûres que les techniciens pouvaient nous offrir sur les valeurs de la pluviosité et de l’écoulement et à l’analyse des facteurs qui expliquent les variations des rapports entre ces deux séries de données.
Notes de bas de page
1 Nous parlerons souvent de sol, de manteau d’altération, d’horizon de roches décomposées, sans que le sens de ces termes puisse être parfaitement précisé. En l’absence d’études générales de ces phénomènes, nous n’avons pu que faire des observations personnelles sur le terrain, aidés, dans le Paraïba, par J. Tricart. Nous avons pu, ainsi, noter les différences d’épaisseur, considérables d’une région à l’autre, puisque le sol du haut plateau basaltique, souvent pierreux, ne dépasse pas 0,75 à 1 mètre d’épaisseur, tandis que le manteau d’altération, dans le Paraïba, dépasse souvent plusieurs dizaines de mètres. Nous n’avons pu, en revanche, préciser ni la nature, ni l’origine de ces horizons de roches décomposées.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Meurtre au palais épiscopal
Histoire et mémoire d'un crime d'ecclésiastique dans le Nordeste brésilien (de 1957 au début du XXIe siècle)
Richard Marin
2010
Les collégiens des favelas
Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro
Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992