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Chapitre XIV. Provinces de Pοοpο et de Sicafica. Paz de Chuquiapo — Laveries d’or. Production de la coca

p. 171-174


Texte intégral

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1On sort d’Oruro par une pampa de plus de 4 lieues, couverte de salpêtre ; par temps sec, on la traverse au trot en 2 heures 1/2 ; mais, lorsqu’il pleut, il se forme des bourbiers dangereux et des petits lacs dans les creux qui s’y trouvent. En pareil cas, les gens prudents passent par le versant des collines voisines, en faisant un détour de plus de 2 lieues, et avec tout le retard des petites montées et descentes causées par l’inégalité du terrain, de sorte que par temps sec, on peut aller d’Oruro à Caracollo, à 8 lieues de distance, en 5 heures, en allant au petit trot ou au pas ; par temps de pluie, en suivant les collines, on en mettra 8, et si on s’attaque à la pampa, et principalement de nuit, les voyageurs s’exposent à y rester jusqu’au jour du Jugement Dernier. Le reste du chemin n’offre pas d’autres dangers que ceux causés par l’ardeur et la précipitation des voyageurs. Toute la route, jusqu’à l’entrée de La Paz, peut se faire au trot et au galop, à l’exception de quelques côtes très raides à l’entrée et à la sortie des villages.

2Il semble que ce soit des séparations ou des limites qu’a préparées la Nature pour éviter des procès ou des discussions. Dans tout ce pays, mes chers voyageurs trouvent en tout temps : des tambos sans porte, des mules maigres et très vicieuses, des agneaux et des poulets maigres, des œufs couvés ou gelés, parce que les braves Indiennes vendent toujours les plus anciens ; malgré tout, on peut subsister passablement avec quelques précautions et un peu de dépense, comme ce fut notre cas, grâce à l’expérience et à la prévoyance de l’Inspecteur.

ΡAΖ DE CHUQUIAPO

3Cette ville est située à moitié chemin entre Potosi et le Cuzco, dans un ravin profond au très bon climat. Elle est aux antipodes de Tolède, car cette dernière est perchée, tandis qu’elle est enfoncée. Toutes les deux occupent un terrain accidenté, mais les rues de La Paz sont de très loin plus régulières. Si on trouvait autrefois beaucoup d’or dans les sables du Tage, on en ramasse actuellement beaucoup dans les ruisseaux qui s’enchevêtrent à travers la ville de Chuquiapo. Les Indiennes ont leurs lavoirs à une certaine distance de ces étroits ravins où elles ramassent quelques grains ; elles vivent de cela, mais plus encore de l’espoir d’une bonne pêche, comme il arrive à ceux qui pêchent les huîtres perlières. Ce chapitre n’est pas considérable.

4On peut assurer qu’il entre à La Paz tous les ans, en temps ordinaire, 5.000 marcs d’or, venant de la province de Laricaja et autres. 2.400 se rendent à Lima par les courriers de chaque année, d’après les comptes de plus de 7 ans, examinés par l’Inspecteur, et même s’il n’y en a pas davantage qui voyagent par l’intermédiaire de particuliers et s’il ne s’en perd ou ne s’en dépense en bijoux que 200, nous retrouvons complet le chiffre de 5.000, qui valent 625.000 pesos, indépendamment des nombreux sacs d’argent qui entrent dans la ville et représentent la valeur de la coca ; bien que celle-ci soit actuellement à bas prix, elle rapporte bien des milliers (de pesos) aux hacendados de la ville, car ils font tous les ans 3 récoltes qu’ils appellent mitas.

5La coca ne vient que dans les montagnes très chaudes, et c’est une feuille qui, sèche, se confond avec celle de l’olivier ou du laurier ; elle pousse sur des arbustes de petite taille. Bien rares sont les Espagnols, les métis et les nègres, qui en usent, mais sa consommation est grande parmi les Indiens, en particulier quand ils travaillent dans les mines d’argent et d’or. Les uns la mâchent simplement comme les marins la feuille de tabac, et nous avons pu observer qu’elle produit le même effet d’attirer beaucoup de salive et de rider les gencives de ceux qui commencent à en user. Beaucoup d’indiens qui les ont déjà très abîmées et ne sentent pas l’effet naturel de la coca, emploient un assaisonnement bien extraordinaire, qui se compose de sel fin et de je ne sais quel autre ingrédient très piquant : ils le portent pendu au cou dans une petite calebasse à col, d’où ils font sortir cette fine poudre pour asperger les feuilles et leur donner une force extraordinaire. En conclusion, les Indiens rapportent de leur coca la même chose que les amateurs de tabac de celui-ci, parce que c’en est l’équivalent, comme l’herbe du Paraguay du thé ou du café.

6La ville est une des plus riches du royaume, mais ne possède pas d’édifice remarquable. L’entrée et la sortie, bien qu’elles se fassent par deux pentes très raides, sont actuellement bien arrangées, de sorte qu’on ne risque pas de chute dangereuse. La cathédrale, qui est située sur la grand’place, a pour seule particularité qu’on y célèbre les offices divins avec sérieux. Les maisons particulières sont si encombrées de meubles, de miroirs et de gravures qu’on en a la vue brouillée. Les bibelots les plus raffinés sont mêlés à beaucoup d’autres très ridicules. Il n’y a pas de maison à peu près décente qui n’ait quelques plateaux ou vases d’or massif. Les costumes qui ne sont pas de lamés d’argent et d’or, de velours et d’autres tissus brodés en relief du même métal, passent pour vulgaires et communs, mais au milieu d’un luxe ostentatoire, on ne voit pas de familles déchues, comme en d’autres endroits de l’Amérique, par exemple à Potosi et à Oruro, où la richesse est passagère, parce qu’il n’y a que celle que l’on retire des minerais. En conclusion, la richesse de cette ville-ci est en harmonie avec son nom. Mais celle qu’elle peut estimer à présent la plus grande, c’est d’avoir pour prélat et pour pasteur Sa Seigneurie Illustrissime Don Gregorio del Campo, un homme sans défaut, et dont on peut dire sans flatterie que sur son visage se lisent ses vertus, et en particulier la charité.

7Comme le contrat de la ferme des courriers de cette ville avait expiré, Don Jacinto Antonio Lopez Inclan, homme de sens, et d’une exactitude et d’une ponctualité qui vont presque jusqu’à l’excès, en accepta l’administration pour le compte de Sa Majesté. L’Inspecteur lui donna ses instructions, verbalement et par écrit. Don Jacinto les observa et grâce à elles, et à la tranquillité de son caractère, on réussit à avoir la paix dans ce poste, et des bénéfices en faveur du Trésor. Cette affaire réglée, nous partîmes pour la grande ville de Cuzco, par la route des postes suivantes :

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