Chapitre II. Buenos-Aires — Description de la ville. Nombre d’habitants — Courriers — Routes. Les Indiens Pampas
p. 43-52
Texte intégral
1Cette ville se trouve située à l’ouest du grand Rio de la Plata, et il me semble qu’on peut la compter comme la quatrième du grand gouvernement du Pérou, en donnant la première place à Lima, la seconde au Cuzco, la troisième à Santiago du Chili et la quatrième à celle-ci. Les deux premières surpassent les deux autres par la beauté des églises et des édifices. Celle qui nous occupe a fait de grands progrès en extension et en construction depuis l’année 1749 où je m’y suis trouvé. On ignorait alors le nom de quintas et on ne connaissait d’autre fruit que la pêche de vigne. Aujourd’hui, il n’est personne d’un peu aisé qui n’ait sa quinta avec toute espèce de fruits, de légumes et de fleurs ; cela est dû à l’initiative de quelques jardiniers européens, ayant surtout en vue de faire pousser des bois de pêchers, qui donnent du bois à brûler, dont manquait extrêmement la ville ; on se servait communément de chardons, dont la campagne est pleine, pour le plus grand ennui des cuisiniers, qui devaient supporter leur abondante fumée ; mais à présent on apporte en ville une grande quantité de bûches, qui viennent en bateau de la rive occidentale du Parana, et que rapportent de nombreuses charrettes des taillis des Conchas.
2Peu de maisons ont un étage, mais quelques-unes sont assez spacieuses et beaucoup bien construites, bien meublées grâce aux bois excellents que l’on fait venir du Janeiro par la Colonie du Sacramento.
3Quelques-unes ont, dans leurs cours et arrière-cours, des treilles de belle taille et bien feuillues, et les habitants, aussi bien européens que créoles, affirment qu’elles produisent en abondance de très bon raisin. Cet ornement est réservé aux maisons de campagne, et les colons raffinés l’ont même exilé de celles-ci, à cause de la foule de petits animaux nuisibles qui s’y multiplient et entrent ensuite dans les maisons. Dans les villes et bourgs importants, outre ce dommage, supérieur au bénéfice que les treilles produisent, on peut facilement avoir à en souffrir un autre plus grave, c’est que les treilles bien cultivées développent un gros tronc, tortueux et plein de nœuds qui facilite l’escalade des toits et permet de descendre facilement dans les cours intérieures ; les domestiques peuvent facilement se servir de ce moyen pour leurs incartades.
4La ville s’étend sur 22 cuadras1 communes, du nord au sud comme de l’est à l’ouest. Hommes et femmes s’habillent comme les Espagnols d’Europe ; il en est de même de Montevideo à Jujuy, avec plus ou moins d’élégance. Les femmes de cette ville sont, à mon avis, les plus raffinées de toutes les Espagnoles d’Amérique, et comparables aux sévillanes ; bien qu’elles n’aient pas autant de piquant, elles prononcent l’espagnol avec plus de pureté. J’ai vu à une soirée quatre-vingt dames, habillées et coiffées à la mode, rompues aux danses françaises et espagnoles, et, bien que leur vêtement ne fût pas comparable en richesse à celui des dames de Lima et du reste du Pérou, il est cependant très agréable par sa propreté et son élégance. Les gens du commun, ainsi que la plus grande partie des dames principales n’emploient jamais de tailleurs : elles-mêmes coupent, cousent et ornent leurs robes, corsages et jupons à la perfection, car ce sont d’adroites et fines couturières, et, sans préjudice de beaucoup d’autres dont j’ai entendu vanter à Buenos-Aires la grande habileté, j’ai observé pendant bien des jours le grand art, le bon goût et le talent de la belle et féconde espagnole Doña Gracia Ana, que j’ai vue imiter les plus belles coutures et broderies qu’on lui présentait d’Espagne et de France.
5Les dames de moyenne condition, et même les pauvres, que je ne veux pas appeler de deuxième et de troisième classe pour ne pas les fâcher, non seulement font et ornent leurs propres vêtements, mais encore ceux de leurs maris, de leurs fils et de leurs frères, principalement si ce sont des vêtements de coutil de Tournay, à en croire leurs explications ; elles ont aussi des entreprises lucratives de lavage et d’amidonnage où elles emploient quelques-uns de leurs esclaves.
6Les hommes sont réservés et de bon sens.
7Il n’y a pas d’écoles publiques, ce qui fait que certains envoient leurs fils à Cordoba et d’autres à Santiago du Chili, n’aspirant pas aux bénéfices ecclésiastiques de leur pays, car la portion congrue de ceux-ci est maigre, juste suffisante pour mener une vie frugale.
8Le maréchal de camp don Juan José de Vertiz qui, à ce que j’ai entendu dire, est né dans le royaume de Mexico, gouverne cette ville et sa juridiction avec le titre de gouverneur et de capitaine général ; l’administrateur principal des postes pour la ville, et, accessoirement pour le Tucuman, le Paraguay et les villes de San Juan de la Frontera, de Mendoza, dans le royaume du Chili, est actuellement don Manuel de Basavilbaso, homme jeune, d’une instruction et d’une intelligence peu communes. Don Bartolomé Raimundo Muñoz occupe le poste de contrôleur avec une ardeur infatigable et bien placée ; don Melchor Albin et don Nicolas Ferrari de Noriega, habiles manieurs de plumes, s’occupent des livres et de l’expédition des estafettes, avec les fonctions de second et troisième officiers ; il faut en ajouter un autre pour les recouvrements et la réduction de menue monnaie en monnaie forte, qui se fait actuellement à trois pour cent, alors qu’elle est montée, d’autres années, à 14 et 16 %, à cause du grand commerce que faisaient les Portugais.
9Le nombre des personnes qui peuplent cette ville et le territoire municipal se verra clairement par le tableau suivant :
10Tableau du nombre de personnes qui existaient en l'année 1770
dans la ville de la Très Sainte Trinité, et le port de Sainte-Marie de Buenos-Aires, avec le compte de ceux qui Sont nés et de ceux qui sont morts cette année-là, ainsi qu’il ressort des registres paroissiaux et des listes données par les communautés de religieux des deux sexes, etc...
Paroisses | Nombre d’âmes | Naissances | Morts |
Cathédrale | 8.146 | 523 | 316 |
Saint-Nicolas | 5.176 | 344 | 185 |
La Conception | 3.529 | 318 | 158 |
Montserrat | 2.468 | 184 | 96 |
La Pitié | 1.746 | 151 | 91 |
21.065 | 1.520 | 846 |
Clergé régulier et nonnes | 77 |
Saint Dominique | 101 |
Saint François | 164 |
La Merci | 86 |
Recollets de St François | 46 |
Bethlèémites | 88 |
Capucines | 40 |
Catherines | 72 |
Orphelins | 99 |
Forçats | 101 |
Incarcérés | 68 |
942 |
11Sur ce nombre de 942, il est mort 85 personnes.
12Répartition du nombre d’âmes consigné plus haut :
3.639 | hommes espagnols, nombre dans lequel se trouvent inclus 1.854 Européens (1398 de la péninsule, 456 étrangers) et 1.785 créoles. |
4.508 | femmes espagnoles, |
3.985 | enfants des deux sexes. |
5.712 | officiers et soldats de troupe réguliers, prêtres, frères, nonnes et toutes personnes dépendant des uns et des autres ; prisonniers, forçats, indiens, nègres et mulâtres libres, des deux sexes et de tous âges. |
4.163 | esclaves nègres et mulâtres des deux sexes, et de tous âges. |
22.007 |
13Les 3.639 hommes espagnols composent les milices de cette ville, de la façon suivante :
24 | compagnies de cavalerie, formées des habitants de la ville et comptant 50 hommes outre les officiers, sergents et caporaux. |
9 | compagnies d’étrangers à la ville, d’infanterie, de 77 hommes chacune. |
1 | compagnie d’artillerie provinciale de 100 hommes. |
8 | compagnies d’indiens et métis, de 50 hommes chacune. |
8 | compagnies de cavalerie de mulâtres libres. |
3 | compagnies d’infanterie de nègres libres. |
53 | soit 53 compagnies, 40 de cavalerie et 13 d’infanterie. |
14Espagnols mariés :
Européens... | 942 mariés | 912 célibataires |
Créoles | 1.058 — | 727 — |
2.000 | 1.639 |
15A l’hôpital de la ville, destiné à soigner de pauvres femmes, on n’a pas donné le compte des malades, et on a su seulement qu’en 1770, il en était mort 7, que l’on a incluses dans le nombre des décès.
16Jusqu’à 1747, on n’a pas établi de courriers à Buenos Aires, ni dans tout le Tucuman, malgré le grand commerce que faisait cette ville avec l’ensemble des trois provinces, le royaume du Chili et une partie du Pérou. Les commerçants dépêchaient des courriers à leurs frais, selon leurs besoins, facilité dont profitaient quelques habitants de Buenos-Aires. Mais la plupart écrivaient par des voyageurs qui, en général, faisaient leurs voyages en charrette jusqu’à Jujuy et Mendoza ; les réponses revenaient fort tard, ou jamais.
17Don Domingo de Basavilbaso fut le premier à proposer l’établissement des courriers réguliers, à la fin de 47 ou au début de 48, alors que M. Andonaegui, maréchal de camp, originaire des Canaries, gouvernait la province.
18La proposition que fit Don Domingo fut transmise aux bureaux du Comte de Castillejo, qui, s’éveillant de leur indifférence, envoyèrent des pouvoirs à ce même don Domingo pour qu’il prît à ferme ce service, ou l’adjugeât au plus offrant, ce qu’il fit, les conditions proposées par les bureaux ne lui convenant point. C’est de cette année 1748 que date l’époque des courriers de Buenos-Aires et des autres provinces du Tucuman.
19Cette ville est bien située et dessinée à la moderne, divisée en cuadras égales, et avec des rues d’une largeur égale et raisonnable ; mais il est impossible d’y circuler à pied par temps de pluie, parce que les grandes charrettes qui apportent l'approvisionnement à la ville, ou des matériaux, forment des trous au milieu des rues, où les chevaux même s’embourbent, et où il est impossible d’aller à pied, surtout lorsqu’on passe d’une cuadra à l’autre ; les gens sont obligés de rebrousser chemin et bien souvent de se passer de messe lorsqu’il y aurait à traverser la rue.
20Les habitants qui n’avaient pas construit dans les premiers temps, et qui avaient des terrains à bâtir ou les ont achetés postérieurement, ont construit leurs maisons avec une surélévation de plus d’une vara et les ont entourées d’une passerelle d’une vara et demie de large, où les gens peuvent passer assez commodément, pour le plus grand dommage des maisons anciennes, car le trafic des charrettes et des chevaux s’inclinant vers elles, empêche bien souvent qu’on en puisse sortir, et si les pluies sont abondantes, ces maisons sont inondées et la plupart des pièces rendues inhabitables, défaut à peu près irrémédiable.
21La place est imparfaite, et le trottoir qui borde le Cabildo est seul à avoir des arcades. C’est là que se trouve la prison, ainsi que les bureaux des greffiers ; l’huissier en chef habite à l’étage. Le conseil municipal jouit du privilège, quand il va au fort chercher le gouverneur pour les fêtes ordinaires, qu’on lui rende les honneurs dus à un lieutenant-général, à l’intérieur du fort, là où se trouve la garde du gouverneur. Tout le fort est entouré d’un fossé bien profond et on y entre par des ponts-levis. Le bâtiment est solide et vaste, et les caisses royales se trouvent dans la cour principale. Du côté du fleuve, les murs sont très surélevés, pour se trouver à niveau avec l’à-pic qui défend le fleuve.
22La cathédrale est actuellement une chapelle bien exiguë. On est en train de construire un temple fort grand et solide, mais, même si on parvenait à le terminer, je ne crois pas que soient déjà nés ceux qui en verraient l’ornement, car l’évêché est pauvre et les prébendes de chanoine ne dépassent pas mille pesos, de même que la cure principale. Les autres églises et monastères restent dans une honnête médiocrité.
23Il y a de grandes fortunes chez les commerçants, et, même dans les rues les plus retirées, on voit des boutiques de vêtements, à tel point que je crois bien qu’il y en a quatre fois plus qu’à Lima, mais toutes celles de Lima réunies ont moins d’importance que quatre des plus grandes de Buenos-Aires, car les commerçants en gros y entreposent les marchandises dont ils fournissent tout le Tucuman, et plus encore.
24Je n’ai pas connu de gros propriétaires terriens, excepté don Francisco de Alzaibar, qui possède une énorme quantité de bétail de l’autre côté du fleuve, distribué entre plusieurs estancias ; cependant, il y a bien longtemps qu’on n’a pas vu chez lui quatre mille pesos réunis. Je ne sache pas qu’il existe de majorats, ni que les habitants pensent à autre chose qu’à leurs commerces, contents d’une bonne maison, et d’une quinta qui ne sert qu’à leur amusement.
25La viande est d’une telle abondance qu’on l’apporte au marché par quartiers, à pleines charrettes, et si par accident un quartier entier glisse par terre, comme j’ai vu le fait se produire, le charretier ne descend pas pour le ramasser, même si on le lui fait remarquer, et, s’il passe par hasard un mendiant, il ne l’emporte pas chez lui, pour ne pas avoir la peine de le porter.
26A l’angélus du soir, on donne bien souvent la viande gratis, comme aux abattoirs, parce qu’on tue chaque jour beaucoup plus de bêtes qu’il n’est besoin, seulement pour leur peau.
27Tous les chiens, qui sont fort nombreux, sans distinction de maîtres, sont si gros qu’ils peuvent à peine bouger, et les rats sortent de nuit dans les rues, pour prendre le frais, en détachements importants, parce que, même dans la maison la plus pauvre, il y a plus de viande qu’il ne leur en faut, et ils se nourrissent également d’œufs et de poussins, que l’on apporte en grande quantité des villages voisins.
28Les poules et chapons se vendent deux réaux la paire, les dindons très gros quatre réaux, on a six ou huit perdrix pour un réal et l’agneau le meilleur pour deux réaux.
29Les eaux du fleuve sont troubles, mais, si on les laisse reposer dans les grandes cuves de terre dont on se sert communément, elles se clarifient et sont alors excellentes, même si on les garde longtemps. Les gens du peuple, et ceux qui n’ont pas le matériel nécessaire, boivent une eau impure, comme celle qui, lorsque le niveau du fleuve baisse, reste dans les creux des rochers où on lave tout le linge de la ville ; c’est là que la recueillent les nègres pour s’éviter la peine d’entrer dans le courant du fleuve. Depuis que j’ai vu se reproduire plusieurs fois une opération aussi dégoûtante, née de la négligence de presque tous les porteurs d’eau, j’en ai conçu un tel dégoût que je n’ai plus bu, depuis lors, que l’eau de la citerne que possède chez lui don Domingo de Basavilbaso, et qu’il entoure de telles précautions et de tant de soin qu’elle peut rivaliser avec les meilleures d’Europe. On dit qu’il y en a une autre pareille dans la maison qu’a construite pour son usage feu don Manuel de Arco ; beaucoup d’autres habitants peut-être rechercheront cette propreté au prix de dépenses considérables, et moyennant le soin de recueillir les eaux au moment opportun, avec les autres précautions dont on use chez les Basavilbaso.
30Cette ville et ses abords sont dépourvus de sources et de fontaines superficielles, et n’ont pas d’autre arrosage que celui des pluies. Cependant, certains habitants soigneux ont fait des puits dans leurs maisons de campagne pour arroser quelques fleurs et légumes. Certains ont obtenu de l’eau douce, mais la plupart n’ont trouvé qu’une eau saumâtre, nuisible aux arbres et aux plantes.
31Le fleuve possède des poissons variés, et les pejerreyes y atteignent la taille de trois cuartas et sont d’une grosseur correspondante, mais ils sont très insipides à côté de ceux de Lima. On fait la pêche en charrettes, que des bœufs tirent jusqu’à ce que l’eau leur arrive à la poitrine, et ces pacifiques animaux restent ainsi deux et trois heures, jusqu’à ce que le charretier soit fatigué de pêcher, et s’en retourne au marché, où il vend le poisson du haut de sa charrette au prix qu’il peut, qui est toujours infime.
32Dans toute la juridiction de Buenos Aires, et dans une grande partie du Tucuman, on n’a jamais vu de neige. Il arrive que la ville reçoive de la gelée blanche, que les délicats recueillent pour glacer certaines boissons composées, que l’on offre comme un raffinement extraordinaire.
33Comme Don Manuel de Basavilbaso me vantait certain jour la délicatesse de ces boissons, et se plaignait qu’on en manquât dans cette ville, je calmai ses regrets en l’assurant que ses habitants n’avaient besoin d’autre rafraîchissement que celui des bains dans le Rio de la Plata, ou de boire pures ses douces eaux, ou celle des citernes ; que l’on ne désirait la neige que dans les pays brûlants et qu’elle faisait payer un seul plaisir de trois peines, sans compter la dépense occasionnée par les eaux composées et les douceurs raffinées que l’on garde dans les buvettes, qui font envie aux dames les plus difficiles et allègent les poches du plus grand avare. Mon ami se mit à rire et je crois qu’il ne s’est plus soucié de glace, pas plus que des dîners de carnaval, qui s’étaient introduits dans cette ville, comme les soupers nocturnes, au prix de beaucoup de dépense et de quelques apoplexies.
34Je ne crois pas que le nombre des voitures de la ville dépasse 16. Auparavant, et quand il y en avait moins, on amenait les mules de la campagne et on les laissait chez soi à l’attache, sans leur donner à manger jusqu’au jour où, n’en pouvant plus, elles refusaient le travail. On en faisait alors venir d’autres. Aujourd’hui, on s’est mis à semer de la luzerne, qu’on apporte en ville avec quelques balles de foin pour les bêtes. On nourrit celles-ci fort mal, à l’exception de celles de quelques rares personnes, qui se fournissent de paille et d’orge dans la campagne environnante.
35On peut apprécier la salubrité de l’endroit en consultant les statistiques des naissances et des morts. Dans les mois de juin, juillet, août et septembre, il s’élève souvent du fleuve un brouillard qui provoque quelques maladies de poitrine. Les pamperos qui sont des vents violents, venant du Sud-Ouest ou de l’Ouest-Sud-Ouest, sont assez gênants par leur violence, et, dans la campagne, ils font trembler les charrettes qui, chargées, pèsent deux cents arrobas2.
36Je ferai plus loin, pour les curieux, une description de celles-ci. Je vais maintenant donner un renseignement important à Messieurs les voyageurs, et en particulier à ceux qui arrivent d’Espagne pour occuper un emploi dans ce vaste royaume.
37Ceux qui ont été pourvus dans la juridiction de l’Audience de La Plata voyageront avec moi, choisissant l’équipage le mieux adapté à leur constitution, mais ceux qui sont désignés pour le district de la Royale Audience de Lima, et plus précisément ceux qui vont au Chili, prendront à Buenos-Aires leurs mesures pour arriver à Mendoza lorsque s’ouvre la Cordillière, ce qui se produit généralement au début de novembre. C’est le mois des courageux. Décembre et janvier sont les mois ordinaires et courants. Février et mars, mois des provinciaux qui n’attendent jamais avril ou mai, de crainte de s’exposer à quelque orage prématuré. Les cinq autres mois de l’année sont dangereux et pénibles, et, malgré les abris que l’on a mis, seuls peuvent s’aventurer les courriers qui sont expressément obligés d’aller à pied une grande partie du chemin car, comme la neige couvre tout, les bêtes mourraient de faim, et le peu que l’on paie ne suffirait pas pour qu’on les emmène à moitié chargées, avec l’autre moitié de la charge en paille et en avoine, ce qui ne serait pas impossible.
38On peut cheminer commodément, jusqu’à Mendoza et Jujuy, en voiture, en chaise ou en calèche, mais celui qui désirerait jouir de cette commodité sans être retardé, devra envoyer en avant un domestique pour préparer les chevaux, car, s’il y a beaucoup de mules, il y en a peu qui soient dressées ; on ne s’en sert pas, en effet, pour ces allées et venues, à l’exception des muletiers de San Juan de la Frontera, avec lesquels on peut aussi faire route selon l’usage du pays, en emportant de bonnes tentes de campagne, en vue des nombreuses régions inhabitées que l’on traverse ; on s’expose aussi à une irruption d’indiens pampas, mais, comme ceux-ci ne sortent guère qu’à cinquante, il suffit pour les contenir et les mettre en fuite de douze bons fusils, et de ne pas se laisser troubler par leurs formidables hurlements ; il faut avoir soin d’emmener de Pergamino deux soldats, ou plus, pour reconnaître la campagne matin et soir.
39Ces pampas, ainsi que les autres nations indiennes ont leurs espions, qu’ils appellent bomberos et qu’ils envoient à pied et désarmés pour que, faisant les ignorants, ils apprécient les forces et l’équipement des voyageurs, tant en montures et en trains de mules qu’en charrettes et autres bagages, pour en rendre compte à leurs camarades.
40Il ne faut pas se fier à ces gens-là dans les endroits inhabités, mais les chasser brutalement, même s’ils disent qu’ils cherchent refuge à la pascana pour échapper à leurs ennemis.
41Ces indiens pampas ont beaucoup de penchant pour l’exécrable péché de Sodome. Ils emmènent toujours en croupe sur leur cheval, quand ils ne vont pas au combat, leur concubine ou barragana ; c’est la chose la plus courante parmi eux, c’est pourquoi ils ne s’accroissent pas beaucoup.
42Ils sont perfides et, bien que fort adroits à cheval et dans le maniement de la lance et des boules, ils n’ont pas les forces suffisantes pour soutenir un long combat. Chaque fois qu’ils ont vaincu les Espagnols, c’était ou par surprise ou en combattant à cinquante contre un, ce qui arrive fréquemment dans les rencontres entre indiens, d’une part, espagnols et métis de l’autre.
43A partir du Saladillo de Ruy Diaz, où se détache la route du Chili, il est rare qu’on trouve du pain et du vin jusqu’à San Luis de la Punta ; il faudra donc en faire provision à Buenos Aires, ainsi que de toute espèce d’épices ou d’assaisonnement. On trouve toute espèce de viandes dans les estancias et il faudra faire des provisions à Mendoza, pour aller jusqu’à la vallée de l'Aconcagua, où commence l’agréable abondance du royaume du Chili.
44Il est bien temps de faire quitter Buenos-Aires à messieurs les voyageurs, nous les acheminerons en charrettes, car c’est la façon de voyager la plus courante et la plus commode, pour l’itinéraire suivant, que je diviserai en juridictions, en commençant par celle de Buenos-Aires.
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