Chapitre premier. Les aspects de la région étudiée
p. 9-22
Texte intégral
1Le Territoire du Rio Branco marque l’apparition du massif cristallin qui limite au Nord le géosynclinal amazonien. Il est formé dans sa partie Sud par le Bouclier granito-gneissique, arasé, souvent recouvert de sédiments, qui se continue jusqu’en Colombie, au Venezuela et dans les Guyanes anglaises, hollandaises et françaises. Cette grande surface presque plane est interrompue au Nord par un large affleurement de roches volcaniques. Des témoins d’une série sédimentaire qui se retrouve tant au Venezuela qu'en Guyane anglaise, continuent ce massif montagneux, atteignant 2.875 mètres au Mont Roraimã.
2Le Sud de ce territoire est forestier, mais à partir de Caracarai, la savane apparaît, malgré une latitude relativement basse (environ 1° 48'de latitude Nord).
3La branche principale du réseau hydrographique, le Rio Branco, qui a donné son nom au territoire, est un des affluents importants du rio Negro. Le rio Branco est lui-même formé par deux rivières : l’Uraricueira et le Tacutu dont le Summit est le principal affluent.
4La zone que nous allons étudier dans ce travail n’est qu’une petite partie de cette région. Elle s’étend le long de la rive gauche du rio Miang, affluent de gauche du Surnom, puis au Nord du Summit, après leur confluent. Elle est comprise entre 4° 33'et 3° 36' de latitude Nord. Sa largeur est irrégulière. Elle atteint au Sud la rive droite du rio Maú, affluent du Tacutu, soit environ 40 km dans sa partie la plus large, alors qu’elle s’amenuise au Nord, se limitant à l’interfluve Miang-Cotingo.
5Ce découpage ne correspond pas à des caractères particuliers limitant la zone, mais seulement aux possibilités d’étude qui nous ont été offertes.
6Cependant, elle possède les traits généraux qui caractérisent une grande partie du territoire :
elle fait partie du système guyanais ;
son réseau hydrographique est tributaire de l’Amazone ;
c’est, en dehors de la bordure occidentale, une zone de savane.
7D’autre part, elle forme une zone intermédiaire, comprenant, du Sud au Nord une région plane, l’apparition du massif rhyolitique, puis son contact avec les premières cuestas gréseuses. Les problèmes qu’elle pose sont donc assez variés, et, pour plus de clarté, nous avons divisé la région selon des limites naturelles. La zone de contact entre la zone plane et le massif montagneux formant une sorte de charnière qui fait pressentir une partie des problèmes que confirme l’étude du massif montagneux lui-même, nous avons commencé notre étude par elle et continué par la zone montagneuse (massif de kératophyres et de rhyolites et apparition des grès). Nous terminons par la zone plane où les problèmes se posent de façon différente.
I. Le contact entre la zone plane et la montagne
8Nous comprenons dans cette partie, d’une part le contact proprement dit, d’autre part le début de la zone plane, qui ne présente pas les mêmes caractères que la région également plane située plus au Sud.
9Ce contact est brutal. Certains auteurs ont qualifié la ligne montagneuse de « très haute muraille, avec quelques brèches par lesquelles on peut hasarder une incursion dans les hautes terres situées au Nord »1. Il est vrai qu’aucune accentuation de la pente ne vient adoucir ce contact. La montagne se dresse brusquement au-dessus d’une surface extraordinairement plane, mais, si marqué que puisse apparaître au premier abord ce phénomène, il ne faudrait pas en exagérer les proportions. Les brèches sont nombreuses et la « serra » apparaît plutôt comme un front disséqué que comme une muraille. La limite, pour continue qu’elle soit dans l’ensemble, n’en est pas moins extrêmement déchiquetée dans le détail. Le front montagneux semble avoir été cassé, affecté par des fractures, qui y ménagent des coupures où passent des rivières.
10D’autre part, comme il a déjà été souligné2, cette ligne de relief frontal est brisée, dessinant des zig-zags. Deux décrochements apparaissent nettement dans la région qui nous intéresse, l’un lorsque le Surumu sort de la montagne, l’autre à la sortie du Cotingo. Le premier reporte le rebord montagneux de 4° 9', sur la rive droite du Surumu à 4° 15'sur la rive opposée ; le second fait débuter le massif à 3° 53' environ dans la zone Est alors qu’il se dressait à 4° 12' sur la rive droite du Cotingo. Il semblerait donc que des mouvements de blocs indépendants puissent être responsables de l’allure de ce relief.
11La différence d’altitude entre la plaine et les premières séries montagneuses est relativement faible : 100 mètres environ entre la Maloca do Taxi, située au pied de la montagne et la fazenda Bern Querer, sur la piste de São Luiz. Les difficultés de pénétration dans les « hautes terres » tiennent surtout à l’étroitesse fréquente des passages, souvent empruntés par les rivières qui laissent peu de place pour les pistes, aux crues des cours d’eau, répétées et se relayant en saison humide, fréquentes au début et à la fin de la saison sèche, empêchant le passage et provoquant des éboulements, enfin à la raideur marquée des versants. Les pistes sont maintenant assez nombreuses, mais presque toujours mauvaises, ne servant qu’à quelques « fazendeiros », à dos de mulet ou de cheval, et à quelques « garimpeiros »3 à la recherche de diamants. Elles sont excessivement rocailleuses sur les versants, et rapidement humides et marécageuses dès qu’on aborde un fond plat de vallée.
12Les montagnes s’abaissent à la sortie des rivières les plus importantes, notamment le Taxi et le Cotingo. D’autres rivières dévalent les versants et forment parfois des cascades, tel le Paracau. Mais dès leur entrée dans la plaine, leur aspect change. Le Surumu, le Taxi, le Cotingo, par exemple, entaillent leurs sédiments. Le Taxi laisse ainsi apparaître des couches successives de conglomérat plus ou moins cimenté par l’oxyde de fer, et d’argile. La roche en place, généralement du granite, apparaît parfois dans leur lit et provoque des rapides et même quelques cascades. Néanmoins, d’autres cours d’eau, de débit plus faible, se répandent à la surface, formant un drainage anastomosé qui s’épand en nappes au moment des crues, comme au Sud-Est de la fazenda União, la région du confluent du Darura et du Paracau. Les eaux, claires dans la montagne, sont maintenant troubles, chargées de sédiments fins. Les blocs qui formaient de véritables chaos dans le lit des rivières montagnardes ont disparu.
13La pente générale de cette partie plane du contact est faible dans l’ensemble : 0,19 % entre la fazenda Santa Fé, située au bord d’un affluent du Taxi, et la fazenda Marambaia, près du Surumu où la roche affleure. Parfois même, il existe une très légère pente en sens inverse, dirigée vers le pied des montagnes, comme nous l’avons constaté près de Quixadá, à l’Est du Contingo, avant sa confluence avec le Surumu.
14Les affleurements de roche sont d’extension très variable. Les formes étrangement laminées des roches rhyolitiques s’opposent aux blocs arrondis de granite qui forment dans l'ensemble les premiers replats de la zone montagneuse. Une série de masses rocheuses, arasées à une quinzaine de mètres au-dessus de la plaine, dessine, vue de Vila Pereira, une ligne noire, suggérant la présence d’une ancienne surface d’aplanissement. Les kératophyres, les porphyres quartzifères,4 moins décomposés que le granite, donnent rarement asile à la végétation et parsèment le paysage de taches noirâtres dues aux lichens qui les couvrent. Au pied de la montagne, les accumulations de blocs de granite sont plus fréquentes, souvent surmontées de quelques arbres. Dans la région de Quixadá, elles forment de véritables montagnes pyramidales, très caractéristiques.
15On voit l’importance des problèmes posés par ce contact. L’hypothèse d’un front disséqué de bloc faillé, bordé d’un pédiment, qui vient à première vue à l’esprit, mérite d’être examinée dans le détail.
II. La montagne
16D’avion, le contraste entre la grande plaine de Surumu et la mer de montagnes et de bassins que l’on survole au Nord, est plus saisissant encore que vu en détail pendant un parcours à cheval. Cependant, par les pistes, on pénètre rapidement dans le massif d’albitophyres. Celui-ci, coupé de liions de dolérite, compliqué de failles et de fractures que soulignent les changements brusques de direction des rivières, s’élève graduellement, par une série de niveaux successifs, souvent disséqués, jusqu’au plateau de Vista Geral, situé à environ 800 mètres d’altitude, sur la rive droite du Quinô.
17Les zones déprimées, d’importances diverses, y sont nombreuses. Les rivières les parcourent, bordées souvent de terrasses alluviales à quartz roulés ou semi-roulés. Ainsi le Cotingo emprunte-t-il la vaste dépression de São João, São Luiz-fazenda Cachoeira, avant de sortir du massif.
18Au Nord, les grès forment des séries étagées de cuestas, dont le front est escarpé vers le Sud.
19A l’intérieur du massif, les crêtes, disséquées par les vallées, arrondies ou aplanies, montrent souvent des niveaux constants.
20Dans la région du cours moyen du Baru, une succession de reliefs, en arc de cercle, peut donner l’illusion de crêtes monoclinales à pendage accentué.
21Les rivières quelque peu importantes, telles l’Esteves et l’Estrêla, atteignent leur collecteur par des vallées encaissées, alors que leurs affluents, trop faibles pour éroder la roche, les rejoignent en cascades. La densité du réseau hydrographique est grande. Les eaux de pluie ravinent les versants, se concentrent en torrents et entraînent de façon permanente les produits de décomposition des roches. Aussi les versants ne sont-ils guère recouverts que par une accumulation de blocs et de dalles, ainsi que de fragments anguleux de quartz, qui masquent la roche et changent les formes. Une végétation herbacée, assez pauvre dans l’ensemble, recouvre toutes ces pierres. Dans les petites dépressions, au contraire, les rivières serpentent sur un sol marécageux.
22Cette zone montagneuse, que l’on aurait pu croire massive apparaît donc comme particulièrement hachée et disséquée. Après avoir franchi un premier palier qui atteint plus de 200 mètres d’altitude, on redescend à moins de 150 mètres dans la grande dépression montagneuse du Cotingo, orientée NE-SW. Une autre dépression, presque W-E, la rejoint dans la zone de Céu Aberlo-São Luiz. Il est à remarquer qu’à l’Ouest de Céu Aberto, cette dernière direction paraît prédominante dans le tracé de plusieurs rivières : rio Caria, Tiporém, Baru, Ajuri, et, plus au Sud, les cours supérieurs du Taxi et du Paracau.
23Λ l’extrémité Nord de la dépression du Cotingo, se dresse à nouveau, moins brutalement que la première fois, mais avec une très grande netteté, un bloc montagneux qui atteint environ 400 mètres à la fazenda Fortaleza. Une succession de cols de flancs forme dans celte dernière région une dépression quasi Est-Ouest, moins large que la précédente, et il faut gravir un nouveau massif avant d’atteindre Vista Geral, dont le plateau s’étend jusqu’au Quinô.
24Ces différents massifs sont, dans l’ensemble, entièrement constitués de kératophyre. Les rivières qui y coulent sont soumises à des coudes brusques formant parfois des angles droits, particulièrement frappants si l’on examine la carte. Ainsi le Cotingo, au sortir de la grande dépression, prend brusquement, après son confluent avec le Tiporém, le direction NNW-SSE, avant de pénétrer dans une gorge NNE-SSW.
25Une étude approfondie des mouvements tectoniques et des phases d’érosion paraît donc indispensable pour comprendre le modelé de cette zone montagneuse.
III. La zone plane
26La partie la plus méridionale de notre zone d’étude est, comme nous l’avons déjà dit, formée par une vaste région plane et découverte. Des mornes ou de petites chaînes et des massifs aux versants abrupts, plus ou moins alignés, interrompent parfois la monotonie du paysage. La roche en place apparaît rarement dans les rivières, donnant alors naissance à des rapides ; un sable souvent argileux recouvre toute la région plane. Cette couverture est disséquée en « baixas » ou zones basses, humides, donnant quelquefois naissance à une rivière, par exemple le Puraquê et l’igarapé Atola, tous deux affluents du Tacutu. Envahies par les eaux en saison humide, marécageuses et partiellement asséchées durant la saison sèche, ces « baixas » se signalent quelquefois de loin par une ligne de « meritis » (mauritia vinifera). Elles isolent les dos de terrain à tel point que, pendant l’hivernage ou été boréal, les habitants de la région ne peuvent guère s’éloigner de leurs fermes. Pendant la saison sèche ou « été » qui est en réalité l’hiver boréal, les troupeaux au contraire se groupent et se mêlent dans les zones restées humides5.
27Les rivières sont peu nombreuses. Aussi les fermes sont-elles échelonnées sur leurs bords ou au pied des petits massifs qui donnent naissance à des cours d’eau, soit encore auprès des dépressions fermées. Celles-ci sont en effet fréquentes. Certaines sont en partie ou totalement asséchées pendant la saison sèche, d’autres au contraire sont permanentes. Sur les photographies aériennes, les zones circulaires qui entourent ces dépressions montrent bien les différentes étapes de leur assèchement.
28Entre les grandes rivières, le drainage est désorganisé et entièrement dépendant de l’alternance des deux saisons. Un gisement de diatomites, à la naissance du Puraquê, donne d’autre part la preuve de l’existence d’un ancien lac, aux eaux peu profondes6. Durant l’été, la zone souffre de la sécheresse, l’herbe se fait plus rare et plus pauvre, des plaques de sel apparaissent. Pendant l’hiver, les dos de terrain font penser à une série de petites îles. On ne peut s’empêcher de songer aux paysages de l’île de Marajó. Sur les photographies aériennes, l’ensemble donne l’impression d’un puzzle compliqué, de zones blanches à sillons divergents, signalant les « tesos », découpées en contours irréguliers par des bandes noires, de largeur variable (cartes hors texte no III, IV et V).
29Le niveau général des « tesos, environ 20 à 25 mètres au-dessus des zones basses, paraît être uniforme, et, de loin, l’horizontabilité semble parfaite.
30La savane couvre toute la région. Composée d’une herbe jaunâtre (aremochloa) pendant la saison sèche, poussant par touffes, elle varie localement. On passe des « campos limpos » aux « campos sujos »7. Les touffes de graminées sont souvent déchaussées par les pluies. Les arbres, dont le plus fréquent est le curatella americana (nom local : caimbé) sont souvent petits et tordus. Les cactus apparaissent sporadiquement. D’énormes termitières ponctuent la monotonie du paysage, que coupent les longs rubans sinueux de forêt ciliaire8 qui bordent les grandes rivières. Dans celles-ci, en saison sèche, apparaissent quelques bancs de galets et surtout de sable. Les méandres divagants, recoupés, abandonnés, entourent leurs rives. Leur lit, creusé dans les sédiments, s’élargit en nappes pendant la saison humide.
31Disséminés dans cette vaste étendue plane, les seuls témoins rocheux sont les massifs, qui se dressent, tels des inselbergs. De granite, de kératophyre, de schistes même, coupés de filons de dolérite et de quartz, ils sont plus ou moins élevés et d’importance diverse. Une zone rocheuse les entoure parfois, ou au contraire, ils sont accompagnés d’une dépression locale, tel le Mont Taxi, encerclé d’une zone marécageuse.
32Le mauvais drainage de cette zone, le niveau des « tesos », les témoins de roche ignée qu’elle comprend, ainsi que les coupes sédimentaires visibles dans les rivières, posent de nombreux problèmes à la fois morphologiques et paléoclimatiques.
IV. La coupe géologique
33Dans son travail9, M. Glycon de Paiva présentait une coupe géologique allant des campos São Marcos au Roraimã. Nous avons tenté, en coordonnant les prélèvements d’échantillons, les observations de terrain et les altitudes relevées au baromètre d’en tracer une, d’extension plus réduite, qui part de la fazenda Mangueira, sur la rive gauche du Surumu et atteint les grès au Nord-Ouest de Vista Geral. La principale différence entre ces deux schémas concerne surtout les altitudes. Celles que signale M. Glycon de Paiva sont plus élevées, surtout pour les premiers contreforts et le massif montagneux. L’ordre de grandeur de celles que nous avons marquées a été confirmé par les mesures de plusieurs baromètres, et nous paraissent par conséquent approcher de plus près les faits.
34Nous avons donc pu relever la succession suivante (fig. no 1).
35La surface d’aplanissement de la zone Sud est composée principalement de granite et de gneiss appartenant au Complexe cristallin, qui près du contact montagneux, alternent avec des kératophyres.
36Des affleurements de roches groupés sous le nom de Série Rio Branco par M. Glycon de Paiva, et attribués à l’Algonkien, comprennent au sud de la région que nous avons étudiée, des schistes à amphibole, des quartzites et des itabirites10.
37Elle est recouverte en discordance par une série sédimentaire composée de grès, de sable et de sédiments fins, parfois lacustres, d’une épaisseur d’environ 30 mètres. Cette couverture, dénommée Série de Boa Vista11, attribuée au Quaternaire Récent, diminue d’épaisseur près du contact montagneux, alors que l’altitude générale s’élève très légèrement.
38Les contreforts de la Serra, souvent granitiques, mais intercalés de kératophyres, forment des replats et n’atteignent guère plus de 100 mètres d’altitude relative. Λ leur pied, se distinguent localement un ou deux niveaux de kératophyre arasé.
39Toute la partie Sud du massif montagneux est constituée par un grand épanchement de kératophyres, plus ou moins schisteux, parfois à texture porphyrique, auxquels s’associent des tufs, des granites et des syénites. Ces roches, dénommées Formation Surumu par M. Octavio Barbosa, et attribuée peut-être au Silurien, sont coupées de nombreux filons de dolérite et de quartz, ainsi que de failles et de fractures.
40Le massif s’élève par paliers jusqu’à environ 800 mètres d’altitude absolue. La surface d’aplanissement de Vista Geral tranche alors les kératophyres. A une centaine de mètres plus haut, environ, les grès et les conglomérats recouvrent une surface d’érosion.
41Aucun fossile n’a permis jusqu’à présent de dater de façon certaine cette formation gréseuse. Des analogies de faciès seulement ont permis de l’attribuer au Dévonien. M. Octavio Barbosa distingue les premiers reliefs sédimentaires, dont les couches pendent d’environ 10 à 30° vers le Nord, de ceux du Roraimã, presque horizontaux. Les premiers sont dénommés Formation Suapi, attribués au Dévonien inférieur, typiques d’un dépôt marin côtier, et très similaires à ceux de la Formation Serra Grande, dans le Piauí (Dévonien inférieur)12. Plus au Nord, la formation Roraimã (ou de Kaieteur en Guyane anglaise) serait peut-être le résultat d’une sédimentation continentale et attribuée au Crétacé.
42Enfin, des sills de Gabbro coupent ces formations sédimentaires. Signalés déjà par Glycon de Paiva dans la région du Quinô, ils ont été dénommés Formation Quinô par M. Octavio Barbosa, et attribués dubitativement au Crétacé supérieur12.
43La datation de ces différentes formations est donc encore très hypothétique, et aucun élément ne nous a permis de confirmer ou non les hypothèses émises jusqu’à présent. Aussi ne nous attacherons-nous qu’aux problèmes de succession chronologique, sans datation précise ainsi qu’à l’influence des différents types de formation sur les formes du relief.
V. Le climat
44Nous avons au début souligné l’originalité de cette région amazonienne, quant à sa végétation. Il nous paraît donc particulièrement nécessaire de faire une brève analyse du climat actuel, bien qu’une étude minutieuse soit déjà donnée dans le travail de M. Antonio Guerra13.
45Les données actuelles ne concernent que la station de Boa Vista, située à 2° 48'de latitude Nord, c’est-à-dire au Sud de notre région. Dans celle-ci, en particulier dans la zone plane, la sécheresse doit être plus accentuée. D’autre part Boa Vista est placée au milieu de la grande plaine sédimentaire, soit à environ 90 mètres d’altitude. Les mesures qui y ont été effectuées ne donnent par conséquent aucune idée des modifications apportées par le relief montagneux, tant au point de vue des températures que des chutes de pluie. Les quelques renseignements que nous avons pu réunir au cours des expéditions ne sont pas assez complets pour combler cette lacune.
46Les mesures des températures, citées par M. A. Guerra, concernent huit années d’observations pour les maximums et cinq pour les minimums ; les relevés pluviométriques ont été effectués durant trente-deux années. Il faut cependant noter quelques interruptions.
47Les deux premières caractéristiques de ce climat sont la chaleur et l’absence de variations thermiques importantes. Les températures ne sont pas considérablement élevées, puisque les moyennes compensées varient entre 26° en juin et juillet et 28° 8 en novembre14, mais elles sont symptomatiques d’un climat chaud. Selon les renseignements cités par M. A. Guerra, la température absolue la plus élevée enregistrée à Boa Vista a été de 39° 1 alors que la plus basse observée dans le territoire du Bio Branco en 1940 est de 19°. Mais la moyenne des maximums oscille entre 29° 3 en juillet et 33° 3 en novembre, et celle des minimums va de 22° 7 en juin, juillet et août et 24° 2 en novembre. L’amplitude annuelle est de 2° 8 et les amplitudes mensuelles ne dépassent pas 9° 4 (octobre). Les courbes de températures dessinent cependant deux maximums, l’un en octobre-novembre, l’autre en mars, et, d’autre part, les oscillations thermiques sont plus accentuées dans la zone montagneuse, en particulier lorsqu’on atteint la région grèseuse qui s’étend à partir d’une altitude d’environ 1.000 mètres. Dans un des rapports de la Commission brésilienne de démarcation des limites15, il est signalé qu’au Roraimã, la température est de 18° durant le jour, et descend jusqu’à 6 ou 8° pendant la nuit.
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48La moyenne des pluies annuelles est de 1.584,1 millimètres, ce qui est relativement modéré. En effet, Clevelandia, située à 3° 9'de latitude Nord a des chutes de pluies moyennes qui dépassent 3.100 millimètres.
49Leur répartition dénote deux saisons très marquées. La saison humide, correspondant à l’été de l’hémisphère Nord, ne comporte guère que trois mois très pluvieux, mai, juin, juillet, pendant lesquels les moyennes des précipitations se tiennent aux environs de 300 millimètres. Les pluies diminuent déjà en août (moyenne 203,4 mm). Elles dépassent à peine 100 millimètres en septembre et novembre et n’atteignent plus que 50 millimètres durant les autres mois. En janvier, mois le plus sec, la moyenne est limitée à 31,7 millimètres.
50Cette alternance des saisons pluvieuses et sèches est particulièrement visible sur les graphiques nos 2 et 3. Le second montre les courbes circulaires des moyennes mensuelles et annuelles des pluies, alors que le premier présente les indices d’aridité mensuels et annuels établis selon le procédé de M. de Martonne16, c’est-à-dire en appliquant les formules suivantes :
51(Indice d’aridité de M. de Martonne)
52(Indice d'aridité de M. de Martonne)
53Les indices obtenus sont les suivants :
54Indice annuel : 42,24.
55Indices mensuels :
Janvier | Février | Mars | Avril | Mai | Juin | Juillet | Août | Septembre | Octobre | Novembre | Décembre |
10,03 | 10,8 | 11,8 | 32,08 | 95,83 | 116,06 | 107,8 | 66,87 | 25,5 | 19,79 | 12,27 | 13,15 |
56On peut constater d’autre part que les courbes des deux graphiques, précipitations et indices, ont exactement la même silhouette, ce qui est normal en raison de la constance des températures.
57Nous nous trouvons en somme en présence d’un climat avec une saison sèche accentuée, c’est-à-dire d’un type tropical correspondant au type soudanais d’Em. de Martonne et au type Awi de Koppen.
58Suivant les années, l’accentuation des saisons est plus ou moins marquée et, d’autre part, la répartition des pluies varie légèrement, la saison des pluies commençant plus ou moins tôt. Ainsi en 1914, année la plus sèche, les mois de janvier, février et mars ont eu respectivement 19,6, 7,5, et 0,0 millimètres de pluie, alors qu’en 1951, ces mêmes mois montraient des totaux de 76,2, 146,1 et 91,4 millimètres. Il est vrai qu’alors, les mois de novembre et décembre n’avaient reçu que 11,0 et 0,0 millimètres de pluies.
59On ne peut certes pas parler de sécheresse, comme dans le Nord-Est, mais le total des pluies annuelles peut montrer de grandes différences : 2.359 millimètres en 1951 ; 845,4 millimètres en 1914, la saison sèche ayant été alors assez accentuée pour que plusieurs mois ne reçoivent aucune pluie. La saison des pluies avait cependant eu une certaine intensité puisque le mois de mai présentait une moyenne de 261,9 millimètres.
60Dans la zone montagneuse, région de sources, où nous avons pu constater que les précipitations étaient plus fréquentes que dans le reste de la zone, surtout en saison sèche, les conséquences de l’accentuation plus ou moins marquée de celle-ci prennent une moins grande importance. Mais il est certain que, dans la plaine, alimentée presque uniquement par quelques grandes rivières et des dépressions fermées, la sécheresse pose parfois des problèmes pour le bétail. C’est une des raisons pour laquelle certains éleveurs songent à transporter leurs fermes dans la montagne.
61La forme des chutes de pluies est aussi importante à noter, en particulier en ce qui concerne le début et la fin de la saison sèche. Le nombre de jours de pluie peut être très réduit, celle-ci tombant sous forme d’orages violents. Il se limite parfois à deux par mois dans la zone de Boa Vista, et n’atteint souvent que quatre à cinq pendant les mois d’octobre et novembre. Même pendant la saison des pluies où il s’élève à dix-huit ou vingt en mai, juin et juillet, les orages restent fréquents. La quantité d’eau tombée pendant ces trois mois représente en effet les trois cinquièmes des chutes annuelles.
62D’autre part, la nébulosité17 présente très peu de variations. En effet, si, comme il est normal dans les pays tropicaux, elle augmente sensiblement chaque après-midi, elle reste très constante d’un mois à l’autre. Ainsi, en 1950, elle avait une valeur comprise entre 6,2 et 6,6 % en mai, juin, juillet et son minimum, en novembre, était encore de 5,6 %. Ceci souligne la valeur considérable de l’insolation et, par conséqent, de l’évaporation, qui peut accentuer anormalement le caractère relativement sec du climat.
63L’humidité relative18 est en moyenne assez élevée. Les chiffres portant sur des moyennes de onze années d’observations révèlent 71,2 % de moyenne annuelle, les moyennes mensuelles étant de 66,4 % en janvier et 77,3 % en juillet. Elle est nettement plus faible que dans la région forestière du Sud du Territoire, puisque Barcelos détient 85,7 % de moyenne annuelle. Cependant, en 1950, les mesures vont de 70,5 % à 79 %. Les observations que nous avons faites pendant les expéditions, dont le tableau suivant donne quelques exemples, montrent qu’en octobre et novembre, il n’est pas rare d’atteindre 85 à 95 % d’humidité relative le matin. Par contre, une forte diminution apparaît à la fin de l’après-midi.
64Un autre facteur entre encore en jeu dans le climat du Rio Branco, c’est l’influence des vents19.
65Dans un graphique en coordonnées polaires (n° 3), nous avons groupé, en suivant une méthode de M. Ruellan, les moyennes des pluies et des températures, et les indications sur les vents. La longueur de chaque vecteur correspond à la proportion de la fréquence de chaque vent dans les différents mois. Les cercles représentent les pourcentages de calmes. Leur rayon est égal à la racine carrée du quotient du pourcentage par 3,14. Les chiffres désignent la vitesse du vent.
66La prédominance du vent d’Est est, très frappante. Son importance diminue légèrement pendant la saison des pluies. De mai à juillet, les totaux de fréquence descendent à la moitié de ce qu’ils sont pendant les mois de sécheresse. Les vents du Sud, au contraire, soufflent plus souvent, mais, même en cette période, leur fréquence n’atteint, jamais plus du quart de la fréquence des vents d’Est. C’est également pendant la saison des pluies que la proportion des calmes augmente et que les maximums et les minimums moyens de températures sont les plus rapprochés.
67Le vent du Nord-Est vient en second et ses variations suivent celles du vent d’Est. Ils représentent tous deux l’alizé de l’hémisphère Nord, connu sur toutes les côtes d’Amérique du Sud. Ils sont relativement desséchants, car ils ont abandonné une partie de l’humidité qu’ils portaient sur le littoral et sur les premiers reliefs du massif des Guyanes. Ils dominent pour presque les deux tiers des observations. On peut donc dire que le régime des vents de la région est principalement celui de l’alizé.
68L’autre tiers est occupé par les calmes, les vents du Sud, et, dans une très faible mesure, les vents du Sud-Est. Malgré la proximité de l’Equateur, les calmes ont une durée très réduite. Ceci accentue l’évaporation sous l’influence des vents, ainsi que les possibilités de transport de poussières et de sable par un vent régulier. Selon le témoignage de certains habitants de la région de Normandia, dans la partie orientale de notre zone, le vent transporte souvent une poussière de couleur foncée qui pénètre partout.
69Mais si les vents d’Est, sont les plus fréquents, ils sont loin d’être les plus violents. Leur vitesse ne dépasse pas 2,3 m/s pendant la saison sèche et descend même à 1,8, 1,5 durant la saison humide. Le vent du Nord-Est a des valeurs sensiblement plus accentuées, de 3,6 à 4,6 {rendant la saison sèche et de 2,2 à 2,9 pendant la saison humide. Le vent du Sud, associé aux orages, est le plus fort ; il va de 3 à 3,9.
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70Le climat du Rio Branco est donc un climat chaud, caractérisé par une certaine constance dans les températures et deux saisons très marquées. La saison des pluies est relativement courte et plusieurs facteurs contribuent à accentuer la sécheresse assez étonnante à cette latitude. Les chutes de pluie revêtent souvent une forme orageuse, et les vents desséchants permettent une forte évaporation. Ceci, associé à des écarts de températures plus marqués dans la zone montagneuse, contribue à l’érosion mécanique des roches. La saison humide favorise d’autre part la décomposition chimique, et l’alternance des deux saisons permet la constitution de nappes souterraines. Celles-ci échappent à l’insolation et favorisent l’installation de puits. Mais la partie superficielle du sol reste soumise à l’action du soleil. Les nappes pluviales ruisselantes, dont la fréquence est soulignée par celle des orages contribuent à l’érosion des sols, tandis que les particules les plus fines se trouvent transportées par les vents presque constants.
71Ces phénomènes ont leurs répercusions sur le régime de l’hydrographie. Les rivières sont en effet très irrégulièrement alimentées. De septembre à mars, les chutes de pluie sont insuffisantes pour maintenir des sources pérennes, surtout dans la région plane. Les lits des cours d’eau se dessèchent et de nombreux marécages disparaissent. D’autre part, les orages donnent un aspect torrentiel aux rivières. Dans la montagne, des masses d’eau considérables s’écoulent en quelques heures, transportant des pierrailles, des graviers, des sables grossiers qui sont ensuite déposés principalement dans la zone de contact avec la plaine. Mais les terrasses, entre deux périodes d’inondation, restent mal drainées. Dans la plaine, les grandes rivières ont des crues subites qui couvrent un vaste lit majeur, remplissent des faux bras et des méandres abandonnés, et même des dépressions lacustres, notamment au pied de la montagne.
72Deux rivières importantes assurent le drainage de la région : le Surumu et le Tacutu. Le Surumu a pour principaux affluents le Miang et le Cotingo. La zone plane qui sépare ce dernier du Surumu a une forme presque triangulaire. Les petites rivières qui descendent de la montagne s’y réunissent en un seul affluent du Surumu, le Taxi. Le Tacutu, qui, après son confluent avec le Maú, prend la direction NNE-SSW, reçoit le Xumina et le Viruaquim. Quelques très courts affluents, gonflés d’eau pendant la saison des pluies prennent leur source dans la plaine elle-même. Mais le contraste est frappant entre la montagne, zone de sources, dans laquelle le réseau hydrographique est extrêmement dense, et la zone plane, où sa concentration le réduit à quelques grandes rivières.
VII. Conclusions
73En résumé, la zone que nous étudions fait partie du système guyanais, mais son réseau hydrographique est tributaire de l’Amazone. Malgré sa latitude, c’est une zone presque entièrement de savane, qui jouit d’un climat à deux saisons, avec une saison sèche accentuée, surtout en ce qui concerne la partie plane, par la présence des alizés et un sol perméable.
74Les altitudes, la nature des roches et les formes du relief permettent de distinguer trois parties principales : la zone plane où dominent les roches du Complexe Cristallin, recouvertes par environ 30 mètres de sédiments ; le contact avec le massif montagneux, essentiellement formé de kératophyres et de granites ; et le massif lui-même, jusqu’au début des cuestas grèseuses.
75Les problèmes sont nombreux et nous ne pourrons souvent que les poser. Nous nous attacherons à dégager les phénomènes qui permettent d’esquisser l’évolution du relief en fonction de la nature et de la structure du sous-sol, c’est-à-dire la succession de la mise en place des grands ensembles pétrographiques, structuraux et morphologiques : épanchements volcaniques, lamination de la roche, intrusions granitiques, aplanissements, série sédimentaire septentrionale, filons de dolérite et de quartz, fractures, failles, blocs faillés et soulevés. Nous essaierons également de noter quelles sont les traces des phénomènes quaternaires, marquées en particulier par les terrasses et l’évolution des sols, et, enfin, de définir quelle est l’évolution actuelle de la région.
Notes de bas de page
1 Bibliographie no 47.
2 Bibliographie no 57.
3 La traduction littérale de « fazendeiro » est paysan propriétaire. Mais il faut tenir compte que le régime des fermes est extrêmement différent de celui de la France, notamment que la terre n’est pas encore distribuée ; le « fazendeiro » est ici surtout un propriétaire de troupeaux. Les « garimpeiros » sont les chercheurs de diamants.
4 Les analyses des roches ayant été faites par un pétrographe brésilien, nous avons préféré conserver la nomenclature qui est généralement en usage en Amérique du Sud.
5 Les dénominations des saisons sont inversées localement par les habitants, la saison sèche — novembre à mars — étant appelée « verão » ou été, et la saison humide, hiver. C’est une habitude courante en Amazonie.
6 Analyse faite par M. le Professeur Deflandre, donnée en annexe au chapitre IV.
7 Les Brésiliens distinguent les campos limpos (champs propres), sans arbres, des campos sujos (champs sales), avec quelques arbres et buissons clairsemés, des campos cerrados (champs fermés) où les arbres sont plus nombreux.
8 Le ternie « forêt ciliaire » est traduit du brésilien « mata ciliar ». Il désigne la forêt qui borde régulièrement chaque côté des rivières, sans masquer le cours d’eau lui-même et sans s’étendre largement sur les rives. H permet de noter la différence qui existe avec la forêt-galerie dont les arbres, plus développés et plus largement étendus sur les bords forment souvent une voûte fermée.
9 Bibliographie no 47.
10 Bibliographie no 47.
11 Bibliographie no 9.
12 Bibliographie no 2.
13 Bibliographie no 30, p. 98 à 109. Pour les moyennes annuelles et mensuelles, nous nous sommes permis d’utiliser les tableaux exposés dans ce travail puisqu’ils résument les seules données que l’on possède actuellement.
14 Certaines stations, comme Porto Nacional, à une latitude plus élevée, au Sud de l’Équateur, atteignent ou dépassent légèrement un maximum de 40° de température absolue.
15 Bibliographie no 22.
16 Bibliographie no 38.
17 Annexe no 2.
18 Annexe no 2.
19 Annexe no 1.
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