Chapitre V. De la biographie
p. 450-471
Texte intégral
1 1. Du rôle de la biographie. — La biographie a passionné Sarmiento. Dès l’adolescence, il a été frappé par la lecture de la Vie de Cicéron, de Middleton1578. Et, à moins qu’en rédigeant Mi defensa il n’attribue à son enfance des réflexions faites en 1843, il a associé de bonne heure biographie et histoire. C’est en lisant le livre de Middleton, en effet, dit-il, que l’idée lui est venue d’apprendre l’histoire des Grecs et des Romains. Il étudie alors celle-ci dans les « catéchismes » d’Ackermann1579. Aussi est-il malaisé, quand il cite un auteur, de préciser s’il l’a connu directement, du moins par une traduction, ou par ce digeste. Pour être en mesure de connaître ses lectures, il faudrait avoir les catalogues de ces bibliothèques de San Juan, dont il dit qu’elles contenaient les principales œuvres du xviie siècle et les « traductions des meilleurs ouvrages grecs et latins »1580.
2Il a lu sans doute les Vies de Plutarque, qu’il cite dès 18411581 et dont il rappelle l’influence sur Rousseau et Franklin1582. Son goût inné du personnage singulier n’a pu que s’affirmer, quand il connut les héros d’Homère et de Virgile, auxquels il a emprunté plus d’un trait pour dépeindre ses héros américains1583. A l’en croire, il aurait lu De l’histoire des guerres de Jugurtha, en même temps qu’il rédigeait Facundo. Vicente Fidel López étudiait alors ce livre pour se présenter à un examen. Les deux amis exilés l’auraient commenté ensemble1584. C’est du moins ce que raconte Sarmiento en 1881. Alors seulement, semble-t-il, il fait un rapprochement entre le guerrier numide et le caudillo de la Rioja qu’il nomme « Jugurtha argentin »1585. Il n’imagine cette formule que sur la fin de sa vie ; mais, l’année de Facundo, il commente un passage de Salluste1586. Il y a donc concordance entre les souvenirs de l’écrivain et un fait facilement vérifiable. Toutefois, si le rapprochement est valable grosso modo, on peut tout au plus conjecturer que Sarmiento a songé à Jugurtha quand il a écrit son livre. Il n’en a rien laissé transpirer.
3Dès 1841, il considère que « La biographie est la matière première de l’histoire »1587. En même temps, donc, que s’éveille en lui la passion de l’histoire, il attribue une utilité extrême à la connaissance de la vie des hommes, pour comprendre les événements de leur temps.
4Influencé par les idées européennes, Sarmiento estime que la mission de l’histoire n’est pas seulement de consigner des faits, mais, plutôt, de déterminer l’esprit qui les anime ; au fond, de tracer le déroulement des civilisations. L’homme y joue donc, tout naturellement, le rôle principal.
5A l’axiome dans lequel Sarmiento cristallise l’importance qu’il accorde à la biographie, il convient d’ajouter cette interprétation :
La biografía de un hombre que ha desempeñado un gran papel en una época i país dados, es el resumen de la historia contemporánea, iluminada con los animados colores que reflejan las costumbres i hábitos nacionales, las ideas dominantes, las tendencias de la civilización, i la dirección especial que el jenio de los grandes hombres puede imprimir a la sociedad1588.
6Ces lignes, écrites en 1842, révèlent déjà l’auteur de Facundo. On peut même dire que Sarmiento n’a jamais défini aussi nettement l’esprit dans lequel son livre a été conçu.
7Comprise ainsi, la biographie a donc l’avantage, sur la simple narration des faits, de constituer un résumé historique.
8Elle en a un autre lié à celui-ci : elle met l’histoire à la portée du peuple1589. Tout ce que l’histoire a d’ardu pour le commun des mortels, quand l’historien entreprend d’expliquer les événements, devient facile avec la biographie. Celle-ci fixe l’attention du lecteur sur un être réel qu’elle fait vivre sous ses yeux ; elle le captive et l’initie sans effort de sa part à la marche des événements, dont le fil conducteur est tenu par le protagoniste.
9Car l’homme illustre, qu’il soit lucide ou non, est l’homme du moment. Qu’il s’abandonne à son instinct — Facundo — ou cherche à tirer parti du moment historique — Rosas — il reste représentatif.
10Sa personnalité modifie l’orientation de la société dans laquelle il vit, mais il est aussi l’instrument de l’histoire. Un homme illustre indépendant du milieu qui l’entoure ne saurait exister. Il y a partie liée entre l’homme illustre et la vie d’une société. Tout en paraissant s’imposer aux événements, l’homme illustre est imposé par eux. Sarmiento dit du colonel José Luis Pereira, par exemple, qu’il fut un des instruments de la liberté américaine1590.
11Mais alors, si l’homme illustre est l’instrument de l’histoire, faut-il lui reconnaître un caractère fatal et, par conséquent, ne lui opposer aucune résistance, l’aider au contraire à remplir son rôle ? Non. Telle est la réponse que Sarmiento donne à cette question, à la fin de Facundo. Car il admet un jugement de valeur. Aussi fait-il ce qu’il peut pour discréditer la tyrannie de Rosas, mais il appuie la candidature de Montt à la présidence de la république, parce qu’il voit en lui le bon génie du Chili1591.
12Dans ces conditions, la vie de l’homme illustre semble ne plus être un résumé de l’histoire contemporaine, mais ne représenter que certaines tendances dominantes. Donc la biographie risque de donner une vision incomplète d’une époque. Il n’en est pas ainsi dans l’esprit de Sarmiento. Certes, l’écrivain considère l’homme illustre comme le représentant des idées dominantes ; mais, à son avis, le biographe doit aussi tenir compte des idées des autres, ne serait-ce que pour montrer comment son héros a dû les modifier, ou comment il les a étouffées.
13La biographie reste donc un abrégé vivant de la société contemporaine. Et, c’est le pédagogue qui parle, elle renseigne agréablement l’homme du peuple. Sarmiento ne perd jamais de vue l’enseignement des masses.
14Le succès des ouvrages biographiques, de nos jours, montre que l’idée de Sarmiento, nouvelle en Amérique, à l’époque, a fait son chemin. Sarmiento a été conscient de ce caractère de nouveauté.
15La biographie est si bien, pour lui, « une nouvelle voie du progrès » qu’il engage vivement le gouvernement à récompenser les jeunes écrivains tentés par ce genre littéraire et historique1592.
16Sarmiento a donc mis en relief le rôle primordial de l’homme illustre dans l’histoire. Néanmoins, comme s’il voulait lui donner une leçon de modestie, il lui rappelle, en même temps, qu’il n’est que le produit de son milieu ; que, sans les hommes qui l’ont précédé, sans ceux qui l’entourent, il ne serait pas devenu cet homme illustre. Sa vie commence avant sa naissance. Elle se poursuivra après sa mort, dans la vie même de la société :
... si la naturaleza de las acciones humanas es de perpetuarse en el recuerdo de los hombres, según la magnitud i estensión de los resultados que produjeron, suponen antecedentes i elementos que existían en el caudal de la tradición i de la historia que los hombres notables elaboran, desenvuelven, i estienden en mayor escala1593.
17En envisageant l’homme illustre plongé dans le courant historique, confondu avec lui, Sarmiento élargit l’importance de la biographie. Il a l’impression qu’en accumulant les biographies, il fournit des matériaux à l’histoire1594.
18Mieux encore. La biographie ne sert pas seulement à explorer le passé, elle permet de prévoir l’avenir. Elle s’évade alors du domaine de l’histoire pour entrer dans celui de la prophétie, ou, du moins, des pronostics. Elle change de nature. Mais elle acquiert une utilité pratique qui n’est pas négligeable pour quelqu’un qui est lui-même acteur dans le drame qu’il décrit.
19La dernière phrase des notes biographiques concernant Aldao est, à ce propos, pleine de sens et révèle l’homme d’action qui interroge la vie d’un adversaire politique pour deviner ses intentions :
La biografía de los instrumentes de un gobierno revela los medios que pone en acción, i deja conjeturar los fines que se propone alcanzar.
20Cette utilité n’est pas seulement d’ordre politique. Elle peut être aussi morale. La biographie d’un homme illustre, tel que Franklin, par exemple, propose un exemple salutaire, en stimulant les aspirations d’une jeune âme à la beauté et à la perfection1595.
21Ces considérations justifient amplement la prédilection que Sarmiento a pour la biographie1596.
22 2. Les biographies dans l’œuvre de Sarmiento. — Trois volumes des Obras ne sont composés que de biographies écrites par Sarmiento tout au long de sa vie, après l’époque dont nous nous occupons1597.
23Cette prédilection avait eu maintes fois l’occasion de se donner libre cours avant 1852.
24La teneur des biographies tracées par Sarmiento invite à les classer en deux grandes catégories qui figurent, somme toute, la dualité que l’écrivain voit dans l’histoire de son pays. Dans l’une, trônent les mauvais génies : Aldao, Quiroga, Rosas. Ils occupent la plus grande place dans l’œuvre, car ils sont les adversaires qui ont bouleversé et orienté la vie de l’émigré.
25Dans l’autre, il y a les hommes exemplaires. La biographie revêt alors fréquemment la forme d’un article nécrologique. A l’occasion d’un décès, l’écrivain retrace la vie du défunt avec ses traits dominants. Il sait fort bien qu’un article de ce genre, presque obligatoirement un panégyrique, laisse dans l’ombre les défauts pour ne faire apparaître que les qualités. Peu importe. De même qu’il admet qu’un homme illustre ne représente que les idées dominantes de son époque, de même il pense que l’homme exemplaire n’intéresse que par ses vertus1598.
26Il honore seulement de brefs articles la mort d’O’Higgins1599, ou de quelques militaires de l’Indépendance : José Luis Pereira1600, José Agustín Jara-Quemada1601.
27En revanche, à l’occasion de l’anniversaire de la bataille de Chacabuco, il rappelle longuement le rôle joué par San Martin dans la libération du Chili ; et son Discours de réception à l’Institut Historique de France a pour unique sujet l’entrevue de Guayaquil1602. Se fondant sur les confidences que son compatriote lui a faites à Grand-Bourg et sur la lettre que celui-ci adressa à Bolivar le 29 août 1822, il y signale le désintéressement du héros des Andes, qui proposa au libérateur vénézuélien de combattre sous ses ordres et finalement s’effaça. Fidèle à sa conception de la biographie, Sarmiento rapporte ce trait de grandeur et d’abnégation qui eut une influence immédiate sur la suite des événements1603.
28Toutefois, bien qu'il ait été lui-même militaire à l’occasion, Sarmiento s’intéresse peu à la vie des hommes de guerre en tant que tels. Il porte aux nues, sans doute, les exploits des héros de l’Indépendance, de San Martin particulièrement, mais il semble apprécier surtout chez celui-ci l’abnégation étonnante. La simplicité et l’esprit religieux de Washington, ses convictions profondes, son amour de la liberté, son respect envers ses concitoyens, sa foi dans la providence sont les qualités qu’il admire le plus chez lui. Elles représentent, à son avis, celles de la société dans laquelle cet homme a vécu1604.
29Le héros civil lui paraît tout aussi glorieux, plus peut-être, que le combattant couvert de lauriers ; en tout cas, tout aussi représentatif, historiquement parlant, que lui.
30Sarmiento a rêvé, dars sa jeunesse, d’écrire une vie de Franklin. Il ne réalisera pas ce rêve, mais il composera uniquement des biographies de civils : de Lincoln, d’Horace Mann, l’éducateur, d’Aberastain, la victime de la tyrannie, de Vélez Sársfield, le juriste, de Muniz, le chirurgien1605. Seule la Vie de Dominguito concerne un militaire ; mais ce jeune capitaine, mort sur le champ de bataille de Curupaiti, était son fils.
31Il écrit :
Interesa tanto mas conservar en la biografía de nuestros hombres notables, los hechos dignos de memoria, cuanto que ellos han de formar la primera pájina de nuestra historia civil1606.
32Persuadé de cette vérité, il propose les exemples de Manuel Salas « toujours disposé à applaudir... une réforme qui eût pour objet d’assurer l’ordre et la liberté », qui aima le peuple et la patrie1607 ; ou bien celui de Manuel J. Gandarillas, champion du forum, de la presse, de la politique1608. Ce n’est pas sans émotion qu’il évoque, en quelques pages, l’humble existence de José Dolores Bustos, qui fut son élève à l’Ecole Normale, devint inspecteur des écoles et mourut à la tâche après une vie consacrée à l’enseignement1609. L’opuscule et les articles qu’il compose pour soutenir la candidature de Montt à la présidence de la république constituent une véritable biographie exemplaire, dans laquelle l’auteur s’applique à dégager l’ardeur au travail, la probité, le courage, les vertus civiques de l’homme qui sera bientôt appelé à gouverner le Chili1610.
33Il n’est donc pas nécessaire qu’un homme soit à lui seul un résumé de l’histoire contemporaine pour qu’il mérite d’intéresser un biographe. Un être humain doit attirer l’attention de l’historien même s’il ne reflète qu’un aspect de son temps, une partie de la société. Même s’il n’incarne que certaines nobles aspirations qui sommeillent dans les âmes et se révèlent seulement chez lui par une attitude qui suscite l’admiration collective. Il existe, en effet, des êtres privilégiés qui personnifient la sensibilité d’une époque sans avoir joué dans celle-ci aucun rôle important. Ainsi l’héroïque Doña Paula Jara-Quemada de Martinez, qui soutint le courage de San Martin, s’imposa par son sang-froid à un officier espagnol et qui, toute sa vie durant, fut un modèle de patriotisme et de charité chrétienne1611.
34Il est une biographie touchante entre toutes celles qu’écrivit Sarmiento : c’est celle de sa mère. Il lui a suffi d’en faire le portrait d’après nature pour fixer l’image d’une paysanne laborieuse qui a toutes les vertus domestiques. C’est avec fierté qu’il glorifie en elle la pauvreté honnête qu’il a héritée d’elle1612. Sans ce portrait, plein de vérité en dépit de l’amour filial qui lui donne les nuances les plus tendres, nous ne saurions rien de la vie d’une modeste provinciale argentine, au début du xixe siècle. Elle aurait sa place dans un livre qui recueillerait les vies des femmes exemplaires.
35Doña Paula Jara-Quemada et Doña Paula Albarracín de Sarmiento sont les deux seules figures féminines qui apparaissent dans la galerie de portraits que nous a laissés l’écrivain.
36En revanche, il a peint huit portraits d’ecclésiastiques.
37Dans ses Souvenirs de province, avec la spontanéité et la verve qui lui sont habituelles sans ce genre de description, il évoque son oncle José de Oro, qui fut pendant quelque temps son éducateur et exerça sur lui, quand il avait quinze ans, une influence décisive. Dresseur de poulains sauvages, professeur de latin et grand lecteur de la Bible, bon vivant qui faisait de la danse son péché mignon, chrétien qui avait horreur des superstitions et ne croyait pas aux miracles, cet homme possédait une forte personnalité. Sarmiento se souvient avec tendresse de ce mentor qui l’a exercé à la discussion et lui a inculqué les premières notions de dignité personnelle. Cette sorte d’athlète fédéral, qui aimait farouchement la liberté et la patrie, est un des personnages les plus pittoresques de la famille que Sarmiento a dépeinte avec la minutie d’un romancier à l’école de Balzac. Nous ne connaissons pas, dans la littérature argentine, un curé aussi original que ce José de Oro, digne oncle d’un tel neveu.
38Fray Justo de Santa Maria de Oro, frère du précédent, fut un des signataires de l’acte d’indépendance de la République Argentine et un des députés qui se refusèrent à décider de la forme gouvernementale à donner au pays sans consulter le peuple. Doté d’une vaste culture, connaissant plusieurs langues, ennemi du fanatisme, il représente bien le prélat « éclairé », tel que le conçoit Sarmiento. Créateur, Fray Justo avait aussi de vastes projets et, particulièrement, celui de fonder un monastère, dont il ne vit que le cloître, seule partie du bâtiment construite avant sa mort. C’est dans ce cloître que Sarmiento installa son Collège de jeunes filles, en 1839. Le jour de l’inauguration, l’estrade était dominée par un portrait de Fray Justo, ange tutélaire de l’éducation, symbole de la culture et de l’esprit démocratique1613.
39L’oncle José Manuel Eufrasio de Quiroga Sarmiento, évêque de Cuyo quand l’écrivain rassemble ses souvenirs, n’a pas l’envergure des deux autres. Il n’en est pas moins sympathique. Son neveu glorifie en lui le « vieux soldat de l’Eglise » qui, suivant sa jolie expression, « a monté la garde pendant un demi-siècle devant la porte de la maison du Seigneur »1614.
40Sarmiento trouve aussi des ecclésiastiques exemplaires en dehors de sa famille. Il leur demande les qualités qu’il juge indispensables chez un serviteur de la religion, telle que les temps modernes l’exigent.
41Ainsi, il loue le prêtre Ovalle y Balmaceda d’avoir embrassé sans hésitation la cause de l’Indépendance au moment de la rébellion, sans se croire tenu par un serment de fidélité à une autorité caduque. Il aime voir en lui le ministre d’une « religion sociale », qui a su accorder sa vie religieuse avec sa vie séculière, pratiquer la charité en vrai philanthrope1615.
42José Manuel Irarrázaval est un « prêtre exemplaire » d’un autre genre. Pour mieux se consacrer à sa tâche de prédicateur, il a refusé les dignités qu’on lui a offertes. « Apôtre du peuple », comme on l’a nommé, il renonce au langage affecté appris au séminaire et cherche à s’exprimer comme les paysans, dans l’espoir de mettre à leur portée un enseignement profitable1616.
43Dans Pie IX, qui a visité les Amériques alors qu’il n’était que le chanoine Mastai, Sarmiento voit le pape tolérant, flatté qu’on le dise libéral1617.
44Exception faite de José de Oro, l’ecclésiastique exemplaire dont Sarmiento a raconté le plus longuement la vie est le Doyen Gregorio Funes. Cela se comprend. Funes est considéré par lui et par les historiens modernes, comme un des précurseurs de la Révolution américaine. Selon Sarmiento, il occupe dans l’histoire une place aussi importante que Bolivar, San Martin et Mariano Moreno. Il a en outre l’immense mérite à ses yeux d’avoir élevé dans les nouvelles idées une « génération d’athlètes »1618.
45A l’aide de ces croquis — la biographie la plus longue ne dépasse pas une vingtaine de pages — il est aisé d’imaginer le portrait moral de l’ecclésiastique exemplaire tel que le voit Sarmiento : patriote, c’est-à-dire partisan de la Révolution, libéral en politique, donc tolérant, charitable, désintéressé, humble et instruit, tout entier voué à sa tâche d’éducateur des âmes et des intelligences.
46Tel n’était pas Pedro Ignacio de Castro y Barros, qui incarne le type du mauvais prêtre, hypocrite, ambitieux, intolérant. Il est dommage que Sarmiento n’ait fait que commencer la biographie de celui qu’il a appelé le « caudillo du fanatisme », et accusé d’avoir jeté le premier doute dans son âme par des sermons forcenés accompagnés de gesticulations théâtrales1619. L’auteur de la Vie de Fray Félix Aldao aurait sans doute brossé un portrait magistral de ce torturé instable. La biographie tronquée, qui débute par la description impressionniste d’une après-midi automnale, s’annonce à peu près comme celle de Facundo. L’écrivain y dit son intention d’étudier cet « atome de notre histoire contemporaine appelé Castro Barros ». Dans son introduction, il insinue son désir d’interpréter la déchéance de l’Argentine en analysant la vie de Castro Barros comme il avait analysé celle de Quiroga ou d’Aldao1620. Il y avait là un épisode à ajouter au drame que l’écrivain intitula Civilisation et barbarie. Si Sarmiento ne l’a pas écrit, ce n’est pas faute d’y avoir songé. L’image de Castro Barros l’obsède. Dans ses Souvenirs de province, il retrace les manigances de cet homme qui, pour se gagner les bonnes grâces de ses supérieurs, s’était lancé dans l’ultramontanisme le plus exubérant ; qui, ayant prêché la guerre sainte contre les unitaires, se tourna contre Quiroga, puis revint, sur la fin de sa vie, à son fanatisme initial. Quel canevas pour un écrivain comme Sarmiento ! Celui-ci prétend avoir abandonné la biographie commencée pour ne pas contrarier les desseins de ceux qui voulaient faire de Castro Barros une sorte de saint. C’est du moins le motif invoqué dans les Souvenirs1621. Mais, dans ses articles de la Crónica, il fait allusion à la Revista católica qui avait dénoncé certaines calomnies qui couraient sur le compte du prédicateur1622. Sarmiento ne voulait peut-être pas entamer une nouvelle polémique avec cette revue, alors qu’il avait besoin de toutes ses forces pour lutter contre la tyrannie.
47En tout cas, des circonstances que l’on devine nous ont privé d’une biographie dont le début permettait d’augurer un livre fertile en péripéties, aussi vivant que Facundo, avec un personnage central qui eût symbolise la barbarie du fanatisme, tout comme le « Tigre de Los Llanos », symbolisait la barbarie du caudillismo.
48 3. L’autobiographie. — En veine de confidence, Sarmiento écrit dans scs Souvenirs de province :
Tenemos decididamente una necesidad de llamar la atención sobre nosotros mismos, que hace a los que no pueden mas de viejos, rudos i pobres, hacerse brujos ; a los osados sin capacidad volverse tiranos crueles ; i a mi acaso, perdónemelo Dios, el estar escribiendo estas pájinas1623.
49On ne saurait refuser à « Don Yo » le sens de l’autocritique. Certes, Sarmiento a toujours éprouvé le besoin d’attirer l’attention sur lui. Cette manie lui vient de naissance probablement. Chacun l’a plus ou moins profondément enfouie en soi. On ne conçoit pas un batailleur qui en soit dépourvu. Cette manie est aussi le fait d’un pédagogue, d’un journaliste également.
50Or, Sarmiento était tout cela.
51Le sens de la dignité personnelle, que José de Oro a développé en lui, se transforme en arrogance, quand il refuse de monter la garde, à San Juan, et tient tête au gouverneur de la ville1624. Il se croit alors Cicéron, Thémistocle ou Franklin, dit-il. Hypersensible et fier dans son pays, il devient susceptible au Chili, où son amour-propre se confond avec son orgueil national. Le fait d’appartenir à une minorité, combattue parce qu’elle est trop active, lui met l’âme à vif. Son égotisme naturel se complique donc d’un patriotisme insatisfait et continuellement blessé, perpétuellement raillé. Ayant pris parti dans les luttes politiques locales, il est en but aux quolibets des hommes de l’autre clan qui, sans grande originalité, le traitent de cuyano, d’étranger. Le voilà ainsi attaqué dans sa qualité d’Argentin. Avec la mégalomanie qui le caractérise, il sent en lui toute l’Argentine mise en cause. Il grandit sa personne à la taille de son pays. Il s’identifie avec lui. Les malheurs dont Rosas frappe l’Argentine sont les siens. Mais, par un curieux retour des choses, il considère les affronts dont on l’accable comme des outrages nationaux. Il se sent le représentant de l’Argentine comme s’il en était déjà le président.
52Susceptible, il bondit sous l’insulte. Passionné, il se jette à corps perdu dans la polémique. En même temps qu’il lance une idée, il regarde autour de lui, cherche des yeux l’adversaire dont il a besoin pour montrer qu’il est le plus fort. Ses meilleurs articles sont écrits contre quelqu’un ou quelques-uns. Le combat le fait souffrir, mais il ne saurait s’en passer. Il a toujours quelque chose à prouver, une bataille à gagner.
53Il faut donc bien qu’il attire l’attention sur lui. Il se sent mêlé à la vie de la société, il y participe pleinement, il se sent représentatif : il est celui qui a embrassé la cause de la civilisation, qui a fui la tyrannie et entamé contre la dictature une « lutte de titans ». L’expression est de lui.
54En modifiant à peine sa définition de la biographie, on peut donc interpréter sa pensée ainsi : « l’autobiographie est la matière première de l’histoire »
55Avant d’atteindre l’âge de quarante ans, Sarmiento a publié deux histoires de sa vie1625. Il a été poussé à l’autobiographie par les circonstances, certes. Mais celles-ci n’ont pas fait violence au petit démon de la vanité qui risque souvent quelques mots dans l’œuvre de Sarmiento et qui, ces deux fois, a eu de bons prétextes pour s’exhiber de face et de profil.
56La première fois, en 1843, ayant été calomnié dans la presse par Domingo Santiago Godoy, qui l’accuse d’avoir commis jadis un crime à San Juan, l’émigré argentin riposte en publiant quelques articles de protestation et surtout une autobiographie intitulée Mi defensa1626. Il y déclare notamment :
Yo no conosco en los asuntos que son personales otra persona que el yo, i este es poco cómodo para hablar de virtud ni de buenas acciones1627.
57Qu’à cela ne tienne : Sarmiento dit ce qu’il faut pour que le lecteur ait une idée favorable de l’auteur. Il laisse pudiquement dans l’ombre quelques peccadilles — qu’il reconnaît en disant vaguement et sans trop s’engager qu’il n’est pas un saint — ; en revanche, il met en lumière ce qui peut le servir1628. C’est de bonne guerre. Et puis ces fautes de jeunesse sont sans proportion avec les crimes que le venimeux calomniateur lui reproche. Au fond, Sarmiento est ravi que Godoy lui ait fourni indirectement l’occasion de raconter sa vie. Il l’en remercie ironiquement. Il a si complaisamment répondu à l’appel !
58Cette autobiographie, publiée quand son auteur avait trente-deux ans, n’est que le brouillon des Souvenirs de province, composés sept ans plus tard. Sarmiento se découvre une certaine importance en raison des événements auxquels il a été mêlé et blâme Godoy de l’avoir tenu pour un homme obscur.
59A une calomnie, Sarmiento répond donc par l’histoire de sa vie. C’est aussi par l’histoire de sa vie qu’il répond à la demande d’extradition que Rosas a adressée au gouvernement chilien à son égard.
60Mais les choses ont changé depuis 1843. En 1849, Sarmiento est attaqué personnellement par la presse rosiste, ses œuvres sont connues en Europe, son projet de réforme de l’orthographe a été adopté par l’Université. Il n’est plus question de parer les coups d’un Godoy beaucoup plus méchant que célèbre. Deux gouvernements échangent des notes à cause de lui. Les trente pages de Mi defensa, suffisantes pour faire taire la calomnie d’un inconnu, se multiplient et deviennent les deux cents pages de Recuerdos de provincia.
61Sarmiento assure — on ne sait trop si avec humour ou avec une candeur presque monstrueuse — que ces pages sont « purement confidentielles » et s’adressent seulement à « une centaine de personnes ». Mais il est trop heureux de faire savoir que sa lettre à un ami d’enfance a été lue en pleine séance de la Salle des Représentants de San Juan ; que sa lettre à Ramirez a été publiée par le gouverneur de Buenos Aires. Et il ne voudrait régaler de cette popularité qu’une centaine de lecteurs ? C’est la modestie de la vedette.
62La presse argentine le traîne dans la boue ? Il publie alors une circulaire à tous les gouverneurs de province1629, une Protestation1630, un livre. Ce livre est destiné à montrer les « sentiments moraux, nobles et délicats » qui sont en lui. Et puis, déclare-t-il tout bonnement : « j’aime la biographie »1631. Comme il compte dans sa famille deux historiens, quatre députés, trois dignitaires de l’Eglise, il n’a que l’embarras du choix pour écrire des vies exemplaires. Comme leurs biographies appartiennent à l’histoire, il se situe lui-même dans la perspective historique. Après s’être trouvé des ancêtres parmi les premiers conquérants, un cacique d’Angaco et un cheik sarrasin, il décide, avec un brio tout ibérique : « A mi projenie, me sucedo yo », phrase qui rappelle cette autre passée en dicton : « Espaha y yo, sehores, somos así ». L’Espagnol Sarmiento a parlé. Mais, attention. Voici qu’apparaît aussitôt l’homme si bien identifié avec son pays qu’il voit dans l’histoire de sa pauvre vie écartelée, mais toujours tournée vers un noble but, l’histoire de l’Amérique1632.
63Cette assimilation est remarquable. Sarmiento se voit au cœur des événements. En se racontant, il contribue donc, pense-t-il, à forger l’histoire du continent :
... creo que siguiendo mis huellas, como las de cualquiera otro, en el camino, puede el curioso lector detener su consideración en los acontecimientos que forman el paisaje común, accidentes del terreno que de todos es conocido1633.
64Dans la même page, il fait remarquer qu’il est né en 1811, neuf mois après le 25 mai. Cette réflexion est un peu du même ordre que celle, célèbre, de Victor Hugo : « Ce siècle avait deux ans... ». Mais elle a une plus grande résonance. Sarmiento entend par là qu’il a été conçu au moment de la Révolution ; qu’il en est donc le fils, qu’il est la Révolution personnifiée. L’école de San Juan, où l’on enseigna le principe de l’égalité et où Sarmiento obtint le titre envié de « premier citoyen », est une école exemplaire : l’école de la République naissante qui grandit en même temps que l’enfant. Toutefois, qu’on n’aille pas croire que Sarmiento va entreprendre le panégyrique de sa personne. Non, il reconnaît sans jalousie qu’un certain nombre d’enfants étaient mieux doués que lui. Et, malgré sa grosse déception quand il ne fut pas choisi parmi les boursiers dont l’Etat se chargeait d’assurer les études à Buenos Aires, il étale complaisamment les qualités de ses compagnons, plus heureux que lui.
65Nous ne suivrons pas Sarmiento dans les mille et un détails savoureux de sa vie d’enfant. Ses velléités de devenir un saint ou un guerrier prouvent seulement que son imagination ardente s’échauffait aux récits que lui faisaient ses oncles ecclésiastiques, ou des militaires de passage, ou bien son propre père, soldat de l’Indépendance, surnommé « Madre Patria » en raison de son enthousiasme révolutionnaire. Sarmiento ne néglige pas de fournir des renseignements sur ses lectures, sa connaissance des langues. Il est difficile de douter de ses affirmations, alors qu’il met si souvent son savoir livresque à contribution dans ses articles et dans ses livres. Cet autodidacte a beaucoup lu et beaucoup retenu. Son intelligence a fait le reste. Ce n’est pas sans intérêt que l’on apprend de quels livres pouvait disposer un jeune garçon habitant une ville de province ; et les titres qu’il donne permettent de se faire une idée du contenu de ces bibliothèques de San Juan, auxquelles il fait allusion dans Facundo1634.
66Sa participation à la bataille d’El Pilar, ses activités politiques à San Juan, ses emprisonnements, montrent le jeune homme qui a pris un parti dans la vie. Dès le chapitre intitulé d’une façon significative « La vie publique », l’autobiographie se charge d’événements historiques, de telle sorte que les épisodes racontés, tout en étant personnels, sont liés à ceux-là. La vie de Sarmiento dépend si bien de l’histoire politique qu’il est sur le point d’être tué à cause du triomphe des fédéraux. Lui-même essaie d’infléchir le cours des événements, quand il prétend retenir le gouverneur Benavidez sur la pente du despotisme.
67Nous ne perdons pas de vue le décalage entre le moment où les épisodes que Sarmiento rapporte se sont déroulés et le moment où il les raconte. Une autobiographie n’est pas un journal. Certains faits sont prouvés, d’autres invérifiables. Ce qui importe c’est de voir combien, dans l’esprit de Sarmiento, son autobiographie est inséparable de l’histoire de son pays.
68Il voit simultanément le passé et le présent et même l’avenir. En 1840, dans une page, il nous dit comment, victime de la barbarie, il a été malmené par les fédéraux de San Juan ; et, par anticipation, il décrit le châtiment de Rosas, dont le corps est devenu dans son imagination « un cadavre tremblant et disloqué »1635.
69Sarmiento se voit intégré dans l’histoire du Chili et de l’Argentine et, d’une façon plus générale, dans celle du continent. Le chapitre intitulé Chili est plein de souvenirs personnels de l’écrivain ; mais, sans se soucier de la chronologie, il y introduit des réflexions sur la situation actuelle de l’Amérique et désigne sa place parmi les réformateurs.
70A la fin du volume, il donne la liste de ses publications, car il sait aussi qu’il est entré dans l’histoire littéraire.
71En 1851, Sarmiento est mêlé à des événements de première importance1636. Non content de manier la plume, il vole au combat et participe à la campagne militaire préparée par Urquiza. Mais il ne lui suffit pas d’y prendre part, il faut qu’il en écrive l’histoire. Cette nécessité est d’autant plus impérieuse qu’après Caseros il a rompu avec le gouverneur d’Entre Ríos et que son ami Alberdi lui a reproché son attitude, par voie de presse1637.
72Il se voit donc dans l’obligation de se justifier. C’est ce qu’il ne manque pas de faire dans un nouveau livre, qu’il dédie, avec une certaine ironie, à Alberdi.
73 Campaña en el Ejército Grande Aliado de Sud-América est aussi, jusqu’à un certain point, une autobiographie. Dans le Prologue, l’auteur précise son intention de raconter ses « derniers souvenirs »1638. En fait, il tire parti des notes qu’il griffonnait, au jour le jour, quand ses fonctions de rédacteur du communiqué et les mouvements de l’armée lui en laissaient le temps. Le livre est donc une sorte de journal, et présenté comme tel, écrit d’après un brouillon composé au fil des événements. Tantôt Sarmiento se contente de recopier à peu près une page de son carnet, avec la date indiquée, en développant ; tantôt, il essaie d’expliquer la situation politique avant Caseros ; tantôt il raconte des faits postérieurs à la bataille et analyse à sa façon la politique d’Urquiza pendant les quelques mois écoulés entre la chute de Rosas et le moment où il écrit. Ce carnet a une grande importance : il fournit la preuve irréfutable que la question du port obligatoire de l’insigne fédéral, imposé par Urquiza, a divisé les deux hommes dès la première entrevue, dans le courant du mois de novembre 1851. On ne peut donc pas dire que Sarmiento ait désapprouvé Urquiza, uniquement parce que celui-ci, une fois la victoire acquise, ne l’a pas invité à participer à la formation du nouveau gouvernement. Il est possible que Sarmiento ait été vexé de ce fait ; mais, dès le début de la campagne, il y avait des motifs de friction entre le général et le rédacteur du communiqué officiel1639.
74Sarmiento donne l’impression de raconter sa propre campagne. Dans son livre, les deux personnages importants sont Urquiza et lui. Il a été l’adversaire de Rosas depuis bien plus longtemps que le gouverneur d’Entre Ríos ; et la dernière bataille, celle qui est remportée par l’épée, mais dont il a assuré l’heureuse issue par son combat dans la presse, est sa bataille. Il l’a si souvent souhaitée qu’il a pressenti la rébellion d’Urquiza et dédicacé son livre Argirópolis au gouverneur d’Entre Ríos avant le pronunciamiento. Le général a d’ailleurs écrit et demandé sa collaboration à l’émigré1640. Et, lorsqu’il sent le moment venu, Sarmiento rejoint Urquiza, fermement convaincu qu’il a autant que lui son mot à dire. Lors de la première entrevue avec Urquiza, l’émigré avoue qu’il est troublé, mais il ajoute, avec une superbe assurance, que le général l’est aussi1641.
75Au fond, le militaire et le journaliste ne sont-ils pas des collaborateurs ? Aussi, aucun complexe d’infériorité ne paralyse le lieutenant-colonel Sarmiento devant le chef de l’armée. D’ailleurs Urquiza, qui traite si rudement ses officiers, ne montre-t-il pas à l’égard du nouveau venu la plus parfaite courtoisie ?
76Oui, mais Urquiza prétend diriger seul son armée. Il n’a pas d’état-major1642. Sarmiento pense, sans le dire nettement, que cet état-major pourrait être lui-même, seul officier qui possède une carte topographique de la province de Buenos Aires1643. Oui, mais Urquiza ne demande conseil à personne, pas même à Sarmiento, qu’il ne laisse pas ouvrir la bouche1644. Et l’armée avance comme elle peut, guidée par des baqueanos qui sont loin d’avoir le flair des gauchos dont Sarmiento a décrit les prouesses dans Facundo. Ses réflexions d’ordre tactique coïncident avec celles que le capitaine Juan Beverina fait à propos des déplacements des armées de l’époque, qui, dit ce militaire, évoluaient un peu au hasard, leurs chefs ne connaissant pas la configuration du terrain1645.
77Le rédacteur du communiqué a sa tente, un uniforme européen, un vêtement imperméable en caoutchouc qu’il peut enfiler sur sa capote, des bougies ; bref, tout un équipement moderne. Mais il n’est qu’un écrivain aux yeux des militaires. Toutefois c’est grâce à lui que les populations sont renseignées sur la marche victorieuse de l’armée, grâce à lui que Rosas apprend que ses soldats désertent et que sa perte est assurée, grâce à lui, enfin, que la propagande produit son effet. Il a pleinement conscience de représenter à lui seul l’armée de l’avenir, tandis que les hommes commandés par Urquiza, vêtus comme des gauchos, représentent l’armée du passé. Et l’on sait l’importance que Sarmiento attache au vêtement. « Tant qu’on ne changera pas l’uniforme du soldat argentin, assure-t-il, il y aura des caudillos1646 ».
78Il voit donc, au sein de l’armée destinée à chasser Rosas, cette même barbarie qu’il a dénoncée ailleurs. Seul représentant de la civilisation dans cette troupe d’hommes portant le poncho, il ne mesure que mieux sa propre grandeur.
79La ville de Rosario prend fait et cause pour le général insurgé. Sarmiento tient à noter que la foule a crié : « Vive le général Urquiza, libérateur de la Confédération Argentine » ! et, en même temps : « Vive le colonel Sarmiento, défenseur des droits des pauvres »1647. Et finalement, à Rosario, en l’absence d’Urquiza, c’est lui qui reçoit seul les ovations de la foule. A Buenos Aires, il est reconnu dans la rue par des admirateurs ; les officiers et les chefs le reçoivent avec plaisir1648. Tous lui font fête.
80Le seul qui ne reconnaisse pas son importance est Urquiza. Lorsque Sarmiento va lui dire qu’il pense retourner au Chili, Urquiza lui demande simplement par où il pense s’en aller. L’indignation du colonel est grande. Le général aurait pu le prier de rester quelques jours avec lui pour organiser « ceci ou cela », écrit-il. Donc la blessure de la vanité n’est pas pour rien dans l’inimitié que Sarmiento a vouée à Urquiza. Il brûle du désir d’occuper un poste important. Il s’imagine à la tête de son pays. Ayant décidé d’émigrer de nouveau, le jour où il prend congé de Mitre, il prononce ces paroles prophétiques : « Mitre, vous serez le premier président de la République ; mais n’oubliez pas que je me réserve la seconde présidence »1649.
81En traçant cette nouvelle autobiographie, Sarmiento engage un nouveau combat. Les cartes sont quelque peu brouillées, parce que le partisan de la civilisation a dû, pour triompher du tyran de Buenos Aires, s’allier à un caudillo dissident. Voilà au fond le drame. Urquiza est un caudillo. Sarmiento l’avait un peu oublié. Mais, dès qu’il rencontre le général, il s’aperçoit que sa lutte contre ce qu’il appelle la barbarie se complique du fait qu’il a dû composer avec elle. Urquiza, d’après lui, est le successeur de Rosas. Gomme Rosas, il impose le port de l’insigne abhorré, comme Rosas il traite les unitaires de sauvages ; il maintient en outre les gouverneurs rosistes dans les provinces et envoie au Brésil un représentant rosiste1650 ; comme Rosas, il se fait nommer chargé des affaires étrangères, ce qui lui permet d’arriver tout droit à la dictature1651.
82Sarmiento confond tous les caudillos dans la même haine :
Las vacas dirigen la política argentina! Que son Rosas, Quiroga y Urquiza? Apacentadores de vacas, nada mas. Todos estos títulos de gobernador, general, restaurador, director son consecuencia de la manera estúpida, pobre, ruinosa de criar las vacas, malogrando el terreno, impidiendo la población y la industria, que hará imposible que reunan chusma y atraviesen la Pampa con un baqueano para ir a sorprender a otros criadores de vacas, que están por ahí y nos hagan poner chiripá Colorado1652.
83Ainsi Sarmiento, dans ce procès économique du caudillismo, accuse le général de l’armée libératrice, au même titre que les caudillos en général. Il remarque l’unité du combat qu’il continue de mener :
Si la libertad argentina sucumbe, es decir: si el caudillismo triunfa de nuevo, habré sucumbido yo también con los míos y el mismo polvo cubrirá Civilización y Barbarie, Crónica, Sud-América y Campana en el Ejército grande, que son sólo capítulos de un mismo libro1653.
84La bataille de Caseros marque la chute de Rosas ; mais un nouveau dictateur en puissance risque de compromettre le sort de la démocratie.
85Sarmiento envoie à Urquiza une lettre de protestation et repart pour le Chili.
86Son moment n’est pas encore venu. Plus que jamais, pourtant, dans son récit de la campagne de Caseros, il a conscience du fait que sa propre biographie est mêlée à l’histoire de son pays :
Creo haber llenado el objeto que me había propuesto. Contar con verdad los sucesos, grandes y pequeños de que fui precursor, colaborador, actor y testigo1654.
87Connaissant la place réelle de Sarmiento dans l’histoire de l’Argentine, nous sommes tout naturellement tentés de voir partout des rapports entre l’homme et son pays.
88Mais ce qui importe ici c’est de mettre en valeur le propre sentiment de l’écrivain. Or, nous venons de le voir, à plusieurs reprises, il se décrit agissant dans les circonstances. Il écrit ses mémoires comme s’il était un général ou un homme d’état en retraite, ayant participé à des épisodes où s’est joué le destin de son pays. Ce qu’il y a de remarquable c’est que, en pleine action, il sait déjà que cette action doit être inscrite dans l’histoire. Il y a une sorte de dédoublement qui s’effectue en lui. Il est l’homme qui vit du journalisme et, qui, par définition, suit l’actualité au jour le jour. Mais, en même temps, il est le personnage mêlé à cette actualité. Si bien qu’on le voit polémiste et historien à la fois. Il n’écrit donc pas l’histoire de son pays comme celui qui rapporte des faits qui lui sont étrangers ou qui ne le touchent qu’indirectement : il est au cœur des événements qu’il raconte. Bien des militaires, des hommes publics se sont trouvés mêlés à l’histoire et, dans leurs mémoires, ont commenté leur attitude. Mais ce qu’il y a de singulier dans le cas de Sarmiento c’est qu’il rédige comme s’il avait assez de recul pour apprécier son rôle à sa juste valeur. Certes, si Sarmiento n’était pas devenu par la suite le premier dignitaire de son pays, mieux encore : un symbole encore vivant dans les luttes politiques d’aujourd’hui, cette importance qu’il donne à sa biographie perdrait beaucoup de son poids. Mais il faut bien reconnaître que la place : qu’il se donne dans ses écrits, avant d’être célèbre, n’a d’égale que l’importance réelle qu’on lui a reconnue par la suite. Selon l’expression très juste de Martinez Estrada, il a tout naturellement assimilé « la biographie personnelle à la biographie nationale »1655.
89Le mot mégalomanie est vite dit. Depuis Echeverría1656 jusqu’à nos jours on a dit et répété que Sarmiento a eu la folie de sa propre grandeur. Sans doute le caractère de Sarmiento incite-t-il l’homme à se mettre au premier plan. Les psychiatres ont dit leur mot là-dessus1657. On sait aussi que les génies, ou, si l’on préfère, les originaux, sont en fin de compte des anormaux.
90La vanité aussi peut affecter les héros. Elle n’est que fatuité si elle est le fait d’hommes inférieurs. Que peut-on dire de quelqu’un qui s’est vu important avant de l’avoir été ?
91Au Chili, en Argentine, personne ne reconnaissait encore en Sarmiento l’homme représentatif que celui-ci voyait en lui. Tout le monde n’est pas prophète. Pour les Godoy affligés de nullité, Sarmiento était un homme à calomnier. Pour les autres, l’Argentin était un donneur de conseils pédants, un agité encombrant, en tout cas un homme exaspérant. Qui oserait affirmer qu’un homme qui n’est pas encore illustre mais qui se voit déjà tel est toujours d’un commerce agréable ?
92Mais on comprend bien pourquoi Sarmiento a aimé la biographie et l’autobiographie. Nous l’avons vu en analysant Facundo, ce qui passionne l’écrivain avant tout c’est l’homme. Mais l’homme-héros vivant au sein de la société ; mais l’homme représentatif. On n’imagine guère Sarmiento écrivant un roman pour y décrire les pensées d’une de ses élèves du Collège Santa Rosa ou d’un jeune garçon de l’Ecole Normale. Jamais il n’analyse son propre tempérament. Homme d’action, il ne considère que l’homme d’action et seulement dans son action. Il n’écrit pas de journal intime. Ou bien, s’il en écrit un, pendant ses voyages, c’est un carnet dans lequel il note ses actions : ses visites, ses dépenses, jamais ses états d’âme.
93Très jeune, Sarmiento se sent Cicéron, Franklin, comme n’importe quel enfant joue à être Napoléon ou le Christ. Cette mégalomanie propre à l’adolescence ne devient un trait de caractère déterminant que lorsque le rêve persiste et se transforme en ambition. Or, cette ambition, Sarmiento l’a eue très tôt. Il se sent capable de devenir un grand homme. Il ne se perd pas dans les rêveries à la Rousseau, car il n’a aucune affinité avec un promeneur solitaire. Il a fait son choix. Il se sent homme dans la société et destiné à donner des directives à celle-ci. C’est sa vocation. Mais alors, l’idée qu’il se fait de la civilisation s’oppose aux réalités dominantes. Il découvre l’antithèse « civilisation-barbarie », dont il trouve les symboles dans Rivadavia, d’une part, dans Facundo et Rosas d’autre part. Lui aussi, grandi à la hauteur de la tâche qu’il pense accomplir, pénètre dans l’histoire puisqu’il prend part à la lutte. Dans cette perspective, suivant la logique de l’homme, l’autobiographie est nécessaire à l’enrichissement de la matière historique. Représentant de la civilisation par une action de tous les jours, il est homme représentatif au même titre que Rosas.
94Ainsi, quelle que soit la façon dont on envisage les raisons qui ont incité Sarmiento à donner de l’importance à la biographie, on trouve, à l’origine, le sentiment très vif chez l’auteur du caractère représentatif de l’homme agissant.
95Lui-même, homme agissant par nature, est continuellement en action. On peut même dire que son comportement d’écrivain est toujours lié au rôle qu’il a pleinement conscience de jouer dans les événements.
96Réciproquement, sa seule source d’inspiration est l’actualité. Sa pensée se crée au jour le jour dans ses écrits, qui sont les témoignages de sa réflexion en acte. Cette pensée n’est jamais abstraite, elle jaillit du fait historique.
97C’est sans doute ce qui lui donne sa vitalité, son caractère, comme nous essaierons de le montrer dans notre conclusion générale.
Notes de bas de page
1578 III, 8.
1579 Mora a collaboré à la rédaction de ces « catéchismes » destinés à l’Amérique de langue espagnole (M. L. Amunátegui, Don José Joaquin de Mora, op. cit., 33-53).
1580 Facundo, VII, 66.
1581 Mercurio, 23 août 1841.
1582 Mer curio. 20 mars 1842.
1583 Cf. Francisco Italo Iuorno, Homero, Virgilio y el « Facundo » (Bibliographie).
1584 El Nacional, 22 sept. 1881, XLVI, 322.
1585 Il reviendra sur cette image en 1884, dans Memorias, XLIX, 107.
1586 Progreso, 14 juill. 1845.
1587 Mercurio, 9 déc. 1841.
1588 Mercurio, 20 mars 1842.
1589 Ibid.
1590 Mercurio, 6 mai 1842.
1591 III, 364.
1592 III, 234.
1593 Crónica, 27 mai 1849.
1594 Mercurio, 6 mai 1842.
1595 Recuerdos de provincia, III, 177.
1596 Progreso, 14 juill. 1845.
1597 1860 : El Dr. Antonio Aberastain y la revolución de San Juan (XLV, 177 p.) ; 1866 : Vida de Lincoln (XXVII, 297 p.) ; 1866 : Vida de Horacio Mann (XLIII, 89 p.) ; 1875 : Bosquejo de la biografia de D. Dalmacio Vélez Sársfield (XXVII, 95 p.) ; 1885 : Francisco J. Muñiz (XLIII, 297 p.) ; 1886 : Vida de Dominguito (XLV, 137 p.).
A cette liste il faut ajouter la biographie intitulée El Chacho, ultimo caudillo de la montonera de los Llanos, publiée dans le tome VII des Obras, après El general Fray Félix Aldao.
1598 Progreso, juill. 1845. On trouvera la liste des articles nécrologiques et biographiques écrits pendant la période considérée à la fin du tome III des Obras.
1599 Progreso, 21 nov. 1842.
1600 Mercurio, 6 mai 1842.
1601 Progreso, 6 févr. 1843.
1602 XXI, 11-42.
1603 Cf. notre article L'Institut Historique et ses collaborateurs argentins, op. cit.
1604 Mercurio, 20 mars 1842. Citons pour mémoire le bref article nécrologique qu’il consacre au général Bugeaud, qu’il avait rencontré en Afrique (Crónica, 2 sept. 1849, III, 301).
1605 Cf. note 1597.
1606 Progreso, 14 juill. 1845.
1607 Mercurio, 9 déc. 1841.
1608 Progreso, 3 déc. 1842.
1609 Crónica, 11 mars 1849.
1610 Don Manuel Montt, candidato a la presidencia de la República de Chile, Santiago, Impr. Belín, mai 1851 (III, 349) ; Tribuna, 27 juin 1851 (III, 372).
1611 Civilización, I et 2 oct. 1851.
1612 Recuerdos de provincia, III, 136.
1613 Recuerdos de provincia, III, 86.
1614 Ibid., III, 132.
1615 Progreso, 26 nov. 1842.
1616 Progreso, 28 mars 1844.
1617 Cf. Bibliographie, 1848. III, 266.
1618 Recuerdos de provincia III, 120.
1619 Ibid, 176.
1620 Crónica, 13, 27 mai ; 10 juin, Ier juill. 1849.
1621 Recuerdos de provincia, III, 84.
1622 Crónica, 1er juill. 1849.
1623 III, 151.
1624 III, 182.
1625 Sarmiento n’a pas été le premier Argentin tenté par l’autobiographie. Avant lui, le général Manuel Belgrano, le poète Juan Cruz Varela et d’autres avaient écrit leurs mémoires. D'après Adolfo Prieto (Literatura autobiográfica argentina, op. cit.), de nombreux Argentins ont été coutumiers du fait.
1626 III, I-37. Le 25 janvier 1843, Sarmiento dépose une plainte en diffamation contre Santiago Godoy qui a jeté le discrédit sur sa personne en le traitant d’assassin « reconocido por tal y ofreciendo a todo el mundo probarlo ». (Archivo Nacional de Chile, archivos varios ; volume 318, pièce 3, 1). Dans une autre pièce, Godoy proteste et reproduit un papier que Sarmiento a imprimé contre lui (Ibid., 2) ; ce papier a été recopié dans Obras (III, 36). Dans une lettre plusieurs témoins affirment avoir entendu Godoy dire que Sarmiento avait assassiné plusieurs personnes dans une caserne de San Juan (Ibid., 3). Par un attendu du 28 janvier, le juge décrète l’incarcération ce Godoy (Ibid., 4). Le 21 janvier, Sarmiento demande qu’on ajoute une nouvelle pièce au dossier, publiée dans la presse par Godoy (Ibid., 5, 6). Sarmiento proteste, parce que Godoy a donné une caution et n’a pas été emprisonné (Ibid., y). Sarmiento, menacé d’incarcération, demande au juge d’accepter la caution que Vial versera pour lui (Ibid., 8). Godoy proteste : d’après la loi, on ne peut pas accepter de caution de Vial, député au Congrès (Ibid., 9). Le 16 février, le juge propose un arrangement (Ibid., 10). Puis Carvallo propose que Sarmiento et Godoy déclarent officiellement qu’ils ont donné crédit à des bruits sans fondement. Cette proposition est acceptée par Godoy et refusée par Sarmiento (Ibid., n). Vicente F. López propose alors que Godoy déclare qu’il n’a aucune raison de croire que Sarmiento a commis un crime ; et que Sarmiento reconnaisse qu’il a traité inconsidérément Godoy de lâche et de misérable. Cette proposition, acceptée par Sarmiento, est refusée par Godoy (Ibid., 12).
N’ayant pas trouvé les autres pièces du procès, nous ignorons comment il s’est terminé.
1627 III, 20.
1628 Il avoue : « hai uno que otro momento de olvido que de buena gana quisiera raya. ahora de la lista de mis acciones ». On serait tenté d’attribuer ce remords, dont le motir paraît sibyllin, au souvenir de ses amours avec la mère de sa fille naturelle née le 12 juillet 1832f
1629 Crónica, 3 juin 1849.
1630 Crónica, 23 déc. 1849.
1631 III, 41.
1632 III, 160.
1633 III, 159.
1634 VII, 66.
1635 III 199.
1636 Cf. notre paragraphe intitulé « La victoire » (Deuxième partie, chap. III in fine).
1637 XIV, 80.
1638 XIV, 62.
1639 Ce carnet manuscrit et inédit se trouve au Musée Sarmiento. Il a pour titre : Diario de la campana del Tente Corl D. F. Sarmiento en el Ejercito Grande de Sud America 1852. Egaré par Sarmiento sur le champ de bataille, il a été retrouvé par lui dans la demeure du dictateur. L’écrivain a noté à l’intérieur de la couverture : « Cayo en poder de Rosas el I° de Feb° de 1852 Rescatelo el 3 despues de la batalla de Monte-Caseros Sarmiento ». Parmi les motifs de friction entre Sarmiento et Urquiza, nous apprenons par ce carnet que le rédacteur du communiqué a pris l’uniforme européen (p. 8), alors que le général en chef ainsi que les officiers et les soldats portaient le poncho. Ailleurs Sarmiento note des « incidents ». Un jour, il met en évidence une erreur tactique d’Urquiza qui fait diriger l’armée à travers champ par des baqueanos. au lieu de se servir d’une carte, comme celle que le voyageur a rapportée d’Europe (p. 20).
1640 Cf. note 1236.
1641 XIV, 126.
1642 Le général Virasoro était, en principe, le chef de l’Etat-Major. Mais, tandis qu’Urquiza marchait à l’avant-garde, Virasoro commandait le gros des troupes (J. Beverina, op. cit., 202).
1643 XIV, 200.
1644 XIV, 127.
1645 Op. cit., 247.
1646 XIV, 162.
1647 XIV, 163.
1648 XIV, 265.
1649 A. Belín Sarmiento, Sarmiento anecdótico, op. cit., 77.
1650 XIV, 337.
1651 XIV, 283.
1652 XIV, 281.
1653 XIV, 354.
1654 XIV, 353.
1655 Op. cit., 129.
1656 Voir note 1213.
1657 Cf. Nerio Rojas (Bibliographie).
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