Chapitre IV. Civilisation et barbarie
p. 381-449
Texte intégral
I. — Du conflit entre la civilisation et la barbarie
1 1. Recherche d’une formule. — Bien avant d’écrire le livre qui devait le rendre célèbre, Sarmiento s’est soucié de déceler les causes profondes qui eurent pour effet la situation sociale et politique de son pays.
2Rendant compte, en 1841, de l’annonce d’un ouvrage dont l’auteur se propose d’étudier la République Argentine dans sa révolution et ses guerres civiles, il estime qu’il ne suffit pas de connaître les faits ; il importe surtout de montrer leur enchaînement et d’en tirer une philosophie de l’histoire. Il serait extrêmement utile, ajoute-t-il, d’écrire « un ouvrage qui découvrirait les causes qui minent l’existence des sociétés américaines »1273.
3Cette réflexion marque le moment où Sarmiento commence à chercher le système qui lui permettra d’expliquer le lien nécessaire entre les faits, dont il voit le déroulement, et des causes à déterminer.
4Sa façon d’envisager l’histoire en fait donc un disciple de Tocqueville, de Guizot et de Michelet, qu’il admire et qu’il mentionne fréquemment.
5En 1841 encore, Sarmiento se pose le problème suivant : A quoi sont dues les luttes qui ensanglantent l’Amérique ? A l’ambition des caudillos, dit-on. Cette interprétation lui paraît superficielle. Ce qu’il veut déterminer c’est pourquoi l’ambition des caudillos a pu se donner libre cours, pourquoi la liberté au nom de laquelle s’est faite l’indépendance a engendré guerres civiles et tyrannie1274.
6Autrement dit : l’existence des caudillos n’est que la conséquence de conditions favorables qui les ont engendrés. Une fois l’indépendance acquise, on pouvait penser que chaque Etat s’organiserait pacifiquement en république. Il n’en a pas été ainsi. Pourquoi ?
7A l’époque où il rédigeait El Zonda, Sarmiento avait dénoncé, dans les mœurs locales, le plus grand obstacle au progrès. C’est aussi dans les mœurs qu’il cherche d’abord l’origine des maux actuels. Le 23 mars 1841, dans un article du Mercurio, il oppose l’homme cultivé, qui porte la redingote, lit les journaux et se montre partisan du gouvernement constitutionnel, à l’Argentin qui, prenant modèle sur les indiens, dit-il, en est encore à la civilisation du cuir1275.
8Deux mois plus tard, il traduit un passage d’une étude parue dans la Revue des Deux Mondes, dont l’auteur présente l’Argentine comme un pays où la civilisation n’a pas encore pénétré ; où elle n’a pas encore modifié les mœurs des sauvages habitants des plaines de Buenos Aires « ces gauchos qui vivent à cheval et sans chemise, fils dégénérés des héros espagnols de la conquête »1276. Le tableau n’est guère flatteur. Il n’en a pas moins la valeur d’un témoignage, assure Sarmiento. Et, loin de contredire son auteur, l’émigré affirme que cette description est conforme à la réalité.
9Dès le début de sa carrière d’écrivain, donc, presque chaque fois qu’il parle de l’Amérique, Sarmiento a pris l’habitude d’attirer l’attention sur deux éléments. Sans formuler encore l’antithèse sur laquelle repose déjà son système, il écrit, le 10 août de la même année :
Las ideas retrógradas y sus consecuencias luchan, por la última vez, con las ideas de libertad, de constitución y de progreso1277.
10Les deux forces en présence le hantent. Mais ce n’est guère avant le 7 octobre 1842, semble-t-il, qu’il les nomme ensemble civilisation et barbarie1278. Ayant trouvé ce couple de forces, il ne les mentionne à peu près jamais sans leur adjoindre des termes qui en sont comme les harmoniques, et les nuancent.
11Nous essaierons plus loin de savoir ce que Sarmiento entend au juste par civilisation et barbarie. Pour le moment, contentons-nous de noter les différents mots qui enrichissent cette antithèse.
12Dans le premier cas relevé, barbarie est synonyme d’absolutisme ; et civilisation veut dire liberté. Sarmiento étoffera par la suite cette double définition, de sorte que nous aurons les équations suivantes : d’une part, civilisation = liberté = formes constitutionnelles ; d’autre part, barbarie = esclavage = pouvoir absolu1279. Ailleurs, il souhaite que la civilisation européenne triomphe du vandalisme (vandalaje) américain, représenté par Rosas, symbole de toutes les traditions rétrogrades et barbares léguées par les anciens maîtres1280. Parfois, les termes de la formule sont modifiés, mais elle est sous-jacente et se charge alors de signification nouvelle. Ainsi, Sarmiento associe, d’une part, désert et vie sauvage, d’autre part, vie en société et civilisation1281.
13Ces variantes d’une même antithèse révèlent quelques données essentielles : tradition, passé colonial, milieu naturel, culture européenne, despotisme inhérent à la condition de caudillo. Ces données s’imposent peu à peu à l’esprit de Sarmiento, avant qu’il ne les commente dans Facundo.
14Que Sarmiento ait été un admirateur de Fenimore Cooper, qu’il ait songé à lui en écrivant plusieurs passages de Facundo, c’est certain ; lui-même le cite. Mais, qu’il ait emprunté à l’auteur de la Prairie, comme le croit Raúl A. Orgaz, l’idée de l’antithèse en question, c’est beaucoup moins sûr1282. Dans le passage cité par le sociologue, Sarmiento interprète l’œuvre de Cooper et dit que celui-ci transporte ses personnages « à la limite entre la vie barbare et la vie civilisée ». Mais c’est Sarmiento qui le dit, et non Cooper. Et il écrit cela dans Facundo, alors qu’il a déjà proposé maintes fois cette formule, avant 1845, sans référence à Cooper.
15La source précise nous échappe. En revanche, nous connaissons plusieurs voyageurs étrangers : Isabelle1283, Head1284, Th. Lacordaire1285, Th. Page1286, qui, avant Sarmiento, ont signalé l’opposition entre partisans de la vie américaine et partisans de la culture européenne.
16L’article de la Revue des Deux Mondes, que Sarmiento cite avec admiration avant de décrire la bataille de la Tablada, a fourni sans aucun doute quelque appui à ses idées et quelques traits à sa peinture de Facundo. Nous laisserons de côté, pour le moment, le portrait du héros1287 ; mais nous rappellerons quelques passages de l’article en question, qui auraient pu être écrits par Sarmiento. Ainsi, Th. Lacordaire, dont Sarmiento ne cite pas le nom, explique, à propos de la guerre civile : « C’était, au fond, la lutte des vieilles mœurs stationnaires du pays, des habitudes locales transmises de génération en génération, contre la civilisation moderne qui cherche à s’introduire en Amérique... » Ou bien : « Or, les deux partis unitaire et fédéral représentaient exactement, l’un la civilisation telle que nous l’avons faite, l’autre celle qui gouverne l’Espagne ; et, par un rapprochement singulier, ils se trouvaient quant au nombre et aux talens (sic) de leurs membres, à leur influence sur le pays, dans la même position que les libéraux et les absolutistes de la métropole sous le règne de la constitution ».
17La ressemblance entre ces phrases et les formules trouvées par Sarmiento est frappante. Elle met un fait en évidence : les témoins des luttes dans le Río de la Plata ou dans l’intérieur de l’Argentine, les présentent comme un combat dont l’enjeu est la civilisation moderne.
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18 2. Des causes. — Pour ne pas nous répéter nous considérerons El general Fray Félix Aldao comme une simple esquisse de Facundo. Il n’est pas une seule des idées exprimées dans le premier livre mentionné — qui contient à peine quarante pages de l’édition des Obras — qui ne se retrouve dans le deuxième ; et les deux ouvrages ont paru à trois mois d’intervalle.
19Après avoir publié en feuilleton la vie du « Tigre de los Llanos », Sarmiento la reprend en volume sous le titre suivant : Civilizacion i barbarie. Vida de Juan Facundo Quiroga i aspecto físico, costumbres i ábitos de la República Arjentina. On ne tue pas les idées, Fortoul. A los ombres se degüella : a las ideas, no.
20Sarmiento tenait sans doute à ce libellé, puisque celui-ci a toujours été reproduit tel quel, sauf toutefois dans ses deux dernières phrases, dans les éditions faites du vivant de l’auteur. Il est regrettable qu’il n’ait pas été maintenu dans les éditions postérieures ; car le livre est tout cela, et non pas une simple biographie, comme le titre actuel, simplifié, peut le faire croire.
21En somme, le titre comporte trois volets, comme le livre. Ce qui ne veut pas dire que chacune des parties du livre traite dans l’ordre chacun des trois sujets proposés. A part la vie de Quiroga, qui siège en plein cœur de l’ouvrage — comme dans le titre — les deux autres sujets sont inversés dans le corps du volume et même traités un peu partout. L’axiome cité en français est la conclusion de l’étude ; cette conclusion répond en somme à la question sous-entendue posée dans le titre, à savoir : La civilisation triomphera-t-elle de la barbarie ?
22Harmonie de structure. Dualité du livre : histoire et prophétie. Exposition des faits, et engagement politique.
23L’introduction précise l’intention de Sarmiento, qui est de chercher l’explication des faits dans le passé colonial, dans la physionomie du sol, dans les coutumes et les traditions populaires1288. L’écrivain déplore que l’Amérique du Sud n’ait pas un Tocqueville qui connaisse assez bien les « théories sociales », pour démêler les causes des « phénomènes sociaux » propres à l’Argentine. Si un tel homme se trouvait en Amérique du Sud, il expliquerait le « mystère de la lutte », il classerait les « différents éléments qui se heurtent », il saurait assigner la part qui leur revient à la « configuration du terrain », aux « habitudes que celle-ci engendre », aux « traditions espagnoles », à la « conscience nationale, intime, plébéienne qu’ont laissée l’Inquisition et l’absolutisme espagnol », à la « barbarie indigène », à la « civilisation européenne », à la « démocratie consacrée par la Révolution de 18101289 ».
24Voilà, sinon un plan, du moins une énumération des différents points que Sarmiento se propose de traiter.
25Toutefois, faute de formation philosophique et historique, personne en Amérique du Sud, déclare Sarmiento, n’est capable d’entreprendre pareille étude. Cela ne l’empêche nullement d’entrevoir ce que cette étude révèlerait : « La lutte sui generis franche et primitive entre les derniers progrès de l’esprit humain et les rudiments de la vie sauvage, entre les villes populeuses et les forêts sombres ». Remontant le cours des générations, il suppose que cette étude, en découvrant les raisons du comportement américain, permettrait aussi de mieux comprendre celui de l’Espagne1290.
26Mais, en s’exprimant au conditionnel, Sarmiento ne fait que prendre une précaution oratoire, avec une modestie vraie ou feinte, avec l’émotion d’un explorateur qui n’ose pas avouer son audace. Il dévoile son programme, tout en se déclarant incapable de s’y conformer.
27Pourtant, que fait Sarmiento, si ce n’est ce qu’il demande à plus expérimenté que lui de faire ?
28En même temps, dès l’introduction, Sarmiento déclare que le personnage important de son livre n’est pas celui qui figure dans le titre, mais Rosas. Il s’agit, au fond, d’expliquer le « phénomène » Rosas, car :
Rosas... no es un hecho aislado, una aberración, una monstruosidad. Es, por el contrario, una manifestación social; es una fórmula de mamanera de ser de un pueblo1291.
29D’abord, il faut expliquer Facundo. Et cet homme ne peut pas être compris si l’on ne connaît pas en détail la vie du peuple argentin1292. Après avoir dépeint les faits et gestes du commandant de campagne, le sociologue se justifie : « Je donne tant d’importance à ces détails, parce qu’ils serviront à expliquer tous nos phénomènes sociaux1293 ».
30 La géographie. — Au départ, il faut expliquer l’homme par le milieu.
31Sarmiento mentionne plusieurs fois Herder. Il a pu le connaître par la traduction que fit Quinet des Idées sur la philosophie de l’histoire. En tout cas, Herder était admiré au Chili1294. Sarmiento ne pouvait pas l’ignorer. Lui-même rend compte, dans El Progreso du 27 septembre 1844, d’un mémoire que Lastarria a remis à l’Université et dans lequel l’écrivain chilien célèbre « le plus savant et le plus profond historien-philosophe du xviiie siècle », et se déclare ouvertement son disciple, acceptant l’idée de l’influence de la géographie sur l’organisation physique et morale de l’homme.
32En outre, Sarmiento est un lecteur assidu de Michelet, pour qui « sans une base géographique, le peuple, l’acteur historique, semble marcher en l’air ». Humboldt aussi, dont Sarmiento mentionne en exergue, dans les deux premiers chapitres de son livre, deux passages des Tableaux de la nature, a montré le rapport entre la civilisation et le milieu naturel1295.
33Mais, au xixe siècle, il n’est pas rare de voir les historiens donner à la géographie une place de choix. L’Histoire Romaine de Michelet s’ouvre par un tableau de l’Italie ; et le second volume de l’Histoire de France, par le « Tableau de la France ». Dans La Démocratie en Amérique, Tocqueville détermine les conditions géographiques de ce pays, avant de passer à l’étude du sujet annoncé.
34Sarmiento a donc d’illustres devanciers quand, à son tour, il consacre le premier chapitre de son livre à une description de l’aspect physique de la République Argentine.
35La description est magistrale par sa densité et ses qualités de tableau impressionniste. Au paysage nu, peinture dépouillée : terre et ciel, et l’homme perdu dans l’immensité. Comment ne pas savourer la vérité de cette image : « la terre comme une carte géographique » ? Aujourd’hui encore, en dépit d’une activité dont on n’avait pas idée en 1845, cette plaine limitée seulement par un horizon circulaire semble trop vaste pour l’homme. A l’époque où tout le monde l’appelait le « désert », on comprend que Sarmiento ait pensé : « Le mal qui affecte la République Argentine est l’étendue ». La richesse n’a rien à voir avec la superficie, quand les bras manquent pour la faire jaillir.
36« Solitudes asiatiques », « bédouins américains » : voilà le pays et les hommes.
37Fleuves sans navires, villes séparées par des distances péniblement franchissables. Seule Buenos Aires est bien située.
38Sarmiento en conclut à une « organisation du sol si centrale, si unitaire » que le régime unitaire est imposé par la géographie. Buenos Aires, capitale de la Vice-royauté, sera plus tard capitale de la nation, prédit Sarmiento, qui a vu clairement la raison fondamentale qui lui assigne ce rôle.
39 Les mœurs. — Le milieu naturel influe sur les mœurs. Si le gaucho rencontre un fleuve, il se déshabille et le passe à la nage avec son cheval. S’il a faim, il attrape au lasso un veau, le tue, choisit la langue et le matambre (chair entre la peau et les côtes), ses morceaux préférés, et abandonne le cadavre aux charognards. Les paysans, vivant en petits groupes pour occuper toute l’immensité du territoire, ont constitué la « famille féodale, isolée, repliée sur elle-même ». Toute sorte de gouvernement devient impossible. La vie de la campagne a développé les qualités physiques du gaucho sans développer celles de l’intelligence1296. Où placer une école dans ce désert ? La civilisation est donc tout à fait irréalisable, et la barbarie est normale, conclut Sarmiento1297. La religion se trouve réduite à une « religion naturelle ». Le christianisme dégénère. L’homme se satisfait d’une sorte de culte primitif célébré seul à seul avec Dieu, au sein de la nature. Car le prêtre fuit le désert. Les hommes et les femmes ne se marient pas suivant le rite catholique. Les enfants ne sont pas baptisés.
40Dès leur jeune âge, ceux-ci sont livrés à eux-mêmes.
41Ayant pris l’habitude de subvenir lui-même à ses besoins, le gaucho est indépendant, énergique et fier. Et par suite, inapte à vivre dans une société civilisée.
42Pourtant, le civilisateur Sarmiento considère le gaucho avec sympathie. Ses portraits célèbres du rastreador, du baqueano, du gaucho malo, du cantor ; ses descriptions des jeux et exercices champêtres, révèlent le plaisir du peintre et l’admiration de l’homme qu’une affinité avouée, revendiquée même, lie aux gens qu’il dépeint. Car il est sensible aux forces et aux beautés de la nature. Artiste, il n’a jamais su versifier, mais ses tableaux de la vie argentine sont des poèmes en prose. Romantique, il a décrit le mystère de la nuit, la majesté d’un orage soudain, la méditation du gaucho au spectacle de la nature sereine ou courroucée. Modeste, il emprunte à Echeverría et à Dominguez quelques vers pour décrire la beauté du désert immense parcouru par de vastes fleuves. A cette vue, comment l’homme ne serait-il pas poète ? Et Sarmiento décrit quelques chanteurs populaires. Comment ne pas voir dans sa peinture du cantor, « troubadour du Moyen Age », une esquisse de Martin Fierro ? Ce barde errant, sans demeure, qui mêle à ses chants héroïques le récit de ses propres exploits, qui doit fuir, poursuivi par la police, est bien ce gaucho, bandit au grand cœur, vivant dans la tradition populaire et savante, dont les plus célèbres incarnations seront Santos Vega et le héros chanté par Hernandez.
43Sarmiento serait infidèle à lui-même s’il ne s’abandonnait pas de temps à autre à son enthousiasme. Le gaucho, pour lui, est loin d’être un homme détestable. Corroborant ce qu’il en dit dans Facundo, plus tard, à Paris, peut-être parce qu’il écrit pour des étrangers et que sa fibre patriotique vibre, il le présente comme un homme « barbare dans ses habitudes et ses mœurs », mais « intelligent, honnête et capable de défendre une idée avec passion » et ayant le sens de l’honneur1298.
44Mais enfin, on peut apprécier l’adresse, l’instinct, l’esprit d’indépendance, les qualités physiques de l’homme qui vit presque à l’état sauvage et penser en même temps que cette sorte d’homme ne saurait être un modèle. On peut même éprouver une sorte de nostalgie de la vie primitive, enjolivée par l’idée qu’on se fait de l’éden perdu, mais aussi accepter de plein gré une condition qui force l’être humain à évoluer et à vivre en société.
45Sarmiento ne néglige rien de ce qui rend le gaucho intéressant, pittoresque, mais rien non plus de ce qui le montre barbare.
46Son admiration est lucide et mitigée. Il ne s’amuse pas à peindre en touriste amateur de pittoresque. Ses descriptions sont émaillées de réflexions qui rappellent son propos. Le gaucho est poète, mais il a des « traditions superstitieuses et grossières ». Le gaucho malo n’est pas un bandit, mais il tue à l’occasion. L’audace et l’art équestre des gauchos ont contribué à donner son indépendance à l’Argentine, mais « des milliers de vaillants sont devenus finalement des bandits obscurs »1299.
47En peignant le gaucho, Sarmiento a aussi peint le caudillo. Il a donc fixé les traits essentiels de Fray Félix Aldao, de Facundo, de Rosas.
48Car telle est sa conclusion : dans les caudillos on voit « le reflet vivant de la situation intérieure du pays, de ses coutumes, de son organisation »1300.
49 La race. — On ne peut pas beaucoup compter sur les rares habitants de la République Argentine pour tirer avantage de la géographie, estime Sarmiento :
Las razas americanas viven en la ociosidad, y se muestran incapaces, aun por medio de la compulsión, para dedicarse a un trabajo duro y seguido1301.
50Cette incapacité n’est pas produite par le milieu naturel, raisonne Sarmiento, puisque, dans les mêmes conditions géographiques, les Allemands et les Ecossais qui habitent le sud de la province de Buenos Aires, ont réussi, grâce à leurs efforts, à vivre décemment, tandis que les gens du pays vivent dans la misère1302.
51La race est un facteur dont Sarmiento voudrait tenir compte. Toutefois il ne fait que le signaler. Les éléments d’information lui manquent. Avant d’écrire Facundo, il s’était déjà demandé en quoi consistaient les ressemblances et les différences entre les résultats obtenus par la colonisation anglaise dans l’Amérique du Nord et ceux obtenus par la colonisation espagnole dans le sud du continent. Incapable de se répondre, il avait laissé au futur historien le soin d’approfondir ces « graves questions ».1303 Il se posera encore la même question trois ans plus tard, dans l’essai qu’il présentera à l’Institut Historique de France, et avouera son impuissance à y répondre1304. Ce n’est que vers la fin de sa vie, dans son livre inachevé, Conflicto y armonías de las razas en América, qu’il essaiera d’établir un rapport entre la race des colonisateurs et les caractères de leurs descendants.
52Toutefois, dans Facundo, il dénombre trois « familles » qui, selon lui, constituent « un tout homogène qui se distingue par son amour de l’oisiveté et son incapacité industrielle, quand l’éducation et les exigences d’une position sociale ne l’éperonnent pas pour le tirer de son train habituel »1305. Ces trois éléments sont : l’Espagnol, l’Indien, le Nègre.
53La race noire est presque éteinte en Argentine, quand Sarmiento écrit. Elle ne survit que dans les mulâtres et les zambos. Il la considère « encline à la civilisation » et « dotée des plus beaux instincts du progrès ». Néanmoins il semble qu’il ait changé d’avis quelques mois plus tard, quand il dit : « Le nègre est incapable de s’élever aux hautes régions de la civilisation »1306. Fait-il une distinction entre le nègre acclimaté en Argentine et le nègre du Brésil ?
54Sarmiento a consacré quelques pages pittoresques aux Huarpes, dans ses Souvenirs de province. Pourtant, il déteste les Indiens. Il dédaigne d’en parler dans Facundo. Toutefois sa pensée à leur égard se manifeste dans un compte rendu du mémoire de Lastarria, intitulé Investigaciones sobre el sistema colonial de los españoles. Sarmiento qui, par ailleurs, ne se révèle nullement ennemi des gens d’une race différente de la sienne, déclare cependant :
Creemos, pues, que no debieran ya nuestros escritores insistir sobre la crueldad de los españoles para con los salvajes de la América, ahora como entonces, nuestros enemigos de raza, de color, de tendencias, de civilización ; ni principiar la historia de nuestra existencia por la historia de los indíjenas, que nada tienen de común con nosotros1307.
55Voilà qui est catégorique. On se demande si Sarmiento n’exprime pas là, un des premiers, le complexe de certains Argentins qui croient qu’en Europe, on les prend pour des Indiens.
56En tout cas, l’ennemi du fanatisme éprouve une telle haine envers les sauvages inaptes à la civilisation, qu’il en vient à justifier les Espagnols du Siècle d’or qui se demandèrent si les Indiens étaient des hommes. D’ailleurs, renchérit-il, les Espagnols furent bien bons de les tolérer et même de les protéger. Quant à lui, il est bien décidé à les ignorer et à les dépouiller de toute la poésie dont les indianistes à venir voudraient les parer :
Sobre todo, quisiéramos apartar de toda cuestión social americana a los salvajes, por quienes sentimos, sin poderlo remediar, una invencible repugnancia, i para nosotros Colocolo, Lautaro i Caupolicán, no obstante los ropajes civilizados i nobles de que los revistiera Ercilla, no son más que unos indios asquerosos, a quienes habríamos hecho colgar y mandaríamos colgar ahora, si reapareciesen en una guerra de los araucanos contra Chile, que nada tiene que ver con esa canalla1308.
57Donc, conformément au vœu qu’il formule au début de ce paragraphe, Sarmiento, dans Facundo, écarte les Indiens ; ou, si l’on préfère, ne fait que les signaler au passage, comme il mentionne les Noirs. Les uns et les autres figurent dans les données du problème racial, mais Sarmiento les oublie aussitôt après les avoir nommés.
58Maintenant, nous le savons, ce qui l’intéresse, c’est la lutte au sein de ce « tout » qu’il suppose homogène. Ce n’est pas la lutte entre les Blancs et les Indiens, comme on aurait pu le croire ; mais entre des Blancs issus d’Espagne, et d’autres Blancs, issus d’Espagne également, influencés les uns et les autres par les milieux différents dans lesquels ils vivent, les uns enchaînés à des traditions, les autres désireux de s’en libérer, pour marcher avec leur temps, comme on dit.
59 3. Interprétation du conflit
60 Du conflit entre deux civilisations. — Ainsi, il s’agit d’une lutte entre deux civilisations ayant une origine commune, l’une restée à l’état primitif, l’autre évoluée et progressiste ; l’une immobile, l’autre inquiète ; l’une enracinée dans son terroir, l’autre ouverte à tous les vents chargés de semences.
61Aussi bien, Sarmiento ne remonte-t-il pas aux sources et passet-il rapidement sur la question raciale. Il s’en tient à la peinture de la vie actuelle dans les campagnes, où gît ce qu’il appelle la barbarie. Remarquons encore une fois qu’il ne décrit pas les mœurs des Indiens, mais celles des gauchos, sans se soucier qu’ils soient métissés de sang indien, mulâtres, nègres ou blancs.
62Sarmiento voit deux sociétés dans la Vice-royauté du Río de la Plata : l’une espagnole, européenne, civilisée ; l’autre barbare, américaine1309. La Révolution a mis ces deux sociétés en contact. Sarmiento est alors obligé de faire une distinction subtile. Ces deux sociétés ont guerroyé ensemble contre l’Espagne. Elles ne se sont heurtées qu’après l’indépendance, quand elles se sont aperçu qu’elles ne combattaient pas pour le même motif.
63La société américaine voulait seulement secouer le joug espagnol, car, pour elle, toute autorité était haïssable. Tandis que la société civilisée prétendait se libérer d’une autorité vétuste pour la remplacer par une autre qui la conduisît dans la voie de la civilisation moderne1310.
64Or, la Révolution est née à Buenos Aires, où le contact avec les étrangers a toujours été important ; où l’on peut constater deux phénomènes que Sarmiento nomme « despañolización » et « europeificación »1311. Ces deux mots, qui comportent l’idée de devenir — devenir moins espagnol, devenir plus européen — complètent le sens que Sarmiento donne à la lutte entre deux tendances au sein d’un même peuple. On regrette seulement que, pour prouver l’« europeificación » de la ville, Sarmiento se soit contenté de signaler la présence, à Buenos Aires, de nombreux fils du pays portant des noms étrangers. Il aurait pu également choisir des Argentins ayant des noms à consonance authentiquement espagnole, mais gagnés aux idées nouvelles : Echeverría, López, Sastre, Gutiérrez... et Sarmiento, pour montrer que la lutte ne se faisait pas entre descendants d’Espagnols, d’une part, et gringos, d’autre part, mais entre fils du pays entichés des anciens usages et fils du pays, aussi espagnols que les autres racialement, rejetant la routine ancestrale.
65« Le xixe et le xiie siècles vivent ensemble » : voilà la phrase qui résume sa pensée1312.
66Ainsi : la géographie modèle l’homme et l’hérédité le marque. Pourtant, ces deux facteurs n’expliquent pas tout. L’homme est encore modifié par la civilisation.
67C’est alors que Sarmiento pense à une interprétation qui le satisfait davantage.
68La formule que nous venons de citer est, sous sa forme complète : « Le xixe et le xiie siècles vivent ensemble, l’un dans les villes, l’autre dans les campagnes ».
69 Du conflit entre la ville et la campagne. — La lutte semble ainsi se faire entre la ville « centre de la civilisation argentine », et la campagne.
70L’idée n’est pas nouvelle. En parlant du Venezuela, Humboldt a remarqué que « les plaines de l’Amérique méridionale servent de limites à la semi-civilisation importée d’Europe », qu’au nord, on trouve des villes industrieuses. Il est possible, pense Raúl A. Orgaz que Sarmiento se soit rappelé ce passage, quand il a distingué les plaines barbares des villes civilisées1313.
71Sans nier la coïncidence, invoquons aussi le témoignage de voyageurs étrangers, dont les constatations ressemblent fort à celles de Sarmiento. Isabelle explique : « La campagne ayant triomphé des villes », Rosas fut porté au pouvoir1314. Th. Lacordaire, dans son article sur la bataille de la Tablada, remarque que les unitaires, qui appelaient la civilisation européenne de leurs vœux, étaient influents à Buenos Aires, tandis que les fédéraux « possédaient une bien autre influence dans la campagne et les provinces de l’intérieur. Plus attachés aux vieilles coutumes du pays, ils ne dissimulaient pas leur haine envers les étrangers »1315. Th. Page écrit que Rosas, élevé au milieu des gauchos, était destiné à « faire triompher la civilisation grossière, mais énergique, du paysan, sur la civilisation raffinée, un peu énervée du riche habitant de la ville »1316.
72Le paysan a toujours considéré la ville avec un certain mépris, que le citadin lui rend bien.
73Or, la différence est grande entre la campagne et Buenos Aires ; entre la ville par excellence, et les provinces.
74Buenos Aires a pris conscience de sa grandeur, pense Sarmiento, après avoir repoussé victorieusement les invasions anglaises de 1806 et de 1807. Il dit aussi que « Buenos Aires se croit une continuation de l’Europe »1317. On dirait la phrase écrite aujourd’hui.
75En fait, grâce au commerce international, grâce à l’afflux d’Européens, à partir de l’Indépendance, Buenos Aires acquiert une physionomie propre, de plus en plus distincte de celle des villes des autres provinces. L’œuvre de Rivadavia accuse encore les différences. Peu après la chute de ce président, « tous les Européens qui débarquaient à Buenos Aires se croyaient en Europe », écrit Sarmiento. De sorte qu’on voyait en Argentine, d’une part « un peuple qui ne voulait à aucun prix sortir de son isolement » et, d’autre part, « un gouvernement qui transportait l’Europe en Amérique »1318.
76« La ville du port est si pleine d’éléments de civilisation, plaisante Sarmiento, qu’elle finira par éduquer Rosas. »
77Mais alors, qu’est-ce à dire ? N’y a-t-il qu’une seule ville civilisée en Argentine ? Les autres sont-elles barbares comme les campagnes ?
78Non. Les villes de l’intérieur, entourées par le désert, sont des « oasis » de civilisation. Les hommes y sont vêtus à l’européenne. Or, Sarmiento donne une importance extrême au vêtement. Il n’est pas loin de penser que l’habit fait le moine. Il n’a pas tout à fait tort, dût l’inventeur du dicton se retourner dans sa tombe. Dire que sous le frac on reconnaît toujours le gaucho est un mauvais argument : on ne fait pas les mêmes gestes quand on porte le poncho ou le manteau. Pour faire parade d'américanisme, Rosas dénigre toutes les marques extérieures de civilisation européenne et encourage les Argentins à porter le vêtement national : pantalon large, gilet rouge, veste courte, poncho1319. Aussi, lorsque Alberdi assure que Sarmiento fait consister « toute la civilisation dans le frac, la selle anglaise, le chapeau rond1320 », il oublie de dire qu’en attachant tant d’importance au vêtement, Sarmiento donne la réplique à Rosas, qui avait assez la pratique des hommes pour connaître le pouvoir de l’uniforme. Sarmiento exprime une vérité psychologique, lorsqu’il affirme que « Toute civilisation s’exprime dans les vêtements, et chaque vêtement indique tout un système de pensée »1321.
79Il ne manque pas non plus d’observer que le vêtement marque la différence entre le paysan et le citadin. Celui-là, en se moquant de l’aspect de l’homme de la ville, affiche son mépris à l’égard de tout ce qui est insolite, nouveau, donc, envers le progrès1322. « Ainsi, tout ce qui est civilisé dans la ville s’y trouve bloqué. »
80Néanmoins, Sarmiento est bien obligé de s’apercevoir que les villes de l’intérieur, cernées par les campagnes, ne sont pas civilisées de la même façon que Buenos Aires.
81Il est alors amené à distinguer Buenos Aires des villes de l’intérieur.
82Comme il ne peut pas passer en revue les quatorze capitales des provinces, il choisit une ville type : Córdoba, qui n’est pas seulement « une des plus jolies villes du continent », mais aussi la ville docte, comme on l’appelle encore de nos jours. Centre universitaire, Córdoba est cependant peu touchée par l’esprit universel. Sarmiento la dépeint comme un vaste cloître et l’appelle « Pompéi de l’Espagne médiévale » ou « catacombe espagnole ». C’est une ville si bien installée dans la tradition espagnole qu’elle n’a pas vu d’un bon œil la Révolution de 1810, qu’elle s’y est même opposée, affirme Sarmiento1323. Il la définit « espagnole par éducation littéraire et religieuse, stationnaire et hostile aux innovations révolutionnaires »1324. Elle est restée ainsi en dépit du Dean Funes, animé d’un esprit libéral, en dépit du général Paz qui, pendant qu’il a gouverné la ville, a essayé vainement de réformer ses mœurs 1325.
83C’est dire que les villes de l’intérieur sont fermées au progrès.
84Pourtant, la pensée de Sarmiento n’est pas toujours clairement exprimée.
85En principe, selon lui, la ville représente la civilisation, et la campagne symbolise la barbarie. Or, les luttes du moment se font, selon lui, entre la civilisation et la barbarie ; par suite, entre la ville et la campagne. Mais, après avoir montré que Buenos Aires est la capitale du progrès et Córdoba, le symbole de l’immobilisme, il assure que, dans chacune de ces deux villes, luttent « deux éléments divers qu’il y a dans tous les peuples cultivés »1326. Il conclut :
No sé si en América se presenta un fenómeno igual a este, es decir dos partidos, retrógrado y revolucionario, conservador y progresista, representados altamante, cada uno por una ciudad civilizada de diverso modo, alimentándose cada una de ideas extraídas de fuentes distintas: Córdoba de la España, los concilios, los comentadores, el Digesto; Buenos Aires, de Bentham, Rousseau, Montesquieu y la literatura francesa entera1327.
86Il y a quelque contradiction, semble-t-il, dans la théorie de Sarmiento. Si toute une ville symbolise un seul parti, elle ne peut pas en même temps représenter deux tendances opposées.
87Ou bien, il faut supposer que Sarmiento fait allusion à des moments différents ; et sous-entendre un facteur que l’écrivain a introduit ailleurs, qu’il a sans doute présent à l’esprit, mais qu’il omet de rappeler.
88Pendant la constitution de la République, les villes ont eu en leur sein deux partis. Puis le parti « progressiste » a dominé Buenos Aires, tandis que le parti conservateur dominait Córdoba. De telle sorte qu’à un moment donné, pendant la présidence de Rivadavia, l’une a pu être le symbole d’un esprit retardataire, l’autre le foyer des idées modernes. Par ailleurs, après l’Indépendance, les villes deviennent fédérales et Buenos Aires devient unitaire.
89C’est maintenant qu’il faut introduire ce facteur sous-entendu que nous venons d’évoquer. Pourquoi, en effet, les villes, que Sarmiento a considérées comme les dépositaires de la civilisation européenne, deviennent-elles soudain rétives à l’influence étrangère ? Comment expliquer l’anéantissement de l’un des deux partis qui se disputaient leur faveur ?
90Ce facteur, Sarmiento l’appelle barbarización1328. Il a remarqué « la ruine et la décadence de la civilisation et les rapides progrès que la barbarie fait dans l’intérieur »1329. Santa Fe, Santiago del Estero, San Luis, La Rioja ont été anéanties par la domination des caudillos. Toutes ces villes, qui ont donné jadis à la patrie des enfants illustres, gémissent sous le joug de la barbarie. Pour montrer cette barbarizacicm, il choisit deux exemples : La Rioja, capitale de la province où est né Facundo, et San Juan, qu’il connaît bien. On s’en souvient, dans El Zonda, Sarmiento a peint sous les couleurs les plus sombres l’état de sa ville natale, autrefois florissante et cultivée. Du point de vue où il se place, Sarmiento ne peut voir que décadence dans une ville où les partisans de Rosas ont remplacé ceux de Rivadavia. Néanmoins, il semble bien que les provinces citées par Sarmiento, au moment où il écrit Facundo, aient été en régression prononcée par rapport à ce qu’elles étaient avant l’emprise des caudillos1330.
91On assiste donc, pour suivre l’idée de Sarmiento, à une véritable incursion de la campagne dans la ville. Facundo Quiroga, né dans les plaines de La Rioja, a huit provinces sous sa coupe : La Rioja, bien entendu, Jujuy, Salta, Tucumán, Catamarca, San Juan, Mendoza et San Luis, dont les gouverneurs sont des hommes à lui. L’« esprit de ville », comme l’appelle Sarmiento1331, est donc dominé par l’esprit de la campagne. Et la barbarie s’étend jusqu’aux portes de Buenos Aires1332.
92A Buenos Aires, c’est Rosas, venu de son estancia, qui symbolise la campagne envahissant la ville. Mais la civilisation y est si bien ancrée, pense Sarmiento, qu’elle se maintiendra, malgré la dictature de la barbarie1333.
93Nous avons donc retrouvé le fil conducteur, un peu perdu dans les détails épisodiques. En somme, Sarmiento embrasse quatre époques différentes qu’il ne précise pas toujours, et passe de l’une à l’autre sans prévenir. Ces époques sont marquées par la Révolution de 1810, la présidence de Rivadavia, la domination des provinces par Facundo, mort en 1835, la dictature de Rosas, considérée jusqu’au moment où Sarmiento écrit son livre. Les facteurs communs sont : la campagne barbare et la ville civilisée. La Révolution de 1810 entraîne l’union éphémère de l’une et de l’autre contre l’ennemi commun. La campagne militarisée prend conscience de sa force ; mais Rivadavia impose tant bien que mal la civilisation européenne qui, dans les villes, triomphe superficiellement de la tradition espagnole, toujours enracinée dans la campagne. Celle-ci, patronnée par les caudillos, impose à son tour sa loi aux villes. La dictature de Rosas, en subjuguant la ville des villes, établit et affermit pour de longues années le triomphe de la campagne.
94Sarmiento affirme la cohésion de son système, quand, après avoir livré au lecteur des réflexions qu’il n’a pas eu le temps d’ordonner, il termine son exposé en résumant ainsi sa pensée : « Nous combattons pour rendre aux villes leur vie propre »1334.
95Cette thèse a été combattue par Alberdi, d’abord dans les Bases, puis dans la troisième carta quillotana, et dans Facundo y su biógrafo, essai composé lors d’une nouvelle édition de Facundo, en 1874.
96Pour Alberdi, la division entre hommes des villes et hommes des campagnes ne correspond pas à la réalité1335. Rosas ne s’est pas imposé par les gauchos, argumente-t-il, mais par les citadins de Buenos Aires. En outre, certains unitaires sont des hommes de la campagne, tandis que plusieurs fédéraux ont été éduqués dans les villes. Toutefois, influencé malgré lui par la thèse de Sarmiento, l’auteur des Bases en propose une autre dans le genre de celle qu’il combat :
La única subdivisión que admite el hombre americano espanol es en hombre del litoral y hombre de tierra adentro o mediterráneo.
97Autrement dit : l’homme qui habite les bords du Parana a reçu l’influence civilisatrice de l’Europe du xixe siècle, tandis que l’habitant des provinces intérieures a conservé la civilisation de l’Europe du xvie siècle.
98L’objection à cette thèse se trouve dans Facundo, où Sarmiento a montré l’existence d’une culture européenne naissante, à San Juan, ville de l’intérieur, avant le règne des caudillos. En outre, la différence qu’Alberdi fait entre hommes du littoral et hommes de l’intérieur, Sarmiento la fait entre Buenos Aires et les capitales des provinces. Par suite, les divergences portent plutôt sur la forme que sur le fond. Sarmiento, comme l’auteur des Bases, a signalé la persistance d’une mentalité coloniale dans l’ensemble du territoire argentin.
99Ce que Sarmiento dénonce surtout, à vrai dire, comme l’a très justement remarqué Alberto Zum Felde, c’est :
el imperio del criollismo rural y arrabalero, elemental y primitivo, barbarizando el ambiente de la ciudad1336.
100Dans sa polémique avec Sarmiento, Alberdi dénigre Facundo, et reproche à son adversaire d’avoir dit une banalité. « Dans quel pays du monde, s’exclame-t-il ironiquement, la campagne n’estelle pas moins cultivée que les villes »1337 ? En effet. Donc Alberdi donne raison à Sarmiento. Il est d’accord avec lui sur ce point. Mais Alberdi ne dit pas que cette différence de niveau culturel est vue par Sarmiento sous un éclairage purement hispano-américain. Ce qu’Alberdi considère dédaigneusement comme un lieu commun, prend ainsi toute son originalité. D’autant plus que peu de personnes, avant Sarmiento, avaient constaté cette dualité dans l’histoire argentine. En outre, l’immense étendue d’un pays peu peuplé accuse encore le contraste entre des lieux où se groupent des centaines de familles et le rancho solitaire où vit le gaucho.
101Finalement, Alberdi prétend que la civilisation du pays consiste dans sa richesse rurale ; et que, par conséquent, puisque la campagne assure la richesse de l’Argentine, elle ne saurait représenter la barbarie1338. Ce raisonnement est spécieux. Alberdi fait cette affirmation trente ans environ après la première publication de Facundo. Le pays est devenu agricole. Or, Sarmiento a pris la précaution, comme s’il devinait les critiques, suggère finement Raúl A. Orgaz1339, d’écrire :
No se olvide que hablo de los pueblos esencialmente pastores; que en éstos tomo la fisonomía fundamental, dejando las modificaciones accidentales que experimentan para indicar a su tiempo los efectos parciales1340.
102Après cette mise au point, présentée dans un paragraphe à part, pour attirer l’attention du lecteur distrait, Sarmiento peint la vie agricole des peuples qui cultivent la terre, pour bien montrer en quoi elle diffère fondamentalement de l’existence des gauchos.
103Par ailleurs, les troupeaux constituent sans doute une richesse ; néanmoins, on ne pouvait pas parler alors d’élevage, mais seulement d’abattage, de dépeçage. Qui se souciait de l’amélioration du bétail ? On ne voit pas très bien comment cette richesse pouvait se transformer en civilisation, dans le sens où Alberdi et Sarmiento prenaient ce mot. Par la facilité avec laquelle elle était acquise, cette richesse pouvait tout au plus civiliser les grands propriétaires terriens, ou encourager leur paresse, ou les inciter à devenir des personnages influents, ou leur permettre d’avoir pignon sur rue dans une ville. Mais quel profit culturel les gauchos tiraient-ils de cette richesse ?
104A. Zum Felde a raison : les différences de pensée entre Alberdi et Sarmiento sur le point en question sont plus apparentes que réelles. Tous les deux opinent que le plus grand mal de l’Argentine est la faible densité de sa population1341. Alberdi estime que la population est l’instrument principal du développement et du progrès du pays. Bien entendu, c’est du peuplement des campagnes et non pas de celui des villes qu’il parle, quand il proclame : « Gouverner, c’est peupler ». Par cet axiome, il reconnaît que les zones les plus peuplées sont les plus évoluées, donc que la vie dans les parties les moins peuplées, les campagnes, est la plus stationnaire, la plus primitive.
105C’est bien ce qu’a dit Sarmiento. Unamuno l’en félicitera1342.
106 Du rôle des masses. — Dans la lutte qu’il analyse, Sarmiento attribue un rôle important aux masses, à l’égard desquelles il nourrit un profond mépris. « Quand les masses arrivent au pouvoir, elles établissent l’égalité par les pattes », dit-il dans son style imagé1343.
107Il se méfie des masses ignares, toujours prêtes à suivre celui qui les flatte. Que veulent-elles ? :
... que haya un tirano absoluto que tenga derecho sobre vidas y haciendas, que sea un guaso domador, que no haya forma alguna, ni garantías, que no se use frac, que no hayan (sic) escuelas, que haya cadalsos, inquisición, que no haya libertad de imprenta, etc., etc...1344.
108Il leur en veut d’avoir porté Rosas au pouvoir1345. Réciproquement, il blâme le dictateur de se les attacher en les encourageant à s’abandonner à leurs mauvais penchants, au lieu de les éduquer.
109Ce sont les masses qui fournissent la mazorca et les montoneras. Pour leur plaire, Rosas leur permet d’égorger les unitaires, tout comme le gaucho égorge un veau ou une vache dans la plaine. Connaissant leurs instincts sanguinaires, afin de mieux les fanatiser, il les laisse s’adonner à des coutumes barbares1346. Il a pris l’habitude de dresser les masses à son service, dans son estancia, où il s’est gagné la sympathie des gauchos en montant à cheval mieux qu’eux, en les disciplinant sans les civiliser.
110Rosas dirige Buenos Aires comme un estanciero gouverne ses péons. Pour marquer les hommes de son sceau, comme on marque le bétail, il a imposé le port de la cocarde rouge et permis à ses acolytes de l’accrocher de force dans la chevelure des dames négligeantes ou aux vêtements des hommes récalcitrants1347.
111En procédant ainsi, Rosas fait pénétrer la loi de la campagne dans la ville.
112A l’intérieur du pays le processus est le même. Sarmiento voit dans les caudillos des meneurs de « masses à cheval »1348.
113Ainsi, la barbarización des villes n’est pas seulement provoquée par l’intrusion de la campagne dans celles-ci, mais encore par la montée des masses, paysannes et citadines. A l’« esprit de ville » défini par Sarmiento, s’oppose une barbarie de masse, qui l’étouffe. Si l’on pousse un peu plus loin l’analyse, on retrouve l’opposition entre l’élite cultivée et la masse ignorante, déjà signalée par Sarmiento, qui demande que le pays soit dirigé par un groupe d’hommes éclairés et veut qu’on tienne compte de la « raison nationale » plutôt que de la « volonté de la nation »1349.
114Cela est un vœu. Quand Sarmiento écrit, c’est, selon lui, la masse, donc la barbarie, qui domine en Argentine. Alors, bien que cette masse représente la « volonté de la nation », il est tout de même légitime de combattre le régime qu’elle a choisi.
115Sarmiento est en principe démocrate. Souvent il parle de la souveraineté du peuple comme d’un principe indiscutable. Il juge toutefois que le moment n’est pas venu de l’appliquer.
116Ni dans Facundo, ni dans les écrits antérieurs, Sarmiento ne précise la différence entre peuple et masse ; mais il la sent. En 1842, alors qu’il s’affirme socialiste, il déclare son intention de rendre les peuples aptes à l’égalité « en contribuant à l’amélioration intellectuelle des masses »1350. C’est la même idée qu’il reprendra plus tard, quand il parlera de « destruction de la masse populaire... par l’égalité de l’éducation »1351. Cette idée est incluse dans toute son œuvre d’éducateur. S’il a tant préconisé l’instruction, c’est bien dans l’intention de transformer la masse en peuple. Quand cette transformation sera effectuée, on pourra vraiment parler de peuple souverain. En attendant, il faut « éduquer le souverain », selon la formule que Sarmiento trouvera par la suite.
***
117 4. La barbarie personnifiée. — Nous avons daté du 7 juin 1841 le jour où Sarmiento commence à chercher un système pour s’expliquer la vie nationale1352. Le même jour, il s’intéresse aux « philosophes » qui ont observé « une certaine analogie entre les tendances et les besoins des sociétés et le caractère et la physionomie morale des hommes qui s’y distinguent ». Il considère alors le personnage historique comme le symbole de la société dans laquelle il vit.
118L’année suivante, il résume en quelques lignes la théorie de l’homme représentatif :
La biografía de un hombre que ha desempeñado un gran papel en una época i país dados, es el resumen de la historia contemporánea, iluminada con los animados colores que reflejan las costumbres y hábitos nacionales, las ideas dominantes, las tendencias de la civilización, o la dirección especial que el genio de los grandes hombres puede imprimir a la sociedad1353.
119La genèse de Facundo est là.
120Les biographes de Sarmiento voient habituellement dans sa conception du caudillo des idées semblables à celles que Taine développera plus tard. On peut objecter que le déterminisme de Taine n’est pas absolument nouveau : l’importance de la race, du milieu, du moment, a déjà été notée par Montesquieu, par l’abbé Dubos, par Mme de Staël. Il est plus sage de voir dans la théorie de l’émigré argentin une application et une adaptation extrêmement opportunes de la philosophie hégélienne, apprise à travers l’Introduction à l’histoire de la philosophie, de Victor Cousin1354 Le dernier chapitre de Facundo porte en exergue une phrase empruntée à ce livre. Or, Cousin était bien connu au Chili1355. Il a joui, en outre, d’une grande vogue en Argentine. Raúl A. Orgaz fait remarquer que la huitième « Parole symbolique » du Dogma socialista, où Echeverría définit le « grand homme », est écrite sous le signe de Cousin1356.
121Les affinités entre les théories de Sarmiento et les idées régnantes n’ont pas échappé au critique anonyme du journal El Siglo, en 1845. Celui-ci, le premier commentateur de Civilisation et barbarie, reproduit tout un passage de l’Histoire de la philosophie, de Cousin, et note que l’intérêt majeur du livre de Sarmiento est que l’on y trouve l’application des idées de ce philosophe français, ainsi que de celles de Montesquieu, de Herder et de Vico1357.
122Que voit Sarmiento dans Facundo ? « La figure la plus américaine que présente la révolution »1358. S’il a choisi de peindre sa vie, c’est parce que :
Juan Facundo... explica suficientemente una de las tendencias, una de las dos fases diversas que luchan en el seno de aquella sociedad singular1359.
123L’auteur rappelle continuellement que Facundo est un type, presque un symbole, bien qu’il soit un homme en chair et en os. « Facundo est un type de barbarie primitive », écrit-il1360. Ailleurs, il dit que Facundo et Paz sont les « dignes personnifications de la République »1361. Dans la même page, Facundo est considéré comme le type le plus parfait du gaucho malo. Dans sa polémique avec Alberdi, en 1853, Sarmiento dit avoir eu pour but principal de montrer que Facundo, le « type des campagnes », n’était qu’un bandit1362. En fait, Facundo tel que le décrit Sarmiento ne se différencie guère des habitants barbares de la campagne, si ce n’est parce qu’il a tous leurs défauts ensemble et leurs rares qualités. Comme eux, il est rebelle1363, violent1364, joueur1365, cruel1366, anarchiste1367. Il a parfois des traits de noblesse, d’une noblesse rude, qui surprend d’autant plus au milieu de tant de crimes, qu’elle est inhabituelle. En même temps, il a l’instinct et l’intuition d’un primitif1368. En amour, il est bestial1369. C’est le barbare. Sarmiento a choisi pour le définir une phrase empruntée à l’Histoire de l'Empire Ottoman, d’Alix, reproduite en exergue dans la deuxième partie de son livre : « L’homme de la nature et qui n’a pas appris encore à contenir ou déguiser ses passions, les montre dans toute leur énergie, et se livre à toute leur impétuosité ».
124Ses exploits innombrables, fondés la plupart du temps sur le déploiement de sa force herculéenne, sur son intrépidité, lui valent une « réputation mystérieuse parmi les hommes grossiers qui finissent par lui attribuer des pouvoirs surnaturels »1370.
125C’est ainsi que naît le mythe.
126Or, le mythe est né avant que Sarmiento n’ait songé à écrire la vie du « Tigre » de la Rioja. C’est peut-être même parce que Quiroga appartenait déjà à la légende que l’émigré argentin a imaginé de le prendre pour protagoniste de son livre et symbole de la barbarie. Sarmiento a vu les hordes de Facundo envahir San Juan, il a même vu celui-ci jouer au monte1371. A l’en croire, il aurait dit du mal de ce caudillo dans une lettre ; et cette lettre serait tombée entre les mains du « Tigre ». Celui-ci aurait insulté la mère de Sarmiento et juré de le tuer1372. Ces raisons personnelles ont pu décider l’écrivain à choisir Facundo Quiroga plutôt qu’un autre, pour en faire le type du barbare. Mais Sarmiento dit dans l’introduction de son livre : « Facundo est vivant dans la tradition populaire ».
127Cette réflexion est un indice. Sarmiento fait allusion aux chansons, aux traditions orales qui circulent sur le compte du terrible caudillo, et dont Ismael Moya a recueilli quelques spécimens dans son Romancero1373. Sans doute est-il difficile de dater ces poèmes. Ismael Moya a montré que le récit de la mort de Facundo, telle que Sarmiento l’a rapportée, a inspiré les bardes argentins, donc après 1845. Mais ce folkloriste publie également une Vidalita de Facundo, sûrement antérieure à l’assassinat de Quiroga. Celui-ci a déjà sa réputation de cruauté :
De padres e hijos
esposas y hermanos
has formado presa
tigre de los llanos1374.
128Ainsi, Facundo inspirait déjà les poètes avant sa mort. Le meurtre de Barranca Yaco et les obsèques célébrées en son honneur à Buenos Aires, l’exécution spectaculaire des assassins ajoutent à son prestige ; et, le mobile du crime étant resté mystérieux, contribuent puissamment à frapper l’imagination populaire.
129Sarmiento a, pour ainsi dire, assisté à la transformation du personnage réel en personnage légendaire.
130En même temps, ce gaucho malo, qui aurait pu n’être qu’un de ces « vaillants devenus des bandits » parmi tant d’autres, a été un soldat de l’Indépendance, il est devenu caudillo, il a participé à la Campagne du désert, il a subjugué les provinces. Il est donc aussi un personnage historique.
131Sarmiento voit en lui le représentant de la barbarie, c’est-à-dire la force des campagnes qui étouffe l’esprit des villes. Facundo est le rival de Rivadavia, dit-il1375. Bien sûr : barbarie contre civilisation. Facundo, homme représentatif, donc fils des circonstances et du milieu, contribue à l’évolution historique. Or, Sarmiento, s’appuyant sur la géographie, estime que l’Argentine est vouée naturellement au régime unitaire. De là cette rivalité qu’il perçoit entre deux hommes représentatifs qui, finalement, sont les instruments de la Providence.
132En effet, le « Tigre de la Rioja » est aussi unitaire à sa façon, pense Sarmiento. Attaché au sol, il ne peut vouloir que ce que la terre demande. Dédaignant d’être lui-même gouverneur, il fait nommer des partisans à la tête des provinces ; et, de la sorte, unit huit provinces sous sa loi1376. Il est l’homme providentiel, qui concourt fatalement à servir la destinée du pays :
Así la Providencia realiza las grandes cosas por medios insignificantes e inapercibibles, y la unidad bárbara de la República va a iniciarse a causa de que un gaucho malo ha andado de provincia en provincia levantando tapias y dando punaladas1377.
133Toutefois Facundo n’est pas tout à fait l’instrument aveugle de la Providence.
134Dans le chapitre intitulé « Barranca Yaco », l’écrivain évoque une rivalité « peu connue » entre Facundo et Rosas, qui, selon lui, représentent chacun une des deux fractions qui divisent le pays. Ils sont « les deux caudillos qui se disputent le commandement1378. Après l’expédition dans le sud, contre les Indiens, Facundo se dirige inopinément vers Buenos Aires. Une transformation s’est opérée en lui. Prépare-t-il un coup de main contre son rival ? S’est-il civilisé au contact des hommes de la ville ? « Le pouvoir éduque », écrit Sarmiento pour toute explication1379. Le fait est que le « Tigre de la Rioja » ne parle plus que de constitution et conspire même, ouvertement, avec les unitaires et les fédéraux contre Rosas. Voilà Quiroga devenu « le centre d’une nouvelle tentative de réorganisation de la République1380. Il incarne l’esprit de résistance au pouvoir de Rosas, l’espoir des provinces qui attendent vainement que le dictateur de Buenos Aires se décide à réunir un Congrès.
135Le 16 février 1835, Facundo Quiroga succombe sous les coups des assassins.
136La même année, Rosas se fait accorder les pleins pouvoirs, à Buenos Aires. Il est le maître du pays.
137Sarmiento aime à mettre en lumière l’enchaînement des faits et déceler une continuité historique. Le milieu a engendré des hommes frustes. Les guerres de l’Indépendance ont été suivies de l’anarchie, qui a ouvert l’ère des caudillos barbares parmi lesquels, dans l’intérieur du pays, le prototype est Facundo. Celui-ci mort, un autre s’élève, qui en est l’« héritier », le « complément ». L’écrivain a présenté un homme barbare qui, peu de temps avant sa mort, sent s’éveiller en lui l’« esprit de ville ». Malheur lui en est advenu. Il reste donc, malgré cette conversion tardive, le symbole de la barbarie naturelle.
138Avec Rosas, la barbarie reste la même en soi, mais elle est érigée en système. Rosas est un « esprit calculateur, qui fait le mal sans passion »1381. Il est l’agent de la barbarización de Buenos Aires :
Rosas... no es un hecho aislado, una aberración, una monstruosidad. Es, por el contrario, una manifestación social ; es una fórmula de una manera de ser de un pueblo1382.
139Notons que l’écrivain dit que Rosas est la formule d’une manière d’être d’un peuple, mais non pas la seule. Cette restriction va lui permettre bientôt de justifier la résistance au dictateur. En effet, ayant admis que la tyrannie est dans l’ordre des choses, Sarmiento se demande alors pourquoi on s’obstine à combattre le tyran. Son argument est implicitement dans la réflexion qu’il a faite auparavant : parce que Rosas ne représente qu’une partie de la population ; ou, plutôt, une seule façon d’être de celle-ci. Il n’en représente que les mauvais penchants ; il est le « principe du mal ». Et ce n’est pas parce que ce principe triomphe qu’il faut lui laisser le terrain. Certes, il n’y a aucun gouvernement « plus populaire, plus désiré » que celui de Rosas1383. Mais il ne représente que l’esprit des masses inexpérimentées, « des milliers d’hommes candides qui prennent le mal pour le bien », des égoïstes qui profitent de la situation, des indifférents, des timides qui n’osent pas le combattre, des gens dépravés qui ne se complaisent que dans le crime et la corruption1384.
140 5. Utilité de la dictature rosiste. — Mais Sarmiento est optimiste. Comme Leroux, Lerminier, Cousin, Michelet et d’autres, il croit au progrès continu. Il l’a dit dans El Zοnda, il le répète dans El Progreso : l’humanité est en marche, rien ne saurait l’arrêter ; elle va fatalement de l’avant :
... los sucesos y el espíritu de la civilización, van como a ciegas precipitándose, avanzando sin mirar para atrás, sin consultar las dificultades del terreno que pisan ni los abismos que los cercan1385.
141De même que rien n’est sans cause, rien non plus n’est inutile dans le devenir historique. Sarmiento étudie deux hommes personnifiant à ses yeux la barbarie, avec des nuances propres à chacun. Mais tous deux sont nés des circonstances et sont également représentatifs. Ils répondent tous deux à une nécessité fatale. Sans oublier, au moment de conclure, ce caractère de l’homme historique, de même qu’il s’est appliqué à prouver le caractère providentiel de Facundo, l’écrivain montre également que Rosas a accompli un rôle indispensable.
142En résistant à la France et à l’Angleterre, Rosas a prouvé « que l’Europe est trop faible pour conquérir un Etat américain qui veut faire valoir ses droits »1386.
143Par son attitude hostile à l’égard des pays étrangers, il a forcé ceux-ci à étudier et à mieux connaître la République Argentine.
144Dans le domaine intérieur, il a réalisé l’unité nationale en annihilant le pouvoir des caudillos, qui tremblent de lui déplaire et prennent l’habitude de considérer Buenos Aires comme la capitale du pays. Ainsi, ironise Sarmiento tout en disant une grande vérité : « L’idée des unitaires est réalisée, seul le tyran est de trop ; le jour qu’un bon gouvernement s’établira, il trouvera les résistances locales vaincues, et tout prêt à l’union »1387. Cette union ne se fera pas aussi facilement que Sarmiento semble le penser, car il restera la rivalité entre Buenos Aires et les provinces. Mais, dans cette conclusion de Facundo, l’historien se double d’un prophète.
145La guerre civile a eu l’avantage de brasser les populations de telle sorte que les habitants de Buenos Aires connaissent mieux ceux des provinces. Sarmiento oublie que, depuis la guerre pour l’Indépendance, porteños et gens de l’intérieur ont eu tout le temps de prendre contact.
146Il voit aussi la métamorphose de la société. A force de se jeter sur les villes, les gauchos sont devenus un tant soit peu citadins. Par ailleurs, les Européens, qui sont les seuls habitants de l’Argentine qui jouissent de certaines garanties, prennent de plus en plus de place dans la vie nationale, remplaçant les victimes que le despotisme a sacrifiées.
147Et Sarmiento de conclure :
Creo haber demostrado que la revolución de la República Argentina esta ya terminada, y que solo la existencia del execrable tirano que ella engendró estorba que hoy mismo entre en una carrera no interrumpida de progresos que pudieran envidiarle bien pronto algunos pueblos americanos1388.
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148 6. Valeur documentaire du livre « Civilisation et barbarie ».
149 L’auteur parle de son livre. — Sarmiento a voulu entreprendre bien des choses en écrivant ce livre qu’il s’avoue incapable de définir.
150Laissons-le d’abord s’expliquer lui-même. Conscient de la complexité de son essai, de ses faiblesses, de ses limites, il a dit plusieurs fois ce qu’il fallait en penser.
151Dans l’annonce parue le 1er mai, il écrit :
Un interés del momento, premioso i urjente a mi juicio, me hace trazar rápidamente un cuadro que había creído poder presentar algún día, tan acabado como me fuese posible. He creído necesario hacinar sobre el papel mis ideas tales como se me presentan, sacrificando toda pretensión literaria a la necesidad de atajar un mal que puede ser trascendental para nosotros1389.
152Le « mal » en question, c’est la présence de Baldomero Garcia, l’envoyé de Rosas.
153Mais Sarmiento a, depuis quelques mois, l’intention d’écrire une biographie de Facundo. Le 22 février 1845, il fait part de son projet à Anselmo Rojo1390. L’arrivée de Garcia, au milieu du mois d’avril, le prend de court. Il se hâte et, avec la facilité d’improvisation qu’on lui connaît, ne prend pas la peine de rédiger un brouillon et de le relire : il envoie les feuillets à l’imprimerie d’El Progreso, au fur et à mesure qu’il les écrit.
154Cela ne veut pas dire que Sarmiento n’ait pas déjà, depuis des années, médité son sujet. Dans El Progreso du 28 août 1844, il fait déjà de Facundo un symbole de barbarie et raconte un des crimes du caudillo1391. En outre, depuis 1841, Sarmiento est hanté par l’antithèse « civilisation-barbarie ».
155En tête de la première édition de son ouvrage, il dit clairement qu’il a écrit au fil de la plume, loin du théâtre des événements, que l’on trouvera forcément des inexactitudes dans son livre. Toutefois il tient à faire remarquer sa véracité :
... debo declarar que en los acontecimientos notables a que me refiero, y que sirven de base a las explicaciones que doy, hay una exactitud intachable de que responderán los documentos públicos que sobre ellos existen1392.
156Ailleurs, il confie à son ami Anselmo Rojo, à qui il envoie, le 25 juillet de la même année, une caisse de soixante-trois exemplaires de Facundo :
Excuso decide que la vanidad de autor me hace pensar que la circulación de este librejo vale para mí tanto como un escuadrón de coraceros mandados por un jefe arrojado. He querido turbar la conciencia de esos mandones, mostrarles la inmoralidad de lo pasado y abrir el corazón de los pueblos a la esperanza de un mejor orden de cosas1393.
157Le 22 décembre 1845, il envoie un exemplaire de son livre au général Paz, et lui explique :
Remito a S. Exa un ejemplar del Facundo qe e escrito con el objeto de favorecer la revolución i preparar los espíritus. Obra improvisada, llena por necesidad de inexactitudes a designio a veces, no tiene otra importancia qe la de ser uno de tantos medios para ayudar a destruir un gobierno absurdo ; i preparar el camino a otro nuevo1394.
158Sarmiento, allant au-devant des critiques, avoue donc que son livre contient des inexactitudes volontaires. Il faut tenir compte de cet aveu pour apprécier la valeur documentaire de l’essai.
159Voici un autre aveu qu’il fait, cette fois, à son ami Valentin Alsina, dans une lettre-prologue publiée en tête de l’édition de 1851 de Facundo :
... adoleció de los defectos de todo fruto de la inspiración del momento, sin el auxilio de los documentos a la mano, y ejecutada no bien era concebida, lejos del teatro de los sucesos, y con propósitos de acción inmediata y militante1395.
160En 1850, bien que la traduction française d’une partie de Facundo et l’article élogieux de Charles de Mazade aient consacré son auteur, celui-ci, dans ses Souvenirs de province, insiste sur le fait que ce livre a été écrit à la va-vite, qu’il a été composé par fragments imprimés successivement dès qu’ils étaient prêts, sans donc que l’écrivain ait pu les revoir et juger de l’ensemble avant la publication1396.
161Beaucoup plus tard, dans une lettre à son petit-fils Augusto Belín, en 1874, il dit que son livre est une sorte de « poème », de « pamphlet », d’« histoire »1397.
162En 1876, il le nomme encore « pamphlet » et « roman », et écrit :
... el execrable Facundo Quiroga... será por siempre aborrecido, mientras haya quien lea Civilización y barbarie, a que salvan del olvido algunas páginas que las letras no desdeñan, no obstante la impericia juvenil del que las trazó al calor del patriotismo, bajo las inspiraciones de la civilización perdida y deshonrada1398.
163A l’occasion de la prochaine publication d’une traduction italienne de son livre, en 1881, il le considère encore comme un-« livre étrange, sans queue ni tête, informe, véritable fragment de roc que les titans se lancent à la tête ». Et, surtout, dans le même article, il adresse aux lecteurs futurs une supplique, les mettant en garde contre une interprétation erronée :
No vaya el escapelo del historiador que busca la verdad gráfica, a herir en las carnes de Facundo, que esta vivo ; no lo toquéis1399.
164En somme, même dans le feu de l’action, Sarmiento a conservé sa lucidité et n’a jamais demandé à personne de voir dans son livre une reconstitution exacte des faits et gestes de Facundo ou de Rosas. Il sait qu’on lui reprochera d’avoir menti. Plus tard, dans une lettre inédite, son ami Vélez Sársfield lui dira qu’il vaut mieux ne pas retoucher son essai, car « el Facundo mentira sera siempre mejor que el Facundo verdadero »1400.
165C’est pour répondre à ses futurs détracteurs qu’il demande aux historiens de ne pas relever ses erreurs.
166Toutefois, Juan Facundo Quiroga et Juan Manuel Rosas sont des personnages réels, historiques. Sarmiento lui-même les a présentés comme tels. Comment peut-il alors échapper au jugement des historiens ? Nous reviendrons sur ce point délicat1401.
167 Documentation utilisée par Sarmiento. — Nous pouvons nous faire une idée du matériel d’information dont Sarmiento a disposé, car il a cité ses sources dans l’avertissement qu’il a mis en tête de son livre. Il a consulté des « témoins oculaires », des « manuscrits constitués à la légère » et tiré parti de souvenirs personnels. Cette façon de procéder n’est pas inhabituelle. Chroniques, mémoires, récits de voyages, forment souvent la seule documentation à portée de l’historien. En outre, Sarmiento a lu la presse. L’appendice publié dans la deuxième édition de Facundo prouve qu’il a eu sous les yeux « les gazettes de Buenos Aires », parmi lesquelles La Gaceta1402. Dans ce même appendice, il publie trois documents qui portent la signature de Juan Facundo Quiroga. A son avis ce sont les trois seuls documents écrits que l’on conserve de ce caudillo. Toutefois, il fait allusion à quelques lettres de Quiroga, probablement celles qui ont été publiées dans la presse de Buenos Aires. Se livrant à une analyse psychologique du caudillo à travers ses proclamations, Sarmiento en déduit quelques traits de caractère qui complètent le portrait qu’il en a peint dans son livre. Il y voit : l’ostentation, l’ignorance d’un prétentieux qui se sert de mots dont il ne connaît pas le sens, une âme grossière, la vantardise de l’homme du peuple, la candeur de celui qui ne se rend pas compte de son incapacité. Enfin, tout ce qui prouve la barbarie de cet homme, tourmenté par le désir de semer la terreur.
168Par ailleurs, Sarmiento a demandé des renseignements aux uns et aux autres. A son ami Anselmo Rojo, il déclare son intention de recueillir des informations pour écrire la vie de Facundo1403.
169Le 16 mars 18451404, Antonio Aberastain écrit à Sarmiento qu’il a vu tous les habitants de la Rioja susceptibles de lui donner des renseignements sur le personnage en question, et annonce l’envoi de notes qu’il est en train de rédiger. Estimant que le travail entrepris est extrêmement important, il recommande à l’écrivain de maîtriser son impatience et de préparer calmement son ouvrage. Bousculé par l’arrivée de Baldomero Garcia, Sarmiento n’a pas écouté ce sage conseil. Aberastain, qui prend la chose au sérieux, indique à son ami l’existence, à Santiago, d’une liasse de lettres de Quiroga. Il lui donne les noms de personnes qui ont approché le caudillo. Finalement, il lui demande de tenir compte de onze points. Ces onze points sont à retenir. Aberastain assure qu’ils sont confirmés par les renseignements qu’il enverra à Sarmiento. En outre, ils fixent le caractère du personnage, tel qu’une certaine tradition veut qu’il soit.
170Les voici : « I°, aucunement vaillant d’homme à homme ; 2°, aucunement généreux avec ses ennemis, mais plutôt traître à leur égard : 3°, aucunement généreux quand il s’agit d’intérêt, même pas avec ses amis, au contraire : avare au point de commettre une vilenie (suciedad), n’a donné de fortune à personne ; 4°, nullement équitable dans ses rapports publics ou privés avec les autres, toujours injuste, égoïste et autoritaire ; 5°, impudique et cynique dans ses amours, brutal, bestial avec ses maîtresses ; 6°, ennemi du travail, n’a jamais travaillé ; 7°, ennemi de toute organisation gouvernementale, n’a donné ni décret, ni règlement ; 8°, nullement affable envers les gauchos ou la plèbe, comme Rosas ; 10°, n’aimait pas la gloire, ni la renommée, voulait seulement dominer tyranniquement où il se trouvait, pour satisfaire ses passions de tigre ; 11°, n’a jamais rien fait, quand il l’aurait pu, pour l’organisation de la République ».
171Sarmiento a donné de Facundo un portrait infiniment plus nuancé et moins sombre que ce réquisitoire où l’on chercherait vainement l’origine de la générosité que l’auteur de Civilisation et barbarie accorde au caudillo.
172Dans une lettre inédite du 20 mars, Aberastain annonce à Sarmiento l’envoi des notes promises dans la lettre précédente, avec des renseignements fournis par Pantaleón Garcia et José Maria Martinez. Il fait remarquer à son correspondant, sans les préciser, les contradictions entre les deux témoignages, en lui laissant l’embarras du choix1405. D’après lui, un certain curé de Calle aurait des renseignements dignes de foi.
173Ces notes font partie sans doute des « manuscrits » que, dans plusieurs passages de son livre, Sarmiento dit avoir sous les yeux1406. Notons que l’écrivain ne choisit pas forcément la version la plus plus défavorable au caudillo1407. Lamadrid, chez qui Sarmiento s’est rendu plusieurs fois en quête d’information, reproche même à l’écrivain d’avoir voulu « exalter son héros »1408.
174Malheureusement, les notes en question ont disparu.
175Parmi les témoins oculaires, il cite Dalmacio Vélez Sársfield1409, qui avait eu l’occasion d’approcher Quiroga pendant la présidence de Rivadavia. Le président avait chargé Vélez Sársfield, en effet, de porter à Quiroga une lettre dans laquelle il lui demandait de participer à la guerre contre le Brésil, et le nommait général. Facundo, ennemi de la Constitution unitaire, avait rendu la lettre sans l’ouvrir. Quelques années plus tard, le caudillo rencontra Vélez Sársfield. Celui-ci lui rappela l’épisode et lui découvrit alors le contenu de la lettre. Quiroga aurait dit qu’il regrettait de s’être montré têtu et qu’il se serait mis volontiers au service de Rivadavia. Sarmiento raconte l’anecdote dans sa biographie de Dalmacio Vélez Sársfield1410. Il ne l’a pas reproduite dans Facundo. En tout cas, elle illustre un trait de caractère en harmonie avec la psychologie du principal protagoniste de Civilisation et barbarie.
176Alberdi écrit que Facundo est un jeu de puzzle, dont les pièces appartiennent aux amis de Sarmiento et que celui-ci s’est contenté de transcrire les conversations journalières qu’il avait avec eux1411. C’est pourquoi, selon lui, le livre est un « musée de styles, d’opinions et de doctrines politiques ». Cette affirmation n’est appuyée par aucune preuve. Certes, Sarmiento a plusieurs styles dans son livre. Dans Souvenirs de province également. Cela ne prouve rien. Il est tout à fait normal que Sarmiento ne s’exprime pas de la même façon quand il entreprend un exposé historique, quand il décrit les mœurs des gauchos et quand il fait le procès de Rosas. Alberdi a reproché aussi à Sarmiento d’avoir tiré du Comercio del Plata, de Montevideo, ses considérations sur les causes économiques ayant provoqué la tyrannie1412. Comme il vient de dire que Sarmiento n’entend rien à l’économie, on ne sait pas au juste ce qu’Alberdi veut prouver. Lui ferait-il reproche de s’être renseigné ?
177 Hommes et archétypes. — Que Sarmiento ait eu tendance à peindre les caudillos sous les couleurs les plus sombres, cela va de soi. Depuis le jour où il a participé aux guerres civiles, il a embrassé la cause unitaire. Or, la cause fédérale représentait à ses yeux, dans les formes que Rosas lui avait données, la suprématie des forces barbares sur la civilisation. Il a beau, à la fin de Facundo, justifier l’action d’hommes qui ont obéi aux desseins de la Providence, il a pris parti dans la lutte. On ne saurait attendre de lui la glorification des représentants d’un régime qu’il combat.
178Sarmiento a-t-il dénigré les caudillos parce qu’il était antirosiste ; ou bien, est-il devenu antirosiste parce que les caudillos lui ont fait horreur ? Il y a tout lieu de penser que c’est à cette deuxième question qu’il faut répondre par l’affirmative. Même si l’on ne veut pas tenir compte de la justification a posteriori qu’il a donnée de son choix, son attitude militaire en 1829 et en 1830, son exil volontaire au Chili, en 1831, prouvent suffisamment qu’il s’est déclaré l’ennemi des caudillos, bien avant que Rosas ne devînt dictateur de Buenos Aires.
179Sarmiento écrit El general Fray Félix Aldao au début du mois de février 1845, donc peu de temps après la mort de celui-ci, décédé le 19 janvier de la même année. Il ne donne aucune source et, pour tout document, recopie en appendice le testament d’Aldao, rédigé le 6 juin 1802, quand le jeune homme — il avait 17 ans — prit l’habit des dominicains. L’écrivain a eu vraisemblablement sous les yeux la Memoria sobre los acontecimientos más notables en la Provincia de Mendoza, en 1829 y 1830, de José Luis Calle1413. En outre, il men tionne le communiqué dans lequel le général Las Heras recommande à l’attention de San Martin le Père dominicain Fray Félix Aldao, qui a brillamment participé au combat de la Guardia Vieja. Ce communiqué n’est pas une invention de Sarmiento. Il a été publié par Simon Semorille J.1414. Mais comment cet historien en déduit-il que Fray Félix Aldao, au moment du combat, portait l’uniforme des grenadiers et non la soutane ? Il n’ignore pas qu’Aldao était aumônier.
180Selon cet auteur, il y a contradiction entre le fait que Las Fieras, comme le dit Sarmiento, ait reproché à l’aumônier de s’être moins occupé de secourir les moribonds que d’augmenter le nombre des morts1415, et le fait que le même général ait loué son exploit1416. C’est possible. Toutefois Sarmiento explique fort clairement :
El coronel Las Heras, en su parte oficial del combate de la Guardia Vieja, en cumplimiento de su deber, había recomendado al fraile por haber rendido y hecho prisioneros a dos oficiales, lo que según la ordenanza militar, constituye un título de gloria para merecer ascensos1417.
181Las Heras, de qui Sarmiento a obtenu sans doute des détails sur cette affaire — le général, ami de l’écrivain, se trouvait réfugié au Chili en même temps que lui —, a très bien pu être horrifié par l’attitude belliqueuse du jeune dominicain et, cependant, pour accomplir son devoir, signaler la brillante action de ce dernier.
182A propos du combat d’El Pilar, Sarmiento prétend que la trêve fut rompue brusquement par Aldao, qui était ivre. Or, José Luis Galle affirme qu’Aldao n’avait pas l’habitude de s’enivrer1418. Mais on ne possède sur cette affaire que des témoignages d’unitaires, sauf celui de Calle1419.
183Sarmiento dit qu’Aldao a fui au cours de la bataille d’Angaco. Simon Semorille prétend, au contraire, qu’il s’est conduit en brave et s’est attiré les félicitations de Benavidez1420.
184L’historien, en revanche, est d’accord avec Sarmiento sur le fait qu’Aldao essaya d’obtenir une dispense du pape pour se marier. Il recopie la lettre d’Aldao, qui fut transmise au Saint-Père par Rosas1421. Il n’y eut pas de réponse. Semorille suppose, comme Sarmiento, que c’est l’obligation de vivre en marge de la société qui aigrit Aldao et exacerba ses mauvais instincts.
185Notre écrivain dit Aldao cruel. Simon Semorille rapporte le témoignage du révérend Père José Durao, lequel se fait l’écho des propos d’une vieille dame qui trouvait Aldao d’une politesse exquise et d’une bonté extrême1422. Par ailleurs, l’historien publie un document qui prouve, selon lui, — mais on se demande pourquoi il lui donne cette interprétation —, « un estado de salud física y mental que reboza espiritualidad y revélanos a todo un psicólogo ». C’est le décret par lequel Aldao déclare les unitaires fous et ordonne au chef de la police de faire enfermer « tous les sauvages unitaires qui, à son avis, sont les plus fanatiques »1423. La police devait être la tutrice de ces « déments » (art. 2). Seraient déclarés « sauvages unitaires » toutes les personnes figurant dans les listes qui seraient remises — le texte ne dit pas par qui — au chef de la police (art. 5). Ce décret bizarre est daté du 31 mai 1841.
186C’est à partir de cette date que l’on a pris l’habitude, du côté des fédéraux, de qualifier de fous les unitaires.
187Toutefois ce décret ne fut pas appliqué, assure Edmundo Correas, qui juge ainsi Aldao : « Il fut un gouverneur médiocre, sombre et cruel »1424.
188Un moine apostat, ivrogne et cruel, voilà un personnage rêvé pour qui veut jeter le discrédit sur les caudillos. Le portrait qu’en a laissé Sarmiento diffère peu de celui que les historiens en ont tracé.
189Ce gouverneur de Mendoza serait sans doute à peu près oublié si Sarmiento n’en avait pas écrit la biographie. Il est effacé par Facundo Quiroga. Celui-ci doit une grande partie de son renom au livre de Sarmiento, sans aucun doute. Mais il eut un prestige que l’autre n’a pas connu.
190Tel qu’il apparaît à la lumière d’une abondante documentation, Juan Facundo Quiroga est le type accompli du caudillo, dont les faits et gestes sont ceux d’un seigneur féodal, patriote à sa façon, qui aime en tout cas que son autorité soit respectée.
191Toutefois, ce n’est guère qu’au début de notre siècle que plusieurs écrivains et historiens ont essayé de montrer un Facundo différent du « Tigre de Los Llanos » peint par Sarmiento ; et accusé celui-ci d’avoir faussé la personnalité du caudillo, d’avoir sali sa mémoire.
192Le professeur David Peña ouvre le feu en 1903 et présente, dans ses cours à la Faculté des Lettres de Buenos Aires, un Facundo fort civilisé, dont le souci principal est de donner une constitution fédérale à l’Argentine1425. Pour mieux servir cette revision de l’histoire traditionnelle, il fait représenter un drame, dont le principal protagoniste est le caudillo. Mais, en 1906, Emilio Becher réfute la thèse de Peña1426. Sur ces entrefaites, en 1905, un petit-fils du caudillo, Eduardo Gaffarot, publie une sorte de pamphlet véhément contre Civilisation et barbarie1427. Il y met à peu près sur le même plan les fautes d’orthographe ou de ponctuation, les erreurs historiques et les calomnies qu’il reproche à Sarmiento. Le seul intérêt de cet ouvrage est qu’il contient en appendice plus de cent pages de documents appartenant pour la plupart aux archives privées de Quiroga.
193Enfin, en 1952, Pedro de Paoli publie un ouvrage documenté qui est le meilleur des livres écrits par les défenseurs de Facundo1428.
194Ces ouvrages ont été composés pour réhabiliter le caudillo. Leurs auteurs ont compulsé la documentation conservée dans les archives nationales et dans les archives réunies par les descendants de Quiroga. Mais, à une interprétation souvent personnelle et tendancieuse des documents, nous préférons la publication intégrale de tous les documents connus. C’est pourquoi la publication en cours des archives de Quiroga est infiniment précieuse. Les documents y sont classés chronologiquement. C’est au lecteur de se faire une opinion. Lorsque toutes les pièces concernant Facundo Quiroga (lettres, proclamations dans les journaux, témoignages des amis et ennemis de Facundo avant et après sa mort) auront été recueillies, il viendra peut-être un historien apolitique entièrement impartial qui tracera la vie réelle de Facundo Quiroga. Ce livre est encore à écrire.
195Sarmiento, en tout cas, n’a jamais prétendu écrire ce livre-là. Mais, puisqu’il a évoqué un personnage historique, nous sommes en droit de confronter le héros qu’il présente avec celui qu’on entrevoit à travers les documents.
196A tout seigneur tout honneur. Dans La Gaceta du 9 avril 1831, Facundo Quiroga se défend des accusations que les anciens gouverneurs Nicolas Dávila, José Patricio del Moral et Gaspar Villafane ont publiées sur son compte dans l’Aurora National de Cordoba, où ils ont dit de lui qu’il avait pris des mesures arbitraires, qu’il était cruel et cupide1429. Avec calme Quiroga reprend ces trois accusations une à une et justifie sa conduite. Reconnaissant qu’il s’est vu dans « l’obligation d’agir parfois sans trop se soucier des formes constitutionnelles », il assure qu’il n’a eu pour but que le bien général. Il se plaint ensuite qu’on ait inventé des anecdotes sur lui pour le montrer mauvais fils et mauvais citoyen, et en faire un individu féroce. On se rappelle que Sarmiento montre Facundo giflant son père1430. Mais Facundo, qui admet qu’il n’a pas toujours pu écouter la voix de son cœur, affirme qu’il a toujours respecté les lois de l’humanité et de la guerre, qu’il n’a jamais fait fusiller ses prisonniers, ni exterminé des familles entières sans épargner les femmes et les enfants, comme on le prétend ; qu’il a infligé parfois des châtiments, mais qu’il n’a aucun crime sur la conscience. Si on le dit cupide, c’est pure calomnie, selon lui. N’a-t-il pas payé les troupes de ses deniers en 1826 et en 1827 ? Les diffamateurs de l’Aurora National l’accusent de s’être adjugé les dîmes à bas prix, pendant dix ans, alors qu’un témoin digne de foi, dont il cite la lettre, affirme que Facundo ne les a obtenues que pendant une année. Sarmiento a repris cette accusation1431. Quiroga met ce qu’il appelle des calomnies sur le compte des ennemis du parti qu’il a embrassé, lesquels, en l’attaquant, veulent, dit-il, dénigrer la cause fédérale.
197Pour montrer la générosité de Facundo, Peña et Paoli rapportent l’anecdote contée par Alberdi dans ses Escritos póstumos1432. Le général Heredia, par une lettre du 12 octobre 1824, avait recommandé son protégé Juan Bautista Alberdi à Facundo Quiroga, qui se trouvait alors à Buenos Aires, et lui avait demandé de payer le voyage aux Etats-Unis de son fils adoptif1433. Quiroga reçut fort cordialement le jeune homme et lui remit un ordre de paiement pour la somme qui lui permettrait de payer son voyage et de résider un an dans le pays de son choix. Ayant renoncé au voyage, Alberdi se réjouit ensuite d’avoir pu rendre l’ordre à Quiroga, le lendemain.
198Quiroga n’a pas toujours été considéré comme un fléau, même par les partisans de Rivadavia. Salvador Maria del Carril, dans une lettre du 19 août 182 51434, fait appel à lui pour rétablir l’ordre à San Juan. Facundo, qui, pourtant, entretenait des rapports amicaux avec le gouverneur de cette ville, ne bouge pas1435 ; mais il félicite Del Carril, lorsque celui-ci a triomphé des fanatiques1436. Toutefois un désaccord définitif ne tarde pas à rompre les ponts entre les deux hommes, Quiroga ayant pris parti contre Lavalle dont Del Carril est un des ministres. Dans une lettre du 3 novembre 1829, Facundo rappelle à son ancien ami que nul ne peut se vanter de conserver la chance ; et il cite les cas de l’empereur Andronic, qui fut fouetté par ses vassaux, de l’empereur Vitellius, qui fut traîné dans les rues de Rome, la corde au cou, de Valérien, roi de Perse, qui fut enfermé dans une cage, etc...1437. Cet étalage d’érudition contredit les assertions de Sarmiento, qui fait du caudillo un ignorant.
199Dans le domaine de l’instruction, on ne sait trop quel crédit il faut accorder à Bénédict Gallet de Kulture, qui rapporte un savoureux dialogue entre Ascasubi et Facundo. Le poète, alors officier unitaire, met le « Tigre de Los Llanos » au défi de réciter la Bible par cœur, et Quiroga, au grand étonnement de son adversaire, sort victorieusement de l’épreuve1438. Cet épisode, rapporté par un ennemi de Quiroga, n’est pas sans valeur. Facundo ne semble pas avoir dédaigné l’instruction. Loin de là. Son père, José Prudencio, avait fondé une école dans sa propre demeure, et c’est là que Facundo apprit à lire et à écrire ; et non à San Juan, comme l’écrit Sarmiento1439. Lui-même, plus tard, encourage les parents à instruire les jeunes gens1440, et recommande à sa femme d’envoyer régulièrement leurs enfants à l’école1441. Ce n’est pas là le fait d’un ennemi de la culture. Il est vrai que Sarmiento lui rend justice quand il dit que Facundo a envoyé ses fils dans les meilleurs collèges de Buenos Aires1442.
200Pedro de Paoli essaie de démontrer que Sarmiento a menti quand il a affirmé que Facundo avait été emprisonné à San Luis. Facundo aurait été seulement retenu dans cette ville par le gouverneur et logé dans la caserne. Cette circonstance lui aurait permis d’intervenir efficacement contre les officiers espagnols qui s’étaient soulevés. Ce n’est pas impossible. Mais les pièces alléguées prouvent seulement que Facundo s’est battu avec une corne et non avec le maillet servant à river les fers aux chevilles des prisonniers, comme le dit Sarmiento1443. Si vraiment Facundo pouvait évoluer en toute liberté, n’est-il pas étonnant qu’il se soit promené sans arme ? Le fait qu’il ait été ensuite chaudement félicité pour son intervention n’éclaircit pas cette affaire.
201En faisant de Facundo un homme lubrique, Sarmiento se trouve en désaccord avec l’historien Vicente Fidel López, qui dit du caudillo qu’il était « chaste et incorruptible »1444. La version suivant laquelle Facundo aurait poursuivi de ses assiduités Severa Villafañe, l’aurait brutalisée et terrorisée de telle sorte que la jeune fille aurait dû se réfugier dans un couvent, comme le veut Sarmiento1445, est infirmée, d’après Pedro de Paoli, par une lettre de cette jeune fille à Quiroga1446. Encore faudrait-il savoir si cette lettre, câline et presque amoureuse (la jeune fille prie Facundo de venir combler le vide de son cœur et lui dit qu’elle garde une de ses lettres sur son sein), n’a pas été rédigée avant l’épisode raconté par Sarmiento.
202Vicente Fidel López assure que Facundo a été bon époux et bon père1447. Sarmiento n’a jamais dit le contraire.
203On ne saurait nier à Facundo les traits de noblesse. Sarmiento en a rapporté quelques-uns. L’esprit chevaleresque du « Tigre de Fos Flanos » apparaît sous son jour le plus favorable dans sa lettre à Gregorio Araoz de Famadrid, du 24 novembre 18311448. Oubliant ses griefs à l’égard du chef unitaire, qui a naguère enchaîné la vieille mère du caudillo et lui a dérobé une partie de sa fortune, Facundo promet à Famadrid de remettre un passeport à la femme de celui-ci, qu’il a gardée prisonnière pendant quelques jours, et de lui donner une escorte.
204Plusieurs lettres témoignent de l’admiration que Facundo a su inspirer. Les sœurs Juana et Teresa Rondeau félicitent Facundo d’avoir délivré Córdoba du joug unitaire et le remercient de les avoir fait sortir de prison1449. Le caudillo répond, assurant que le prix que ces dames attachent à la « cause des Peuples » est sa plus grande récompense1450.
205Un historien essaie de montrer que Sarmiento a peint de façon contradictoire une même attitude de Facundo. D’après David Peña, l’auteur de Civilisation et barbarie affirme que Facundo accueillit avec enthousiasme l’idée d’un Congrès ; et, dans la vie d’Aldao, que Facundo se moque de l’envoyé de Buenos Aires, qui vient l’entretenir de ce sujet. Mais, Sarmiento ne parle pas de la même chose dans les deux cas. Dans El general Fray Félix Aldao1451, il fait allusion à la Constitution unitaire de 1826, qui fut refusée par les provinces. C’est par erreur qu’il nomme Zavaleta. En revanche, dans Facundo, il aurait pu le nommer1452, car cet homme avait été envoyé dans les provinces de l’ouest, au cours du dernier trimestre de l’année 1823, pour proposer aux provinces un Congrès général, accepté par celles-ci dans des réponses officielles arrivées à Buenos Aires en 18241453. Peña qui, pour mettre Sarmiento en contradiction avec lui-même, publie des lettres de Diego Estanislao Zavaleta remerciant Facundo de l’accueil qu’il lui a réservé en 1824, aurait pu remarquer que, dans Facundo, il s’agit de l’initiative portena de 1823 ; et, dans El general Fray Félix Aldao, de la Constitution de 1826. Pour mettre les choses au point, ajoutons encore que Sarmiento a dit par erreur que le gouvernement de Buenos Aires avait invité les provinces à se réunir en 1825. Alsina, dans sa note 18, a fait observer à Sarmiento qu’il s’agissait de 1823 et non de 1825. Sarmiento s’est donc trompé sur une date. Mais il n’a pas présenté le même fait de façon contradictoire.
206Nous ne prétendons pas innocenter Sarmiento qui, de son propre aveu, a pris des libertés coupables avec l’histoire ; mais seulement faire remarquer que Facundo n’a pas toujours été lu avec une attention impartiale1454.
207Une étude approfondie du texte de Sarmiento exigerait à elle seule un volume1455. On a lu dans les pages qui précèdent quelques-uns des reproches essentiels qu’on a faits à l’écrivain, et dont le plus grave est qu’il a calomnié le caudillo. Certaines preuves alléguées pour incriminer Sarmiento paraissent peu convaincantes. Quelques documents mettent en lumière une certaine noblesse du personnage, que Sarmiento a parfaitement admise.
208Il reste à évoquer des faits et des interprétations donnés par Sarmiento et confirmés par les historiens et les documents en partie inédits.
209Laissant de côté des détails1456, choisissons des références qui définissent le comportement de Facundo dans la vie nationale.
210V. F. López, qui juge Facundo chaste, loyal, l’accuse néanmoins d’avoir ensanglanté l’Argentine et de l’avoir couverte de ruines1457. Dans une lettre inédite du 28 novembre 1822, Manuel Araya se plaint au gouverneur de la Rioja, Nicolas Dávila, pourtant imposé par Facundo, des « mauvais traitements et des outrages » que celui-ci a fait subir aux habitants de la province1458. Dans son récit intitulé La bataille de la Tablada, Th. Lacordaire définit Facundo : « un de ces esprits sombres et déterminés dont la volonté inflexible marche à son but à travers le sang et le crime »1459. Ce témoignage est d’autant plus intéressant que Lacordaire a vu Quiroga de près et en a fait un portrait qui a probablement inspiré Sarmiento1460.
211Certains documents conservés dans les archives montrent un Facundo fauteur de troubles. Ainsi, le prêtre Castro Barros lui demande de ne pas déclencher la guerre civile1461. Comme Quiroga n’a pas suivi ce conseil, l’Assemblée des Représentants de la Rioja lui ordonne de comparaître devant elle, afin qu’il expose les motifs qui l’ont poussé à semer la zizanie1462. José Nicolas Gordillo lui reproche d’avoir incité ses officiers à la révolte1463. Cette affaire arrive aux oreilles du général San Martin, qui fait appel aux bons sentiments de son compatriote et exige de lui qu’il ne compromette pas le sort de la Révolution, et s’entende avec le gouverneur légitime de la Rioja1464.
212Voilà bien un de ces ferments d’anarchie que Sarmiento dénonce dans le caudillismo.
213Quelques années plus tard, Facundo se vante d’être aimé et craint de ses partisans, et, par conséquent, de n’avoir rien à redouter de Rivadavia. Il accuse celui-ci de vouloir plonger les provinces dans l’esclavage et anéantir la religion du Christ en proclamant « cette tolérance des cultes sans nécessité »1465. Avec un orgueil quelque peu démesuré, il se compare à Napoléon, affirmant que si le restaurateur de la France est sorti de la Corse, le restaurateur de l’Argentine peut aussi bien sortir de la Rioja. Il se déclare l’instrument de la divine Providence qui, selon lui, ne veut pas qu’il meure, afin de lui laisser le temps de donner « un châtiment exemplaire aux ministres de l’impiété »1466.
214Sarmiento a-t-il tort d’écrire : « Facundo est le rival de Rivadavia »1467, de donner à l’attitude du caudillo la valeur d’un symbole ?
215Sarmiento n’exagère pas. Facundo Quiroga est un homme extrêmement important. Il est riche1468 et peut se permettre le luxe d’entretenir des troupes à ses frais, comme il ressort de ses propres déclarations1469. Il impose des gouverneurs. Toujours sur la brèche, il se fait redouter et respecter. Dans une étrange lettre à Rosas, il se déclare tout bonnement le représentant des provinces et, se prétendant unitaire, explique qu’il a soutenu le principe fédéral, contre ceux qui défendent son parti, parce qu’il a voulu humblement respecter les vœux de la majorité qui s’est prononcée pour le fédéralisme1470. Voilà un opportunisme qui a assuré l’influence du caudillo. Facundo fait la loi dans sa province et dans les contrées environnantes. Sa renommée est allée jusqu’au Chili, dont le président, Joaquin Prieto, le félicite d’avoir contribué efficacement à la paix des peuples1471. Joaquin Tocornal, ministre des affaires étrangères du Chili, s’adresse à Facundo, en même temps qu’il écrit aux gouverneurs de San Juan et de Mendoza, pour demander une amnistie en faveur des émigrés argentins1472. En 1834, le président du Chili écrit à Quiroga pour lui demander d’intervenir, afin qu’on accorde au général Paz un passeport qui lui permette de sortir de l’Argentine1473. C’est dire que Joaquin Prieto croit Facundo presque tout puissant.
216De là à voir en Quiroga un rival plus ou moins déclaré de Rosas, il n’y a pas loin.
217Précisément, l’année où Joaquin Prieto s’adresse à Facundo, le caudillo désapprouve publiquement l’attitude hostile adoptée par le gouvernement de Buenos Aires à l’égard de Rivadavia et se propose de manifester sa sympathie à l’ancien président1474. La même année, Laciar écrit à Alberdi que « tout le monde, et principalement le général Quiroga, aspire à donner une constitution au pays »1475. Le bruit court que Quiroga est allé voir Rosas, la constitution unitaire de 1826 en poche. On dit aussi que Quiroga sera le futur président de la République.
218Ces faits et ces témoignages donnent raison à Sarmiento quand il assure que Facundo a des rapports amicaux avec les unitaires, qu’il complote avec eux et qu’une lutte sourde a éclaté entre lui et Rosas. Sarmiento n’est pas le seul qui a imputé à Rosas l’assassinat de Quiroga. Alsina et d’autres prétendent aussi que le crime fut commis à l’instigation du dictateur en puissance1476.
219Somme toute, le détail des faits et gestes que Sarmiento attribue à Facundo est aujourd’hui difficilement vérifiable. Victime de son système, l’écrivain a probablement prêté une oreille attentive à des calomnies gratuites, de telle sorte que la barbarie du caudillo fût évidente. Mais, vraiment, où est la vérité ? Jusqu’à quel point Facundo a-t-il ou n’a-t-il pas été cruel, dans une époque troublée où fédéraux et unitaires avaient le crime facile ? A-t-il aimé l’amour ? Comment le savoir ? Seule l’accumulation des forfaits semble peu vraisemblable.
220Toutefois, de même que tout en réprouvant le gaucho, il admire ses qualités foncières, Sarmiento voit en Facundo un homme qui sait se montrer à la hauteur de n’importe quelle situation1477, un homme généreux1478, ami de la culture, un patriote capable de penser à l’organisation de son pays et non pas seulement à se battre pour lui1479.
221On assiste d’ailleurs, dans le livre de Sarmiento, à une évolution du personnage qui, de barbare qu’il était au début, devient, à la fin, soucieux de l’avenir de l’Argentine. Tout se passe comme si la lutte entre la barbarie et la civilisation se jouait dans l’esprit de Facundo, gagné finalement à la culture de la ville.
222Voilà le personnage symbolique, l’archétype : le barbare contient en soi le devenir de l’homme civilisé. Il meurt au moment où il se civilise, car la force du mal est encore la plus puissante.
223Mais un personnage réel se laisse difficilement emprisonner dans un symbole.
224Or, le comportement de Facundo Quiroga, à la lueur des documents, est complexe. Fauteur de troubles et soulevé contre le gouvernement légitime de la province, il se pose en seigneur jaloux de ses prérogatives et se déclare l’ennemi de Rivadavia, qu’il accuse de vouloir asservir les provinces. Il part en guerre contre lui pour sauvegarder son autorité locale croissante et la religion offensée. Mais, par la suite, dans sa curieuse lettre à Rosas, il se déclare unitaire et défenseur de la cause fédérale1480, et fait la guerre aux chefs militaires du parti qui, au fond de son cœur, dit-il, est le sien. Il prétend faire ce qu’il faut pour que le pays ait une constitution ; et, finalement, semble se ranger à l’avis de Rosas, qui ne veut pas en entendre parler. Cette attitude contradictoire, flottante, a été notée par Enrique Barba1481.
225Sarmiento, qui a manié documents et témoignages avec plus de souplesse que ses détracteurs ne le supposent, a vu ce caractère hésitant du caudillo.
226Il est malaisé de préciser le degré de ressemblance entre le Facundo réel et le Facundo de Sarmiento. Ils se ressemblent certainement par leur bravoure, leur rude franchise, leur arrogance, l’héroïque obstination avec laquelle ils vont au-devant du danger, de la mort. L’un et l’autre appartiennent à une ère de violence, à un moment où l’organisation du pays est en gestation ; à ce moyen âge dont Rosas serait le Louis XI, a-t-on dit. La tentative d’unification de l’Argentine a provisoirement échoué. Elle va se faire cependant malgré tout. Au fond « la lutte semblait politique et elle était sociale », Sarmiento l’a dit beaucoup plus tard1482.
227Dans sa vieillesse, Sarmiento ira se recueillir sur la tombe de Facundo Quiroga et se plaira à reconnaître qu’un même sang a coulé dans leurs veines1483. Mais, alors, l’ère des caudillos est révolue. Il rend hommage au caudillo qu’il porte en lui :
Quiroga ha pasado a la historia y reviste las formas esculturales de los héroes primitivos, de Ayax y Aquiles.
228 7. En guise de conclusion : destinée du livre « Civilisation et barbarie ». — Ce livre hétéroclite, écrit par un homme passionné, engagé dans la lutte contre les caudillos et en même temps en perpétuelle polémique pour des questions personnelles, littéraires, politiques, religieuses, a provoqué, lors de sa publication, les mouvements les plus divers.
229Le critique anonyme d’El Siglo, le premier à réagir, voit l’essentiel : ce qui constitue la nouveauté et la valeur du livre. Et il fait intelligemment la différence entre ce qu’il appelle « une sorte de roman historique » et l’étude sociologique proprement dite. Il applaudit à l’entreprise de l’écrivain qui a tenté, à juste titre selon lui, d’appliquer les théories de Montesquieu, de Herder et de Cousin à l’analyse de l’histoire argentine1484.
230L’orientation de la critique parue dans El Mercurio du 27 juillet est nettement définie : son auteur avoue son intention de faire l’éloge du livre1485. Il en admire l’unité, assurée, selon lui, par la vie du personnage central « parfaitement historique » ; la philosophie et l’art qui s’y trouvent ; l’exactitude des portraits des types populaires. Finalement, pour lui, Sarmiento est destiné à être « l’écrivain du roman argentin », « à être pour les pays qu’il connaît et étudie ce qu’Irving et Cooper ont été pour l’Amérique de l’autre côté de l’équateur ». L’aspect sociologique et politique est passé sous silence.
231Le lendemain, Carlos Tejedor, lui, dans El Progreso, met principalement l’accent sur le côté militant du livre. Puisque Rosas envoie partout des représentants (allusion à la mission Garcia) « il faut également que la presse libérale envoie... ses accusations et ses anathèmes »1486.
232Mais Sarmiento ne devait pas lire que des éloges. Quelques jours après l’article compréhensif du journal El Siglo, dans le même journal, Godoy, qui signe El Rebujón, attaque : « Le Facundo est l’œuvre la plus féconde en extravagances, en plagiats et en mensonges ». Il ajoute que le livre devrait s’appeler Fecundo ; et qu’il ne comprend pas pourquoi le journal invite ses lecteurs à en prendre connaissance1487. Il revient à la charge, le 2 septembre, dans le Diario de Santiago, pour déclarer que Sarmiento n’entend rien à la politique, qu’il n’a aucun talent et que son livre est un « tissu d’absurdités »1488. Il n’est pas inutile de rappeler que, dans le même journal et à la même époque, Godoy avait entrepris une biographie burlesque et grossière de Sarmiento1489. Ce n’est pas dans ce genre de satire qu’on trouvera des arguments sérieux contre le livre.
233A Montevideo, des passages de Facundo sont reproduits dans El Nacional, dirigé par Mitre ; mais Florencio Varela, sans doute vexé par ce que Sarmiento dit des unitaires, le boude et se refuse à en reproduire des passages dans El Comercio del Plata, dont il est le directeur1490.
234Le livre franchit l’Atlantique avec Sarmiento et a l’heur de plaire à Charles de Mazade, qui en fait un long et intelligent compte rendu dans la Revue des Deux Mondes1491. L’article de ce critique est bien connu ; il n’est, au fond, qu’un commentaire écrit par quelqu’un gagné à la cause de la civilisation européenne, qui ne connaît les questions hispano-américaines qu’à travers Facundo ou les ennemis du caudillismo. Sarmiento dira et répétera que son livre doit sa consécration à cet article et à la traduction qu’en fit Giraud ; et que l’Amérique ne s’y intéressa qu’après avoir connu les avis favorables de ces deux Français1492. Il s’est d’ailleurs produit un incident à cet égard. De Mazade ayant un peu trop parlé de la barbarie américaine, quelqu’un, au Chili, s’indigna de ce que cet écrivain voulût faire passer le Nouveau Monde pour un continent peuplé uniquement de sauvages1493.
235Il est fort possible que le succès de Facundo, en France, ait été dû, en grande partie, à la couleur locale. Le docteur Wappaus voit surtout dans Facundo « une biographie parfaite de Juan Facundo Quiroga, célèbre chef des gauchos... des descriptions animées sur l’aspect physique et les coutumes du pays que l’on peut comparer à ce que Cooper a écrit de plus beau sur l’Amérique du Nord »1494.
236Un article paru dans le Courrier de la Gironde, bien moins connu que celui de Ch. de Mazade, fait entendre un autre son de cloche. L’auteur en est Eugène Tandonnet, ce Français rosiste qui vécut en Argentine — détail non négligeable — et qui, en route vers la France, soutint avec Sarmiento des discussions passionnées sur la politique de Rosas et sur Fourier1495. Il met en garde les lecteurs contre la partialité de Sarmiento, engagé dans la lutte politique qu’il décrit. Se déclarant partisan de Rosas, il insinue que les ennemis de celui-ci « ont exagéré d’une manière odieuse le nombre des victimes de la réaction ». Il reconnaît toutefois que Sarmiento ne s’est pas laissé dominer « par les haines aveugles de parti » et lui sait gré d’avoir mis en évidence les bienfaits rendus par Rosas à l’Argentine. Il ne souffle pas mot de Facundo.
237Les éditions de Facundo se sont multipliées. Il est devenu un des livres les plus lus en Argentine1496. Pendant la dictature de Rosas, il circula dans ce pays grâce aux envois que Sarmiento fit à des amis et aux gouverneurs de province par l’intermédiaire de personnes de confiance. C’est ainsi que Benavidez en reçut un, qu’il envoya à Rosas par excès de zèle.
238Il a joui, en outre, d’un certain prestige populaire. Ismael Moya a recueilli, à Salta, un poème anonyme qui, selon lui, reproduit en vers le chapitre dans lequel Sarmiento rapporte la mort de Facundo1497.
239Unamuno a vu dans ce livre « un vrai roman historique », « une légende », « une très belle œuvre littéraire »1498. Voilà sans doute ce qui peut attirer encore le lecteur moderne qui ne cherche pas autre chose dans cet ouvrage. Certes, le livre est prenant. Il est aussi passionnant que les meilleurs romans « gauchescos » et comme eux suggère des scènes pittoresques bien faites pour charmer les amateurs de couleur locale. Facundo s’y révèle un vrai personnage de roman, assez nuancé pour donner l’illusion de la réalité, assez sanguinaire pour faire frissonner, mais assez malléable pour se laisser gagner par de grandes idées. Il reste donc humain malgré son caractère symbolique.
240Par ailleurs, les descriptions de la nature, des mœurs paysannes, de la bataille de la Tablada, du meurtre de Facundo sont brossées de main de maître ; ou, plutôt, par quelqu’un qui écrit sans effort, au style hirsute parfois, mais toujours vibrant. L’intérêt romanesque tombe sans doute quand l’écrivain commente la politique du temps. Mais, au fond, ses raisonnements, presque toujours animés d’exclamations lyriques, comportent souvent des idées qui sont de toutes les époques et de tous les pays. Et, si l’on veut faire de Facundo un roman historique, ces raisonnements n’y sont pas plus déplacés que les digressions politiques de Dumas dans Les trois mousquetaires, par exemple. Seul l’amour manque. Mais, du point de vue de l’intérêt romanesque, il est largement compensé par le récit des atrocités que commet le caudillo.
241Le lecteur au courant de l’histoire locale trouve dans Facundo l’expression d’une attitude qui ne peut pas le laisser indifférent, étant donné la partialité de l’auteur. Et Groussac n’avait pas tort de voir en Sarmiento un « grand découvreur de vérités politiques et sociales »1499. C’est que le livre propose, en effet, des théories sociales et politiques. Nous les avons analysées. L’auteur a pris soin d’annoncer, dès le début de son livre, qu’il va étudier la politique de son pays, ses causes et ses effets. Il y a donc, dans l’ouvrage, outre sa vie romanesque, une vie d’une autre sorte : celle qui ressort de la volonté de démonstration. Le raisonnement est aussi une force vive qui donne de l’intérêt au texte. On ne saurait dénier à Facundo sa vitalité inhérente à la thèse soutenue. Celle-ci est parfois confusément exprimée. Peu importe. Elle est discutable : voilà l’esprit critique du lecteur sollicité.
242En outre et en même temps, Sarmiento sait parfaitement qu’il est sociologue. Il ne se dit pas tel ; mais, en se proposant de décrire des « phénomènes sociaux », et en déplorant l’absence d’un Tocqueville en Amérique, il se place dans la perspective historique et se voit traçant la piste pour les hommes de science à venir. En étudiant son livre, n’avons-nous pas prouvé continuellement que Sarmiento a décrit et expliqué la société de son temps ? Il ne s’est pas contenté de la dépeindre. Aussi son ouvrage ne réunit-il pas seulement des documents utilisables par un futur sociologue : Sarmiento y fait œuvre de chercheur.
243C’est bien l’avis des sociologues modernes, qui considèrent Facundo comme le premier essai de sociologie américaine1500. Ce n’est pas là le moindre de ses mérites1501.
II. — En quête de la civilisation
244Au milieu du xixe siècle, on avait lu beaucoup de récits de voyages d’Européens en Amérique, mais aucun Argentin n’avait encore publié ses réflexions sur un séjour en Europe.
245Echeverría qui, pourtant, a passé quelques années en France, n’a laissé de ses impressions qu’un poème, El Regreso, daté du 13 juin 1830, faisant allusion au vieux continent.
246Pour la chronique de voyage, Sarmiento fait donc, en Argentine, figure de précurseur.
247Quelques mois après la publication de Facundo, le 28 octobre, il s’embarque à Valparaiso. Il est en décembre à Montevideo. Il passe les mois de février et de mars à Río. Puis il traverse l’Atlantique à bord du paquebot La Rose et arrive au Havre le 6 mai.
248Comme Sarmiento ne peut pas se passer d’écrire, il envoie à des amis le récit de ses voyages, dans des lettres volumineuses qu’il lui suffira de rassembler, une fois rentré au Chili, pour les publier sous forme de livre, sans les corriger, sans rien y ajouter, sauf un avertissement. Dans les Obras, ce volume ne contient pas moins de quatre cent quatre-vingt-douze pages1502.
249L’auteur ne veut pas que l’on parle à ce propos d’impressions de voyage. Comme pour Facundo, il refuse tout classement. Les impressions de voyage ont connu une vogue encombrante, dit-il ; des écrivains de talent, Dumas, Chateaubriand, Lamartine, ont écrit ce qu’il y a de mieux dans le genre. Sarmiento prend ses précautions. La vie civilisée est partout la même ; à quoi bon la décrire ? Alors, tranche-t-il à sa façon : « J’ai écrit ce que j’ai écrit ». C’est une sortie à la Sarmiento. L’homme agit — écrire est sa façon d’agir —, puis il regarde ce qu’il a fait. Tout en s’excusant de n’avoir pu rédiger que des notes, il n’est pas mécontent de ses improvisations.
250Si on lit les Voyages après Facundo, comme il faut le faire, on est frappé par la différence de ton entre les pages sombres du livre, en dépit de l’optimisme de l’auteur, et les lettres enjouées à ses correspondants. Sarmiento est détendu. Il émerge d’une sorte de cauchemar — sa vie pendant les derniers mois à Santiago — et il retrouve la verve de ses articles de mœurs . Il a largué les amarres. Il s’abandonne avec délice à cette grande joie du voyageur qui laisse ses amertumes et, voguant vers des contrées inconnues, découvre ou retrouve un autre lui-même.
251Sa frénésie d’écrire n’est plus celle du lutteur, mais du dilettante. Si l’on n’ose pas évoquer un écolier en vacances, que l’on imagine un professeur — Sarmiento, même dans une partie de plaisir, reste pédagogue — qui a emprunté leur jeunesse à ses élèves et qui, grâce à l’expérience de la vie, sait savourer son insouciance et distiller les joies multiples de la promenade.
252Il n’en reste pas moins attentif aux choses graves, mais il a le sourire aux lèvres.
253Ce voyage est une fête pour lui.
254Tout l’intéresse, l’amuse, le passionne. Il pourrait, pastichant Tocqueville, écrire un livre intitulé De la civilisation en Europe et aux Etats-Unis. A un travail d’élaboration, il préfère, journaliste né, épistolier à la plume facile, inviter le lecteur à participer avec lui à sa vie de tous les jours et livrer ses réactions à ses amis, suivant le plan capricieux que le hasard des faits divers lui dessine. Libéré de ses obsessions majeures, il a le cœur à plaisanter. L’humoriste qui sommeillait en lui se réveille heureusement pour notre plaisir. On le remarque d’autant plus que la littérature argentine, pendant la tyrannie de Rosas, est, non sans cause, généralement sérieuse. Un peu de fantaisie la déride.
255Curieux et jouisseur, Sarmiento décrit avec le même entrain ses entretiens à bord avec un Français rosiste et grand admirateur de Fourier, ou une flânerie dans les rues de Paris, une soirée dans un bal public, ou son entrevue avec Thiers, sa visite au directeur de la Revue des Deux Mondes, ou le carnaval de Rome, un repas en bordure du Sahara avec des officiers français et des chefs de tribus arabes, ou le flirt aux Etats-Unis, une réunion de savants en Allemagne, ou les progrès réalisés par les Américains du Nord, une corrida, ou l’audience que le Pape lui a accordée.
256Pour préciser les dates ou l’ordre chronologique de ses faits et gestes, il suffit de lire les Voyages en feuilletant le Livre de dépenses, dans lequel Sarmiento a soigneusement noté, au jour le jour, le coût de la vie, le prix de ses déplacements, des gants blancs qu’il a achetés pour aller voir Guizot, les pourboires donnés aux cochers qui le conduisirent en fiacre chez le journaliste Le Long, et même l’argent déboursé pour les spectacles, ou certaines « sottises ».
257Ce voyage d’agrément a été aussi utilitaire. Sarmiento est revenu de son périple avec une abondante documentation sur l’enseignement1503.
258Et il a vu de près cette civilisation que, dans son livre célèbre, il a voulu opposer à la « barbarie américaine ».
259 1. En France. — Sarmiento débarque au Havre le 6 mai 1846. Il passera six mois en France et trois semaines en Algérie1504. Sa connaissance de la langue française, apprise en lisant et traduisant des œuvres, armé d’un dictionnaire et d’une grammaire, lui permet de prendre contact avec le milieu intellectuel de Paris1505. La langue n’a pas dû le gêner beaucoup. Dans sa lettre du 9 mai 1846, à Tejedor, il dit qu’elle commence à lui devenir habituelle1506.
260Sa première impression, quand il débarque au Havre, est défavorable. Il est déçu : cette ville est moderne. Où sont les monuments vénérables, les antiquités ? « Le Havre n’est pas la France », écrit-il, dépité. Autant reprocher à la ville de Buenos Aires de n’être pas traversée d’une pampa peuplée de gauchos attrapant les nandous avec des boleadoras. Toutefois, dès qu’il a quitté Le Havre, il peut s’extasier au spectacle des châteaux du Moyen Age et des églises gothiques.
261De quoi est faite la civilisation française, telle que la voit Sarmiento ?
262Amateur d’art, au Havre, il cherche d’abord le Moyen Age, parce qu’il ne l’a vu nulle part auparavant. Mais sa déception ne l’a pas empêché d’admirer la beauté des édifices modernes. Par une réaction normale, il a d’abord voulu trouver ce qu’il connaissait de ce pays étranger : son histoire. Une fois sa curiosité satisfaite, il ne parle plus d’un seul monument français, oubliant Notre-Dame aussi bien que le Palais de justice ou la cathédrale de Bordeaux. Il aime surtout voir agir les hommes.
263Il remarque surtout la façon de se comporter d’un peuple. Il constate, par exemple, la liberté de la femme française, à l’origine, selon lui, de sa culture et de l’importance qu’elle a eue de tout temps dans les grands événements historiques. Emerveillé par le respect des hommes à l’égard des femmes, dans les bals, dans les diligences, les chemins de fer, il rêve une fois de plus à l’éducation de l’homme en Amérique1507.
264Dans telle page de sa lettre à Aberastain, il résume ce qu’il entend par civilisation française. Ce qu’il admire, c’est le libre développement de l’individu dans un pays où toutes les opinions, tous les systèmes, les sciences comme les croyances sont admis1508. Ayant ainsi défini cette civilisation, il a une façon ingénieuse d’expliquer pourquoi l’humanité essaie de l’imiter. Si on l’imite, selon lui, c’est parce que cette civilisation représente le plus haut degré de perfection auquel puisse accéder la société.
265Il n’est donc pas étonnant qu’il souhaite, en Afrique, le triomphe des pays civilisés1509. Pour lui, la guerre en Algérie est de même nature que celle qui a lieu dans son Amérique. N’a-t-il pas nommé les gauchos, les « bédouins » de la pampa ? Il déteste le fanatisme et la barbarie. On devine où vont ses préférences. « Nous demandons à Dieu, dit-il, d’affirmer la domination européenne dans ce pays de bandits dévots »1510. Toutefois l’ampleur de la lutte ne lui échappe pas. Il ne voit pas d’assimilation possible entre les deux peuples en présence et croit que l’un des deux devra disparaître, ou se retirer. Après avoir cité les prophéties arabes annonçant le départ des Européens, Sarmiento se fait donc prophète à son tour.
266Mais il faut de tout pour faire un monde. Le hasard veut que Sarmiento fasse une rencontre inattendue. Il a vu un Français rosiste, il a pour compagnon de voyage, en Italie, un jeune comte vendéen agrémenté de cette mentalité médiévale à laquelle l’écrivain a voué une sainte horreur. Sarmiento a-t-il poussé le tableau à la caricature en faisant de ce jeune homme, « plus ignorant qu’un enfant américain1511 » un Français hermétiquement enfermé dans des préjugés surannés, attaché à des traditions périmées et ennemi acharné de tout progrès social ? Ce genre de Français existe. Il fait partie de ce que l’Argentin appelle la barbarie.
267 2. En Espagne. — On sait que l’Espagne, pour Sarmiento et ses compatriotes, n’appartient pas à l’Europe. Les Espagnols ont un aspect si particulier, dit-il, qu’on ne saurait les placer dans la famille européenne1512.
268Comme Gautier, Dumas et autres voyageurs étrangers, il est frappé par l’habillement des Espagnols et leurs coutumes. Mais il ne saurait se contenter d’observer les mœurs sans chercher le lien entre celles-ci et la politique. Ainsi, il trouve la diversité des vêtements régionaux très pittoresque, mais il y voit le manque d’unité du pays1513.
269Sarmiento était à Madrid au moment des fêtes données à l’occasion du double mariage de la reine Isabelle II avec Francisco de Asis et de sa sœur Luisa Fernanda avec le duc de Montpensier. Il fait une description éblouissante des rues pavoisées, de la foule, de la corrida, s’abandonnant sans retenue à la volupté de peindre le chatoiement des soies, le luxe inoui déployé dans les tentures aux fenêtres, dans les costumes de parade des toreadors1514. La violence des couleurs l’enivre. Au spectacle de la corrida, une émotion forte l’étreint. Sentant vibrer la fibre du barbare qui est en lui, il reconnaît que la corrida procure des émotions qu’aucun spectacle civilisé ne saurait donner. Emotions qu’il associe au plaisir que l’on peut éprouver en voyant des êtres humains se tordre dans les flammes, des gladiateurs se battre et mourir. Tentation de cruauté, que Sarmiento dit éprouver et qui, selon lui, s’est donné libre cours dans le peuple qui s’égorge sur les deux rives du Plata. Cruauté de l’Espagnol
porque no ha de conservarse un espectáculo bárbaro, sin que todas las ideas bárbaras de las bárbaras épocas en que tuvieron origen vivan en el ánimo del pueblo1515.
270Ce peuple est affligé en outre d’un orgueil national démesuré. Considérant avec un superbe dédain ce qui n’est pas espagnol, il méprise l’étranger. Sarmiento constate ce mépris au théâtre, où, dit-il, la moindre allusion défavorable à un étranger est saluée dans la salle par des applaudissements frénétiques1516. L’étranger tête de turc est le Français. Néanmoins, proteste le voyageur, dans le domaine culturel, tout ce qui est bien vient de l’étranger. Les Espagnols, d’après Sarmiento, sont incapables, en ce milieu de siècle, d’originalité. Ils se contentent de traduire ou de singer des auteurs français ou anglais. En revanche, certains prétendent conserver la pureté de la langue, et leur haine du gallicisme les contraint de s’en tenir à un vocabulaire vieillot. Mais, en dépit de leur esprit traditionaliste, les gens, en Espagne, s’intéressent peu aux livres du passé. Rivadeneyra, le seul imprimeur espagnol digne de ce nom, d’après Sarmiento, s’est ruiné en publiant une collection d’auteurs espagnols. En revanche, les imprimeurs qui publient des romans français ou anglais font fortune1517. Au fond, Sarmiento ne s’intéresse pas du tout à la littérature espagnole, qui lui paraît, sauf l’œuvre de Larra, vaine et superficielle. Il n’a rencontré aucun écrivain de talent. Seul Espronceda a quelque mérite à ses yeux. Mais personne ne le connaît, affirme-t-il. Les octosílabos qu’il entend au théâtre lui martèlent désagréablement les oreilles et lui font l’effet des vers que les aveugles débitent dans les rues. Ces vers sautillants lui paraissent impuissants à exprimer la passion ou les sentiments élevés. Il reproche au théâtre des Espagnols, ainsi qu’à leur littérature, sa vétusté. Un vaudeville l’émeut plus que tout le répertoire espagnol. Comme il faut toujours qu’il décèle une relation de cause à effet, il attribue la mauvaise qualité du théâtre espagnol au caractère de la société rudimentaire qu’il reflète1518.
271Pour lui, le symbole de la « maladie » espagnole est l’Escurial, construit par Philippe II pour perpétuer « un chœur de deux cents moines qui chanteraient le miserere de la liberté de penser qu’il assassina »1519. La « pampa sauvage » qui s’étend entre Madrid et ce panthéon, la misère des bergers qui font paître leurs brebis dans ce désert pierreux, l’édifice glacial, austère, symbolisent à ses yeux la mort de l’Espagne.
272Cette mort lente l’obsède et le torture secrètement. Il ausculte l’Espagne, la palpe ; et, lorsqu’il découvre une plaie, y fourre la main « pour qu’elle ait mal », confie-t-il à son ami Lastarria. C’est sa vengeance d’Américain qui voit dans les tares de la mère-patrie tous les vices de son pays :
He venido a España con el santo propósito de levantarla el proceso verbal, para fundar una acusación, que, como fiscal reconocido ya tengo de hacerla ante el tribunal de la opinión en América1520.
273L’histoire de l’Espagne est celle d’une décadence, a dit Unamuno. Historien qui cherche continuellement à expliquer le présent par le passé, Sarmiento dresse un bilan sévère1521.
274Hier l’Espagne avait des peintres de valeur. Aujourd’hui, elle n’en a plus. Mais elle a encore ses bandits et les mêmes auberges nauséabondes qu’à l’époque de Cervantès1522. Cordoue, autrefois florissante, est couverte de haillons ; et le passé glorieux, la beauté du paysage protestent contre la « décadence actuelle »1523. L’Espagne est restée à l’état primitif, produisant, comme les peuples primitifs : laine, céréales, huile. Sous un autre aspect, elle est encore romaine : romaine la lampe à huile qui l’éclaire, romaine la charrue qui laboure son sol, romain le cirque où s’exhibent ses toreadors. Ses femmes portent un voile sur le visage et s’asseyent par terre dans les églises, comme les femmes arabes. Comme à l’époque de l’inquisition, on n’étudie pas les sciences naturelles. En revanche, on fabrique des cierges uniques au monde par les arabesques dont ils sont ornés. De nos jours, les villes anciennes sont en ruine ; aucune ville moderne n’a été construite. Il n’y a pas de marine nationale. On considère l’étranger avec la même haine qu’à l’époque de l’expulsion des Juifs et des Arabes.
275Sarmiento prétend que, s’il avait voyagé au xvie siècle, il aurait eu sous les yeux le spectacle qu’il a en 1846.
276Aussi, puisque les Espagnols émigrent vers l’Amérique et l’Afrique, il déclare qu’il conviendrait de « coloniser l’Espagne »1524.
277En Catalogne, tout change. A Barcelone, Sarmiento s’écrie avec soulagement : « Enfin, je suis hors d’Espagne »1525.
278C’est qu’il retrouve un « peuple européen », actif ; une ville comme Le Havre ou Bordeaux ; une industrie ; enfin, tout ce qui constitue la civilisation à ses yeux.
279Somme toute, Sarmiento a vu une Espagne en tout point conforme à celle qu’il avait imaginée de loin, à celle dont il a dénoncé l’influence néfaste ; dont il voulait en vain se défaire, tunique de Nessus qu’il n’aurait pu arracher sans se déchirer soi-même. Il a beau se dire Américain, il est en même temps Espagnol. Comment faire pour qu’il n’en soit pas ainsi ? Mais il sait bien qu’il y a deux Espagnes. Il a choisi celle que Larra aimait. Et, précédant d’un demi-siècle la génération de 98, il a, comme, celle-ci, dénoncé le mal.
280Unamuno n’a-t-il pas voulu voir dans Sarmiento un homme « radicalement espagnol », qui dit du mal de l’Espagne de la même façon que les Espagnols critiquent leur pays ? Dans les Voyages, précisément, Don Miguel voit un profond « espagnolisme » se dégager des jugements de Sarmiento sur les défauts des Espagnols1526. Certes, il y a dans la lettre à Lastarria à peu près tout ce que les Espagnols pensants ont reproché à leur patrie. Comme eux, Sarmiento est d’avis qu’il faut « européaniser » l’Espagne.
281Au moment où il écrit, Sarmiento voit une civilisation moderne vers laquelle tend l’humanité entière et dont le prototype est la civilisation européenne. Tout pays qui s’en écarte est donc en retard, en marge de la société telle qu’elle doit être.
282Mais, à ce stade, tout « espagnolisme » ne disparaît-il pas ? En imaginant qu’un jour « tous les peuples chrétiens ne seront qu’un même peuple1527 », Sarmiento ne pense pas comme un Espagnol, mais comme tous ceux qui aspirent à une civilisation universelle.
283 3. En Italie. — Sarmiento arrive à Rome le 8 février 1847, soit à peine huit mois après l’élection de Pie IX. Tout l’enchante dans la ville-musée, dont il entreprend de décrire les monuments, sans doute à l’aide du guide dont il s’est servi pour la visiter1528. C’est donc surtout de civilisation artistique qu’il entretient son oncle, l’évêque de Cuyo, à qui il fait part de ses découvertes. Ainsi, c’est à Rome qu’il apprend à comprendre l’importance civilisatrice du culte des statues1529. La vue des chefs-d’œuvre lui a permis de « familiariser sa rude nature américaine avec les conceptions sublimes de l’art »1530. Si bien qu’il est fermement convaincu que la beauté morale du christianisme ne peut être représentée que par la beauté des formes, telle que la concevaient les Anciens. A son avis, les statues imparfaites qui existent en Amérique constituent une sorte de profanation. Un jour, les Américains auront des sculpteurs à la hauteur de leur tâche. Pour le moment, il faut commander des statues aux sculpteurs européens1531. Les tableaux également doivent venir d’Europe. Il serait extrêmement utile, à défaut d’œuvres originales, dit Sarmiento, d’avoir en Amérique des copies. Ce serait encore un moyen d’y introduire la civilisation européenne.
284Ce n’est pas sans satisfaction que Sarmiento commente les mesures libérales prises par Pie IX, dont il pense que son voyage dans les Amériques a pu lui suggérer de donner à ses compatriotes cette liberté pour laquelle ils luttaient. Ainsi donc le Pape prend des mesures libérales ! Il décrète que l’éducation publique ne dépendra pas des évêques, que la censure préalable de la presse doit se borner à prévenir les injures contre Dieu, la Religion, le Souverain et la vie privée des citoyens, que le gouvernement doit entrer dans la voie des améliorations sociales. On racontait le cas d’un émigré italien qui s’était marié, en Angleterre, avec une protestante. La Curie s’acharnait contre les époux. Sur le point de reprendre le chemin de l’exil, l’ancien émigré était allé expliquer son cas à Pie IX, qui avait béni immédiatement son union, sans autre forme de procès. Pie IX s’était inscrit parmi les membres d’une société agricole. Il avait pris des mesures pour faciliter la construction des voies ferrées. Il développait l’éducation civique et religieuse dans le peuple.
285Quel exemple pour le clergé américain !
286Mais tout ce qui reluit n’est pas or. Sarmiento a admiré les monuments, les prodiges de l’art, la science, l’esprit, la culture, une certaine tolérance, l’activité qui constituent la civilisation européenne.
287Il a remarqué aussi l’ignorance, la misère, la mendicité. Il a vu, dit-il, « des millions de paysans, de prolétaires, d’artisans avilis, indignes d’être comptés parmi les hommes »1532.
288L’Italie est le pays des arts ; mais, à Naples, les Italiens ont descendu le dernier degré de l’indignité1533.
289La France est le pays que les Américains du Sud veulent imiter ; mais personne n’accepterait les mœurs , les vêtements, les idées d’un villageois français1534. Qu’importe l’art, si la majorité des hommes vit dans l’abjection.
290Voici une condamnation et une définition :
La civilización de un pueblo solo pueden caracterizarla la mas extensa apropiación de todos los productos de la tierra, el uso de todos los poderes intelijentes, i de todas las fuerzas materiales, a la comodidad, placer i elevación moral del mayor número de individuos1535.
291C’est grâce peut-être à son séjour en France que Sarmiento a pu aussi bien définir son socialisme.
292L’Argentin a flairé la révolution de 18481536.
293En 1849, voyant la France plongée dans le chaos et l’Europe en pleine réorganisation, il se tourne vers les Etats-Unis, qui « brillent comme un soleil de diamants, comme un Eden de bonheur, une oasis de paix dans la désolation universelle »1537.
294En 1847, il est déjà émerveillé par ce qu’il voit dans ce pays, où le progrès est plus avancé qu’en Europe.
295 4. Aux Etats-Unis. — Le voyageur débarque à New York le 14 septembre 18471538. Il est conquis par le pays, où il trouve enfin cette démocratie qu’il cherche vainement depuis des mois, et qui, jusqu’à un certain point, va lui permettre de compléter l’idée qu’il se fait de la civilisation moderne.
296Il voit d’abord aux Etats-Unis l’application de deux principes qui lui sont chers : l’égalité et la liberté.
297Alors qu’en Europe il existe encore des rois, des classes privilégiées, des machines humaines faites pour obéir, alors que dans son Amérique, il y a des despotes, des castes, dans le pays qu’il visite tous les hommes sont égaux1539. Aucun costume ne les distingue. Tous vêtus décemment, sauf de rares exceptions qui font songer aux mendiants espagnols ou sud-américains, les hommes portent le même uniforme. Quand ils voyagent, les habitants des Etats-Unis ne se répartissent pas dans différents wagons, suivant leur fortune ou leur vanité, comme en Angleterre ou en France : il y a une classe unique1540. Ainsi, même dans les plus petits détails de la vie, Sarmiento se plaît à découvrir ce sens de l’égalité qu’il admire. Il dira qu’aux Etats-Unis tous les hommes ne sont qu’un seul homme1541.
298Cet homme est libre et a conscience de la liberté des autres. Par conséquent, le fanatisme est inconnu aux Etats-Unis, où chacun peut avoir la croyance ou l’opinion politique qu’il veut. La loi de l’Orégon, qui fixe les droits et les devoirs de chaque individu pour le bien de la communauté, lui paraît un modèle et dictée par l’esprit civique le plus pur1542. Dans la multiplicité des sectes religieuses il voit un motif de discussions qui ont, selon lui, pour heureux effet d’entretenir la fermentation des esprits, de les maintenir éveillés1543. D’ailleurs, à son avis, cette variété aboutira un jour à l’unité1544. Cette idée est voisine de celle exprimée par Tocqueville, pour qui la religion, aux Etats-Unis, régnait « bien moins comme doctrine révélée que comme opinion commune »1545.
299Cette liberté s’étend à la femme, si libre aux Etats-Unis que Sarmiento l’appelle un « homme du sexe féminin »1546. Il aura toujours une admiration sans borne pour la femme des Etats-Unis, dont l’affranchissement a permis le développement intellectuel. Plus tard, il fera venir en Argentine un groupe d’institutrices de l’Union, qui éduqueront un grand nombre de jeunes filles de son pays1547.
300Les citoyens sont rendus aptes à l’usage de cette liberté et de cette égalité grâce à l’instruction publique et gratuite, établie par la loi de 1836, dont l’éducateur Horace Mann, que Sarmiento connut à Boston, fut l’auteur1548. Auparavant, l’enseignement public ne répondait guère aux besoins. Les enfants des familles riches étaient instruits dans des établissements privés. Sarmiento a donc la chance de voir fonctionner cette instruction publique, qu’il a tant fait pour généraliser au Chili et en Argentine.
301Ainsi, l’habitant des Etats-Unis acquiert le sens de la politique et devient un vrai républicain1549.
302Sarmiento se trouve aux Etats-Unis en un moment où le pays est en plein essor, où la démocratie, fondée par le président Jackson, est en pleine maturité.
303Il lui suffit de regarder autour de lui pour observer les nombreuses manifestations de ce progrès matériel pour lequel il a tant lutté au Chili.
304En mettant sur le compte de la liberté l’aptitude à trouver l’application industrielle des découvertes scientifiques1550, Sarmiento est de l’avis de Tocqueville qui a dit que « plus une nation est démocratique, éclairée et libre, plus le nombre de ses appréciateurs intéressés du génie scientifique ira s’accroissant »1551.
305Lui qui a préconisé la navigation fluviale, commente, avec un plaisir manifeste, l’œuvre que les Etats-Unis ont accomplie dans ce domaine, en ajoutant aux voies d’eau naturelles des canaux qui sillonnent le pays1552. Avec quelle admiration il écrit que les navires des Etats-Unis sont les meilleurs du monde, les plus grands, ceux qui permettent de voyager à meilleur prix1553.
306Que dire des routes ou des voies ferrées qui, d’après Tocqueville, cité par Sarmiento, ont réduit d’un quart le coût du transport1554 ?
307Sarmiento, qui a dit le plus grand mal du village français, voit dans le village des Etats-Unis le modèle du genre, avec ses écoles, sa mairie, son journal, ses banques, ses maisons coquettes ; les habitants y jouissent d’un confort inconnu dans la plupart des demeures de l’Amérique du Sud1555.
308Ce goût du confort, il le rencontre partout. Particulièrement dans ces hôtels luxueux, monumentaux, palais que ce peuple qu’il dit « roi » se construit pour passer une seule nuit1556. Voilà une manifestation de la vie moderne. « Les hôtels jouent aujourd’hui un rôle primordial dans la vie domestique des nations », dit-il à juste titre1557.
309A l’occasion, il montre que la prospérité du pays est due en partie à la façon intelligente dont il a été colonisé. Ainsi, grâce à une judicieuse distribution des terres, le problème agraire n’existe pas comme dans les pays où elles ont été réparties capricieusement entre des conquérants peu intéressés à la culture du sol1558.
310Sarmiento voit dans les Etats-Unis la République par excellence, la démocratie qui progresse. Il y voit aussi un pays grandissant dont les Etats se compteront par centaines et les habitants par centaines de millions ; qui, un jour, imposera sa volonté au monde1559.
311Grisé par le spectacle de ce monde en marche et apparemment engagé dans la voie qui semble à Sarmiento le plus sûr chemin pour arriver au bonheur de l’humanité, l’écrivain proclame que le peuple des Etats-Unis « est le seul peuple civilisé qui existe sur la terre, le dernier résultat de la civilisation moderne »1560.
312Ce pays, où l’armée existe à peine, où le bien-être n’est pas l’apanage d’une minorité, où le peuple lit en masse, où chaque citoyen prend une part active aux affaires publiques, devient à ses yeux le modèle qu’il faut imiter. On y voit régner la justice et l’égalité que le monde chrétien n’a connues jusqu’alors que théoriquement1561.
313Bunkley reproche à Sarmiento cette vision optimiste des Etats-Unis1562. A son avis, Sarmiento n’a vu que la surface des choses, tandis que Tocqueville en a vu le fond. L’écrivain argentin n’aurait perçu que les avantages de cette civilisation, tandis que le sociologue français en a deviné les dangers. En somme, Sarmiento n’aurait pris des Etats-Unis que ce qui lui convenait pour se créer une sorte de pays idéal plus conforme à ses rêves qu’à la réalité1563
314Sans contredire tout à fait ces affirmations, nous n’y souscrivons que jusqu’à un certain point. Tout en admettant que Tocqueville a analysé les Etats-Unis plus froidement, plus sérieusement aussi que l’écrivain argentin, nous pensons que Bunkley a été un peu injuste envers celui-ci. Il n’est pas équitable de dire que Sarmiento a peint avec vérité des portraits vivants d’hommes et de femmes des Etats-Unis, décrit justement leurs mœurs, et de lui refuser tout sens critique pour le reste.
315Certes, à l’aide d’une certaine image de la démocratie aux Etats-Unis, il a façonné une république idéale qu’il a voulu donner pour modèle aux autres pays, particulièrement au sien. Il est donc tout à fait normal qu’il ait insisté de préférence sur les qualités de cette civilisation. On le voit comparer presque continuellement la vie aux Etats-Unis à l’existence misérable des masses en Europe et au Chili. Son but est pédagogique. Il semble dire, il dit même : voyez ce que vous pourriez être si vous aviez l’esprit démocratique.
316Mais Sarmiento n’a pas seulement rêvé en se promenant au Etats-Unis. Il n’a pas vu seulement dans ce pays « une idole », comme le prétend Bunkley. Comment se fait-il que cet écrivain des Etats-Unis n’ait pas retenu les griefs assez sérieux que Sarmiento formule à l’égard de cette jeune démocratie ? A l’en croire, Sarmiento aurait admiré la façade sans voir l’envers du décor.
317Il est vrai que les critiques sont un peu noyées dans les éloges. Mais si Sarmiento ne s’attarde pas beaucoup sur les défauts, ce n’est pas seulement parce que, dans l’ensemble, les Etats-Unis correspondent à sa république idéale. C’est aussi parce que certains de ces défauts ne sont pas inhérents à la démocratie, mais seulement au pays qu’il visite.
318Voyons le revers de cette médaille, tel que Sarmiento l’a présenté.
319Le début de sa lettre à Valentín Alsina, du 12 novembre 1847, donc écrite une fois sa visite aux Etats-Unis terminée, n’a rien d’un panégyrique. Emerveillé, le voyageur n’est pas ébloui. Il avoue même qu’il a perdu la moitié de ses illusions. Cette grande république ne répond pas « sous beaucoup d’aspects » à l’« idée abstraite » que son correspondant et lui-même en avaient. Voici qui est clair :
Al mismo tiempo que en Norte-América han desaparecido las más feas úlceras de la especie humana, se presentan algunas cicatrizadas ya aun entre los pueblos europeos, i que aquí se convierten en cáncer, al paso que se orijinan dolencias nuevas para las que aun no se busca ni conoce remedio1564.
320Voilà l’idole au nez cassé.
321Sarmiento insiste sur sa déconvenue. Cette république de ses rêves, « force et liberté, intelligence et beauté », est encore à chercher. Le paragraphe de son désenchantement se termine sur ce vers significatif de Voltaire, cité dans le texte :
322« Et je cherche ici Rome, et ne la trouve pas ».
323Le rêveur semble bien éveillé. Au fil de son improvisation, il s’échauffe, se passionne, évoque les conquêtes sociales, le progrès. Mais il y a quelques ombres au tableau.
324Passons sur le mauvais goût culinaire, l’existence agitée des habitants des Etats-Unis, dont Sarmiento se moque en quelques alinéas divertissants.
325La civilisation qui s’exerce sur la masse a pour résultat une sorte de nivellement par la base. Sarmiento pense que la masse s’éduquera. En attendant qu’elle s’élève, sa grossièreté influence l’individu et force celui-ci, dit-il, à adopter les habitudes de la majorité. Pis encore : cette rusticité généralisée devient une attitude nationale, une sorte de parti pris, dont les yankees sont fiers, car il représente à leurs yeux une manière d’être bien américaine1565.
326Sarmiento admire la liberté et l’égalité dont jouissent les habitants des Etats-Unis, avons-nous dit. Il s’aperçoit bientôt qu’elles ont pour corollaire la loi du plus fort1566.
327Le gouvernement des Etats-Unis, dit-il, est irréprochable. Mais les individus ont des « vices répugnants », dont il se demande s’ils proviennent d’une particularité de la race anglo-saxonne, de l’amalgame de peuples divers, ou s’ils sont le produit de la liberté et de la démocratie1567. Le plus affreux de ces vices — l’homme hispano-américain est généreux par nature — est l’avarice. Celle-ci est « fille légitime de l’égalité ». En effet : puisque tout homme qui travaille, aux Etats-Unis, acquiert infailliblement, chacun entrevoit la possibilité de posséder, ce qui développe à coup sûr l’âpreté au gain. L’homme des Etats-Unis déploie toute son énergie pour « accumuler du capital, s’approprier le plus grand nombre de biens, afin de s’établir dans la vie »1568. Dans cette lutte pour la vie, il s’endurcit, ne voit que le profit ; et si la morale se met en travers de son chemin, il l’écarte. D’ailleurs, pense Sarmiento, si en France, en Angleterre, au Chili ou autre part, on donnait aux masses la possibilité de capitaliser, on verrait se développer dans ces pays la même passion pour l’argent qu’aux Etats-Unis.
328Le système conduit au règne de l’argent, que Sarmiento condamne. Tout se paye, tout s’achète. Et Sarmiento imagine un livre de comptes dans lequel l’homme des Etats-Unis inscrirait : tant pour la nourriture et la maison, tant pour la propagation des bonnes idées religieuses, la philanthropie, la politique, la civilisation des barbares1569. En dehors de ces dépenses méthodiques, dit notre psychologue, l’homme des Etats-Unis prend la liberté de se montrer égoïste, dur et intéressé.
329Comme Tocqueville1570, le voyageur constate qu’un des traits caractéristiques du yankee est sa passion du confort. Et, du moment qu’aux Etats-Unis le confort est plus généralisé que dans d’autres pays, le yankee s’estime supérieur aux autres hommes. Son sens de la grandeur tient dans la dimension de ses monuments1571.
330Sarmiento admire les jurys. Leur existence oblige continuellement les citoyens à compulser les lois, donc à s’habituer à leur mécanisme. En revanche, il condamne la Loi de Lynch, qu’il nomme « crime civil ». On voit, par son application, dit-il, dans quel abîme peut tomber la démocratie, quand on exagère ses principes1572.
331Il a vu également le problème posé par la présence des nègres. Leur émancipation amènera un bouleversement, pense-t-il. Les hommes de race noire seront civilisés un jour. Mais il ne prévoit, dans le siècle à venir, qu’une guerre de races qui provoquera l’extermination des Blancs ou des Noirs, ou bien l’existence d’une nation noire vile et en retard et d’une nation blanche « la plus puissante et la plus cultivée de la terre »1573.
332Il a reproché aux Etats-Unis l’exploitation des hommes de couleur. Mais il leur a rendu cette justice qu’ils ont hérité cette tare avec leur indépendance.
333Ainsi les griefs que l’Argentin formule à l’égard de la civilisation des Etats-Unis sont de taille.
334Néanmoins Sarmiento n’a pas suivi le conseil d’un ami yankee qui, dans un moment de mauvaise humeur, l’a supplié de ne pas proposer pour modèle à l’Amérique du Sud le gouvernement de l’Amérique du Nord1574. Il est persuadé, en effet, que ce pays a réalisé dans la mesure du possible l’idéal démocratique, et qu’il représente la civilisation moderne européenne au meilleur moment de son évolution.
335Il a dénoncé certains défauts de la cuirasse, qui lui ont fait comprendre qu’il n’avait pas découvert la république de ses rêves. Il ne s’est pas trop récrié toutefois en observant ces défauts, car, pendant son voyage, il n’a pas cessé de songer à l’Amérique du Sud. Et il lui a paru plus urgent de montrer comment les Etats-Unis avaient résolu un problème social et national, et de proposer les mêmes solutions aux pays que l’on dirait aujourd’hui sous-développés, que de mettre en évidence les inconvénients du système. Sarmiento n’a dévoilé que timidement les dangers du matérialisme de la civilisation yankee, car, ni au Chili ni en Argentine, ces dangers ne risquaient encore de prendre des proportions inquiétantes.
***
336Alberdi affirme que Sarmiento voit seulement la civilisation dans les villes, car, pour l’auteur de Facundo, « elle consiste dans le costume, les manières, le ton, les mœurs, les livres, les écoles, les jurys »1575. Cette définition est exacte, mais incomplète.
337Sarmiento a de la civilisation une idée beaucoup plus riche qu’Alberdi ne veut le dire.
338Que, pour Sarmiento, la civilisation ait un but pratique, utilitaire, on n’en doutera pas après lecture de ses réflexions sur les Etats-Unis. Mais ces réflexions contiennent aussi un élément éthico-esthétique, où se révèle un homme formé par la culture européenne.
339Sarmiento a cherché la définition de la civilisation. Dans le dictionnaire Salvá il a lu :
Aquel grado de cultura que adquieren los pueblos i personas, cuando de la rudeza natural pasan al primor, elegancia i dulzura de voces i costumbres propio de gente culta1576.
340Telle est la définition de la civilité, proteste-t-il, non sans raison. Ces caractères ne sauraient représenter « la perfection morale et physique, ni les forces que l’homme développe pour soumettre la nature à son usage ».
341Ailleurs, il définit sa république idéale : « force et liberté, intelligence et beauté ». Sa conception de la civilisation tient dans ces mots.
342Il envisage si peu la civilisation sans la beauté que, ne voyant pas aux Etats-Unis de vocation artistique, il s’efforce de prouver que le sentiment de la beauté morale y supplée. Pour lui, le fait que les Américains du Nord détestent le spectacle du laid, de la pauvreté, de l’ignorance, de l’ivrognerie, de la dégradation physique et morale montre assez que leur civilisation ne méconnaît pas le sentiment du beau1577.
343Au fond, son idée de la civilisation n’a pas été modifiée par son voyage aux Etats-Unis.
344Après avoir connu ce pays, il se tourne vers lui, car les Etats-Unis, à son sens, ont tenu les promesses que l’Europe avait faites.
Notes de bas de page
1273 Mercurio,7 y juin 1841.
1274 Mercurio, 10 août 1841.
1275 I, 9.
1276 National, 14 avr. 1841.
1277 Mercurio, 10 août 1841.
1278 Mercurio, VI, 62.
1279 Progreso, 11 janv. 1843.
1280 Progreso, 6 juin 1844.
1281 Progreso, 5 oct. 1844.
1282 Sociología argentina, op. cit., 299.
1283 Arsène Isabelle, Voyage à Buenos Aires et à Porto-Alegre, op. cit., Sarmiento ne semble pas connaître ce voyageur.
1284 F. B. Head, Las Pampas y los Andes, op. cit., Sarmiento donne ce voyageur pour l’auteur d'un paragraphe qu’il met en tête du premier chapitre de Facundo. Il se trompe : ce passage est emprunté à Humboldt (Tableaux de la nature, op. cit., 21).
1285 Th. Lacordaire, La bataille de la Tablada, op. cit., Sarmiento mentionne cet article dans le chapitre de Facundo intitulé « Guerra social, La Tablada » (VII, 133).
1286 Th. Page, Affaires de Buenos Aires, op. cit. Sarmiento ne le cite qu’après 1850 (XIII, 129).
1287 Cf. note 1460.
1288 VII, 9.
1289 Ibid.
1290 VII, 10.
1291 VII, II.
1292 VII, 14.
1293 VII, 55.
1294 Raúl A. Orgaz, op. cit., 428.
1295 Cf. note 1284.
1296 VII, 34.
1297 VII, 31.
1298 San Martín y Bolivar, XXI, 28.
1299 VII, 53.
1300 VII, 49.
1301 VII, 26.
1302 VII, 26.
1303 Progreso, 20 août 1844.
1304 San Martín y Bolivar, XXI, 12.
1305 VII, 26.
1306 Viajes, V, 70.
1307 Progreso, 28 sept. 1844.
1308 Ibid.
1309 VII, 55.
1310 VII, 57.
1311 VII, 103.
1312 VII, 47.
1313 Op. cit., 307.
1314 Cité par M. Gálvez, Vida de Sarmiento, op. cit., iii.
1315 Op. cit., cf. note 1285.
1316 Op. cit., 355.
1317 VII, 102.
1318 VII, 97.
1319 VII, 224.
1320 Facundo y su biógrafo, op. cit., 299.
1321 VII, 116.
1322 VII, 28.
1323 Cette affirmation a été démentie par Valentin Alsina qui, sur la demande de Sarmiento, adressa 50 notes à celui-ci pour corriger des erreurs ou donner son avis sur des points discutables. Ces notes, d’abord publiées dans la Revista de derecho, historia y letras, dirigée par Estanislao S. Zeballos (1901, t. X et XI), ont été reproduites dans l’édition de l’Université de la Plata, avec prologue d’Alberto Palcos (op. cit.). Sarmiento, dans la lettre-dédicace à son critique et ami, qu’il publie en tête de l’édition de 1851, écrit : « He usado con parsimonia de sus preciosas notas, guardando las mas sustanciales para tiempos mejores y más meditados trabajos, temeroso de que por retocar obra tan informe, desapareciese su fisonomía primitiva y la lozana y voluntariosa audacia de la mal disciplinada concepción » (VII, 16). En ce qui concerne Córdoba, Alsina reproche à Sarmiento d’avoir faussé la réalité pour illustrer son système : « Era necesario en su plan deprimir a la doctoral y clerical Córdoba. » Alsina voit donc bien dans Córdoba une ville cléricale. C’est précisément un des défauts majeurs que lui trouve Sarmiento. Mais Sarmiento est en contradiction avec l'historien Vicente Fidel López, qui souligne le patriotisme de la ville. Dernièrement, Julio Carri Pérez a montré, qu’en dépit d’éléments royalistes, comme il y en eut d’ailleurs dans plusieurs villes argentines, même à Buenos Aires, la ville de Córdoba, dans l’ensemble, accueillit la révolution avec enthousiasme (op. cit.). Toutefois le mot « barbarie » avait un sens particulier pour Sarmiento. Bien qu’il ait rendu justice à l’attitude de certains habitants de Córdoba, qui se sont opposés à Rosas, dans sa vieillesse il a nommé encore Córdoba « Athènes de la barbarie docte » (El National, 28 févr. 1883, XLVIII, 213). Il est dommage que Sarmiento n’ait pas commenté la formule « barbarie docte ». Vivant de nos jours, il n’aurait que trop souvent l’occasion de l’appliquer.
1324 VII, 108.
1325 VII, 101, 150.
1326 VII, 108.
1327 Ibid.
1328 VII, 64.
1329 VII, 62.
1330 Historia de las provincias, in Historia de la Nación Argentina, vol. X.
1331 VII, 155.
1332 VII, 68.
1333 Ibid.
1334 Ibid.
1335 Bases, op. cit., chap. XIV, 68.
1336 Indice critico de la literatura hispanoamericana, op. cit., 103.
1337 Cartas quillotanas, op. cit., 130.
1338 Facundo y su biógrafo, op. cit., 299.
1339 Sociología argentina, op. cit., 308.
1340 VII, 50.
1341 Bases, chap. XXXI, op. cit., 240.
1342 « La civilización nació en las ciudades y es ciudadana... Sarmiento tuvo en esto, como en otras tantas cosas, vision penetrante y larga » (Mi religion y otros ensayos, cité par Dardo Cuneo, op. cit., 132).
1343 El general Fray Félix Aldao, VII, 269.
1344 Progreso, 9 août 1844.
1345 El general Fray Félix Aldao, VII, 289.
1346 VII, 60.
1347 VII, 117.
1348 VII, 61.
1349 Progreso, 9 août 1844.
1350 Mercurio, 29 juill. 1842.
1351 Fragment cité par Ana Maria Madrazo de Rebollo Paz, op. cit., 66.
1352 Cf. note 1273.
1353 Mercurio, 20 mars 1842.
1354 R. A. Orgaz, Sociología argentina, op. cit., 289.
Carlyle a publié les Héros et le culte des héros en 1841 ; mais Sarmiento ne le cite pas avant 1883, au début de Conflictos y armonías de las razas de América. Emerson n’a fait qu’en 1847 ses conférences sur les Hommes représentatifs, publiées en 1850, donc après Facundo. Sarmiento consacrera un article nécrologique à cet écrivain en 1882 et fera alors allusion à son œuvre (XLV, 374). Cf. plus loin notre chapitre « De la biographie ».
1355 R. A. Orgaz, op. cit., 293.
1356 Id., 291.
1357 El Siglo, no 337, 12 mai 1845.
1358 VII, 14.
1359 Ibid.
1360 VII, 78.
1361 VII, 134.
1362 Las Ciento y una, XV, 225.
1363 VII, 75.
1364 VII, 77.
1365 VII, 95.
1366 VII, 171.
1367 VII, 89.
1368 VII, 81.
1369 VII, 175.
1370 VII, 81.
1371 XLIX, 30.
1372 Recuerdos de provincia, III, 39. Dans Mi Defensa, Sarmiento écrit : « He tenido la satisfacción de que Facundo Quiroga jurase a mi madre matarme dondequiera que me encontrase » (III, 17).
1373 Op. cit., t. I, 268-292. Voir également l’ouvrage d’Olga Fernandez Latour (op. cit.) qui publie une série de poèmes traditionnels ayant Facundo pour sujet.
1374 Ibid., 270.
1375 VII, 110.
1376 VII, 186.
1377 VII, 111.
1378 VII, 185.
1379 VII, 187.
1380 VII, 188.
1381 VII, 8.
1382 VII, 11.
1383 VII, 200.
1384 VII, 12.
1385 Progreso, 11 janv. 1843.
1386 VII, 226.
1387 VII, 238.
1388 VII, 251.
1389 Progreso, 1er mai 1845.
1390 « ... Pienso recolectar datos para la biografía de Quiroga ; éste será un cuadro brillante, y ésta y la de Aldao mandarlas a la Revista de Ambos Mundos para que se publiquen. » (Lettre publiée par Mariano de Vedia y Mitre, op. cit.).
1391 IX, 261.
1392 VII, 6.
1393 Lettre publiée par M. de Vedia y Mitre, op. cit.
1394 Lettre publiée dans l’édition de Facundo de l’Université de la Plata, op. cit., 444.
1395 VII, 16.
1396 III, 225.
1397 LI, 383.
1398 XXII, 25.
1399 XLVI, 322-323.
1400 Lettre au M. H. S. Archives, dossier no 2, document no 233. La lettre est du 26 juillet 1865.
1401 Dans le paragraphe « Hommes et archétypes ».
1402 Cf. Raúl Moglia (op. cit., 283, note pour la p. 130).
1403 Cf. M. de Vedia y Mitre, op. cit.
1404 XLV, 95. Lettre reproduite par A. Palcos dans Facundo. L’original, dont l’orthographe est conforme à celle qui a été adoptée par l’Université, se trouve au M. H. S. Archives, dossier no 8, document no 1168.
1405 Original au M. H. S. Archives, dossier no 8, document no 1169.
1406 VII, 76, 78, 95, 120.
1407 Cf. VII, 78, 79, le passage où Sarm ento recopie un fragment du manuscrit qu’il consulte.
1408 Memorias, t. 11, 54, cité par Raúl Moglia, op. cit., 287.
1409 VII, 119.
1410 XXVII, 305.
1411 Facundo y su biógrafo, op. cit., 274.
1412 Ibid.
1413 Sarmiento cite cet ouvrage dans ses Memorias (XLIX, 53). Il ne le mentionne pas dans sa biographie d’Aldao ; mais, comme cet essai fut publié en 1830, on peut supposer que Sarmiento l’a connu. Il a été publié dans la Revista de la Junta de Estudios históricos de Mendoza, Buenos Aires, 1936, t. III, 73-209.
1414 Parte oficial del combate de la Guardia Vieja por el coronel Juan Gregorio de las Heras. Exmo señor.
La vrillante comportacion del Pe Dominico Fray Félix Aldao, que antes de marchar la guerrilla, me pidió hir a ella y que lo armase con una tercerola y sable como lo verifiqué, hace honor justamente a su clase, no sólo por este hecho sino aun porque después de haberse vatido a fusil, cargo a sable sobre la fuga de los enemigos y logró hacer prisionero a un oficial de ellos.
Recomiendo a V. E. una accion tan vizarra senalada por la ordenanza y maxime cuando recae en un sujeto de su clase
Dios guarde a V. E. muchos años
Juncalillo Febrero 5 de 1817.
Publié par Simon J. Semorille (op. cit., 22).
1415 El general Fray Félix Aldao, VII, 257.
1416 Simon Semorille, op. cit., 23.
1417 VII, 258.
1418 Cité par Pedro de Paoli, op. cit., note 2, 165.
1419 Ibid.
1420 Op. cit., 58.
1421 Op. cit., 35.
1422 Op. cit., 65.
1423 Op. cit., 61.
1424 Mendoza, in Historia de la Nation Argentina, vol. X, 130. Consulter également l’ouvrage de Jorge A. Calle (op. cit.).
1425 Ces leçons ont été réunies en volume (op. cit.).
1426 Op. cit.
1427 Eduardo Gaffarot, op. cit. Cf. Bibliographie. La couverture porte l’indication 1906 ; mais, sur la première page intérieure, on lit 1905. On pourra lire en outre les ouvrages de Carlos M. Urien (op. cit., l’auteur pense que Facundo ne saurait être réhabilité), Ramón Cárcano (op. cit., détails sur la campagne du désert et sur l’assassinat de Facundo).
Tous les ouvrages mentionnés contiennent des documents. A consulter également : Archivo del Brigadier General Juan Facundo Quiroga. Advertencia e introducción por Ricardo Caillet-Bois (Publication de l’Université de Bs. As. ; deux volumes parus : 1957, 1960. Les autres documents de ces archives, qui font partie de la succession d’Alfredo Demarchi, ont été consultés à l’Institut d’Histoire de la Faculté des Lettres de l’Université de Bs. As., où ils ont été mis aimablement à notre disposition par le Directeur de cet Institut, le Professeur Ricardo Caillet-Bois). Voir également Correspondencia entre Rosas, Quiroga y López... par E. M. Barba, op. cit.
1428 Op. cit.
1429 Article publié également en 1831, par Facundo et reproduit par E. Gaffarot, op. cit., 119-129 (Cf. Bibliographie).
1430 VII, 76. Afin de prouver que Facundo a été bon fils, Pedro de Paoli publie une lettre de José Prudencio Quiroga, dans laquelle apparaît indubitablement l’affection que son père porte à Facundo. Mais la lettre est de 1821. Facundo avait alors 32 ans. Sarmiento rapporte des faits (peut-être inventés, mais c’est ce qu’il reste à prouver) de la jeunesse de Quiroga. Sarmiento ajoute d’ailleurs qu’un an après avoir giflé son père, Facundo est allé se jeter à ses pieds pour implorer son pardon. La lettre de 1821 prouve tout au plus que le père avait oublié l’incident.
1431 VII, go.
1432 Op. cit., t. XV, 291.
1433 Pedro de Paoli, op. cit., 279. Dans le fragment de lettre cité, Heredia dit qu’il désire envoyer Alberdi à Paris. Mais Alberdi parle des Etats-Unis.
1434 Archivo, document inédit sans numéro.
1435 D. Hudson, op. cit., 233.
1436 Dans une lettre du 25 octobre à Quiroga, Del Carril accuse réception de la lettre dans laquelle Facundo le félicite (Archivo, document inédit sans numéro).
1437 Archivo, document inédit sans numéro.
1438 Dialogue cité et traduit par Manuel Mujica Lainez (op. cit., 58-54). Bénédict Gallet de Kulture (op. cit.).
1439 Pedro de Paoli, op. cit., note 2, 33.
1440 Archivo, op. cit., no 163.
1441 Archivo, lettre de Facundo à sa femme Dolores Fernández, du 10 novembre 1828 ; document inédit sans numéro.
1442 VII, 188.
1443 Op. cit., 55-64.
1444 Historia de la República Argentina, t. X, 152. Cité par D. Peña, op. cit., 41.
1445 VII, 142.
1446 Lettre du 10 juill. 1828, publiée par Pedro de Paoli, op. cit., 346.
1447 Op. cit., t. X, 152. Les lettres de Facundo à sa femme publiées par D. Peña (op. cit., 195) pour prouver l’affection qui les unissait, et celles qui se trouvent dans les archives de la famille sont très brèves. Elles ne contiennent guère que des formules banales de politesse ; au début : Mi apreciada Esposa ou Mi estimada Dolores ; à la fin : B. T. M. (Une seule fois il change la formule finale : A mis hijos mi bendición y vos recibe el corazón de tu esposo que B. T. M.) ; et deux ou trois phrases par lesquelles Facundo demande de l’or ou de l’argent (Archivo, op. cit., no 82), ou exige que les enfants aillent à l’école (10 nov. 1828 ; Archivo, sans numéro), ou annonce l’envoi de tissu (D. Peña, op. cit., 195), ou de ficelle, de maté et d’oranges (1829 ; D. Peña, op. cit., 95).
1448 Lettre publiée par D. Peña, op. cit., 226. Il en existe une autre version, du 21 novembre, dans les Archives (no 3358), qui a été publiée par E. Gaffarot, op. cit., 224.
1449 Lettres inédites des 26 et 27 juin 1831, Archivo, nos 2889 et 2892.
1450 San Juan, 20 juill. 1831 ; lettre inédite, Archivo, no 2945.
1451 VII, 270.
1452 VII, 112.
1453 Julio B. Lafont, op. cit., t. II, 54-55.
1454 Raúl Moglia (op. cit., 290) fait remarquer une autre erreur de D. Peña. Celui-ci prétend, en effet, que Sarmiento s’est trompé quand il a dit que Facundo avait passé à Ojo de Agua la nuit précédant son assassinat (op. cit., no 1, 311), Mais le texte de Sarmiento dit clairement : « La noche que pasan los viajeros de (c’est R. Moglia qui souligne) la posta de Ojo de Agua.. », et non pas en.
1455 Les notes composées par Delia Etcheverry et Raúl Moglia, respectivement dans les éditions Estrada et Peuser, pour intéressantes qu’elles soient, demeurent insuffisantes. Il est bien dommage que l’effort qui a été fourni pour donner plusieurs éditions annotées de Martín Fierro n’ait pas été fait pour Facundo.
1456 Voici quelques-uns de ces détails. D. Peña constate que Sarmiento confirme le fait que Facundo a versé peu de sang dans ses premières expéditions (op. cit., 129). C. Ibarguren (Rosas, 311) raconte la mort de Facundo, exactement comme l’a rapportée Sarmiento (cité par R. Moglia, op. cit.. 290). Sarmiento fait allusion à un registre de police où Rosas fit inscrire les noms des habitants des villes et des campagnes avec la mention : unitaire ou fédéral (VII, 207). Une partie de ce registre a été publiée par R. Moglia, op. cit., 290.
1457 Cité par D. Peña, op. cit., 41.
1458 Archivo, t. II, no 603.
1459 Op. cit.
1460 « Son aspect ne démentait pas la terreur qu’inspirait son nom. Sa taille moyenne, mais bien proportionnée, ses membres musculeux annonçaient la force et l’audace. Ses traits, d’une régularité antique, eussent excité l’admiration, si ses yeux, pleins d’un feu sombre, et qu’il tenait constamment baissés en parlant, n’eussent inspiré un secret effroi. Une barbe épaisse, qui dérobait aux regards la moitié de son visage, ajoutait encore à son expression. » Les ressemblances entre ce portrait et celui que Sarmiento fait du caudillo sont frappantes (VII, 71). On y retrouve les mêmes détails caractéristiques.
1461 Archivo, lettre du 26 mars 1823, document inédit no 662.
1462 Archivo, note du 3 avr. 1823, document inédit no 665.
1463 Archivo, lettre du 14 avr. 1823, document inédit no 672.
1464 Sor Facundo Quiroga.
Mendoza y Mayo 3 de 1823.
Muy Sor mio y apreciable Paysano : se q. es Us. un buen Patriota y un hombre de coraje estas dos circunstancias me han desidido a escribirle lleno de toda confianza sin mas objeto q. el del bien general.
Sé esta Us. proximo a batirse con el Governador de la Rioja, yo ignoro los motibos qe han dado causa a este proximo ronpimiento lo mismo me sucede qual de los dos partidos es el qe tiene la Justicia, pero sean quales fueren las causas yo solo me ciño a lo principal esto es a la sangre presiosa de nuestros Paysanos qe se ba a vertir, al credito de nuestra rebolucion santa, y a las consequencias fatales qe la libertad de nuestro Pais ba a experimentar tanto mas en las circunstancias criticas en qe nos hallamos pr los contrastes de nuestros Exercitos, los qe exijen inperiosamente haora mas qe nunca una gran concentracion de union intima, si es qe queremos ser berdaderamente libres.
Esta beridica exposicion hara en vs. la inpresion mas justa, ella lo moberá a una transasion con el Govr de la Rioja cuyas bases serán el Honor y la amistad : sí mi Paysano, yo lo exijo de Vs, y no me negara una gracia qe el reconocimiento me acompanara hasta el sepulcro a este su afmo Paysano y sego servidor.
Q. B. S. M.
Archivo, document inédit, no 684. José de San Martin.
1465 Archivo, imprimé qui reproduit une lettre de Facundo du 28 janv. 1827, document sans numéro.
1466 Archivo, lettre du 4 juill. 1827 à José Ramón Alvarez, document inédit sans numéro.
1467 VII, 110.
1468 D’après C. Urien (Quiroga), cité par R. Moglia (op. cit., 280), Facundo était un des hommes les plus riches de l’Argentine.
1469 Cf. note 1429.
1470 Archivo, lettre du 12 janv. 1832 ; document no 3576.
1471 Archivo, lettre du 21 sept. 1832 ; document inédit no 4040.
1472 Archivo, lettre du 27 sept. 1832 ; documents inédits no 4046, 4048.
1473 Archivo, lettre du 17 mars 1834 ; document inédit no 5268.
1474 D. Peña, op. cit., 255.
1475 Lettre du 24 juin 1834, publiée par D. Peña, op. cit., 263.
1476 Note 49 d’Alsina (Ed. de Facundo de l’Université de la Plata, 424). Sur la culpabilité de Rosas les avis diffèrent. Chaque historien aventure une hypothèse ; mais le mystère demeure.
1477 VII, 187.
1478 VII, 145.
1479 VII, 187-188.
1480 Cf. note 1470.
1481 E. Barba, Correspondencia entre Rosas, Quiroga y López, op. cit., 21.
1482 Conflicto y armonias de las razas América, XXXVIII, 412.
1483 El Debate, 4 nov. 1885, XLVI, 88.
1484 El Siglo, 12 mai 1845 ; Cf. note 1357.
1485 Article reproduit dans l’édition de Facundo de l’Université de La Plata (p. 320). A. Palcos, dans une note de cette édition, dit qu’à son avis l’article a été écrit par Demetrio Rodriguez Peña, alors rédacteur du journal. Mais, dans une lettre à J. M. Gutiérrez, du 8 août 1845 (A. Palcos, Paginas confidenciales, op. cit., 30), Sarmiento remercie le poète d’avoir salué son Facundo dans El Mercurio. S’agit-il de deux articles différents ?
1486 Ed. de Facundo de La Plata, 325.
1487 El Siglo, 20 mai 1845.
1488 Le même fragment de cet article est reproduit par R. Rojas (El profeta de la pampa, op. cit., 213) et A. Palcos (El Facundo, op. cit., 24-25).
1489 Cf. p. 327. de notre étude.
1490 R. Rojas, El projeta de la pampa, op. cit., 214.
1491 15 nov. 1846.
1492 « Cuando publiqué el Facundo en Chile, casi nadie se apercibió de la aparición de un libro americano por el autor, el asunto y el estilo ; y solo después que la Revista de Ambos-Mundos lo anunció en Europa como novedad, y fué después traducido, se mostraron maravillados de que fuese libro en efecto eso mismo que por distracción habían leído » (Lettre à Mary Mann du 24 oct. 1865, in A. Palcos, Paginas confidenciales, op. cit. 103). Sarmiento tient à cette idée. Il y revient dans une autre lettre, également à Mary Mann, du 8 juin 1866 :.. « En América no estimaron el libro sino cuando la Revue des Deux-Mondes lo encomió, como el único que había producido la América. » (Ibid, 107).
1493 El Progreso, 19 sept. 1847.
1494 Passage cité par A. Giraud, en tête de sa traduction, op. cit., VIII-IX.
1495 Article publié au début de sa traduction de Fray Félix Aldao.
1496 Cf. notre bibliographie.
1497 Op. cit., t. I, 282.
1498 Dardo Cuneo, Sarmiento y Unamuno, op. cit., 54.
1499 Sarmiento, cf. Bibliographie.
1500 R. Levene le nomme « livre original de la sociologie argentine », « essai philosophique sur les causes et le caractère de notre évolution sociale et de nos révolutions. » (Historia de las ideas sociales argentinas, op. cit. 115.
1501 Voir notre conclusion générale.
1502 T. V.
1503 Cf. Deuxième partie de notre étude, chap. I, § IV.
1504 Le Diario de gustos donne les précisions suivantes : débarquement au Havre, 6 mai 1846 ; entrée en Espagne, 3 oct. ; départ de Palma de Mallorca pour l’Algérie, 19 déc. ; arrivée à Marseille, 13 janv. 1847 ; débarquement à Gênes, 26 janv. ; arrivée à Zurich, 11 mai ; à Augsbourg, 13 mai ; il est à Amsterdam le 10 juin, le 12, à Bruxelles, le 13, à Paris ; le 31 juill., il passe en Angleterre, et s’embarque pour les Etats-Unis le 17 août, et restera dans ce pays du 15 sept. au début de nov.
1505 Cf. Notre article (op. cit.).
1506 V, 89.
1507 V, 144.
1508 V, 141.
1509 213-214.
1510 V, 213.
1511 V, 292.
1512 V, 159.
1513 V, 159.
1514 Cette description a été traduite par Tandonnet et publiée dans le Courrier de la Gironde,.24 oct. 1846.
1515 V, 171.
1516 V, 176.
1517 V, 178.
1518 V, 175.
1519 V, 181.
1520 V, 147.
1521 Dans sa lettre à M. Montt, il indique son intention de passer en Suisse pour se reposer « de chercher dans l’histoire le fil qui lie les temps passés aux temps présents » (V, 311).
1522 A propos de bandits, Sarmiento rapporte, dans sa lettre à Lastarria, le récit d’un voyageur qui raconte un fait horrible : une mère et sa fille ont assassiné, sans le reconnaître, le fils et frère, revenu d’Amérique riche après de longues années d’absence. Sarmiento prétend avoir entendu raconter la même histoire en Argentine et affirme qu’il s’agit d’une légende populaire. Sa parenté avec Le malentendu, d’Albert Camus, est troublante.
1523 V, 187.
1524 V, 192.
1525 V, 192.
1526 Ensayos, t. VII ; cité par Dardo Cuneo, op. cit., 116.
1527 V, 141.
1528 V, 241.
1529 V, 248.
1530 V, 250.
1531 V, 252
1532 V, 384.
1533 V, 317.
1534 V, 342.
1535 V, 317.
1536 Dans une lettre à Modestino Pizarro, du 5 avril 1851, il prétend avoir annoncé cette révolution à ses amis, en débarquant à Valparaiso, le 24 février 1848 (XIII, 387).
1537 Crónica, 2 sept. 1849.
1538 D’après Bunkley (op. cit., 281) les journaux de l’époque indiquent cette date pour l’arrivée à New-York du vapeur Moctezuma, dans lequel Sarmiento a fait le voyage. Toujours d’après Bunkley, Sarmiento aurait dit qu’il était arrivé le 13. Nous ignorons où le voyageur a donné cette date. J. Ottolenghi propose le 15 en renvoyant aux Obras— où la date ne figure pas —· et à un document conservé au Musée Sarmiento, dont la référence n’est pas indiquée (op. cit., 95). Sarmiento, dans son Diario de gastos, date du 15 la première page qu’il consacre aux Etats-Unis.
1539 V, 345.
1540 V, 360.
1541 V, 390.
1542 V, 379.
1543 V, 399.
1544 V, 403.
1545 Op. cit., t. II, 18, cf. no 1036.
1546 V, 348.
1547 A. Houston Luiggi, Sesenta y cinco valientes, op. cit.
1548 E. Nelson, op. cit.
1549 V, 383.
1550 V, 340.
1551 Op. cit., t. II, 50.
1552 V, 337-341.
1553 V, 384.
1554 V, 341.
1555 V, 342
1556 V, 352.
1557 V, 354.
1558 V, 369
1559 V. 386
1560 V, 360
1561 V, 361.
1562 Op. cit., 303.
1563 Aussi Bunkley écrit-il un chapitre intitulé : « The dream Materialized : The United States. »
1564 V, 334.
1565 V, 359.
1566 V, 356.
1567 V, 388.
1568 V, 390.
1569 V, 405.
1570 Cf. chapitre intitulé : « Du goût du bien-être matériel en Amérique » op. cit., t. II, 134.
1571 V, 469.
1572 V, 396
1573 V, 491.
1574 V, 461.
1575 Escritos póstumos, op. cit., 279.
1576 V, 346.
1577 V, 467.
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