Chapitre I. De l’éducation
p. 227-266
Texte intégral
1Sarmiento a eu de bonne heure la vocation de l’enseignement. Dès l’âge de quatorze ans, réfugié avec son oncle José de Oro à San Francisco del Monte, dans la province de San Luis, il apprend à lire à des jeunes gens de bonne famille qui sont tous ses aînés670. En 1831, il est instituteur à Santa Rosa de los Andes. Quelques années plus tard, à San Juan, il fonde un Collège de jeunes filles, qui fonctionne deux ans et qu’il doit abandonner pour se réfugier au Chili.
2Le premier article qu’il écrit à Santiago concerne l’éducation. A propos du programme qu’un certain Lomenié veut appliquer à l’instruction des jeunes Américains du Sud résidant à Paris, Sarmiento brandit l’étendard de la révolte et imagine la création d’une langue, d’une orthographe et d’une grammaire hispano-américaines671.
3Pratiquement, il ne cesse jamais de penser à l’éducation, son souci majeur, car il croit fermement à la nécessité d’éduquer le peuple pour le bien de l’humanité.
4Comme le dit justement Amanda Labarca « c’est au Chili et grâce au Chili que Sarmiento apprit ce qu’il mit plus tard en pratique, quand il fut président de la République Argentine672 ».
5Lorsque Sarmiento quitte son pays, en 1840, la situation de l’enseignement primaire y est déplorable. A Buenos Aires, après la chute de Rivadavia, en 1827, il est en pleine décadence. Cette décadence s’accélère en 1835, à la suite du décret qui astreint les futurs instituteurs à jurer fidélité à Rosas, et les enfants à s’habiller de « rouge fédéral »673. Un décret du 7 décembre 1836 autorise les Pères jésuites à ouvrir des écoles primaires. Mais, le 27 avril 1838, le gouvernement signifie à la Société de Bienfaisance qu’il ne lui donnera plus de subvention et l’invite à demander aux parents d’élèves de payer eux-mêmes les institutrices et tous les frais concernant l’achat de matériel scolaire et le loyer du local. Toute école dépendant de la Société de Bienfaisance qui ne peut subsister de cette façon, doit être fermée674. Dès le début de l’année 1842, toutes les écoles de Buenos Aires sont mises sous la dépendance de la police675. Ce n’est pas tout. Rosas, dans son message de 1841, annonce l’expulsion des Jésuites, qui, « devant obéissance à un supérieur opposé aux principes politiques du gouvernement », ne peuvent continuer à enseigner dans le pays. Dans son message de fin d’année, il reconnaît que le gouvernement a supprimé « les subsides avec lesquels il aidait les établissements de charité, de bienfaisance et d’éducation des deux sexes ». Dans ses messages successifs, le gouverneur de la province de Buenos Aires consacre à peine quelques lignes à l’enseignement, qui ne peut plus compter que sur la charité publique.
6Dans les provinces, pendant la dictature de Rosas, il n’y a pas de règle générale. Santa Fe, Corrientes, Cordoba, San Luis, Mendoza, Santiago del Estero, La Rioja, Catamarca, Salta, Jujuy ne font à peu près rien pour l’enseignement primaire676. En revanche, celui-ci fonctionne normalement dans l’Entre Ríos grâce aux gouverneurs « éclairés » : Echagüe, Urquiza et Crespo ; et, à Tucumán, grâce à Heredia. A San Juan, on se rappelle que Sarmiento a fondé, en 1839, un Collège pour jeunes filles, qui a été fermé en 1841.
7La réorganisation de l’enseignement commencera après la chute de Rosas, le 16 mars 1852, lorsque Vicente Fidel López, nommé Ministre de l’Instruction Publique, donnera son approbation au livre de Sarmiento intitulé De la educatión popular, publié à Santiago en 1849677.
8Au Chili, l’enseignement primaire n’est guère florissant non plus malgré les efforts d’O’Higgins et de Francisco Antonio Pinto. Les écoles sont misérables. A la fin de l’administration Prieto, en 1841, il n’y a, dans tout le pays, que 56 modestes écoles publiques : 2 à Colchagua, 4 dans le Maule, 23 à Concepción, 9 à Valdivia, 6 à Chiloé, 8 à Coquimbo, 3 à Aconcagua, 1 à Valparaiso. D’après ce recensement, il n’y en a pas une à Santiago678.
I. — Sarmiento directeur de l’École Normale d’instituteurs
9Mais le gouvernement chilien est décidé à remédier à cette carence. Manuel Montt, Ministre de la Justice, du Culte et de l’Instruction Publique, va droit au but dans son Mémoire de 1841 et, la même année, fait inscrire au Budget la somme de dix mille pesos « pour l’établissement et l’encouragement des écoles primaires et la fondation d’une école normale679 ». Expéditif, il crée l’Ecole Normale d’instituteurs, par décret du 18 janvier 1842 ; et, par un autre décret, signé le 20 du même mois, en nomme Sarmiento directeur. Le 11 mai, il fait savoir à Sarmiento qu’il a publié dans les journaux un avis annonçant la prochaine ouverture de l’établissement680. Dans une lettre du 30 mai, Sarmiento avise le Ministre qu’il a préparé un répertoire de toutes les méthodes d’enseignement connues dans le pays. Il lui propose la nomination, au titre d’adjoint, de Don Ignacio Acuna et lui adresse une liste de jeunes gens qui ont demandé à suivre les cours de l’Ecole, avec les renseignements qu’il a pu recueillir sur eux. Il prie le Ministre de bien vouloir fixer la date d’ouverture de l’établissement, lui joint une liste de dépenses et lui demande des fournitures scolaires681. Le 14 juin, dans quatre notes, il envoie au Ministre une nouvelle demande de fournitures scolaires, lui fait savoir qu’il s’est installé le 14 mai dans le local destiné à l’Ecole, lui annonce l’ouverture de l’établissement682, et le prie d’approuver la nomination du sous-directeur qu’il propose683.
10Sarmiento sera directeur de l’Ecole Normale jusqu’au 15 octobre 1845, date à laquelle Bulnes accepte la démission qu’il a sollicitée pour se rendre en Europe en mission officielle684.
11M. L. Amunátegui rend hommage à Sarmiento et à son successeur en ces termes : « Grâce à cet établissement bienfaisant, le progrès de l’enseignement primaire fut tel qu’au bout de six ans, le nombre des écoles publiques et privées s’éleva à 128685 ».
12En 1821, le professeur anglais Thomson avait introduit au Chili le système dit de Lancaster, déjà pratiqué en Argentine. Pour essayer cette méthode d’enseignement mutuel, le gouvernement fit transformer en établissement scolaire la chapelle de l’Université San Felipe. Et cette école ouvrit ses portes le 18 septembre de la même année. Elle est considérée par Amunátegui Solar comme la première Ecole Normale d’instituteurs fondée au Chili686. Sa durée fut éphémère. Le système fut combattu par plusieurs professeurs, particulièrement par Bello qui en avait vu, en Angleterre, les avantages et les inconvénients687.
13Quoi qu’il en soit, l’idée de créer une pépinière d’instituteurs était dans l’air. Bello avait attiré l’attention du gouvernement sur l’utilité de l’enseignement primaire et la nécessité, pour le pays, d’avoir une école où des maîtres fussent formés688. Aussi, l’éducateur vénézuélien est-il un des premiers à se réjouir de la décision de Manuel Montt689.
14L’Ecole Normale d’instituteurs de Santiago est la première en titre dans le continent américain austral. Elle fut créée deux ans à peine après que Cirus Pierce eût fondé celle du Massachusetts690.
15Sarmiento voit dans cette création « une des plus belles promesses de la nouvelle administration ». Il s’empresse de recopier le décret ministériel qui l’a décidé. Nous n’en retiendrons que le plan d’études que Sarmiento va s’efforcer d’appliquer. L’article 2 du décret prévoit que l’on apprendra la lecture et l’écriture, les méthodes d’enseignement mutuel et simultané, la grammaire et l’orthographe, la religion, l’arithmétique commerciale, la géographie descriptive, le dessin linéaire, des notions d’histoire générale et l’histoire du Chili691. Sarmiento fait observer que, la plupart du temps, ceux qui pensent aux progrès donnent leur appui aux Universités et aux Séminaires, mais négligent l’enseignement primaire. Pourtant, dit-il, la vraie civilisation d’un peuple ne consiste pas à posséder une centaine d’individus qui constituent « l’aristocratie du savoir », mais le plus grand nombre de citoyens instruits. Ce qu’il faut à une société moderne c’est une « éducation commune à tous », libre des odieuses différences entre les riches et les pauvres, les maîtres et les esclaves, les nobles et les plébéiens. La première fois que l’on a compris et appliqué ces principes, on a vraiment établi les bases d’un gouvernement démocratique.
16La création de l’Ecole Normale de Santiago est donc, pour Sarmiento, un événement capital et significatif, qui doit entraîner plusieurs améliorations dans la vie du pays. Les hommes y seront formés pour devenir des citoyens. Bien entendu, il faudra créer des écoles, préparer des traités élémentaires, imprimer des livres. Sarmiento voit clairement le programme qu’il va s’imposer immédiatement, le même qu’il essaiera de réaliser pendant toute sa vie692. En commentant le plan d’études proposé par le gouvernement, il cite Franklin et Cousin.
17A cette étape de sa vie d’instituteur, il s’est sérieusement documenté sur les questions d’enseignement. En lui offrant la direction de l’Ecole Normale, Manuel Montt s’adresse à l’homme qui, au Chili, est le mieux informé sur les problèmes posés par l’éducation des enfants.
18Quelques lignes de son compte rendu de la décision ministérielle le montrent soucieux de l’enseignement de l’orthographe. Comment expliquer aux enfants la façon d’écrire les mots ? On ne saurait leur parler d’étymologie. Et Sarmiento conclut provisoirement : « Il faudrait trouver une méthode pour enseigner l’orthographe, pour remplacer les règles qui ne donnent aucun résultat »693. Bien avant la querelle au sujet de l’orthographe, Sarmiento a donc expliqué pourquoi il voulait la modifier : tout simplement pour épargner aux enfants des efforts qu’il juge inutiles.
19On le sent passionné et, en même temps, tourmenté par la recherche de la méthode efficace, par la volonté de trouver le moyen de mettre rapidement les idées utiles à la portée du plus grand nombre d’hommes possible.
20Le directeur de l’Ecole Normale a l’âme d’un éducateur. Il sait fort bien qu’il ne suffit pas de posséder la science pour savoir enseigner. On donnera au futur instituteur l’éducation qui convient à l’exercice de ses fonctions. Mais si l’élève-maître s’aperçoit qu’il n’a pas la vocation, il devra quitter l’Ecole. Sarmiento sait aussi que pour être un bon maître « il faut une certaine vocation particulière, un certain amour des enfants, une sorte de joie d’enseigner… qui, de même que le sentiment de la maternité chez la femme, permet de supporter et même d’accepter avec plaisir les tourments que doit endurer celui qui enseigne à la jeunesse »694.
21Ailleurs, Sarmiento réclame la création de sociétés qui secondent l’action de l’Ecole Normale. Le pays ne manque pas de jeunes gens enthousiastes. Le gouvernement pourrait les charger de certains travaux utiles à l’enseignement public. Par exemple, il serait très important de connaître l’état actuel de l’enseignement primaire à Santiago et dans les provinces, d’examiner les méthodes en usage dans les écoles, d’étudier les systèmes appliqués dans les villes les plus avancées, de rassembler les livres connus dans le pays, d’importer ceux qui sont les plus réputés à l’étranger, de préparer ou d’examiner les manuels élémentaires d’arithmétique, de grammaire, de géographie, d’histoire, etc…, de publier des revues d’enseignement, de se tenir au courant des ouvrages pédagogiques publiés ailleurs qu’au Chili, d’établir le contact avec les diverses sociétés philanthropiques. Toutes ces besognes ne peuvent être entreprises par un seul homme. Puisque la jeunesse qui sort des collèges se trouve désœuvrée, pourquoi ne se rendrait-elle pas utile en accomplissant ces tâches695 ?
22Sarmiento voit grand et loin. Presque tout ce qu’il préconise dans ce programme sera réalisé au cours du xixe siècle.
23Néanmoins, en 1842, ces projets sont bien ambitieux.
24Les élèves-maîtres de l’Ecole Normale n’ont pas une instruction brillante.
25Sarmiento passe les quinze premiers jours à enseigner « des éléments de lecture et d’écriture » et à corriger les défauts de prononciation de ses jeunes recrues696. Au mois de juillet seulement, il commence à enseigner l’arithmétique, l’histoire sainte et le catéchisme, sans abandonner la lecture et l’écriture qui resteront les points faibles de ses élèves697. Un peu plus tard, il ajoute la cosmographie et la géographie698. Dans son rapport de fin d’année, il constate quelques progrès et annonce, pour l’année suivante, l’enseignement du dessin, de la grammaire et de l’orthographe699.
26Par une note du 13 janvier 1843, le ministre approuve le rapport de Sarmiento et lui recommande « principalement l’étude assidue et l’application constante du catéchisme, du dogme et de la morale chrétienne »700. Le directeur qui, depuis l’ouverture de l’Ecole, a enseigné le catéchisme, explique au ministre qu’il le fait réciter tous les samedis. En outre, pendant le Carême, il a donné quelques leçons sur l’histoire de Jésus, d’après les Evangiles, suivies de l’explication des sacrements de la pénitence et de la communion, pour préparer les élèves à accomplir leurs devoirs religieux701.
27La lecture est la matière qui donne le plus de mal à Sarmiento. Le 4 janvier 1844, il constate, dans son rapport annuel, qu’au bout d’une année et demie d’efforts, il y a encore un bon nombre d’élèves qui ne lisent pas parfaitement. Il a eu de meilleurs résultats en écriture, en catéchisme, en arithmétique, en cosmographie et en géographie. Faute de bons manuels, il a des difficultés pour faire comprendre la grammaire à ses élèves.
28Dans le même rapport, il dit avoir constaté, comme Cousin en Hollande, les inconvénients de l’externat dans un établissement de ce genre. Que les élèves soient logés dans leurs familles, chez des particuliers, ou qu’ils vivent seuls, ils ont trop de contacts avec le monde extérieur, trop d’occasions d’être distraits de leur travail ; il leur est trop facile d’inventer un prétexte pour manquer la classe. La tâche du directeur n’est pas facilitée par les parents, qui excusent leurs enfants ou qui, n’ayant pas assez d’autorité sur eux, comptent sur l’Ecole pour les discipliner.
29Sarmiento demande que l’Ecole soit placée sous la direction de l’Université et que celle-ci la fasse inspecter le plus souvent possible pour stimuler les élèves. Un peu découragé peut-être par les piètres résultats obtenus, il ne craint pas de dire dans son rapport qu’il s’en faut de beaucoup pour que l’établissement qu’il dirige soit une véritable Ecole Normale. D’ailleurs il déplore continuellement les absences injustifiées ou prolongées des élèves. Il s’est vu dans l’obligation de demander quelques renvois pour manque de discipline ou incapacité.
30Pourtant, il a des satisfactions. Quelques élèves se révèlent de bons éléments. Ainsi, deux ans après l’ouverture de l’Ecole, deux de ses élèves sont nommés instituteurs et vont exercer en province702. Le 24 mai 1845, huit autres, sur 22 inscrits, sont également nommés. Dans leur rapport sur les examens de la même année, Minvielle et Ambrosio Andonegui se montrent assez satisfaits des résultats obtenus, bien qu’ils constatent qu’une bonne partie des élèves ne savent pas lire correctement. Toutefois, ils louent le manuel de lecture composé par Sarmiento, et attribuent ce défaut général à un mauvais enseignement initial. En conclusion, ils estiment excellente la méthode de Sarmiento pour former les instituteurs, car « tout y est raisonné, logique et précis »703.
II. — Programmes et méthodes d’enseignement
31Officiellement, Sarmiento a dû appliquer un programme d’enseignement proposé par le ministère. Mais il est à peu près certain que son ami Manuel Montt l’a consulté pour l’établir. D’ailleurs, Sarmiento ne peut guère se montrer original dans le choix des matières. Il doit former des instituteurs, et non des philosophes. L’essentiel, à l’époque, pour un instituteur, est de savoir enseigner à lire et à écrire, à calculer, et d’être en mesure de donner à ses élèves des leçons de géographie et d’histoire, et, bien entendu, d’instruction religieuse, car cette matière est obligatoire dans toutes les écoles de l’Etat.
32C’est donc seulement dans les méthodes que Sarmiento peut montrer son esprit d’initiative et faire bénéficier la pédagogie de son expérience.
33La lecture. — Pour lui, la base de l’enseignement primaire est la lecture. « On ne comprend pas assez, dit-il, quel zèle il faut déployer pour inculquer aux enfants les idées qui leur permettent de lire avec profit »704. Il n’était pas inutile, il n’est jamais superflu, de rappeler que la lecture n’est pas un simple exercice mécanique. La lecture ne consiste pas seulement à reproduire, même parfaitement, les sons figurés par les lettres. Sarmiento blâme les mauvais maîtres qui habituent les enfants à lire d’une voix monotone, inexpressive. A son avis, ils sont plus nuisibles à la culture du peuple que le manque d’écoles et la rareté des livres. Par leur faute, le texte d’un livre est lettre morte. Celui qui ne sait pas, grâce à une lecture intelligente, redonner la vie aux mots couchés sur le papier, est incapable de prendre connaissance de leur contenu. En outre, Sarmiento sait quel pouvoir magique une voix nuancée peut donner aux mots. Il rappelle ces réflexions de Franklin : « Pourvu qu’il y ait un bon lecteur dans le voisinage, un orateur public peut être entendu par toute une nation avec les mêmes avantages et en produisant les mêmes effets sur les auditeurs que s’ils étaient à portée de sa voix ».
34Avec de pareilles exigences, on comprend que Sarmiento se plaigne continuellement que ses élèves lisent mal.
35Les réflexions précédentes renseignent utilement sur la partie invisible de sa méthode d’enseignement de la lecture.
36Pour exiger de ses élèves une lecture intelligente, Sarmiento leur faisait sans doute comprendre, d’une façon ou d’une autre, la signification, le rythme et le ton du texte. En tout cas, il déclare très justement : « La perfection finale de la lecture dépend du développement complet de l’intelligence de celui qui lit, pour qu’il puisse comprendre le sens des mots et par eux la pensée de l’auteur, ce qu’il ne peut obtenir qu’après un long exercice et l’habitude constante de lire »705.
37Pour atteindre à cette perfection, il faut d’abord être initié aux secrets des caractères écrits.
38Or, d’après Sarmiento, l’enseignement de la lecture est fort déficient706. On a la mauvaise habitude de faire apprendre par cœur aux enfants toutes les combinaisons de lettres possibles, y compris les syllabes comme af, och, qui n’existent pas dans la langue. Aussi, dès 1841, Sarmiento recommande-t-il chaleureusement la méthode de lecture qu’un jeune Espagnol nommé Bonifaz a préparée à Montevideo, en perfectionnant celle de Vallejo707. Elle a sur les autres l’appréciable avantage de classer rationnellement les difficultés et d’illustrer chaque leçon par des exercices conçus pour tirer profit des connaissances acquises. Bonifaz adopte la même nomenclature pour toutes les consonnes ; on enseignera aux enfants à dire be, ce, de, fe, etc… Chaque consonne a toujours le même son. Il ne reste que deux exceptions : les lettres c et g, dont les sons diffèrent suivant les voyelles qui les accompagnent. Le système comporte quatorze tableaux disposés en huit classes. Dès la première, l’enfant a sous les yeux des phrases faites avec les syllabes qu’il vient d’apprendre, de telle sorte que, d’emblée, l’exercice de la lecture correspond pour lui à une réalité accessible.
39Le 22 août 1842, Sarmiento envoie au ministère un rapport que celui-ci lui a demandé sur les méthodes de lecture utilisées au Chili708. Après avoir commenté les abécédaires et les manuels, il recommande encore la méthode Bonifaz, dont il améliore certains détails : il supprime les tirets entre les syllabes des mots et écrit en italique les lettres c et g dans les syllabes ce, ci, ge, gi, pour faire remarquer aux enfants que ces lettres ont, dans ces cas, un son exceptionnel, le son habituel étant celui qu’elles ont dans les syllabes ca, co, cu, ga, go, gu.
40A la fin de son rapport, Sarmiento attire l’attention du gouvernement sur futilité des bons livres de lecture. Malheureusement, il y en a peu au Chili. Les meilleurs sont traduits de l’anglais (Tempranas lecciones, de Miss Edgeworth) ou du français (Cuentos a mi hijito y a mi hijita, de Madame de Renneville) et ils sont très chers. Un seul lui semble posséder les qualités requises : El Mentor de los niños, qui a pris des sujets américains empruntés à la vie quotidienne des enfants. Par cette indication, on voit ce que, pour Sarmiento, serait le livre idéal de lecture. Aux livres d’adages et de proverbes, comme celui de Martínez de la Rosa, il préfère des contes simples et adaptés à la mentalité enfantine.
41Les idées de Sarmiento ont été accueillies favorablement par Francisco Bello, auteur d’une grammaire latine, dans El Semanario du 1er décembre 184 2709.
42Quelques années plus tard, ces idées ont fait leur chemin. Il est enfin admis au Chili, en 1845, que les enfants doivent disposer de livres de lecture à leur portée, qui les rendront aptes à lire, quand ils seront adultes, des ouvrages qui enrichiront leur intelligence. Il faut, dit Sarmiento, prendre pour modèles la France, l’Angleterre et l’Allemagne, où des écrivains distingués n’ont pas dédaigné de composer des livres pour les enfants710. Lui-même utilise El Instructor, sorte de revue encyclopédique éditée à Londres par Ackermann711. Quand cette revue disparaît, il demande au gouvernement de prendre un abonnement à La Colmena, qui lui a succédé712. Il profite ainsi de l’exercice de la lecture pour donner aux futurs instituteurs des aperçus sur les sujets les plus divers. La lecture leur découvre tout un monde inconnu. Cette découverte, excitant leur curiosité, les porte à lire.
43En somme, lorsque, le 5 janvier 1845, Sarmiento envoie à la Faculté le manuscrit de son Silabario o Método gradual de enseñar a leer en castellano, il a une bonne connaissance théorique et pratique de la question713. Dans les séances du 12 mars, des 2 et 16 avril, le Conseil discute le projet, sur lequel Minvielle a fourni un rapport favorable. Le 23 avril, le Silabario est accepté, après que Sarmiento eut consenti à y introduire quelques retouches proposées par ses collègues714. Le 17 mai, le rapport de Minvielle est publié dans la Gaceta de los Tribunales y de la Instrucción Pública715. Minvielle analyse le manuel et en loue la clarté et la simplicité716. Sarmiento affirme modestement que son manuel « ne comporte pas d’innovation par rapport aux livres du même genre »717.
44Sans doute s’inspire-t-il d’Aribau, de Vallejo et, surtout, de Bonifaz. Mais sa méthode est nouvelle : il y introduit la clarté, la logique, et surtout une progression qui facilite la tâche de l’instituteur. Ainsi, dans les premières leçons, s’inspirant de la réforme de l’orthographe acceptée par la Faculté, il élimine les lettres qui ne se prononcent pas (h devant ou derrière une voyelle ; u dans que). Mais il rétablit graduellement ces lettres dans les dernières leçons. Son alphabet est celui de Bonifaz, mais présenté dans un ordre un peu différent. Au lieu d’accepter l’ordre arbitraire des lettres dans l’alphabet usuel, Sarmiento et ses prédécesseurs s’ingénient à trouver des syllabes qui forment des mots, ou qui constituent une sorte de « chanson » (cantilena) mnémotechnique.
45Dans un deuxième et un troisième alphabets, il groupe les lettres par analogie de sons et de formes.
46La deuxième leçon est consacrée à l’étude des syllabes simples commençant par une consonne. Partant du principe que certaines consonnes peuvent être prononcées sans appui de voyelle (ssss, ffff, rrrr, mmmm, zzzz, llll), il est facile de faire comprendre à l’enfant que la combinaison f, a donne fa. Par analogie, l’enfant devinera, après quelques exercices, les sons de toutes les combinaisons de syllabes écrites. Ensuite, on lui présentera des combinaisons de syllabes qui produisent des mots et on lui enseignera la prononciation des lettres irrégulières, en lui montrant la différence entre ca et ce, ga et ge. Puis on étudiera les « combinaisons simples inverses », c’est-à-dire voyelle et consonne, et les syllabes composées de plus de deux lettres, les diphtongues, les triphtongues, les contractions (bl, br, cl, cr, etc.), finalement, les lettres étrangères.
47Chaque leçon est illustrée par un exercice d’application.
48Cette méthode tient compte également de la ponctuation, de la lecture des chiffres arabes et romains. Elle se termine sur quelques récits amusants. Le manuel est accompagné de gravures.
49Une année plus tard, Sarmiento commente sa méthode dans les Instrucciones a los maestros para enseñar a leer por el método gradual de lectura, avec un tableau pour chaque leçon et des explications détaillées à l’usage des maîtres.
50La méthode vaut ce qu’elle vaut. En tout cas, elle est meilleure que les précédentes. On reconnaît ses qualités en haut lieu. Par décret du 24 août 1846, le gouvernement l’adopte comme texte officiel pour les écoles municipales et nationales718.
51Les petits Chiliens apprirent à lire dans le manuel de Sarmiento jusqu’en 1889. Un Congrès pédagogique décida alors de remplacer la méthode synthétique par une autre à la fois analytique et synthétique719. Néanmoins, les nombreuses impressions qui en furent réalisées après cette année-là prouvent que ce livre de lecture n’a pas disparu de la circulation.
52L’écriture. — Sarmiento dit souvent qu’il attache beaucoup d’importance à la qualité de la calligraphie et regrette que la plupart de ses élèves aient pris de mauvaises habitudes à ce sujet720.
53Il impose l’écriture anglaise — à la place de l’écriture espagnole —, car c’est celle qui est universellement adoptée par les pays civilisés721. Il enseigne à ses élèves la ronde et la gothique. Il fait aussi exécuter de grands tableaux où les élèves-maîtres dessinent des lettres de différents types. Ils sauront ainsi préparer eux-mêmes leurs modèles quand ils auront à enseigner.
54L’éducation religieuse. — Pour l’éducation religieuse, Sarmiento dispose du Catecismo de la doctrina cristiana, du Cardinal Caprara, traduit du français en espagnol par Manuel Salas, en 1826722.
55Mais le directeur de l’Ecole Normale ne se contente pas des méthodes toutes faites, même en religion. Dans son rapport sur les activités de l’année 1842, il écrit au ministre que, tous les samedis, sous sa direction, les élèves lisent soigneusement « les Saints Evangiles, la Genèse et quelques autres textes choisis des Ecritures »723.
56Ces textes ne lui suffisent pas non plus. N’osant pas sans doute en composer lui-même, il traduit deux livres adoptés par les écoles françaises.
57La conciencia de un niño, dont El Progreso donne un compte rendu le 23 mai 1844, traite, dans sa première partie, des preuves de l’existence de Dieu qu’un enfant peut déduire des objets qui l’entourent. La deuxième partie est une histoire sainte sommaire, jusqu’à la venue du Messie. La troisième contient, en vingt-deux leçons, l’explication des dogmes de la religion catholique724.
58Sarmiento doit défendre ce livre des attaques du Valdiviano federal, qui estime que La conciencia de un niño n’a aucun intérêt, car on n’y enseigne pas les droits du citoyen. Ce livre rappelle une époque, poursuit le journal, où l’enseignement religieux corrompit les peuples et les maintint dans l’ignorance725. La réplique de l’émigré précise le rôle qu’il attribue à la religion dans la formation de l’enfant. D’abord, argumente-t-il, « le Caton chrétien — entendons le catéchisme — n’a eu aucune influence sur l’ignorance d’autrefois. S’il n’enseignait rien, c’était parce que l’on croyait inutile que le peuple apprît quelque chose. » Par ailleurs, à son avis, il est prématuré de mettre entre les mains de l’enfant un livre où il soit question des droits de l’homme, qui n’ont rien à voir avec lui. En tout cas, ce n’est pas parce que « la religion officielle… a enfanté le despotisme et l’ignorance ou les a appuyés » que la religion a pour conséquence obligatoire l’un et l’autre de ces fléaux. Après ces réflexions, il développe le syllogisme suivant : « L’instruction primaire a pour but principal de donner à l’enfant les instruments de la civilisation », or « l’enfant doit connaître l’histoire de la religion qu’il professe et les doctrines morales sur lesquelles sont fondées les coutumes, les lois et les institutions du pays dans lequel il vit » ; donc « les manuels élémentaires de lecture devront avant tout faciliter et accélérer l’apprentissage de cet art et éveiller, si possible, les premières idées morales chez l’enfant ». Sarmiento n’oublie pas que son oncle l’a éduqué en lui commentant la Bible et les Evangiles.
59La Vida de N. S. Jesucristo est la traduction d’une version française d’un texte écrit en allemand par Christophe Schmid. Approuvé par la Faculté des Lettres de Santiago, le 6 mars 1844, ce livre est recommandé par elle au gouvernement pour servir de livre de texte dans les écoles primaires726. Le 20 mars, la Revista católica félicite Sarmiento pour sa traduction727. Bello en fait l’éloge dans El Araucano du 21 mars 1845.
60L’arithmétique. — Sarmiento ne semble pas avoir beaucoup peiné pour enseigner l’arithmétique. Il n’en parle pas souvent. Pourtant, en 1841, il accuse tous les livres d’arithmétique d’être inintelligibles. Mais, dans le même article, il loue l’Anglais Roswell G. Smith d’avoir composé une Arithmétique pratique mentale à la portée des enfants728. A l’Ecole Normale, il utilise les traités de l’Espagnol José Mariano Vallejo et du Français Lacroix729. La méthode de Vallejo lui paraît intéressante, mais elle implique la possession d’un cadre de bois avec trois fils de fer munis chacun de neuf boules ; elle ne peut donc être pratiquée que par « les écoles d’une certaine importance ». Voilà qui nous renseigne sur la pauvreté du matériel scolaire d’une école publique en 1843. Aussi Sarmiento propose-t-il de remplacer cet appareil par des haricots. Les haricots blancs représenteront les unités, les rouges les dizaines, et les noirs les centaines730. Il a lui-même expérimenté cette méthode, qui lui a donné d’excellents résultats, assure-t-il.
61A ses élèves de l’Ecole Normale, il enseigne la théorie des quatre règles de l’arithmétique et leur application pratique.
62Le rapport de Minvielle et d’Ambrosio Andonegui consigne les bons résultats qu’il a obtenus dans ce domaine731.
63La grammaire. — Dans son rapport annuel de 1844, le directeur de l’Ecole Normale assure que c’est l’enseignement de la grammaire qui lui a coûté le plus, en raison des manuels défectueux732. En désespoir de cause, il a fait acheter par ses élèves la grammaire d’Alemani. Toutefois, dit-il « ni celle-ci, ni celle de Dávila et Alvear n’atteignent leur but »733. Aussi conçoit-il l’idée d’introduire à l’Ecole Normale les manuels français en les adaptant à la grammaire espagnole, quand cela est possible. Pour l’analyse logique, il se sert du manuel intitulé Heures sérieuses d’un jeune homme, de Sainte-Foix734. Pour le reste, il faut se reporter à ses Apuntaciones sobre un nuevo plan de gramática735, notes qu’il a rédigées, dit-il, à la demande de la Faculté, qui désirait savoir quelle méthode il avait utilisée pour enseigner la grammaire. Après avoir expliqué les différences entre les verbes ser et estar, il passe à la définition du verbe qui, selon lui, doit être étudié en premier, car « le verbe est le cerveau d’où partent tous les nerfs de la phrase ». Il demande que l’on enseigne la conjugaison du verbe dans les phrases, de sorte que l’élève en saisisse l’utilité. Jusque-là on penserait que Sarmiento va exposer une méthode pratique. Mais, par la suite, il se perd dans des questions de nomenclature et invente une terminologie qui n’est pas plus claire que la terminologie habituelle. D’ailleurs, il ne s’agit que de notes.
64Il est impossible de savoir au juste comment Sarmiento a enseigné la grammaire. Dans leur compte rendu des examens du 18 avril 1845, Minvielle et Andonegui affirment que tous les élèves connaissent bien « les principes de grammaire générale appliqués à la langue espagnole », et qu’ils sont capables d’analyser « logiquement et profondément l’expression de la pensée, sans suivre la routine et sans se contenter des méthodes superficielles avec lesquelles on enseigne habituellement cette partie importante du savoir humain »736. Nous ignorons de quel œil les collègues grammairiens de Sarmiento ont parcouru ses notes.
65Mais, enfin, Bello publie sa grammaire en 1847.
66La géographie. — Pour l’enseignement de la géographie, Sarmiento adopte l’excellente méthode qui consiste à faire dresser par les élèves les cartes des pays étudiés en y faisant figurer les villes, le relief, le nombre des habitants, la religion, le gouvernement, les produits, l’état de l’instruction et tout ce qui peut les caractériser737. Avec l’aide de ses élèves, il a constitué un dictionnaire géographique. Les plus habiles ont fabriqué un globe terrestre muet, de grandes dimensions, utilisable pour les examens738.
67Le dessin linéaire. — Sarmiento attache une grande importance au dessin linéaire, qu’il appelle aussi géométrie appliquée. Il en analyse l’utilité à une époque où l’industrie est en plein développement. Ses élèves y semblent experts739.
68L’histoire. — Les rapports que Sarmiento envoie au ministère laissent croire qu’il n’a enseigné, en fait d’histoire, que l’histoire ancienne de la Grèce et de Rome, d’après les manuels de Lami et Fleury740. Pourtant, il a sur l’enseignement de l’histoire et son utilité des opinions assez définies qu’il expose en deux occasions741.
69S’il se montre prudent, semble-t-il, dans la pratique, ce n’est pas faute d’opinion, certes, mais parce qu’il ne sait pas, avoue-t-il, par où commencer. « La connaissance de l’histoire est pour nous une nécessité absolue », écrit-il. Mais il ajoute aussitôt qu’il serait extrêmement délicat « de préparer un traité d’histoire qui satisfît à nos besoins ». Les peuples européens sont liés à leur passé par des traditions, des monuments, des lois. En Amérique, le peuple n’a vraiment aucun intérêt à se souvenir du passé ; et, pour lui, l’histoire des Araucans est aussi importante que celle des Espagnols. Cette boutade répond à une certaine logique dans la démarche de la pensée de Sarmiento, au fond de laquelle siège habituellement un principe utilitaire. Or, à son sens, l’Espagne n’est bonne à rien.
70Ainsi donc, l’enseignement de l’histoire doit être fonction de son utilité. C’est à partir de cette donnée qu’il bâtit un programme. Il faudrait embrasser l’histoire du monde, depuis ses origines, chronologiquement, jusqu’à l’Indépendance, en apprenant seulement les grands noms qui caractérisent une époque et les événements essentiels. L’important est de donner au peuple « une idée générale de la marche de l’humanité à laquelle il appartient ». Il précise son point de vue en définissant l’histoire telle qu’il la concevra toute sa vie : « L’histoire est la biographie d’une société ou d’un peuple qui, obéissant à des lois immuables, se déroule dans des limites nécessaires ». L’historien, selon lui, a un rôle analogue à l’archéologue : l’un et l’autre cherchent les vestiges du passé, les classent et essayent de reconstituer les chaînons de l’humanité. En consultant ces archives, on apprend à connaître les causes et les effets, à voir plus clairement la vie actuelle. Sans qu’il le dise explicitement, Sarmiento applique le principe de Leibniz qu’il a cité par ailleurs : « le présent, engendré du passé est gros de l’avenir ». L’histoire, donc, est le moyen de connaissance par excellence, qui englobe la philosophie et la littérature. La philosophie n’a pas pu se soustraire à la nécessité de reconnaître les faits, qui sont « les manifestations de la marche de l’esprit humain dans les diverses époques d’une civilisation ». La littérature, grâce à l’histoire, « a étudié les procédés par lesquels les idées d’une époque passent aux livres et à la scène ». La politique, en étudiant les phénomènes sociaux, peut apprécier leur importance et connaître leur tournure.
71Une fois démontrée l’importance de l’histoire, encore faut-il préciser quelle sorte d’histoire il convient d’étudier en Amérique.
72Et là, Sarmiento se contredit. Il avait postulé que l’histoire des Araucans était aussi importante pour les Américains que celle des Espagnols. Contre sa volonté, mais en accord avec l’histoire, il doit reconnaître que les Américains ont hérité des Européens leurs mœurs, leurs croyances, leurs idées. Avec une certaine mauvaise foi, il dit « Européens » là où il devrait dire « Espagnols ». N’a-t-il pas avoué, en effet, que tout a été apporté en Amérique par les « aïeux » ? Or, ces aïeux, que Sarmiento le veuille ou non, furent, dans leur grande majorité, espagnols. Dans son raisonnement, Sarmiento a complètement oublié les Araucans. La raison en est simple : ce qui l’intéresse c’est l’histoire de la civilisation européenne ; « notre histoire, dit-il sans doute avec une certaine pointe de fierté, est l’histoire de l’Europe et, par elle, celle du monde cultivé ».
73Ne croyons pas néanmoins qu’il propose l’étude détaillée de l’histoire européenne. « Allons-nous ici, en Amérique, au Chili, demande-t-il avec une certaine brusquerie, nous plonger dans une étude stérile et démesurée de la chronique de chaque peuple européen » ? « De tous ces faits, qu’avons-nous intérêt à retenir » ? Il ajoute un peu plus loin : « Tel est le problème que l’on n’a pas essayé de résoudre ici et qui devrait se poser avant n’importe quel enseignement de l’histoire ». Il laisse aux historiens d’Europe les spéculations de l’esprit, la théorie, et réclame « les résultats tout classés ».
74Bref, un manuel d’histoire doit consigner les coutumes, les idées et les aspirations du peuple américain, et montrer « les liens qui unissent chaque citoyen à sa patrie et celle-ci à l’Europe et au monde civilisé de toutes les époques »742.
75C’est avec cette conception de l’histoire qu’il rédigera Civilisation et barbarie.
76Les examens. — A l’Ecole Normale, l’enseignement était sanctionné par des examens annuels.
77Sarmiento ne se fait aucune illusion sur ce genre d’épreuve, dont il dénonce l’inefficacité, l’absurdité743. Est-il vraiment possible d’apprécier en quelques minutes les progrès qu’un élève a faits en une année ? Connaissant la psychologie de l’étudiant, il sait bien qu’un élève doué peut briller dans un examen qu’il a préparé en un mois. Ayant été examinateur, il sait aussi qu’un candidat qui se présente avec aplomb et s’exprime avec aisance, même s’il se paye de mots, peut « fasciner les plus expérimentés ». Il y a un art de paraître qui donne le change et qui ne saurait renseigner sur les qualités réelles du candidat744. Si les élèves travaillaient, dans le courant de l’année, avec la moitié de l’ardeur qu’ils mettent à se préparer, quelques semaines avant la date fatidique, raisonne Sarmiento, on pourrait en peu de temps leur inculquer les connaissances exigées par les programmes et en ajouter d’autres qui leur donneraient une instruction complète.
78Les examens dans les écoles particulières sont encore moins probants, car on y a grand soin de bien mettre en valeur « ce qui brille » et d’escamoter « ce qui est terne ».
79Châtiments et récompenses. — Si Sarmiento n’accorde aucune valeur aux examens, en revanche, il estime que les châtiments et les récompenses ont une efficacité pédagogique réelle.
80A son avis le châtiment n’a d’autre fonction que de « remédier au manque d’influence du maître »745. Comme on ne peut pas toujours mettre dans une classe un instituteur qui ait l’autorité requise, les châtiments sont indispensables.
81A l’époque, les châtiments corporels étaient interdits au Chili comme en France. Sarmiento pense toutefois que « les châtiments douloureux ne doivent pas être tout à fait bannis, tant que l’art d’enseigner n’aura pas progressé davantage ». Mais, en règle générale, il ne faut pas être prodigue du martinet : ce n’est pas dans les écoles où on l’utilise le plus que règne l’ordre le plus parfait.
82Les peines infamantes seront proscrites absolument : elles ne font que durcir le caractère de l’enfant.
83Il ne faut jamais perdre de vue que la discipline n’est pas une fin en soi, et que si l’on exige de l’enfant un silence trop soutenu sans lui permettre de se détendre « il perd la faculté de prêter attention à ce qu’on lui enseigne ».
84En somme, on doit savoir doser les effets : tout l’art de la discipline est là.
85Il est également nécessaire d’établir toute une gamme de récompenses qui stimulent l’enfant en excitant sa convoitise. Sarmiento décrit un système qu’il a appliqué et qui ressemble fort à celui qui est en usage aujourd’hui dans les écoles. A chaque matière correspond un « bon point » (boleto) imprimé. Quand un élève a obtenu un certain nombre de bons points, il les échange pour un autre plus important, lequel, accompagné de plusieurs autres, lui donne droit à une sorte de témoignage de satisfaction qui vaudra un livre à l’heureux possesseur746.
86Pour couronner les efforts de l’enfant, on lui donnera des prix de fin d’année. La distribution des prix doit être une vraie cérémonie, une fête solennelle à laquelle il convient de donner tout l’éclat possible747. Le peuple a besoin de fêtes. Or, la distribution des prix est la « fête de l’intelligence ». L’occasion est belle de montrer au peuple tout l’apparat qui accompagne « cette revue de l’éducation ». A l’éclat de la fête le peuple mesure l’importance que l’on donne au savoir.
III. — De l’éducation féminine
87Le fondateur du Collège de jeunes filles de San Juan est resté toute sa vie l’apôtre de l’éducation féminine. L’éducation doit permettre à la femme de remplir sa mission dans la société. Cette mission consiste à être l’ange tutélaire du foyer. Il ne lui suffit pas de régner par ses attraits, dans la première partie de sa vie, elle doit en outre travailler au progrès de l’humanité, en remplissant ses devoirs d’épouse et de mère. C’est dans l’accomplissement de ces pieux devoirs qu’elle trouvera son bonheur748.
88Au moment où la femme est appelée à accomplir cette mission, y est-elle apte ? La société moderne tend à émanciper la femme. C’est un fait. Les parents imposent de moins en moins à leurs filles le choix d’un époux. Mais, l’éducation a-t-elle préparé la femme à être libre ? Au moment où elle va assumer les devoirs de la maternité, quelle initiation a-t-elle reçue pour éduquer ses enfants ? Elle n’a encore que son instinct maternel, des pratiques routinières. Elle est encore paralysée par les préjugés. Les hommes pensent encore, comme leurs aïeux, que la femme n’a pas besoin d’instruction, car il y a encore de ces hommes qui conservent « les idées arabes que l’Espagne a léguées sur la femme » et qui ne voient en elle qu’une faible créature qu’il faut constamment surveiller749.
89Or, la femme est aussi capable que l’homme de recevoir l’instruction. Sarmiento n’a qu’à rapporter les résultats de son expérience personnelle pour le prouver. Quand il vante l’intelligence, la rapidité mentale des jeunes filles du Collège de Mme Mayo, il le fait d’autant plus volontiers que les examens dont il rend compte attestent leurs qualités naturelles et leur aptitude à l’effort intellectuel750. C’est peut-être par féminisme, pour encourager les parents à envoyer leurs filles à l’école, qu’il est plus indulgent à leur égard qu’il ne le sera plus tard avec ses élèves de l’Ecole Normale. Mais il est vrai aussi que les filles sont habituellement plus appliquées que les garçons.
90Il y a encore beaucoup à faire, pense Sarmiento, pour que la femme soit en mesure de jouer dans la société le rôle qui est le sien. Rôle complexe et difficile, car c’est elle, en tant que mère, qui peut améliorer les mœurs ; mais, c’est elle aussi, en tant que femme, qui en est la victime et l’esclave.
91Il faut donc l’éduquer, car elle éduquera l’enfant : l’homme de demain.
92Pour donner une idée de ce que l’on peut attendre de l’éducation des femmes, Sarmiento traduit tout un passage de la lettre que Marie de G… adressa aux directeurs de la Revue Encyclopédique, et dont l’essentiel tient dans la phrase suivante : « Ce qui les séduit aujourd’hui et les précipite dans le mal c’est leur éducation détestable, ce sont les préjugés misérables ;… que l’on nourrisse leur raison, qu’on les rende capables de sentir en elles les vérités de la morale, que l’on donne à leur existence un autre but que celui de servir à quelques intrigues d’amour, et alors on les verra se lever vertueusement contre la séduction et repousser le vice comme on repousse un crime751. »
93Ayant recouvré l’honnêteté d’Eve avant le péché, les femmes seront dignes de la liberté. « Qu’on leur donne une liberté réelle, elles ne feront que s’y retremper et s’y purifier752. »
94L’éducation rendra les femmes charitables à l’égard des autres femmes ; et alors « un grand pas sera fait dans le chemin qui doit aboutir à leur émancipation »753.
95Sarmiento ne commente pas ces paroles, sur lesquelles se termine son article.
96Il reprend le même sujet deux jours plus tard. Pour le traiter, il s’inspire de l’article de Marie de G…, du livre d’Aimé-Louis Martin, Education des mères de famille ou de la civilisation du genre humain par les femmes, et des articles intitulés « Femme » et « Education des femmes », signés respectivement Mme de Maussion et Mme de Bawr, insérés dans le Dictionnaire de la conversation.
97C’est vraisemblablement à Marie de G… qu’il emprunte son plan754.
98Bien que son article soit précédé d’une citation tirée du livre d’Aimé Martin, il est significatif que Sarmiento se propose de tracer « un tableau fidèle du perfectionnement graduel (mejora gradual) de la femme dans sa condition sociale, dans le cours des siècles »755, comme le voulait Marie de G… Gomme elle, il s’inquiète surtout de montrer l’évolution de la condition de la femme, suivant la progression suivante : la femme considérée par l’homme comme un membre dégénéré de son espèce, dans la vie sauvage ; la femme source de voluptés pour l’homme, dans l’état de barbarie ; finalement, la femme compagne de l’homme, dans la vie civilisée. C’est ainsi également qu’Aimé Martin, qui se souvient sans doute aussi de Marie de G…, résume son enquête, dans l’épigraphe dont Sarmiento orne son article.
99Ayant construit son plan, Sarmiento étudie la condition de la femme dans les peuplades primitives américaines756 et en Afrique757 ; puis, en Orient758. Après une incursion en Grèce et en Italie, il en arrive à l’ère chrétienne, qui redonne à la femme, en principe, la place que Dieu lui avait assignée, pour qu’elle fût la compagne de l’homme et non son esclave. Toutefois, ce n’est guère avant l’abbé Fleury et Fénelon, d’après Sarmiento, et Aimé Martin, que l’on songe à instruire les femmes759. Fleury, le premier, si l’on en croit l’auteur de l’Education des mères de famille, a soulevé la question de l’égalité des droits à l’instruction de l’homme et de la femme. « On veut que les femmes ne soient pas capables d’études, écrivait-il, comme si leur âme était d’un autre aspect que celle des hommes, comme si elles n’avaient pas aussi bien que nous une raison à conduire, une volonté à régler, des passions à combattre, ou s’il leur était plus facile qu’à nous de satisfaire à tous ces devoirs sans rien apprendre »760. Le texte de Marie de G…, traduit par Sarmiento, reprend en d’autres termes ce qu’a dit Fleury qui, d’ailleurs, après cet instant de rébellion contre les mœurs du temps, revient à des sentiments plus en harmonie avec son époque et interdit aux jeunes filles et aux femmes de s’occuper de poésie, de philosophie, d’histoire et de morale.
100Fénelon donne à l’éducation des femmes plus d’importance qu’à celle des hommes, car « le bien est impossible sans elles, elles ruinent ou soutiennent les maisons ; elles règlent tous les détails des choses domestiques… par conséquent, elles décident de ce qui touche le plus près à tout le genre humain ».
101La phrase de l’abbé Fleury et celle de Fénelon, que Sarmiento traduit l’une à la suite de l’autre, sans guillemets et sans séparation, contiennent l’essentiel de sa pensée au sujet de Futilité de l’éducation des femmes et du rôle de celles-ci dans la société761.
102D’ailleurs, poursuit Sarmiento, l’époque moderne a favorisé le progrès de la femme, comme le prouve le grand nombre de femmes qui écrivent. Un exemple à suivre est celui de Mme Roland. Λ son propos, Sarmiento est de l’avis de Marie de G… : « Les Mémoires de Madame Roland forment peut-être, pour notre époque, le traité d’éducation le plus complet et le plus sûr que l’on puisse proposer à l’étude des femmes »762.
103C’est surtout aux Etats-Unis que la liberté n’est pas un vain mot pour les femmes, écrit Sarmiento. Il a lu dans Marie ou l’esclavage des noirs, de Beaumont, que les jeunes filles, aux Etats-Unis, ont l’habitude de sortir seules, habitude qui n’est pas près d’être adoptée au Chili. C’est que, pour être capable de jouir de cette liberté, « il faut y être préparé, et la moralité des jeunes filles des Etats-Unis s’appuie sur une éducation grave et religieuse ; on y révèle de bonne heure à la jeune fille les embûches qui l’attendent dans la société »763.
104Puisque la liberté gagne de plus en plus de terrain, il faut que la jeune fille sache en user. « Au lieu des cachemires et des diamants, donnez-lui une pensée et de la réflexion, qui ne vieillissent pas à l’usage et ne passent pas de mode », conseille Sarmiento.
105Mais il n’a pas seulement envisagé l’éducation de la femme en fonction de son rôle d’épouse et de mère, comme l’ont fait Marie de G… et Aimé Martin.
106Il a vu des femmes diriger l’éducation des jeunes filles : sa tante et ses sœurs, à San Juan ; Mme Cabezón ou Mme Mayo, à Santiago. Elles ont obtenu des résultats qu’il a pu apprécier. Ne conviendrait-il pas de faire une plus grande place à la femme dans l’enseignement ? Ce serait l’aboutissant utile de son éducation.
107Cette idée ne semble avoir pris forme, dans l’esprit de Sarmiento, qu’après son séjour en Europe et aux Etats-Unis.
108En tout cas, il ne rassemble guère ses réflexions à ce sujet qu’en 1848, lorsqu’il rédige son rapport au ministre sur les méthodes pédagogiques qu’il a vu pratiquer dans les pays visités764.
109Le troisième chapitre de ce rapport est intitulé « De l’éducation de la femme ». Cette fois, Sarmiento ne s’en tient pas à des considérations générales. Il entre dans le vif de son sujet, qui n’est pas seulement l’éducation des femmes, mais l’éducation par la femme765.
110Il rappelle que « le seul gouvernement américain qui ait pourvu avec une égale sollicitude à l’éducation des deux sexes est celui de Rivadavia ». La Société de Bienfaisance, dirigée par des femmes, avait, en Argentine, la haute main sur l’enseignement féminin et inspectait les écoles de jeunes filles766. Elle donnait un enseignement populaire ; les élèves apprenaient à repasser, à cuisiner, à coudre, à repriser.
111A l’heure actuelle, estime-t-il, reprenant l’idée de l’abbé Fleury, il n’y a pas de raison de donner une éducation aux garçons et d’en priver les filles. Les femmes montrent suffisamment leur dévouement dans de petites écoles perdues, pour qu’on leur fasse justice. Leur caractère maternel est un atout pour l’éducation des petits et les rend supérieures aux hommes pour la même fonction. En France et en Italie, les écoles maternelles (salas de asilo) ont été confiées uniquement à des femmes. Aux Etats-Unis, ce sont les femmes qui s’occupent de la majorité des écoles. Elles ont même été admises à l’enseignement dans les écoles supérieures.
112En conclusion : l’enseignement doit être confié aux femmes. « Si l’on excepte les peuples espagnols, ajoute-t-il, dans tous les pays chrétiens, elles sont suffisamment préparées pour remplir ces fonctions ».
113En compagnie de Marie Mann, la femme de l’éducateur Horace Mann, Sarmiento a visité l’Ecole Normale d’institutrices de Newton-Est, près de Boston. Il est enchanté de sa visite. Quelle différence entre le programme en vigueur dans cet établissement et celui qu’il n’a pu appliquer qu’à moitié dans son Ecole Normale de Santiago ! Ces jeunes filles apprennent de tout : arithmétique, algèbre, géographie, géométrie, mécanique, physique, anatomie, physiologie, jardinage, dessin. Ce n’est pas sans mélancolie qu’il reconnaît que ce genre d’enseignement ne saurait être pratiqué au Chili, faute de personnel.
114Toutefois, il ne renonce pas pour autant à son idée. On pourrait faire appel aux femmes des instituteurs, ou bien aux institutrices des écoles privées, qui accepteraient volontiers de travailler pour l’Etat, si celui-ci leur assurait une situation supérieure à celle qui est leur lot. En outre, il y a, à Santiago, une maison de charité, l’Asilo del Salvador, qui est en train de péricliter. Pourquoi ne demanderait-on pas à son personnel, entièrement féminin, d’enseigner dans les écoles maternelles et primaires ? Ces femmes et celles qui végètent dans les écoles particulières pourraient constituer le premier contingent pour la création d’une Ecole Normale d’institutrices.
115Fidèle au principe d’Aimé Martin, il pense que l’éducation du genre humain doit être faite par les femmes. Mais il ne perd pas pour autant son sens pratique. Les futures institutrices devront recevoir un enseignement manuel. Elles apprendront à fabriquer des filets pour l’industrie de la soie, à jardiner, à confectionner des fleurs artificielles, à tricoter, de sorte qu’elles soient capables de préparer leurs élèves à des travaux dont elles puissent vivre.
116A toutes fins utiles, dans son rapport, Sarmiento rappelle le programme du Collège de San Juan qu’il a dirigé, et commente la méthode d’enseignement de Lévi Alvarez, qu’il a connu personnellement à Paris.
117Pour que son plan d’enseignement soit complet, il propose la nomination d’inspectrices qui seraient recrutées dans la classe cultivée et aisée, comme cela se fait en France, et comme cela s’est fait à Buenos Aires du temps de Rivadavia.
118Sarmiento n’a pas préché dans le désert pour l’excellente raison que, dès l’aube de l’indépendance, on a songé en Amérique à l’éducation féminine. Mais ni José Miguel Carrera, qui voulait créer des classes d’enseignement primaire dans les couvents, ni Juan Egaña, qui pensait ajouter à l’Instituto Nacional une annexe pour l’éducation des jeunes filles, n’ont vu leurs désirs réalisés767.
119Il faut attendre le 1er mai 1828 pour assister, à Santiago, à l’ouverture d’un Collège de jeunes filles. L’initiative de cette création revient à une Française, Fanny Delauneux, la femme de José J. de Mora. Ce Collège fonctionne à l’Evêché. On y enseigne la religion et la morale chrétiennes, la lecture, l’écriture anglaise, la grammaire et l’orthographe, la géométrie descriptive, le clavecin et le chant. Ce programme inoffensif excite pourtant l’indignation de certaines personnes. Barros Arana cite le cas d’un confesseur qui refuse l’absolution à une jeune fille, parce que celle-ci apprend le français dans ce Collège768. Pour pallier l’effet d’un enseignement aussi révolutionnaire — Mora avait des activités libérales — on fonde un Collège rival, qui ouvre ses portes le 1er septembre 1828. On y enseigne les mêmes matières que dans l’établissement de Mme Mora, moins les langues étrangères, la géographie et le clavecin.
120Mais, une fois consommée la défaite du parti libéral, Mora est expulsé avec sa femme. Le Collège de Mme Mora ferme ses portes ; et le Collège concurrent, qui ne devait son existence qu’à une intrigue politique, en fait autant.
121Au cours des dix années suivantes, l’éducation féminine progresse peu au Chili. Toutefois, les supérieures des couvents, qui se montraient peu pressées de fonder des Collèges gratuits, acceptent d’ouvrir des maisons payantes. Les religieuses des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie ouvrent un Collège en 1838 et mettent à la mode l’enseignement de la langue française. L’article que Sarmiento public à leur propos, dans le Progreso du 16 février 1843, laisse supposer que ces religieuses ont du succès, puisqu’il leur reproche d’avoir trop d’élèves, ce qui nuit forcément, selon lui, à la morale de celles-ci. C’est tout ce qu’il peut dire contre elles, bien qu’il estime, sans donner ses raisons, l’enseignement donné par des laïcs bien supérieur à celui que donnent les religieuses. Il reconnaît toutefois que les pères de famille ont tendance à envoyer leurs filles chez celles-ci plutôt que chez ceux-là769.
122En fait, entre 1840 et 1890, ce sont surtout les religieuses qui assurent l’enseignement au Chili.
123Sarmiento a fait l’éloge des Collèges dirigés par Mme Mayo et les sœurs Cabezón. Ce sont à peu près les deux seuls établissements laïcs d’éducation féminine qui existent à Santiago.
124Par ailleurs, très peu de personnes s’intéressent à l’éducation des femmes, semble-t-il. Le livre d’Aimé Martin est très vivement combattu par la Revista católica770. Dans la séance de la Faculté du 1er juin 1846, Minvielle soumet au verdict de ses collègues un Libro de las Madres i de las Preceptoras, qu’il a traduit (probablement du français) et adapté aux besoins du pays. La Faculté, malgré l’avis favorable du rapporteur, n’ose pas approuver le manuel sans consulter la Faculté de Théologie. Ce n’est qu’après avoir reçu l’approbation d’un ecclésiastique, par l’intermédiaire de la Revista católica, que la Faculté recommande le manuel et publie dans la presse le compte rendu que le rapporteur en a fait771.
125Mercedes Marin del Solar a laissé inédit un essai sur l’éducation féminine, dont M. L. Amunátegui a publié un fragment dans le livre qu’il a consacré à cette poétesse772.
126En somme, c’est Sarmiento qui fait le plus pour gagner les esprits à la cause de l’éducation féminine. Il est donc juste que l’éducatrice Amanda Labarca reconnaisse son influence dans la création officielle, le 2 juin 1853, de l’Ecole Normale de Femmes, dont la direction fut confiée aux religieuses du Sacré-Cœur de Jésus. Le programme de Sarmiento y est bien écourté. On n’y enseigne que : lecture, écriture, religion, histoire sacrée, histoire de l’Eglise, grammaire, arithmétique, couture et broderie. C’est un début.
127La première Ecole Normale d’institutrices (Escuela Normal de Preceptoras) ne sera fondée qu’en 1871. Sa directrice, Mercedes Cervello, appliquera alors un plan d’études identique à celui que Sarmiento a proposé un peu plus de vingt ans auparavant.
IV. — Bilan d’une expérience
128Sarmiento a donc été un des plus ardents défenseurs de l’enseignement primaire, dont il a même voulu, sans succès, faire bénéficier les adultes illettrés, invités à suivre des cours du dimanche à l’Ecole Normale dirigée par lui773. Se rendant compte des difficultés dues au manque de locaux et de ressources, il a aussi étudié le moyen d’assurer cet enseignement avec le minimum de frais, proposant que la municipalité paye seulement les instituteurs et les directeurs, les autres charges incombant aux parents d’élèves774.
129Son voyage en Europe et aux Etats-Unis lui permet de faire le point.
130Manuel Montt remet à Sarmiento une lettre officielle, datée du 17 octobre 1845, pour Javier Rosales, chargé d’affaires du Chili à Paris. Par cette lettre, le Ministre de la Justice, du Culte et de l’Instruction Publique prie le diplomate de bien vouloir aider Sarmiento à accomplir sa mission, qui consiste à s’informer des méthodes d’enseignement pratiquées en Europe et aux Etats-Unis.
131Débarqué au Havre le 6 mai 1846, Sarmiento se rend à Paris. Le 18 du même mois, il est présenté à Guizot775 ; et, le 27, il obtient de l’Inspecteur Général de l’Université, Vice-Recteur de l’Academie de Paris, une lettre d’introduction auprès du Directeur de l’Ecole Normale primaire de Versailles, et des directeurs des écoles communales de la ville de Paris776.
132Après son inspection de l’Ecole de Versailles, il envoie un rapport à la Faculté de Santiago, puis continue à visiter les écoles parisiennes. Il passe ensuite en Espagne, où Gil de Zárate, alors Ministre de l’Instruction Publique, l’autorise à visiter les principaux établissements d’enseignement. A Gênes, il visite les maisons de fous, les établissements d’aveugles, de sourds-muets. Bien qu’il n’ait pas fait d’études particulières dans ce domaine, il pense que « ces spécialités doivent faire partie également d’un système général d’enseignement populaire »777. En Prusse, on lui réserve un accueil très cordial. Le Ministre de l’Instruction lui donne une lettre l’autorisant à visiter les écoles normales et les écoles publiques. Après avoir admiré l’enseignement hollandais, il retourne en France. Il se rend ensuite en Angleterre, où il constate avec surprise que l’Etat abandonne l’enseignement au Clergé. C’est dans ce pays qu’il apprend l’existence d’Horace Mann, qui, deux ans avant lui, a fait aussi une tournée dans l’ancien monde pour y voir de près les méthodes d’enseignement primaire, et a publié un Rapport d’un voyage éducationnel en Allemagne, en France, en Hollande et en Grande-Bretagne. Sarmiento décide d’aller voir l’auteur de ce compte rendu aux Etats-Unis et de confronter ses propres expériences avec les siennes. Une vive sympathie s’établit entre les deux éducateurs américains. Mann, secrétaire du Conseil d’Education de l’Etat du Massachusetts, introduit Sarmiento partout où celui-ci peut apprendre quelque chose d’intéressant et lui fait donner les six volumes qui contiennent toutes les œuvres publiées dans cet Etat sur l’enseignement.
133Réunissant tout le matériel récolté au cours de son voyage éducationnel, qui a duré un peu plus de deux ans, Sarmiento rédige un énorme rapport de plus de cinq cents pages, qu’il intitule De la educación popular. Il le présente à la Faculté de Santiago le 3 octobre 1848778. Le livre paraît l’année suivante.
134Les doctrines. — Sarmiento met dans ce livre tout ce qu’il a appris en fait d’enseignement. Il y établit les principes de l’éducation laïque, étudie les différents rouages d’une administration cohérente qui assurerait le bon fonctionnement de tout un ensemble, qui embrasse depuis les écoles maternelles jusqu’à l’inspection. Il donne aussi son avis sur les méthodes d’enseignement en usage dans les pays traversés et indique celles qu’il a lui-même appliquées.
135Son livre ne se justifierait pas à ses yeux s’il ne commençait pas par prouver que le sujet traité est d’actualité779. Il lui faut aussi le situer dans l’histoire : « Le lent progrès des sociétés humaines a créé dernièrement une institution inconnue des siècles passés. L’instruction publique… est une institution purement moderne ». Or, les événements ont hâté les choses, de sorte que la société a reconnu des droits politiques au citoyen avant que celui-ci soit apte à participer au gouvernement de son pays.
136La loi, dit en substance Sarmiento, n’ose pas subordonner l’usage du droit de chacun à sa capacité de l’exercer en connaissance de cause780. C’est la conséquence de l’égalité entre les citoyens. Tout gouvernement a donc « l’obligation d’éduquer les générations à venir ». Réciproquement « la société en masse est vitalement intéressée à s’assurer que tous les individus qui constitueront la nation, ont été suffisamment préparés, par l’éducation qu’ils ont reçue dans leur enfance, aux fonctions sociales qu’ils seront appelés à remplir »781.
137Ainsi donc, le gouvernement a le devoir de donner au citoyen la possibilité de participer activement à la marche de l’humanité qui, d’après la doctrine du progrès continu, s’améliore de jour en jour.
138Sarmiento a la plus haute conception de l’enseignement. La dignité de l’Etat, la gloire d’une nation, consistent, à son avis, dans la dignité des citoyens. Or, cette dignité, c’est l’éducation qui l’assure en élevant le caractère moral de l’homme, en développant son intelligence et ses facultés782. Avec la foi des convaincus, foi qui jaillit d’un cœur plein de bonté, avec une belle assurance que l’on voudrait prophétique, il décide : « Dorénavant, tous les grands événements du monde doivent être préparés par l’intelligence, et la grandeur des nations doit consister moins dans leurs forces matérielles que dans leurs forces intellectuelles et productives »783.
139Aussi, est-il regrettable que « tous les gouvernements américains aient eu tendance, dès le début de leur vie indépendante, à mettre toute leur force et leur éclat dans le nombre de leurs soldats ». Sans doute une armée est-elle nécessaire ; elle est moins indispensable, cependant, que l’instruction publique. Or, les pays engloutissent à peu près deux millions de pesos par an dans le budget militaire ; mais, interroge Sarmiento : « Combien dépense-t-on annuellement pour l’éducation publique qui doit discipliner le personnel de la nation, pour qu’il produise en ordre, en industrie et en richesse ce que jamais ne produiront les armées » ?
140A ce point de son raisonnement, Sarmiento est amené à prouver l’utilité pratique de cette éducation qu’il prône tant. D’après les statistiques qu’il a consultées aux Etats-Unis, un homme instruit produit plus efficacement qu’un ignorant. Tous les industriels sont d’accord sur ce point.
141Pour toutes ces raisons il faut donc que l’Etat s’occupe très sérieusement de l’éducation du peuple.
142Du budget de l’éducation publique. — Mais, par quel moyen l’Etat fera-t-il face à cette obligation ? Où trouvera-t-il l’argent qui lui sera nécessaire pour supporter les frais qu’un tel devoir comporte ?
143Sarmiento donne pour exemple le système prussien. Ce sont les parents riches qui payent pour tous les enfants : les leurs et ceux des familles pauvres. Tout est organisé par la municipalité, qui doit avoir un budget spécial pour l’éducation. La municipalité découpe sa circonscription en secteurs ; elle calcule les besoins de chacun de ces secteurs et fixe une somme à percevoir qui sera répartie entre les chefs des familles aisées, que ceux-ci envoient ou non leurs enfants à l’école publique. Mais, la somme à percevoir a été fixée en tenant compte des possibilités de chaque secteur. Le Département, la Province et l’Etat comblent le déficit, soit la différence entre le total des contributions des parents et les frais réels784.
144Tel est le système que Sarmiento veut appliquer au Chili, où, d’après lui, il devrait donner des résultats aussi bons qu’en Prusse. Il a en outre l’avantage de ne pas compliquer la tâche de l’Etat. Chaque municipalité ayant son autonomie, l’administration de l’instruction publique se trouve, par le fait, décentralisée.
145De l’inspection. — Toutefois, bien que, dans ce système, ce soient les conseillers municipaux et les chefs de familles qui assument la responsabilité du bon fonctionnement administratif, Sarmiento ne leur accorde pas voie au chapitre en matière d’enseignement. Les uns et les autres peuvent juger de la moralité de l’instituteur, de sa ponctualité ; ils ne sont pas compétents pour apprécier ses qualités professionnelles.
146Or « l’instruction primaire ne saurait progresser sans une inspection active »785. Sarmiento est formel sur ce point. D’où la nécessité de nommer un inspecteur qui possède toutes les qualités exigées par sa fonction.
147La question de l’inspection a toujours préoccupé Sarmiento. Dans un rapport du 4 janvier 1844, il demande que l’Ecole Normale soit mise sous la direction de l’Université. Il propose que celle-ci nomme des commissions dont les membres l’inspecteraient aussi souvent que possible. « L’inspection fréquente des établissements d’éducation, écrit-il, est le moyen le plus efficace de stimuler tant les efforts des élèves que le zèle du personnel enseignant »786. La même année, il déplore que l’Université, trop timide à son gré, n’ait nommé que deux inspecteurs, dont la seule fonction a consisté à rendre compte de la moralité des maîtres. Selon lui, une pareille mesure n’a aucun sens787.
148Il était délicat de régler cette question, car, au Chili, on pouvait enseigner sans posséder aucun titre universitaire ou d’aucune sorte. Par conséquent, l’inspection était pratiquement inopérante.
149Pourtant, argumente Sarmiento, l’intervention de l’Université dans les établissements scolaires aurait des avantages appréciables, surtout si l’on pouvait utiliser les mêmes inspecteurs pour l’enseignement de l’Etat et l’enseignement privé. De la sorte on pourrait comparer les résultats obtenus par les différents établissements et améliorer les méthodes. Après s’être un instant bercé d’illusions, Sarmiento rejette cette idée au nom de la liberté de l’enseignement, d’une importance aussi vitale, selon lui, que la liberté de penser.
150Après son séjour en Europe et aux Etats-Unis, il retourne au Chili avec des idées précises en fait d’inspection. Son expérience lui a confirmé le rôle extrêmement important de l’inspecteur. D’où la nécessité d’un choix exigeant. La meilleure garantie est que l’inspecteur soit recruté parmi les instituteurs. Pour ses attributions et ses tâches, Sarmiento traduit la circulaire du 13 août 1835, adressée par Guizot, alors Ministre de l’Instruction Publique, à tous les inspecteurs de l’enseignement primaire788.
151Il revient encore sur ce sujet en 1853 et, désenchanté, avoue qu’une inspection est peu efficace dans un pays qui manque d’écoles, où l’enseignement est souvent donné dans des locaux insalubres, où il est impossible d’imposer la scolarité obligatoire789.
152Des Ecoles Normales. — Selon Sarmiento, on ne saurait organiser l’enseignement public sans écoles normales. Il a visité l’Ecole Normale de Versailles et la propose comme modèle. Il a été subjugué par la distribution des édifices, la discipline intelligemment établie, l’organisation des programmes, qui font une place à l’enseignement de la musique et du chant, l’existence d’une bibliothèque.
153En dehors des programmes, applicables au Chili, il a retenu deux principes.
154D’abord, cette Ecole ne se trouve pas dans la capitale. Justement, un des plus graves inconvénients de l’Ecole Normale qu’il a dirigée à Santiago, était que, située dans la capitale, elle n’empêchait pas les élèves venus de province de succomber aux tentations de la ville. Il était très difficile de surveiller la conduite des externes et d’obtenir qu’ils fussent assidus.
155Sarmiento est tout à fait partisan de l’internat obligatoire, qui crée, selon lui, l’ambiance la plus favorable à l’étude, sans autres distractions que celles qui sont dûment dirigées.
156Il a retenu un autre détail : l’humilité de la vie que mènent les élèves. La plupart des jeunes gens formés dans cette Ecole enseigneront dans des villages ; on les habitue donc à une vie simple. Vêtus de la blouse du pauvre, ils apprennent à ne pas tirer vanité de leur éducation, et acquièrent, s’ils ne l’ont déjà, le sens de l’égalité. Ce n’est pas sans émotion que Sarmiento trouve appliqué dans cette Ecole le principe démocratique imposé par lui dans le Collège de jeunes filles de San Juan.
157Après avoir souhaité qu’on introduise à l’Ecole Normale l’enseignement du français, afin que les élèves puissent consulter les nombreux livres pédagogiques écrits dans cette langue, Sarmiento complète son compte rendu par une série de questions qu’il a posées aux élèves de Versailles, avec les réponses, puis il recopie les règlements de cette Ecole, ses programmes et son emploi du temps790.
158Des locaux scolaires. — Avec son sens pratique habituel, Sarmiento estime qu’il n’est pas possible de donner une éducation convenable si l’on ne dispose pas « d’un local approprié, d’un matériel complet, de maîtres compétents, d’un système général d’enseignement, de méthodes particulières à chaque branche d’instruction »791.
159Il a étudié les plans des édifices scolaires en France, en Angleterre et aux Etats-Unis. Mais il ne propose pas d’appliquer ces plans à la construction de maisons d’enseignement en Amérique, car, dans ce continent, les architectes prévoient habituellement des habitats d’un seul étage ; et il n’y a aucune raison valable pour modifier cette habitude. Ce qui importe, c’est que le volume des salles de classe soit proportionné au nombre d’élèves, suivant un rapport qu’il a étudié : 38 pieds de long, 25 de large et 10 de haut pour une pièce destinée à contenir 56 élèves. Tout doit être calculé pour que le local facilite l’enseignement ; et qu’il permette, en outre, aux élèves de s’y adonner à la gymnastique. Par conséquent, on choisira un emplacement dégagé qui puisse contenir l’édifice scolaire et un espace libre planté d’arbres. Sarmiento recopie soigneusement des rapports médicaux qui prouvent la nécessité d’une bonne ventilation des pièces où travaillent les enfants. Toute une page est consacrée aux méfaits du gaz carbonique produit par la respiration.
160Sarmiento a prévu jusqu’au moyen de chauffage. Etant donné que l’air chaud monte, on mettra un poêle de brique sous le sol de l’établissement ; ou bien on construira une cheminée avec un tuyau apparent qui traversera toute la classe avant de conduire la fumée à l’extérieur.
161Il faudra aussi prendre soin d’orienter l’école dans l’axe nord-sud, de telle sorte que la porte d’entrée donne au nord, donc vers le soleil dans l’hémisphère austral. Le maître aura sa place le long du mur donnant au sud, où l’on ne mettra ni porte ni fenêtre. Les ouvertures seront pratiquées vers le levant et le couchant ; ainsi la lumière naturelle éclairera les enfants de côté ; ils ne seront donc jamais gênés par l’ombre de leur buste projetée sur la table.
162En somme, les écoles doivent être construites de sorte qu’en agissant quotidiennement sur l’esprit de l’enfant « elles éduquent son goût, son physique et ses inclinations ».
163L’enfant doit être à l’aise pour travailler. On lui donnera des bancs à dossier, assez larges pour qu’il puisse s’asseoir commodément. Ici, Sarmiento recopie les instructions d’un certain Woodward, concernant la forme et les dimensions qu’il convient de donner aux bancs.
164L’usage du tableau noir est déclaré indispensable par Sarmiento, qui regrette que les instituteurs chiliens ne s’en servent pas suffisamment.
165Il est encore un objet qui doit avoir sa place dans une classe : la pendule, qui inculque aux enfants le sens de l’exactitude.
166Bref, Sarmiento ne néglige aucun des mille et un détails qui peuvent faire de l’école un lieu agréable et sain, où le maître puisse développer l’intelligence de l’enfant dans les meilleures conditions.
167Il aimerait aussi qu’il y eût au Chili des crèches et des écoles maternelles comme celles qu’il a vues en France, où elles venaient d’être adoptées par Cochin. Emu au spectacle de ce qu’il a vu dans l’une d’elles, il conseille vivement aux Chiliens d’en créer de semblables.
168Ces écoles sont très utiles, dit-il, car elles assurent la transition entre l’éducation familiale et l’instruction que l’enfant recevra à l’école publique.
169En outre, elles ont, pour les parents, des avantages qui ne sont pas à dédaigner. Les pauvres, n’ayant pas à se soucier de leurs enfants pendant une partie de la journée, travailleront plus librement. Les riches comprendront qu’au lieu d’abandonner les petits à l’influence des domestiques, il vaut mieux les confier à des maîtres qui les éduquent moralement et physiquement.
170A titre d’indication, Sarmiento traduit les règlements et les programmes en vigueur dans les écoles maternelles françaises792.
171Des systèmes. — Au cours de ses visites éducationnelles, il a vu pratiquer le système mutuel, dit de Lancaster, en Angleterre et en France ; et le système simultané, en Allemagne, en Prusse et en Hollande. Il ne sait auquel donner la préférence, bien qu’il avoue sa sympathie pour le second, qui fut en usage à l’école de San Juan, où il apprit à lire et à écrire. Aussi ne veut-il imposer ni l’un ni l’autre et conseille-t-il aux maîtres de choisir celui qui leur convient le mieux, suivant les moyens dont ils disposent793. Lui-même, quand il enseignait au Liceo, avec Vicente Fidel López, a appliqué le système simultané pour l’écriture et la lecture, mais le système mutuel pour la grammaire, l’arithmétique, le catéchisme, le français794.
172Il expose différentes méthodes sans s’attarder à les commenter. Mais il s’étend un peu plus sur l’enseignement par la lectura, du mot anglais lecture, qui est la conférence. Pour lui, la conférence publique parachève l’éducation populaire. Elle a été pratiquée avec succès en Angleterre et aux Etats-Unis. Ce système avait d’ailleurs été introduit au Chili où, quatre ans avant le moment où Sarmiento écrit, des jeunes gens avaient organisé une tribune à l’occasion de la fête nationale et harangué la foule795.
173Voilà un système qui pourrait être généralisé pour instruire ceux qui n’ont pas fréquenté l’école publique, suggère Sarmiento. Tous les moyens sont bons pour transmettre le savoir et cultiver les intelligences.
174Sarmiento s’excuse de s’abandonner « à des rêves de perfection » irréalisables en Amérique. Mais ceux qui se laissent bercer par de telles chimères méritent l’indulgence, dit-il.
175Le découragement l’a pris parfois dans son dur labeur pour donner du prestige à l’enseignement primaire. « Notre incapacité est telle qu’après avoir voué toute ma vie à l’étude de l’enseignement primaire, seul moyen d’améliorer nos pays, je commence à douter de son efficacité », écrit-il au général Ballivian le 15 avril 1849, un jour de désarroi moral. Il y a tant à faire, tant de mauvaise volonté à vaincre, tant de problèmes pratiques à résoudre : manque de maîtres, de livres, d’établissements ! Mais il a un beau sursaut d’énergie qui le peint tout entier, plein de foi dans sa mission : « Et pourtant, il faut persévérer »796.
***
176Ainsi, Sarmiento a parcouru toute la gamme des établissements scolaires publics, depuis les crèches d’enfants jusqu’aux écoles normales d’instituteurs, en donnant pour chacun un projet d’organisation. Il rêve même de la création d’une Ecole des Arts et Métiers, où l’adolescent pourrait recevoir, au sortir de l’école publique, un enseignement qui le rendrait apte à obtenir une situation lucrative797.
177Toute son étude a été placée sous le double signe du progrès et de la dignité de l’homme. Il ne saurait l’oublier dans sa conclusion.
178Selon lui, l’enseignement a pour mission de former le citoyen, qui continuera son éducation par le contact avec les autres hommes et poursuivra ainsi jusqu’à la mort son apprentissage de la vie. Pour Sarmiento, c’est cet apprentissage qui constitue la civilisation de l’homme. Et l’homme civilisé est celui qui ne voue pas un culte exclusif aux idées reçues, dont les mœurs, la morale, les aspirations sont intelligemment gouvernées par la conscience de l’amélioration constante de l’humanité798.
179D’après Manuel Antonio Ponce, on n’avait jamais écrit, en langue espagnole, un ouvrage aussi important que celui de Sarmiento, sur un pareil sujet799.
180Quand il écrit ses Souvenirs de province, Sarmiento considère cette étude pédagogique avec un amour particulier. « Ce livre est celui que j’apprécie le plus », dit-il800. Il est fier de reproduire l’éloge qu’on lui en a fait : « Votre livre ne témoigne pas seulement de recherches sérieuses et d’études faites avec conscience, il révèle aussi l’âme d’un penseur honnête et le cœur d’un bon citoyen801.
181Bello, dans une lettre du 26 avril 1847, accuse réception à Sarmiento de son premier rapport sur sa tournée pédagogique et le félicite. Le rapport arrive au moment où la Faculté prépare un projet d’études et un règlement pour l’Ecole Normale. Les renseignements fournis par le voyageur viennent à point. « Pour votre satisfaction personnelle, ajoute Bello, je vous dirai que vos idées ayant été adoptées par Monsieur le Ministre de l’Instruction Publique, l’Ecole Normale a été placée à Yungay (à quelque distance de Santiago) et qu’elle est régie par le système de l’internat802. »
182A la fin de son livre, Sarmiento reproduit un projet de loi sur l’instruction publique, que Montt a rédigé en s’inspirant de l’étude en question, et présenté aux Chambres en 1849803. Ce projet ne fut d’ailleurs pas accepté. Le moment n’était pas encore venu où les théories sur l’enseignement public pouvaient être mises en pratique. D’après Μ. A. Ponce, les idées de Sarmiento n’exercèrent pas beaucoup d’influence au Chili. Il le regrette, car, opine-t-il, si elles avaient été appliquées, l’enseignement dans ce pays aurait été plus digne de ce nom qu’il ne l’était vers 1890, c’est-à-dire quand Μ. A. Ponce écrivait. Pourtant, la faute n’en revient ni à Sarmiento ni aux autres éducateurs. Le 6 août 1852, le gouvernement crée la revue mensuelle El Monitor de las Escuelas, dont il confie la rédaction à Sarmiento, aidé de son ancien élève José Bernardo Suarez, devenu inspecteur général des écoles804. Le 12 juillet 1853, un décret offre un prix de mille pesos à l’auteur qui écrira le meilleur ouvrage sur l’instruction primaire805. Le prix est remporté par les frères Miguel Luis et Gregorio Amunátegui, pour leur étude La Instrucción Primaria en Chile ; lo que es, lo que debiera ser. Sarmiento vient en deuxième place, avec son Educación común, livre publié en 1856806. Le 20 juillet 1856, une Société de l’Instruction Primaire est créée à Santiago, et d’autres sociétés similaires sont fondées dans le pays. En 1857, Montt patronne un troisième projet — Lastarria en avait présenté un en 1843 — qui n’est pas plus accepté que les précédents807.
183Enfin, les efforts des uns et des autres sont récompensés par la loi organique de 1860, qui applique certains points proposés par Sarmiento une douzaine d’années auparavant : enseignement gratuit, création d’écoles de jeunes filles et de garçons, nomination d’inspecteurs de province, ouverture d’écoles normales. Cette loi ne retient pas la décentralisation préconisée par Sarmiento : les fonds destinés aux écoles devaient être prélevés sur le trésor public ; les municipalités n’intervenaient que pour subventionner l’enseignement. En fait les écoles municipales étaient remplacées par des écoles nationales.
184Dans son pays, Sarmiento ne fut appelé à exercer une influence sur l’enseignement qu’à partir de 1856, lors de la création du Département Général des Ecoles, à la tête duquel il resta six ans.
Notes de bas de page
670 Sarmiento rappelle plusieurs fois ce passage de sa vie dans ses Recuerdos de provincia (III, 171), Guerra civil (XLIX, 24), une lettre du 2 janvier 1872 (LI, 178), Ambas Américas (XXIX, 392).
671 La Bolsa, 15 janv. 1841.
672 Amanda Labarca H., op. cit., 105.
673 José Salvador Campobassi, op. cit., 119-122.
674 Id., op. cit., 125.
675 Id., op. cit., 126.
676 Id., op. cit., 131-147. En 1842, par exemple, l’Assemblée législative de San Luis décrète purement et simplement la suppression de l’école primaire.
677 Antonino Salvadores, op. cit., 254.
678 Barros Arana, Un decenio de la Historia de Chile, in Obras completas, t. XIV, pp. 259 260, cité par Amunátegui Solar, La Democracia en Chile, op. cit., 87.
679 A. Labarca, op. cit., 113.
680 R. Donoso, Sarmiento director de la Escuela Normal, op. cit., 14.
681 Ibid., 16.
682 L’ouverture s’est faite sans cérémonie (Mercurio, 18 juin, IV, 268).
683 R. Donoso, Sarmiento director de la Escuela Normal, op. cit., 23, 25, 26, 28.
684 Ibid, 189.
685 Memoria del Ministro de Instructión Pública don Miguel Luis Amunátegui en el año 1877, p. 13 ; cité par D. Amunátegui Solar, La Democracia en Chile, op. cit., 88.
686 El sistema de Lancaster en Chile, op. cit., 90.
687 Dans une note du 23 décembre 1833, un Conseil d’éducation, dont Bello fait partie, s’élève contre le système de Lancaster (D. Amunátegui Solar, El sistema de Lancaster en Chile…, op. cit., 197-198).
688 « Para generalizar y uniformar a un mismo tiempo la instrucción nada más obvio y eficaz que la creación de escuelas que formen a los profesores. » Passage cité par E. Orrego Vicuña, Andrés Bello, op. cit., note 13, p. 279.
689 « Hé aquí, pues, una de aquellas medidas trascendentales, llamada a obrar un cambio radical e importante en el bienestar del pueblo, i de un porvenir seguro i feliz. Sin ella, sedan por lo menos insuficientes todas las demás que se tomasen para la difusión de la enseñanza primaria, porque faltaría siempre el primer elemento, que consiste, sin duda, en la adquisición de buenos i honrados maestros. » Passage cité par Μ. A. Ponce, Sarmiento i sus doctrinas pedagójicas, op. cit., 48.
690 A. Labarca op. cit., 107.
691 Mercurio, 17 mars 1842.
692 Mercurio, 18 mars 1842.
693 Mercurio, 22 mars 1842.
694 Ibid.
695 Mercurio, 23 mars 1842.
696 Lettre au Ministre, 1er juillet, R. Donoso, Sarmiento Director de la Escuela la Normal, op. cit., 31.
697 Lettre au Ministre, 1er août, ibid., 35.
698 Lettre au Ministre, 1er oct., ibid., 48.
699 Lettre au Ministre, 3 janv. 1843, ibid., 67.
700 Ibid., 70.
701 Lettre au Ministre, 3 mai 1843, ibid., 72.
702 Lettre au Ministre, 3 juill. 1844, ibid., 136.
703 Ibid., 168.
704 Mercurio, 22 mars 1842, IV, 257.
705 Rapport de fin d’année, 1844, op. cit., 100.
706 Mercurio, 18 juin 1841, IV, 226.
707 Ibid.
708 Análisis de las cartillas, silabarios y otros métodos de lectura, conocidos y practicados en Chile, por el Director de la Escuela Normal ; O bras, XXVIII.
709 Μ. A. Ponce, Prologue au t. XXVIII des Obras, p. 7.
710 Progreso, 21 févr. 1845. Dans cet article Sarmiento rend compte d’un livre de lecture intitulé Juanito, de l’Italien L. A. Paravicini, traduit en espagnol par Mariano Torrente.
711 Donoso, op. cit., 63.
712 Ibid., 64.
713 La lettre par laquelle Sarmiento annonce au sécrétaire de la Faculté l’envoi de son manuscrit a été reproduite le 17 mai dans la Gaceta de los Tribunales y de la Instrucción Pública et, le 30, dans El Progreso, et recopiée par C. Stuardo, op. cit., 35.
Avant ce Silabario, un autre, également de Sarmiento, avait été publié aux frais du gouvernement, en 1842. Sarmiento en annonce l’envoi à Montt par une lettre sans date publiée par R. Donoso (Sarmiento Director de la Escuela Normal) et par C. Stuardo (op. cit., 34) ; un compte rendu de ce manuel « imprimé par le gouvernement » est publié dans El Progreso du 10 décembre 1842, qui en donne un résumé. Le compte rendu est reproduit dans l’ouvrage de C. Stuardo (op. cit., 34). Mais on a perdu la trace de ce premier livre de lecture composé par Sarmiento (ibid., note 2, p. 4).
714 A. Guirao Massif, op. cit.
715 Reproduit dans El Progreso du 30 mai, et par C. Stuardo, op. cit., 39.
716 C. Stuardo (op. cit., 5) suppose que le manuel de Sarmiento a été publié peu de temps avant le compte rendu du 30 mai, dans El Progreso ; il semble oublier que ce compte rendu a été publié auparavant, le 17 mai, comme il l’indique lui-même à la p. 39 de son ouvrage, et qu’il porte la date du 14 mai. D’ailleurs, ce compte rendu est intitulé Informe ; c’est donc le rapport que Minvielle a remis à la Faculté, et dont les membres du Conseil ont pris connaissance le 2 avril, comme il appert des procès-verbaux des séances.
717 XXVIII, 81.
718 C. Stuardo, op. cit., 5. Le décret est reproduit à la page 47. Il a été tiré des centaines de milliers d’exemplaires de cet ouvrage. Une édition de 1876, faite à Santiago, comporte à elle seule 91.740 exemplaires. Le plus faible tirage est de 3.000 (Belin y Ca, Santiago, 1849). Deux éditions ont été faites en France, l’une au Havre, en 1871 (47.688 exemplaires), l’autre à Braine-le-Comte, en 1882 ( ?). Stuardo ne mentionne pas l’édition officielle faite par le gouvernement chilien, imprimée à Boston par Hobart and Robbins (El Monitor, 1853, XXVIII, 76).
719 Μ. A. Ponce, Prologue au t. XXVIII, p. 24.
720 R. Donoso, op. cit., 101.
721 Ibid.
722 Μ. A. Ponce, Prologue au t. XXVIII, p. 10.
723 R. Donoso, op. cit., 65.
724 XXVIII, 134.
725 Progreso, 26 avr. 1844.
726 A. Guirao Massif, op. cit., 108.
727 Cette traduction fut plagiée par un certain Angel Terradillas, qui la publia en Espagne, en 1880, sous le titre suivant : Evangelio para los niños. Comme cette traduction fut approuvée par les autorités ecclésiastiques de Madrid, Sarmiento demanda à l’évêque de Cuyo, par la lettre du 2 juin 1884 (XXVIII, 146) d’approuver la sienne. Il obtint cette approbation le 16 juin, par une lettre de Fray José Wenceslao, évêque de Cuyo (XXVIII, 147). Sous le titre de l’édition de 1943, qui est celle que nous avons consultée, figure la mention : « con licencia eclesiástica. »
728 Mercurio, 5 mars 1841 ; IV, 223. Ce manuel d’arithmétique, traduit par Jerónimo Urmeneta, ne fut soumis à l’approbation de la Faculté que le 4 septembre 1849. La Faculté chargea Sarmiento et le Directeur de l’Ecole Normale d’alors de lui remettre un rapport sur ce manuel. Finalement, celui-ci fut refusé, car « il était trop étendu pour être adopté dans les écoles primaires et trop rudimentaire pour servir de livre de texte dans l’enseignement normal des instituteurs ». A. Guirao Massif op. cit., 160 à 165.
729 R. Donoso, Sarmiento Director de la Escuela Normal, op. cit.
730 Progreso, 23 févr. 1843.
731 R. Donoso, op. cit., 171.
732 Ibid., 104.
733 Ibid.
734 Ibid. 105.
735 Progreso, 31 mai, 1, 4, 11, 13, 14 juin 1844.
736 R. Donoso, op. cit., 171.
737 Ibid., 66.
738 Ibid., 103.
739 Progreso, 16 avr. 1844. C’était le manuel de Bouillon, Eléments de dessin linéaire, publié en traduction par le gouvernement chilien, qui servait de manuel pour cette matière.
740 Il cite l’Histoire Ancienne, de Fleury, dans son rapport du 1er mai 1844 (R. Donoso, op. cit., 131). Ce manuel avait été traduit sous le titre suivant : Curso completo de historia referida a los niños y a las niñitas por Lami-Fleury. Il se compose de 18 parties, dont quatre furent traduites au Chili : Historia Antigua, par Villafañe ; Historia Griega et Historia Romana, par Fernando Bielsa ; Historia Santa (Μ. A. Ponce, Prologue au t. XXVIII, p. 16).
741 Mercurio, 22 mars 1842, Progreso, 10 avr. 1843.
742 Sarmiento traduisit du français un Cours d’histoire romaine et un Manuel d’histoire, de Lévi-Alvarez, dont il donne l’analyse dans son introduction (XXVIII, 136) et qui fut accepté par la Faculté, au cours de la séance du 13 août 1850, pour les collèges de province (A. Guirao Massif, op. cit., 164). En 1845, Vicente Fidel López publie une Histoire du Chili, qui fut acceptée par la Faculté pour les collèges et les instituts nationaux, le 17 mai 1845 (Ibid., 121).
En outre Sarmiento a traduit Pourquoi ou la physique à la portée de tous, de Lévi-Alvarez (XXVIII, 130) ; il a vanté les bienfaits de l’éducation musicale (Mercurio, 16 déc. 1841) et il a consacré un article aux classes de grec et de chimie de l’Institut National (Progreso, 18 avril 1844, IV, 313).
743 Progreso, 8 févr. 1843.
744 Progreso, 23 déc. 1844.
745 Progreso, 20 avr. 1844.
746 Progreso, 25 avr. 1844.
747 Mercurio, 9 mars 1842.
748 Mercurio, 8 août 1841.
749 Mercurio, 20 août 1841.
750 Articles sans date, XXVIII, 323, 324. Sarmiento fera aussi l’éloge des élèves de Mme Cabezón (Progreso, 24 janv. 1845, IV, 325).
751 « De la condition sociale des femmes au xixe siècle », Revue Encyclopédique, t. 56, p. 620. Mercurio, 20 août 1841.
752 Ibid.
753 Fin de la traduction du texte de Marie de G…
754 Laissant à d’autres le soin de traiter complètement le sujet qu’elle soumet aux méditations de ses lecteurs, Marie de G… propose le plan suivant : « d’abord une récapitulation et une analyse raisonnée des principaux ouvrages et des principales idées qui ont trait à cette importante question ; ensuite, un résumé historique de la condition des femmes dans les siècles passés, qui servirait à démontrer le perfectionnement graduel qui s’est opéré dans leur condition ; l’étude des perfectionnemens (sic) du passé laisserait conjecturer les perfectionnemens à venir ; enfin un tableau fidèle de la condition actuelle de la femme, sur lequel on marquerait les améliorations successives que peuvent apporter les efforts partiels des hommes, tout en concourant avec les vues générales de la Providence. » (op. cit., 599).
755 Mercurio, 22 août 1841. Cf. note précédente pour les mots soulignés.
756 Ibid. Exemples tirés de l’Histoire d’Amérique, de Robertson.
757 Ibid., Exemples tirés de Clapperton’s second journey (cité ainsi par Sarmiento).
758 Pour la condition de la femme en Orient, en Grèce et à Rome, Sarmiento suit le Dictionnaire de la conversation, article Femme.
759 Mercurio, 23 et 24 août 1841.
760 Cité par Aimé Martin, op. cit., 48.
761 Ces phrases se trouvent dans deux pages consécutives du livre d’Aimé Martin, op. cit., 48-49.
762 Op. cit.. 620. En tête de l’article sans date qu’il consacre aux examens du Collège de Mme Mayo (XXVIII, 322), Sarmiento a traduit une phrase de Marie de G… ayant trait à la vie de Mme Roland : « Son enfance partagée entre les affections tendres, les plaisirs naïfs et les études sérieuses, s’écoule joyeuse et paisible » (op. cit., 616).
763 Mercurio, 24 août 1841.
764 Dans le procès-verbal de la séance du 3 octobre 1848, à la Faculté, on lit ceci :
« … el Sor Sarmiento dió cuenta de una obra qe abia trabajado i estaba en disposicion de publicar referente a la organisacion de la instruccion primaria en los diferentes paises de Europa i América qe abia recorrido en su reciente viaje… leyó el concerniente al modo como esta organisada en dichos paises la renta qe provee a los gastos de la instruccion pública. Impuesta la facultad por esta muestra del caracter i mérito de la obra estimuló al Sor Sarmiento para qe la diese a luz ofreciéndole la cooperacion qe estaba a sus alcances. » (A. Guirao Massif, op. cit., 154).
765 XI, 121
766 A la fin de ce chapitre, Sarmiento reproduit plusieurs décrets signés Rivadavia, concernant ladite société, son règlement, ses statuts, la liste des dames qui en font partie, les rapports de la présidente.
767 Pour les détails de cet aperçu, cf. A. Labarca, op. cit.
768 Op. cit., 91.
769 IV, 277.
770 Cf au chapitre II, la partie intitulée « Du progrès et de la religion. »
771 A. Guirao Massif, op. cit., séances des 1er et 30 juin, 8 juillet 1846
772 Cf. A. Labarca, op. cit. 130.
773 Progreso, 25 oct. 1844.
774 Mercurio, 26 nov. 1842.
775 Dans son Diario de gastos (cf. Bibliographie) à la date du 18 mai, il écrit : « Une cravatte sic) blanche pour être présenté (sic) au Ministre Guizot… 4 fr. »
776 Sarmiento a publié, au début de son livre De la educación popular, une traduction de cette lettre, dont nous avons découvert l’original au Musée Sarmiento. En voici le texte
Académie de Paris | Université de Paris. |
L’Inspecteur Général de l’Université Vice-Recteur de l’Académie de Paris, prie M. le Directeur de l’Ecole Normale primaire de Versailles et MM. les Directeurs d’écoles primaires communales de la ville de Paris d’admettre à visiter leur école, M. Domingo Faustino Sarmiento, envoyé en France par le Gouvernement du Chili pour y étudier l’organisation de nos écoles normales et de nos écoles primaires.
Ils voudront bien donner à cet envoyé tous les renseignements nécessaires pour qu’il se rende compte des diverses méthodes d’enseignement en usage.
Rousselle
777 XI, 22.
778 A. Guirao Massif, op. cit., 153.
779 XI, 33.
780 « La ley no se atreve ya a poner por condición el (sans doute al) uso del derecho que pertenece al hombre, por nada más que ser persona racional y libre, la capacidad en que se halla de ejercerlo prudentemente » (XI, 34).
781 XI, 35.
782 Ibid.
783 Ibid., 39.
784 Ibid., 87. Sarmiento a complété le chapitre intitulé « De la renta », par quelques articles publiés dans la Tribuna, 13, 14, 15, 16 juin 1849.
785 XI, 91.
786 R. Donoso Sarmiento Director de la Escuela Normal, op. cit., 118-119.
787 Progreso, 16 juill. 1844.
788 XI, 103-120. Sarmiento commente encore les fonctions de l’inspecteur dans la Tribuna (IV, 345-347, 350).
789 Monitor, 15 janv. 1853, XXVIII, 216.
790 XI, 175-242.
791 XI, 289.
792 XI, 243-287.
793 XI, 323. Sarmiento expose les deux systèmes dans un article du Mercurio du 22 mars 1842.
794 Progreso, 25 avr. 1844.
795 XI, 426.
796 X, 268.
797 XI, 428.
798 « … sólo los pueblos bárbaros quedan al salir del hogar doméstico, irrevocablemente educados en costumbres, ideas, moral y aspiraciones » (XI, 428).
799 Op. cit., 85.
800 III, 227.
801 Ibid.
802 La lettre de Bello est reproduite en tête du t. XI, des Obras.
803 XI, 429.
804 Μ. A. Ponce, op. cit., 110.
805 D’après le décret, les auteurs devaient traiter les points suivants : 1°. Influence de l’instruction primaire sur les mœurs, la morale publique, l’industrie et le développement général de la prospérité nationale. 2° Organisation qu’il convient de lui donner en tenant compte des données du pays. 3° Système à adopter pour se procurer les fonds destinés à en assurer les frais.
Ces trois points correspondent aux trois points essentiels touchés par Sarmiento dans De la educación popular.
Par un décret postérieur à ce décret, recopié par Μ. A Ponce (op. cit., 135), la date de remise des monographies fut fixée au 1er mars 1855.
806 Ces monographies furent publiées aux frais du gouvernement, ainsi que les deux suivantes : Memoria sobre Instrucción Primaria, par Julio Jardel, et La Instrucción Primaria en Chile, par José A. Díaz Prado (Μ. A. Ponce, op. cit., 136, note I).
807 A. Labarca, op. cit., 140.
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