Chapitre VII. La complémentarité industrielle
p. 201-238
Texte intégral
1Les similitudes d’origine et de religion, de population et de langue ont déterminé, à l’intérieur des vingt républiques latino-américaines, des formes de vie analogues. Cette même communauté d’origine, qui a fait passer les peuples latino-américains d’une dépendance politique à une dépendance économique, a eu pour effet principal d’orienter les structures économiques vers la production des matières premières et des produits agricoles.
2De ce fait, les principales exportations des pays latino-américains, sont essentiellement constituées par des produits agricoles et minéraux destinés à être échangés contre les produits manufacturés du reste du monde.
3Bien que l’idée d’une intégration économique latino-américaine destinée à préparer le terrain d’une Union politique ait été accueillie avec enthousiasme par l’ensemble des pays membres de l’ALALC, la similitude des exportations — qui se traduit dans la pratique par un volume réduit du commerce inter-régional — constitue un sérieux obstacle à sa réalisation.
4Cependant, la normalisation des courants d’échange internationaux consécutifs à la période de l’après-guerre a déterminé des transformations considérables de l’économie latino-américaine dans son ensemble. Le phénomène structurel le plus remarquable a été le processus d’industrialisation. Si dans certains pays ce processus a pu être mené plus loin que dans d’autres, si les bases de départ ont été plus ou moins élevées selon le degré de développement économique relatif de chaque pays, on constate néanmoins qu’il se retrouve dans toutes les nations du continent.
5Les impulsions externes ont facilité l’augmentation de l’investissement interne et ont constitué un facteur important quant à la création des conditions favorables de la demande interne qui à son tour a fait bénéficier le développement industriel.
6L’augmentation croissante du revenu issue de l’activité industrielle en Amérique-Latine, peut être facilement mise en relief si l’on prend en considération que le produit brut total s’est accru de 38 % entre 1948 et 1955, tandis que l’accroissement du produit industriel a été estimé à 45 %. Entre 1955 et 1964, les augmentations respectives furent de 44 % et de 48 %.
7La production industrielle représente à l’heure actuelle environ 23 % du produit brut global et emploie près de 15 % de la population active.
8Les chiffres globaux de l’ensemble des pays de l’Amérique Latine dissimulent un grand nombre de différences significatives dont l’origine se trouve dans la diversité relative des structures économiques de chaque pays en particulier. Ainsi, la tendance générale des importations de chaque pays conditionne la composition de ces dernières.
9En général, les pays qui, grâce à l’augmentation de leurs exportations ont pu élever dans une plus grande proportion leurs importations, ou qui ne se sont pas encore vus contraints à restreindre l’achat de biens et de matériaux essentiels, ont pu transformer de manière plus favorable la composition de leur commerce d’exportation.
10Au moment où une intégration économique est envisagée, la production des pays associés, au lieu d’être complémentaire, se montre largement concurrentielle : café, viande ou minéraux sont des produits principaux d’exportation communs à la plupart des pays partenaires. Il est donc a craindre qu’avec l’accroissement des échanges inter-régionaux, l’Union projetée ne soit qu’un moyen d’accroître la concurrence potentielle entre des pays ayant des productions similaires.
11Mais le processus d’industrialisation dans lequel ces pays se trouvent engagés, permet d’envisager une complémentarité poussée, dans une nouvelle phase de développement industriel harmonisé.
12Si dans l’état actuel des choses la similitude constatée dans les produits d’exportation latino-américaine fait obstacle à un accroissement des échanges dû aux effets de complémentarité, l’évolution prévue dans la composition de ces produits pose le problème dans des termes différents. La substitution d’importations que chaque pays conçoit comme un problème national, peut être effectuée — dans des conditions meilleures d’ampleur et de flexibilité — à l’intérieur d’un groupement de pays de condition semblable. Le commerce prévu des produits industriels n’ayant pas encore fait l’objet d’échanges et dont la fabrication se trouve pour la plupart au stade initial, peut permettre d’atteindre une complémentarité conforme aux plans de développement des pays de l’ALALC et définie dans le sens de chaque catégorie de production.
I. — LES DIFFÉRENCES DE STRUCTURE ET DE CONSTITUTION DE PAYS A PAYS
13L’Amérique Latine constitue une région de civilisation commune, dans laquelle les similitudes naturelles et institutionnelles sont autant de facteurs puissants qui favorisent l’intégration de l’ensemble.
14L’homogénéité de sa population, dont les origines ethniques sont le résultat du croisement de trois races principales — indigène, ibérique et africaine — permet de considérer l’élément humain comme le facteur essentiel pour atteindre une intégration économique dont la réussite doit ouvrir la voie à une intégration politique.
15L’époque pré-colombienne connaît l’épanouissement de trois grandes civilisations : les mayas, dans le sud-est du Mexique et le nord de l’Amérique Centrale, les Incas, dans la région occidentale de l’Amérique du Sud (l’Equateur, le Pérou et la Bolivie actuels) et les Aztèques, dans les hauts-plateaux mexicains.
16Le passage de ces civilisations permet encore d’en retrouver les traces dans les pays qui furent le siège de leur puissance, et le souvenir d’un passé commun est la base de la solidarité fraternelle latino-américaine.
17Pendant l’époque coloniale, comme conséquence de l’insuffisance de main-d’œuvre indigène ou en raison de sa basse productivité, un grand nombre d’esclaves africains furent importés pour les lourds travaux. De ce fait trois types prédominants forment le noyau de la population latino-américaine : indigènes, métis et créoles. Cette dernière classification, dans la plupart des statistiques de population, comprend les noirs, les étrangers et les créoles proprement dits.
18En 1940, les métis composaient 29,5 % de la population totale, les créoles 57,1 % et le reste, 13,4 %, était représenté par des indigènes (tableau no 24). Cependant l’observation de renseignements statistiques plus récents, permet de constater un accroissement de la part relative des métis, spécialement dans le cas du Brésil et du Mexique. Il est probable que cette tendance continue de s’accroître avec le temps.
19Le créole, étranger résidant dans les pays latino-américains — souvent depuis plusieurs générations — est le type prédominant dans certains pays de la région : l’Argentine, le Brésil, Cuba, Costa-Rica et l’Uruguay.
20La Bolivie, l’Equateur, le Guatemala et le Pérou sont des pays à prédominance indigène.
21Le Chili, le Venezuela, le Mexique et les pays de l’Amérique Centrale se caractérisent pas un très fort pourcentage de métis. Outre l’influence ibérique et africaine, certains pays tels que l’Argentine, ont reçu dans le passé de très forts contingents d’immigrants italiens tandis que le Brésil et le Chili accusent une influence germanique prononcée.
22Cette diversité des courants ethniques n’empêche pas pour autant de parler d’une homogénéité de population si l’on entend par là des formes de vie et de pensée communes aux pays latino-américains. Ce fait se traduit par des institutions similaires qui règlent la vie politique de l’ensemble.
23Mais l’instabilité sociale et politique du continent provoquée par les inégalités dans la distribution des richesses, met constamment en danger l’ordre établi dans chaque pays.
24L’adoption prématurée par les jeunes républiques latino-américaines des idées libérales de la France, des Etats-Unis et de l’Espagne du xixe siècle, ne s’est pas traduite, en général, par des régimes démocratiques. Les déformations successives et les vices d’application des constitutions issues des mouvements réformistes postérieurs à l’indépendance, ont abouti dans bien des cas à l’installation pure et simple de dictatures, profitant de la misère et de l’ignorance des peuples au profit de puissantes minorités.
25La Révolution mexicaine du début du xxe siècle, malgré quelques échecs partiels de ses objectifs, a constitué le premier mouvement de réveil des masses populaires vers une réforme structurelle répondant aux aspirations profondes de justice sociale. Bien d’autres mouvements ont suivi cet exemple, mais la plupart d’entre eux, sous couvert de défendre un prétendu idéal démocratique, n’ont été en réalité qu’une lutte d’intérêts individuels.
26La Révolution Cubaine, conséquence d’une longue période d’iniquité et de banditisme remet une fois de plus en question, l’équilibre de tout le système panaméricain. Mais, l’extrémisme des réformes entreprises associé au progrès de la conscience civique des peuples latino-américains, rend le risque de déséquilibre du système, plus proche et plus menaçant. Les conditions misérables d’existence des couches les plus nombreuses de la population, l’exploitation systématique et les défauts d’application des lois de protection des travailleurs, l’insolence du luxe étalé par les privilégiés des régimes, sont autant de foyers de révolte.
27Si certains pays ont atteint une stabilité relative, succédant le plus souvent à une révolution populaire, des dictatures sanglantes, appuyées plus ou moins ouvertement par des puissances étrangères, prospèrent encore dans plusieurs républiques du Continent. Mais le mécontentement des masses et les changements intervenus dans les pays voisins, semblent devoir précipiter un processus de démocratisation réelle des régimes politiques.
28Les remous de la guerre froide, se faisant sentir jusqu’aux rivages du Continent, ont forcé les Etats-Unis à porter leur attention sur ces pays qui se plaignaient à juste titre d’être délaissés.
29« L’Alliance pour le Progrès » du Président Kennedy peut être le premier pas vers une solution satisfaisante des problèmes pressants des couches déshéritées de la population. Or, il est évident que la solution de ce problème ne peut être trouvée qu’au prix de réformes structurelles profondes et douloureuses pour des groupes d’intérêts privilégiés aussi bien nationaux qu’étrangers.
30Ceci semble être le point de vue des dirigeants américains, qui ont souligné que les Etats-Unis n’étaient disposés à prêter ou à donner des capitaux qu’aux seuls pays dont les classes dirigeantes se seraient montrées bien disposées à céder une partie de leurs richesses et de leurs privilèges. Le Président Kennedy, dans son message au congrès, déclara que les premiers pays qui bénéficieraient de l’aide accordée au titre de l’Alliance pour le Progrès ne doivent pas être ceux dont les nécessités sont les plus grandes, mais ceux dont les Gouvernements auraient prouvé leur détermination « d’introduire des réformes institutionnelles capables de produire des progrès sociaux durables ».
31Bien que le Président américain ait signalé la véritable cause des problèmes latino-américains, la première question qui vient à l’esprit est de savoir si le Gouvernement des Etats-Unis est prêt à accepter les conséquences logiques de leur conseil, lorsque celles-ci aboutiront d’une manière apparemment inévitable, à l’expropriation de certaines entreprises américaines. Si les Etats-Unis préconisent des changements structurels pour accélérer le processus de croissance en Amérique Latine, on ne peut douter de ce que l’esprit de cette Alliance se verra affecté lorsque ces changements atteindront certains intérêts. Or, si les Etats-Unis imposent des limites au « cubanisme » en déclarant qu’ils ne peuvent pas admettre les réformes accomplies dans les Caraïbes, il est extrêmement important qu’ils décident, par la même occasion, des réformes qu’ils sont prêts à accepter dans le reste des pays de l’Amérique Latine.
32En fait, le dernier bilan présenté par « l’Alliance pour le Progrès » et la Banque Inter-américaine de Développement, montre que leurs contributions au développement économique et social n’ont pas eu une importance considérable, ni dans leurs effets sur le progrès économique, ni dans leurs répercussions dans la conjoncture de tension politico-sociale qui prévaut presque dans la totalité des pays latino-américains.
33L’année 1963 est considérée une fois de plus, comme une période de crise pour l’économie latino-américaine. Bien que les renseignements statistiques disponibles soient encore très incomplets, il est possible d’affirmer que le produit par tête d’habitant n’a bénéficié dans son ensemble d’aucune amélioration substantielle au cours des années qui l’ont suivi.
34Malgré les chiffres impressionnants avancés par les économistes pour montrer l’ampleur du développement économique de tel ou tel pays, la misère qui se cache derrière la façade de prospérité des grandes cités est mise en évidence par le niveau très bas du produit par tête d’habitant. On constate que dans plusieurs pays — dont le Brésil — ce produit dépasse à peine le chiffre de deux cent dollars (tableau no 25).
Tableau No 25. Revenu national et Revenu par tête d’habitant
Pays | Année | Revenu national (Millions de dollars) | Revenu par tête d’habitant |
Amérique Latine | 1963 | 69.802 | 312 |
Argentine | 1964 | 14.173 | 663 |
Bolivie | 1963 | 451 | 125 |
Brésil | 1963 | 15.244 | 190 |
Colombie | 1963 | 3.948 | 262 |
Costa-Rica | 1962 | 400 | 313 |
Chili | 1964 | 4.566 | 538 |
Equateur | 1964 | 869 | 181 |
Le Salvador | 1963 | 639 | 235 |
Guatémala | 1963 | 1.034 | 250 |
Haïti | 1960 | 316 | 76 |
Honduras | 1964 | 402 | 192 |
Mexique | 1964 | 16.269 | 410 |
Nicaragua | 1963 | 443 | 287 |
Panama | 1962 | 427 | 373 |
Paraguay | 1962 | 302 | 167 |
Pérou | 1964 | 2.597 | 230 |
Rep. Dominicaine | 1963 | 628 | 182 |
Uruguay | 1963 | 1.205 | 474 |
Venezuela | 1964 | 5.889 | 699 |
35La lecture de ce tableau permet de constater en même temps les différences de revenu entre les nations qui composent l’ensemble de l’Amérique Latine, et met en relief les divers stades du développement économique d’une nation à l’autre. Ainsi, certains pays — dont le Venezuela, l’Uruguay, Cuba avant la révolution et Costa-Rica — se trouvent favorisés par les conditions exceptionnelles des prix atteints par leurs exportations de matières premières et produits agricoles, qui comptent principalement le pétrole, viande et laine, sucre et café. D’autres pays par contre, ont vu leur processus de croissance ralentir considérablement et dans bien des cas, rétrograder.
36L’évolution défavorable de la relation des termes de l’échange a accru la dépendance des économies latino-américaines vis-à-vis de l’extérieur, ce qui a déterminé une accélération de l’endettement externe de la Zone, et une augmentation de la vulnérabilité du secteur extérieur par rapport aux impulsions venant du dehors. Dans ces conditions, certains pays latino-américains traversent à l’heure actuelle une phase caractérisée de dépression, aggravée par l’application urgente de programmes de stabilisation qui, sans avoir réussi pour autant à éliminer les pressions inflationnistes, ont provoqué la stagnation d’importants secteurs de l’activité économique. La réduction progressive du volume des réserves de devises, conséquence du déséquilibre du commerce extérieur, fait que bon nombre des pays ne réussissent jusqu’ici à maintenir le taux de change de leurs monnaies qu’au moyen de prêts internationaux.
37Le sombre tableau offert par la situation économique de plusieurs nations latino-américaines, ne semble pas préoccuper outre mesure ; leurs dirigeants. Lors de l’élaboration des plans de développement à long terme, ceux-ci ont tendance à placer une confiance excessive dans l’aide extérieure pour atteindre les objectifs fixés. En effet, l’absence de dispositions raisonnables et énergiques de la politique interne est compensée par des appels à l’aide et à l’investissement en provenance de l’extérieur. Ainsi, l’expérience historique de l’Amérique Latine montre que les groupes au pouvoir n’ont pas hésité, en vue de satisfaire les exigences des classes privilégiées, à poursuivre la politique dangereuse qui a entraîné l’endettement de la nation. Cet état de choses n’empêche pas les Gouvernements d’exploiter systématiquement les perspectives de réformes structurelles indispensables au progrès économique des peuples latino-américains. Mais jusqu’à présent, dans la plupart des républiques, « les thèmes de réforme agraire et fiscale ont servi davantage les visées de type politique que les réalisations d’ordre pratique1 ». Ce que l’observateur distingue en cette matière c’est une insistance toujours renouvelée de la part des groupes dirigeants à accomplir ces réformes « avec toute la rigueur nécessaire ».
38Si dans les dernières années plusieurs réformes agraires ont été annoncées et ont même reçu un commencement d’exécution, leur échec a été dû — exception faite des réformes accomplies au Mexique et à Cuba — non seulement à l’insuffisance des moyens de financement et de capacité administrative, mais encore au scepticisme et au manque d’intérêt de toutes les parties intéressées. Les projets de réforme fiscale, énoncés en général en des termes trop timides, sont incapables de réaliser une redistribution substantielle des revenus et une accumulation importante de capital, encore qu’aucun d’eux n’ait fait l’objet d’une application effective.
39Les dispositions administratives tendant à restreindre les dépenses somptuaires en vue de profiter au maximum de la capacité d’épargne des pays, sont pour ainsi dire inexistantes. De même, aucune mesure n’a été prise pour remédier au phénomène paradoxal qui veut que des zones peu dotées en capital soient exportatrices nettes de celui-ci. La fuite des capitaux vient s’ajouter aux graves problèmes posés aux pays latino-américains par l’insuffisance de l’épargne disponible.
40Mais le manque de probité du secteur administratif rend difficilement réalisable toute mesure destinée à enrayer cette situation. Il serait plutôt à craindre que les crédits destinés au financement des plans de développement à long terme — comme ceux prévus au titre de « l’Alliance pour le Progrès » — n’aboutissent pas aux résultats positifs souhaités, ou ne se retrouvent un jour à l’actif des comptes de banque à l’étranger. La rigidité des structures existantes et l’absence des réformes indispensables constituent l’obstacle le plus sérieux aux prévisions économiques à longue échéance.
41Cependant, l’adoption des principes de planification nationale et de coopération régionale entre les pays latino-américains, est appelée à exercer une influence décisive dans l’évolution de ces économies. L’imminence de l’intégration économique entre ces nations traditionnellement nationalistes et jalouses de leur souveraineté, pousse les gouvernements latino-américains à reviser certaines positions qui semblent périmées, ceux-ci se déclarant prêts à accepter les changements qui s’imposent et forment un préalable à tout projet d’intégration économique.
II. — LES PROBLÈMES POSÉS PAR LE PRINCIPE DE LA COMPLÉMENTARITÉ
§ 1. — Le cas des produits agricoles
42Le volume réduit du commerce entre les pays latino-américains est dû — outre les obstacles d’ordre structurel dont il a été fait état — à la nature apparemment concurrentielle et non complémentaire de leurs exportations constituées, pour la plupart par des articles primaires. D’un Produit National global calculé en 70 milliards de dollars, les exportations totales ont représenté en 1963, 13,9 % de celui-ci, dont 7 % pour les exportations de produits primaires (Pétrole exclu).
43Dans la composition de ces exportations, le café représente 15 % du total, le sucre 7,4 %, le coton 5,4 %, la viande 3,3 %, — le blé et la farine 2 %, etc.
44Ces produits traditionnels d’exportations sont communs à un grand nombre de pays. Ainsi, les principaux produits d’exportation sont pour les pays de l’ALALC, les suivants (1965) :
Mexique : Coton, sucre, minerais (cuivre, plomb, souffre, zinc, argent) café, viande et bétail, et crevettes ;
Argentine : Viande, céréales et lin, laine et cuirs ;
Brésil : Café, cacao, minerais, bois, sucre et coton ;
Colombie : Café, pétrole ;
Chili : Cuivre, autres minerais ;
Pérou : Coton, sucre, minerais (cuivre, plomb, fer et argent).
Venezuela : Pétrole.
45On observe que le commerce des principaux produits d’exportation des pays membres de l’ALALC peut difficilement être développé dans sa composition actuelle. La similitude des exportations, leur faible coefficient d’élasticité et le degré de saturation des marchés internationaux sont autant de facteurs qui s’opposent à l’intégration de ces économies sur la base de la structure du commerce présent. La constitution en Amérique Latine d’un marché commun ne doit probablement pas se traduire par une augmentation substantielle du commerce de ces produits (Tableau no 26).
46Cependant, l’Amérique Latine est loin de satisfaire par elle-même ses besoins en produits agricoles. En effet, les importations totales de ces produits ont atteint en 1958 le chiffre de 896 millions de dollars, dont 54 % est constitué par des importations en provenance des pays extérieurs à la Zone. Or, tous ces articles peuvent être obtenus dans la région dans des conditions favorables, exception faite de ceux qui exigent un type ou une qualité spéciaux.
47Les différents pays de l’Amérique Latine important une catégorie de biens dont ils sont exportateurs nets, il est fort probable, et dans bien des cas, certain, qu’il leur arrive d’importer de l’étranger leurs propres produits, sans que ceux-ci y aient reçu la moindre plus-value de transformation.
48L’importation des denrées agricoles représente 11 % des importations totales. Le commerce inter-latino-américain pour ces produits, est de 415 millions de dollars, ce qui équivaut à 46 % du total de ses importations. Le reste du monde exporte vers l’Amérique Latine 481 millions de dollars, c’est-à-dire 54 % du total (Tableau no 27).
49Dès lors, si le déficit des produits agricoles est de 162 millions équivalents à 33,7 % de l’importation dans ce secteur, il serait possible de substituer l’importation en provenance des pays tiers par une valeur de 317,5 millions de dollars, soit 66,3 % restants. Une telle somme augmenterait le volume du commerce inter-régional de 43 %, la valeur de celui-ci ayant été de 738 millions de dollars pour 1958.
50Ainsi, il est possible de prévoir en théorie un accroissement des échanges des produits agricoles, malgré leur caractère concurrentiel.
51La dotation en ressources des pays de l’ALALC et les perspectives offertes par l’intégration des économies, permettraient par ailleurs, au moyen d’une amélioration des procédés agricoles et d’une meilleure localisation des activités, d’augmenter la production des articles — produits laitiers, huiles, grains, etc., — pour lesquels il existe à l’heure actuelle un fort déficit.
52Reste enfin la question de savoir pour quelle raison les pays latino-américains ont acheté au-dehors les produits que la Zone elle-même aurait pu fournir aux mêmes prix que les pays étrangers. La réponse est bien simple : l’absence de voies de communication et des services réguliers de trafic maritime ainsi que les courants commerciaux établis depuis longtemps avec le reste du monde ont fait obstacle à l’élargissement des échanges des pays latino-américains entre eux. Mais une politique rationnelle tendant à favoriser ces échanges dans le cadre d’une coopération inter-régionale serait de nature à augmenter le commerce inter-latino-américain de 22 %, sur la base des exportations actuelles.
53En effet, les produits primaires constituent à l’heure actuelle la base du commerce existant entre ces pays. Or, pour bon nombre d’entre eux, les échanges sont plutôt effectués sur des bases de complémentarité que de concurrence. Ainsi, contrairement aux pays développés dont la complémentarité se traduit par des transactions comprenant des produits spécialisés d’un même type, en Amérique Latine celle-ci prend la forme d’échanges entre produits de zones tempérées et produits tropicaux.
54Il est vraisemblable que les courants commerciaux constitués par ces produits seront toujours très importants dans les années à venir, étant donné que plusieurs d’entre eux — comme le café, le cacao — ne peuvent être obtenus dans les pays méridionaux, et d’autres — comme le blé — sont difficilement cultivés dans les pays tropicaux.
55Cependant, l’importance relative de leur commerce doit diminuer, en raison du coefficient très élevé d’élasticité-revenu de la demande et des projets de développement industriel en Amérique Latine. Mais en terme absolu, l’accroissement de la production doit se traduire par une augmentation de deux à trois fois son volume actuel, selon le produit considéré. Par ailleurs, malgré l’augmentation prévue de la demande, la connaissance des ressources potentielles permet d’assurer que la position de l’Amérique Latine ne sera pas modifiée pour les produits pour lesquels elle est exportatrice nette, à l’heure actuelle.
56Les études effectuées par la CEPAL considèrent la possibilité d’éliminer près de la totalité des importations de produits agricoles, primaires et élaborés en provenance du reste du monde.
57La demande de consommation latino-américaine de lait, produits laitiers, viande et coton brut et élaboré sera, selon toute probabilité, entre deux fois et demi et trois fois plus élevée en 1975 qu’en 1954-56. Les mêmes pronostics sont avancés pour le sucre, le cacao et le café, ainsi que pour le blé, le riz et les bananes, dont l’augmentation sera toutefois moindre que pour la première catégorie de produits.
58Or, il n’y a que pour le blé et les produits laitiers que l’Amérique Latine devra continuer à importer dans une proportion de 8 % et de 1,3 % de la consommation prévue pour 1975.
59Pour le reste de ces produits, la demande de consommation pourra n’être satisfaite que par la production locale.
60Ce résultat ne sera évidemment susceptible d’être atteint en l’absence d’une amélioration des méthodes de productivité, permettant de fournir les volumes de production requis pour faire face à la demande locale et à la demande d’exportation.
61Ainsi donc, les avantages de l’intégration dépendent plus de l’éventuelle évolution des économies que de leur état présent. La proportion dans laquelle la consommation de chaque pays sera approvisionnée par la production locale ou l’importation en provenance des autres régions latino-américaines, variera essentiellement en fonction des accords commerciaux conclus entre les pays intégrés.
§ 2. — La complémentarité industrielle
62L’objectif immédiat des pays latino-américains ayant adhéré à l’ALALC est de créer réellement une unité de développement en commun, au moyen de l’industrialisation graduelle de leurs économies et du relèvement du niveau de vie de leurs habitants.
63Cette finalité doit être atteinte aussi bien par l’avancement du commerce traditionnel des produits primaires que par l’extension progressive des activités économiques vers les secteurs les plus dynamiques de l’industrie.
64L’utilisation optima des ressources mises en commun suppose l’adoption des formules adéquates de complémentarité industrielle et de capitaux. Le Traité de Montevideo contient des dispositions générales à ce sujet dans ses articles 15e, 16e et 17e.
65Après avoir conseillé — (Art. 15e) — aux Parties Contractantes d’harmoniser « dans la mesure du possible » et dans le sens des objectifs du Traité leurs régimes d’importation et d’exportation, ainsi que les réglementations applicables aux capitaux, biens et services en provenance de la Zone, l’article 16e établit que afin d’intensifier le processus d’intégration et complémentarité des économies, les Parties Contractantes « feront tous leurs efforts en vue de promouvoir la coordination progressive et croissante de leurs politiques respectives d’industrialisation ». Il est préconisé en conséquence, de favoriser la conclusion d’ententes entre les représentants des secteurs économiques intéressés pour conclure des accords de complémentarité par branches d’activité.
66Le choix des bases et des modalités sur lesquelles les accords devront être conclus, est donc laissé à la discrétion des Parties.
67Le Traité se borne en effet — dans l’article ci-dessus indiqué et dans l’article suivant — à prévoir une coordination des politiques d’industrialisation par la conclusion d’ententes entre les Etats membres.
68De ce fait, le processus d’intégration industrielle est appelé à se développer essentiellement sous la pression des faits.
69En l’absence d’indications plus précises sur les objectifs proches à atteindre et sur la façon dont la complémentarité devra être réalisée, il est à craindre que la délimitation des blocs régionaux à industrialiser en commun ne puisse faire l’objet d’un accord entre toutes les Parties intéressées.
70Plusieurs délégués aux réunions préliminaires à la signature du Traité, exprimèrent leur appréhension quant à la formation de nouveaux pôles de développement dans les pays les plus industrialisés, et même leur crainte de voir s’étendre les ensembles industriels existants sans pour autant en faire bénéficier les régions les moins favorisées.
71Les rédacteurs du Traité de Montevideo, dans le but de faciliter — par des clauses flexibles et adaptables à chaque cas en particulier — l’action gouvernementale et celle des secteurs privés, n’ont pas considéré qu’une réglementation rigide des accords de complémentarité serait adéquate, se contentant de proposer quelques normes générales auxquelles ceux-ci devront se conformer.
72Le Traité de Montevideo se distingue par-là, de celui qui fut signé à Tegucigalpa et qui institue un Marché Commun centro-américain. Ce Traité prévoit les conditions d’installation d’usines « intégrées », et institue à cet effet une commission spéciale chargée d’étudier les modalités d’implantation de ces industries, la nature et la qualité de leurs produits ainsi que les procédés de financement susceptibles d’être utilisés.
73En même temps des mesures sont prévues pour éviter de favoriser exclusivement un seul pays.
74Il est évident, qu’avant de songer à un plan international de coordination des politiques économiques, chaque pays doit définir sa propre politique en présentant des projets concrets de développement économique et social et en évaluant ses ressources productrices, tout en faisant distinguer soigneusement les objectifs à court terme et ceux à long terme.
75Il va de soi, que si l’objectif à long terme consiste dans le développement de l’industrie lourde, la condition première est d’avoir une idée claire et objective de la manière dont cette industrie peut se développer. Ensuite, il faut établir un plan réaliste de son fonctionnement. Ce n’est qu’après avoir rempli ces conditions, que l’on pourra passer à l’adoption massive de la technologie la plus adéquate.
76L’intégration industrielle ne saurait être effectuée sans une étude préalable et approfondie des avantages de localisation qu’offrent les divers pays pour les différents articles dont la fabrication pourrait être réalisée dans le cadre de la complémentarité au sein de l’ALALC.
77Jusqu’à présent, ce sont les organismes internationaux qui se sont réellement chargé de fournir les renseignements et les données concernant le développement possible de l’Amérique Latine ; par contre, il y a eu une carence nationale en ce qui constitue l’effort de compléter ces renseignements en vue de l’intégration régionale. Les Gouvernements et les initiatives privées organisées des pays signataires, n’ont pas encore commencé formellement leurs propres programmes d’industrialisation et moins encore les programmes de coordination sur le plan inter-régional.
78Dans chaque pays, trois obstacles fondamentaux rendent plus difficiles, avec des intensités variables, les évaluations potentielles des ressources, et la réalisation des projets de développement sur le plan national. Ces obstacles sont les suivants :
l’insuffisance d’une organisation administrative et technique pour la planification nationale et l’absence d’une organisation adéquate pour l’exécution des plans de développement. Des commissions affectées à ces fins existent dans la plupart des pays membres, mais jusqu’à présent leur efficacité a beaucoup laissé à désirer ;
le manque de renseignements statistiques adéquats et l’insuffisance d’une information concrète de base pour la programmation et l’exécution des plans de développement ;
le nombre assez modeste de techniciens spécialisés capables de mener à bien les tâches requises par la planification moderne et la programmation du développement.
79Tous ces obstacles, sur le plan national, rendent difficiles « a fortiori » sur le plan international, la tâche d’étudier, d’évaluer et de résoudre efficacement la coordination des plans inter-régionaux de développement ainsi que l’intégration de chaque économie à l’intérieur d’ensembles pluri-territoriaux.
80Le problème de la complémentarité industrielle et de capitaux a fait l’objet d’un premier examen lors de la Première Conférence des Parties Contractantes, commencée en juillet 1961.
81Certains principes de base ont été posés, servant de critère aux accords ultérieurs qui pourront intervenir à ce sujet.
82Tout d’abord il a été décidé que les accords de complémentarité s’établiront entre deux ou plusieurs pays et resteront ouverts à la participation de tous les autres pays partenaires. A cet effet, il sera nécessaire d’individualiser l’activité industrielle qui fait l’objet de l’accord, en identifiant avec précision les produits inclus. L’adoption de la nomenclature internationale de Bruxelles doit faciliter cette opération. Le corollaire devra en être l’établissement d’un programme spécifique de libération pour les Etats compris dans l’accord, dans le cas d’une complémentarité horizontale, ou bien, l’harmonisation des traitements applicables aux matières premières et éléments employés dans la fabrication du produit faisant l’objet de l’accord dans le cas d’un accord de complémentarité verticale.
83L’entrée en vigueur de tels accords devra être assujettie à l’approbation des Parties Contractantes, après que celles-ci aient constaté la compatibilité de l’accord avec les principes généraux et les objectifs du Traité.
84Quels sont ces objectifs, dans le cas particulier du problème qui nous occupe ? Le principal, est d’accélérer le programme de libération dans le secteur industriel par l’incorporation graduelle, dans les Listes nationales, des articles qui ne font pas encore l’objet du commerce inter-régional. Vient ensuite l’aménagement des conditions adéquates pour favoriser les investissements capables d’accélérer le processus de développement économique et l’étude des moyens d’encouragement à la complémentarité entre les entreprises destinées à satisfaire les besoins du marché créé par l’établissement de l’ALALC. Tous ces accords devront avoir en vue l’accroissement de la productivité industrielle.
§ 3. — Formes de la complémentarité industrielle
85Les accords de complémentarité industrielle pourront revêtir plusieurs formes :
86a) Accords de complémentarité verticale, c’est-à-dire la complémentarité dans le développement du processus productif par une fragmentation régionale des tâches en vue de produire les éléments nécessaires à un produit final.
87L’intégration verticale, dans laquelle certains croient voir une « cartelisation » de l’économie latino-américaine, est peut-être la modalité qui présente le plus de difficultés pour parvenir à un accord. En effet, sa conception et sa réalisation impliquent un haut degré d’interpénétration des économies en cause.
88La division inter-régionale dans la fabrication des différents composants d’un ensemble, implique tout d’abord la standardisation du produit final, qui doit être adapté aux goûts et à la demande de tous les pays ayant signé un accord. Il est vrai que pour les biens de consommation courante, la qualité prime sur les goûts individuels.
89Mais, paradoxalement, l’intégration verticale peut avoir comme conséquence la hausse des coûts de fabrication. Un exemple pris dans l’industrie automobile mexicaine permet de comprendre cette situation2 : en 1960, les fabricants mexicains de bougies se sont adressés au Gouvernement pour lui demander de protéger cette industrie au moyen de restrictions à l’importation de bougies étrangères. Le Gouvernement, faisant suite à cette demande, s’adressa aux unités de montage d’automobiles pour leur demander d’importer les voitures à assembler dépourvues de bougies. Les fabricants étrangers, ayant accepté d’envoyer les moteurs dans les conditions demandées, firent savoir que chaque unité aurait un coût supplémentaire de cinq dollars. En effet, lors de l’envoi de chaque unité destinée à l’assemblage, le moteur est normalement essayé avant d’être emballé. S’il est demandé d’envoyer les moteurs sans bougies, il faut procéder au démontage des bougies. C’est cette opération qui provoque une hausse des coûts de deux dollars. Ensuite, il faut fabriquer des couvercles pour empêcher l’entrée des poussières dans le moteur. Coût : un dollar. Finalement, il faut mettre en place les couvercles, opération qui revient à deux dollars. L’unité incomplète coûte donc plus cher que l’unité complète.
90Le même problème s’est présenté à propos des pneus. Devant la pression des fabricants mexicains pour en supprimer l’importation, les usines américaines de véhicules offrirent une remise de 25 dollars par véhicule importé, ce qui représentait pour eux le prix qu’ils étaient tenus de payer pour l’ensemble de cinq pneus. L’assembleur mexicain doit payer le même ensemble, 80 dollars. En conséquence, la substitution de pneus étrangers par des pneus de fabrication locale implique pour la clientèle une surcharge de 55 dollars. Il est à craindre que ces mêmes problèmes se retrouvent à une plus grande échelle dans le cas d’une complémentarité verticale entre des pays à faible développement industriel et ayant des coûts de production élevés.
91b) La complémentarité horizontale, ou complémentarité par type de production dans laquelle chaque pays se spécialise en un type déterminé de produits, interchangeables contre d’autres articles fournis par les pays signataires de l’accord, en même temps que l’ensemble de la Zone en est approvisionné, semble être le terrain d’entente le plus approprié.
92En fait, c’est sur ce genre d’accords que les premières ententes sont en train de voir le jour entre les pays adhérents à l’ALALC.
93Il s’agit en particulier de l’industrie électronique déjà très développée en Argentine, au Brésil et au Mexique.
94Ces trois pays fabriquaient le même type de valves électroniques, ce qui signifiait un gaspillage de ressources et une concurrence inutile au détriment du développement rapide et suffisant de cette industrie, non plus en fonction d’un pays, mais du point de vue de l’ensemble des pays signataires du Traité de Montevideo.
95Un accord de complémentarité dans ce secteur a été signé en février 1964 par cinq Parties Contractantes, (Argentine, Brésil, Chili, Mexique et Uruguay) et est entré en vigueur le 1er avril de la même année. Il est conclu dans les mêmes termes que celui qui vise les machines statistiques et similaires et les dispositifs électroniques d’exploitation des données statistiques, qui fonctionne depuis 1962. Plusieurs travaux se rapportant à la conclusion d’accords de ce genre sont en voie d’achèvement en ce qui concerne d’autres secteurs industriels, privés et officiels.
96En ce qui concerne la participation de deux parties seulement aux accords, il s’agit là d’une mesure destinée essentiellement à ajouter un surplus de flexibilité au Traité, encore que de tels accords puissent nuire à son esprit qui insiste sur l’égalité des opportunités de développement entre tous les pays partenaires.
97Le danger existe, en effet, de voir seulement conclure ces accords entre les pays qui, par leur infrastructure industrielle pré-établie, attirent les épargnes disponibles de l’ensemble de la Zone, au détriment des pays à moindre développement économique relatif.
98Par ailleurs, si toutes les Parties Contractantes participent, d’une façon ou d’une autre, aux accords de complémentarité, l’inclusion dans la Liste commune des produits qui y sont prévus, s’en trouvera facilitée. Les accords auxquels tous les pays associés n’auraient pas participé pourraient favoriser des avantages unilatéraux qui seraient contraires à l’esprit et à la lettre du Traité.
99Il se pourrait même que les Parties Contractantes d’un accord, sollicitent — sur la base de réciprocité qu’établit l’article 14, alinéa a — des concessions compensatoires de la part des autres Parties Contractantes qui ne participent pas à cet accord et n’ont pas concédé à ces produits le traitement convenu, mais qui, en même temps, bénéficient — par le biais de la clause de la nation la plus favorisée — des concessions faites par une Partie à une autre dans le cadre des accords de complémentarité.
100Dans le dessein de faciliter et d’accélérer la conclusion d’accords de complémentarité sectoriels, les Parties Contractantes adoptèrent la résolution 99 (IV) par laquelle les pays qui ne participèrent pas à la négociation de ces accords et qui n’y souscrivirent pas, ne pourront bénéficier des avantages ou franchises consenties qu’en offrant une compensation adéquate. Par ailleurs, les programmes de libération prévus par les accords devront tenir compte qu’il s’agit de mécanismes auxiliaires du programme de libération générale de la Zone. Leur durée devra donc être limitée aux douze années de la période de libération fixée par l’article 2 du Traité.
101La capacité d’absorption des marchés latino-américains et l’état de développement des diverses activités industrielles, offrent d’abondantes possibilités de complémentarité dans tous les domaines de l’activité économique. Si l’intégration verticale permet l’élévation de la productivité dans les industries qui opèrent actuellement dans des conditions très peu avantageuses et qui emploient dans la fabrication de leurs produits une forte proportion d’articles importés, l’intégration horizontale rendra possible l’établissement d’industries nouvelles dont l’établissement n’avait pas été envisagé faute de conditions économiques favorables.
102La normalisation des éléments qui interviennent dans les produits de fabrication complexe et la standardisation des procédés d’élaboration, permettront aux pays les plus développés de l’Amérique Latine d’aborder enfin la production des biens d’équipement lourd et des biens de consommation durable, à une échelle économique satisfaisante.
103Mais en même temps, la programmation adéquate du processus d’intégration industrielle doit être en mesure d’apaiser les craintes des pays à moindre développement économique relatif, par l’installation dans leurs territoires d’industries auxiliaires et complémentaires, moyennant une évaluation rationnelle et objective des conditions économiques de leur installation. En outre, les accords pourront être complétés, par la distribution de zones de vente pour les produits ainsi élaborés, et par la participation des capitaux nationaux dans le financement des entreprises contenues dans les accords de libération.
§ 4. — Possibilités de complémentarité par pays et par industries
a) Possibilités de complémentarité par pays
104Parallèlement aux accords inter-américains tendant à stabiliser les prix des matières premières (accords intervenus sur le café, le coton, etc.) et qui établissaient une politique commune à ce sujet, d’autres accords avaient déjà été envisages bien avant la signature du Traité de Montevideo, afin de coordonner les politiques d’industrialisation en Amérique Latine. L’Institut Inter-Américain du Pétrole et l’Institut Latino-américain du Fer et de l’Acier3 sont les exemples les plus connus.
105Ces institutions à travers quelques analyses détaillées des possibilités potentielles latino-américaines, ont permis d’étudier les problèmes posés par le commerce inter-régional futur dans quelques secteurs particuliers.
106Etant donné qu’aucun des pays latino-américains n’est disposé à renoncer au développement intégral de la production industrielle de base, les accords de complémentarité prévus par le Traité de Montevideo constituent les seuls mécanismes susceptibles d’initier un processus de libération zonale comprenant tous les produits qui composent le fondement du Produit brut de chaque pays. Dès lors, la notion de complémentarité doit être considérée — dans le secteur industriel de base — sous des optiques différentes selon qu’il s’agisse des pays qui ont déjà initié leur processus de production ou bien de ceux qui ne l’ont pas encore fait.
107Dans le premier cas, le problème offre des difficultés beaucoup plus grandes en raison de la disparité des coûts de pays à pays. Cette considération explique les réticences du Venezuela pour participer à l’ALALC. La prospérité relative d’un secteur déterminé de l’industrie vénézuélienne — le pétrole et toutes les activités environnantes — se traduit dans le secteur officiel et bureaucratique par une certaine souplesse des salaires, ce qui permet aux importateurs de vendre leurs articles à des prix très élevés à l’intérieur du pays. L’entrée du Venezuela dans un marché commun doit avoir comme effet de rompre les digues de protection qui permettent le maintien de ces privilèges ; d’où l’animosité des chambres de commerce — qui centralisent l’opinion des hommes d’affaires vénézuéliens — contre tout projet d’unification de l’espace économique inter-régional. En effet, ce pays appréhende toute limitation du niveau des tarifs douaniers. L’abaissement des droits à l’importation — argumente-t-on — auront pour conséquence la concurrence très avantageuse des textiles colombiens, en raison de la très grande disparité des salaires qui existe entre ces deux pays.
108Telles étaient les causes qui s’opposaient à l’entrée du Venezuela au sein de l’ALALC.
109Dans une situation de disparité des coûts, la complémentarité doit être procurée moyennant des accords sur les lignes qui n’ont pas encore été entreprises à l’intérieur du secteur considéré. Ainsi en va-t-il pour certaines qualités et dimensions de l’acier dans l’industrie sidérurgique, des dérivés et sous-produits dans le secteur pétro-chimique, etc. Dans la mesure où les conditions de productivité augmentent dans la Zone, les possibilités d’une plus grande intégration s’amplifieront corrélativement.
110Dans le deuxième cas, les caractéristiques sont différentes : le concept de complémentarité acquiert une validité spéciale entre des pays qui n’ont pas encore commencé à développer un secteur et ceux qui l’ont déjà fait.
111On ne peut pas prétendre que des pays sans production automobile, par exemple, ouvrent tout simplement leurs marchés à ceux qui en sont producteurs dans la Zone. Ce serait une véritable subvention aux coûts élevés de ces pays, suivie de tous ses effets conséquents sur la balance des paiements, le niveau de la consommation et la situation fiscale du pays importateur. Ce serait pour le moins paradoxal que les nations les moins développées soient appelées à soutenir le processus d’industrialisation de celles qui sont les plus développées.
112Dans ces conditions, pour démontrer l’intérêt que l’ALALC offre aux pays les moins développés, il faudrait chercher à compenser l’effort de l’Etat qui accorde les préférences au moyen d’une participation soit par des « in-puts » industriels dans l’unité finale, soit par la création d’industries auxiliaires de l’industrie principale. Plutôt que de montrer à ces pays l’avantage d’adhérer à l’ALALC il faudrait leur faire voir les inconvénients de ne point y adhérer.
b) Possibilités de complémentarité par industries
113La richesse de la diversification dans la dotation en ressources de l’ensemble des pays latino-américains, ouvre de très intéressantes perspectives de complémentarité. Il est possible d’affirmer qu’il n’existe presqu’aucune branche de l’activité économique dans laquelle la production en commun ne puisse être envisagée.
114Pourtant, le succès d’une politique de développement en commun par branche de production, implique l’existence dans chaque pays considéré, d’une infrastructure de base destinée à soutenir l’effort de complémentarité.
115Nous proposons quatre exemples d’activités industrielles qui permettent dès maintenant — grâce au degré de développement atteint — l’engagement de pourparlers en vue de la complémentarité et de l’intégration inter-régionale :
1) L’industrie sidérurgique
116L’Institut Latino-américain du fer et de l’acier indique que la production totale de l’Amérique Latine était en 1940 d’environ 500.000 tonnes de lingot d’acier. En 1963, celle-ci a atteint presque sept millions de tonnes (6.997.700 tonnes).
117Pour cette même année, la consommation a été de 9.209.000 tonnes, le déficit de la production intérieure étant de 2.211.300 tonnes.
118Le Brésil est le plus gros producteur d’acier de la Zone, en fournissant 41 % de la production totale, répartie entre six unités principales (Volta Redonda, Belo Horizonte, Cia. Sidérurgica Mannesmann, Aços Villares, S. A., Cia. Aços Especiais Itabira, Mineraçao Geral do Brasil Ltda). Le Brésil est suivi par le Mexique, qui produit 29 % de la production totale, l’Argentine, 13 % et le Chili qui en fournit 7 %.
119Les autres pays producteurs sont la Colombie, le Pérou, le Venezuela et l’Uruguay.
120D’après les constatations de l’Institut Latino-américain du fer et de l’acier — (ILAFA) la production latino-américaine présente les caractéristiques suivantes :
Dans le cas du Brésil, on peut observer une tendance nette vers l’auto-approvisionnement. Cependant, des excédents exportables ou des déficits d’importation peuvent se présenter, mais leur valeur sera sûrement de faible importance par rapport au marché interne4.
Une tendance similaire peut être observée dans le cas du Mexique. Néanmoins, en raison du marché plus réduit, il est très probable qu’en 1970, le Mexique pourra compter avec d’importants excédents d’exportation.
L’Argentine et le [Venezuela continueront à avoir un déficit considérable même lorsqu’en 1970, ces pays posséderont des usines sidérurgiques de grande capacité. Ce déficit sera plus ou moins important au Venezuela en fonction de la situation de l’industrie pétrolière, qui est le facteur principal de la consommation d’acier dans ce pays.
Le Chili, d’après les plans d’expansion actuels et ceux qui sont prévus pour un proche futur, aura toujours des excédents d’importation de l’ordre de 25 % de sa production totale.
La Colombie et le Pérou, en dépit d’augmentations considérables de leur production, seront toujours importateurs nets d’acier et lingots et laminés.
En ce qui concerne le restant des pays latino-américains qui n’ont pas d’industrie sidérurgique ou dont les installations sont relativement petites, la CEPAL estime que leurs besoins d’importation peuvent s’accroître approximativement de 1,5 million de tonnes de produits finis d’acier par an.
D’un point de vue global, l’Amérique Latine devra continuer à importer de l’acier en quantités considérables, de l’ordre de 2,6 millions de tonnes de produits finis.
121Pour que ce déficit se traduise par un marché réel pour les produits latino-américains, il faut qu’en plus des avantages douaniers, des réductions de coûts placent l’industrie sidérurgique latino-américaine dans des conditions concurrentielles par rapport aux coûts de production européens, américains et japonais. Des accords sectoriels de complémentarité tendant à provoquer un accroissement de la productivité là où les facteurs existants le permettent, pourront être envisagés, bien qu’il s’agisse moins alors de complémentarité que de concurrence entre les principaux pays producteurs.
122Le charbon est le point faible de la sidérurgie latino-américaine et le facteur principal des coûts élevés. Les meilleurs gisements se trouvent dans le nord du Mexique et en Colombie. Par ailleurs, seuls ces deux pays sont auto-suffisants dans toutes les matières premières nécessaires. Plusieurs Etats latino-américains doivent importer, totalement ou partiellement, les matières premières. Le Venezuela importe la totalité de son charbon ; le Chili et le Brésil en importent une partie proportionnelle importante. L’Argentine achète à l’extérieur le charbon et le minerai employé dans son industrie sidérurgique.
123Dans ce domaine, des accords de complémentarité pourraient intervenir, tendant à localiser les nouvelles unités productrices près des gisements (la prospection en Amérique Latine est loin d’être terminée) ou dans les zones côtières ou d’accès facile.
2) L’industrie automobile
124Le développement de cette industrie se caractérise, en termes généraux, par plusieurs étapes nettement différenciées :
Assemblage final — Une fois dépassé le stade purement commercial dans lequel le développement de l’industrie automobile est nul, la première phase se caractérise par le montage des pièces mécaniques déjà assemblées. La Bolivie, l’Equateur, le Paraguay et les pays centro-américains, se trouvent à ce stade.
Assemblage primaire — A ce niveau les pièces élémentaires doivent être importées pour être assemblées dans le pays afin de former des ensembles qui à leur tour vont s’intégrer dans le véhicule. En même temps, des pièces de fabrication locale sont incorporées dans les véhicules sans nuire pour autant à la diversité des modèles. C’est à ce stade que se situent la Colombie, le Chili, et l’Uruguay.
Usinage des pièces. Cette opération a pour but de donner aux pièces leur forme fonctionnelle. Cette phase se caractérise par la nécessité de produire les pièces dans une échelle suffisamment grande pour que leur fabrication soit possible dans des conditions économiques. De là, le besoin de typification des pièces qui existe à ce niveau du développement. Même l’assemblage des moteurs qui implique un certain équipement spécialisé, n’est justifiable qu’au-delà d’un nombre d’unités. Cette étape est sur le point d’être dépassée par le Venezuela.
La dernière étape est celle de la fabrication nationale du véhicule, dont le degré de « nationalisation » peut être mesuré par la valeur ajoutée produite dans le pays. Au-delà de 75 % de la valeur totale produite dans le pays, l’industrie peut être considérée comme capable de produire des articles finaux nationaux. Ce dernier stade est actuellement abordé par le Brésil, l’Argentine et le Mexique.
125Le Brésil se situe actuellement en tête de l’industrie automobile latino-américaine. Ce fait est dû à l’énorme développement de l’industrie sidérurgique, qui a permis la production d’aciers spéciaux requis pour la fabrication des pièces automobiles. Les onze firmes qui composent aujourd’hui l’industrie brésilienne d’automobiles, en employant pratiquement 100 % des matières premières locales, ont produit 97,000 unités en 1959 (voitures, « jeeps » et camions), et les chiffres disponibles indiquent qu’en 1965 la production a atteint 185.000 unités. En 1966 celle-ci s’est encore accrue de 40.000 unités. Quant à l’Argentine, sa production est de 200.000 unités pour 1966. Celle du Mexique atteint 120.000 unités pour cette même année5.
126C’est dans cette industrie que les économistes latino-américains espèrent atteindre un haut degré de complémentarité industrielle. Il est en effet très intéressant de noter le nombre d’activités économiques auxquelles fait appel l’industrie automobile. Une répartition rationnelle du travail pourra être accordée entre l’ensemble des pays qui composent l’ALALC, les industries connexes à l’industrie automobile étant des plus variées, et certaines d’entre elles n’exigeant pas un degré très avancé de développement économique. Ainsi, certaines parties ne dépendent pas à proprement parler du développement de l’industrie automobile, mais elles sont redevables d’autres industries comme, par exemple, l’industrie électrique pour les systèmes électriques, d’ignition et d’éclairage, l’industrie vitrière pour les vitres plates et courbes des véhicules.
3) Industrie Chimique
127La production chimique pour toute l’Amérique Latine est estimée à plus de deux millions de dollars par an, et l’importation de ces produits atteint presque un million de dollars. Les entreprises existantes ont été conçues pour les marchés nationaux respectifs, et peuvent difficilement supporter la concurrence dans les marchés étrangers. Avec les réductions douanières, quelques produits chimiques se trouveront favorisés dans l’un ou l’autre des pays de la Zone, mais la grande majorité des industries établies au sein de l’ALALC sont en fait, similaires. Il faut également considérer le fait que plusieurs des produits chimiques occupent un volume considérable et exigent parfois des conditions spéciales de transport. Etant donné l’état déficient des communications entre les pays de la Zone, les frais de transport peuvent annuler les avantages reçus de l’abattement des tarifs douaniers. Bien qu’il ne faille pas attendre une augmentation considérable dans l’échange des produits chimiques lourds — sauf dans le cas où un pays aurait un avantage spécial dû au monopole d’une matière première — les produits chimiques très précieux, à valeur élevée et encombrement réduit, pourront être échangés plus facilement. C’est le cas du Mexique avec les stéroïdes, et du Brésil avec les antibiotiques. Le Chili est l’un des plus grands producteurs d’iode du monde et pourrait en être le centre de production tout en exportant la matière première pour les industries des dérivés aux autres pays de l’ALALC. De même au Mexique, ses importants gisements de mercure peuvent être utilisés pour la préparation des sels à base de ce métal.
128Actuellement, les pays les plus développés dans cette branche de l’activité économique — le Brésil, le Mexique, l’Argentine et le Chili — font de nombreux projets pour parvenir à utiliser pleinement les ressources naturelles et couvrir les besoins de leurs marchés internes. Ces plans, basés sur des produits semblables, fondent en grande partie leurs espoirs sur les progrès de la pétrochimie. Il faut donc s’attendre à une concurrence serrée pour placer les excédents de ces industries nouvelles dans les autres pays associés.
129Pourtant, il existe une catégorie spéciale comprenant ces produits — très nombreux — pour lesquels les marchés nationaux ne peuvent fournir les investissements nécessaires à leur production. Dans ce cas, on pourrait étudier les manières de combiner la production et le marché dans les limites de la Zone, afin de localiser les unités productrices dans les pays où la réunion des facteurs économiques et techniques offre les plus grands avantages.
130Dans ce domaine, l’un des aspects les plus intéressants de la complémentarité serait l’établissement de centres de recherche pour procéder à l’étude des ressources naturelles de chaque pays ainsi que des techniques d’élaboration des produits finis.
4) Industrie du Papier et de la Cellulose
131Depuis quelques années, les pays latino-américains s’intéressent à la pleine utilisation de leurs ressources forestières, surtout en vue de la production du papier et de la cellulose.
132D’après les renseignements de la FAO6, l’Amérique Latine est la région à plus forte densité de bois du monde. En effet, ses ressources forestières sont de l’ordre de 925 millions d’hectares suivie par l’Afrique, avec 800 millions d’hectares, l’URSS, avec 843 millions d’hectares, l’Amérique du Nord, avec 656 millions d’hectares, etc. Le total mondial atteint 3,910 millions d’hectares.
133Cependant, l’Amérique Latine est la région qui possède le pourcentage le plus réduit de forêts en exploitation, leur extension totale ne dépassant pas 10 % de ses ressources exploitables.
134Par contre, l’Europe est le continent qui utilise le mieux ses ressources, le pourcentage d’exploitation dépassant 90 %.
135L’Amérique Latine consomme environ 2,7 millions de tonnes par an de papier et de carton, quantité qui comprend quelques 700,000 tonnes de papier-journal.
136Les experts de la CEPAL ont calculé, sur une base de développement minimum, que pour 1975 la consommation latino-américaine atteindra 5,5 millions de tonnes par an, dont 1.600.000 tonnes de papier-journal. Vu la réduction de la capacité d’importation, et le fait que la demande mondiale de ces produits ait tendance à augmenter plus rapidement que la capacité mondiale de production, l’Amérique Latine devra accroître la capacité de ses ressources forestières, pour le traitement de pâtes destinées à la fabrication du papier de qualité et du papier-journal.
137Quelques expériences ont été réalisées en Argentine, au Brésil et au Chili dans la fabrication de papier-journal, sans obtenir les résultats escomptés, les coûts élevés de production interdisant toute concurrence avec les pays producteurs extérieurs à la Zone. Dernièrement, des expériences ont été faites en vue de produire le papier-journal à partir du bagasse de canne à sucre, mais il est encore prématuré d’avancer des résultats. Cependant, au Mexique, plus du 15 % de la production de cellulose est élaborée suivant ce procédé, et l’implantation d’usines similaires à l’étranger fait de ce pays un « exportateur de technique ».
138Grâce au progrès technique et à la grande variété des matières premières susceptibles d’être employées pour cette industrie, un champ très vaste d’intégration sectorielle est offert aux pays de l’ALALC.
§ 5. — La complémentarité de capitaux
139Nous traiterons brièvement de ce problème, car il est intimement lié à celui du financement des exportations et du système de paiements, qui n’ont pas fait l’objet de dispositions concrètes de la part des commissions spécialisées de l’ALALC lors de la signature du Traité.
140Parallèlement à la complémentarité industrielle, la complémentarité des capitaux (et les modalités de leur circulation entre les pays membres) devra faire l’objet d’une étude approfondie dans le cadre des accords issus du processus d’intégration latino-américain.
141Bien que le Traité de Montevideo ne spécifie pas les procédés à employer, se limitant à signaler dans son article 15e que les Parties Contractantes doivent s’efforcer d’harmoniser — pour atteindre les objectifs de libération de l’ALALC — « les réglementations applicables aux capitaux, biens et services en provenance de l’extérieur de la Zone », la complémentarité des capitaux doit être comprise comme la coordination des ressources financières dans le but de les diriger vers les emplois les plus productifs, en accord avec les plans de développement interrégionaux.
142Sous cette optique, les possibilités offertes par l’ensemble des pays associés sont beaucoup plus vastes que celles que chaque pays pouvait offrir individuellement.
143Néanmoins, il faut souligner que les accords de complémentarité de capitaux suggérés par le Traité peuvent se révéler très problématiques du fait que la part du revenu national destinée à l’investissement est relativement réduite. Par conséquent, il est très difficile de prévoir un courant constant des ressources d’investissement en dehors des frontières propres à chaque pays.
144Ce problème ne peut être résolu qu’à long terme, quand les résultats favorables escomptés du développement économique des pays de l’ALALC permettront de libérer une partie des capitaux autrefois investis au sein des économies nationales.
145Cependant, dans la courte période, un début de complémentarité de capitaux est susceptible d’intervenir avec des possibilités intéressantes, dans le cas où la disponibilité d’une matière première ou d’un facteur de location avantageux détermine des transferts de capitaux d’un pays vers un autre afin d’y être investis.
146L’esprit du Traité de Montevideo invite par ailleurs les pays les plus développés à placer leurs capitaux dans les pays à moindre développement économique relatif. Tout dépend dans ce cas, de l’adoption d’une politique commune de développement harmonisé, tendant à favoriser les régions les plus déshéritées.
147La complémentarité doit aussi être considérée dans sa forme indirecte, non en tant que des investissements réalisés par les secteurs productifs qui trouvent avantage à les placer dans un pays déterminé, mais à travers les crédits et l’acquisition des titres et valeurs émis par un pays et achetés par un autre à l’intérieur de l’ALALC.
148Ce dernier type de complémentarité financière semble être plus viable et s’adapter davantage aux buts du processus d’intégration latino-américaine dans son stade final : l’Union Douanière caractérisée par une mobilité parfaite des facteurs de la production.
III. — LA PLANIFICATION DU DÉVELOPPEMENT
§ 1. — Le principe de réciprocité
149Parmi les objectifs de base du Traité de Montevideo, le principe de réciprocité occupe une place de choix.
150Les discussions préalables à l’adoption de ce principe montrent que les Gouvernements n’ont pas seulement cherché une solution pratique pour leurs problèmes immédiats d’ordre commercial, mais qu’ils ont eu en vue la création d’un instrument dynamique capable de contribuer au déplacement des obstacles, au développement économique et à l’amélioration du niveau de vie des populations.
151Etant donné que le Traité qui institue une Association de libre-échange reste ouvert à la participation de tous les Etats de la Zone et que cette participation des 20 républiques latino-américaines est, en fait, l’une des préoccupations principales des Pays signataires, le programme de libération de la Zone a été élaboré sur des bases flexibles, qui tiennent compte des disparités structurelles existant de pays à pays, ainsi que du degré de développement atteint par chacun des Etats partenaires.
152Dans la rédaction du Traité, l’accent a été mis sur trois principes fondamentaux :
la progressivité du processus de libération,
la réciprocité des concessions,
le traitement inconditionnel et illimité de la nation la plus favorisée.
153a) Le premier d’entre eux fait l’objet des dispositions contenues dans les articles 4e, 5e, 6e et 7e du Traité. Ces dispositions prévoient que l’élimination des entraves au commerce réciproque doit être effectuée au moyen de négociations périodiques dans un délai de douze ans.
154On a considéré, à l’instar de la période de transition instituée par le Traité de Rome, qu’un tel délai permet — dans une première approximation — une pondération adéquate, sur le plan multilatéral, des avantages et sacrifices à la charge de chaque pays, en même temps qu’il facilite la formation d’un esprit de coopération entre les nations, condition indispensable pour atteindre les bénéfices attendus de l’intégration économique.
155b) Quant au principe de réciprocité, il est l’un des piliers de l’intégration latino-américaine et la forme finale donnée à ce principe dans les articles 10e, 11e, 12e et 13e du Traité de Montevideo constitue le résultat d’une longue évolution dans les conceptions originales des Parties Contractantes.
156Dans les premiers travaux préparatoires de formation de l’ALALC, la réciprocité était conçue comme le résultat de l’équilibre de chaque pays avec l’ensemble des autres pays membres.
157Donc, ceci supposait un équilibre dans les paiements inter-régionaux.
158Dans une étude publiée par la CEPAL avant la signature du Traité de Montevideo7 (cette organisme préconisait que les revenus perçus par un Etat du fait de ses exportations aux autres Etats de la Zone, soient destinés à payer les importations en provenance de ces mêmes régions.
159Le même document établissait que a) les exportations des pays les moins développés vers les pays les plus développés procureraient aux premiers des ressources financières qui devaient être employées à acheter des produits élaborés par les seconds et b) qu’à travers un système multilatéral de paiements, l’emploi des soldes créditeurs pourrait être stimulé à l’intérieur du marché en réduisant au minimum les sorties de devises vers le reste du monde.
160Dans l’article 4e du Traité de Zone de libre-échange approuvé dans la première étape de la Conférence de Montevideo en septembre 1959, la réciprocité est définie par référence à « l’équivalence des courants de commerce promus par les concessions intervenues entre chaque Partie Contractante et l’ensemble des autres Parties Contractantes ».
161Malgré les termes très généraux employés dans cet article, on put constater, d’après les modifications proposées et les discussions provoquées par cette formule, que la définition adoptait le principe de la réciprocité avec toute l’ampleur voulue par la CEPAL.
162Cependant, lors de la deuxième étape de cette conférence, en février 1960, juste avant la signature du Traité définitif, la Délégation du Brésil, appuyée par celle de l’Argentine, demanda la modification de l’article ci-dessus cité, afin d’éliminer toute mention relative au concept d’équilibre global du commerce interrégional dans le principe de réciprocité. Pour sa part, la délégation péruvienne demandait la suppression pure et simple du principe.
163La proposition brésilienne était fondée, entre autres, sur les raisons suivantes :
le volume du commerce inter-régional ne dépend pas seulement des concessions commerciales et cambiaires octroyées, mais aussi d’autres facteurs tels que la promotion des exportations, la qualité des produits et la politique économique interne de chaque nation ;
L’ALALC de par sa nature avant tout commerciale et non cambiaire, ne prétend pas atteindre ou forcer un équilibre global des balances commerciales et des paiements en termes régionaux ;
le principe de réciprocité a été conçu indépendamment de l’équilibre de la balance des paiements et du commerce inter-régional, et pour cette raison, le principe selon lequel les ressources fournies à l’intérieur de la Zone doivent être employées dans la Zone même, était insoutenable.
164En effet, une telle conception signifiait l’affectation « a priori » des ressources provenant des exportations, et ôtait aux Etats intéressés la libre disponibilité de leurs ressources. En outre, le maintien de ce principe équivalait à une discrimination de caractère monétaire envers les pays extérieurs à la Zone.
165La proposition du Brésil fut accueillie favorablement par les autres membres, et dans le texte définitif signé le 28 février 1960, le principe de réciprocité apparaît diminué aussi bien dans sa portée que dans sa finalité.
166Le nouveau principe se définit comme une réciprocité de concessions tendant à promouvoir des courants de commerce entre chaque Partie Contractante et l’ensemble des autres Parties Contractantes, compte tenu de la situation de chaque économie (Art. 10e).
167Bien entendu, si par suite des concessions accordées, des perturbations accentuées et persistantes venaient à se produire, dans le commerce des articles incorporés au programme de libération entre une Partie Contractante et le reste des Parties Contractantes, la correction de ces perturbations ferait l’objet d’un examen en vue d’adopter des mesures à caractère non restrictif, susceptibles de maintenir le plus haut niveau possible d’échanges.
168Il est évident que la clause qui établit le principe de réciprocité est loin de posséder la clarté nécessaire à la définition et à l’adoption de ces mesures, et on n’est pas encore parvenu à un accord sur leur sens et leur portée.
169La seule « mesure adéquate » dans le cas où un pays bénéficierait d’un solde persistant à sa faveur, est celle qui consiste à accélérer sa politique de diminution des droits et restrictions à l’importation, afin de faciliter l’absorption du déséquilibre.
170A l’autre extrême, si la conjoncture économique du moment ne permet pas d’assurer le succès de cette politique, il faut prévoir que par-delà l’adoption de mesures de toute nature qui restent à déterminer, la nation lésée pourra être autorisée à retarder le rythme de diminution de ses droits et restrictions à l’importation, pour rétablir de la sorte l’équivalence entre les concessions par elle accordées et celles consenties en échange par les pays de l’ALALC, en vertu des clauses de sauvegarde prévues dans le chapitre VI du Traité.
171Ainsi, sans postuler un équilibre global dans l’inter-commerce de la Zone, aucun Etat ne peut prétendre obtenir un plus grand avantage que celui qu’il aura lui-même accordé. Dès lors, les négociations annuelles de réduction des charges devront être réalisées sur la base suivante : en échange des avantages concédés aux produits d’un pays par les autres pays partenaires, celui-ci devra accorder à chacun des autres Etats des avantages équivalents.
172Par ailleurs, le principe de réciprocité ne doit pas être compris par rapport à l’équivalence des avantages présents, mais par rapport à leur effet ultérieur dans le commerce des produits favorisés, c’est-à-dire, par rapport à « la matérialisation des perspectives de placement dans les autres marchés ».
173C’est ainsi que l’article 13e du Traité stipule que la réciprocité devra être appréciée par rapport aux perspectives d’augmentation des courants commerciaux entre chaque pays et l’ensemble de la Zone « pour tous les produits compris dans le programme de libération et pour ceux qui seront incorporés ultérieurement ».
174c) Le troisième principe, étroitement lié aux deux autres, se réfère au traitement général de la nation la plus favorisée, d’application immédiate et inconditionnelle.
175Ce traitement s’étend à tout avantage, franchise immunité et privilège, sans considération de nature ou d’origine. Ainsi, tout avantage sera automatiquement extensif à tous les autres membres de la Zone, aussi bien du point de vue douanier et administratif que du point de vue fiscal, monétaire et cambiaire.
176De même (Art. 20e), le traitement prévu par le Traité est applicable aux capitaux publics et privés en provenance de la Zone, qui devront jouir d’un traitement non moins favorable que celui qui est accordé aux capitaux en provenance de tout autre pays.
177Cette clause permet de simplifier les négociations annuelles à réaliser dans le cadre du programme de libération du commerce inter-régional. Du moment que deux nations partenaires auront conclu un accord sur un produit déterminé, ses résultats bénéficieront à l’ensemble des pays associés.
178Toutefois, l’article 19e prévoit l’exclusion dans le traitement de la nation la plus favorisée des accords qui, dans le but de faciliter le trafic frontalier, seraient intervenus entre les pays de la Zone ou entre ceux-ci et les pays tiers.
179Une grande partie des avantages accordés par un Etat à un autre peuvent, en conséquence, échapper à l’égalité de traitement, ce qui enlève beaucoup de sa valeur à l’application générale de la clause. En outre, cette exception pourra être à l’origine de nombreuses combinaisons de nature à affaiblir l’efficacité du principe.
§ 2. — Mesures en faveur des pays à moindre développement économique relatif et critères de sous-développement
180Bien qu’à son origine, l’ALALC ne comptât que sept membres8, lesquels — à l’exception du Paraguay — figurent parmi les pays les plus développés de la Zone, l’expectative d’une adhésion future de l’ensemble des Etats latino-américains soulève le problème de l’institution d’un traitement spécial applicable aux pays les moins développés.
181En l’absence de dispositions spéciales au profit de cette catégorie non seulement les pays à moindre développement économique relatif ne pourront pas faire face aux engagements dérivés des programmes de libération sans porter préjudice à leur équilibre économique interne, mais le traitement égalitaire pour tous les pays membres constitue l’obstacle le plus sérieux à l’incorporation de ces Nations au sein de l’ALALC.
182L’intégration latino-américaine, loin de constituer un frein pour le développement des Etats retardataires, doit leur faciliter les moyens pour accélérer ce processus.
183Dans cet esprit, un chapitre a été consacré aux mesures destinées à favoriser le développement de cette catégorie de pays. Toutefois celles-ci devront être autorisées dans chaque cas particulier par l’ensemble des Parties Contractantes.
184Ces mesures (chap. VIII, art. 32e) comprennent, en résumé, la concession d’avantages exclusifs (non étendus aux autres Parties Contractantes) destinés à stimuler la promotion de certaines activités productrices ; l’octroi de conditions plus favorables pour l’accomplissement du programme de réduction des charges et autres restrictions ; l’adoption de mesures adéquates à la correction de déséquilibres éventuels de leurs balances de paiements ; des moyens appropriés pour protéger la production nationale d’articles incorporés dans le programme de libération et qui présentent une importance fondamentale pour leur développement économique ; enfin, les Parties Contractantes pourront appuyer et promouvoir l’assistance financière et technique, à l’intérieur et à l’extérieur de la Zone, afin de favoriser l’expansion des activités productrices et la création de nouvelles activités. Ces mesures devront avoir aussi pour objet l’élévation de la productivité de quelques secteurs déterminés.
185Il va de soi que ces mesures d’exception, bien qu’à caractère transitoire, auront — selon la conjoncture existante — une durée plus longue que celle qui est prévue dans les clauses générales de sauvegarde. Le temps d’application dépendra en effet, de la persistance des causes qui auront déterminé leur autorisation et des conditions dans lesquelles celles-ci auront été accordées.
186Les dispositions de l’article 32e ne pourront être appliquées qu’à ces nations à qui les Parties Contractantes auront reconnu la condition de pays à moindre développement économique relatif, comme suite à une demande expresse de l’Etat intéressé.
187Cette condition fut reconnue d’un commun accord à la Bolivie et au Paraguay dans le Protocole no V annexe au Traité de Montevideo. De même, lors de la première Conférence des Parties Contractantes, celles-ci exprimèrent que « l’Equateur se trouve actuellement en situation d’invoquer à sa faveur les traitements spéciaux prévus pour les pays de moindre développement économique relatif dans l’ALALC ». Mais il faut signaler que cette condition a été reconnue sur la base empirique de certains critères d’évidence, sans qu’aucun accord ne soit intervenu pour préciser les conditions qui définissent l’insuffisance de développement par rapport aux autres pays de la Zone.
188Pour résoudre ce problème, les pays partenaires ont résolu de charger le Comité Exécutif Permanent de la réalisation d’études pour établir des critères destinés à servir de base à la détermination d’éléments caractéristiques de la condition de moindre développement économique relatif à l’intérieur de la Zone ; ce critère devra permettre de proposer à la Conférence les recommandations adéquates. Le Comité devra tenir compte des différents indicateurs économiques précisés dans une annexe, dont les principes fondamentaux sont : produit national net par habitant et par secteur et activité ; rapport capital-produit et main-d’œuvre-produit ; investissement par habitant actif et coefficient d’investissement par rapport au revenu ; distribution de la population active par secteur ou activité ; consommation par habitant : de fer, acier, électricité, vitre, ciment, papier, acide sulfurique et autres produits représentatifs. Après avoir cité d’autres indicateurs auxiliaires, l’annexe signale comme indicateurs spécifiques la balance des paiements et la consommation, la production et l’importation d’articles dont la production nationale est d’une importance fondamentale pour le développement économique.
189Par ailleurs, lors de la Troisième Période de Sessions des Parties Contractantes, en 1963, on accorda qu’il était nécessaire d’adopter des mesures en faveur des pays à marché domestique insuffisant et dont le développement fût d’intérêt zonal. Afin de compenser les différences de degrés que présentent les Etats membres dans leur développement économique, il fût décidé que certains d’entre eux seraient compris dans une catégorie intermédiaire. On consacrait par là une structure tripartite au sein d’ALALC, sans modifier pour autant le texte du Traité :
190Premier groupe. — Pays à plus grand développement économique relatif :
Argentine.
Brésil.
Mexico.
191Deuxième groupe. — Pays à développement économique intermédiaire ou à marché insuffisant :
Colombie
Pérou
Chili
Uruguay
Venezuela.
192Troisième Groupe. — Pays à moindre développement économique relatif :
Equateur.
Paraguay
Bolivie
193Des mesures d’exception furent donc accordées au profit du dernier groupe, bien que les nations qui l’intègrent aient exprimé leur déception à la suite des premiers résultats obtenus. Par contre, l’ambiguïté des résolutions adoptées en faveur du groupe des pays à marché insuffisant, dont le cas n’avait pas été prévu par le Traité, fera dépendre leur effectivité de la bonne volonté dont les pays à plus grand développement économique relatif voudront faire preuve.
§ 3. — Le problème de la planification du développement : initiative privée et initiative gouvernementale
194La conclusion la plus importante à laquelle nous parvenons au terme de ce chapitre c’est que l’effort de complémentarité industrielle destiné à favoriser le développement harmonisé des Etats de la Zone, ne saurait être efficace en l’absence d’un minimum de planification.
195Dans les discussions autour des problèmes économiques propres aux pays du « Tiers monde », on oublie souvent que le but du développement économique n’est pas d’augmenter la production industrielle comme une fin en soi, mais comme un moyen de satisfaire aux nécessités vitales de tout ordre, existantes au sein d’une population.
196Les mesures prises afin d’atteindre un niveau plus élevé de développement en Amérique Latine, ont moins été adoptées pour des considérations d’opportunité et de convenance, que parce qu’elles étaient justes, urgentes et nécessaires.
197L’Amérique Latine était parvenue à des limites au-delà desquelles l’étroitesse des marchés et les ruptures de l’espace économique semblaient interdire tout progrès.
198L’intégration latino-américaine, compte tenu des distorsions structurelles, de l’inexpérience et de la faiblesse des économies, doit être réalisée parce qu’elle constitue le seul moyen effectif d’affronter les problèmes communs à toute une région du monde.
199Il n’en est pas moins vrai que les besoins et les situations spécifiques des pays latino-américains diffèrent considérablement. Les efforts de développement harmonisé devront se conformer, en conséquence, aux modalités de l’ambiance économique, sociale et culturelle existante dans chaque pays.
200Mais, — malgré l’individualité plus ou moins accusée des problèmes respectifs — un vaste domaine subsiste qui permet de développer les efforts de coordination régionale, et de les orienter vers un système avantageux d’échanges réciproques des biens, des services, des capacités et des capitaux.
201Nous ne reviendrons pas sur les difficultés que présente — dans l’état actuel des structures et ces capacités techniques dans les pays de l’Amérique du Sud — l’établissement d’un plan rationnel de planification économique embrassant l’ensemble des économies qui intègrent l’ALALC.
202L’insuffisance d’économistes, techniciens et experts dans les différentes spécialités de planification et de politique économique, constitue le premier et le plus grave obstacle à la réalisation d’un développement planifié de la production.
203Il est nécessaire, parallèlement aux efforts qui sont réalisés dès maintenant, d’étudier avec soin tous les facteurs qu’il faudra déplacer, et les conditions à remplir pour l’incorporation et le maintien dans l’administration publique, des experts et des techniciens qualifiés. Une révision des programmes de l’enseignement et de la formation professionnelle est indispensable pour que les établissements universitaires produisent des spécialistes adaptés aux besoins spécifiques de l’Amérique Latine.
204Les techniciens de l’ALALC sont conscients des difficultés que présente la planification économique ; même avec l’aide internationale, l’efficacité de cette tâche risque de se situer au-dessus des possibilités des pays latino-américains. « Oui, c’est un travail extrêmement difficile — reconnaît M. Prebisch — mais, ajoute-t-il, quelle est donc l’autre solution simple ? La solution simple du libre jeu des mécanismes économiques, a-t-elle apporté une réponse au problème de la possession des terres en Amérique Latine ? La redistribution des revenus, n’a-t-elle pas été le résultat de l’action politique et syndicale des masses, plutôt que celui du libre jeu des forces économiques ? Le libre jeu des forces économiques n’est efficace qu’une fois écartés du champ économique les obstacles fondamentaux qui s’opposent au développement et lorsqu’une planification adroite a établi les conditions et les objectifs économiques et sociaux du développement »9.
205Il ne faut pas croire pour autant à la nécessité d’un organisme centralisé de planification intégrale, étendu à l’ensemble des pays de l’ALALC.
206La planification doit être comprise dans un sens beaucoup plus restreint, et dans sa portée et dans sa signification.
207La planification souhaitée en fonction du développement économique de l’Amérique Latine ne doit avoir d’autre sens qu’une série d’interventions de la part d’organismes planificateurs tendant à harmoniser et à coordonner les plans régionaux de développement qui émanent des différents centres de décision. Mais cette fonction doit être dynamique, et ne pas se limiter seulement à éviter les doubles emplois dans l’industrie ou à établir, à l’intention des Gouvernements intéressés, des plans hypothétiques à long terme, sans apporter aucune participation effective dans le processus d’intégration.
208La planification du développement en Amérique Latine, aussi restreinte que soit sa portée et limitée par exemple, à certains secteurs parmi les plus importants de l’industrie, doit être forcément un processus à long terme dont l’application généralisée est pour le moins prématurée dans l’état actuel des choses.
209En premier lieu, il faut établir des plans régionaux dont la réalisation sera aisée dans la courte période, tendant à déterminer les besoins les plus urgents d’investissement économique et social, dans certains points stratégiques où l’inflation fait obstacle à l’accélération du rythme de développement.
210Avant de penser à l’intégration d’un ensemble pluri-national, il faut commencer par intégrer les économies « désarticulées ».
211Le souci gouvernemental de créer des organismes de planification et de préparer des plans de développement, existe depuis longtemps en Amérique Latine, mais cette préoccupation ne s’est jamais traduite dans les faits par une réalisation intégrale et effective des économies nationales.
212Les caractéristiques des expériences en cours de réalisation en Amérique Latine peuvent se définir, à la faveur de certaines généralisations, par les observations suivantes :
213a) En général, l’organisme planificateur — dont les membres sont souvent choisis suivant des critères autres que les critères économiques — se trouve sous la dépendance directe de l’organe exécutif le plus élevé de chaque Gouvernement.
214Ceci montre bien une tendance à investir cet organisme d’un apparent pouvoir de décision, sans que celà se traduise par un pouvoir d’exécution effectif des attributions spécifiques (réelles ou formelles) qui lui ont été accordées.
215Plus que d’organismes d’exécution, il s’agit en fait d’organismes de coordination et de consultation qui constituent un moyen plus ou moins efficace d’assignation des ressources en accord avec des priorités établies par certaines commissions techniques.
216b) Jamais dans aucun des pays de l’Amérique Latine, des plans intégraux de développement, comprenant tous les secteurs de l’économie, n’ont été formulés (une fois de plus, nous ne considérons pas la situation très spéciale de Cuba). En général, les plans de développement seraient plutôt des programmes de travaux publics ou d’investissements d’Etat, dont l’importance est en rapport direct avec la plus ou moins grande participation du secteur public. Souvent, la portée réelle des plans mis en œuvre ne dépasse pas la coordination des programmes au niveau ministériel.
217Ces plans se voient d’ailleurs limités par un souci excessif concernant leur financement externe, au détriment bien souvent du financement interne. Dans la plupart des cas celui-ci n’a pas beaucoup d’importance par rapport à l’investissement total, ou bien, il se base sur des estimations de revenus gouvernementaux qui s’effectuent rarement dans la réalité.
218Les caractéristiques mêmes de ces plans déterminent une rigidité dans leur organisation qui ne permet pas de les adapter aux conditions changeantes de l’économie. Cette situation constitue un facteur limitatif additionnel dérivé de l’absence de coordination entre les différents secteurs de l’activité économique et des considérations de type politique ou démagogique qui se situent à l’origine de la planification théorique, et qui se traduisent par des résultats négatifs au moment de leur réalisation effective.
219Cet état de choses explique les réticences des capitaux privés pour coopérer avec le secteur public, et la méfiance et le scepticisme avec lequel les plans successifs sont accueillis.
220Pourtant, pour atteindre les finalités proposées par l’intégration économique latino-américaine, un certain degré de planification par secteur de l’activité économique de la Zone est indispensable.
221Dans le secteur primaire — agriculture, élevage et industries extractives — fondamentalement dirigé vers l’exportation, il est peu probable qu’une politique de planification puisse atteindre des résultats spectaculaires. La coopération économique dans ce secteur semble devoir se limiter aux efforts communs tendant à stabiliser pour l’ensemble des pays producteurs, les prix des matières premières.
222Un autre secteur groupe les industries légères déjà établies, qui réclament un surplus de protection et ne semblent pas très intéressées par les perspectives d’une politique économique commune à l’intérieur de l’ALALC. Les progrès de l’intégration dans ce secteur s’effectueront, par conséquent, à une cadence très lente.
223Dans un troisième secteur groupant les industries lourdes, une planification sectorielle pour l’ensemble des pays associés pourrait progresser plus aisément, étant donné que ces activités sont encore peu nombreuses et exigent de très forts investissements, et que l’étroitesse des marchés nationaux ne conseille pas la protection du marché d’un pays déterminé à l’encontre de tous les autres.
224Le Professeur Tinbergen10, en se basant sur les expériences de l’Europe et des Etats-Unis, considère la planification du développement de l’industrie lourde en Amérique Latine, faisable au moyen de modèles économiques de type in-put out-put à trois dimensions : distribution de l’activité productrice entre plusieurs industries et procédés, dimension optimale de l’entreprise et localisation des unités productrices.
225Mais même en supposant que les techniques modernes de planification puissent permettre de calculer approximativement les meilleures formes de développement de l’industrie lourde, il est peu probable que ce développement puisse s’appuyer sur un régime de libre-entreprise.
226Trois raisons, se rapportant aux caractéristiques spéciales de l’industrie lourde, permettent de douter de l’efficacité d’un régime de libre accès pour ces industries :
Tout d’abord, la période relativement longue qui est nécessaire à la réalisation des projets individuels, provoque des déséquilibres cycliques bien connus d’investissement et de production. Dans un régime de libre accès à ces industries, dans le cadre de l’ALALC, les différences d’élasticité dans le temps et dans l’espace, des anticipations des entrepreneurs, sont susceptibles de créer des crises de surproduction entraînant la hausse généralisée des prix.
La deuxième raison est l’indivisibilité des investissements nécessaires. La dimension optimale des centres de production implique un très haut coefficient de capitalisation. Vu la pénurie de capitaux disponibles dans certains pays latino-américains, il pourrait exister une tendance à créer des entreprises marginales trop petites, qui devront disparaître au fur et à mesure que d’autres entreprises plus productives seront créées. Ce processus implique un gaspillage de capitaux, particulièrement nocif dans les pays qui en ont précisément le plus grand besoin.
Enfin, la complète liberté de décision dans le secteur privé, pourrait avoir des conséquences négatives quant à la localisation optimale des unités productrices. Le danger existe de voir l’industrie lourde se concentrer uniquement dans quelques pays, ce qui est de nature à favoriser — par les économies externes dont jouissent les entreprises nouvelles — la réalisation de multiples investissements nouveaux dans un même lieu. Ainsi, des pôles de développement d’une dimension supérieure à celle qui est requise par le milieu économique et social du lieu d’implantation peuvent se former, au détriment d’autres points où leur implantation serait plus souhaitable.
227Une intervention de l’Etat serait dès lors désirable, sans pour autant arriver à la solution extrême de la planification intégrale.
228La planification doit se limiter, pour commencer, à l’établissement de modèles permettant de signaler les normes de production à atteindre.
229Les Gouvernements peuvent, dès lors, accorder leurs politiques aux modèles résultant des calculs établis.
230Ces politiques doivent prévoir les instruments et les moyens pouvant influencer, dans un sens ou dans l’autre, l’initiative privée. Les moyens indirects dont l’Etat dispose pour inciter les investissements privés, sont constitués essentiellement par les subventions et les travaux publics tendant à créer l’infrastructure nécessaire. Les moyens de contrainte en vue de limiter ou d’interdire, sont constitués principalement par l’impôt.
231Les moyens d’incitation directs, susceptibles de prendre des formes différentes, peuvent être surtout constitués par des permis d’établir de nouvelles industries et par l’interdiction conséquente de les établir sans cette autorisation.
232Le Fonds Spécial des Nations Unies a étudié, au début de 1962, un projet pour l’établissement d’un Institut Régional pour la Planification du Développement en Amérique Latine, pour lequel la Banque Inter-américaine de Développement a accordé une dotation d’un million de dollars destinés au fonctionnement de l’Institut.
233Celui-ci a son siège à Santiago du Chili, et son budget total pour la période 1962-1966, a été prévu à 8,6 millions de dollars.
234Les attributions de l’Institut ne diffèrent pas beaucoup de celles théoriquement assignées aux Instituts régionaux existant en Amérique Latine. Celles-ci ont pour but d’élever le niveau technique des fonctionnaires gouvernementaux et spécialistes en matière de programmation du développement, tout en fournissant l’aide nécessaire aux gouvernements pour l’établissement et l’organisation technique et institutionnelle des programmes de développement et de planification.
235Mais l’aspect le plus intéressant de cet Institut consisterait dans l’étude continue et systématique des techniques de planification employées dans le monde, en vue d’évaluer et d’améliorer celles qui sont actuellement en usage, non seulement en Amérique Latine, mais dans tous les autres pays sous-développés.
236Bien que les Gouvernements des pays de l’ALALC se soient tous déclarés convaincus de la nécessité d’une planification systématique du développement économique et social en Amérique Latine, l’accord est loin d’être fait au sujet des modalités que nécessiterait une telle réalisation.
237Le seul point qui semble être commun dans l’opinion de tous ces Gouvernements, c’est que la planification doit être effectuée dans le cadre de la libre entreprise. On voit mal comment, dans la structure actuelle des pays latino-américains, l’intervention de l’Etat pour planifier le développement industriel de l’Amérique Latine, pourrait se concilier avec le respect absolu des initiatives individuelles.
238L’expérience de ces dernières années a suffisamment montré l’incapacité de l’initiative privée à investir dans les secteurs de base de l’industrie. Le détournement des investissements vers des emplois non productifs, l’immobilisation des capitaux dans les comptes à l’étranger, la « fièvre d’urbanisation » en plus des dépenses de prestige ont constitué jusqu’à présent la réponse la plus claire du secteur privé au problème du développement.
Notes de bas de page
1 « Comercio Exterior », Mexico, janv. 1962, p. 4.
2 F. Rostro, « La industria automovilistica y el desarrollo econόmico de México ». « Actividad Economica en Latino-America », México, 15 nov. 1960, p. 10.
3 L’ILAFA a été fondé en octobre 1959 par tous les pays latino-américains producteurs d’acier. Son siège se trouve à Santiago du Chili.
4 C’est ainsi qu’en 1962, le Brésil a importé 230.000 tonnes d’acier. Cependant, ses exportations de ce produit ont augmenté de 54.000 tonnes en 1963 à près de 250.000 tonnes en 1964, avec une valeur de 17 millions de dollars. Pour sa part, l’Argentine projette d’atteindre une production de 3 millions de tonnes en 1969.
5 GATT, « Le Commerce International en 1966 ». Genève, 1967.
6 ONU, FAO, « Perspectivas de la Iudustria de papel y celulosa en América Latina ». Rome, 1955.
7 ONU, CEPAL, « The Latia American Common Market and the multilateral Payments System ». « The essential principle of reciprocity », Doc. E/CN. 12/C. 1/9. New York, 1959, p. 20-21.
8 Les pays fondateurs sont : l’Argentine, le Brésil, le Chili, le Mexique, le Paraguay, le Pérou et l’Uruguay. L’Equateur, la Colombie, le Venezuela et la Bolivie se sont incorporés postérieurement.
9 Discours de M. R. Prebisch à la session plénière de la CEPAL, le 7 août 1961.
10 J. Tinbergen, « La industria pesada y el Mercado Común Latinoaméricano ». ONU, CEPAL, « Boletín Econόmico de America Latina », vol. Y, no 1.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Meurtre au palais épiscopal
Histoire et mémoire d'un crime d'ecclésiastique dans le Nordeste brésilien (de 1957 au début du XXIe siècle)
Richard Marin
2010
Les collégiens des favelas
Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro
Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992