Chapitre II. Les tropiques humides
p. 120-148
Texte intégral
1Le nord du Mexique nous est apparu doué d’une forte originalité et, à tout prendre, d’une unité constituée par de nombreux aspects communs à l’ensemble. Il n’en sera pas de même dans les régions tropicales humides. Bien qu’ici l’espace soit moins immense que dans le nord, il y a place pour des contrastes beaucoup plus marqués : nous pénétrons dans un monde morcelé, dispersé en petites unités malgré l’originalité commune du milieu naturel.
2Celui-ci permet de pratiquer un certain nombre de cultures qui sont ici bien à leur place : le sucre et le café puis plus récemment la banane, l’ananas et peut-être bientôt l’hévéa. Malgré cela s’opposent fortement des secteurs bien peuplés et d’autres à peu près vides. Ces contrastes sont d’autant plus remarquables que les fortes densités correspondent parfois à des milieux médiocres, comme au Yucatan, tandis que les vides présentent parfois des possibilités importantes de mise en valeur, celle-ci étant retardée par le manque de main-d’œuvre. Ces ombres et ces lumières nous semblent caractéristiques du milieu tropical humide mexicain.
3Cependant les conditions du peuplement sont fort différentes selon la proximité par rapport à la zone fondamentale formée par le Mexique central. La façade huastèque et veracruzame est intimement soudée à ce Mexique central dont elle reçoit peuplement ou initiatives, et où elle trouve en même temps un vaste marché. Au contraire, à partir de l’isthme de Tehuantepec, le Mexique oriental est frappé d’éloignement par rapport au cœur du pays et ses différents secteurs sont mal reliés entre eux.
Section I. LA FAÇADE HUASTÈQUE ET VÉRACRUZAINE
4L’originalité de cette région provient évidemment de ses caractères climatiques : peu au sud du tropique, dès le 23e degré de latitude nord, un milieu sans saison sèche marquée borde l’altiplano semi-aride. Cette région séduit souvent par sa végétation de forêt toujours verte et aussi par ses contrastes : tradition indigène et puits de pétrole, villes coloniales et routes pionnières. C’est un Mexique qui donne rarement une impression de grande misère et le « triste tropique » y a presque toujours sa lueur d’espoir. Un front montagneux tourné vers l’est et le nord-est, face aux vents pluvieux, domine ici des plaines et des collines fort variées.
A. — Les montagnes tropicales humides
5Sauf au niveau du volcan Orizaba, point culminant du Mexique (5 700 m) et du Cofre de Perote (4 100 m), ce front montagneux ne dépasse qu’exceptionnellement 2 500 m d’altitude et forme le plus souvent le rebord peu surélevé de l’aliplano central, même si géologiquement la Sierra Madre orientale se présente comme une chaîne plissant des masses calcaires secondaires. Une forêt tempérée à chênes et liquidambars descend jusqu’à 1 500 m et souvent plus bas ; sa parenté avec la forêt tropicale toujours verte située en contre-bas se note grâce aux lichens, lianes et épiphytes qui l’ornent jusqu’à 2 000 m au moins. Cette forêt apparaît brusquement en quelques kilomètres dès que l’on quitte le versant sec, souvent endoréique, et ses cactées1
6L’importance hydrologique de cette façade humide est évidente. Certes la masse calcaire, souvent sculptée en un ensemble de pitons, absorbe les précipitations qu’elle restitue au piémont en sources vauclusiennes nombreuses, dont les plus remarquables sont à El Mante et près de Tamuín (Taninul). Mais on a pu utiliser les débits du réseau superficiel, soit en haute chute à l’usine hydro-électrique de Necaxa, une des plus anciennes du pays, soit dans les avant-monts au barrage Miguel Alemán : dans les deux cas la capitale consomme l’essentiel de l’énergie électrique produite. Comme les cours d’eau, la végétation profite de pluies abondantes (1 300 à 2 300 mm selon les orientations), dont près d’un tiers tombe hors des six mois de la saison des pluies estivales.
7Les montagnes comme les collines de piémont portent la marque d’une forte occupation indigène, qui semble manquer dans les plaines : les vastes terres basses — en partie marécageuses — du Pánuco et du Papaloapan étaient-elles plus malariennes jusqu’en 1940 ? Toujours est-il que la Sierra — dans l’état de Puebla et plus au nord comme au sud de l’Orizaba — est d’autant plus restée terre indigène que les difficultés des communications freinaient un métissage qui s’est accéléré dans l’altiplano, comme semble-t-il dans les régions de grand passage de l’époque coloniale vers le port de Veracruz. Ce peuplement ancien dense existe vers le nord jusque vers Valles. Plus au nord les densités diminuent. Mais un peuplement sédentaire existait jusqu’au nord de El Mante. Au contraire les Chichimèques occupaient l'altiplano jusqu’à des latitudes bien plus méridionales, vers Pachuca et Tenancingo. La région accidentée connaît des densités supérieures à 70 habitants au km2, même à faible altitude ; le bas pays n’a que des densités supérieures à 40.
8Si chaque village appartient en général à un groupe ethnique homogène — plus ou moins atteint bien sûr par le métissage — la mosaïque est très poussée dans une même zone. On peut schématiser en disant que les occupants les plus anciens sont probablement gens de terre chaude de tradition maya : les Huastèques occupant au nord une position avancée face aux Chichimèques et les Totonaques installés plus au sud. Les peuples de l’altiplano se seraient infiltrés postérieurement vers les terres basses moins surchargées de population que leur milieu originel semi-désertique : les Otomis mais aussi les gens de langue nahua : ceux-ci occupent un bastion avancé dans le bloc montagneux isolé des Tuxtlas. Actuellement la prospérité des cultures tropicales provoque une accélération de ces mouvements de descente des gens des hautes terres : ce sont des buveurs de pulque et grâce à cette clientèle le commerce de cette boisson se propage hors du domaine de culture de l’agave.
9Un exemple de ce monde indigène peut être pris chez des Nahuas de la Sierra de Puebla près de Zacatlán ; la pression démographique est forte comme dans une bonne partie de la Sierra : les densités vont ici de 100 à 180 habitants au km2. Il en résulte des invasions de terres souvent notées (comme dans l’état de Veracruz). Malgré la fertilité du milieu qui permet des cultures variées (maïs, haricot, mais aussi bananes, agrumes, papayes, café), le paysan ne travaille que 160 jours par an et les salaires ruraux quotidiens tombent à 5-10 pesos.
10Ce monde connaît l’opposition traditionnelle du commerçant métis du bourg face au paysan indigène : dans les petites villes, la rencontre se fait dans des marchés colorés et animés comme à Teziutlán, Zacatlán, Villa Juárez ou Huautla de Jiménez.
11Sans résoudre tous les problèmes, la culture du café en très gros progrès dans les vingt dernières années est le principal ferment de modernisation. Nous avons sans doute ici plus des 2/3 de la récolte nationale de café (la moitié de la récolte mexicaine rien que pour l’état de Veracruz). C’est précisément pour freiner les monopoles commerciaux dans une région où par ailleurs tous les problèmes agraires ne sont pas résolus que l’Institut National Indigéniste a installé récemment un centre à Huautla de Jiménez, non sans incidents d’ailleurs.
B. — La pénétration des voies modernes en montagne
12Si parfois la Sierra Madre orientale forme un bourrelet qui domine l’altiplano et qu’il faut traverser, en général depuis les hautes terres sèches on descend dans la Sierra boisée et les nombreux passages vers la plaine chaude sont plus ou moins faciles à aménager selon la morphologie de l’escarpement.
13Au sud de Ciudad Victoria qui est dominée à plus de 3 000 m par une Sierra vigoureuse, le secteur nord comporte des plis modestes, coulisses séparées de bassins intérieurs et précédées d’avant-monts dont la traversée ne présente guère de difficultés ; mais l’altiplano déjà désertique qui domine ces plis offre peu d’intérêt économique et le trafic reste modeste vers San Luis Potosi : une route goudronnée récente passe par Ciudad del Maíz et le chemin de fer de Rio Verde n’est doublé par une route continue que depuis peu ; enfin par Xilitla une route ouverte en 1966 monte vers la Sierra qui forme ici un dédale de pitons karstiques au milieu des caféiers : cette route permet ensuite d’atteindre Querétaro.
14Dans les états de Hidalgo et de Puebla il est plus difficile de franchir la Sierra qui fait face au nord : l’altiplano est plus élevé, le bourrelet montagneux est flanqué de laves et le Rio Moctezuma y a taillé un réseau de gorges profondes. Néanmoins c’est ici que passe une route maîtresse du pays : l’ancienne panaméricaine. Détrônée pour le grand tourisme qui passe par San Luis Potosi, elle voit monter vers Mexico les camions au long des grands versants qui dominent Tamazunchale de leur pente d’un seul jet ; les chargements sont composés d’agrumes ou de bétail embouché en terre chaude. Plus au sud-est, l’escarpement est moins entaillé par l’érosion ; cependant les routes plus récentes par Villa Juárez et par Teziutlán actuellement et bientôt par Molango, sont sinueuses et difficiles elles aussi : cependant elles ouvrent à l’économie d’échange une montagne en partie peuplée d’indigènes où la culture du café progresse.
15Dans le secteur volcanique récent, malgré les altitudes élevées près de l’Orizaba, les passages qui encadrent ce volcan sont paradoxalement d’accès facile car les nappes de basaltes à peine entaillées parfois forment des plans inclinés assez simples. Passages d’importance majeure, puisque le Mexique d’avant les voies ferrées vers les Etats-Unis vivait — surtout à l’époque coloniale — par le trafic du port de Veracruz. Outre la récente autoroute directe Puebla-Orizaba (proche du tracé de la voie ferrée) cette ville est reliée à Tehuacán et le trafic de poids lourds est intense, pour la bière entre autre ; l’axe nord, routier et ferroviaire, passe par Jalapa et porte un trafic moins important que l’axe de Orizaba. Au sud-est de Tehuacán, les massifs et plateaux de Oaxaca, peu atteints eux-mêmes par la vie de relation moderne, ne sont reliés aux plaines chaudes que par la piste de Valle Nacional ; les migrations depuis le haut pays surpeuplé sont sans doute ici plus modestes que dans le reste de la façade véracruzaine, malgré le développement pionnier du bas pays.
16Mais au total — surtout si l’on compare les montagnes que nous venons de visiter à la Sierra Madre occidentale ou à celle du sud — la façade montagneuse huastèque et véracruzaine est remarquablement pénétrée : dix percées aménagées ou en cours d’aménagement sur une longueur de 850 km. Ceci n’est pas seulement un fait de réseau routier moderne : les échanges précoloniaux étaient importants entre hautes terres et basses terres, entre civilisations issues de Teotihuacán et civilisations mayas. Entre deux milieux fort contrastés la barrière n’a jamais été impénétrable et l’on peut suivre Jimenez Moreno en pensant qu’ici se trouve une des chances fondamentales dans le développement pré-colonial du centre-est du Mexique, comparé à l’ouest du pays.
C. — Le milieu du bas pays
17Si l’ambiance tropicale humide donne le ton dans toute cette région, bien des nuances apparaissent cependant, que la végétation révèle. La forêt tropicale humide apparaît localisée au pied de la Sierra à la latitude de Valles par 22° nord ; elle envahit le bas pays de collines de Poza Rica en contre-bas du flanc nord de l’axe néovolcanique et occupe la majeure partie de l’espace plus au sud-est. Cependant, sous le vent de certains reliefs, c’est à-dire au sud-ouest de ceux-ci, la végétation xérophile reprend ses droits ; on trouve seulement une nuance moins humide au revers du massif des Tuxtlas où la végétation à feuilles caduques se mèle aux arbres toujours verts. Mais le contraste est beaucoup plus marqué dans les collines côtières au nord de Veracruz, protégées des nortes par la terminaison à Punta del Moro de l’axe néovolcanique ; il en est de même au fond des gorges creusées dans le plateau de laves à l’est de Jalapa : on y retrouve les cactées et les épineux des terres sèches. La limite nord du domaine humide se situe beaucoup plus au nord : après El Mante, à l’abri de la Sierra de Tamaulipas ; c’est cette barrière climatique qui permet de fixer la frontière entre le monde huastèque-véracruzain et le nord-est mexicain. Cette limite a séparé le monde de haute culture du monde chichimèque.
18Ce domaine humide permet la culture sans irrigation depuis Valles : El Mante, plus au nord, exige encore l’irrigation sauf dans des secteurs privilégiés. Il y a peu de végétation herbeuse naturelle, mais on trouve cependant grâce aux défrichements les meilleurs pâturages du pays. Souvent en partie améliorés par des graminées semées, ces pâturages ont une herbe qui pousse régulièrement toute l’année ; il suffit de faire passer le bétail dans les différentes parcelles encloses de barbelés pour bien utiliser ces prairies. Certes une sécheresse de quelques semaines exceptionnelles, comme en juillet-août 1964, suffit à gêner les éleveurs.
19La variété de la topographie est on l’a vu la cause des nuances climatiques dans la région. Elle donne aussi une variété hydrologique et pédologique dont dépend l’histoire de l’occupation humaine. L’ensemble est bien sûr une zone de remblaiement persistant au pied de la Sierra Madre orientale. Il en résulte une structure géologique favorable à la présence du pétrole, ainsi qu’une morphologie côtière en général hostile à la vie portuaire. La houle poussée par l’alizé du nord-est ou plus encore par les rafales des nortes arrive le plus souvent de plein fouet sur une côte de plages sableuses à faible pente. Les cordons littoraux ferment des étangs parfois très vastes où s’organise une pêche en partie artisanale (15 % de la production nationale du poisson pour ce secteur côtier) : près de l’embouchure du Pánuco, dans la grande lagune de Tamiahua (convergence de flèches littorales analogues au cap Canaveral) ou dans celle d’Alvarado (où se déverse le système fluvial du Papaloapan). Les quelques secteurs rocheux manquent tout aussi bien de bons abris, ce qui explique la concentration de la vie maritime en quelques points, à l’inverse de la côte pacifique du Mexique : ni au pied du massif des Tuxtlas ni le long de la terminaison de l’axe volcanique on ne trouve de site abrité et celui de Veracruz est un pis-aller.
20Au nord s’étend un secteur de plaines drainées par le système du Pánuco qui débouche à Tampico. Ces cours d’eau, plus abondants que ceux du nord, ont de hautes vallées qui pénètrent la Sierra, ici peu vigoureuse. D’autre part la formation de vastes piémonts s’est trouvée entravée par la présence d’avant-monts à l’est de la Sierra : toujours est-il que les surfaces anciennes sont rares en comparaison des niveaux étagés du nord. Là où les terrasses apparaissent, elles sont nettement latéritisées.
21Plus au sud entre Tamazunchale et Punta de Morro, une région de collines s’étend au pied de la Sierra de Puebla : le bas pays se rétrécit à mesure que la Sierra, qui fait face au nord, se rapproche du Golfe et s’abaisse progressivement vers Punta de Morro. La masse des sédiments tertiaires est découpée en collines : le panorama depuis les balcons de la route Villa Juárez-Poza Rica montre que le moutonnement des bosses aux pentes vigoureuses se règle sur au moins un niveau dont la pente régulière s’accentue vers la montagne ; on peut penser qu’un ancien piémont a été ici soulevé à proximité de l’axe volcanique et vigoureusement découpé par l’érosion dans ce domaine bien arrosé. Ailleurs — au nord de Tuxpan en particulier —-des émissions volcaniques ont laissé des mesas qui protègent les sédiments tertiaires tendres sous-jacents.
22Le bas pays situé au pied de la zone de volcanisme récent, de Jalapa à Tierra Blanca, se présente comme un immense piémont souvent peu entaillé par les cours d’eau. Parfois les nappes de basalte forment le matériel principal ; parfois des alluvions dérivées des cendres volcaniques s’étendent fort loin des centres d’émission et sans doute ont entraîné dans les boues épaisses (laares) les gros blocs de laves qui reposent sur des surfaces très peu inclinées. Les sols sont meubles et riches, parfois perméables au point que l’on retrouve une végétation xérophile. C’est aussi par ici on l’a vu, que l’on accède le plus facilement à l’altiplano et tous ces éléments se conjuguent pour expliquer une occupation humaine plus complète qu’ailleurs.
23Vers le sud-est, au pied de la vigoureuse Sierra de Zongolica, le système du Papaloapan connaît des crues violentes. Les terres basses et marécageuses sont les plus nombreuses et le contrôle des eaux n’est devenu possible que depuis que l’on a maîtrisé le Rio Tonto : le barrage Miguel Alemán accroché au dernier avant-mont calcaire de la Sierra, est le plus ancien des grands ouvrages de l’hydraulique mexicaine. Les sols de terrasses ou de collines, mieux drainés en particulier sous le vent du massif des Tuxtlas, sont assez fortement latéritisés. Cette région orientale du Veracruz, vers l’isthme de Tehuantepec, est loin d’être complètement occupée.
24Ainsi le bas pays huastèque et véracruzain est un milieu très varié dont l’occupation humaine reste très contrastée ; une population dense existe surtout dans des secteurs bien drainés, souvent au pied des montagnes de la Sierra ou du massif des Tuxtlas. Ailleurs, la population reste faible — surtout dans les secteurs marécageux — et le peuplement progresse depuis trente ans en raison d’une mise en valeur qui joue sur plusieurs tableaux : les plaines de Tampico ou les collines de Tuxpan-Poza Rica ont été pourvues de routes pour les besoins de l’exploitation pétrolière, mais une agriculture pionnière en a profité. Plus récemment la Commission du Rio Papaloapan a multiplié les routes et les pistes pour développer des zones agricoles sous la protection du barrage Miguel Alemán.
25Mais ces mouvements pionniers sont loin d’atteindre des pays vides la terre a fait l’objet d’une appropriation ancienne pour un élevage extensif ou pour une agriculture indigène de subsistance, dans des régions à peine ouvertes à l’économie moderne ; on note souvent dans ces régions des heurts entre des caciques locaux et des groupes de paysans qui occupent des terres qui se valorisent, ces paysans exigeant l’application de la loi agraire. L’accroissement démographique local récent et la descente de gens de la Sierra explique cela. Plus généralement tout le bas pays, pour être au pied des plateaux de Oaxaca et de l’altiplano surpeuplés, peut attirer, par ses terres libres et ses salaires ruraux relativement élevés, une main-d’œuvre agricole en des migrations diffuses où l’état n’intervient pas, à mesure que les routes se multiplient à travers la Sierra ; comme on estime qu’un tiers de la terre à vocation agricole de ce bas pays reste encore à cultiver, on conçoit que les possibilités de développement agricole soient les meilleures du pays. Ajoutons à cela la proximité des principales masses de consommateurs mexicains, ce qui contraste avec les régions irriguées du nord, mieux reliées parfois au marché nord-américain qu’au marché national.
D. — La vie rurale du bas pays
I. — Traits d’ensemble
26Avant d’indiquer les spéculations principales de chaque secteur, qui se diversifient à mesure que les transports s’améliorent, on peut donner le ton de l’ensemble : traditionnellement ce fut la principale zone sucrière du pays, près de Veracruz ; c’est une grande zone d’élevage extensif qui passe actuellement à l’embouche : le croisement du bétail criollo avec le zébu améliore la qualité de la viande, destinée de plus en plus au marché de la capitale. L’agriculture paysanne occupe l’espace dans les régions les mieux peuplées où des villages groupés ont le tracé classique en damier, chaque habitation disposant d’une vaste parcelle de jardin plantée d’arbres ; chaque village apparaît comme une masse de verdure, tandis que les champs carrés sont souvent limités par des haies vives.
27On peut décrire cette agriculture d’après un exemple pris au pied de la Sierra au nord de El Mante — dans un milieu optimum de sol jeune assez récemment mis en culture, doté de pluies bien réparties. La communauté rurale de El Guayabo, qui groupe moins d’une centaine de familles, exploite au moins —sous forme de parcelles ejidales attribuées en 1937 — 500 ha de labours et 300 ha de brousse sans doute en partie défrichable. A ces superficies s’ajoute sans doute de la propriété privée et 38 familles seulement ont bénéficié de la distribution d’ejido. Les exploitants doivent disposer de plus de 10 ha labourables en moyenne. Ils cultivent pour la vente et louent un tracteur pour labourer. La canne à sucre est vendue à la sucrerie de Xicoténcatl. Les haricots, le sésame et le maïs sont vendus par Ciudad del Maiz vers San Luis Potosi. Le coton s’est développé récemment et les fruits très variés des jardins ne sont pas l’objet de commerce. Pour compléter leur nourriture les villageois achètent du riz et des pommes de terre. Les rendements de la culture de base — le maïs —sont remarquables : sans arrosage on peut récolter 3 tonnes à l’hectare en été (mai-août) et 2 tonnes en hiver (septembre-décembre).
II — Les spéculations régionales
281°. — La sucrerie : El Mante. — C’est une coopérative d’état qui se partage avec Xicoténcatl — entreprise privée — la clientèle d’une zone où l’irrigation est nécessaire pour la culture de la canne : une grosse résurgence permet autour de El Mante un périmètre d’irrigation de 16 000 ha, dont 12 000 de canne à sucre. La récolte de 1963 (780 000 t de canne) révèle un bas rendement annuel moyen (65 t/ha), sur le cycle total de trois ans de la culture. Il s’explique en particulier par le faible emploi d’engrais chimique mais aussi par les hivers frais de la région, à la limite sud des coups de froid.
29La plus grande partie de la canne moulue par la sucrerie est livrée par les 2 000 tenanciers d’ejido, dont la parcelle individuelle est de 6 ha de canne. Les problèmes classiques de l’exploitation sont liés au manque de capitaux : des parcelles louées à des entrepreneurs de machines agricoles, des veuves incapables d’assurer la mise en valeur de la parcelle. La direction de la sucrerie cherche à améliorer le niveau de vie des paysans en améliorant le drainage des terres où le sel apparaît, en favorisant les cultures non irriguées (maïs-haricot), l’élevage d’embouche grâce à la culture du sorgho, les cultures fruitières et les basses-cours (afin d’assurer des ressources aux veuves dont la parcelle sera transmise à un jeune exploitant dépourvu de terre). Au demeurant la prospérité est assez nette, comme le montrent divers indices : peu de plaintes des paysans (ce qui n’est pas le cas à Xicoténcatl) et venue d’une main-d’œuvre temporaire pour la zafra : 2 000 personnes des états de Guanajuato, Jalisco, Guerrero, Oaxaca et San Luis Potosi viennent gagner de 15 à 18 pesos par jour, sans compter les camionneurs qui viennent avec leurs véhicules après la récolte du coton de la Laguna ou de Matamoros.
30Ainsi, malgré le niveau technique médiocre, cet exemple de la réforme agraire est-il assez favorable et la région attire de toute façon la main-d'œuvre par des salaires supérieurs à ceux de l’altiplano.
312°. — De Tampico à Poza Rica. — La culture de la canne à sucre se développe aussi dans cette région : un gros ingenio fonctionne entre Mizantla et Martinez de la Torre, un autre vient d’être construit en 1965, près de Pánuco, destiné à traiter 600 000 t de cannes, puis le double : c’est une affaire privée, bien que la plupart des terres de la zone soient ejidales.
32Les défrichements le long des routes ont profité d’abord aux cultures d’arbres fruitiers : autour de Tamazunchale sur les fortes pentes du pied de la Sierra, les plantations d’agrumes et de papayes se multiplient car les défrichements progressent rapidement ; il en est de même dans la région de Poza Rica où les bananiers se joignent aux agrumes sur les collines défrichées. Mais on voit d’autres spéculations se développer : pour le marché nord-américain et grâce à l’irrigation par puits artésiens, on produit de la tomate près de Tampico ; au nord de cette ville la culture non irriguée du coton se développe très rapidement.
33La production de viande de boucherie est cependant la principale spéculation de la région même si la production laitière peut se développer depuis la construction de l’usine de lait condensé Nestlé près de Valles, à Tamuín. On l’a vu, la qualité des pâturages est remarquable bien qu’il faille parfois mener une partie du bétail plus au sud dans l’état de Veracruz pour l’engraisser. C’est grâce à la route panaméricaine que 70 % du bétail de la Huastèque est vendu à Mexico. Cependant le commerce du bétail est contrôlé par Tampico où s’est installée une grosse usine de conditionnement et conserve de viande. Elle peut contribuer — avec les établissements bancaires de la ville — à faire les prix. Inutile de souligner la prospérité d’une vie rurale qui pour les agrumes comme pour la viande peut jouer sur deux gros marchés : la capitale nationale et les Etats-Unis.
343°. — L'agriculture pionnière du Papaloapan. — On trouve ici la grosse masse des cultures tropicales, plus dispersées et plus anciennes ailleurs dans l’état de Veracruz. L’état est gros producteur de tabac : depuis les années 1880 la production majeure se concentre près de Valle National où une main-d’œuvre recrutée par la force travaillait à la fin du siècle dernier. On trouve aussi dans l’état — et en particulier dans le Papaloapan — 15 à 20 % de la production nationale de riz, semé ici à la volée. Le Veracruz fournit 40 % du sucre mexicain (contre 15 % dans le Tamaulipas à El Mante et Xicoténcatl) ; la sucrerie de San Cristobal, affaire privée, est la plus grosse du pays ; non loin de là, à Tuxtepec (Oax.), un ingenio coopératif est en projet.
35A l’est de Tuxtepec se concentrent les trois quarts de la production mexicaine d’ananas. La moitié des conserveries est aux mains des coopératives liées aux ejidos. Le marché se répartit selon le tableau ci-dessous.
36En conclusion on peut noter que l’agriculture pionnière n’a pas dit ici encore son dernier mot : la Commission du Papaloapan a distribué 80 000 ha de terres drainées et protégées des inondations, mais la masse totale des terres exploitables ici est évaluée à 500 000 ha.
E. — La vie urbaine
37La Sierra possède une série de bourgs fort anciens, dont l’importance a pu s’accroître récemment grâce aux routes (comme Tamazunchale, Villa Juarez ou Huauchinango), ou au contraire décliner à l’écart de celles-ci (Zacatlán), ou connaître des hauts et des bas (Teziutlán).
38Dans le bas pays les villes sont encore loin de former un réseau hiérarchisé puisque une bonne partie de la région s’éveille à peine à la vie de relations modernes : le nombre de petites villes et de bourgs a considérablement augmenté en cinquante ans et les agglomérations anciennes progressent toutes. L’avenir industriel de l’ensemble est prometteur : l’abondance de l’eau, la proximité du gaz et du pétrole, le réseau de communications assez dense et les liaisons faciles avec la capitale permettent d’installer des entreprises en bien des points.
39Dans la zone pionnière du Papaloapan, encore très peu peuplée, la vie urbaine se concentre dans quelques bourgades de moins de 20 000 habitants qui malgré leur dimension modeste ont parfois un mouvement d’affaires suffisant pour faire vivre une station émettrice de radio commerciale. Plus qu’à Tierra Blanca (16 000 hab.), l’activité commerciale et les services peuvent prospérer dans l’avenir sur l’axe du Papaloapan, au débouché de la route des hautes terres de Oaxaca. Si Tuxtepec reste modeste, Cosamaloapan, à côté de la grosse sucrerie de San Cristóbal, a déjà 17 000 habitants et peut profiter du progrès agricole et de la multiplication des routes. Si les indices pétroliers de la région se transformaient en une exploitation, la vie urbaine profiterait bien entendu d’un développement plus rapide.
40La principale région pétrolière du pays a connu un essor urbain spectaculaire mais finalement limité. Le gros de la production pétrolière mexicaine se concentre actuellement dans la région de Tuxpan-Poza Rica (67 % du pétrole et 27 % du gaz produits dans le pays). Les deux villes ont une allure pionnière, surtout Poza Rica qui a quintuplé sa population en vingt ans (19 000 hab. en 1960) : on y traite le soufre et 4 % de la capacité de raffinage nationale y est installé. Quelques grands édifices modernes au centre contrastent avec la croissance peu organisée du reste de la ville. Tuxpan est un petit port moins animé et moins dynamique (avec 23 000 hab. en 1960, l’accroissement en vingt ans est de 85 % seulement).
41La véritable capitale régionale du pays pétrolier et de la Huastèque est Tampico-Ciudad Madero : situé dans l’ancienne zone de production pétrolière mexicaine, celle dont l’activité fut antérieure à la nationalisation de 1938, ce port concentre encore le tiers de la capacité nationale de raffinage. Il a localisé de plus une industrie du caoutchouc synthétique, sans parler des industries alimentaires déjà signalées à propos de l’élevage. Cependant la croissance rapide de Tampico appartient au passé et actuellement le rythme d’augmentation de la population reste modeste (50 % en 20 ans). Mais avec une conurbation de 175 000 habitants entre Tampico et Ciudad Madero, la masse est supérieure à Veracruz. Le noyau de 10 000 employés bénéficiant des salaires élevés de Petroleos Mexicanos assure le mouvement commercial. Cette ville marque nettement son rôle de capitale régionale : le Banco Mercantil de Tampico agit directement jusqu’à Valles et possède des succursales à El Mante, Poza Rica, Tuxpan et Alamo ; mais la concurrence des agences des banques de Monterrey se fait sentir jusqu’à la région de Valles.
42Il est peu probable que Veracruz, premier port mexicain, puisse attirer des fonctions de direction vis-à-vis du pays huastèque. Du reste la tradition du commerce d’export-import ne prépare pas la ville à assumer ce rôle régional. Mais les possibilités que représente l’axe principal des communications entre Mexico et l’Atlantique sont cependant solides. On a vu que les densités de population sont dans ce secteur nettement supérieures au reste du bas pays. Ce n’est pas une ville pionnière mais au contraire la vieille porte du Mexique colonial et la ville reste plus espagnole, l’ambiance plus traditionnelle qu’ailleurs. Le trafic du port a bien sûr perdu de son importance au cours du xixe siècle quand le monopole colonial dont il disposait a cessé ; en 1870 la moitié des recettes des douanes provenaient cependant encore de Veracruz. La concurrence a été plus vive après 1880 quand l’essentiel du commerce extérieur mexicain s’est réorienté vers les Etats-Unis par voie ferrée.
43Néanmoins les deux voies de passage vers l’altiplano ont localisé chacune sa part de la vie urbaine : Jalapa au nord est tout d’abord la capitale politique de l’état de Veracruz, dotée d’une université active. Fort agréablement située dans la Sierra, la ville reste modeste avec 66 000 habitants en 1960 et une croissance de 58 % en 20 ans. Elle s’est peu industrialisée.
44Au contraire l’axe routier et ferroviaire principal a localisé un chapelet de villes industrielles : d’abord autour d’Orizaba, enfoncée dans la Sierra, dont Nogales et Rio Blanco deviennent des banlieues ; l’ensemble, avec 92 000 habitants en 1960, n’a eu en vingt ans qu’une croissance de 40 % : il semble que les investissements soient freinés ici par les souvenirs des grandes luttes syndicales depuis l’époque porfirienne ; on préfère s’adresser à un prolétariat doué de traditions moins solides. Ensuite Córdoba, plus modeste mais plus dynamique (47 000 hab., croissance de 250 % en 20 ans), est déjà située en plaine. Les industries dépendent dans cette zone soit de l’agriculture locale (tabac, sucre), soit de la qualité et de l’abondance de l’eau (brasserie), soit enfin d’initiatives originellement liées à Puebla (textile).
45Les deux axes de transport convergent vers Veracruz qui est le moins mauvais des sites portuaires de la côte (transplanté très tôt à 40 km au sud du lieu de sa deuxième fondation et protégé par l’îlot de San Juan Ulua). Grâce à sa tradition, il est le premier port mexicain, où se concentrent la majorité des importations maritimes. C’était encore il y a trente ans une ville menacée par les épidémies : pour cette raison sa population n’était pas en rapport avec son rôle économique et la fonction politique ne lui a pas été dévolue. Elle doit pourtant grâce à ses liaisons confirmer un rôle industriel déjà solide : une sidérurgie, la fabrication de tubes d’acier pour forages pétroliers, l’industrie chimique, l’aluminium et le papier sont déjà des atouts ; ce devrait être la ville qui tire profit du mouvement pionnier vers le Papaloapan tout proche. Encore modeste avec ses 140 000 habitants, elle a doublé sa population dans les vingt dernières années.
Section II. LE MEXIQUE ORIENTAL
46Les territoires mexicains situés à l’est de l’isthme de Tehuantcpec méritent d’être décrits à part. Les grands ensembles du relief appartiennent à l’Amérique centrale et non plus à l’Amérique du nord. Les climats et le manteau végétal sont de pays tropicaux : l’altitude et les masses d’air froid jouent ici un rôle beaucoup plus limité. Enfin la marque du peuplement indigène maya reste très forte : la modernisation et le métissage sont moins marqués que dans le reste du pays.
47L’originalité de la population se marque à deux niveaux. Tout d’abord des groupes indigènes sont restés presque totalement à l’écart de la civilisation coloniale ou nationale : les groupes du Quintana Roo que Redfield a étudiés voici une trentaine d’années n’étaient guère marqués par le christianisme et s’étaient réfugiés à l’écart du pouvoir politique mexicain ; beaucoup moins nombreux, les Lacandons — quelques centaines de familles — vivaient eux aussi à l’écart dans la partie mexicaine de la forêt du Petén, jusqu’à ce que les missionnaires évangélistes et les anthropologues leur portent intérêt, ceci dans les trente dernières années.
48Mais de plus le particularisme des populations mayas est beaucoup plus général. Dans les hautes terres du Chiapas, les groupes Tzeltales et Tzotziles ont été atteints par le système colonial, comme les populations des hautes terres du Guatemala. Mais leur système politico-religieux les a maintenus aussi autonomes que possible vis-à-vis du pouvoir supérieur ; la méfiance a quelque peu cédé récemment. Ce particularisme existe de la même façon au Yucatan où les révoltes indigènes (guerre des castes 1847-60) ont été beaucoup plus généralisées que dans le reste du Mexique. De plus au Chiapas comme au Yucatan les classes supérieures métisses n’ont participé à la vie nationale mexicaine que fort tard. L’intégration politique restait faible encore au premier tiers du xxe siècle et un sentiment régional — avec une littérature de langue maya — se manifeste fortement au Yucatan.
49Ce particularisme va avec une économie extrêmement peu liée au reste du Mexique, car chaque produit agricole de valeur — cacao, café, henequen — se vend surtout sur le marché international, d’où provenaient encore récemment les produits fabriqués. L’effort national récent a changé en partie ce panorama : la route côtière vers Mérida, puis la route transyucatèque vers Chetumal, en cours d’achèvement, modifient évidemment cette situation et forment un lien commercial plus solide que la voie ferrée des années 1950. La politique nationale mexicaine a aussi consisté à faire entrer dans le jeu la population indigène — tant par les efforts de l’Institut National Indigéniste que par la réforme agraire.
A. — Les plaines du Golfe
50Certes on peut décrire les plaines tournées vers le Golfe du Mexique, depuis l’isthme de Tehuantepec jusqu’à la table calcaire yucatèque, dans les Etats de Veracruz, Tabasco, Chiapas et Campeche, comme une continuation du milieu tropical de Veracruz. Cependant ici manque l’association rencontrée sur la façade véracruzaine : un front montagneux dominant de près le bas pays, avec des échanges intenses, des migrations à courtes distances, une pénétration facile entre hautes et basses terres. Tout d’abord les montagnes du Chiapas s’abaissent progressivement en chaînons où la circulation est difficile. Mais surtout les communications entre les plaines du Golfe et le haut pays maya sont insignifiantes jusqu’à ces dernières années. Ce haut pays est traditionnellement tourné vers le versant pacifique, tout comme en Amérique centrale, où l’isolement des basses terres humides du nord est encore plus marqué.
51Ici cependant la coupure est moindre et les routes de pénétration vers l’intérieur sont amorcées. Néanmoins aucune route goudronnée n’atteint encore le haut pays. Même dans l’isthme, ouvert au début du siècle par une voie ferrée, puis récemment par une route, la circulation régionale reste très modeste. Ces caractères d’isolement relatif posent des problèmes différents de ceux de la façade huastèque et véracruzaine, si intimement reliée au cœur du Mexique.
52La végétation de ces plaines semble avoir été la forêt dense presque exclusivement avant l’intervention humaine. Seuls y échappaient le littoral et les marécages. Le piémont des hautes terres du Chiapas et une bonne partie de la plaine, dans sa partie orientale comme dans sa partie occidentale, restent couverts par cette forêt. Elle a été défrichée et remplacée par une savane dans une partie du centre de la plaine. Le défrichement a surtout atteint, assez près des hautes terres, dans le sud de la plaine, une région de circulation assez facile, car les cours d’eau ne se déversent dans des marécages que plus en aval. C’est là qu’on a construit la voie ferrée et aussi récemment la nouvelle route transyucatèque. Les surfaces non marécageuses ont des sols d’argiles latéritiques jaunes ou rouges, probablement fragiles une fois défrichés.
I. — Le Tabasco central
53Un peuplement assez dense et assez ancien s’est établi dans la région la mieux drainée, à l’ouest du cours moyen du Grijalva, et entre ce dernier et l'Usumacinta. L’appropriation du sol de cette région semble poussée, car on y voit en général un damier de grandes parcelles carrées, les unes récemment défrichées en partie, d’autres couvertes d’une forêt secondaire depuis plus ou moins longtemps ; la vue aérienne présente ainsi un bocage aux mailles très larges. Ce parcellaire régulier n’apparaît pas dans les régions périphériques moins peuplées. Une agriculture vivrière occupe de petits espaces (maïs, haricot, banane). Mais surtout les pâtures occupent de vastes espaces défrichés pour le bétail. L’habitat se concentre très rarement en villages ; ce sont des hameaux qui se dispersent, parfois le long d’un cours d’eau qui a été la seule voie de communication jusqu’aux années récentes. A l’ouest de Villahermosa, des villages-rues apparaissent cependant dans une zone assez fortement peuplée.
54La culture spéculative de la banane a occupé une grande place au Tabasco. Elle a été victime des mêmes maladies qu’aux Antilles ou dans le reste du monde caraïbe. La production qui était en bonne partie exportée a périclité et le Mexique a cessé d’être un gros vendeur sur le marché mondial, sa production nationale baissant de 500 000 t en moyenne annuelle dans les années 1935-39 à 200 000 t pour 1955. Corrélativement les exportations de bananes de la région du Tabasco passent de 16 à 8 millions de pesos de 1949 à 1953. La côte pacifique (Nayarit) a pris modestement le relai des plantations abandonnées du Golfe.
55La décadence de la culture du cacao est moins forte qu’au Soconusco, chacune de ces régions produisant environ 10 000 t. Enfin les plantations de palmiers-cocotiers stagnent : dans les années 1930-35 le Tabasco produisait l’essentiel de l’huile de coco mexicaine (76 %). Actuellement, avec l’essor de la côte pacifique, le Tabasco ne donne plus que 20 % de la production nationale. Il semble que cette instabilité — et dans l’ensemble cette décadence — des plantations tropicales de la région corresponde à un niveau technique faible : l’ouverture des voies de communication a permis à peu de frais de mettre en culture des forêts ou des terres qui jusque-là ne portaient que des pâturages ; mais les bénéfices faciles et l’abondance des terres libres peu chères n’ont pas incité à se garder des parasites ou à se soucier des rendements élevés. Les possibilités agricoles de ces plaines permettent cependant d’espérer une production beaucoup plus importante.
II. — Les zones pionnières du pétrole
56Si l’exploitation pétrolière mexicaine a commencé en Huasteca, elle intéresse maintenant le Mexique oriental, dans des structures comparables d’avant-pays de chaînes calcaires plissées. L’exploitation la plus récente, à Ciudad Pemex, n’a pas encore attiré d’industries. On extrait ici 8 % du pétrole et 28 % du gaz mexicains. Cette production est acheminée par oléoduc, pour le pétrole vers la raffinerie de Minatitlán, pour le gaz vers les consommateurs de Veracruz, Puebla et Mexico. La région de l’isthme est exploitée depuis plus longtemps, autour de Minatitlán. La production représente 20 % du pétrole et 7 % du gaz mexicains. La situation des gisements est beaucoup plus favorable que les marais de Ciudad Pemex. En effet, dans un estuaire, Coatzacoalcos est un port commode. En outre c’est le terminus atlantique de la voie ferrée et de la route transisthmiques : voies terrestres peu actives on l’a vu, mais qui précisément se réveillent avec le développement des industries liées au pétrole : Salina Cruz, terminus pacifique de la voie de l’isthme en profite et exporte du pétrole vers le Japon ou vers d’autres ports mexicains.
57Un complexe industriel est né du pétrole à Minatitlán : du soufre a été trouvé dans des dômes non loin de là, à Jaltipan ; le Mexique devient un exportateur de ce produit. Mais à la raffinerie du pétrole (28 % du raffinage national) s’ajoute une production d’ammoniaque, de soude, de chlore, d’éthylène. Ainsi s’est constitué le plus important complexe d’industries chimiques de base du pays, dans une région où certaines conditions générales sont excellentes : matières premières, eaux, possibilités des transports.
III. — Les zones pionnières rurales
58La construction de routes pour des raisons extérieures à la vie rurale a déclenché la mise en valeur des terres voisines. C’est le cas des routes du pétrole et de la route transisthmique qui ont favorisé le défrichement de la forêt dense. Les effets restent modestes, car les marchés de consommation du centre du Mexique sont loin : les spéculations improvisées par de petits cultivateurs isolés restent fragiles ; le long de la route transisthmique s’étendent surtout des pâturages extensifs.
59Plus récents les défrichements du Tabasco occidental sont liés à la construction de la route tracée pour la construction du barrage de Malpaso, situé dans les rapides où le Grijalva traverse au pied des montagnes du Chiapas des masses de conglomérats siliceux très résistants. En dehors de l’emploi de main-d’œuvre, cet ouvrage reste extérieur à la région : capitaux d’état et travaux confiés à un pool d’entreprises de travaux publics sans attaches locales. La production électrique qui doit correspondre à une puissance installée future supérieure au million de KW n’aura pas pour consommateur privilégié une région déjà bien pourvue en énergie grâce au pétrole. Mais le long de la route on constate des défrichements récents, pour des cultures de maïs et des plantations de bananiers, ou pour laisser place à des pâtures où l’on élève des zébus : encore faut-il qu’un niveau technique médiocre ne voue pas les terres ainsi gagnées à l’exploitation temporaire du brûlis.
60Une diffusion du progrès était attendue en 1965 du projet de zone agricole pilote à Limon, une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Villahermosa, à la limite de la zone anciennement peuplée. La création de cette zone pilote est rendue possible par l’achèvement du manteau du barrage de Malpaso qui met fin aux risques d’inondation par le Grijalva : on évalue à 350 000 ha la zone protégée dans le futur. Par le drainage des marécages et l’irrigation et grâce à des techniques intensives, on veut produire des agrumes, du cacao, du caoutchouc et de la banane sur un secteur de 52 000 ha. De 8 000 ha actuellement cultivés dans la zone, on passerait à 39 000 ha. Afin de garder des exploitations d’une dimension suffisante pour un plein emploi de la main-d’œuvre, on ne ferait passer le nombre de familles paysannes vivant sur la zone pilote que de 1 500 à 3 300. On espère ainsi créer un centre d’expérience de cultures nouvelles en milieu de forêt dense et un centre de diffusion du progrès technique.
61Un mouvement pionnier plus éloigné des régions peuplées a été organisé récemment pour mettre en valeur la région du Rio Candelaria, à l’ouest de Ciudad del Carmen, petite ville du cordon littoral dont l’activité de pêche de la crevette se développe. Le projet d’un barrage sur le Rio Usumacinta permettrait la bonification de 300 000 ha de terres. Pour le moment des travaux modestes dans une zone de pluies irrégulières permettent de mettre en culture 35 000 ha de terres irriguées par des puits et 15 000 ha irrigués par canaux. Outre la satisfaction des besoins de la population locale, ces travaux ont permis de réaliser la seule expérience de migration de population paysanne depuis l’altiplano jusqu’aux terres vierges de l’est mexicain : 1 200 familles (sans doute moins de 6 000 personnes) sont venues de la Laguna (600) et des Etats de Morelos (200), de Zacatecas, Jalisco et Mexico. On peut noter que les familles viennent plutôt de régions d’immigration plus ou moins ancienne actuellement en crise (Laguna, Zacatecas) que des régions de paysannerie stable. Les investissements consentis par l’état pour réaliser ces migrations ont été modestes (20 000 pesos par famille). On peut en attendre un accroissement de production agricole sensible, malgré des échecs partiels signalés, avec retour de familles à leur lieu d’origine. En tout cas le plan pilote de Limon prévoit des investissements par famille presque dix fois supérieurs à ceux du Rio Candelaria. On remarque de toute façon que la mise en valeur de ces terres tropicales de l’est ne dispose pas — comme la façade huastèque et véracruzaine — d’un réservoir de main-d’œuvre abondante et proche dont la migration puisse s’effectuer en grande partie spontanément.
IV. — Les noyaux urbains
62Les plaines du Golfe, dans le Mexique oriental, ont un peuplement urbain très limité. Si les villes de l’isthme sont assez proches de Veracruz et surtout s’y relient par des régions peuplées équipées de bourgs ou de petites villes, plus à l’est les distances s’accroissent et l’isolement se fait sentir.
63Villahermosa, port de la région peuplée, reste modeste et d’un dynamisme limité. Comme la vie rurale régionale s’est au fond peu développée, que les distances qui séparent le centre du Tabasco des noyaux pionniers périphériques sont grandes, la ville ne peut, à moins d’une politique spéciale en sa faveur, espérer devenir capitale de l’ensemble. Pour atteindre 52 000 habitants en 1960, elle n’a fait que doubler en vingt ans. Pendant ce temps, Ciudad del Carmen, seule ville notable du Campeche occidental, a triplé sa population (21 000 hab. en 1960). Ce port de pêche était en même temps un relai (passage de bac) sur la route du Yucatán : elle perd ce rôle avec l’ouverture de la route intérieure transyucatèque. Son développement semble dépendre des travaux sur le Rio Candelaria, qui développeraient beaucoup plus largement l’agriculture de la région.
64Finalement le groupe le plus dynamique est celui de l’ouest, au droit de l’isthme. Mieux relié au centre du pays, pourvu d’industries de base et non seulement de matières premières, ce groupe concentre deux villes principales distantes seulement de 25 km. Minatitlán (35 000 hab.) s’est accrue en vingt ans aussi vite que Villahermosa, tandis que le port de Coatzacoalcos (37 000 hab.) augmente nettement plus vite. Ces villes semblent appelées dans l’avenir à se développer rapidement, mais leur arrière-pays reste presque vide. Ainsi il n’y a pas avant longtemps à envisager le développement d’une capitale régionale prédominante dans les plaines du Golfe de l’est du Mexique.
B. — Montagnes et plaines du chiapas
65Le Chiapas possède une série de milieux nettement contrastés, selon un plan fort simple d’alignements de reliefs orientés parallèlement à la côte pacifique, de l’ouest-nord-ouest à l’est-sud-est2. Le long du Pacifique, une plaine alluviale, d’où pointent quelques avant-blocs faillés de la Sierra Madre de Chiapas. Cette plaine est fort sèche, avec végétation d’épineux, dans sa partie occidentale : les vents du nord qui passent l’isthme produisent là un effet de fœhn ; vers l’est le front montagneux de la Sierra prend de l’ampleur et la plaine mieux arrosée passe progressivement à une couverture de forêt tropicale caduque. La Sierra Madre de Chiapas est fortement dissymétrique : front de faille au sud et revers en pente faible vers la dépression intérieure. Réduite à quelques inselberge dans l’isthme, elle porte au contraire de hauts volcans récents à la frontière guatémaltèque.] Si l’humidité qui l’affecte augmente d’ouest en est, elle est aussi plus forte sur le versant du golfe que sur le versant pacifique : la forêt tropicale caduque, mêlée de pins dans les parties élevées, est mieux fournie au nord qu’au sud. Les pentes douces vers le nord forment des glacis aux sols profondément altérés à partir des roches cristallines, que surmontent des inselberge.
66En descendant vers le Rio Grijalva, le socle est couvert de sédiments formant des reliefs tabulaires, parfois avec fronts de côte tournés au sud, d’abord dans des grès, puis ceux-ci sont couverts d’épaisseurs de calcaires sculptées de larges dolines peu profondes. La sécheresse reprend ici possession du paysage et la brousse épineuse, défrichée pour quelques cultures sur les meilleures terres, fait suite aux forêts caduques largement détruites pour les pâtures du bétail.
67Ce paysage tabulaire vient buter au nord contre l’escarpement de plis-faille des Hautes Terres centrales, au pied duquel passe le Grijalva avant de traverser lui-même les plissements calcaires dont il ressort à l’aval aux rapides de Malpaso. La dénivellation entre le bassin intérieur et les Hautes Terres atteint 1 500 à 2 000 m et l’on pénètre vite dans la forêt mixte de chênes et de pins dont les sols bruns recouvrent un paysage karstique souvent sculpté de dolines ou de poljes profonds. La ville de San Cristóbal de las Casas occupe un des plus vastes poljes aux terres épaisses et aux prairies marécageuses. Les plateaux bosselés des Hautes Terres s’abaissent vers le nord, vers l’ouest et vers l’est : les chaînons calcaires s’individualisent et perdent de l’altitude. La forêt dense tropicale, de moins en moins défrichée vers le bas pays, domine alors le paysage, trouée parfois de lacs karstiques dans les creux synclinaux.
68Si au pied de l’escarpement puissant, Tuxtla Gutierrez a une saison sèche marquée, vers l’ouest et vers l’est la dépression est plus humide car l’écran des montagnes est plus modeste face aux vents humides du Golfe du Mexique ou de la Mer des Antilles.
I. — Les hautes terres
69Cette montagne calcaire bien arrosée est un centre de peuplement indigène abondant qui se continue dans les hautes terres du Guatemala. Les terres situées entre 1 500 et 2 500 m sont occupées par une population nombreuse, en majorité indigène, de cultivateurs vivant dans des hameaux. L’excès des cultures et surtout le surpâturage par les moutons conduisent dans les zones très peuplées à une grave érosion des sols. L’organisation politique, religieuse et commerciale des groupes comporte de petites agglomérations dont le rôle urbain est très marqué : souvent, hors quelques commerçants ou fonctionnaires métis (ladinos), seules les autorités politiques et religieuses de la communauté y vivent pendant la durée de leur charge, comme à Chamula. La capitale de cette région est San Cristóbal de las Casas, bon exemple de petite ville coloniale, d’ailleurs en décadence. Résidence des vieilles familles métisses de la région, centre du commerce pour les populations voisines, la ville possède encore un artisanat spécialisé par quartiers. Mais elle a perdu le rôle de capitale de l’état de Chiapas au profit de Tuxtla Gutierrez en 1892, pour ne garder que l’évêché. En outre les fortunes foncières ont été amoindries par la réforme agraire : les grosses fortunes de la ville ont été diminuées d’autant.
70La nombreuse population des Hautes Terres ne peut subvenir à ses besoins, faute d’espace cultivable : les améliorations techniques apportées par le centre de l’Institut National Indigéniste (cultures d’arbres fruitiers) ne semblent pas susceptibles de résoudre le problème sur place. Aussi la recherche de terre ou de travail dans le bas pays est-elle déjà depuis longtemps dans les habitudes des gens. Le groupe des Zinacantecos s’est spécialisé dans la production du maïs, cultivé sur des terres louées dans la plaine du Grijalva et vendu avec bénéfice à San Cristóbal. L’Institut National Indigéniste a favorisé ce mouvement de migration en terre chaude : des terres de plaine ont été acquises près de Venustiano Carranza, où l’on tente une colonisation permanente par des familles indigènes des Hautes Terres.
71Les autres groupes indigènes se contentent plus souvent de s’embaucher, en particulier dans les plantations de café du Soconusco ou du piémont nord des Hautes Terres. Etant donné que les salaires quotidiens ruraux des Hautes Terres (où l’embauche manque) sont de l’ordre de 5 pesos et que ceux du Soconusco atteignent 9-14 pesos, on comprend que ces migrations du travail aillent en s’amplifiant. Un syndicat d’ouvriers agricoles temporaires a ses bureaux à San Cristóbal et contrôle les conditions d’embauche : les pratiques de l'enganche du début du siècle disparaissent ainsi.
II. — La façade pacifique
72C’est un ensemble de terres dont les possibilités économiques sont déjà exploitées et qui attire la population du haut pays. La partie occidentale sèche, sous le vent de l’isthme de Tehuantepec, bénéficie modestement des voies de communication qui s’y nouent. Le vieux port colonial de Tehuantepec, au fond de son estuaire, perd toute importance, tandis que s’éveille au terminus de la voie ferrée le port nouveau de Salina Cruz. Le développement agricole d’une région qui ne connaissait, malgré voie ferrée et route, que l’élevage très extensif et peu de cultures, commence avec la création d’une zone irriguée, depuis Tehuantepec en direction de l’est, utilisant les eaux du Rio Tehuantepec retenues au barrage Juárez dans les derniers reliefs des hautes terres de Oaxaca. Les 50 000 ha irrigables servent aux gens de la région, sans qu’une attraction notable de main-d'œuvre éloignée soit à prévoir. Le maïs, le sorgho, le sésame sont cultivés ; la canne à sucre se développe à proximité d’un ingenio récent. On prévoit d’implanter la culture de l’ananas.
73Vers l’est, entre les lagunes côtières et la Sierra Madre de Chiapas de plus en plus élevée, les plaines côtières s’élargissent en même temps que la végétation naturelle se fait plus touffue : on atteint la région du Soconusco, anciennement célèbre pour son cacao avant et pendant l’époque coloniale. Cette culture a perdu son importance face au développement du café. C’est la seconde région productrice du Mexique, après la façade huastéco-véracruzaine. L’état du Chiapas produit 27 % de la récolte mexicaine, principalement dans le Soconusco. Cette région reçoit en effet l’essentiel des 13 000 travailleurs embauchés à San Cristóbal, pour trois mois en général, encadrés par le syndicat officiel. Les effectifs employés par chaque plantation varient entre 100 et 600 travailleurs : les grandes exploitations n’ont donc pas toutes disparu malgré la réforme agraire. Pour diversifier la vie rurale régionale on envisage la culture de la canne, avec la construction d’un ingenio coopératif.
III. — Le pourtour des Hautes Terres
74L’activité économique ne se concentre guère dans les régions peu peuplées au pied des Hautes Terres. Le front nord comporte à altitude moyenne des plantations de café soit en direction du Tabasco soit en direction de la forêt dense des Lacandons. Ces exploitations, beaucoup moins importantes que celles du Soconusco, disposent de petits terrains d’atterrisage et communiquent avec l’extérieur — pour vendre le café — grâce aux « avionettes ». Plus bas que la zone caféière on rencontre encore quelques domaines d’élevage qui trouent la forêt dense, mais dans l’ensemble l’isolement restera longtemps le lot des exploitations qui bordent la forêt des Lacandons. Au contraire les routes et les pistes en construction au nord peuvent permettre à Yajalón ou à Simojovel de profiter bientôt d’un commerce direct avec le Tabasco, où la nouvelle route transyucatèque stimulera les transports.
75Le peuplement est un peu plus dense à la frange méridionale des Hautes Terres. La montagne karstique elle-même s’abaisse vers l’est : la vieille bourgade de Comitân est dans une région assez basse pour produire sucre et alcool de canne, mais aussi café. La plaine du Grijalva et les plans inclinés qui s’élèvent vers la Sierra Madre de Chiapas développent un élevage qui reste extensif, mais aussi une production agricole stimulée par les besoins alimentaires de la région : une petite zone irriguée se crée près de Venustiano Carranza, où l’on attire des gens du haut pays. Le maïs et les haricots sont destinés aussi bien au Soconusco qu’aux Hautes Terres. Ainsi la capitale du Chiapas, Tuxtla Gutierrez, fait figure de ville pionnière et moderne même si seuls se développent largement ses fonctions administratives et commerciales.
IV. — Les noyaux urbains
76Le Chiapas, par ses contrastes naturels et l’amorce d’échanges intrarégionaux — de main-d’œuvre ou de produits agricoles — peut dans l’avenir former économiquement une région organisée autour d’une ou plusieurs capitales. Il n’en est rien jusqu’à présent : de vastes vides subsistent, les voies de communication commencent seulement à venir à bout des longues distances entre les villes. On assiste à une réorganisation urbaine ; les vieux centres mal placés pour l’économie moderne restent endormis : Tehuantepec, malgré son marché animé est une bourgade ; Comitán est un peu dans le même cas, malgré une prospérité raisonnable. San Cristóbal, en raison de son rôle ancien, est la plus déchue ; elle garde cependant une école de droit, signe de sa tradition aristocratique.
77Au contraire la croissance des nouvelles villes économiquement bien placées est remarquable. Cependant Tapachula, très excentrique, dépend étroitement du commerce du café et Tuxtla Gutierrez est loin d’être la capitale économique de l’ensemble du Chiapas : elle peut le devenir.
C. — Les plaines calcaires du Yucatan
I. — Le paysage traditionnel
78La région peuplée de la péninsule yucatèque — nord et nord-ouest — est isolée du reste du pays, mais aussi peu accessible par mer : des cordons littoraux bordent la côte au nord et au nord-ouest et des formations coraliennes frangent de récifs la côte de la Mer des Antilles, à l’est. Vers l’intérieur des terres, la partie centrale du Campeche, le centre et le sud du Quintana Roo sont des régions couvertes de forêt dense actuellement à peu près dépourvues de population. On sait que l’« ancien empire » maya était précisément installé dans ces actuelles forêts denses, celles du Peten qui s’étendent jusqu’au Guatemala et au Honduras. [Sans pouvoir attribuer à la région actuellement peuplée un milieu physique plus favorable que la forêt dense, on constate que le peuplement maya s’est retiré de son centre ancien pour se concentrer d’une part dans les Hautes Terres du Chiapas et du Guatemala, d’autre part dans le nord de la péninsule du Yucatán. Cette dernière région connaît une saison sèche de plus en plus marquée vers le côte nord-ouest où règne une brousse xérophile épineuse. Entre la bande côtière et la forêt dense règnent des savanes et des forêts caduques, qui souffrent autant de l’irrégularité des pluies que des conditions du sol et de l’hydrologie. En effet la quasi-totalité de la péninsule est formée par des masses de calcaires tertiaires où un modelé karstique s’est établi. Plaine monotone dans l’ensemble où les dos de terrain sont rocheux et les dépressions tapissées d’argile rouge. Les champs cultivés ont souvent nécessité un épierrement et des murs de pierres sèches les entourent souvent. La circulation superficielle de l’eau est inexistante ; le réseau souterrain comporte des avens, puits à ciel ouvert appelés cenotes, profonds parfois d’une dizaine de mètres ou plus, qui sont les seuls points d’eau disponibles pour la population : la localisation des villages dépend souvent de l’existence d’un de ces puits.
79Une population maya dense occupe tout le nord-ouest de la péninsule. Ces fortes densités, antérieures à la colonisation, se sont maintenues sans grands changements économiques jusqu’à la fin du xixe siècle : la culture du maïs selon les méthodes traditionnelles a été seulement complétée par un élevage extensif : la proximité des Antilles sucrières fortement peuplées offrait un marché pour la viande salée. Quelques cultures de canne à sucre se sont développées, mais sans dépasser les besoins d’un marché régional. Ainsi cette région peu atteinte par les changements économiques a gardé son peuplement ancien.
II. — Le henequen
80C’est vers 1880 qu’est intervenue la révolution du henequén (sisal) quand les besoins de fibres dures pour la fabrication de cordes ont brusquement augmenté, grâce aux moissonneuses lieuses des Etats-Unis. L’état favorable du marché a permis la création de plantations très importantes au Yucatán ; à proximité du port d’exportation un réseau de voies ferrées a été construit. Des routes modernes sont venues le relayer, faciles à construire dans ce pays plat. Ainsi l’équipement de cette région peuplée a été réalisé pour les besoins de l’exportation de la fibre.
81La plantation du henequen est une spéculation qui nécessite des capitaux : il faut attendre sept ans avant la première coupe de feuilles, puis la plante produite pendant quinze ou vingt ans selon le milieu naturel et les soins. Chaque pied est dépouillé annuellement de vingt-quatre feuilles. L’unité de production ou mecate est un carré de 20 m de côté, planté de 108 pieds de henequen ; l’investissement comporte une usine de défibrage : chaque mecate produit 62 kg de fibre annuellement, soit 1,55 t de fibre sèche par hectare de plantation. Presque la totalité de la production mexicaine est concentrée au Yucatán (90 %), à l’exception de la modeste région du Tamaulipas.
82La production de henequen a été affectée dans les années 1950 par les conséquences de la réforme agraire. C’est en effet en 1938 pendant la présidence de Cardenas que les plantations de henequen ont été transformées en ejidos. En fait, faute de capitaux, les ejidatarios ont souvent exploité sans replanter les exploitations vieillissantes, pour utiliser ensuite les terres libres en pratiquant la culture vivrière traditionnelle. Ceci explique la baisse de la production de fibres : en 1948, 120 000 t ; en 1958 autour de 80 000 t. Aussi des crédits gouvernementaux à long terme ont-ils été accordés aux ejidos de henequen, par le canal du Banco Ejidal : dès 1950 cette aide est intervenue et la production a repris (vers 1962, 130 000 t). Le problème n’était pas résolu pour autant car les usines de défibrage restaient aux mains des anciens maîtres des plantations ; c’est donc à ce niveau que les ejidatarios restaient exploités. Le gouvernement s’est décidé à nationaliser les usines de défibrage en mai 1964. Maîtres de toutes les étapes de la production, l’association des paysans et du gouvernement ne dispose cependant pas du marché consommateur : dans les années 1940 le marché nord-américain absorbait 85 % des exportations mexicaines, mais ces exportations ont subi de graves difficultés. Le total exporté baissait de 50 000 t en 1948 à 27 000 t en 1954. En effet la concurrence se fait sentir : si les plantations cubaines ont perdu leur marché traditionnel et sont d’ailleurs en mauvais état, la Floride produit directement sur le marché nord-américain et surtout le sisal d’Afrique orientale est cultivé en grandes plantations dont la main-d’œuvre est très bon marché. Ainsi devenu tributaire d’une monoculture, le Yucatán est dans une situation difficile.
III. — L’intégration régionale
83Les marges du noyau de peuplement yucatèque connaissent une mise en valeur fort modeste. Campeche est un petit port, mais sa population s’accroît. Plus que de l’agriculture la région vit de l’exploitation et de l’exportation du bois (le quart des exportations nationales et presque la moitié pour les bois tropicaux). Le Quintana Roo n’a encore qu’un peuplement infime. Avec leurs familles les « colons » récemment venus y défricher forment 25 000 personnes, soit la moitié de la population. Il est remarquable que parmi ces colons les gens du Mexique central dominent encore en 1950 et que les Yucatèques ne soient majoritaires qu’au recensement de 1960. L’exploitation forestière et l’exportation de bois tropicaux par Chetumal est un peu moins importante qu’au Campeche, mais la cueillette de la gomme (chicle) reste importante pour la fabrication du chewing-gum. Bien des terres libres sont disponibles dans ces régions et on peut espérer que la route transpéninsulaire favorisera la mise en valeur, malgré l’éloignement maximum vis-à-vis des régions peuplées.
84Le noyau de population yucatèque échange ainsi peu de population avec le reste du pays, proche ou lointain. Son particularisme démographique s’accompagne d’une armature urbaine à la mesure de son faible développement économique, mais les villes forment un semis serré et elles sont bien reliées entre elles dans la région de forte densité. En réalité, même légèrement supérieures à 10 000 habitants, ce sont des bourgades. Quelques-unes se sont développées très vite au cours du siècle, comme Tizimín ou Ticul. D’autres se sont accrues lentement comme Valladolid ou Motul. Le port de Progreso a connu un essor rapide jusqu’en 1920, en liaison avec l’exportation de la fibre de henequen. Depuis il stagne, surtout depuis 1940 : crise du henequen et développement des transports terrestres expliquent ce marasme. Mérida est une capitale régionale sans rivale, riche d’une vieille tradition au milieu de la population maya. Sa croissance est régulière, malgré les difficultés de l’économie régionale et elle atteint 170 000 habitants. On ne peut guère prévoir quelle activité — hors d’un tourisme aux conséquences limitées — peut assurer la prospérité d’une population rurale yucatèque fort attachée à sa terre.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
Le milieu karstique de la Sierra est décrit par Enjalbert, H. Phénomènes karstiques au Mexique et au Guatemala, Bulletin de l’Association des Géographes Français, 1964, p. 30-58. La forêt dense est présentée par Rzedowski, J. El extremo boreal del bosque tropical siempre verde en Norteamérica continental, Vegetatio, Acta Botanica, Vol. XV, no 4, 1963, p. 173, La Haye.
Sur la population indigène on peut noter de Leon Portilla, M. La experiencia de la Sierra de Puebla, municipios de Zacapoaxtla y Cuetzalán, Pue., Anuario Indigenista, Vol. 23, décembre 1963, p. 69-80 ; de Villa Rojas, A. Los Mazatecos y el problema indigena de la cuenca del Papaloapan, Memoria del INI, Vol. VII, 1955.
On peut consulter les notes économiques de Galvez, E. dans RE : Notas sobre el desarrollo económico de Ciudad Victoria y Tampico, avril 1951 ; El estado de San Luis Potosí y sus condiciones económicas (sur la Huastèque), mai 1951 ; Notas sobre el desarrollo económico del estado de Veracruz, juin 1951. Sur l’économie rurale : note sur la culture de l’ananas dans CE, août 1960. Une monographie sur les prémisses des travaux du Papaloapan dans Winnie, W. The Papaloapan Project, an experiment in tropical development, Economic Geography, t. 34 no 3, p. 227-248, 1958, Worcester.
BIBLIOGRAPHIE
Sur le particularisme du monde maya, Sejourne, L. Les Mayas d’aujourd’hui, Annales ESC, janvier 1966.
I. — Plaine du Golfe. Le milieu naturel est décrit par Psuty, P. N. Regiones geomórficas tabasquenas, CRLA, t. 3, p. 38-45 ; et par West, C. R. The natural vegetation of the Tabascan Lowlands, Mexico, RG juin 1966, no 64, p. 108-122.
La vie rurale est présentée par West, G. R. El uso del suelo en el desarrollo de las Ilanuras de Tabasco, CRLA t. 2, p. 386-97 ; deux notes sont consacrées à la banane dans CE, octobre 1955 et août 1957 ; le plan Limon est résumé dans Sinopsis del informe sobre elproyectopilota El Limon, la Chontalpa Tabasco, Ingenieros consultores, 1963.
Plus généralement il faut rappeler les articles de Rosenzweig et de Bassols Batalla signalés au chapitre II de la première partie.
II. — Chiapas. A part la note de Galvez, E. El estado de Chiapas y su desarrollo económico, RE janvier 1952, les travaux de Helbig, K. se multiplient : Das südlischste Mexiko und seine Pflanzenwelt, Geographischer Rundschau, t. 13, 1961, no 3, p. 125-134, Braunschweig ; Chiapas, Mexikos südlischter Staat ; ein Querschnitt vom südmexikanischen Hochland zum Pazific. Petermanns Geographische Mitteilungen, 1962, no 2, p. 94-105, Gotha. (Coupe à travers la géographie économique du Chiapas). Par ailleurs on trouve surtout des travaux concernant la population indigène. Surtout Pozas, R. Chamula, un pueblo indio de los Altos de Chiapas, Memoria del INI vol. 8, 1959 ; du même la vie romancée de Juan Perez Jolote, FCE 1° édition 1952 ; Favre, H. apporte des matériaux originaux sur les migrations, le travail saisonnier des Chamula, Cahier no 7, de l’Institut des Hautes Etudes d’Amérique Latine, 1965, p. 63-134 ; enfin il fait noter les articles de Wagner, Ph. Indian economic live in Chiapas, Economie Geography, Vol. 39, no 2, avril 1963, Worcester ; Natural and artificial zonation in vegetation cover : Chiapas Mexico, Geographical Review, Vol. 52, no 2, 1962, New York (région de Venustiano Carranza) ; sur la même région The path, the road, the highway, Landscape, Vol. 10, no 1, 1960, Santa Fé.
Les romans de Castellanos, R. sont de valeur : Balun-Canan, FCE 1957 et Oficio de tinieblas, Joaquin Mortiz 1962.
III. — Yucatan. Mise au point sur la géologie dans Butterlin, J. et Bonet, F. Mapas geológicos de la península de Yucatán I-Las formaciones cenezoicas de la parte mexicana de la península de Yucatán, Ingeniería hidraülica en Mexico, Vol. 17, no 1, janvier 1963, p. 63-82.
La vie traditionnelle est présentée par Redfield, R. Yucatân, una cultura de transición (traduit de l’anglais), FCE 1944 ; ainsi que dans Villa Rojas, Notas sobre la distribución y estado actual de la población indigena de la península de Yucatán, Mexico. America Indigena, 12, 1962, no 3, p. 209-248.
Des renseignements sur la culture du henequen dans CE, avril 1955 et surtout dans Soberon Martinez, O. La industria henequenera en Yucatán (los costos de desfibración), Centro de Investigaciones Agrarias, 1959 ; et dans Chardon, R. E., Hacienda and ejido in Yucatan : the example of Santa Ana Cuca, Annals of Association American Geographers, 1963, no 2, p. 174-193, Washington : un des meilleurs exemples publiés sur le détail du cadastre après la réforme agraire.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Meurtre au palais épiscopal
Histoire et mémoire d'un crime d'ecclésiastique dans le Nordeste brésilien (de 1957 au début du XXIe siècle)
Richard Marin
2010
Les collégiens des favelas
Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro
Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992