Chapitre I. Les Nords mexicains
p. 81-119
Texte intégral
1Le nord du Mexique est la région la plus facile à définir : aridité, immensité, jeunesse de la mise en valeur, hauts niveaux de vie et hauts niveaux techniques sont des caractères communs de l’ensemble. Sa limite méridionale inclut les états de Nayarit, Durango, Zacatecas, San Luis Potosi et Tamaulipas avec les nuances que nous verrons.
2L’aridité, avec ses variantes, fait que l’agriculture du nord dépend presque uniquement de l’irrigation, à l’exception d’un usage pastoral extensif de la végétation naturelle. Nous trouvons ici 65 % des terres irriguées du Mexique, dans ces conditions on ne peut s’étonner de voir la vie agricole se concentrer en noyaux bien délimités et de constater que son niveau technique est généralement élevé. Le peuplement est récent — colonial ou post-colonial — et il a d’abord été déclenché par la recherche des métaux précieux : comme la prospection est relativement plus facile dans des zones dépourvues de sols et de végétation, que les surfaces sont immenses et que les gisements miniers sont plus loin de l’épuisement que dans les zones d’exploitation ancienne, le nord fournit 80 % de la production minière nationale (produits pétroliers exclus).
3L’immensité du pays est un autre trait marquant : les grands axes du relief s’écartent, les unités de plaines et de montagnes augmentent leurs dimensions et les distances entre les points habités s’accroissent. Il en résulte une augmentation du coût de l’équipement régional : les routes ou les réseaux électriques s’allongent démesurément pour desservir une population peu nombreuse.
4La région, malgré ces difficultés, a bénéficié d’un atout essentiel : les liaisons directes avec les Etats-Unis, consommateur de main-d’œuvre ou de produits agricoles et miniers, vendeur de produits industriels et source de connaissances techniques ou de capitaux. Le réseau routier ou ferroviaire qui unit le cœur du Mexique aux Etats-Unis traverse le nord et le dessert. Ceci explique les relations commerciales directes avec le voisin et l’influence dominante du marché, des investissements et des techniques du voisin. Le développement régional a parfois précédé l’intégration à l’économie nationale, qui n’est pas toujours réalisée.
5Une population pionnière, douée d’initiative, s’est souvent implantée selon les besoins exacts de l’économie moderne, sans la surcharge d’une masse paysanne enracinée de longue date vivant sur elle-même. Il en résulte des niveaux techniques et des niveaux de vie plus élevés que dans le reste du Mexique. Cependant cette économie du nord est fragile pour différentes raisons : elle dépend à la fois de ressources incertaines et de marchés incertains. Les ressources naturelles exploitées sont irrégulières : l’eau disponible pour l’irrigation peut varier considérablement d’une année à l’autre ; elles sont éphémères : les gisements miniers s’épuisent et de ce point de vue un vieux nord s’oppose nettement au nord moderne. Les marchés internationaux ne sont pas contrôlés par les producteurs ; il s’agit en réalité surtout d’arc marché pour lequel on bénéficie de transports directs plus courts que pour les fournisseurs concurrents d’autres pays, et sans rupture de charge. Mais la variation des cours sur ce marché — pour les métaux et les produits agricoles — et les modifications de la législation — pour le bétail dans les années 1950 — exposent les producteurs à des à-coups redoutables ; la fourniture de près de la moitié des exportations nationales assure un niveau de vie élevé mais a pour rançon une instabilité fâcheuse.
6L’économie du nord a pour conséquence une vie urbaine bien différente de celle du reste du pays. Tout d’abord dans cette région on peut parler de ville à partir d’un chiffre assez bas de population groupée. La limite de 2 500 habitants adoptée par les recensements mexicains, inutilisable ailleurs, peut être prise en considération ici : certaines agglomérations minières sont même de dimension inférieure. La population est réellement urbaine, à la différence du pueblo du centre du pays, parce qu’elle n’est pas en majorité composée de paysans restés dans une ambiance traditionnelle et dans une économie peu ouverte aux échanges. La mobilité qui en résulte est un des traits urbains à souligner. Non que la population agricole soit toujours absente des villes du nord : si elles sont le chef-lieu d’une région irriguée, de nombreux cultivateurs peuvent y résider ; mais ces cultivateurs sont rarement des paysans traditionnels : ce sont des entrepreneurs de culture ou des ouvriers agricoles de conception moderne et parfois de niveau de vie élevé.
7Sauf à la bordure méridionale, dans le vieux nord où cette population urbaine réelle n’atteint pas 50 %, le nord connaît des proportions de population urbaine montant à 60-75 % de la population des états. Cette population est bien reliée au reste du monde par les voies de communications mais aussi par les moyens de crédit, par l’information et la publicité que diffusent les salles de cinéma, la radio et les journaux. Bien souvent la ville du nord a un aspect et une ambiance nord-américaine. Même si les monuments coloniaux baroques du vieux nord soulignent une prospérité ancienne, la croissance moderne rapide ne laisse plus de place à l’organisation des vieux quartiers et le commerce moderne domine ; le tracé de rues larges aux maisons neuves — souvent élevées dans le centre — marque ces villes du nord d’un cachet plus proche des Etats-Unis que du vieux Mexique.
8Les grands axes du relief — et des moyens de transport — permettent de diviser nettement le nord mexicain en trois régions : l’intérieur et les deux façades. Cependant la distance qui sépare soit des Etats-Unis, soit du Mexique central, représente un élément de différenciation régionale essentiel. Nous verrons que le vieux nord appartient exclusivement à l’altiplano. Au contraire, la Frontière avec les Etats-Unis présente des particularités économiques dont il faut préciser ici les caractères principaux.
La Frontière
9L’activité frontalière se concentre aux points de passage, en un certain nombre de villes où l’économie dépend de l’état de la réglementation douanière. Ces villes ont une vie à part, peu de liens avec l’arrière-pays, peu d’influence régionale : elles vivent au rythme de deux nations et forment souvent un couple avec leur homologue des Etats-Unis : c’est le cas de Tijuana (San Diego), Ciudad Juárez (El Paso), Nuevo Laredo (Laredo) et Matamoros (Brownsville), qui ont pour doublet nord-américain une ville importante ; au moins 30 % du revenu des villes frontalières ci-dessus mentionnées est assuré grâce aux sommes gagnées de l’autre côté de la frontière par une main-d’œuvre qui quotidiennement passe cette frontière entre son lieu de travail et son domicile. L’attraction que la frontière provoque sur la main-d’œuvre mexicaine est cependant plus forte que l’emploi qu’elle procure : en avril 1965 on estimait à 300 000 personnes la main-d’œuvre disponible concentrée à la frontière, sans doute surtout composée de gens souhaitant aller travailler comme braceros aux Etats-Unis et non comme frontaliers.
10Selon les villes, les ressources varient cependant : les chefs-lieux de districts irrigués ont une situation particulière ; les villes qui ont développé une activité de distraction pour les nord-américains ont une allure plus exceptionnelle encore. Quoi qu’il en soit, le déséquilibre du commerce local de l’ensemble des villes frontalières est accusé, en raison de la masse des achats faits aux Etats-Unis pour la consommation locale ; ceci s’explique par la franchise douanière dont bénéficient les frontaliers.
11Cette situation particulière a provoqué une croissance urbaine remarquable, sans que les activités productives — en particulier l’industrie — se soient développées dans les mêmes proportions. Cette croissance est moindre dans la décennie 1930-1940 en raison de la crise économique mondiale ; elle est la plus forte dans la décennie 1940-1950 et reste très soutenue dans la décennie suivante. On ne saurait prévoir l’avenir de ces villes, puisqu’il dépend exclusivement des décisions politiques et administratives des deux pays. Cependant les intérêts créés des deux côtés sont assez vigoureux pour qu’on ne puisse imaginer de coupure brusque : on peut appliquer de proche en proche ce raisonnement, avec une intensité décroissante, à l’économie du nord mexicain, puis à l’économie mexicaine.
Tableau IX. Commerce des villes frontalières, 1960 (en millions de pesos)
Avec l’intérieur du Mexique | Avec les Etats-Unis | |
Importations | 2 600 | 5 800 |
Exportations | 2 280 | 3 700 |
Balance. | — 320 | 2 100. |
Section I. LE NORD DE L’ALTIPLANO
12L’altiplano septentrional forme au Mexique un immense plan incliné, du sud-ouest vers le nord-est. Il est assez facile de délimiter deux de ses bordures : au sud-ouest et à l’est. En effet dans le premier cas la Sierra Madre occidentale forme une puissante barrière, que les voies de communication modernes ne traversent qu’en deux points, au droit de Durango et au droit de Chihuahua. Si vers le Golfe de Californie l’escarpement occidental de la Sierra en fait un obstacle exceptionnellement vigoureux, son versant oriental au contraire forme essentiellement un plan incliné : les chaînons qui le surmontent sont modestes, les vallées qui l’entaillent peu profondes et le drainage suit dans l’ensemble ce plan incliné vers le nord-est. Dans le second cas, à l’est, l’altiplano vient buter contre les chaînons calcaires de la Sierra Madre orientale. Certes celle-ci est précédée à l’ouest par des avant-plis. Mais le bourrelet principal tombe brutalement vers la plaine du Golfe. Il s’en faut que l’obstacle de ce relief puisse se comparer à celui de la Sierra Madre occidentale : sauf au droit de Ciudad Victoria et Linares, il reste modeste ; cependant on a là une limite climatique extrêmement nette : le versant du Golfe est beaucoup plus humide que le versant intérieur. S’ajoutant à ce contraste, la séparation hydrologique est très nette elle aussi, car les roches calcaires sont perméables et pratiquement aucun écoulement n’affecte ce versant intérieur.
13Si l’armature du relief impose des limites nettes dans deux secteurs, ailleurs il n’en est rien : les chaînons calcaires de la Sierra orientale divergent au droit de Torreón. Plus au nord ils ne forment ni un obstacle à la circulation, ni une limite climatique entre régions différentes par leur humidité. Il en est de même pour la Sierra occidentale : à 150 km au sud de la frontière nord-américaine, la masse montagneuse perd de l’altitude, les blocs raillés sont séparés par de larges couloirs et le contraste entre deux versants disparaît. Enfin à la bordure sud on passe dans l’ensemble progressivement de la zone trop aride pour une agriculture non irriguée à celle où l’agriculture de temporal cesse d’être trop aléatoire et sert de base à la vie rurale du Mexique central.
14On peut remarquer que la vigueur de certaines limites, qui s’appuient sur le relief, est renforcée par les contrastes de l’hydrographie. En effet l’essentiel de l’altiplano septentrional connaît un régime endoréique, les deux axes montagneux formant à la fois barrière climatique et obstacle à l’écoulement. Mais les deux Sierras jouent ici deux rôles très différents ; celle de l’est, modeste, n’est qu’obstacle ; celle de l’ouest, puissante, est un château d’eau dont dépend toute l’hydrographie intérieure. L’alimentation du Nazas lui assure, après la Laguna, un écoulement qui s’avance occasionnellement jusqu’aux bolsones de Mapimi, mais permet auparavant l’irrigation d’une importante oasis. Le Rio Conchos joue un rôle comparable pour l’irrigation, mais rejoint le Rio Bravo.
15Au nord, les deux axes montagneux perdent leur vigueur : ils ne reçoivent que des pluies insuffisantes pour que se soient organisés des réseaux hydrographiques actifs, capables de sculpter le relief. Si l’endoréisme n’est pas toujours la règle, c’est qu’un cours d’eau d’origine lointaine débouche dans la région : le Rio Bravo ; ce dernier, drainant aux Etats-Unis de vastes territoires, débouche à Ciudad Juárez dans un ensellement important, puis atteint le Golfe du Mexique et permet lui aussi l’irrigation de secteurs plats dans les deux pays qu’il sépare. Au ras de plaines fort larges, les autres cours d’eau ne connaissent que des crues exceptionnelles. Dans ces conditions le contraste entre altiplano et versants extérieurs directement drainés vers la mer disparaît.
16Certains thèmes du paysage sont communs à la plus grande partie de la région : l’apparition brusque de reliefs isolés au milieu de grandes étendues plates, piémonts d’accumulation ou glacis d’érosion qui se rejoignent dans des bas fonds parfois salins et blanchâtres, même si un écoulement vers l’extérieur est assuré. La couleur blanchâtre domine aussi sur beaucoup de surfaces plates ou accidentées en raison de la formation de croûtes calcaires superficielles (caliche) : elles sont plus fréquentes dans la partie orientale (la plus sèche et la mieux pourvue en roches calcaires), mais on les trouve aussi parfois sur des roches volcaniques anciennes. La végétation est rarement absente : des formes de steppes variées, plus ou moins serrées, occupent l’espace ; là où la sécheresse s’accentue, les cactées dominent. Ce n’est que sur le revers intérieur de la Sierra Madre occidentale que le paysage révèle l’humidité, surtout au-dessus de 2 000 mètres : la steppe herbeuse y fait place à la forêt de chênes et de conifères. Tout ce domaine a été occupé par les Chichimèques, à l’exception de la Sierra occidentale, où vivaient dispersées des populations pratiquant l’agriculture. Cependant il n’y a pas coïncidence entre le domaine climatique où la culture sans irrigation est exclue et le domaine traditionnel des indiens nomades : ces derniers avaient occupé jusqu’au Rio Lerma une région facilement vouée à l’agriculture sans irrigation qui a été annexée au vieux Mexique agricole à l’époque coloniale : cette annexion est trop ancienne pour qu’on ne recule pas la limite actuelle du nord vers la zone réellement aride.
17Les activités économiques de cette vaste région n’ont qu’exceptionnellement groupé de fortes agglomérations humaines : si quelques noyaux bien déterminés méritent d’être décrits, ailleurs ce sont des modes d’exploitation qu’il faut montrer.
A. — L’industrie minière, tradition du Vieux Nord
18C’est bien la recherche des métaux précieux qui a fait vivre une région à la frontière de l’aridité, de San Luis Potosí à Durango, en passant par Zacatecas. Certes dans le Mexique central Pachuca ou Guanajuato ont connu la même activité. Cependant elle y était moins exclusive, dans des pays agricoles peuplés plus continûment. On n’a guère de superficies consacrées à l’agriculture non irriguée dans la zone minière, trop sèche pour cela. Ses paysages sont déjà ceux du nord : les squelettes d’anciens volcans laissent pointer quelques masses rocheuses, mesas, necks ou dykes, côte à côte avec quelques plis calcaires. La steppe a fait naître des sols parfois épais, qui reposent sur la croûte calcaire blanchâtre. L’agriculture non irriguée si elle n’est pas absente, relève seulement d’une loterie ; et peu de ressources en eau permettent d’étendre ici l’irrigation : certains bassins conservent des nappes peu profondes cependant. Ainsi celui de San Luis Potosi, où l’eau est pompée à 50 mètres de profondeur. Ceci permet l’irrigation de quelques milliers d’hectares de luzerne. Additionnée parfois de feuilles de maguey hachées, elle permet l’élevage à l’étable de vaches laitières ; la ville elle-même est le débouché de cette production laitière.
19En dehors de l’ancienne production d’argent, maintenant épuisée ou peu rentable, cette région ne manque pas de ressources minières actuelles : du cuivre à Zacatecas, de l’antimoine et de l’arsenic au San Luis Potosi ; mais surtout près de Durango des mines de cuivre et mieux encore 50 % du minerai de fer exploité au Mexique : cette exploitation du fer dépend surtout des besoins de la sidérurgie du nord-est.
20Cependant bien des sites miniers sont en décadence. Si l’on prend dans leur ensemble les villes exclusivement minières du Mexique, on constate que leur population n’augmente que de 15 % entre 1940 et 1950 et un peu moins entre 1950 et 1960 : c’est-à-dire qu’elles connaissent une émigration. Mais on assiste aussi à la disparition de localités de quelques milliers d’habitants : ce sont surtout des centres miniers qui entre 1900 et 1950 disparaissent dans les états de San Luis Potosí, Querétaro, Guanajuato, Zacatecas et Durango : en tout environ trente-cinq noyaux de peuplement ont disparu. Le chômage dans les mines provoque une instabilité de la population, en majorité masculine ; le départ des jeunes se marque dans la proportion élevée des gens âgés. Si les villes exclusivement minières, comme Charcas (SLP), ont vu leur population diminuer entre 1900 et 1960, les agglomérations jouant un rôle dans le commerce se maintiennent, comme Zacatecas qui retrouve en 1960 sa population de 1900 ; ou après avoir stagné jusqu’en 1940 ont un nouveau démarrage, comme San Luis Potosi ou Durango. C’est parfois une ville nouvelle qui assure cette renaissance commerciale, comme Fresnillo (Zac.). De toute façon la prospérité de la vieille industrie minière de l’argent n’est plus qu’un souvenir de l’époque coloniale, qui a donné naissance à l’architecture barroque de Zacatecas, Durango, San Luis Potosi ou Guanajuato : art de nouveaux riches subventionnant l’Eglise certes, mais aussi réalisations d’urbanisme municipal parfois.
21On ne peut guère espérer que l’éventuel prolongement du gazoduc de Querétaro vers San Luis Potosi et Durango suffise à créer une activité industrielle dans ces villes où les ressources en eau sont en tout cas limitées. Ce vieux Nord garde ainsi les tares de son origine minière : l’instabilité de la population est liée à la mine, mais aussi à une vie rurale médiocre qui perd parfois ses débouchés urbains locaux. L’excédent de population fournit au grand nord l’essentiel de la main-d’œuvre qu’il attire.
B. — La crise de l’économie de cueillette dans l’est
22C’est dans la partie la plus sèche de l’altiplano septentrional, sous le vent de la Sierra Madre orientale, que l’exploitation de la végétation d’agaves donne lieu à une cueillette. Les plantes exploitées : la lechuguilla reste d’usage artisanal, tandis que l'ixtle fait l’objet d’une exploitation industrielle. Mais cette région n’est pas un désert : un peuplement dispersé, qui atteint parfois 5-10 habitants au kilomètre carré, augmente par croissance naturelle sans que ses ressources s’accroissent. Ce sont 200 000 personnes qui vivent dans la zone de cueillette de l’ixtle, dont la production (10 000 à 12 000 tonnes de fibre par an) est de l’ordre du dixième de la production yucatèque de fibres de henequen ; or au Yucatán la population qui vit de la culture du henequen ne représente que le triple de celle qui vit ici de la cueillette, dans des conditions de niveau de vie très basses. Les ressources ne sont guère améliorées par des cultures de maïs de temporal extrêmement risquées et par un élevage de chèvres.
23Dans cette zone critique, des coopératives de ramasseurs ont été constituées, mais leur pouvoir de négociation est faible face aux trois usines de défibrage (San Luis Potosí, Matehuala, Saltillo), parce que la demande de fibre est en diminution. Des projets (1964) concernent le remplacement de la cueillette par la culture d’une fibre (palma china) destinée à une papeterie, que la grande entreprise actuelle de défibrage La Forestal installerait à Matehuala. Malgré ces espoirs, cette région ne peut supporter la population trop nombreuse qui y vit : plus que les zones désertiques, les régions steppiques marginales posent des problèmes difficiles à la limite de l’agriculture non irriguée et pour cela même surpeuplées. Certes le nouvel itinéraire de la route panaméricaine passe par Matehuala et San Luis Potosi et ces villes se sont réveillées de leur stagnation : c’est insuffisant pour créer une économie régionale capable de retenir la population rurale avoisinante.
C. — L’économie pastorale et le chihuahua
24L’élevage bovin est la grande richesse de la Sierra Madre occidentale. Des steppes sèches on passe au-dessus de 1 200-1 500 m à une véritable prairie, de Durango à l’Arizona et dans les chaînons espacés qui s’abaissent progressivement dans le Sonora occidental. Cet élevage s’appuie sur quelques vallées cultivées : près de Hermosillo et Caborca au Sonora, plus dispersée en altitude au Chihuahua, l’irrigation, grâce aux pompages, permet des cultures de pommes de terre, d’avoines et d’arbres fruitiers tempérés en altitude, de blé et de luzerne en terre plus basse. Les pompages sont beaucoup plus fréquemment utilisés cependant pour l’abreuvage des troupeaux de bœufs et le paysage des pâtures se marque aussi bien par les clôtures de barbelés que par les éoliennes des abreuvoirs, pompant dans les petits bassins alluviaux.
25Cet élevage est destiné à la production de viande et à son exportation aux Etats-Unis. L’exportation de bétail maigre ou de génisses était semble-t-il l’essentiel avant 1946 : la moyenne annuelle de l’exportation de bétail jeune était de 500 000 bêtes en 1941-1946 pour l’ensemble du Mexique. La fermeture de la frontière nord-américaine au bétail mexicain fut un coup très dur, entre 1946 et 1952, en raison de l’épizootie de fièvre aphteuse. La réaction mexicaine fut la construction d’usines, d’une part pour l’abattage et la congélation, d’autre part pour la mise en conserve de la viande : ces usines se groupent dans le nord de l’altiplano pour la moitié, surtout à proximité de la frontière nord-américaine1 (Quelques-unes se trouvent dans les ports du nord-ouest et d’autres dans le nord-est du pays ; c’est bien ici que se concentre le marché d’exportation de la viande et d’ailleurs le capital nord-américain a largement participé à cet équipement industriel.
26Après la réouverture du marché du nord au bétail mexicain sur pied, l’industrie de la viande s’est trouvée suréquipée, capable d’absorber 800 000 bêtes et n’en ayant jamais traité plus de 400 000 ou 500 000. En 1963 les autorisations d’exporter vers les Etats-Unis atteignaient 760 000 bêtes sur pied et 400 000 bêtes congelées : sans doute les exportations réelles ont été moindres : la viande congelée ou en boîtes représente entre 20 000 et 25 000 t dans les années 1959-1962, soit sans doute guère plus de 100 000 bêtes abattues vendues à l’extérieur. L’exportation du bétail sur pied a repris vigoureusement : de 1959 à 1962 on passe de 73 000 t à 120 000 t, ce qui doit représenter une augmentation de 150 000 à 300 000 bêtes. On semble loin d’avoir atteint les quota d’exportation autorisés.
27Mais la répartition régionale de ces quota donne une bonne idée de ce marché de la viande sur pied : les deux états de Chihuahua et Sonora disposent de 60 % du total. Si on y ajoute les autres états du nord de l’altiplano (Coahuila, Durango, San Luis Potosí, Zacatecas) on atteint globalement 85 % des quota d’exportation. Pour la viande congelée ou en boîtes les états précités disposent de 50 % de l’exportation nationale en 1963 et les deux grands états d’élevage de 20 % : la concentration est donc moindre que pour le bétail sur pied.
28Cet élevage extensif mais moderne n’a été touché par la réforme agraire que partiellement et tout récemment : quelques grandes haciendas ont été réparties en ejidos, à partir de 1959. Mais on a maintenu les unités d’exploitation et doté les nouveaux possesseurs de moyens de crédit, d’équipement pour congeler la viande et de personnel technique, afin d’éviter que la production moderne n’entre en décadence. Une opération importante a ainsi affecté au Sonora le latifundio qui dépendait de la société exploitant les mines de cuivre de Cananea, possesseur de 250 000 ha de chaque côté de la frontière. Le latifundio, du côté mexicain, était divisé techniquement en cinq ranchos ; on en a fait sept ejidos.
29C’est à propos du Chihuahua qu’il faut parler de l’élevage d’exportation puisque cet état dépasse même le Sonora pour cette activité, mais il faut noter que la main-d’œuvre qui en dépend est peu nombreuse et que le lien avec le marché extérieur est trop fort pour qu’on trouve là un élément organisateur de la vie régionale. D’autres activités prospères se dispersent encore dans le Chihuahua : le tiers de la production des mines métalliques du pays appartiennent à cette région neuve (plomb, zinc, or) au Parral entre autre ; l’exploitation du bois a donné naissance à des industries importantes de contre-plaqué et de cellulose. Mais pas plus ces activités nécessairement dispersées que l’agriculture irriguée de la vallée du Rio Conchos n’ont donné naissance à de grosses concentrations de population. Aussi la capitale de Chihuahua, ville prospère dont la croissance est remarquable (56 000 habitants en 1940, 150 000 en 1960) ne domine-t-elle pas directement toute l’activité économique de ce vaste ensemble distendu dont les branches ne dépendent pas les unes des autres. Encore plus remarquable est la croissance de la ville frontière de Ciudad Juárez (moins de 50 000 habitants en 1940, plus de 250 000 en 1960) et encore moindre son intégration à l’économie régionale ou nationale : une région irriguée modeste, mais 36 % du revenu de la ville provenant du travail à El Paso, soit la proportion la plus forte rencontrée dans une ville de la frontière.
Tableau XI. Quota d’exportation de viande aux Etats-Unis, 1960 En milliers de bœufs
Sur pied | % | Congelé | % | |
Chihuahua | 240 | 40 | ||
Sonora | 220 | 40 | ||
Durango | 100 | 30 | ||
Coahuila | 80 | 40 | ||
San Luis Potosi | 5 | 240 | ||
Zacatecas | 5 | 40 | ||
Total partiel | 650 | 85 | 200 | 48 |
Nuevo León | 70 | 16 | ||
Tamaulipas | 30 | 20 | ||
Sud Californie | 10 | 4 | ||
Total partiel | 110 | 15 | 40 | 9 |
Total sur pied | 760 | 100 | ||
Guanajuato | 25 | |||
Aguascalientes | 15 | |||
Michoacán | 30 | |||
Jalisco | 30 | |||
Nayarit | 25 | |||
Colima | 10 | |||
Total partiel | 135 | 33 | ||
B. Californie nord | 2 | |||
Sinaloa | 20 | |||
Total partiel | 22 | 5 | ||
Huasteca potosina | 5 | |||
Nord Veracruz | 10 | |||
Total partiel | 154 | 4 | ||
Costa Guerrero | 2,51 | 1 | ||
Total congelé | 434,5 | 100 |
D. — La Comarca Lagunera
30La mise en valeur de la zone d’épandage des eaux du Rio Nazas au débouché de la Sierra Madre occidentale a déjà plus d’un siècle d’histoire. Bien plus qu’au Chihuahua on est ici dans une région liée à l’économie nationale. Le terme de contrée de la lagune mérite d’être retenu puisqu’il est rare que cette notion de « pays » apparaisse dans la toponymie mexicaine. La culture irriguée du blé n’atteignait à l’époque coloniale que des secteurs de la vallée du Nazas situés à l’intérieur de la Sierra. Elle se répand dans la Laguna qui devient la première région productrice vers 1850. A la fin du xixe siècle c’est la culture du coton qui se développe, pour les besoins de l’industrie textile nationale. Actuellement 50 % de la surface cultivée est semée en blé et 12 % en coton, plus exigeant en eau. Or la Laguna connaît une crise de l’eau à peu près permanente : les débits disponibles sont irréguliers et on doit limiter les arrosages. La construction d’un barrage de retenue dans la Sierra (El Palmito) n’a pas résolu tout le problème, car ce réservoir ne peut être rempli qu’exceptionnellement. Toute l’eau est utilisée et le bolson est complètement asséché en aval. Le pompage des nappes est dangereux car les eaux en sont salées et les traînées blanchâtres se voient souvent dans les champs.
31Le gouvernement Cardenas a procédé ici en 1936 à une réforme radicale comme dans d’autres zones critiques contrôlées par de grandes exploitations de cultures industrielles : en quelques semaines 78 % des terres irriguées ont été distribuées aux ejidos organisés en coopérative de production. Mais l’exemple du sort des terres d’une grande hacienda montre que bien des difficultés subsistent : avec l’accroissement de la population c’est non seulement l’eau mais la terre qui fait défaut, la monoculture restant une tare de l’agriculture de la région.
32La hacienda de Tlahualilo est une société anonyme fondée en 1889, qui reçoit l’autorisation de construire un canal de prise d’eau depuis le Nazas, à condition de « coloniser » : les lots devront être de 3 ha par colon, les 2/3 étant mexicains et le reste étranger. A part quelques terres de temporal négligeables la hacienda a 18 000 ha « irrigables » et 28 000 ha de pâtures. Elle cultive 7 700 ha dont 60 % en blé et le reste en coton, pour lequel on dispose d’une installation d’égrenage et d’une huilerie.
33La réforme agraire atteint Tlahualilo en 1936. On distribue 5 500 ha de terres irrigables et 12 000 ha de pâtures à 1 300 ejidatarios groupés en 13 ejidos. Le reste des terres de la hacienda passe à 150 « petits propriétaires ». Si l’on sait que le domaine employait auparavant 500 travailleurs permanents, on peut s’étonner du nombre des ayant-droits de la réforme : c’est que non seulement la politique cardéniste a donné de la terre aux peones acasillados, chose nouvelle, mais que beaucoup de braceros temporaires ont réussi à se faire inscrire pour la distribution de la terre.
34Ainsi les ejidatarios reçoivent 4,2 ha irrigable et 9 ha de pâture par famille, ce qui est important. Malgré une culture communautaire, les ejidatarios — par manque de crédit ou par désir de satisfaire des besoins familiaux d’abord — cultivèrent moins de plantes industrielles (coton, sorgho) et plus de blé, de maïs et de pastèque. Cependant après 1940 le système de coopérative se détériore : les querelles locales — que les autorités supérieures ne cherchent pas à apaiser — font que les groupes qui collectivement reçoivent les crédits du Banco Ejidal (sectores de credito) se scindent : de 13 unités on passe à 30, sans doute traités différemment par la banque selon la ponctualité des remboursements ou selon les liens d’amitié. Les problèmes sont aggravés par l’irrégularité des débits d’irrigation disponibles : selon les années (1955-1958) la superficie mise en culture varie entre 1 700 et 6 700 ha.
35Qu’est devenu Tlahualilo en 1960 ? Le nombre d’ejidatarios a doublé (2 600) et 16 000 personnes habitent la région. L’origine des ejidatarios révèle ce que fut le partage de 1936 : un peu plus de la moitié vivaient déjà dans le domaine où ils étaient employés ou « colons », les autres étaient braceros. Les cultures ont repris leur orientation d’avant la réforme agraire : cultures commercialisées presque uniquement (60 % du sol en blé, 30 % en coton). Mais le manque de terre et d’eau (2,2 ha irrigués par ejidatario) oblige à travailler hors de l’exploitation ejidale : la main-d'œuvre passe un quart du temps disponible à des tâches extérieures : dans l’agriculture privée, dans le commerce et pour une moindre part dans l’industrie ; elle souffre cependant du chômage pendant la moitié du temps ; aussi plus de la moitié des hommes ont travaillé comme braceros aux Etats-Unis. Ainsi la Laguna se présente comme une région agricole importante par son poids dans l’économie nationale : sans doute la troisième région cotonière après Mexicali et le Sonora-Sinaloa. Mais on ne peut augmenter l’eau disponible, alors que la population agricole, accumulée depuis la fin du xixe siècle, s’est multiplié sur place sans que l’oasis puisse s’accroître.
36A cheval sur les états de Durango et Coahuila, l’agglomération triple de Torreón, qui englobe Lerdo et Gómez Palacio, a prospéré jusqu’à devenir une métropole importante malgré les difficultés de l’agriculture régionale : elle double dans les vingt années 1930-1950 puis croît encore de 50 % dans la décennie suivante ; la conurbation groupe 250 000 habitants en 1960.
37Certes on est loin du dynamisme du nord frontalier et l’atmosphère de la ville permet de comprendre les difficultés régionales : le développement du commerce de détail—vêtement, chaussure—s’adresse à une clientèle rurale modeste mais bien différente des paysans traditionnels du centre du pays. L’état a dû intervenir par la CONASUPO pour aider cette clientèle. Le développement industriel de l’agglomération de Torreón reste modeste. Une zone équipée a été installée, mais n’a attiré que peu d’entreprises à l’exception de dépôts pétroliers. En outre une industrie qui nécessiterait une forte consommation d’eau serait ici nécessairement entravée. Ainsi seules des industries légères se sont développées, dans la ville même ; on ne peut guère envisager que la main-d’œuvre excédentaire soit absorbée sur place : aussi bien émigre-t-on de la Laguna vers le nord-est. Malgré tout Torreón est peut-être — Monterrey mise à part — la seule ville du nord mexicain qui par ses traditions, sa position sur les axes de communication intérieurs du pays, la variété relative de ses activités, puisse être considérée comme une métropole.
Section II. LE NORD-OUEST
38Cette portion du Mexique pousse les caractères du nord à leur extrême limite. Ce pays pionnier s’étend du nord-ouest au sud-est sur 1 800 kilomètres : presque la dimension de la façade pacifique des Etats-Unis. Le milieu naturel de cette région est marqué par deux faits majeurs : c’est un ensemble de terres autour du golfe de Californie, dont le fond est occupé par un désert ; c’est une région séparée du reste du pays par l’escarpement de la Sierra Madre occidentale très peu pénétrable. Du point de vue humain cette région voit son histoire résumée par trois mouvements : depuis le centre du Mexique les missions des Jésuites ont atteint au xviiie siècle la région de San Francisco, toute la Californie étant ainsi mexicaine ; au début du xxe siècle la voie ferrée a atteint le Nayarit, mais n’a escaladé la Sierra pour rejoindre Guadalajara qu’en 1927 : le nord-ouest dépendait des Etats-Unis ; enfin depuis Guadalajara la route a poussé vers Tepic (1940), Mazatlán (1950), Culiacán et Navojoa-Nogales (1960) pour atteindre Tijuana en 1964 : le Mexique tente de réincorporer le nord-ouest.
39Les articulations du relief sont simples2 (ordonnées selon les deux axes montagneux de la Sierra Madre occidentale et de la Basse Californie. Ce sont deux blocs faillés et basculés qui se font face de part et d’autre du golfe. La péninsule a un relief modeste dans l’ensemble, qui cependant dépasse 3 000 m dans le nord, à la Sierra de San Pedro Mártir. Les pentes montent progressivement du Pacifique, tandis qu’une série de failles délimitent le tracé de la côte orientale au pied de laquelle se trouvent les fosses les plus profondes du golfe. La péninsule est géologiquement comparable à la Sierra Madre : un socle qui inclut des roches secondaires est recouvert dans certains secteurs par des empilements de laves du début du tertiaire restées subhorizontales.
40Du golfe vers le continent les fonds remontent doucement et se prolongent par une plaine qui vient buter contre la muraille de la Sierra Madre occidentale. Cette plaine s’élargit progressivement vers le nord jusqu’à Ciudad Obregon. Plus au nord la Sierra passe à une direction nord-sud et s’abaisse : elle est précédée vers l’ouest de chaînons, blocs faillés sculptés par l’érosion et noyés dans de larges bassins. Les plans d’érosion inclinés des massifs se terminent dans des fonds remblayés où aboutit le drainage endoréique.
41Les climats du nord-ouest se hiérarchisent par rapport au seul véritable désert mexicain, celui du Sonora occidental où les dunes de sable apparaissent. Au sud-ouest de ce désert la majeure partie de la péninsule est un semi-désert peuplé de cactus, totalement incultivable ; au sud-est la partie moyenne du Sonora connaît une végétation analogue. Au semi-désert succèdent des régions qui bénéficient d’une saison de pluie bien marquée : le passage se fait brusquement vers l’ouest en Basse Californie où la Sierra est une limite nette : en altitude c’est la forêt de pins et chênes qui apparaît ; plus au nord quand le relief s’abaisse c’est le maquis méditerranéen qui croît au rythme des pluies de saison froide. Dans le Sonora oriental, grâce à des pluies réparties au cours de l’année, la steppe puis la prairie succèdent au semi-désert pour former, jusqu’au Chihuahua, la plus grande région d’élevage du pays. Vers le sud, c’est la brousse plus ou moins épineuse, soumise aux pluies d’été, qui fait suite au semi-désert ; il en est de même dans la péninsule autour de La Paz ; en altitude la forêt tropicale caduque passe à la forêt tempérée de la Sierra Madre.
A. — La Sierra
42Presque sur toute sa longueur, la Sierra Madre occidentale présente vers l’ouest un front de faille ou un escalier de blocs faillés qui affectent à la fois le socle secondaire et la masse des laves subhorizontales qui le recouvrent. Ce relief imposant atteint presque toujours 2 500 m et dépasse parfois 3 000 m. Depuis la ligne principale de l’escarpement, les rivières ont sculpté le bloc montagneux en gorges profondes. Il en résulte un relief difficile à pénétrer : les voies de communication modernes ne l’ont franchi qu’en deux points, postérieurement à 1960. Une route vertigineuse permet depuis Mazatlán de joindre Durango. Une voie ferrée qui remonte le dédale des canons du rio Fuerte unit Chihuahua au port de Topolobampo, près de Los Mochis. Si l’intérêt touristique de ces voies est évident, l’importance commerciale qu’elles peuvent acquérir semble limitée : le peuplement de l’altiplano reste modeste ; le haut et le bas pays ne peuvent devenir complémentaires que si la consommation de l’un et de l’autre se diversifient. L’espoir de voir Topolobampo drainer un trafic depuis l’Arizona ne semble pas s’être réalisé encore.
43Le versant oriental de la Sierra s’abaisse au contraire doucement car il est formé en général par la surface des épanchements de laves. Il est beaucoup plus pénétrable que la façade occidentale, qui oppose à la circulation un obstacle sur deux ou trois cent kilomètres de large et douze cent de long.
44La Sierra par son altitude recueille une humidité dont dépend l’irrigation de ses deux versants. Elle porte aussi une forêt tempérée qui permet d’importantes exploitations de bois, chênes et surtout conifères. La population est peu nombreuse dans ces montagnes : le groupe indigène des Tarahumara, que l’Institut National Indigéniste essaie d’aider, tente de se maintenir face aux grandes affaires de coupes de bois.
B. — Le milieu naturel de la plaine
45Vers le nord, la dégradation du milieu tropical à pluies d’été se fait très progressivement. La forêt caduque, mais abondante, occupe encore tout le bas pays au nord de Mazatlán. Plus au nord elle n’occupe plus que le piémont ou les basses pentes de la Sierra jusqu’au droit de Culiacán. Les terres plates sont peu abondantes dans ce secteur où les matériaux détritiques anciens soulevés sont découpés en terrasses ou en collines. Les surfaces anciennes sont plus ou moins latéritisées ; les pentes tournées vers l’océan présentent une végétation plus dense et plus haute que les secteurs sous le vent.
46De Culiacán à Ciudad Obregón les horizons s’élargissent : les grands cônes de déjection des cours d’eau de la Sierra occupent la majeure partie de ce secteur où se sont développées les principales zones irriguées. Avec deux ou trois cents millimètres de pluies d’été, la végétation naturelle passe progressivement à une brousse épineuse de moins en moins épaisse dont les possibilités d’élevage sont médiocres. Si l’on continue à longer la plaine côtière après Guaymas vers Hermosillo, le paysage devient franchement aride : les collines et les chaînons montagneux sont disséqués par le ravinement et à peu près dépourvus de végétation. Les buissons fort espacés parsèment les vastes espaces plats, plus denses au pied des versants montagneux ou le long des larges talwegs.
47Si l’occupation traditionnelle des secteurs désertiques était évidemment faible, les plaines plus humides ont été habitées par une population indigène. Au Sinaloa, les indiens Culiacán ont disparu dès le xviiie siècle. Plus au nord, les Yaqui et les groupes voisins n’ont pu résister à la spoliation de leur terroir à l’époque porfirienne : il semble que les destructions de population au cours de la révolte, mais surtout les transferts de main-d’œuvre vers le Yucatán aient éliminé de la région plus d’une dizaine de milliers de gens. Le groupe Yaqui ne s’élève plus qu’à quelques milliers de familles sur place, en partie métissées (le mélange culturel était déjà poussé au début du siècle) ; la réforme agraire cardéniste leur a rendu des espaces cultivables suffisants ; leurs problèmes actuels sont d’investissements et de modernisation agricole.
C. — Les ressources modernes du nord-ouest
48Cette région pionnière exploite depuis peu, pour l’exportation, des ressources naturelles abondantes : les espaces disponibles s’accompagnent d’une abondance d’eau d’irrigation dans la plaine ; la mer offre elle aussi des ressources assez neuves. Les produits ont à peu près toujours été exportés d’abord, selon les besoins du marché nord-américain auquel la voie ferrée relie le nord-ouest dès le début du siècle.
I. — La pêche
49Les fonds de pêche du golfe de Californie et du Pacifique jusqu’au cap Corrientes fournissent la majeure partie de la production mexicaine de crevettes roses, qui représentent l’essentiel des exportations de produits de mer. Dans la décennie 1940-1950, moins des deux tiers des crevettes mexicaines venaient de cette région. La production a augmenté, mais aussi la part du nord-ouest, qui atteint près des trois quarts pour 1960. Cette production est destinée surtout aux Etats-Unis (sans doute plus des trois quarts) et le nord-ouest fournit 80 % des exportations de crevettes. La concurrence entre les pêcheurs mexicains, artisans peu équipés et les pêcheurs étrangers dotés de moyens modernes plus puissants a amené le gouvernement à grouper ses nationaux en coopératives afin d’aider à leur modernisation : 85 coopératives groupant 4 800 pêcheurs fonctionnent à Mazatlán, Novolato et Guaymas. Des usines de congélation ont été montées, au nombre de 183. Elles se groupent surtout à Guaymas et secondairement à Los Mochis : un suréquipement existe d’ailleurs dans ce domaine. Les fonds de pêche ne sont d’ailleurs pas inépuisables : une exploitation exagérée a diminué les rendements de la région de Mazatlán.
II. — La vie rurale hors des zones arides
50Si le nord-ouest est avant tout un pays d’agriculture irriguée, il s’en faut que celle-ci soit la seule ressource. On a vu que l’élevage était roi dans le Sonora oriental comme au Chihuahua. Ailleurs il est beaucoup moins favorisé, à la fois à cause d’une végétation naturelle moins riche, mais aussi à cause d’une dispersion de cette activité loin des grands marchés consommateurs : les liaisons avec l’altiplano central ou septentrional sont récentes ou malaisées, le marché nord-américain éloigné. C’est dans la brousse ou dans les défrichements de la forêt tropicale que cet élevage se disperse. Le Sinaloa vend un peu de viande congelée aux Etats-Unis. Le Nayarit possède aussi des exploitations très extensives : haciendas de 15 000 ha qui élèvent 1 800 bêtes et n’emploient que deux ou trois dizaines de familles. On estime que le bétail de la région pourrait quadrupler : c’est un problème de marché régional.
511° La vie agricole du Nayarit. — Cette région occupe un secteur exceptionnellement humide de la façade pacifique : les pluies diminuent vers le nord-ouest, mais aussi la côte méridionale du Mexique à l’est du cap Corrientes connaît une saison sèche bien plus marquée. Ici au contraire l’abondance des pluies bien réparties au cours de l’année fait naître une forêt presque comparable à celle de la façade huastèque, ici aussi à une latitude très septentrionale. Dans ces conditions les possibilités agricoles sont très variées, dans une région peu peuplée qui reçoit des immigrants des hautes terres. Si dans un milieu moins bien arrosé et bien plus isolé une vie rurale de temporal végète à l’extrémité sud de la Basse-Californie, autour de La Paz, les possibilités du Nayarit sont considérables. Aux cultures de maïs et haricot s’ajoutent traditionnellement la canne à sucre (qui ne nécessite guère d’irrigation près de Tepic) et surtout le tabac qui donne la majeure partie de la production mexicaine (35 000 t). Mais d’autres productions récentes s’y ajoutent : les cocotiers, peu nombreux il y a vingt ans, ont été multipliés ; la culture de la banane s’est développée après la décadence des grandes régions productrices du Tabasco ; le riz prend aussi une certaine importance.
52Mais le problème de l’agriculture régionale dépend des transports et de l’organisation du marché. On est déjà ici loin du client nord-américain avec lequel la voie ferrée est la liaison traditionnelle. Ce n’est qu’en 1927 que celle-ci a permis d’atteindre Guadalajara. La route de l’altiplano atteint Tepic en 1940 : l’infrastructure existe alors pour une vente des produits agricoles sur le marché national. Mais on est ici à portée seulement de Guadalajara, métropole qui dispose des produits du Bajío occidental et de plus en plus des terres chaudes de Jalisco et Michoacán ou du Colima. Les paysans du Nayarit se plaignent de dépendre d’intermédiaires qui maintiennent des cours trop bas : les terres ne leur manquent pas mais ils « proposent de les rendre au gouvernement » si les prix agricoles leur restent défavorables.
532e La vie agricole en milieu méditerranéen. — A la frontière nord-américaine, sur le versant occidental de la racine de la péninsule californienne règne un climat méditerranéen à pluie de saison froide et été sec. Cette région est la plus isolée du reste du pays, séparée même des terres de Mexicali par le fossé particulièrement aride de l’Imperial Valley. C’est brusquement que l’on atteint sur le versant ouest une forêt de chênes. Dès qu’on perd de l’altitude apparaît le vignoble, quasi-monoculture jusque vers Tecate : cette région produit sur des sols sableux l’essentiel du vin mexicain, véritable prolongement des vignobles nord-américains. Vers la côte, en direction de Tijuana, la vigne est remplacée par des vergers qui rappellent ceux de la Grande Vallée de la Californie nord-américaine : aux primeurs se mêlent les arbres fruitiers tempérés et les oliviers. L’occupation du sol est à peu près continue dans cette région.
III. — La grande irrigation du nord-ouest
54La grande irrigation n’était largement développée avant 1950 que dans deux secteurs : Mexicali et Culiacán, aux deux extrémités du nord-ouest. Les secteurs intermédiaires n’ont pris leur importance que plus tard : Los Mochis existait, mais le barrage du Rio Fuerte (1956) a permis d’étendre beaucoup la zone irriguée ; l’ouvrage principal sur le Rio Yaqui, dont dépend l’irrigation de cette zone, date de 1952 ; les pompages en aval de Hermosillo se sont multipliés surtout entre 1950 et 1954. C’est aussi au cours de la décennie 1950-1960 que la route a permis de relier les secteurs irrigués au centre du pays de façon continue.
551° Les secteurs septentrionaux : coton et blé. — Les deux plus vastes ensembles d’irrigation sont au Sonora et en Basse-Californie. Le secteur du Rio Colorado dépend pour son alimentation en eau des débits provenant des Etats-Unis, où l’agriculture se développe. Un traité international règle selon les saisons les débits minimum arrivant au Mexique. Mais l’utilisation des eaux en amont a augmenté la teneur en sel contenu dans l’eau d’irrigation : contre cela le Mexique ne peut rien et cette cause de friction avec le voisin est permanente dans la région. Au moins a-t-on pu pallier cette difficulté en creusant des drains qui rabaissent le niveau de la nappe phréatique salée. Par rapport aux débits disponibles, la zone irriguée est surpeuplée ; cependant le niveau de vie y est plus haut que dans le reste de l’agriculture mexicaine et il ne semble pas que la colonisation du Campeche-Tabasco attire réellement beaucoup de monde loin de Mexicali. La distribution de l’eau met ici sur le même plan les ejidatarios et les petits propriétaires car les débits attribués permettent d’arroser 20 ha pour chacun, c’est-à-dire toute la parcelle pour les ejidatarios et une partie des 35 ha (en moyenne) des propriétaires. L’agriculture ejidale a été implantée ici comme dans la Laguna : en 1937, en quelques semaines, le gouvernement Cardenas a distribué les terres des grands domaines, appartenant souvent à des filiales de sociétés nord-américaines. L’agriculture a prospéré, en particulier grâce aux facilités de crédit rencontrées sur la frontière.
56La mise en eau de la majeure partie de la zone irriguée Taqui-Mayo est un fait récent. Ici aussi la politique ejidale a joué un grand rôle : les lots distribués ont été plus modestes en raison d’une pression démographique plus forte : 10 ha. Pour cette région on connaît plus en profondeur qu’ailleurs le problème des rapports entre la structure agraire et le crédit agricole. Le tableau XIII montre que la région du Yaqui (à l’exclusion du Mayo) a connu une politique systématique de larges dotations en terre pour les ejidos : la parcelle moyenne passe de 8 à 20 ha entre 1937 et 1962. De même la superficie moyenne des propriétés privées a été en augmentant entre ces deux dates : de 39 à 44 ha. Mais on sait que des unités d’exploitation de 500-1 000 ha existent. Ceci s’explique de la façon suivante : le crédit pour des cultures commerciales est difficilement accessible aux ejidatarios, faute d’hypothèque ; le crédit consenti par le Banco Ejidal ne permet que la mise en culture d’une partie de la parcelle (sans apport de capital de l’intéressé) ; l’ejidatario loue donc le complément, malgré la loi. On estime que la location atteint 40 % des terres ejidales du Yaqui. En réalité ces locations interviennent parfois entre ejidatarios : ainsi la tenure ejidale est-elle dans ces conditions une rente foncière, non une exploitation. L’exploitation est de type capitaliste, un groupe de « bons » ejidatarios ayant trouvé accès au crédit de campagne comme aux prêts à long terme pour l’achat des machines agricoles : ils peuvent alors augmenter les surfaces qu’ils cultivent et prendre en location des parcelles voisines — ou bien se faire entrepreneurs de culture pour leurs voisins ce qui revient presque au même.
57La troisième zone irriguée, bien plus modeste, en aval d’Hermosillo, est le résultat de pompages dans la nappe du Rio Sonora : opération privée presque uniquement où les surfaces moyennes de chacun sont considérables, l’investissement étant la construction du puits bien plus que l’acquisition des terres sans valeur si elles sont sèches. Il semble que l’on ne puisse multiplier ces forages sous peine d’épuisement de la nappe.
58L’agriculture de ces régions dépend avant tout du coton. Mexicali en tête fournit 22 % de la récolte nationale ; la culture y est assez stable car on peut cultiver dans ce désert les qualités à fibre longue et de plus les parasites ne s’y développent pas comme dans les terres humides. Les 4/5 des surfaces irriguées et des revenus agricoles de la région concernent le coton. L’ensemble Sonora-Sinaloa vient au second rang de la production cotonnière nationale : production modeste sur 1/4 des surfaces vers Hermosillo, plus massive sur 1/5 des surfaces dans la zone Yaqui-Mayo, mais aussi 1/5 ou 1/10 des surfaces dans les secteurs irrigués du Sinaloa. Les surfaces cultivées peuvent en fait varier selon les cours du simple au double d’une année à l’autre. Le rôle du crédit est très important pour cette production : la firme nord-américaine Anderson and Clayton finance une part majoritaire de la culture dans la région de Mexicali, mais fait aussi sentir son action au Sonora et au Sinaloa à un degré moindre. De même l’industrie de l’égrenage, activité essentielle surtout à Mexicali, dépend en partie de cette firme nord-américaine. Il faut y ajouter la mise en balle et les huileries. Depuis plus de 25 ans le coton assure de gros revenus et un niveau de vie élevé à ces régions ; une main-d’œuvre temporaire de braceros y est attirée chaque automne : ils sont jusqu’à 6 000 dans le secteur du Yaqui-Mayo, peut-être 30 000 à Mexicali. Les mêmes gens remontent vers le nord à mesure que les récoltes mûrissent et passaient en Californie au moins jusqu’en 1963-1964.
59La culture du blé s’est développée aussi en Basse-Californie et au Sonora. moins au Sinaloa. On y consacre plus de la moitié des surfaces dans la région Yaqui-Mayo, 1/10 à Mexicali, les 2/3 à Hermosillo, plus du quart au Rio Fuerte : l’ensemble de ces régions assurait en 1951 le tiers de la récolte mexicaine. La production a considérablement augmenté, par extension des surfaces et amélioration des rendements, et le nord-ouest fournit maintenant près des 3/5 de la production nationale : le pays a cessé des importations coûteuses en devises et dispose même depuis peu de légers excédents. Mais cette production est assez chère et en tout cas destinée au marché national : la masse des consommateurs est dans le centre du pays, ainsi que l’industrie de la minoterie, concentrée entre peu de mains surtout à Mexico et à Puebla. Il a fallu prévoir les silos et les wagons de chemin de fer pour entreposer et transporter cette lointaine production. Par ailleurs pour assurer des prix réguliers et rémunérateurs aux agriculteurs face au bloc des minotiers du centre, une intervention de la CONASUPO a été nécessaire.
60L’extrême simplicité de l’agriculture du Sonora et de Mexicali n’est pas sans danger : cette double monoculture dépend des accidents du climat, d’un marché national lointain (blé) ou d’un marché étranger qu’on ne peut régulariser (coton). Les tentatives de culture du riz au Sonora ont échoué dans les années 1935. Au contraire le sorgho fourrager s’y développe actuellement. On peut penser que l’extension d’un élevage au moins en partie laitier, pour lequel la luzerne aurait son importance, permettrait de diversifier la production : ceci dépend de l’organisation d’un marché local ou de la recherche d’une clientèle plus lointaine.
612° L'agriculture semi-tropicale du Sinaloa. — On ne peut parler ici d’une monoculture aussi accentuée que plus au nord et le jeu sur différents marchés est plus facile. Les surfaces moyennes à la disposition des ejidatarios sont ici plus réduites qu’au nord, dans des régions de peuplement plus dense. Le secteur du Fuerte est à la fois le plus récent et le plus vaste, mais celui de Culiacán plus ancien, semble avoir atteint une meilleure diversification de la production.
62La canne à sucre occupe 1/6 des surfaces à Culiacán et plus de 1/10 au Rio Fuerte. Les deux zones possèdent chacune un gros ingenio, mais cette culture qui consomme beaucoup d’eau semble mal adaptée à la région : née d’une spéculation orientée vers le marché nord-américain, elle ne peut entrer en concurrence avec les terres beaucoup plus vastes de la plaine méridionale du Veracruz, où l’irrigation n’est pas nécessaire. Ainsi une réorientation est-elle peut-être à envisager.
63Les cultures de blé occupent encore une part notable du secteur du Fuerte, mais disparaissent plus au sud, tandis que le coton n’est absent ni du Fuerte, ni de Culiacán. Ce sont cependant d’autres cultures qui occupent ici une place privilégiée. Le riz, sur plus d’un dixième des surfaces au Fuerte, sur plus du quart à Culiacán, s’est développé notablement dans les années récentes ; la production, destinée au marché national, est la plus grosse du pays, légèrement supérieure à celle de la plaine de Veracruz. La tomate est au contraire ici — comme vers Tampico — une culture d’exportation presque uniquement. Plus du tiers de la récolte nationale vient du Sinaloa où la tomate occupe plus du dixième des terres à Culiacán, mais moins au Fuerte. Les cultures de pois chiches et haricots existent aussi, surtout dans la région récente du Fuerte, tandis que les cultures de légumes-primeurs (petits pois, etc.), destinées à l’exportation, ont surtout leur place à Culiacán. Primeurs et tomates relèvent d’un marché instable : selon les coups de froid du sud-est des Etats-Unis, les cours sont plus ou moins favorables pour la région, plus précoce que la Californie nord-américaine.
D. — Les villes du nord-ouest
64Le nord-ouest n’a connu pendant longtemps qu’une vie urbaine médiocre ; les centres de chaque petite oasis étaient séparés de grandes étendues vides. Avec la voie ferrée et surtout avec la route la situation a notablement changé. A la suite d’une croissance économique exceptionnellement rapide, un flux d’immigrants a transformé ces villes : l’atmosphère pionnière s’y accompagne d’un niveau de vie élevé ; les caractères d’une agriculture commerciale techniquement très moderne font que les villes du nord-ouest doivent assurer des services — techniques ou commerciaux — pour un milieu rural très évolué, dont les besoins sont incomparablement supérieurs à ceux des paysans de la plus grande partie du Mexique. Les villes frontalières — Mexicali et Tijuana — ont eu on l’a vu une croissance beaucoup plus rapide que les villes plus méridionales, car elles ont bénéficié à la fois de deux facteurs privilégiés : la frontière et l’agriculture pionnière.
65Ainsi les deux villes les plus surprenantes sont situées à la racine de la Basse-Californie. Après une stagnation dans la décade 1930-1940 accentuant de façon caricaturale la répercussion de la grande crise à la frontière mexicaine, leur croissance est extrêmement rapide. La ville la plus importante est Mexicali, capitale du plus prospère des secteurs d’irrigation du pays. Les aspects très modernes et la prospérité vont ici avec une imprégnation rurale très marquée : de nombreux agriculteurs préfèrent y vivre et y bénéficier du commerce, des écoles, des distractions. De nombreux braceros y passent et cette ville riche est en même temps fort rude. La population masculine y est prédominante à partir de l’âge adulte, en raison des sources d’emploi local. Cette population se recrute surtout parmi les gens du nord-ouest proche. Toute l’activité de la ville est liée au travail agricole du coton.
66Plus récente encore que Mexicali, Tijuana a une activité extrêmement différente. Ville pionnière elle aussi, mais liée avant tout au tourisme nord-américain : à l’époque de la prohibition alcoolique aux Etats-Unis (jusqu’en 1933) elle attirait la clientèle de l’autre côté de la frontière : Los Angeles dans les années 1930 représentait déjà une agglomération supérieure aux deux millions d’habitants. Elle dépasse actuellement les sept millions et dans le tissu urbain aucune solution de continuité n’apparaît de Los Angeles à San Diego, ville frontière, et de là à Tijuana. D’autre part la franchise douanière n’existe pas uniquement en ville, mais s’étend ici à une zone libre qui englobe toute la Basse-Californie : le mouvement commercial est donc stimulé beaucoup plus que dans les autres états frontaliers. Ainsi le commerce et l’emploi à San Diego se conjuguent-ils au rôle touristique pour donner un aspect très particulier à la ville : tourisme signifie boutiques de « mexican curios », lieux de distraction et « lieux de plaisir », débits de boissons : tout le cœur de la ville est occupé par ces fonctions. En raison des sources d’emploi, la population féminine est majoritaire à partir de 15 ans et le recrutement — sans doute d’origine urbaine et non rurale comme à Mexicali — provient bien sûr avant tout du nord-ouest, mais dans une certaine proportion aussi de tout le reste du pays. La fécondité de cette population est plus basse qu’à Mexicali. Cependant les deux villes, de par leur peuplement très récent d’immigrants, ont une proportion exceptionnellement forte de gens de 25 à 40 ans et d’enfants de moins de 10 ans, nés des immigrants : si actuellement il en résulte des besoins scolaires élevés, dans 5 ou 10 ans ce sont les emplois que chercheront les enfants d’aujourd’hui.
67Les villes du Sonora et du Sinaloa sont plus classiques. Ce sont des centres régionaux liés surtout aux zones irriguées : Ciudad Obregón et Hermosillo ont une allure fort américaine, quartiers d’habitations basses, quelques buildings au centre. Guaymas est encore un port assez modeste, lié à la pêche et aux exportations agricoles régionales, sans liaisons lointaines ; mais il concentre quelques entreprises métallurgiques. Culiacán est une ville dont le centre porte encore un peu la marque de l’urbanisme traditionnel ; c’est la métropole du secteur irrigué le plus ancien. Parmi les autres ports, La Paz végète, Topolobampo est trop neuf pour qu’on puisse prédire son avenir. Mazatlán au contraire est un port actif et un centre sans doute plus doué d’une influence régionale, bancaire en particulier, que la capitale de l’état, Culiacán. Les autres villes du Sonora ou du Sinaloa dépendent plus étroitement de la production agricole qui les entoure. C’est aussi le cas de Tepic au Nayarit.
68L’activité industrielle n’est guère importante dans les villes du nord-ouest, si l’on exclut la transformation élémentaire des produits de la pêche et de la vie rurale. Ciudad Obregón a quelques fabrications métallurgiques ; les mêmes activités sont un peu plus développées à Hermosillo ou Mazatlán.
69Il semble difficile d’envisager un développement industriel important et diversifié dans le nord-ouest en raison de la dimension des besoins locaux : la population, malgré son niveau de vie, forme une clientèle étroite parce qu’elle est peu nombreuse. Sans parler des villes frontalières dont le commerce vit précisément surtout de produits importés, l’intérieur offre des perspectives modestes : l’arrivée du gaz naturel jusqu’au nord-ouest serait un atout, mais les ressources en eaux — par exemple à Hermosillo — ne sont pas inépuisables. Les ports d’autre part bénéficient d’une diversification du commerce extérieur mexicain — vers le Japon en particulier. Finalement il semble que si l’économie du nord-ouest s’orientait plus étroitement vers le marché national, ce pourrait être surtout au profit de Guadalajara, car c’est d’abord là que le volume des affaires augmenterait suffisamment pour faire naître des industries plus complexes.
Section III. LE NORD-EST
70Dans l’ensemble norteno mexicain, le nord-est fait figure originale :[par ses dimensions, il est moins étiré que le reste : de Ciudad Victoria à Piedras Negras, moins de 600 km à vol d’oiseau et un peu plus de 800 par la route. Grâce au climat moins aride, sa vie rurale ne se réduit pas à l’opposition simple des zones irriguées et des steppes incultivables. Enfin sa croissance qui a presque un siècle d’histoire, se résume dans la vie d’une capitale puissante, Monterrey, en face de laquelle les autres points d’activité restent très modestes. Mais alors est-ce un simple goût de la symétrie qui fait décrire cette région comme pendant au nord-ouest démesuré et si différent ? Sommes-nous déjà ici dans une région qui mérite d’être englobée dans le vieux Mexique ? Deux faits nous prouvent que nous restons dans le nord : l’économie joue ici aussi sur la proximité de la frontière des Etats-Unis et le peuplement reste marqué de caractères pionniers : la surcharge de population rurale n’est nulle part un élément marquant parce que nulle part on n’a hérité d’une population indigène nombreuse ; de plus, en corollaire, la part des immigrants lointains est importante dans la formation des noyaux économiques actifs.
A. — La Sierra Madre orientale
71Les calcaires secondaires ont été affectés de plissements éogènes et sans doute aussi de soulèvements d’ensemble récents peut-être accompagnés de cassures qui présentent une façade abrupte vers l’est. La Sierra forme ici entre l’altiplano et la plaine du golfe un bourrelet plus important que dans le secteur méridional, domaine huastèque et véracruzain. Il s’en faut cependant que la montagne soit un obstacle vigoureux dans toutes ses parties. Au sud du Tropique, les coulisses très aérées de la Huastèque du San Luis Potosí se prolongent, à peine renforcées par quelques mesas qui témoignent de formes volcaniques anciennes démantelées par l’érosion ; face à Ciudad Victoria, la montagne atteint son épaisseur la plus forte et une hauteur supérieure à 3 500 m. Elle s’amollit plus au nord pour former à nouveau au droit de Monterrey une série de chaînons élevés, culminant à 3 600 m, aérés de vallées profondes, passages secondaires mais accessibles. Au nord de Monterrey, les plis s’écartent et se dispersent : la Sierra fait place à une série de bastions un peu plus humides dans la steppe sèche.
72Dans le secteur où la Sierra s’efface, par le rebroussement des plis, passe la route la plus importante, qui fut le cordon ombilical unissant l’industrie mexicaine au Texas ; telle est la situation de Saltillo et de Monterrey. Mais dans la Sierra proprement dite, un seul passage a été utilisé, qui réunit Linares à l’altiplano. Non que la Sierra au sud de Ciudad Victoria soit difficile à franchir : simplement ici ni l’économie du bas pays, ni celle de la pauvre région de Matehuala n’ont mérité une bretelle de liaison.
73La Sierra au sud de Monterrey forme une limite climatique nette : à l’ouest règnent l’endoréisme, les croûtes calcaires et la végétation très discontinue de cactées. Le versant oriental, dans sa partie élevée, est couvert d’une forêt de chênes et de conifères. Le contraste est aussi net au sud de Saltillo où apparaissent brusquement, après les vastes espaces desséchés, les chênes et les vergers de pommiers que supportent des sols bruns foncés. L’exploitation de la montagne humide reste limitée : quelques bassins bien exposés où l’on peut cultiver le blé sans irriguer, des vergers de fruits tempérés, des coupes de bois là où les transports le permettent. La montagne calcaire est enfin un réservoir qui restitue l’eau des pluies au piémont oriental sous forme de sources vauclusiennes.
B. — Le milieu naturel du bas pays
74Au pied de la Sierra, la largeur du pays jusqu’au golfe du Mexique augmente en direction du Rio Grande, qui est lui-même le principal axe de drainage de la plaine ; celle-ci se prolonge dans tout le sud du Texas. Les terrains sédimentaires marins tertiaires sont subhorizontaux et sont modelés, au pied de la Sierra, en une série de glacis plus ou moins nets, parfois recouverts d’alluvions : selon les nuances du climat, ces surfaces anciennes sont couvertes soit de croûtes calcaires — marquant la sécheresse — soit de sols meubles décomposés parfois rouges vers le sud, de nuance humide. Si la sécheresse s’accentue vers le nord, ce n’est pas de façon insensible, car des reliefs affectent le bas pays : au sud de Linares, l’horizon est fermé vers le Golfe par de modestes reliefs volcaniques. Ces collines suffisent à faire écran à l’humidité du Golfe, si bien que les terres situées sous le vent de ces reliefs sont fort sèches : la brousse se fait plus épineuse, les cactées plus nombreuses. Au sud-est de Ciudad Victoria le même phénomène se reproduit avec plus d’ampleur ; les masses volcaniques de la Sierra de Tamaulipas atteignent 1 600 m : sous le vent de ces montagnes, les brousses à épineux font leur apparition, en contraste avec le paysage de forêt tropicale abondante qui règne vers Liera plus au sud. Ce contraste permet de tracer ici la limite entre le nord et le monde huastéco-véracruzain.
75Un autre élément du climat mérite d’être souligné : depuis les grandes plaines des. Etats-Unis par le Texas, des coulées d’air froid se répandent en hiver vers le sud, produisant des gelées à basse altitude jusqu’au tropique, ce qu’on ne rencontre pas sur la façade pacifique. Ces masses d’air froid ne franchissent pas la Sierra de Tamaulipas, ce qui différencie encore le climat du nord-est de celui de la Huastèque : les cultures délicates ont été endommagées dans le nord-est en février 1951 et en février 1962.
C. — Les régions agricoles
76Le nord-est n’est pas aride et la vie agricole peut s’y disperser. Cependant ni l’élevage extensif ni l’agriculture de temporal n’ont une importance marquée. Certes l’élevage dispose de vastes espaces de brousse, mais pas de pâtures comparables à celles du Chihuahua et du Sonora, ni aux prairies d’embouche de la Huastèque et de Veracruz. Un élevage existe cependant, en partie orienté vers l’exportation aux Etats-Unis (voir tableau XI). Il a nécessité comme ailleurs des installations d’abattage du bétail et de frigorifiques, localisés à Nuevo Laredo, Piedras Negras et Monterrey. Les cultures de temporal se dispersent, sans prendre grande importance dans des régions où la population paysanne reste peu nombreuse.
I. — Deux spéculations de temporal
77En venant de la Huastèque, le nord fait son apparition avant Ciudad Victoria avec le paysage des plantations de henequen : ce sont quelques milliers d’hectares qui font l’objet d’une exploitation assez récente de la part des maîtres des grands espaces de brousse pâturée. Le défibrage est aux mains des planteurs, peu inquiétés par un risque de réforme agraire dans une région sans peuplement dense. La fibre est vendue à Ciudad Victoria ou à Monterrey.
78Le piémont de la Sierra Madre orientale utilise des sources pour de petites régions irriguées où l’on cultive le coton et la canne à sucre. Mais c’est dans les terres assez arrosées (700-800 mm) situées au pied de la montagne que la culture non irriguée de l’oranger s’est développée le long de la route panaméricaine : celle-ci permet la vente à Monterrey et aux Etats-Unis et les plantations se sont multipliées surtout entre Montemorelos et Ciudad Victoria. Plus directement lié à la ville de Monterrey, l’élevage des volailles s’échelonne le long de la route entre cette ville et Linares. Mais la culture de l’oranger, spéculation principale du piémont, est menacée par de redoutables coups de froid. Celui de 1962 a détruit une récolte et endommagé des plantations au point que parfois elles n’avaient pas été reconstituées deux ans après.
II. — Le Rio bravo et l’irrigation
79Les eaux d’irrigation du nord-est proviennent principalement du Rio Bravo, mais aussi de deux affluents : le San Juan (presa el Azúcar) et secondairement le Rio Salado (presa Don Martin). Sur le Rio Bravo, deux réservoirs gardent l’eau dans le secteur inférieur (Culebron et Palito Blanco), tandis qu’une retenue très importante se situe bien en amont (barrage Falcon). Il en résulte un ensemble de plus de 360 000 ha cultivables, en partie avec l’aide de pompages. Le secteur irrigué le plus important, sur le bas Rio Bravo, près de Matamoros, est à lui seul le plus vaste du pays. Des changements y sont intervenus depuis une quinzaine d’années : au départ très peu de terres avaient été dévolues aux ejidatarios et la propriété privée dominait, aux mains d’une nouvelle classe de bénéficiaires de la politique gouvernementale, qui en outre obtenait facilement du crédit par les organismes d’état ; en 1961, selon les statistiques officielles, les propriétaires privés seraient un peu plus nombreux que les ejidatarios et disposeraient seulement de surfaces doubles de ceux-ci.
80La zone irriguée a connu voici quinze ans une grande prospérité grâce au coton que l’on récoltait sur presque toute la superficie en 1950 ; à cette époque une population très importante de braceros s’ajoutait pour la récolte du coton aux 12 000 habitants de la région. Cette abondante production ne pouvait être traitée par un équipement industriel insuffisant et 40 % de la récolte étaient vendus directement aux Etats-Unis avant même d’être mis en balles. Dans les dernières années (1964), les surfaces cultivées en coton avaient baissé de plus de moitié : il semble que dans ces zones non désertiques le développement des parasites du coton se fait en une décennie. Durant quelque temps le traitement par insecticides permet de lutter, puis les pulvérisations doivent être si nombreuses que le coût de production devient excessif : d’où l’abandon progressif de cette culture, remplacée par d’autres productions : le couple maïs-haricot est-il rentable en culture irriguée ? En tout cas il s’y ajoute de plus en plus le sorgho, destiné à l’élevage. L’avenir de cette zone irriguée, une fois passé le miracle cotonnier, semble être dans la diversification et la recherche d’une clientèle régionale.
D. — La vie urbaine et l’industrie
81La région du nord-est a connu un développement des transports modernes particulièrement précoce. Dès 1888 la voie ferrée Mexico-Saltillo-Monterrey-Nuevo Laredo donnait toute sa valeur au passage principal entre les plaines du Golfe et l’altiplano. Avant 1914, les liaisons ferroviaires Torreon-Saltillo-Piedras Negras, Monterrey-Tampico et Monterrey-Matamoros faisaient de Monterrey une ville bien reliée aux Etats-Unis, à la plaine du Golfe huastèque, à l’altiplano septentrional comme à la ville de Mexico. La première route panaméricaine a uni le Texas au Mexique central par Monterrey et la Huastèque dès avant 1940, puis dans les années 1955 la nouvelle route panaméricaine établit une nouvelle liaison plus directe par Piedras Negras Saltillo et San Luis Potosí, rattachée directement à Mexico par Querétaro seulement après 1960. Ainsi les relations du Mexique avec les Etats-Unis ont été établies d’abord par le nord-est, vers le Texas et au-delà vers la grande industrie nord-américaine. La liaison du nord-ouest, beaucoup plus longue, n’a pris d’intérêt que bien plus tard car le développement de foyers urbains et industriels de grande taille en Californie a été tardif. Monterrey assure ses liaisons avec le nord-ouest mexicain par Chihuahua qui est relié depuis peu à la côte pacifique : les distances sont trop longues pour ne pas freiner les échanges dans cette direction.
82Dès avant les chemins de fer, la frontière américaine a stimulé le commerce du nord-est et surtout de Monterrey : par suite de la guerre civile aux Etats-Unis dans les années 1860, le coton « sudiste » passait par Matamoros, le blocus nordiste empêchant sa vente directe vers l’Europe. Au Mexique même, la culture du coton profitait au même moment des cours très élevés. Plus tard pendant la première guerre mondiale la conjoncture favorable permet à Monterrey de vendre de l’acier non seulement aux pays caraïbes mais même aux Etats-Unis.
83Si la position commerciale du nord-est est excellente, ses ressources naturelles ont aussi stimulé son développement industriel : la quasi-totalité du charbon exploité au Mexique provient de la région de Sabinas-Palau. Non loin de là, à Nueva Rosita, est fabriqué le coke métallurgique. Autre source d’énergie, l’exploitation du pétrole et du gaz dans la région de Reynosa, qui donne respectivement 5 % et 37 % de la production nationale. Avant même que le gaz national soit exploité, on en importait du Texas. On a disposé ainsi des moyens nécessaires pour créer l’industrie sidérurgique du Mexique. Les minerais de fer proviennent en partie de la région mais surtout de Durango, le manganèse du nord-ouest du Chihuahua. La plus ancienne entreprise sidérurgique moderne et de grande dimension est au Mexique la Fundidora de Monterrey, née en 1900 et productrice de 19 % de l’acier mexicain. Bien plus récente et fondée essentiellement avec des capitaux d’état, l’entreprise Altos Hornos de México produit à Monclova 40 % de l’acier du pays. On peut cependant penser que la croissance urbaine et industrielle du nord-est peut être freinée par les besoins en eau : à Saltillo et surtout à Monterrey on procède à la récupération des eaux industrielles.] Cette dernière ville capte déjà des sources vauclusiennes au pied de la Sierra à une quarantaine de kilomètres et l’on est obligé d’envisager pour le futur des pompages dans le Rio Bravo, à une distance minimale de 160 km.
84Les ressources industrielles du nord-est et son réseau de transports sont suffisants pour lui assurer une assise économique solide. Aussi y trouve-t-on des villes beaucoup plus variées que dans le reste du nord mexicain. Tout d’abord les villes du pied de la Sierra, le long de l’ancienne route panaméricaine, sont des agglomérations modestes et peu dynamiques. Montemorelos et Linares ne sont que des bourgades, liées à la vie agricole d’une région dont la route a assuré la fortune, mais pas encore de façon stable. Ciudad Victoria n’était pas bien différente voici une génération. Elle a vu sa population s’accroître depuis pour atteindre 50 000 habitants en raison de son rôle administratif et politique : économiquement c’est un centre modeste et la compétition commerciale s’établit directement entre Tampico plus au sud et Monterrey, sans que la capitale de l’état de Tamaulipas intervienne. D’ailleurs la vie routière à longue distance profite moins à ces villes du piémont depuis la construction de la nouvelle panaméricaine qui passe par l’altiplano.
85Le nord-est possède aussi des villes extrêmement dynamiques dont la fortune est très récente et qui dépendent en général d’une seule activité économique. Bien entendu nous trouvons dans cette catégorie les villes typiques de la frontière : Matamoros vit du coton, Reynosa du gaz et d’industries chimiques, Nuevo Laredo du commerce frontalier au passage de la route et de la voie ferrée les plus fréquentées vers les Etats-Unis : Laredo, de l’autre côté du Rio Bravo étend sa clientèle jusqu’à Monterrey. La croissance de ces villes qui multiplient leur population par cinq en vingt ans est remarquable. Les villes de la sidérurgie ont connu une croissance moins spectaculaire mais vigoureuse : les mines fournissent une activité soutenue, la fabrication du coke aussi. Monclova devient une grosse ville seulement après 1950.
86La croissance est à la fois ancienne et soutenue pour les villes auxquelles une activité complexe assure des ressources variées. Saltillo est un centre important grâce à sa position sur un carrefour complémentaire de celui de Monterrey ; c’est pourquoi cette ville aurait pu être choisie pour l’implantation d’une sidérurgie à la place de Monclova dont la position ferroviaire est comparable. Avant tout centre commercial, Saltillo a bénéficié d’un développement récent des fabrications métallurgiques, après une certaine stagnation jusqu’en 1940.
87La métropole de Monterrey est un élément majeur de l’économie nationale mexicaine. Sa croissance continue en fait un pôle d’attraction stable pour les migrations de population : à peu près tous ceux qui vont au Nuevo León sont absorbés par l’agglomération régiomontaine qui ne connaît pas les brusques hausses ou baisses de l’attraction des autres foyers du nord : la croissance des régions prospères du Tamaulipas n’a pas attiré une masse de gens de façon aussi stable.
88Monterrey s’est imposée comme une ville industrielle dotée de grandes entreprises modernes dès le début du siècle : la brasserie Cuauhtemoc date de 1891 et la Fundidora de 1900. A partir de la prospérité commerciale de la fin du xixe siècle est né un capitalisme de familles industrielles qui restent maîtresses des affaires et dont les banques d’investissement sont les subordonnées. [L’activité industrielle a ici une place essentielle. On a vu quelle part de la sidérurgie nationale s’y trouvait. La part de la mécanique variée et de l’industrie du matériel électrique est aussi notable. De même pour la fabrication du verre ou du ciment et en général les fabrications céramiques. C’est donc l’industrie de base qui fait la fortune de Monterrey : les fabrications de biens de consommation sont relativement peu développées, peut-être en raison d’un marché régional modeste, la ville elle-même mise à part ; industries chimiques variées et plastiques ont un rôle médiocre, les laboratoires pharmaceutiques sont négligeables. En fait, Monterrey produit surtout pour le marché national : étant donné que la ville dispose par ses transports et ses matières premières de possibilités exceptionnelles pour l’industrie de base, ce rôle national va de soi.] Peut-on en conclure que comme capitale régionale Monterrey ait une action médiocre ? En fait la proximité de la frontière, source de biens de consommation, l’étroite spécialisation des activités pionnières de la région (comme la culture irriguée), enfin la faible masse de la population consommatrice dans une région à la limite de l’aridité, font que la desserte de la région ne peut offrir actuellement un vaste champ d’action. Notons néanmoins que l’activité rurale du piémont de la Sierra Madre a été animée par la proximité d’une grande métropole.
Tableau XV. Part de Monterrey dans l'industrie mexicaine
89A. Production :
Sidérurgie | 36 % |
Verre plat | 60 % |
90B. Entreprises à exemptions fiscales (% du total national) :
Verre-céramique-ciment | 23 |
Mécanique-métallurgie générale | 15 |
Matériel électrique | 10 |
Caoutchoucs et plastiques | 10 |
Chimie générale | 5 |
91C. Comparaison avec le District Fédéral, part du total national en % (1960) :
Monterrey | District Fédéral | |
— | — | |
Main-d’œuvre industrielle | 6 | 33 |
Population | 1,9 | 14 |
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
Outre l’article plus général déjà cité : Comercio exterior y territorio nacional dans CE juillet 1954, on peut citer Irigoyen, U. La economía de la línea divisoria entre Estados Unidos y México : problemas económicos y medios de comunicaciones y transportes, IE, 1944-3 ; cet article assez confus est surtout utile pour l’étude de Tijuana. Une note sur l’économie des villes-frontière dans ESEM, no 427, juin 1961, dont les renseignements sont repris et développés par Browning dans sa thèse. Enfin l’accumulation des braceros à la frontière est notée dans Excelsior du 11 avril 1965.
BIBLIOGRAPHIE
L’analyse de la décadence des villes minières est faite par Browning dans sa thèse. Sur la cueillette de la région orientale, voir La industria de hilados y tejidos de ixtle de palma, Departamento de Investigaciones Industriales, B de M 1963. Sur la région de grand élevage, Galvez, E. dans El Estado de Chihuahua y sus condiciones económicas, RE mars 1952 et Durango y su desarrollo económico, RE avril 1952. L’article de Enjalbert, H. L’élevage au Mexique, RG juin 1966, p. 53-63, est essentiel ; il semble que les chiffres qu’il indique pour l’exportation du bétail soient sous-estimés ; on peut compléter avec diverses notes dans ESEM no 312, novembre 1951 (sur les conserves de viande), dans CE août 1959 (ejido du Sonora), dans CE janvier 1958, mai 1959, octobre 1959 (exportations de viande) ; les quota d’exportation du tableau XI proviennent de Mexico Ganadero, órgano mensual de la confederación ganadera, no 72, février 1964.
Enfin sur la Laguna, la meilleure monographie agraire publiée au Mexique, Ballasteros Porta, J. Explotación individual o colectiva ? El caso de los ejidos de Tlahualilo, Centro de Investigaciones Agrarias, distribué par Inst. Mex. de Investig. Econom., 1964. On peut la compléter par les articles plus anciens de Garloch, L. A. dans Economic Geography, janvier 1944, p. 70-77, juillet 1944, p. 221-227, octobre 1944, p. 296-304, Worcester, qui concernent surtout le coton. Voir aussi de Clarence, S. Reforma agraria y democracia en la Comarca Lagunera, dans PAIM vol. VIII, no 2, p. 1-174.
BIBLIOGRAPHIE
Le milieu du nord-ouest est présenté dans Arid Zone research no 28, Geography of Coastal deserts, UNESCO, 1966, par Peveril Meigs, p. 102-107. Une série de notes de Galvez, E. dans RE restent utiles : septembre 1951, Nayarit en su desarrollo economico y social ; octobre 1951, Sinaloa en su desarrollo econémico y social ; novembre 1951, Sonora en su desarrollo economico ; décembre 1951, El nuevo estado de Baja California. Des indications sur la pêche dans Velez Villaseñor, E. La explotacion camaronera del Pacifico, RE Août et septembre 1951 (coopératives et usines de congélation).
Les études agraires sont ici plus abondantes qu’ailleurs : Chonchol, J. Los distritos de riego del norœste, tenenciay aprovechamiento de la tierra, Centro de Investigaciones agrarias, distribué par Inst. Mex. de Investig. Econom., 1957 (la signature de cet expert de la FAO suffit à garantir la qualité de ce rapport). Fernandez y Fernandez, R. Notas sobre la reforma agraria mexicana, Centro de Economia Agricola, Colegio de postgraduados, Serie Monografías 2, Chapingo Mex. (s. d. 1965), p. 23-33, chapitre 2, Los ejidos del valle del Yaqui : décrit le mécanisme des locations de terre ejidale. Alcerreca, L. G. La resolución del problema agrario en la Baja California Norte, communication au XV Congreso Nacional de Sociologia,Tepic 1964 (publié par l’auteur, 1964) : bon exemple de la politique cardéniste.
Les villes du nord-ouest sont décrites dans sa thèse par Browning ; voir aussi Ball, J. M. The changing urban functions of Tepic, Nay., RG juin 1966.
Une série de textes inédits sont déposés à l’IFAL (conférences de la Mesa Redonda de Estudios Regionales de 1965, prononcées par Piña Chan ; Nolasco, M. ; Puebla, Bataillon, C. et Gomez Mayorga, M.).
BIBLIOGRAPHIE
Le développement de Monterrey a été abordé par Mauro, F. dans Le développement économique de Monterrey (1890-1960), Caravelle 2, 1964, p. 35-126 ; ainsi que dans : L’économie du nord-est et la résistance à l’empire, La intervención francesa y el imperio de Maximiliano, IFAL 1965, p. 61-69.
Le Tamaulipas fait l’objet de deux notes de Galvez, E. Notas sobre el desarrollo económico de Tampico y Ciudad Victoria, RE avril 1951 et La region algodonera de Matamoros, RE, mai 1951. Le rôle des coups de froid dans l’économie régionale apparaît dans une note de CE février 1951.
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