Chapitre V. Diffusion et polarisation des activités urbaines
p. 52-77
Texte intégral
1Bien des raisons font qu’encore dans la seconde moitié du xixe siècle le Mexique ne représente pas un marché unifié. Les éléments d’unité de l’époque coloniale, très limités, s’étaient effondrés : le drainage de l’argent vers la capitale et vers Veracruz, port unique d’exportation, la vente à l’extérieur de quelques produits tropicaux avaient été désorganisés, les mines ayant manqué d’entretien pendant les troubles intérieurs et l’Espagne ne jouant plus son rôle de marché privilégié. Les importations, anglaises ou nord-américaines, passaient par plusieurs ports et aucun système intérieur de transports n’existait pour coordonner dans le pays ces embryons de commerce extérieur.
2La vie régionale de l’intérieur du pays s’organisait à courte distance autour de bourgs en général très isolés, puisque les transports dépendaient principalement des caravanes de chevaux ou mulets. Ce contraste entre la facilité des liaisons internationales et la difficulté des transports intérieurs est illustré par les prix des transports de marchandises. Avant 1850, la tonne de fret Liverpool-Veracruz vaut 55 pesos. Pour ce prix, on transporte la marchandise sur 200 ou 300 km pour les grands itinéraires intérieurs (comme Veracruz-Mexico ou Tampico-Guanajuato), mais seulement sur 100 km sur les parcours difficiles. On ne peut dans ces conditions transporter les grains, car leur prix (10 à 30 pesos la tonne selon les espèces à la production) double au bout de 20 ou 60 km. Le meilleur exemple est celui d’une presse à papier anglaise qui valait à Veracruz 12 000 pesos port compris et dont le transport jusque dans la région de Guadalajara coûta 14 000 pesos.
3Le commerce intérieur était en outre entravé par des barrières douanières entre les états fédératifs, voire à l’intérieur de ces états. Mais cette entrave supplémentaire ne faisait que refléter l’absence d’économie nationale. Dans ces conditions, la terre était la principale richesse, mais elle était encore affectée en partie par des systèmes de mainmorte : biens des communautés villageoises indigènes ou biens d’église étaient inaliénables.
4La politique jacobine de B. Juárez fit sauter un certain nombre de verrous traditionnels pour ouvrir la voie à une modernisation du pays. La nationalisation des biens de mainmorte eut des conséquences considérables : politiquement ce fut une des raisons indirectes de la tentative coloniale de Napoléon III ; socialement la loi renforça la grande propriété ; mais en même temps l’unification d’un marché national s’amorça, en faisant d’une masse de terres des biens négociables et en mettant fin à la relative protection dont jouissaient les communautés indigènes : leur révolte est souvent leur première façon d’entrer dans l’orbite national, tandis que plus généralement les mouvements de migration de la main-d'œuvre sont accélérés. Après la victoire contre Maximilien, la suppression progressive des douanes intérieures est un autre pas vers la création d’un marché national. C’est cela même qui augmente les difficultés financières des états.
5La politique de Porfirio Diaz va accentuer la modernisation du pays, beaucoup plus consciemment cette fois, car Juarez était surtout un politique, désireux de créer une nation. La politique porfirienne de développement va doter le pays d’une armature qui dans certains domaines était complète en 1910, ou qui du moins n’a pas été beaucoup améliorée : c’est le cas du réseau de voies ferrées, inauguré par Juárez pour l’axe Mexico-Veracruz, mais créé pour l’essentiel sous Don Porfirio avant 1910 : 23 000 km de voies qui unissent le Mexique au réseau nord-américain, créent une étoile de voies entre la capitale et les états et réalisent quelques liaisons transversales ; mais aussi parfois deux voies de réseaux concurrents desservent parallèlement un même itinéraire. De même le réseau télégraphique couvre peu à peu le pays à cette époque. En même temps un budget fédéral croissant met aux mains du pouvoir central des moyens nouveaux qui assurent sa puissance face aux puissants personnages de province dont les révoltes sont désormais vouées à l’échec. Enfin l’appel au capital étranger permet la création de quelques entreprises industrielles modernes de dimensions telles qu’il faut leur prévoir — pour l’avenir — un marché national qui n’existe pas encore bien sûr.
6Ce développement limité ne s’accompagne en effet de presque rien qui puisse créer un marché national. Le réseau de communications permet les affaires modernes, le drainage pour l’exportation des matières premières du pays ou de ses produits agricoles ; mais on n’imagine pas encore d’autre clientèle que le noyau de population de la capitale, à peine élargi : on ne voit en effet s’amorcer une politique d’hygiène ou de scolarisation que dans la ville : la mortalité et l’analphabétisme ne reculent que bien peu dans l’ensemble du pays grâce à la paix intérieure plutôt que grâce à une politique systématique.
7La révolution de 1910 a pu faire croire que l’on retombait dans le morcellement féodal de la première moitié du xixe siècle. Mais mises à part les conséquences agraires profondes de cette révolution, mis à part aussi le brassage qui en résulte dans la société mexicaine, les nouvelles puissances locales ne peuvent s’installer dans une politique particulariste provinciale, car l’armature nationale n’a pas été détruite : le rôle des « trains révolutionnaires » ne relève pas seulement du pittoresque ; il indique aussi la vocation des chefs de guerre à un pouvoir national. Ainsi les chemins de fer, les télégraphes, le budjet fédéral, l’appui de fait des grandes entreprises à gabarit national, tout l’héritage porfirien fait du vainqueur — Venustiano Carranza — un chef national.
8La révolution hérite d’un système qu’il faut bien sûr remettre en état, mais qui tel quel reste semi-colonial ; en effet à partir de là on ne peut que reprendre une vie économique dépendant des marchés étrangers. Cela ne suffira pas au nationalisme socialisant des équipes gouvernementales. Peut-être plus dans le but d’intégrer à la vie nationale la masse de la population que dans celui de créer un marché national, une série d’organismes d’état est mise en place dans les années 1930 ou peu avant.
9Les grands organismes nouveaux concernent l’électrification et l’irrigation, la construction de routes, la scolarisation et l’intégration des groupes indigènes, le financement par l’état d’un crédit agricole aux paysans bénéficiaires de la réforme agraire et le financement de certaines affaires industrielles nouvelles ou la nationalisation de certaines autres comme le pétrole en 1938. Toute cette politique repose sur une série de compromis entre action de l’état et initiative privée comme entre capital national et capital étranger. Il ne convient pas ici d’étudier cette politique économique. Mais il faut voir dans quelle mesure il en est sorti un marché national : la pénétration de l’économie moderne et des idées modernes n’a bien sûr pas été également poussée dans les différents secteurs du territoire. D’autre part la mobilité des hommes, des idées, des capitaux et des marchandises s’est organisée selon un certain nombre de lignes privilégiées et autour d’un certain nombre de pôles principaux. C’est cette diffusion et cette polarisation dont il faut voir les grands traits.
A. — La diffusion
I. — Les transports intérieurs
10Le réseau ferré mexicain était pour l’essentiel constitué en 1910. Aux 23 000 km de voies hérités du porfirisme ne s’est ajouté que peu de chose (ligne Chihuahua-Pacifique, ligne Guadalajara-Tepic et jonction Tabasco-Yucatán), compensé numériquement par l’abandon de lignes sans intérêt économique une fois la route construite. Et c’est bien le réseau routier qui a permis l’accroissement progressif de l’espace intégré à la vie nationale.
11Ce réseau routier est à peu près nul en 1930. Il atteint en 1952 la même densité que le réseau ferré, puis fait plus que doubler dans les dix années suivantes avec un rythme d’accroissement soutenu. La proportion des routes goudronnées a presque atteint les 2/3 (1952), puis diminue, car la politique de desserte des agglomérations secondaires est prépondérante dans les dernières années : on préfère là où le trafic est moindre se contenter de routes empierrées afin d’en construire un plus grand nombre.
Tableau II. Croissance du réseau routier
Année | 1930 | 1952 | 1960 | 1962 | |
Réseau en km | 4 000 | 23 000 | 45 000 | 53 000 | |
% goudronné | 33 % | 65 % | 62 % | 56 % |
12Il est certain que le réseau des routes s’adapte beaucoup mieux aux besoins de l’économie régionale que le réseau ferré ancien : les itinéraires correspondent mieux aux besoins actuels, mais aussi les ramifications sont plus nombreuses et une part plus grande de la population en bénéficie, d’autant plus que pour les distances moyennes ou courtes, l’autobus ou le camion n’est en rien limité par le nombre des points d’arrêt ; la fréquentation des autobus de seconde classe ne laisse aucun doute là-dessus car il s’arrête toujours à la demande, en n’importe quel point de son parcours.
13La diffusion des routes modernes est loin d’être complète au Mexique. On peut sans doute le constater indirectement : le mouvement des affaires restait saisonnier encore vers 1948, à l’échelle de tout le pays. La raison principale de ce rythme est que les chemins non empierrés ne peuvent être utilisés qu’à la saison sèche. Le fait était noté à propos des exportations de produits agricoles encore en 1948, où l’activité principale se situait de décembre à mai. De la même manière le commerce de gros des produits industriels de consommation connaissait une activité exceptionnelle en mars-avril, avant la pluie ; ceci non seulement parce que les agriculteurs s’approvisionnaient en outillage avant la nouvelle campagne, mais aussi parce que à partir de mai ou de juin, selon les régions, tout le trafic local était entravé : ce n’est qu’en 1948 que les grossistes notent une meilleure répartition du rythme des affaires au cours de l’année.
14Certes les transports aériens, à l’exemple des Etats-Unis, ont aussi unifié et rétréci l’espace national mexicain. Cependant ils relèvent soit de problèmes locaux, dans des zones riches mal desservies par la route (café du Chiapas), soit des phénomènes de polarisation qui concernent à la fois les relations internationales mexicaines et les relations mutuelles des grandes métropoles où sont prises les décisions majeures de l’économie ou de l’administration du pays.
II — Diffusion de la monnaie et du crédit ; réseau bancaire
15Crédit et monnaie de papier ne se sont répandus largement dans la province mexicaine que pendant et après la révolution. Vers 1860 l’activité bancaire locale était souvent aux mains de gros commerçants, exerçant dans la petite ville ou le bourg où ils résidaient. Leur activité diminue — sans doute concurrencée par les banques véritables — seulement après 1867. L’époque porfirienne a connu un régime de multiples banques bénéficiant du privilège d’émission du billet de banque, mais celui-ci n’était alors pas encore d’un usage courant.
16Le système bancaire a été bien sûr désorganisé par la révolution. Surtout la confiance dans les billets de banque a été ébranlée par les émissions massives des chefs révolutionnaires. Le mouvement en avant ne reprend que vers 1920-1925, avec la création du Banco de México, unique banque d’état émettrice. En 1935, le cours forcé du billet est accepté par la population : c’est qu’elle est alors déjà habituée à la monnaie de papier ; celle-ci représente deux ans plus tard les 2/3 de la circulation monétaire. On ne peut cependant négliger la valeur psychologique que garde la lourde pièce d’argent d’un peso pour les petites gens. N’est-ce pas pour assurer la confiance populaire en période électorale qu’on vit en 1964 les pièces d’un peso remplacer temporairement presque complètement les billets de cette valeur ? Deux ou trois trimestres plus tard, le billet avait repris sa place.
17La multiplication des bureaux de banque jusque dans des agglomérations médiocres est un indice certain de la diffusion de l’économie moderne à l’intérieur du pays. Dans ce réseau de plus en plus serré, les grandes banques de la capitale pourvues d’agences, succursales et filiales ont une part de plus en plus grande et ce sont les organismes de dépôt qui poussent leurs ramifications vers les petites agglomérations.
18Certes la masse d’argent manipulée par la banque n’augmente pas en proportion du nombre de points desservis ; ainsi en peso constant de 1940, la moyenne des ressources par bureau desservi baissait de 4,7 millions de pesos en 1940 à 2,6 millions en 1952, tandis que le nombre de bureaux se multipliait par six dans le pays. Mais de toute façon la population reliée à l’économie nationale s’élargit avec le réseau bancaire privé. D’autant plus que celui-ci gère souvent les fonds d’état prêtés aux petits agriculteurs bénéficiaires de la réforme agraire. Car le Banco Ejidal, dont le réseau de bureaux est limité, dépose souvent les sommes prêtées aux ejidatarios au bureau de banque privée le plus commode ; tandis qu’après le dépôt de la récolte au silo d’état (Almacenes de Depósito), son achat éventuel par le commerce d’alimentation d’état (CONASUPO) fait l’objet d’un paiement au même bureau de banque privée, qui sert à rembourser le Banco Ejidal.
19Un bon exemple de croissance du réseau d’agences d’une banque est donné par le Banco Nacional de México. Historiquement c’est la seconde grande affaire bancaire du pays, après le Banco de Londres y México dont l’activité commence en 1864. Le Banco Nacional de México naît après 1880 de la fusion de deux maisons. A la fin de l’époque porfirienne cette banque est en tête, brassant en 1914, 22 % des affaires bancaires du pays.
20De nos jours elle est dépassée comme puissance financière par le Banco de Comercio qui pratique le contrôle de nombreuses filiales plus que l’ouverture directe d’agences et qui surtout a investi dans des affaires industrielles plus que sa concurrente. Néanmoins le Banco Nacional de México, qui dispose du réseau d’agences le plus vaste, concentre 1/4 des dépôts du pays sur environ 1/6 des bureaux de dépôt ouverts. En province elle dessert 105 agglomérations. Elle a la réputation d’être un bon représentant du capitalisme national, jouant la carte mexicaine et soucieux d’accorder sa politique à celle de l’état.
21La ramification progressive du réseau d’agences du Banco Nacional de México est intéressante à étudier sur les trois décennies 1930-1960. En 1930 la majorité des agences est concentrée dans le centre du pays ; elles existent dans la plupart des villes commerçantes traditionnelles, autour de la capitale comme dans le Bajío et sa bordure minière au nord. Ailleurs les succursales correspondent en général aux capitales d’états. Mais parfois la capitale d’état est négligée au profit du port : Veracruz, Mazatlán (Sinaloa), Guaymas (Sonora).
22En 1940 le réseau d’agences s’est accru modestement. Des capitales d’états sont desservies, qui ne l’étaient pas encore 10 ans avant (Jalapa, Cuernavaca). Mais surtout l’espace national s’est considérablement accru : la banque a des agences dans la chaîne des villes de la route du nord-ouest (au Sonora) et dans des villes-frontière du nord et du nord-est.
23Les changements sont beaucoup plus marqués douze ans après, en 1952. La vie de relation liée au commerce s’étend maintenant à de très nombreuses agglomérations qui sont des bourgs plus que des villes. Des localités de faible importance voient s’ouvrir une agence de banque, si elles sont situées dans une zone qui se modernise, comme les terres chaudes du Michoacán ou la frontière du Tamaulipas, où l’irrigation s’organise à cette époque. Plus encore les nouveaux itinéraires ouverts à la circulation routière sont jalonnés par l’installation de nouvelles agences dans tout le pays : la route d’Acapulco, les tronçons de la route du nord-ouest dans le Nayarit et le Sinaloa, la route des Etats-Unis dans le Chihuahua, les routes reliant Mexico à Guadalajara, l’isthme de Tehuantepec et surtout les liaisons établies entre les hautes terres et les plaines du golfe dans la zone du café, vers Valles comme vers Poza Rica. De plus les agences existant en 1930 à Villa Hermosa et à Zacatecas, supprimées en 1940, ont repris une activité en 1952.
24Ce réseau déjà fort ramifié se renforce en 1960 ; de nouvelles agences sont fondées dans des secteurs variés, sur la côte du Tabasco ou dans la zone chaude du Jalisco ; mais surtout dans la région frontière du nord-ouest, où dans les Etats de Basse-Californie et de Sonora neuf villes sont nouvellement desservies, alors que précédemment seule Mexicali avait une agence. En même temps le réseau s’augmente des agences de banques filiales travaillant dans une région déterminée : ainsi les bureaux dépendant indirectement du Banco Nacional de México se multiplient au Sinaloa et dans le nord de l’Etat de Veracruz, dans deux régions où la maison mère avait déjà des services nombreux. Au contraire les cinq bureaux d’une banque filiale existant dans la région de Puebla-Tlaxcala viennent combler une lacune du réseau général de la maison mère.
III. — Diffusion des idées
25Le désir des gouvernements issus de la révolution a été d’intégrer à la nation mexicaine l’ensemble de la population. A l’échelle nationale, le problème indigène a cessé d’être très important. Dès 1940 les gens qu’on peut appeler indigènes en raison de leur langue, leur vêtement traditionnel, leur appartenance à une communauté régie par des coutumes particulières, ne représentent plus qu’un septième de la population nationale. En 1960 cette population indigène ne représente plus qu’un dixième du total national. C’est seulement dans certaines régions qu’un problème indien subsiste, dans tout le bloc méridional, dans certains ensembles montagneux du centre ou de la Sierra Madre occidentale. C’est donc une politique régionale que mènent l’Instituto Nacional Indigenista ou le Patrimonio Nacional del Valle de Mezquital.
26Le principal problème de l’intégration nationale de la population est celui de la lutte contre l’analphabétisme, dont le régime porfirien ne s’était que médiocrement soucié. L’enthousiasme missionnaire des milieux intellectuels dans les années 1920 et 1930 s’est accompagné et s’est prolongé par un effort budjétaire d’autant plus ample que la baisse de mortalité de plus en plus rapide multipliait après 1940 la population d’âge scolaire.
Tableau IV. L'analphabétisme au Mexique
Année | 1910 | 1930 | 1940 | 1950 | 1960 |
% d’analphabètes de 6 ans et plus | 78 % | 72 % | 61 % | 43 % | 38 % |
27En pourcentage, la masse des analphabètes a diminué remarquablement dans cette lutte de vitesse contre la croissance démographique ; cependant le chiffre absolu des analphabètes reste relativement stable pendant les trois décennies 1930-1960, autour de neuf millions de gens. Les moyens mis en œuvre pour arriver à ce résultat ont été importants, comme la fabrication en série de classes préfabriquées ou l’édition par l’état de manuels scolaires primaires tirés à plus de 80 millions d’exemplaires en quatre ans (1959-1963) et distribués gratuitement.
28Les taux d’analphabétisme sont bien sûr plus élevés à la campagne qu’à la ville. Dans chaque état, le décalage est de 25 à 30 %. Les différences régionales sont-elles aussi importantes. Dans le nord du pays, Sinaloa exclus et Tamaulipas inclus, les analphabètes représentent entre 14 et 20 % des gens des villes, entre 33 et 45 % des ruraux. Dans toute la région centrale, prolongée à l’ouest par le Sinaloa et à l’est par Veracruz Tabasco Campeche et Yucatán, l’analphabétisme est plus grave —jusqu’à 30 % dans les villes et 55 % dans les campagnes. Enfin les terres du sud connaissent jusqu’à 40 % d’analphabétisme dans les villes et 71 % dans les campagnes.
29L’étude géographique de la consommation de l’imprimé et surtout des journaux est à faire en fonction de la diffusion à partir d’un certain nombre de grandes villes qui concentrent l’activité de l’édition, la capitale fédérale principalement. Cependant l’existence de journaux dans de nombreux petits centres urbains du nord et du centre du pays suppose une diffusion de l’information. Celle-ci ne manque que dans le sud du pays : au-delà d’une ligne qui correspond en gros au 18e parallèle ; les taux élevés d’analphabétisme se conjuguent avec l’absence à peu près totale de presse locale.
30La diffusion de l’information orale par la radio et la télévision a fait des progrès extrêmement rapides au Mexique. La multiplication des émetteurs — privés presque exclusivement — s’est faite dans la décennie 1930-1940. En 1942 une soixantaine de villes disposaient d’une station et vingt ans plus tard le nombre de lieux d’émission s’élevait à 130. L’implantation de la radio intéresse une large clientèle en 1960 puisqu’on évalue qu’une douzaine de millions de gens disposent d’un récepteur à leur domicile. Sans doute l’écoute est-elle en réalité plus large encore puisque le transistor, la radio de la boutique ou du débit de boisson ont pour auditeurs une clientèle moins délimitée et plus nombreuse. En tout cas un bon tiers de la population mexicaine peut être soumise à l’information et à la publicité des ondes.
Tableau V. Emetteurs radio au Mexique
Année | 1931 | 1936 | 1942 | 1962 |
Nombre d’émetteurs | 38 | 68 | 155 | – |
Nombre de points d’émission | – | – | 60 | 130 |
31La proportion des auditeurs varie bien sûr selon les régions du pays : on retrouve comme pour l’alphabétisation trois niveaux correspondant au nord, au centre et au sud du pays. Dans le nord, la radio atteint 30 à 70 % des foyers, dans le sud seulement 10 à 16 %. Mais certains états n’appartiennent pas au même ensemble pour la scolarisation et pour la pénétration de la radio : on peut dire qu’une faible scolarisation peut s’accompagner d’un niveau de vie relativement élevé et surtout d’un mouvement d’affaires qui suscite la publicité par la radio : c’est bien le cas de l’ensemble Sinaloa, Colima, Nayarit, Jalisco et Aguascalientes. Au contraire un niveau scolaire élevé s’accompagne d’une utilisation moyenne de la radio dans le Durango et un niveau scolaire moyen dans l’état de San Luis Potosi s’accompagne d’une faible utilisation de la radio : ces deux états du vieux nord minier sont relativement pauvres et envoient une masse d’émigrants vers le nord frontalier.
32Le semis des stations émettrices à la surface du Mexique est plus dense que celui des villes pourvues d’une presse et la répartition d’ensemble montre le grand nombre d’implantations dans de petites villes et bourgs du centre en contraste avec le faible équipement urbain du sud. Mais dans tout ce vieux Mexique les stations-radio sont pour une part un fait récent : leur nombre a largement plus que doublé entre 1942 et 1960. Au contraire la radio s’est répandue plus tôt dans le nord tourné vers la frontière des Etats-Unis : au-delà d’une ligne Mazatlán-Matamoros, les villes desservies par les stations-radio étaient déjà au nombre de 25 en 1942 ; leur nombre n’augmente que de 19 entre 1942 et 1962.
33La télévision enfin ne peut être envisagée encore au même titre que la radio comme un moyen de diffusion massive de la culture ou de l’information. En effet elle n’atteint qu’une clientèle des grandes villes. Destinée à la clientèle aisée d’abord, elle a certes été acquise depuis peu par des couches beaucoup plus modestes de la population urbaine : elle est présente au foyer de plus de deux millions de gens, ce qui suppose ici aussi une clientèle occasionnelle plus vaste, comme pour la radio.
IV. —Ampleur réelle du marché mexicain
34Tous les critères utilisés obligent à distinguer entre plusieurs couches de la population mexicaine pour arriver toujours aux mêmes conclusions : une part plus ou moins importante ne participe pas à la vie nationale, ou à la consommation nationale. Le nombre absolu de ces gens vivant à l’écart a diminué un peu jusqu’en 1940, puis le boom démographique a été si rapide que la croissance de la population marginale a pu être à peine contrebalancée par la croissance économique et l’effort d’intégration nationale. Les chiffres absolus de population marginale restent donc stables après 1940, mais bien sûr ils représentent un pourcentage décroissant de la population nationale.
35Ainsi la population « indigène » augmente de 1940 à 1960 de 3 millions à 3 millions et demi de gens : l’intégration nationale a marché moins vite que la croissance démographique. Mais bien qu’intégrée à la vie politique et sociale nationale grâce à l’usage de l’espagnol, une part importante de la population reste cependant marginale, comme on peut le constater selon des critères statistiques divers. P. Gonzalez Casanova recoupe plusieurs données des recensements (analphabétisme, usage exclusif du maïs comme aliment, vie rurale, utilisation de chaussures traditionnelles ou absence de chaussures, etc.) pour retrouver une masse de population marginale en gros aussi nombreuse de 1910 à 1960, d’environ 10 millions de gens. Cette population marginale était majoritaire en 1910 (2/3 des mexicains, sur 15 millions) ; elle n’est plus en 1960 qu’une minorité encore importante (moins du tiers, sur 35 millions). Ainsi l’effort économique et social national a dans l’ensemble absorbé la très rapide croissance démographique.
36L’opinion des commerçants est évidemment plus sévère pour délimiter ce qu’elle considère comme la clientèle ou comme le marché intérieur. En 1942, le Banco Nacional de México — par sa revue — estimait la clientèle réelle du Mexique à un quart des 20 millions de gens du pays, soit 5 millions. En 1963 des sources analogues font remarquer d’une part que l’industrie nationale produit à la moitié de sa capacité, d’autre part que sur les 36 millions de la population nationale, seulement 4 millions sont des consommateurs de plein exercice, 9 millions des consommateurs partiels et 23 millions des consommateurs « tangentiels » vivant partiellement en circuit d’autoconsommation. Ainsi les gens d’affaire mêlent deux critères : le marginalisme d’une partie de la population qui ne consomme guère que ce qu’elle produit et le bas niveau de vie d’une autre partie de la population, entrée en fait dans le circuit du commerce national, mais incapable de satisfaire ses désirs de consommation.
37Il est certain que le développement surprenant des moyens publicitaires — par radio principalement — tend à façonner des consommateurs désireux de vivre au niveau des sociétés industrielles de la seconde moitié du xxe siècle ; c’est bien ce que les milieux d’affaire considèrent comme consommateurs à part entière : non des acheteurs d’aliments, de vêtements et d’ustensiles, mais des acheteurs de biens de consommation durables selon le modèle nord-américain, même si on n’attend pas d’eux un pouvoir d’achat aussi élevé immédiatement. On peut penser que dans ces conditions le désir de consommer selon les modèles du voisin — stimulé par la radio, le contact avec les touristes ou la migration temporaire aux Etats-Unis du bracero — atteint la totalité de la population mexicaine, à l’exception des trois millions et demi de gens restés encadrés par les communautés indigènes.
B. — La polarisation
38Les mouvements des hommes, des marchandises et des idées sont commandés et attirés par un certain nombre de villes où se noue la vie de relations. Il n’est pas question ici de répertorier tous les points de concentration constitués parfois par des villes modestes : cet inventaire n’a de sens qu’à l’intérieur de la description des ensembles régionaux dont les conditions particulières sont reflétées dans la physionomie des noyaux urbains. On peut ici seulement montrer les aspects majeurs de cette concentration des mouvements, car il faut parfois dépasser le cadre d’une région particulière pour les comprendre.
I. — Les grands axes des transports
39Le caractère le plus marquant du système des transports mexicain est la concentration qui s’opère dans la capitale — foyer industriel majeur et centre de consommation dominant dans lequel consommation massive, niveau de vie élevé, concentration de l’étoile des voies de communication et implantation privilégiée de l’industrie se renforcent mutuellement. Aucune statistique ne permet de faire directement une analyse d’ensemble du trafic intérieur, parce que les chemins de fer présentent par réseaux leurs chiffres de tonnes/kilomètres et surtout parce que le trafic routier, qui maintenant est certainement majoritaire, ne fait l’objet d’aucun comptage publié. Mais le Mexique est un pays dont le commerce extérieur est actif et les points de passage ou de rupture de charge de ce trafic sont des lieux privilégiés. On peut donc à partir des statistiques du commerce extérieur mesurer certains éléments essentiels.
40Les importations et les exportations sont connues à partir des statistiques douanières — en valeur — et à partir des statistiques portuaires en tonnage. Le tonnage passant à la frontière des Etats-Unis n’est connu qu’indirectement (en enlevant le trafic maritime du trafic total). Quoi qu’il en soit de l’incertitude des sources, on peut constater que des trois façades du pays, la frontière terrestre avec les Etats-Unis est la plus active, puisqu’en tonnage elle voit passer 70 % des importations et 51 % des exportations mexicaines. En valeur il faut ajouter aux chiffres douaniers de la frontière la majorité sans doute du trafic enregistré au District Fédéral : on retrouve ainsi environ 70 % des importations, mais seulement moins de 35 % des exportations, dont certains produits partent par mer bien que leur destinataire soit les Etats-Unis. La majorité des importations terrestres mexicaines passent par Laredo, tandis que les exportations sont moins concentrées et proviennent parfois directement de la zone productrice, comme le coton des districts irrigués frontaliers qui passe par Mexicali ou par Matamoros. On peut remarquer cependant que le trafic routier ou ferroviaire qui transite à la frontière sans rupture de charge n’est pas à lui seul générateur d’une grande activité, puisque la ville de Nuevo Laredo est restée modeste en comparaison d’autres villes-frontière aux fonctions plus variées.
41Le trafic maritime reste important ; il n’est pas également réparti entre les deux façades maritimes. Celui du Pacifique est à la fois dispersé entre de nombreux ports et presque négligeable à l’échelle nationale (5 % du tonnage importé et 9 % du tonnage exporté). Au contraire le Golfe concentre surtout dans deux ports, Tampico et Veracruz, une part notable du trafic mexicain. Les importations du Golfe sont surtout des pondéreux de faible valeur (part des importations nationales : 25 % en poids et 16 % en valeur). Au contraire les exportations du Golfe rivalisent avec celles qui passent par la frontière des Etats-Unis, par leur tonnage et surtout par leur valeur (part des exportations nationales : en valeur 50 % ; en poids 40 %). Ce trafic portuaire a donné vie aux deux grandes villes du Golfe.
42On peut noter que les deux axes principaux du commerce extérieur, Mexico-Laredo et Mexico-Veracruz, ont favorisé le développement industriel des villes qu’ils desservaient, selon les variations successives des itinéraires privilégiés. Puebla, puis Orizaba et Córdoba se sont développées dans ces conditions favorables, puis plus tard Monterrey. C’est surtout le commerce qui a été stimulé sur la route du nord-ouest ou sur la route de Ciudad Juárez.
Tableau VII. Destination ou origine du trafic international mexicain (en valeur, moyenne 1948-53)
% de la population vivant dans la région | % des exportations venant de : | % des importations allant vers : | |
District Fédéral | 11,8 | 15,4 | 63,4 |
Nord (1) | 18,6 | 48,5 | 20 |
Basse Californie + Yucatán.... | 3,7 | 20,8 | 8,2 |
Reste du pays | 65,9 | 15,3 | 8,4 |
Total | 100 | 100 | 100 |
43On peut compléter les chiffres des transports aux frontières par des indications anciennes sur la destination ou sur l’origine régionale du trafic extérieur. L’étrange groupement de la Basse-Californie et du Yucatán est destiné à souligner leur position marginale. Ces deux régions, à l’époque du relevé utilisé, vivaient en fait hors du marché national. Les importations massives de la zone franche californienne jouent ici un rôle essentiel. Au contraire le nord dans son ensemble, Basse-Californie exclue, présente un trafic d’importation plus en rapport avec sa population. C’est surtout le contraste entre la capitale et le reste du pays qui frappe. Il est cependant évident qu’une partie des biens importés à cette époque au District Fédéral était redistribuée par le commerce de gros ; ce qu’on sait du caractère « marginal » de la clientèle selon les jugements des gens d’affaire laisse supposer que les grands magasins de la capitale, qui sont en même temps les grossistes, comptent alors au moins autant sur le marché direct de détail dont ils disposent que sur la redistribution en province. Par ailleurs depuis 10 ans l’élargissement du marché national a été réel et en conséquence le poids relatif du nord et de la capitale n’est plus aussi lourd.
II. — Concentration financière
44Si le niveau de vie de la population intervient bien sûr pour expliquer l’ampleur des activités financières des villes — des grandes surtout, c’est leur rôle dirigeant qu’on souhaite connaître. Si le nombre de bureaux de banque ouverts dans le District Fédéral est signe de prospérité d’une large couche de la population de la capitale, les positions clefs de décision financière sont bien plus intéressantes à connaître.
45La prédominance financière de la capitale est considérable. Sans compter les raisons économiques évidentes de cette concentration, il ne convient pas de décrire ici le détail des raisons politiques qui s’y ajoutent. Disons seulement que l’intervention économique de l’état est le fait du gouvernement fédéral dont presque tout l’appareil bureaucratique est concentré dans la capitale. On peut en passant noter la disproportion des fonds gérés par la fédération et de ceux dont disposent les états fédératifs. Pour 1962, le budget général de la fédération s’élève à 12 milliards de pesos pour le budget proprement dit et à une somme un peu supérieure pour le budget des « organismes décentralisés (c’est-à-dire autonomes) et entreprises propriété de l’état ». Les recettes totales des états s’élèvent en 1962 à 2,8 milliards et celles du District Fédéral à 1,7 milliard. Ceci ne veut pas dire que la capitale soit exclusivement favorisée dans des investissements dirigés vers la consommation (sauf des interventions sur les prix des denrées alimentaires de base). Ainsi l’Institut National de l’Habitat investit 1/5 de ses ressources au District Fédéral, pour 1/6 de la population nationale. Mais on peut dire que presque les 9/10 des fonds publics sont gérés dans la capitale.
46On a vu ci-dessus la part des établissements bancaires qui sont localisés dans la capitale, mais il faut ajouter que les banques de province sont rarement importantes. Un des chiffres publiés sur l’activité bancaire concerne les fonds traités par les chambres de compensation. Celle de Mexico manipule les 4/5 des fonds. La province se partage le reste et les chambres de compensation qui y sont implantées augmentent les affaires traitées entre 1960 et 1961, sauf à Torreón, Matamoros et Nuevo Laredo qui périclitent un peu. En fait deux localisations seulement sont importantes à la fois parce que ce ne sont ni des ports ni des villes frontalières et parce que les fonds traités ne sont pas négligeables : Guadalajara effectue 22 % des opérations de la province et Monterrey 37 %. Ces centres fonctionnaient avant 1940 — comme Torreón et Mazatlán ; tous les autres sont plus récents — très récents pour Ciudad Juárez et Nuevo Laredo qui ne fonctionnent que depuis 19601
47Ce rôle hors pair de métropoles régionales attribué à Guadalajara et Monterrey se marque aussi par la création de bourses de valeurs. La première ville ne possède cet organisme que depuis 1960 et le volume des affaires qu’on y traite est insignifiant. A Monterrey, où la bourse existe depuis 1950, se traitent 3 ou 4 % du volume des affaires boursières mexicaines. Il faut dire d’ailleurs que le marché financier mexicain dépend encore fort peu du placement de titres auprès d’un vaste public national.
III. — L’initiative industrielle
48Un autre moyen de déceler la concentration d’activité dans un certain nombre de grandes villes est l’analyse de l’implantation de certaines industries. Certes, le capital investi, la production ou la main-d'œuvre industrielle sont une mesure globale de l’activité. Mais même mises à part les incertitudes des statistiques industrielles, on peut préférer analyser l’implantation des industries techniquement avancées jouant un rôle pionnier dans la production nationale et capables d’attirer en un point d’autres activités complémentaires. Ces industries ont bénéficié depuis 1940 d’une législation spéciale d’exemption temporaire d’impôt, sur présentation d’un dossier technique détaillé de leurs projets de fabrication. Ont bénéficié de ces facilités des établissements se proposant de produire des biens jusqu’alors importés, selon une politique de « substitutions d’importations » remplaçant chaque fois que possible l’entrée des produits de consommation par celle des biens d’équipement nécessaires à leur production. C’est dire que ces exemptions d’impôts ont été accordées largement à un grand nombre d’entreprises dans les premières années, puis selon des critères techniques de plus en plus restrictifs pour des fabrications correspondant à un niveau technique de plus en plus haut.
49Les industries techniquement avancées se concentrent dans la capitale beaucoup plus que les autres. Si celle-ci groupe en 1960 environ la moitié du capital, de la main-d'œuvre et de la production industrielle nationale, elle concentre une part plus élevée de la plupart des industries pionnières. Ceci s’explique entre autre par la complexité des démarches indispensables auprès du pouvoir fédéral et par cette symbiose qu’à souligné Vernon entre les affaires privées et la bureaucratie d’état, gérées souvent par les mêmes hommes.
50En général la capitale concentre près des deux tiers des fabrications techniquement avancées. Les exceptions concernent des fabrications liées directement au milieu naturel et à son exploitation (plus de la moitié de toutes les industries alimentaires, sauf pour les aliments du bétail, se localisent en province ; de même les industries du bois et du ciment). La concentration dans la capitale atteint plus des 4/5 des entreprises pour la pharmacie et le matériel électrique, plus des 9/10 pour les instruments de précision.
51La plupart des villes de province ne groupent qu’un petit nombre d’établissements exemptés d’impôts, voire un seul qui peut d’ailleurs jouer un rôle important dans l’économie locale. Mais on ne voit ces établissements s’agglutiner en un groupe nombreux et varié que dans quelques métropoles. Si l’on met de côté les industries alimentaires, on peut souligner un véritable groupement d’établissements métallurgiques à Puebla et à Torreón et ses satellites, à la rigueur aussi (5 établissement ou plus), à Veracruz, Tampico, Saltillo, Ciudad Juárez et Guaymas. Les groupements véritablement importants hors de la capitale ne se trouvent qu’à Guadalajara et surtout à Monterrey ; ici au groupement de la métallurgie s’ajoute un grand nombre d’industries chimiques assez diversifiées. Guadalajara accueille vingt-deux établissements (pour moitié de métallurgie et pour moitié de fabrications chimiques), tandis que Monterrey et sa banlieue possèdent 47 établissements de métallurgie et 24 de chimie.
Tableau VIII. Proportion des industries bénéficiant d'exemption d’impôts hors de la capitale (District Fédéral et municipes de banlieue)
% | |
Produits alimentaires : — | – |
Conserves végétales | 51 |
Viandes | 78 |
Lait | 56 |
Poisson | 100 |
Aliments pour bétail | 45 |
Industries traditionnelles : | |
Textiles | 35 |
Bois | 61 |
Chimie : | |
Papier, cellulose | 41 |
Caoutchouc, plastiques | 32 |
Chimie en général | 35 |
Pharmacie | 15 |
Verre-ciment | 57 |
% | |
Métallurgie : — | – |
Fonderie, métallurgie lourde, mécanique | 33 |
Matériel électrique | 19 |
Matériel et construction auto | 31 |
Instruments de précision | 8 |
(en pourcentage du total des établissements ayant bénéficié d’exemption d’impôts) |
52Si le gouvernement mexicain, par sa politique d’exemptions d’impôts, a stimulé la création d’industries, il n’a pas déployé encore de vastes moyens pour guider l’investissement industriel vers une ville plutôt qu’une autre — pour les raisons exposées par Vernon. Il est intervenu de façon positive d’une part à Ciudad Sahagún (Hgo.) pour créer trois grosses entreprises, d’autre part pour installer à Coatzacoalcos une industrie de la chimie du pétrole.
53L’état dispose au moins de trois moyens d’action. Il peut freiner l’installation d’usines autour de la capitale, soit en refusant de satisfaire les besoins en eau d’une entreprise, soit par une action directe autoritaire ; mais l’action positive est aussi possible : d’une part en décidant des villes desservies par gazoduc en priorité et du prix qu’on y vendra le gaz ; d’autre part en créant des écoles techniques de niveau moyen dans des villes où l’on veut favoriser le développement de certaines branches industrielles.
IV. — Concentration de l’information
54L’industrie du livre et la presse en général se concentrent très fortement dans la capitale mexicaine, pour un pays qui représente déjà un marché important à cet égard. Le volume du marché mexicain du livre est révélé par l’importance des échanges internationaux dans ce domaine : ces échanges croissent et en même temps les exportations rejoignent les importations ; entrées comme sorties dépassent le million de volumes annuel, les liens s’établissant avec l’Espagne, les Etats-Unis et loin derrière l’Argentine. On peut dire que la production des livres se concentre presque exclusivement à la capitale. Même la production d’hebdomadaires reste extrêmement concentrée. Deux villes seulement, Puebla et Torreón ont chacune une activité dans ce domaine, mais ce semble être plutôt une relique qu’une preuve de rayonnement particulier. En tout cas les quelques milliers d’exemplaires produits sont sans comparaison avec le million d’hebdomadaires tirés par la capitale.
55Nul doute que l’implantation de la presse quotidienne ne corresponde mieux à l’importance respective des villes de province. Il faut cependant noter que la tradition joue son rôle dans ce domaine et que des villes qui ont perdu une part de leur rayonnement peuvent garder des journaux dont le tirage est important. Au contraire la naissance d’un journal suppose une équipe qui le fabrique, un public qui l’achète : cet investissement intellectuel n’apparaît pas aussi vite que le développement économique dans une ville champignon. Ainsi Puebla, Torreón, certaines villes du Bajío ont sans doute une presse exceptionnellement développée pour leur activité générale actuelle.
56Au total le rapport entre la population d’une ville et le tirage global de ses journaux dépend avant tout du niveau de vie — auquel se relie bien sûr le niveau de scolarisation. Néanmoins on peut aussi — avec prudence — juger du rayonnement d’une ville d’après l’importance de sa presse. C’est surtout la comparaison du tirage dans des villes situées à l’intérieur d’une même région qui présente de l’intérêt. Bien sûr les grosses agglomérations ont de plus forts tirages par rapport à leur population que les petites, mais des hiérarchies apparaissent : parmi les satellites de la capitale, Toluca rayonne plus que Pachuca et Cuernavaca et ces deux dernières villes sont mieux placées que Cuautla (Mor.). Dans les villes de Basse-Californie, Tijuana a une activité plus grande que Mexicali du point de vue de la presse. Sur la route du nord-ouest, Ciudad Obregón est plus importante que Guaymas, pour des dimensions comparables. De même dans le vieux nord, Torreón est plus importante que Durango ; San Luis Potosí aussi, malgré la faiblesse actuelle de l’économie de sa région.
57De toute façon, pour chaque ville il faudrait connaître l’aire atteinte par la vente des journaux locaux, ce que seule l’enquête monographique permet de savoir. On ne doit pas s’attendre à un rayonnement lointain dans la plupart des cas. On ne dispose de statistiques que pour la capitale, où les grands quotidiens vendent selon les cas de 15 à 40 % de leur édition hors du District Fédéral, vers les états voisins mais aussi vers le Bajío et jusqu’au Chiapas.
58Le système de diffusion-radio ne laisse pas une grande place à la concentration de l’information dans de grandes villes. En effet la plupart des émetteurs ont un faible rayon d’écoute et ceci explique la grande dispersion des points d’émission. Ces émetteurs appartiennent d’ailleurs en général à des chaînes publicitaires qui sont des firmes nationales ou internationales. En général la multiplication des émetteurs dans une même ville signifie simplement que la clientèle des commerçants annonceurs est suffisante pour faire vivre plusieurs affaires dépendant étroitement des budgets publicitaires de l’économie locale. L’installation d’un émetteur de télévision dans une ville importante a une signification analogue, selon une clientèle d’annonceurs qui eux-mêmes ne financent ce moyen de diffusion que si se trouve concentrée dans la ville une masse suffisante de consommateurs d’un niveau de vie assez élevé pour l’achat du récepteur.
59L’émission radio à longue distance est ainsi le bénéfice de deux grandes villes mexicaines, Mexico et Monterrey. Des émetteurs puissants existent aussi sur la frontière à Ciudad Juárez et Ciudad Acuña : c’est la diffusion nord-américaine qui est à considérer ici et non le rayonnement propre de ces deux villes.
60On peut conclure en remarquant à quel point la naissance en trente ans d’un marché mexicain — et d’une nation mexicaine — est due à l’enchevètrement de deux groupes d’actions apparemment contradictoires : l’effort national du pouvoir central — routier, scolaire, monétaire et bancaire, politique enfin ; l’action du puissant voisin bénéficiant de la proximité et du développement des communications pour une stratégie commerciale qui couvre tout le Mexique, mais se fait sentir depuis plus longtemps et beaucoup plus intensément dans le nord du pays. L’usage intense des communications de masse représente non seulement une action commerciale puissante mais aussi un façonnement des besoins, des mentalités, des réactions élémentaires qui est sans cesse perceptible, sans exclure jamais une sensibilité très vive du particularisme national. L’intégration de cette nation et de ce marché national laisse en marge une masse importante de la population, parfois majoritaire dans le sud du pays.
61La concentration des diverses activités de l’économie nationale dépend en somme d’un petit nombre de villes et parmi celles-ci la part de la capitale est toujours très largement majoritaire et parfois presque exclusive. Deux capitales régionales, Monterrey et Guadalajara, disposent de leurs propres activités de service dans certaines branches (pour l’activité financière, l’initiative industrielle, l’équipement scolaire supérieur ou l’attraction de la main-d'œuvre). Mais la majorité du pays ne connaît que les services beaucoup plus médiocres de villes moyennes : elles servent de points de concentration du commerce, de l’épargne, des transactions et de l’administration. Elles n’ont pas de rôle d’initiative pour l’information, la technique ou l’investissement. Enfin une bonne partie du pays, surtout dans les zones où la population marginale reste nombreuse, voire majoritaire, ne connaît que les services de petites villes et de bourgs souvent en pleine activité, mais incapables de fomenter aucune initiative locale, limités au rôle de distributeurs ou de relais. Ces petites villes dépendent en général directement de la capitale, ou parfois dans le nord dépendent du voisin nord-américain pour la plupart de leurs services.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
L’histoire économique et sociale du Mexique contemporain —dont nous n’envisageons dans ce chapitre que quelques aspects spaciaux — peut être étudiée dans les tomes de Historia Moderna de Mexico, El Colegio de México, Hermes, sous la direction de Cosio Villegas, D. La synthèse la plus commode, où des idées essentielles sont dégagées avec vigueur, est le livre de Vernon, dont les deux thèmes principaux seraient la continuité fondamentale d’un siècle de développement mexicain et le rôle moteur de l’alliance, voire de la symbiose entre técnicos et políticos. Des jugements sur l’économie mexicaine au xixe siècle, d’autres sur le Banco Nacional de México nous ont beaucoup servi (Vernon, N. The dilemma of Mexico's devlopment, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts, 1963 ; traduction française : Le dilemme du Mexique, Editions Ouvrières, 1966).
Parmi les revues, il faut signaler l’intérêt du bulletin mensuel du Banco Nacional de México (ESEM), sans doute le meilleur document sur l’histoire économique des trois dernières décennies, du point de vue des marchés régionaux et du mouvement des affaires dans son ensemble. En effet les renseignements de cette banque proviennent de toutes les régions du pays, où elle dispose grâce à ses agences d’une bonne connaissance de l’état des récoltes, des mouvements d’argent, des affaires nouvelles qui se créent, de la valeur des places commerciales en importance et en prospérité. Bien des articles sont des rapports d’agences, malheureusement expurgés des renseignements chiffrés en général.
Outre les statistiques des censos on peut indiquer les sources particulières suivantes :
I. — Les Transports : Avant le chemin de fer : De la Peña, M. La indústria minera en México, IE, 1944-1. Quelques indications plus récentes de Medina Urbizu, Aspectos de los transportes nacionales, IE, no 85, 1962 et surtout de Chevalier, F. Une révolution majeure au Mexique : la route, Eventail de l’histoire vivante (Hommage à Lucien Febvre), 1953, p. 407-418. Le réseau routier apparaît dans les éditions successives de Caminos de México, Goodrich Euskadi (en particulier l’excellent Atlas, de 1964) ; on trouve l’état du réseau en 1930, 1940 et 1950 dans Informe de Comunicaciones y Obras Públicas (1958 ?), document 7900 du Centre de documentation, B. de M. Les problèmes de coordination rail-route dans Lees, p. 51-53. Le caractère saisonnier du commerce traditionnel apparaît dans Urquidi, V. Ensayo sobre el comercio exterior de Mexico, TE I, 1942, p. 52 ; ainsi que un peu partout dans ESEM, année 1948, par exemple. Le commerce extérieur est exprimé graphiquement dans l’Atlas de Tamayo ; la répartition du commerce extérieur entre les régions du pays apparaît dans : Comercio exterior y territorio nacional, CE, juillet, 1954.
II — Le crédit et la monnaie. La principale source est Moore, E. O. La evolución de las instituciones/manderas en Mexico, Centro de Estudios Monetarios Latinoamericano, 1963 : on y trouve tout l’historique du système mexicain et un tableau pour 1960. La diffusion des agences bancaires en province et le rôle du Banco Nacional de México apparaissent dans Davila Gomez Palacio, R. Concentración financiera privada en México, IE, 1955-2 ; aussi dans les cartes du réseau du Banco Nacional de México, à chaque livraison de ESEM. La concentration des affaires se note à propos des chambres de compensation dans la Revista de Estadisticas, 1963, p. 726-727. Pour le volume du budget fédéral, par exemple CE, décembre 1964 et février 1965. Le budget de recettes des états fédératifs dans Novedades du 17 mars 1964.
III. — Indigénisme, alphabétisation, marginalisme et marché. Les principales analyses sont celles de Gonzalez Casanova, P. La democracia en México, ERA 1965. Du même une première évaluation de la population marginale : Société pluraliste et développement, Tiers Monde, no 15, 1963. Ibidem Favre, H. L’intégration socio-économique des communautés indiennes au Mexique. Il se réfère bien sûr à la définition de la population indigène donnée par Caso, A. Definición del Indio y de lo indio, America Indígena, vol. 8, no 5, 1948. L’évolution du marché intérieur est indiquée dans ESEM, passim 1943, dans El Nacional du 19 juin 1963 et Universal du 27 mai 1963.
IV. — Communications de masse. Le chapitre de Gonzalez Casanova, P. La opinion publica, dans 50 años de revolución, p. 345-351, ouvrait la voie. Quelques renseignements sur la radio se trouvent dans RE, décembre 1943. Le dépouillement des annuaires de publicité a été fait dans Bataillon, C. Communication de masse et vie urbaine au Mexique, Cahier no 7, de l'Institut des Hautes Etudes d'Amérique Latine, 1965 ; à partir des mêmes documents nos commentaires ci-dessus modifient certains points de vue.
V. — Industries. Nous utilisons le dépouillement inédit du Directorio de Empresas Industriales beneficiadas con exenciones fiscales, 1940-1960, B de M 1961 (réalisé par H. Rivière à Mexico en 1965). Voir aussi Lees, Localización de Industrias en México : p. 92, par exemple pour les formes d’investissements industriels ; p. 63-66 pour les facteurs d’implantation des industries ; nous avons utilisé ce livre de façon systématique dans le cours des chapitres régionaux, ci-dessous.
Notes de bas de page
1 Voir fig. 8.
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