Chapitre IV. Les conditions agraires de la vie rurale
p. 42-51
Texte intégral
1Une part importante des traits particuliers de la vie rurale du Mexique correspond à des caractères régionaux : dans des milieux naturels contrastés, des populations rurales fort différentes par leurs traditions et surtout par leurs densités ont fait naître toute une gamme de productions agricoles qu’on ne peut décrire que dans leur cadre régional. Cependant l’histoire a marqué l’ensemble du pays d’un système commun à l’Amérique Latine — le latifundio. Puis elle a imposé un nouveau cadre à la vie mexicaine depuis un demi-siècle : celui de la révolution agraire ; la connaissance de cette réalité nationale est indispensable à la compréhension des paysages ruraux régionaux.
A. — La situation pré-révolutionnaire
I. — La hacienda traditionnelle
2Il ne saurait être ici question de présenter une histoire agraire du Mexique. Cependant la réforme agraire ne s’explique — avec ses nuances régionales — que si l’on imagine le système contre lequel la révolte s’est levée. Ce système était pour partie le grand domaine — la hacienda — de caractère seigneurial. La hacienda traditionnelle se caractérisait par ses bâtiments souvent fortifiés, sa fonction de domination sur les hommes plus que de production agricole. Dans les régions d’altitude fortement peuplées, peu de produits agricoles avaient une grande valeur commerciale. Les céréales n’étaient pas exportées normalement, puisque leur faible valeur, à l’opposé des produits tropicaux, les rendait intransportables avant la construction des voies ferrées, étant donné l’état des chemins.
3La hacienda traditionnelle est donc faiblement productrice de céréales et de bétail. Mais elle n’exploite directement qu’une partie de son immense territoire (parfois 5 000 à 10 000 ha de labours, souvent 20 000 à 40 000 ha de pâtures médiocres). En effet la gestion directe s’applique à la culture du blé ou de l’orge ainsi qu’à l’élevage du bétail. Une part de la main-d'œuvre nécessaire à l’exploitation directe est formée par les métayers (aparceros). Ceux-ci disposent d’un lopin de labour et du droit d’élever quelques bêtes. Ils cultivent pour leur nourriture une part importante du maïs produit sur le territoire de la hacienda. Ils doivent — par exemple au Chiapas — jusqu’à huit jours de travail mensuel pour la location d’un hectare de labour (donc la moitié du mois pour deux hectares). Les salaires éventuellement payés pour une part du travail sont assez bas et assez stables dans ces zones : 12 à 25 centavos1 (en 1885. Ainsi la possession relativement assurée d’une parcelle à cultiver s’ajoute aux dettes permanentes, que le salaire infime ne permet pas de rembourser, pour attacher le peón au domaine.
4Une partie de cette main-d'œuvre vit sur le domaine (peones acasillados) ; mais une majorité des métayers vit dans les villages ; ils sont attachés à la hacienda par leur situation d'aparceros. Enfin pour les périodes de pointe des travaux agricoles, comme la moisson, on pouvait recruter temporairement des paysans des villages proches dépourvus de liens permanents avec le domaine. Mais dans l’ensemble cette main-d'œuvre flottante devait être peu nombreuse en comparaison des gens dépendant de la hacienda.
II. — La hacienda commerciale porfirienne
5A la fin du xixe siècle et au début du xixe, à l’époque de Porfirio Diaz, le grand domaine a connu une expansion nouvelle. Les lois de desamortización des biens de mainmorte (ecclésiastiques ou des communautés paysannes) ont mis de nouvelles terres sur le marché et les acheteurs furent surtout de grands propriétaires, soit créoles de vieilles familles mexicaines, soit plus souvent nouveaux créoles, immigrés récents plus entreprenants, désireux de faire fortune. Au lieu de considérer les grandes haciendas comme des moyens de prestige et de puissance sociale, ils les organisèrent pour produire dans les meilleures conditions possibles. Les cultures destinées au commerce international et le bétail d’exportation furent leurs principales spéculations ; ils s’emparèrent donc surtout de grands espaces de terres vides, dans les plaines tropicales ou dans le nord du pays. Les gros éleveurs s’installèrent dans les steppes du nord et surtout du nord-ouest ; ils n’avaient besoin que d’une main-d'œuvre peu nombreuse. Les cultures de café se répandirent dans les montagnes de la façade du Golfe du Mexique et surtout au Chiapas. L’agave-sisal (henequén) fut planté dans le nord du Yucatán. Enfin des cultures datant de l’époque coloniale prirent plus d’ampleur avec un marché accru et des techniques rénovées : le sucre du Veracruz et du Morelos, le tabac de Valle Nacional (Oaxaca).
6Pour cette agriculture commerciale, il fallut trouver une main-d'œuvre abondante. Localement elle existait rarement dans les terres chaudes. La principale exception serait la zone sucrière du Morelos, où la main-d'œuvre villageoise était abondante : on la força au travail salarié en empiétant sur les terres des villages — terres en général médiocres, non irrigables et donc sans intérêt pour l’extension des cultures de canne ; les ressources des villageois diminuant, ils durent plus nombreux s’attacher aux haciendas. Ailleurs en terre chaude le manque de main-d'œuvre était général, à une époque où malaria et maladies tropicales diverses sévissaient. On eut recours à des méthodes de pression, à une époque où les communautés villageoises et surtout les communautés indigènes subissaient de graves difficultés. La méthode de l’enganche était la plus douce : au Chiapas central, les indigènes contractaient des dettes, au hasard d’une beuverie ou mieux pour faire face aux dépenses somptuaires d’une charge honorifique civile ou religieuse. Ainsi accrochés par le prêteur ils fournissaient jusqu’à extinction de leur dette une main-d'œuvre bon marché dans les plantations de café. Le même système fonctionnait un peu partout, mais dans des conditions exceptionnellement dures à Valle Nacional. Plus dur était le sort des indigènes pris par l’armée au cours des révoltes ; les Yaqui du nord-ouest furent ainsi vendus comme esclaves aux planteurs de henequen du Yucatán. Ainsi les haciendas nouvelles furent à l’origine de déplacements de main-d'œuvre importants, souvent forcés. Les travailleurs de haciendas de cultures commerciales avaient rarement une situation de métayers ; ils étaient au mieux salariés, organisés en équipes de travail (cuadrillas). Les salaires étaient dans ces zones nouvelles plus élevés que dans le vieux pays des hautes terres (jusqu’à un peso, soit quatre à huit fois plus). Mais ces salaires variaient beaucoup, la nourriture était chère et bien souvent elle n’était vendue que par la « boutique de la paie » (tienda de raya) à la hacienda même : la dette du travailleur le maintenait dans le domaine.
III. — Les zones de propriété paysanne
7On est loin de tout savoir sur la petite exploitation paysanne qui n’avait pas disparu. Il semble en tous cas que dans des zones assez saines — donc en altitude — mais dépourvues de bonnes terres ou de grands espaces vides, les haciendas ne se soient pas étalées largement. Là où les cultures tropicales étaient impossibles, où une population assez nombreuse vivait de longue date dès avant la conquête, seule la hacienda de type traditionnel pouvait s’établir. Dans certaines régions elle était loin d’avoir soumis tous les gens et englobé toutes les terres. La persistance des communautés paysannes avec leurs terroirs est évidente dans des régions densément peuplées de l’ancien empire aztèque. En tout cas le bassin de Toluca et celui de Puebla-Tlaxcala présentent cette particularité, dans les régions où les terroirs étaient semble-t-il plus favorables à la petite exploitation, par la variété de leurs possibilités : sur de courtes distances on y trouve la forêt ou la pâture, la terre de labour non irrigable et la zone marécageuse où l’aménagement d’un drainage assure des récoltes régulières mieux qu’en terre sèche. Là les communautés paysannes ont assez bien défendu leurs terroirs même si les haciendas étaient présentes. Lors de l’amorce de croissance démographique de l’époque de paix porfïrienne, la faim de terre de ces paysans s’est bien sûr accentuée. Il en était de même dans les zones montagneuses très faiblement pourvues de terres de labours : montagnes tarasques, montagnes du Chiapas central, partie centrale de la Sierra Madre orientale.
8Il semble qu’une petite agriculture paysanne se soit aussi développée avec un peuplement métis ou blanc dans les terres médiocres mais saines, à la limite de la sécheresse, au nord du Bajío. Le fait est connu pour les Altos de Jalisco où cette population est nombreuse. Ailleurs ce semble être l’origine de hameaux dispersés (rancherias) dans des zones boisées d’altitude moyenne que les populations indigènes n’avaient pas densément occupées, par exemple au flanc sud de l’axe volcanique (états de Mexico, Guerrero, Michoacán).
9Quelle est la situation juridique des terres aux mains des paysans au début du xxe siècle ? Dans le cas des rancherias, hameaux de métis, les labours sont en général déjà des propriétés privées mais les forêts et pâtures sont collectivement possédées sans titres. Dans les villages de tradition indigène, la population agglomérée a hérité à la fois des traditions précoloniales et du sens de l’urbanisme espagnol : si la maison et le jardin sont possédés individuellement, des règles d’usage existent pour la zone urbanisée. En particulier la communauté garde des terres libres pour l’attribution de lots à bâtir. La communauté possède aussi bien entendu en commun les forêts, pacages et prairies qui sont exploités par tous les habitants sans appropriation individuelle. Restent les terres de labour. En général dans les régions du centre du Mexique, les villageois ont déjà à la fin du xixe des droits stables sur les parcelles qu’ils cultivent en permanence depuis des générations. Cependant ces labours sont dévolus à un village déterminé et la vente, surtout à des gens n’appartenant pas à la communauté villageoise, est exclue. L’absence de titres pour les parcelles de labours, la desamortización légale des terres possédées en commun par les villages favorisent l’effritement du patrimoine foncier des paysans à l’époque porfirienne.
B. — La loi agraire et son application
10La législation agraire, telle qu’elle s’est fixée dans les années 1920, a été appliquée peu à peu jusqu’à nos jours ; cependant la présidence de Cardenas a été marquée par des distributions de terres particulièrement abondantes. La loi prévoit l’attribution à des groupes de paysans dépourvus de terres : le groupe doit être d’au moins vingt personnes, mais en général ce sont plusieurs centaines de paysans d’un village qui se constituent demandeurs. Ils ne peuvent prétendre qu’à des biens situés dans un rayon de sept kilomètres de leur domicile. Les propriétés rurales affectées doivent dépasser en superficie des limites qui varient selon la nature des terres : plus de 100 à 200 ha de labours, quelques milliers d’hectares de pâtures ; ceci a amené certains propriétaires à diviser leurs biens par des ventes fictives ou réelles pour échapper plus ou moins complètement à la loi.
11Les terres attribuées par le Departamento de Asuntos Agrarios y Colonización forment un ejido remis au groupe de demandeurs ; ceux-ci en général utilisent en commun les bois et les pâtures mais divisent les terres de labour en autant de parcelles égales qu’il y a d’ayant droit. Le détenteur d’une parcelle non seulement la garde toute sa vie mais peut la transmettre à sa famille. Il est procédé à l’élection d’un commissariat ejidal dont le président joue un rôle important, puisque c’est lui qui surveille que les exploitants des terres ejidales y ont droit et qui fait respecter la loi selon laquelle les parcelles sont inaliénables : dans la pratique des tolérances nombreuses sont admises. On peut dire que le système ejidal correspond aux besoins des communautés rurales du centre du pays surpeuplé, où la révolte agraire avait pris une ampleur particulière. En effet ces communautés restaient douées d’une forte solidarité collective et ressentaient vivement le désir de récupérer des terres proches du village dont elles pensaient avoir été dépouillées, à juste titre souvent.
12Selon les catégories de terres, les distributions ont été plus ou moins abondantes. Elles ont porté principalement sur les terres labourées : un peu moins de la moitié de celles-ci se trouvent aux mains des ejidos, qui entre autres disposent d’une bonne moitié des terres irriguées du Mexique. Au contraire à peine un cinquième des pâtures et forêts du pays se trouvent aux mains des ejidos. Ces moyennes nationales correspondent naturellement à des situations régionales très variables.
13Dans les grandes zones steppiques du nord du pays, très peu de terres d’élevage ont été distribuées, faute de demandeurs en général. Le souci de maintenir la production du bétail a laissé subsister des domaines dépassant la dizaine de milliers d’hectares. On ne trouve donc ici guère plus d’un dixième des surfaces aux mains des ejidos. Cependant dans les secteurs d’irrigation la situation est différente : en particulier sous l’administration de Cardenas, on a distribué en ejido le tiers ou la moitié des labours, en parcelles de 4 à 6 ha en moyenne ; fait exceptionnel, on a remis la terre aux peones acasillados, constitués en nouveaux centres de peuplement. On s’est soucié de maintenir une production moderne en organisant une exploitation collective des domaines ; les investissements d’état ont permis l’amélioration ou l’extension des surfaces irriguées, une aide technique et des crédits ont été prévus à l’époque pour soutenir cette agriculture collective.
14Dans les zones basses tropicales peu peuplées, les distributions de terres portent sur le quart des superficies en général. Souvent les populations indigènes ont ainsi vu confirmer leurs droits sur des terres soumises à des défrichements temporaires, là où l’on est encore loin d’un souci d’appropriation individuelle et où les empiétements des grands propriétaires s’attaquaient à une population spécialement vulnérable : le statut d’ejido donné à ces terres met fin aux spoliations et aux litiges, sans qu’il y ait distribution à proprement parler. Les vastes espaces laissés à la propriété privée sont souvent des broussailles, pâtures et forêts de faible valeur, mais la pénétration des routes modernes a pu changer radicalement la situation : l’exploitation du bois, mais surtout la prairie d’embouche, le labour ou la plantation ont pu valoriser considérablement des régions humides dès lors que les transports ont pu être assurés.
15Enfin dans les régions fortement peuplées de l’altiplano, la réforme agraire a été bien plus radicale. A l’ouest (Jalisco), où les densités sont moindres et où les ranchos moyens occupent une place importante, c’est le tiers de la terre qui a été remis aux ejidos, les parcelles labourées atteignant en moyenne 5 ha. Mais dans la région orientale bien plus peuplée, la moitié au moins des terres et en particulier des terres de labour a été remise aux ejidos. Les parcelles labourables sont ici plus petites (en moyenne de 2 à 4 ha selon les états). Dans le centre de l’état de Oaxaca il doit en être de même, comme dans la partie peuplée du Yucatán. Il est probable que dans l’état de Morelos et dans une partie de celui de Mexico, la création des ejidos conformes à la loi n’a été que la régularisation des occupations de terres par les paysans révoltés, au sein du mouvement zapatiste ou sous son influence indirecte.
C. — La situation actuelle
I. — Evolution des communautés traditionnelles
16Les terres possédées par les villageois dès avant la réforme agraire sont en voie d’appropriation ; selon l’évolution de chaque communauté, la contrainte collective se desserre plus ou moins vite : ici chacun est maître chez soi mais n’envisage pas de vendre à un acheteur extérieur au village ; ailleurs la chose est déjà admise ; souvent le droit de défricher les forêts et pâtures est réglé par le village ; une différenciation sociale intérieure s’accentue entre ceux qui, dans le village, ont quelques ares et ceux qui ont une dizaine d’hectares.
17Les terres d’ejido, en droit très différentes, sont en fait intégrées dans le système villageois. Pâtures et forêts ont le même usage (mais dépendent dans un cas du comisariado ejidal du village et dans l’autre du président municipal, c’est-à-dire en général des autorités du bourg). Les labours d’ejido sont déjà depuis une ou deux générations aux mains des villageois ; leur exploitation est purement individuelle et les lopins des deux origines se confondent parfois pratiquement ; en tout cas il est très fréquent que la même famille ait des parcelles d’ejido et des parcelles de propriété ancienne. Quand la parcelle ejidale est trop petite, ou qu’elle est aux mains d’une veuve ou d’un homme ayant quitté le village, on la loue malgré la loi. On la vend dans les mêmes conditions, mais bien plus rarement. Ainsi les exploitations sont heureusement un peu moins petites que ne le laisse supposer l’émiettement de la propriété rurale. Elles sont cependant médiocres dans ces régions traditionnelles, en général peu avancées techniquement. Là où l’on se contente des pluies (agriculture de temporal), les rendements des petits propriétaires de quelques hectares et ceux des villageois tenanciers d’ejido sont peu différents, sauf si une spécialisation intervient, au profit des premiers en général (arbres fruitiers par exemple). Cette agriculture dispose de peu de crédit éjidal ou privé. Elle vend peu de produits, mais on aurait tort de la croire fermée sur elle-même. Elle s’oppose cependant à l’agriculture moderne, en général irriguée ou bonifiée.
II. — L’agriculture moderne
18Les régions d’un niveau technique élevé sont parfois des zones bonifiées — sur la plaine du Golfe —-mais plus encore des zones irriguées. La seule région irriguée importante affectée anciennement par la réforme agraire est le Morelos, région sucrière ancienne et région principale du zapatisme. La réforme agraire de l’époque de Cardenas a atteint la Laguna (Torreón), Mexicali (Basse-Californie), Los Mochis (Sinaloa), le rio Yaqui (Sonora) et El Mante (Tamaulipas). Hors de ces régions irriguées, elle a affecté aussi d’autres cultures modernes : le café du Soconusco (Chiapas) et le henequen du nord yucatèque. Dans tous les cas le problème est comparable : si on laisse la terre se morceler en petites exploitations aux mains des ejidatarios bénéficiaires de la réforme agraire, la technique baisse, les problèmes de crédit et de commercialisation les livrent pieds et poings liés aux intermédiaires ; en outre l’ejido inaliénable ne peut faire l’objet d’hypothèque ; donc il faut un crédit spécial d’origine publique : la Banque Ejidale utilise des fonds d’état. Elle est continuellement victime de trois fléaux : la concussion et la bureaucratie de sa propre administration ; les prêts non remboursés ; le manque de fonds pour satisfaire les besoins de crédit des ejidos. En fait si tous ces problèmes ne sont pas résolus, le Banco Ejidal a concentré son action sur les ejidos d’agriculture moderne, où la récupération des prêts est assurée par des récoltes régulières et commercialisées en totalité.
19Comme la réforme agraire est plus récente qu’ailleurs dans ces zones modernes (sauf le Morelos) et que les parcelles distribuées ont été souvent plus grandes, le problème de minifundio est moindre qu’ailleurs ; cependant l’agriculture moderne nécessite pour bien des travaux des unités d’exploitation nettement plus vastes que les parcelles ejidales. La solution cardéniste a été l’exploitation collective, soutenue (dans la Laguna surtout) par un crédit ejidal abondant. Actuellement les ejidos collectifs sont des exceptions : faute d’une volonté politique dans ce sens après 1940, mais aussi faute de crédit public et de techniciens agricoles, issus du milieu ejidal ou fournis par le gouvernement. Presque partout l’exploitation s’est fractionnée en groupes plus petits à l’intérieur de l’ejido (les uns, bons payeurs, obtiennent le crédit de la banque ejidale et les autres non) ; puis c’est en général l’agriculture individuelle qui a triomphé. Le principal frein à l’individualisme semble être la contrainte technique que maintient pour le choix des cultures la Secretaria de Recursos hidrdulicos sur tous les bénéficiaires des travaux d’irrigation, propriétaires ou ejidatarios. Dans le cas de la culture de la canne à sucre, l’usine (ingenio) se transforme souvent en entrepreneur de culture ; mais que l’ingenio soit entreprise privée ou d’état, que les terres soient ejidales ou privées, le problème est que ce n’est jamais la collectivité paysanne qui décide.
20Dans ces conditions, comment se concilient la nécessité d’une grande exploitation et la réalité d’une propriété rurale très divisée ? Pratiquement la location des parcelles joue un rôle important, aux mains des meilleurs chefs de culture, ou de ceux qui savent par leurs qualités techniques ou leur entregent obtenir le crédit nécessaire malgré l’absence de garantie hypothécaire. Comme les propriétaires privés se mêlent souvent aux ejidatarios, les uns ou les autres regroupent ainsi plusieurs dizaines d’hectares en une exploitation ou — ce qui revient partiellement au même — louent leurs services et leur matériel aux voisins. Ainsi l’ejidatario devient rentier de sa parcelle, même si en même temps il travaille comme ouvrier agricole. En réalité pendant les périodes de pointe (récolte du coton, coupe — zafra — de la canne à sucre) on fait appel à une main-d'œuvre temporaire extérieure même sur les terres ejidales dès qu’il s’agit d’agriculture moderne
III. — Problèmes de la grande exploitation
21Les limitations légales à la propriété foncière n’ont pas détruit totalement la grande exploitation. Mais au système traditionnel où la grande propriété de prestige se morcelait partiellement en petites exploitations de métayage s’est substituée une tendance à regrouper en exploitations plus vastes pour des raisons de technique — et de profit — les terres juridiquement divisées.
22La hacienda d’élevage extensif — mais techniquement moderne — des steppes du nord ou de la côte du Golfe n’a en général pas été touchée par la réforme agraire. Seuls quelques immenses domaines de zone aride ont été distribués par le gouvernement de Lopez Mateos après 1960, avec le souci de maintenir leur niveau technique lié à la grande exploitation. Dans le domaine du labour, on trouve parfois des blocs de plusieurs centaines d’hectares, juridiquement divisés entre les héritiers d’une même famille, mais manifestement maintenus en grande exploitation, céréalière par exemple. Par ailleurs les exploitations peuvent s’arrondir par la location de parcelles qui appartiennent aux paysans voisins. A la limite une exploitation laitière peut financer l’irrigation par pompage sur les prairies voisines des petits paysans, acheter le fourrage produit et se charger de l’élevage des vaches sans chercher à posséder ou à exploiter de grosses surfaces de terre.
IV. — Les zones neuves
23La mise en culture de nouvelles terres peut dépendre de l’irrigation : financée par l’état l’irrigation s’accompagne d’une direction technique et d’une distribution organisée de la terre gagnée à l’agriculture. Il n’en est pas de même pour les terres mises en culture dans les zones chaudes et humides. La situation juridique des terres gagnées peut varier ici : quand il s’agit de terre libre dans une région déjà peuplée de façon lâche, on défriche des propriétés privées ou des propriétés communales. Dans le premier cas on assiste à l’occupation illégale plus ou moins organisée par des paysans manquant de terre, accompagnée de heurts parfois violents, comme au pied de la Sierra Madre orientale vers les plaines du Golfe.
24Mais des terres à défricher existent aussi loin de tout peuplement préexistant, comme au Campeche : là seule une colonisation officielle permet une mise en valeur loin de tout front pionnier spontané.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
Les deux ouvrages généraux à consulter sont Mac Cutchen Mac Bride, G. Los sistemas de propiedad rural en Mexico, PAIM, Vol. III, no 3, 1951, plein de renseignements originaux, et la grosse compilation de Whetten, N. L. Mexico Rural, PAIM, Vol. V, no 2, qui résume la situation vers 1945.
Sur la hacienda, Chevalier, F. La formation des grands domaines au Mexique, Terre et Société aux XVIe et XVIIe siècle, 1952, Trav. et Mém. de l’Institut d’Ethnologie 56. Le texte de Tannenbaum sur la hacienda porfirienne, TE 1935-2, La organización económica de la hacienda est repris dans La revolucion agraria mexicana, PAIM, Vol. IV, no 2. Sur la main-d'œuvre de la hacienda porfirienne, le pamphlet de Turner, J. K., Mexico bárbaro (1910), dans PAIM VII-2, 1955.
Sur la réforme agraire, une utile mise au point de Gutelman, M. Mémoire inédit déposé au Collège coopératif, Paris ; deux articles historiques fondamentaux de Chevalier, F. : Le soulèvement de Zapata, 1911-1919, Annales ESC, janvier 1961 ; et « Ejido » et stabilité au Mexique, Revue Française de Science politique, Vol. XVI, no 4, août 1966. Un ouvrage d’économie rurale montre le sort de la réforme cardéniste : Eckstein, S. El ejido colectivo en Mexico, FCE 1966.
L’agriculture et l’élevage au Mexique ont fait l’objet de deux mises au point de Enjalbert, H. : L’élevage au Mexique, RG juin 1966 ; l’autre encore inédite, à paraître dans les Actes du colloque du CNRS de 1965 sur les problèmes agraires en Amérique Latine.
Les études monographiques sont citées à mesure dans les chapitres de description régionale ci-dessous.
Notes de bas de page
1 Le peso mexicain est divisé en cent centavos ; sauf indication spéciale (comme ci-dessus) nous indiquons les prix et salaires en pesos 1963-1966 : le peso mexicain, stable pendant ces dernières années, a la valeur de 0,40 NF français, ou 1/12 de dollar des Etats-Unis environ.
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