Chapitre III. La population mexicaine
p. 31-41
Texte intégral
1Deux faits—intimement liés—dominent la situation de la population mexicaine. Elle connaît depuis quarante ans une croissance accélérée accompagnée d’une mobilité géographique accrue. Précédemment — avant 1920 — cette croissance était occasionnelle et au demeurant mal connue : il n’est pas sûr que l’augmentation entre 1889 et 1900 ait atteint 20 %, car l’amélioration des recensements rend difficile la comparaison des deux dates ci-dessus. La croissance décennale de 11 % entre 1900 et 1910 est plus vraisemblable, pour une période d’ordre et de paix, bien que l’amélioration de la condition des masses mexicaines, surtout rurales, soit postérieure à cette date. L’économie porfirienne, détériorée par la guerre civile, laisse sans défense la population devant la grippe espagnole comme devant les famines locales, plus meurtrières encore que la Révolution elle-même : la mortalité infantile de la décade 1910-1920 renverse le bilan démographique et la population diminue de 5 %. Si l’on ajoute aux pertes de la décade (830 000 personnes) le manque à gagner théorique par rapport à ce qu’aurait été une prolongation du régime social de la « pax porfiriana » (gain supposé : 1 650 000), le bilan négatif atteindrait presque deux millions et demi de gens. La pyramide des âges mexicaine porte encore cette cicatrice : la classe d’âge 40-44 ans, en 1960, est relativement creuse. Peut-être les différences régionales sont elles marquées.
A. — L’accroissement naturel
2Mais à partir de 1920 la croissance démographique augmente régulièrement : 15 % pour les années 1920-1930, 19 % pour 1930-1940, 31 % et 35 % pour les deux décennies suivantes. Les raisons en sont claires. La natalité globale n’a guère changé, si l’on tient compte des améliorations probables de l’état civil (1931 : natalité de 42,9 ‰ par an ; 1960 : 46 ‰) ; tandis que la mortalité est tombée rapidement (1931 : 25 ou 28 ‰ selon les sources ; 1958 : 12,5 ‰ ; 1960 : 9,6 ‰). En effet les épidémies ont été enrayées ; puis l’hygiène globale et surtout celle des enfants ont sapé la mortalité infantile. Il en résulte une situation assez comparable dans les villes et dans les campagnes : la mortalité rurale (1958) serait de 11,6 ‰ et celle de la ville de 13,6 ‰ : l’enregistrement des décès n’étant pas obligatoirement effectué au lieu de résidence, les chiffres urbains sont sûrement gonflés et au total les chiffres réels doivent être équivalents1
3La fécondité, selon les régions, n’est pas très différente de ville à campagne : à la campagne les chiffres de fécondité, c’est-à-dire le nombre d’enfants de 0 à 4 ans pour 1 000 femmes de 15 à 49 ans, s’échelonnent entre 800 et 600 (moyenne nationale 689). Si certaines zones de fécondité rurale très élevée ne s’expliquent pas facilement (Chiapas et Tabasco), les basses fécondités peuvent se trouver aux deux bouts de l’échelle sociale : au Sonora, zone moderne, comme au Guerrero et au Oaxaca où c’est la mortalité infantile élevée qui réduit le nombre des enfants d’âge inférieur à 4 ans. En milieu urbain (villes de plus de 10 000 habitants) la fécondité est moindre. Elle s’échelonne entre 370 et 650, pour une moyenne nationale de 450. La moyenne s’abaisse à 390 pour les villes de plus de 100 000 habitants et les chiffres les plus bas concernent les ports et les villes minières (zones de dépression économique, d’émigration des adultes jeunes et de sous-emploi féminin dans ce dernier cas).
4Au sein d’une même région, les chiffres du milieu urbain s’accordent souvent avec ceux du milieu rural, car l’écart entre fécondité rurale et fécondité urbaine est faible, même si cet écart augmente par rapport aux années 1930 : on relevait en effet pour 1937-39 une natalité presque aussi élevée à la ville (41 ‰) qu’à la campagne (45,9 ‰). Ainsi la région moderne du Sonora a une faible fécondité à la ville comme à la campagne. Il est certain au contraire que le maintien d’un comportement « rural », c’est-à-dire non malthusien, est typique de certaines masses mexicaines immigrées à la ville : l’écart est minime entre les chiffres de fécondité rurale (entre 650 et 700) et ceux de fécondité urbaine (de 550 à 600) pour les états de Michoacán, Mexico, Hidalgo où le milieu urbain est peu évolué. Comme l’immigration campagnarde à la ville est un flux de jeunes adultes comportant plus de femmes que d’hommes, la croissance naturelle urbaine (par ses taux de mortalité réelle un peu plus bas, par une natalité forte en comparaison de la fécondité) est peu inférieure ou égale à la croissance naturelle rurale. C’est du moins une hypothèse de travail pour toute analyse de détail des migrations intérieures2
5L’écart est bien plus élevé entre les fécondités rurale et urbaine dans certains milieux très évolués du nord où reste un reliquat de paysans traditionnels, comme au Nuevo León et au Tamaulipas (fécondité rurale 700-750, fécondité urbaine 450-550). Mais ces exceptions ont peu de poids à l’échelle nationale. On peut en conclure que le comportement démographique traditionnel, dans la majeure partie de la population, ne se transforme pas vite sans intervention de l’état malgré une urbanisation rapide. Comme il semble par ailleurs que la baisse de mortalité atteigne un pallier, car l’amélioration sanitaire future relèvera d’une médecine beaucoup plus coûteuse et que le vieillissement de la pyramide des âges va aller en s’accentuant, on peut penser que le rythme de croissance de la population mexicaine ne s’accélère plus, mais qu’il ne baissera que lentement à partir du chiffre élevé actuel de 3,5 % par an.
B. — Les migrations intérieures et leur polarisation
6Si l’accroissement naturel de la population mexicaine démarre réellement avec la politique sociale des années 1930 et avec la croissance économique nationale, la mobilité géographique de cette population est pour partie antérieure à l’essor démographique et pour partie conséquence de celui-ci. Certes l’augmentation de la population antérieure à 1910 a favorisé la montée d’un mécontentement rural explosif. On peut penser que la faim de terre, rendue plus aiguë par l’extension des grands domaines à l’époque porfirienne et par l’augmentation de la masse paysanne, était latente dans de nombreuses régions ; tout désir — ou tout espoir — d’amélioration du niveau de vie passait déjà chez les paysans par deux voies : l’accès à la terre ou l’accès à l’emploi urbain. Potentiellement les éléments de la révolution agraire mais aussi ceux de l’exode rural étaient donc présents. La révolution de 1910 a déclenché les deux mouvements à la fois.
7La main-d'œuvre des haciendas s’est trouvée libérée du semi-servage lié à l’endettement qu’elle connaissait avant ; les luttes qui ont atteint la plupart des régions ont obligé les uns à se réfugier loin de chez eux, incité les autres à s’engager dans une troupe armée ; les conflits agraires ont incité de grands propriétaires ruraux ou ceux qui s’étaient inféodés à eux à gagner la ville, souvent la grande ville. Ainsi la décade qui a vu la baisse démographique a aussi été celle du déclenchement de la mobilité sociale comme de la mobilité géographique. Puis à partir de 1920 les migrations intérieures s’accélèrent et se polarisent à la fois. Elles s’accélèrent régulièrement entre 1920 et 1960, atteignant respectivement à ces deux dates 8,5 et 15 % de la population nationale, parce que la pression démographique augmente, comme on l’a vu ; mais aussi elles se polarisent parce que l’expansion économique se concentre sur quelques points privilégiés où les sources d’emploi se multiplient et où le revenu individuel moyen s’améliore et s’écarte de plus en plus de la moyenne nationale.
8Ainsi la concentration du mouvement migratoire s’accentue en faveur de la capitale, du nord-nord-est frontalier et du nord-ouest. D’abord ce mouvement s’esquisse seulement : les grands secteurs d’attraction attirent 66 % de la masse des migrants en 1921, mais seulement 65 % en 1930 et 63 % en 1940 : la décennie de la grande crise a réduit surtout l’attrait de la frontière nord-américaine, tandis que la capitale nationale, où l’entreprise d’état et la bureaucratie se constituent sous Cardenas, reste un pôle d’attraction. Cette polarisation progresse dans la décennie 1940-1950, au profit de la capitale qui s’industrialise, comme au profit du nord-ouest, tandis que les autres secteurs de la frontière maintiennent leur position. Enfin dans la dernière décennie cette polarisation n’augmente plus. La zone d’attraction de la capitale n’augmente plus son poids relatif, bien qu’elle occupe un espace accru, dans les états limitrophes du District Fédéral (Mexico et Morelos). Le nord-ouest progresse, mais non les autres secteurs frontaliers. Ce sont en fait de petits secteurs côtiers des zones chaudes qui accueillent une population nouvelle grâce au progrès agricole de la « marche à la mer », sous forme de migration vers les états littoraux (Nayarit, Colima) comme d’ailleurs à l’intérieur des états (Veracruz, Jalisco, Michoacán).
9On peut préciser la part des principales zones d’attraction : le nord-ouest joue un rôle croissant : il accueille 6 % des migrants en 1921 et 10 % en 1960. Les autres secteurs nord connaissent des hauts et des bas, accueillant 27 % de migrants en 1921 et 18 % en 1940, pour rester à ce niveau par la suite. Mais dans le détail la stabilité du Nuevo León compense en partie la décadence relative des trois états frontaliers de Chihuahua, Coahuila et Tamaulipas. Enfin la capitale nationale domine continuellement ce mouvement de polarisation jusqu’en 1950.
10Ce schéma général ne nous donne pas toute l’ampleur réelle du mouvement des migrations intérieures : l’afflux des ruraux vers les villes proches, capitale d’état ou non et la « marche à la mer » à l’intérieur des états côtiers manquent au tableau I. Ces mouvements sont en gros analysables en comparant la croissance réelle d’une région ou d’une ville à la croissance naturelle nationale, puisque on a vu que cette croissance naturelle ne différait que peu d’une région à l’autre ou de la ville à la campagne : il n’empêche que seule l’analyse à l’échelle municipale, dans le cadre d’une région, permettrait d’éviter une approximation trop incertaine.
11Il faut par ailleurs noter que le flux d’immigrants est parfois en partie compensé par une émigration notable. Si les grandes régions d’attraction perdent très peu de gens en comparaison de l’afflux des arrivants, le cas se présente cependant localement : le Coahuila perd en 1960 presque autant de population qu’il n’en gagne, au profit de Monterrey en particulier. Le Nayarit est dans le même cas tandis que les bilans du Quintana Roo et du Colima sont plus nettement positifs. La situation est analogue dans la chaîne des états du nord-ouest : le Sinaloa, dont le bilan est négatif, reçoit des immigrants mais en envoie plus encore vers le Sonora et la Basse-Californie ; malgré son bilan largement positif, le Sonora envoie moitié autant de gens qu’il n’en reçoit, surtout vers la Basse-Californie. Ainsi bien des situations complexes apparaissent, qui relèvent de l’analyse de détail.
12Si les bilans migratoires révèlent des régions instables où les flux se compensent, on trouve aussi des régions réellement stables qui ne sont pas encore entrées dans le circuit des échanges nationaux de population, ou à peine. Pas encore, peut-on dire, car la dernière décennie voit s’amorcer le mouvement, presque toujours dans le même sens. En effet seul Veracruz entre dans le mouvement par l’immigration, grâce aux bonifications rurales de la marche à la mer. Ailleurs, dans tout l’orient mexicain (Guerrero, Oaxaca, Chiapas, Campeche, Tabasco et Yucatân), le bilan est négatif ; l’émigration est encore faible, mais il est rare que l’on puisse envisager dans l’avenir, comme au Tabasco ou au Chiapas, des pôles d’attraction locaux suffisants pour éviter la fuite des hommes.
13Surtout à partir des zones rurales mais aussi depuis les villes minières, voire les petits marchés régionaux détrônés, l’émigration représente dans tout le centre du pays un flux déjà ancien, important par sa masse comme par la proportion de la population locale impliquée. Au moins depuis 1930, le bilan est négatif et le flux des émigrants supérieur au dixième de la population native de l’état dans presque tout le centre (Tlaxcala, Querétaro, Mexico, Hidalgo, Jalisco). Seules exceptions, Michoacán un peu plus tardivement entraîné et Puebla dont la capitale attire ses propres ruraux. Même bilan pour la zone minière qui flanque le centre en sa bordure désertique : Durango, Zacatecas, Guanajuato et San Luis Potosí. Seul Aguascalientes équilibrait départs et arrivées jusqu’en 1950 et ne connaît un solde négatif qu’à partir de 1960. Ainsi ce qui fut à la fois la zone fondamentale céréalière et le pays de l’argent perd de gros excédents de population, sans que les perspectives d’avenir permettent en général d’envisager un retournement de la situation, si la baisse des cours mondiaux des produits miniers traditionnels continue à se conjuguer avec la crise rurale d’une zone où les paysans manquent de terre.
14S’il est facile de repérer les trois grands pôles de l’immigration mexicaine et les régions d’où part la population, en un mouvement beaucoup moins concentré au départ qu’à l’arrivée, il est plus délicat de déterminer les limites d’attraction de la population des trois grandes zones. Bien entendu aucune limite stricte n’apparaît : chaque pôle recrute peu ou prou dans l’ensemble du pays et cette mobilité à l’échelle nationale ne fait que s’accentuer dans la dernière décennie. Par ailleurs les trois pôles n’ont pas le même poids et ne peuvent être décrits de façon similaire. La capitale fédérale est un point d’attraction bien délimité, unique dans sa région et largement dominant. Seule une partie du nord-ouest (Sonora, Sinaloa, Nayarit) et du nord (Durango, Chihuahua) y a envoyé moins de 2,5 % de ses natifs.
15Cependant on peut délimiter la région où le flux dirigé vers la capitale est majoritaire par rapport aux mouvements vers le nord-ouest et vers le nord. Cette région inclut l’état de Veracruz, englobe sur l’altiplano méridional les états de Hidalgo, Querétaro, Guanajuato, s’enfonce en coin vers le nord-ouest par les états de Aguascalientes et Zacatecas, puis rejoint le Pacifique en englobant l’état de Jalisco. A l’intérieur de cette région il faut d’ailleurs distinguer les secteurs où le flux vers la capitale est massif : vivent à la capitale plus de 9 % de ceux qui sont nés dans les états de Mexico, Tlaxcala, Hidalgo, Querétaro, Guanajuato et Michoacán. Au contraire la zone d’attraction de la capitale comporte des régions de faible mobilité (tout l’est et le sud) et des régions où une polarisation secondaire locale diminue le flux vers la capitale : Puebla et Guadalajara (Jalisco) jouent chacun ce rôle.
16La zone d’attraction majoritaire vers le nord et le nord-est est bien plus limitée. Elle concerne les états de San Luis Potosí et Durango, ainsi que l’état de Aguascalientes qui envoie à peu près autant de gens vers le nord que vers la capitale. Le flux est encore massif depuis l’état de Zacatecas, plus tourné cependant vers la capitale. Enfin vers l’ensemble du nord, mais surtout vers le Chihuahua se dirige une migration venant du nord-ouest, depuis la Basse-Californie, mais surtout depuis le Sonora. Le mouvement est donc ici beaucoup moins simple que vers la capitale, puisque d’une part entre les états qui attirent les migrants les échanges sont massifs et que d’autre part un flux provient d’une zone d’attraction, le nord-ouest, sans qu’un mouvement inverse le compense vers cette dernière région. Mais au total le seul point d’attraction qui se révèle stable dans le nord et le nord-est est le Nuevo León c’est-à-dire Monterrey ; en effet dans les importants échanges de population intrarégionaux c’est cet état qui a un bilan largement positif, tandis que chronologiquement c’est le seul point d’attraction stable et même en léger progrès, dans la décadence relative des migrations vers le nord et le nord-est depuis 40 ans.
17Le nord-ouest enfin est une zone d’attraction moindre, mais en progrès constant comme on l’a vu. La région depuis laquelle il attire une majorité des immigrants est limitée au Nayarit et au Sinaloa. Ce dernier état forme un relai, recevant un afflux de l’ouest de l’altiplano mais envoyant plus encore de migrants vers le Sonora et la Basse-Californie, tandis que le Sonora est lui aussi, malgré son bilan positif, un relai vers la Basse-Californie. Le Jalisco, dont la population est attirée principalement par la capitale nationale, envoie cependant presque autant de monde vers le nord-ouest.
18Si la polarisation des migrations vers la capitale est l’élément majeur des mouvements de population au Mexique comme dans grand nombre de pays latino-américains, le rôle de la frontière septentrionale est un fait original. On ne peut analyser le phénomène frontalier que si l’on sait que des migrations importantes attirent les mexicains de l’autre côté de la frontière. En 1960, 575 000 mexicains vivent aux Etats-Unis. Leur localisation presque exclusive au Texas et en Californie suffit à expliquer que le nord mexicain se divise en deux versants : Basse-Californie et Sonora tournés vers Los Angeles ; nord et nord-est, de Ciuadad Juárez à Matamoros, tournés vers le Texas. Mais ce n’est que le résidu d’un mouvement beaucoup plus ample, s’il est vrai que les nord-américains nés mexicains (et naturalisés) étaient en 1940, 3 800 000, chiffre presque double des migrations intérieures mexicaines enregistrées à cette date. En 1960, ils sont 5 700 000, chiffre peu supérieur au total des migrations intérieures. Si l’on ne connaît pas l’origine régionale des migrants vers les Etats-Unis, on peut présumer que les norteños y ont une grosse part.
19Ce mouvement vers les Etats-Unis est d’ailleurs le reliquat laissé par le va-et-vient des travailleurs temporaires, mouvement mal connu pour lequel on est réduit à des évaluations. Les chiffres officiels montent peu à peu jusque vers 400 000 braceros par an en 1959 ; sans doute ces chiffres représentent-t-ils plus de la moitié du total réel, puisqu’on en est réduit à estimer la migration clandestine. De 1960 à 1963 la migration temporaire tombe officiellement de plus de 300 000 à moins de 200 000, pour diminuer dans les dernières années où la frontière s’est théoriquement fermée aux ouvriers agricoles temporaires mexicains sur la pression des syndicats d’ouvriers agricoles nord-américains... malgré l’influence contraire des fermiers. Ce vaste mouvement, qui laisse des alluvions dans les champs et les villes du nord mexicain, provient d’abord du nord lui-même (surtout bien sûr Durango, Zacatecas) : dans ce vieux nord, il draine 3,5 % de la main-d'œuvre agricole. Le mouvement est aussi actif depuis le centre-ouest du pays (Michoacán, Guanajuato, Jalisco), moindre dans le reste de l’altiplano central plus proche de la capitale ; il est comparativement négligeable ailleurs. Ainsi l’attraction du nord, si elle est moindre que celle de la capitale pour qui regarde un instantané des migrations intérieures, est beaucoup plus forte, mais ambiguë et mal connue, si on y ajoute le drainage, temporaire ou définitif, vers l’autre rive de la frontière. Ambiguë certes ; soulagement d’une partie des excédents démographiques mais perte d’adultes jeunes en général doués d’initiative et d’un niveau culturel ou technique supérieur à la moyenne pour l’émigration définitive ; pertes d’énergie en pleine saison agricole — saison des pluies — mais rentrées d’argent équilibrant les budgets paysans, pour l’émigration temporaire.
20Il faut pour terminer revenir sur les conséquences classiques des migrations : elles sont sélectives, donc elles modifient la structure par âge et par sexe des régions d’accueil ou de départ. Dans ces dernières il est cependant rare que le chiffre des migrants soit assez élevé pour altérer notablement la composition démographique, au point par exemple de supprimer la partie féconde de la population (femmes jeunes). Ce déficit apparaît cependant localement dans la zone proche de la capitale où les jeunes femmes vont en grand nombre servir comme domestiques à la ville. Au contraire les déséquilibres sont nets dans les populations issues d’une forte immigration. Phénomène le moins fréquent, l’immigration vers une zone agricole pionnière (grande zone irriguée récemment mise en eau) apporte bien sûr un surplus d’adultes jeunes, mais surtout masculin : moins de femmes jeunes, mais le taux de fécondité de type rural se maintient. Le cas le plus général concerne l’afflux à la ville : ici aussi les classes d’âges adultes jeunes sont gonflées, mais les femmes sont les plus nombreuses et la natalité globale de la population urbaine profite de ce surplus de l’élément féminin, bien que la fécondité soit assez basse dans des groupes féminins d’un niveau culturel assez élevé (employées) ou dépourvus d’une vie conjugale normale (servantes vivant chez leur patron).
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
Les censos mexicains renseignent d’assez près sur les migrations intérieures ; on s’est servi ici seulement des Resúmenes generales de chaque décennie. Il faut noter qu’ils indiquent l’endroit où sont nés ceux qui vivent dans chaque circonscription, ce qui donne un instantané, bilan de possibles mouvements de sens inverse. La comparaison à 10 ans d’intervalle ne donne pas les entrées ou les sorties, mais deux bilans instantanés successifs. Le censo de 1940 a une présentation qui ne permet pas de mesurer l’émigration, faute de donner la population totale née dans un état (y vivant ou émigrée). Dans les calculs de changements décennaux de population nous avons négligé le fait que l’un des recensements date de 1921 et non de 1920.
Divers travaux analysent la démographie mexicaine :
Benitez Centeno, R. Análisis demográfico de Mexico, est le premier à analyser les migrations intérieures (Instituto de Investigaciones Sociales, UNAM 1961) : Depuis l’auteur s’est attaché aux projections de la population mexicaine, comme Loyo G., dans Población y desarrollo económico, Sela, 1964 : c’est le plus récent travail du premier économiste mexicain à s’être orienté vers les problèmes démographiques. Il a exposé quelques unes de ses idées à une conférence du 8 août 1963, IFAL.
Whetten, L. (collaboration avec Burnright et Waxman) étudie la fertilidad diferencial rural-urbana en México dans CPS no 11-12, 1958 (repris de American Sociological Review, Vol. 21, no 1, février 1956) ; du même auteur : Tendencias de la población mexicana, RE Vol. XXVII no 3, mars 1964, sur les braceros et les migrations définitives aux Etats-Unis. Ce dernier sujet est abordé par Lewis, O. dans México desde 1940, IE no 70, 1958. Des chiffres sur l’origine régionale des braceros se trouvent dans Gonzales Santos, La agricultura, Mexico 1957.
L’analyse des migrations régionales avait été abordée par Gonzales Casanova, P. dans La democracia en México, ERA 1965 ; il faut noter qu’au tableau XLVI du livre les chiffres d’immigrants sont établis pour 1960 en % des gens nés dans l’état, mais en 1950 en % de la population totale vivant dans l’état. Deux articles récents utilisent des méthodes intéressantes : Snyder, D. E. traite des migrations vers les villes dans RG no 64, juin 1966, p. 73-84, Urbanization and population growth in Mexico ; il envisage les bilans par grandes régions, mais non les mouvements interrégionaux eux-mêmes. Stevens, R. P., dans CRLA TI p. 65-72, étudie les migrations entre 1950 et 1960 en comparant la croissance réelle des municipes à leur croissance naturelle ; celle-ci est calculée d’après les naissances et décès déclarés à l’état civil, source criticable ; sa carte montre bien le mouvement pionnier vers les terres chaudes en particulier. Enfin nous avons abordé la question des migrations intérieures de façon partielle dans Bataillon, C. Mexico, capitale métis, Caravelle, no 3, 1964 (réédité par le CNRS, 1965, Colloques internationaux, Le problème des capitales en Amérique Latine) ; deux versions écourtées de cet article parues en espagnol dans CPS no 35, 1964 et América Latina, Rio, Ano VII no 4, octobre 1964.
Notes de bas de page
1 La mortalité infantile a aussi baissé, de 123 ‰ en 1939 à 80 ‰ en 1958.
2 C’est pourquoi notre figure 3 fait ressortir les différences de croissance, de part et d’autre de la moyenne nationale : toute croissance supérieure est signe d’immigration et toute croissance inférieure signe d’émigration (sauf dans les états de Oaxaca et Yucatán dont la croissance naturelle est sans doute plus faible que la moyenne nationale). De même, toutes nos cartes régionales portent l’accroissement des villes entre 1940 et 1960 : on peut considérer que toute ville qui s’accroît plus vite que la moyenne nationale est un foyer d’immigration.
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