Chapitre II. Le peuplement du territoire mexicain
p. 22-30
Texte intégral
1Le domaine mexicain comporte schématiquement trois types de milieux naturels dans lesquels le peuplement s’est fait fort différemment. Des zones montagneuses plus ou moins humides s’opposent en pays tropical aux basses terres chaudes. Cet ensemble s’oppose lui-même aux territoires désertiques beaucoup plus vastes dans le nord du pays.
Les problèmes historiques
2Un certain nombre de faits sont bien connus. On sait quel était le domaine occupé à l’arrivée des Espagnols par des civilisations hautement différenciées. L’organisation de l’espace, la paix civile permettaient un peuplement nombreux malgré des moyens rudimentaires de transport et de production. Englobées dans l’empire aztèque, les civilisations issues de Teotihuacan et celles des Mixtèques-Zapotèques formaient ce premier domaine avec les civilisations mayas. Plus à l’ouest l’organisation politico-sociale était plus rudimentaire en pays tarasque comme vers le Pacifique. Plus morcelées, ces civilisations sédentaires, occupaient vers le nord-ouest une région axée sur la Sierra Madre occidentale. Enfin le domaine désertique central et oriental était aux mains de populations nomades pratiquant fort peu l’agriculture : indios de guerra pour les Espagnols, Chichimèques pour les gens du domaine aztèque. On connaît également bien les progrès du peuplement liés aux transformations économiques coloniales et post-coloniales : progrès liés aux mines d’argent du xvie au xviiie, progrès liés à l’irrigation à la fin du xixe et au xxe siècle.
3Mais l’histoire du peuplement n’est pas entièrement éclaircie pour autant. Tout d’abord on ne peut assurer qu’aux zones actuelles de population indigène — métissée peu à peu — ne s’ajoutaient pas d’autres zones indigènes fortement occupées, dans le centre-ouest en particulier (Michoacán-Jalisco), qui auraient moins bien résisté encore aux violences et aux déséquilibres de l’occupation coloniale que le domaine aztèque. Ensuite pour les périodes où les chiffres de recensements sont disponibles (depuis 1900 principalement) on ne peut admettre sans prudence l’augmentation de population enregistrée. A l’échelle des Etats fédératifs, les progrès des méthodes de recensement peuvent faire croître les chiffres plus vite que la réalité. A l’échelle du municipe ou du noyau de peuplement, on se demande parfois si la croissance plus rapide des agglomérations supérieures à 2 500 habitants ne correspond pas pour une part à un simple regroupement comptable des chiffres correspondant à des populations dispersées dans la réalité.
A. — Les zones fondamentales du peuplement
4On peut reprendre ce terme du sociologue mexicain de la fin du siècle dernier, Molina Enriquez, terme qui convient bien aux régions qui sont densément peuplées depuis longtemps. Ces régions sont toutes d’altitude supérieure à 1 000 m et en général supérieure à 1 500 m. Une population dense s’est accumulée dès avant l’époque coloniale, car elle pratiquait la culture du maïs et des plantes qui lui sont encore de nos jours associées sur des champs permanents. On trouve actuellement dans ces zones fondamentales des densités moyennes (grandes villes exclues) supérieures à 40 habitants au kilomètre carré. Ce qui signifie bien sûr des densités moindres de populations d’agriculteurs (20 ou 30). Mais comme les surfaces cultivables ne couvrent pas l’ensemble de ces régions, loin de là, les densités réelles représentées par les agriculteurs et leurs familles sont bien supérieures dans les surfaces agricoles. Dans divers bassins ces densités atteignent 100 ou 150.
5Une première région de peuplement dense existe au Chiapas, dans les montagnes centrales ; elle se prolonge dans les montagnes du Guatemala. Si on ne peut dire avec certitude ce que furent les densités de population de l’époque précoloniale, on sait que le peuplement abondant est ancien et s’est maintenu jusqu’à nos jours sans grands changements linguistiques ou sociaux depuis l’époque coloniale. Si un climat favorable d’altitude, non malarien, explique ces accumulations humaines du Haut Chiapas, la qualité des sols est médiocre et ne favorise guère la vie rurale.
6La zone fondamentale du Mexique central est beaucoup plus vaste, plus complexe aussi par son évolution historique. Elle va du bassin de Oaxaca au sud à ceux du Mezquital au nord ; et du versant intérieur de la Sierra Madre orientale à la région du lac de Chapala d’est en ouest. Cet ensemble présente des densités plus fortes et une extension selon les parallèles bien plus large dans sa partie orientale, qui correspond à l’ancien domaine aztèque. La portion occidentale qui est plus étroite comporte une densité de population plus faible, sauf très localement dans quelques morceaux du pays tarasque. On note que cette portion occidentale est moins élevée (au-dessous de 2 000 m en général) que la partie orientale la plus peuplée (bassins dont le fond s’étage entre 2 200 et 2 600 m). Mais en même temps on sait que l’organisation de l’espace réalisée par l’empire aztèque était supérieure à celle de la portion occidentale. Enfin un élément favorable apparaît dans tout l’axe principal du Mexique central : les sols de l’axe néovolcanique, dérivés souvent de basalte ou de cendres volcaniques.
7L’époque coloniale a vu s’étendre cette zone fondamentale en direction du nord : les moyens militaires des Espagnols leurs permirent de faire reculer les indios de guerra et de peupler ainsi des plaines cultivables en partie avec des indiens transplantés, en partie avec des immigrants. C’est surtout dans la portion occidentale que les bassins du Bajío, drainés par les affluents du rio Lerma, constituèrent un domaine agricole nouveau ajouté au vieux pays indigène tarasque. Les techniques d’irrigation jouèrent un rôle important dans cette extension du domaine agricole.
8A l’époque du Mexique indépendant, cette région centrale reste le cœur du pays. Le Bajio est la principale région du brassage de population et du métissage, mais l’importance numérique de la population et des villes de la portion orientale reste prépondérante. L’ensemble se prolonge par les foyers de métissage du nord minier proche. Au contraire les plateaux et bassins de Oaxaca restent à l’écart du métissage ; leur pauvreté se révèle pleinement au xxe siècle à mesure que l’abus du déboisement détériore leurs sols. Depuis un demi-siècle la région centrale connaît des difficultés rurales : la population très dense gêne la modernisation agricole ; les surplus de population paysanne se déversent vers les métropoles, surtout vers la capitale qui croît énormément.
B. — Les « Nords »
9Les régions désertiques du nord ont fait l’objet d’une conquête par étapes successives. Des populations en général déjà métissées venues de la zone fondamentale du Mexique central ont pénétré de plus en plus loin.
10La première étape de la conquête du nord se fait à l’époque coloniale : elle est liée à l’exploitation des mines d’argent. Dans une zone déjà désertique ou à la limite sud du désert, des noyaux se sont créés à Pachuca, Querétaro, San Luis Potosí, Guanajuato, Zacatecas, Durango, selon un axe nord-ouest-sud-est. Jusqu’au deuxième tiers du xixe siècle un nomans’land existait plus loin, encore menacé par les indiens nomades.
11On ne cesse de buter sur ce nomans’land que lorsque les voies ferrées rejoignent les Etats-Unis. A partir de ce moment le nord attire non seulement par ses ressources propres mais aussi par les échanges qu’il permet avec le voisin. Ainsi, dans la seconde moitié du xixe siècle, outre certaines mines isolées, le nord peuplé englobe déjà les régions de Monterrey, de Matamoros et les terres irriguées de la Laguna : les indiens nomades sont éliminés tandis que la frontière des Etats-Unis se rapproche considérablement, par la perte d’immenses territoires qui précisément, au moment de leur détachement du territoire national, cessent d’être nomans’land.
12Le nord actuel est celui de la frontière liée aux deux foyers d’attraction, Texas et Californie : zones irriguées frontalières, zone franche commerciale, régions d’accueil du tourisme nord-américain ; mais aussi route du nord-ouest avec ses zones irriguées et route du nord-est. Cependant la naissance du grand nord frontalier s’est accompagnée de la décadence du nord colonial dont la population s’est médiocrement accrue depuis un demi-siècle ; une émigration s’est en effet dessinée depuis cette dernière région au profit du nord nouveau. On doit noter que ce mouvement pionnier vers le nord a plus profondément changé l’équilibre économique mexicain que l’équilibre du peuplement. De vastes secteurs totalement vides apparaissent en Basse-Californie et au Sonora comme au Chihuahua et au Coahuila : deux déserts séparés par la région plus peuplée de la Sierra Madre occidentale plus humide. Les densités sont médiocres ailleurs (1 à 10 habitants au kilomètre carré), sauf sur quelques points ou quelques axes. Hors des agglomérations urbaines, est densément peuplée la région irriguée de la Laguna (plus de 40). Ailleurs les densités sont moindres, en général autour de 20 : dans le ruban des oasis de la route du nord-ouest, dans le ruban du piémont oriental de la Sierra Madre orientale, prolongé depuis Monterrey vers Saltillo et vers Matamoros ; enfin dans deux noyaux, l’un important à l’embouchure du Colorado, l’autre médiocre autour de Matehuala (nord du San Luis Potosí).
C. — Les « Tropiques »
13En général les basses terres tropicales ont un peuplement plus faible que les régions élevées. Même si certains secteurs ont une population assez forte, un contraste apparaît presque toujours au profit des régions élevées qui dominent un secteur déprimé. Certaines régions, couvertes de forêt dense, sont vides d’hommes : l’isthme de Tehuantepec à l’exception du peuplement récent lié à la voie ferrée et à la route transisthmiques ; une bonne partie de la péninsule yucatèque au pied des hautes terres du Chiapas et du Guatemala : des prolongements de la forêt du Peten occupent une part du Tabasco, du Chiapas et surtout du Campeche et du Yucatán et à peu près tout Quintana Roo. Sur le versant pacifique aucune région n’est complètement vide : l’homme se disperse dans la forêt caduque.
14Les raisons du vide humain ne sont pas propres au Mexique : jusque vers 1940 la malaria n’était pas dominée. Cependant certains éléments défavorables n’apparaissent guère au Mexique : ainsi on n’y trouve pas de vastes surfaces latéritiques développées sur des socles anciens, car le relief est jeune : les sols des pentes des collines sont récents, parfois issus de roches volcaniques ; seules des terrasses fluviales anciennes sont latéritisées et elles occupent des surfaces restreintes. Il faut surtout noter que certaines régions tropicales liasses ont un peuplement dense. Une partie du Yucatán, les basses terres du Golfe dans la plus grande partie de l’état de Veracruz, la partie centrale du Tabasco ont des densités supérieures à 40. Des noyaux de même densité, plus limités, apparaissent pour la façade pacifique au Colima ou dans la Costa Chica à l’est d’Acapulco (Pinotepa Nacional, Ometepec) et au Soconusco (Chiapas).
15Nul doute que certains secteurs ne bénéficient d’un milieu favorable : en particulier des sols volcaniques (portion de la côte de Veracruz et Soconusco) ou des sols jeunes de collines en d’autres points. Mais il ne semble pas que la malaria ait fait défaut dans ces secteurs favorisés pour leur agriculture. Peut-être n’y avait-on avant 1940 des densités élevées que grâce à l’apport constant de populations émigrées depuis les zones fondamentales qui dominent ces zones tropicales. Reste le Yucatán, îlot de peuplement maya installé en un milieu fort médiocre, séparé du reste des populations maya par les espaces reconquis par la forêt dense depuis plusieurs siècles ; elle avait été défrichée par les habitants de l’ancien empire, constructeurs de monuments, habitants sûrement nombreux. Seules des explications régionales peuvent faire comprendre les contrastes de ce peuplement tropical.
16Ce peuplement s’est modifié depuis une cinquantaine d’années et surtout récemment. La croissance démographique de ces régions suppose tantôt simplement que la mortalité a cessé d’y être plus forte que dans les hautes terres, tantôt qu’une immigration depuis les hautes terres a permis une croissance supérieure à la moyenne nationale. Certaines régions croissent moins vite que l’ensemble du pays : c’est le cas du Yucatán qui a dû garder une mortalité plus élevée qu’ailleurs jusqu’aux années récentes. Dans les états de Campeche, Tabasco et Veracruz, la croissance démographique suit la moyenne nationale dans les trente dernières années, mais on doit assister à un mouvement à l’intérieur du Veracruz depuis la Sierra vers les terres basses nouvellement mises en valeur. L’immigration depuis d’autres états est cependant très modeste vers le Veracruz. Elle est plus nette sur la côte pacifique vers le Colima ; sans doute le mouvement vers les terres chaudes se produit-il aussi à l’intérieur des états de Jalisco et Michoacán comme vers la Costa Grande de Guerrero (ouest d’Acapulco). Mais seule l’analyse à l’échelle des municipes permettrait une connaissance précise de ce phénomène.
17Il semble qu’en même temps que commence l’essor démographique des terres chaudes, une concentration de la population en noyaux plus importants apparaît. Certes il faut ici se méfier du matériel statistique. R. Lopez de Llergo a montré que dans le cas du Tabasco central le recensement de 1940, très précis en ce qui concerne l’énumération des hameaux et de leur population, permettait de faire apparaître un peuplement très dispersé sur la carte de population dessinée par points. Au contraire les données du recensement de 1950 laissent supposer un peuplement en noyaux plus gros séparés de vides : c’est seulement une simplification de la présentation statistique, sans concentration plus marquée.
18Quoi qu’il en soit de certains cas particuliers, la multiplication en terre chaude des noyaux de peuplement supérieurs à 2 500 habitants est remarquable en un demi-siècle (1900-1950). Bien entendu le même phénomène existe dans le nord désertique. Mais dans les terres chaudes le phénomène de concentration concerne des zones qui n’étaient pas vides cinquante ans avant ; parfois ces zones étaient presque aussi peuplées que les hautes terres où ce phénomène de concentration récente n’est pas frappant ; en effet le gros village (pueblo) est en haute terre une réalité ancienne, précoloniale ou coloniale. Au contraire en terre chaude il doit accompagner l’accession récente à une économie d’échange plus intense.
19Ainsi le peuplement du Tropique est un fait parfois ancien, mais sa part dans la population mexicaine augmente récemment et on peut penser que ce mouvement s’accentue. Les faibles distances qui séparent hautes terres des zones fondamentales et terres chaudes permettent un apport diffus de population qui, sans être aussi spectaculaire que les migrations à longue distance vers le nord, peut permettre de soulager les campagnes du haut pays surpeuplé et favoriser la mise en valeur des terres du bas pays.
20Au total, la carte du peuplement mexicain présente une dissymétrie fondamentale entre la moitié tournée vers le Golfe et celle tournée vers le Pacifique. Les possibilités du milieu, mais peut-être surtout le niveau de civilisation atteint dès avant la colonisation expliqueraient le peuplement plus dense de la moitié tournée vers le Golfe : contacts de civilisation entre pays maya et pays de Teotihuacán, capacité d’organiser de vastes espaces ; cet espace oriental est plus contrasté dans ses régions climatiques donc plus varié sur des distances plus courtes que l’espace pacifique ; un milieu aussi où la circulation serait moins entravée que du côté de la formidable Sierra Madre occidentale. A des époques plus récentes s’ajoute à cela le l'ait que l’histoire coloniale passa par Veracruz et que l’histoire du xxe siècle lie le Mexique au grand foyer industriel nord-américain, c’est-à-dire à l’est des Etats-Unis plus qu’à la Californie, au moins jusqu’à présent.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
Les problèmes évoqués ici s’éclairent à la lecture de Molina Enriquez. Los grandes problemas nacionales, PAIM Vol. V, no 1 supplément, 1953, p. 15, p. 114 sq. Sur le tropique on peut relire Gourou, P. Les pays tropicaux, Paris, 1966, 4e édition refondue, p. 51, 56-60, 67-76, 124-127. Aussi Rosenzweig, F. CE décembre 1958 et juin 1959 ; et un rapport dactylographié de Bassols Batalla, A. Teoría y ejemplos concretos de colonización del tropico mexicano, 1965 (?), 49 p., obligeamment communiqué par l’auteur. Enfin Chevalier, F. et Huguet, L. Peuplement et mise en valeur du tropique mexicain, Miscellanea Paul Rivet, UNAM, 1958, T II.
Certains matériaux plus historiques nous sont donnés par les travaux de Jimenez Moreno, W. dans Historia de Mexico (collaboration avec Garcia Ruiz), INAH. 1962, p. 9-29 et dans Historia de Mexico (collaboration avec Miranda et Fernandez, M. T.), Porrua, 1963 : les idées de ces synthèses d’histoire précoloniale ou plus récente m’avaient servi à esquisser certains problèmes dans Bataillon, C. L’axe néovolcanique dans la géographie du Mexique central, RG juin 1966, p. 17-28.
Sur les densités de population de 1900 à 1950 la meilleure étude est fournie par Distribución geográfica de la poplación en la república Mexicana, où Lopez de Llergo, R. analyse et critique les documents en terre chaude (p. 10-16). Des erreurs d’impression rendent malheureusement inutilisable la carte de densité de population de l’Atlas de Tamayo.
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