Les types de colonisation et leurs relations
p. 172-199
Texte intégral
A. Les formes de colonisation
"... la faiblesse des avances pionnières, là où elles devraient être les plus vivaces et où les conditions naturelles ne sont pas prohibitives, est à la fois une conséquence et une forme du sous-développement. L’évolution harmonieuse du Tiers-Monde des Tropiques comporte, sinon en priorité en tout cas avec urgence, l’organisation des franges pionnières".1
1Le décalage entre les objectifs ambitieux des politiques de colonisation et les résultats médiocres obtenus, l’écart entre les niveaux de techniques et de revenus du "petit propriétaire" pionnier et du comunero indigène, le dualisme relatif entre économie de plantation et économie de subsistance, à l’intérieur des Tierras Calientes, sont l’expression profonde du sous-développement du Mexique, des contradictions d’intérêts de groupes sociaux antagonistes, de l’insuffisance des ressources financières nationales pour financer simultanément, avec la puissance nécessaire, urbanisation, industrialisation et développement agricole. La variété des formes de colonisation agricole, leurs oppositions, sont à l’image de cette société qui réunit les agriculteurs de la coa et ceux de la combine.
1) TYPES DE PROCESSUS DE COLONISATION. TYPES D’EXPLOITATIONS
a) Les colonisations spontanées, dirigées, planifiées2
2Les exemples régionaux de colonisation récente (étudiées dans la IIIe partie) nous ont montré que les formes prises par la colonisation ne se différenciaient pas seulement en fonction des milieux naturels divers, de réseaux de communications plus ou moins développés, de systèmes agricoles plus ou moins traditionnels. Les formes de colonisation diffèrent également selon le degré d’organisation, selon l’identité de l’autorité organisatrice, selon que les colons agissent collectivement ou individuellement. Nous distinguons donc d’abord :
colonisation spontanée, | |
colonisation dirigée, | |
colonisation planifiée ; | |
et dans un second temps : | |
colonisation individuelle, | |
colonisation collective. |
La colonisation spontanée
3Quand il s’agit de communautés agraires, de groupes d’agriculteurs, qui colonisent spontanément de nouvelles terres, en déplaçant leur groupe social, en changeant de lieu de résidence, il y a au départ du mouvement une prise de conscience, celle de la possibilité d’améliorer un sort pesant, en migrant. Il n’y a pourtant pas une rupture totale avec le groupe de départ, puisqu’il s’agit en général de reconstituer un groupe semblable dans un milieu différent, de conserver son identité de communauté agricole. Entre la communauté mixtèque qui émigre en masse vers les terres chaudes de la côte Pacifique, et les individus de la même région qui émigrent vers Mexico, il y a une différence fondamentale : dans le premier cas la civilisation agraire, même modifiée, subsiste, alors que dans le second cas l’individu s’intégre et disparaît dans un milieu urbain totalement étranger.
4Quand on a affaire à des communautés colonisatrices, on peut dire que la colonisation est pour elles un moyen d’échapper au processus de désintégration sociale amorcé par l’explosion démographique et la diffusion de l’économie moderne. En effet, les communautés qui émigrent pour une colonisation spontanée appartiennent, au Mexique, aux groupes et aux régions les plus pauvres et les moins intégrées : essentiellement les populations indigènes dont l’identité culturelle est mise en cause (cf. même chapitre, 2).
5La colonisation spontanée individuelle est surtout motivée par la spéculation, le désir de réussir du point de vue économique. Elle est le fait d’individus, moyens ou grands propriétaires, qui agissent comme chefs d’entreprises de colonisation. "L’orientation marchande sans cesse plus marquée de la colonisation des terres neuves"3 est due à ces innovateurs qui introduisent massivement les plantations dans la région du Golfe, dans le Soconusco sur le versant Pacifique. Au XIXe siècle, ce sont des capitalistes et hacendados étrangers qui pilotent l’avancée des plantations : haciendas du cacao dans le Tabasco, du café dans le Chiapas, de la canne à sucre dans le Papaloapan. Depuis les lois agraires de 1915 et 1917, la division préventive des latifundios entre parents, la descente de grands propriétaires du Plateau Central vers les terres chaudes ont fourni de nouvelles générations de colons spontanés, s’orientant maintenant vers l’élevage intensif et, chose nouvelle, vers certaines cultures vivrières qui ont un large marché national : ainsi ces exploitations qui cultivent le riz dans la zone de Champoton (Campeche) et dans le nord de l’Isthme.
6La colonisation individuelle spontanée ne s’est développée qu’avec l’extension croissante des voies de communications. Orientée vers la commercialisation, employant des techniques modernes (engrais, insecticides, machines) qui exigent des relations aisées avec les fournisseurs, elle dépend beaucoup plus du réseau routier que la colonisation spontanée communautaire, qui peut se contenter de reconstituer un système de production quasi autarcique dans les milieux forestiers les moins pénétrés : ainsi ces communautés Mixes du haut-bassin des rios Trinidad et Lalana dans l’Oaxaca, ou les communautés Tzeltales de Lacandonie. La colonisation individuelle spontanée est ainsi beaucoup plus liée à la civilisation urbaine ; d’ailleurs commerçants, avocats, hommes politiques des petites villes des terres chaudes sont le plus souvent des propriétaires fonciers, et des capitaux engendrés par le commerce ou même l’industrie sont réinvestis dans les secteurs de colonisation récente. Les commerçants de Campeche, Mérida, Villahermosa créent des ranchs d’élevage le long de la nouvelle route Villahermosa-Champoton par Escarcega, l’argent amassé dans la pêche industrielle à la crevette de Ciudad del Carmen est utilisé pour planter la côte en cocotiers.
7Les colonisations spontanées, individuelles et collectives ne sont pas toujours radicalement différentes :
8en premier lieu, les communautés agraires traditionnelles qui émigrent dans les terres chaudes transforment parfois leur système de production pour se lancer dans les spéculations les Mixes du Oaxaca, dans la première moitié de ce siècle, ont ainsi glissé de l’étage tempéré vers l’étage "caliente’l en adoptant le caféier ; certains groupes de colons enfin, par leur petit nombre, par l’absence de structures communautaires dans la zone de départ (familles venant de villes comme Cordoba par exemple) s’apparentent plutôt aux colons individuels : ainsi certaines colonies, dans l’Isthme (celle de Loma Bonita, par exemple, citée par Siemens) ont créé des exploitations moyennes (50 hectares) indépendantes, tournées vers la production commercialisée du maïs, riz, sésame.
9De même les frontières ne sont pas toujours nettes entre la colonisation spontanée et la colonisation organisée ; le cas n’est pas rare de constater qu’une colonie officielle n’est que la légalisation d’une occupation spontanée de terres nationales ou de latifundios inexploités. Les colons demandent leur reconnaissance et un statut de colonie pour éviter leur éviction par de nouveaux occupants.
La colonisation organisée
10L’organisation peut porter sur l’installation des colons sur le lotissement des terres, sur l’encadrement technique des colons ; l’organisation peut également n’être que périphérique et porter sur l’aménagement d’un réseau de communications spécialisées, sur l’installation d’une industrie de transformation des produits agricoles et son approvisionnement. Mais "si dans tous les cas, la civilisation moderne technicienne intervient, (si) un organisme spécialisé se charge de préparer, de canaliser le mouvement, son action peut se poursuivre jusqu’à un stade plus ou moins avancé de la mise en valeur".4
11Très proches de la colonisation spontanée, on trouve d’abord les hacendados du henequen, dans le Yucatan ; l’organisation de la colonisation se situe dans la création : d’un réseau ferré spécialisé pour le transport des pencas, d’un réseau de défibreuses, et également, en aval de la production et de la transformation, dans la commercialisation par un seul monopole étranger.
12La colonisation organisée privée, conçue comme une entreprise lucrative, fréquente en Argentine et au Brésil, est finalement très rare au XXe siècle au Mexique. On en trouve des exemples en dehors des terres chaudes, sous le Porfiriat, quand la "Compania Mexicana de Colonizacion y Agriculture", pour le compte du gouvernement établit des colons mormons dans le Chihuahua5. Mais l’action des "Companies Deslindadoras" et des compagnies de colonisation étrangère comme la "Colorado River Land Company" dans la vallée de Mexicali, ont disparu avec la Révolution mexicaine et la politique agraire cardéniste.
13On ne peut guère parler aujourd’hui de colonisation organisée privée que dans le cas des grands ingenios sucriers de propriété privée, comme celui de San Cristobal (racheté par le gouvernement en 1970) dans le Papaloapan, ou les petits ingenios du Tabasco : l’organisation est ici celle de la production, des défrichements, des mises en culture, avec pour objectif l’alimentation en canne de Vingenio. En revanche, le régime de la propriété foncière n’est pas concerné.
14La colonisation organisée officielle est le type le plus fréquent de colonisation au Mexique. Il faut sans doute voir là une conséquence du rôle de plus en plus grand de l’Etat dans la vie économique, une conséquence aussi de la Réforme Agraire, et de la création d’une administration spécialisée dans la répartition des terres. Comision Nacional de Colonizacion jusqu’en 1958, Département Agraire depuis 1934, ont organisé la colonisation avec des propriétaires privés et des éjidatarios. Mais alors que dans les zones semi-arides du Nord cette colonisation officielle, créatrice de districts d’irrigation devaient intervenir à tous les niveaux :
construction d’infrastructures hydrauliques et routières,
lotissement des terres,
installation des colons,
crédit et commercialisation,
15dans les terres chaudes du Golfe la colonisation organisée officielle n’a fait jusqu’à une date récente, que choisir terres et colons, construire un minimum d’infrastructures, amener les colons en les laissant à leur sort. C’est d’ailleurs là la raison des échecs observés dans le Papaloapan (éjido de la Joya) ou le Campeche (éjidos du Rio Candelaria). Dans le cas des petits colons et des êjidatarios, le hiatus entre l’objectif de la colonisation : donner des terres en élevant le niveau de vie des agriculteurs, et les moyens en capital et crédit mis à.la disposition des colons, a provoqué un échec économique et humain : les nouveaux colons vivotent ou émigrent,
16Les formes de colonisation organisée officielles différent ainsi selon les moyens mis à la disposition des colons. Les colons privés, qui achetaient leur terre, qui avaient un petit capital personnel au départ, qui obtenaient des parcelles plus grandes (entre 25 et 50 hectares contre une dizaine pour les éjidatarios) et des crédits privés (leur propriété servant de garantie) ont en général mieux réussi que les éjidatarios.
17La situation a changé depuis 1958, depuis que la colonisation officielle se confond avec la Réforme Agraire, depuis que les gouvernants sont plus sensibles aux nécessités techniques et politiques d’une aide accrue à l’éjido. On a compris que
"se requiere una politico, audaz de fuertes inversiones racionales, que creen fuentes de trabajo en gran escala y aseguren un verdadero salto cualitativo del tropico y de las zonas aridas de Mexico. Sin desarrollo econorrrico, la migracion de grandes masas de poblacion hacia las regiones marginales o de reserva, esta condenada al fracaso".
18Dans le cas de la zone de Chapacao, cette nouvelle politique a été appliquée sous le Président Lopez Mateos : le Département Agraire a sélectionné les terres, les a vendues à bas prix aux colons (70 pesos l’hectare) qui ont reçu 25 hectares chacun ; des chemins ont été construits pour relier la zone à la route Tampico ; les colons ont été amenés de plusieurs Etats, en petits groupes, ont reçu un crédit pour l’alimentation quotidienne (10 pesos), le matériel nécessaire à la construction de maisons. Le Banco Agricola a ensuite donné les crédits nécessaires pour de nouvelles cultures comme le coton, et pour l’achat de machines agricoles et tracteurs.
19Mais malgré l’organisation et un certain niveau d’encadrement financier et technique, ces colons restaient maîtres de leurs cultures, maîtres de leurs lots.6
20La trilogie de la colonisation officielle mexicaine : colonies de subsistance, communautés indigènes déplacées, colonies d’exploitants moyens (propriétaires privés ou éjidatarios), se retrouve dans d’autres pays d’Amérique Latine. Ainsi au Guatémala voisin, le gouvernement a mené d’une part une colonisation de tous petits exploitants et d’indigènes, et d’autre part, avec l’aide financière nord-américaine, une colonisation reposant sur des unités d’exploitations jugées "économiques". Entre 1954 et 1959, 4600 familles reçurent ainsi environ 20 hectares chacune, pris sur des terres de l’United Fruit Company et sur des terres de colons allemands expropriés pendant la Seconde Guerre Mondiale.7
21Mais poussé par la nécessité technique d’organiser la production des nouveaux centres de peuplement éjidal, d’éviter le gaspillage des ressources forestières et des pâturages, poussé également par la volonté d’aménager les deltas tropicaux du Golfe, le gouvernement mexicain est entraîné vers une colonisation et une mise en valeur planifiées.
22La colonisation planifiée est la forme la plus perfectionnée de la colonisation organisée. Elle peut exister dans le cadre de la colonisation privée, lorsque l’entreprise de colonisation et l’entreprise de production se confondent : c’est le cas ainsi des plantations bananières d’Amérique Centrale avec leurs ports privés, routes, parcs de machines et leurs salariés. C’est le cas aussi (ou du moins c’était) des compagnies d’irrigation américaines comme celles du Sinaloa au début du siècle.
23Mais actuellement la colonisation planifiée est l’affaire de l’État et de ses dépendances : le Département Agraire et surtout les Commissions autonomes du ministère de Recursos Hidraulicos. (Comision del Grijalva, del Balsas).
24À l’échelle des communautés de colons, les éjidos forestiers du Quintana Roo, nouvellement créés, les éjidos d’élevage de Chapacao sont déjà dans l’antichambre de la colonisation planifiée, dans la mesure où une structure communautaire est imposée à l’exploitation éjidale, et où la spécialisation de la production : élevage ou exploitation forestière au lieu de la milpa traditionnelle, est le résultat d’études techniques et d’un travail de persuasion auprès des éjidatarios ; dans la mesure aussi où le crédit est strictement consacré à ces seules productions.
25Mais c’est à l’échelle régionale que la colonisation planifiée est aujourd’hui la plus visible : dans la Chontalpa (cf. IIIème partie) tout est planifié, tout est remodelé : structure agraire, systèmes d’exploitation, habitat. C’est le règne de la technique, des techniciens mais aussi peut-être des technocrates. Le périmètre de colonisation et d’aménagement se transforme alors en une véritable entreprise nationalisée.
b) du latifundio au minifundio
26La Réforme Agraire, le jeu des divers types de processus de colonisation ont transformé la structure agraire du Tropique Humide, et fait apparaître de nouveaux types d’exploitations.
27Les changements dans la structure agraire.
28Répartition des grandes exploitations peu exploitées entre éjidatarios, division du latifundio entre moyens exploitants qui introduisent des techniques et une production intensives, création de colonies privées et éjidales ont pour conséquence l’apparition d’un gros secteur d’exploitations moyennes.
29Faute de statistiques municipales disponibles pour une longue période, nous ne pouvons malheureusement que retracer l’évolution de la propriété à l’échelle des États du Golfe et du Sud-Est. Depuis le début de la répartition des terres et de la colonisation calliste, l’exploitation moyenne, familiale, comprise entre 10 et 50 hectares, passe de 27 866 unités en 1923 (cf. tableau no 47.) à 117 021 en 1960, dans l’ensemble Veracruz-Tabasco-Campeche-Yucatan-Quintana Roo-Chiapas. Il est significatif que l’exploitation moyenne de ces États représente 27 des exploitations, alors que ce pourcentage descend à 15 % pour l’ensemble du Mexique. C’est là à notre avis une conséquence de la colonisation
30La très grande propriété, le latifundio d’élevage ou forestier a reculé : les exploitations de plus de 1000 hectares en 1960 dans la zone considérée sont au nombre de 1308 contre 2499 en 1923. Sur ce nombre, des communautés indigènes, des terres nationales qui figurent comme grandes exploitations dans les recensements sont en réalité divisées entre comuneros, ocupantes. Il est toutefois remarquable que les grandes exploitations du Tropique Humide du Golfe et du Sud-Est constituent 10 % des grandes exploitations du Mexique en 1960, contre 19 % en 1923. Colonisation et Réforme Agraire ont donc été plus efficaces dans le Tropique Humide que dans les Nords semi-arides, pour diminuer le nombre des latifundios.
31En revanche, la grande exploitation qui dépasse le cadre familial et suppose obligatoirement une main d’œuvre salariée permanente, plantation, exploitation de céréales et oléagineux, et exploitation d’élevage intensif a cru fortement depuis 1923. Ce groupe, que nous identifions à la classe 50-1000 hectares, passe ainsi de 15 452 unités à 37 616, soit 27 % des grandes exploitations mexicaines.
32Le minifundio et la petite exploitation familiale, moins de 10 hectares, augmentent le plus : 48 399 exploitations en 1923, 367 428 en 1960. Il est vrai que les minifundistes se trouvent dans les zones de peuplement indigène, de peuplement ancien, dans les sierras et les Altos, là où la terre à distribuer manquait. Mais les petites exploitations, où l’on trouve la majorité des éjidatarios des centres de colonisation, se sont constituées également en tierras calientes. Ces petites exploitations représentent le quart de celles du Veracruz et du Tabasco, le tiers de celles du Yucatan, Campeche, Chiapas.
33Pour résumer l’évolution de la structure agraire, et sous réserves d’études plus approfondies à réaliser au niveau municipal, tandis que la Réforme Agraire dans les zones peuplées et les terres tempérées augmentait le groupe des minifundistes, elle constituait une petite exploitation familiale dans les terres chaudes. Quant à la colonisation privée, mêlée au phénomène de division spontanée des grands domaines, elle créait un groupe important de moyennes exploitations familiales et de grandes exploitations privées.
2) LES COLONISATIONS INDIGENES
34Les formes de colonisation distinguées dans le chapitre précédent peuvent être étudiées également dans le cadre d’un type particulier de populations : les populations indigènes. L’importance numérique des populations indigènes au Mexique, la localisation de la plupart d’entre elles au voisinage de la terre chaude, dans les sierras, ou au coeur même des zones à coloniser justifient cette attention particulière.
a) deux facteurs expliquent historiquement la mise en mouvement de populations indigènes avec pour but une colonisation agricole : le surpeuplement et le désir d’échapper à un contrôle politique ou économique
35Le surpeuplement par rapport aux ressources des communautés est apparu dans les sierras de Puebla, d’Hidalgo, de Oaxaca, à la suite de la conjonction, à la fin du XIXe siècle, d’une amélioration sanitaire (fin des grandes épidémies) et des spoliations de biens communautares à la faveur des lois de Réforme et de colonisation.
36Le désir d’échapper aux divers systèmes d’oppression, encomienda, semi-servage des baldios, la pénétration de métis dans les communautés originelles, expliquent aussi des mouvements migratoires comme ceux observés dans les Chiapas au XVIII et XIXe siècles, ou ceux de la péninsule yucatèque entre 1880 et 1930 (des communautés essaiment alors vers le Quintana Roo).
37Mais depuis trente ans, une nouvelle amélioration des conditions sanitaires provoquant un accroissement sensible de population, la décomposition des structures communautaires sous les coups des commerçants, bureaucrates, caciques métis, renforcent ces tendances à la migration et à la colonisation.
b) La colonisation peut avoir lieu, dans une première étape, sur place
38Le surplus de population colonise dans ce cas les marges du terroir, souvent à cheval sur plusieurs étages climatiques. L’étage de terre tempérée ou l’étage de terres chaudes prennent plus ou moins de valeur selon les cycles économiques. Ainsi au XIXe siècle, à partir de 1800, l’introduction des plantations de café et de manguier, et la construction d’une route de Fortin à Huatusco qui en permet la commercialisation entraînent le défrichement, par une population indigène croissante, de la portion de versant comprise entre 1300 et 1600 mètres, alors que précédemment les cultures vivrières n’utilisaient qu’un étage plus élevé.
39De même dans la Chinantla, à l’Ouest de Tuxtepec et de Valle Nacional (Oaxaca) les communautés des cerros et des collines du bas versant de la Sierra Madre, qui y cultivaient maïs et café, sont descendues dans les vallées (rio Cajones, rio Santo Domingo) pour cultiver bananiers et tabac sur d’étroites "vegas", le long des rios.8
40Chez les Zapotèques de choapan, dont les terroirs traditionnels s’accrochent au massif du Cempoaltépetl, entre 800 et 1000 mètres (région du Choapan, de Yaveo, de Comaltepec), une bonne part des écarts correspondent à une période de formation de communautés nouvelles, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Là encore, la croissance démographique s’allie à l’intrusion du café dans l’économie locale pour déclancher le mouvement de colonisation. D’ailleurs Yalaltèques, Mixes, Zapotèques se mêlent dans ce mouvement, chaque groupe créant des communautés nouvelles dans la même zone = Latani, Chinantequilla, El Arenal9.
41Toutes ces colonisations s’effectuent à très courte distance, dans des terroirs complémentaires et on peut les qualifier de colonisation sur place. Ces mouvements limités correspondent à la volonté des nouvelles communautés de rester en relation étroite avec les communautés mères, plutôt qu’à une réticence du montagnard à descendre dans les terres chaudes. Guy Stresser Pean a observé ce même type de colonisation dans la Huastèque, où : "les indiens des environs de Tancanhuitz ont envoyé un petit détachement fonder un ejido sur le territoire de l’hacienda de Palmira, à trois heures de marche à pied, mais il n’y a pas eu de volontaires pour coloniser la vallée de Tanahachin à 30 kilomètres de là.... Les gens de langue espagnole se déplacent en général plus facilement que les indiens."10
c) le travail saisonnier dans les plantations pionnières
42Une seconde étape dans la mise en mouvement des populations indigènes est historiquement leur participation, volontaire ou forcée, à la colonisation menée par les grandes plantations. Dans le cas des fincas de café du Soconusco, des plantations de tabac, de coton puis de canne à sucre du Veracruz, développées â partir de 1870-1880, les communautés indigènes des "Altos" fournissent la main d’œuvre saisonnière pour la pizca et la zafra. Nous ne reviendrons pas ici sur la description des saisonniers tezltal-tzotzil des Chiapas, faite par H. Favre ; d’autres migrations tout aussi importantes, mais moins connues, sont le fait des indiens de la Sierra Norte de Puebla, nahuatls ou otomis, minifundistes ou travailleurs sans terre, qui migrent "por abajo" chaque saison, vers la zone de plantations de Poza Rica (canne, café, orangers) ; le salaire y est le double du salaire agricole de la sierra (6 pesos seulement il y a quelques années).
43Dans la Mixtèque de Oaxaca, où il est rare que le minifundiste indigène puisse cultiver plus d’un hectare, la principale source de revenus (outre l’artisanat du chapeau de palma) est le travail saisonnier dans les plantations de canne à sucre du Papaloapan ou de la zone Cordoba-Orizaba.
44Ce travail saisonnier permet pendant un certain temps à la communauté indigène de lutter contre le surpeuplement des terroirs d’altitude, mais c’est à long terme un facteur de décomposition de cette communauté : les travailleurs saisonniers, surtout les jeunes et les sans terre, finissent par chercher à s’établir définitivement dans les "bajos".
d) la colonisation spontanée à longue distance
45Après éclatement de la communauté-mère, deux formes de colonisation spontanée peuvent être distinguées :
46La forme la plus courante, tout au moins dans le sud du Veracruz, jusqu’à la Réforme Agraire, associe encore le colon indigène à la grande plantation. Le planteur de tabac, de canne à sucre trouvait intérêt à autoriser la formation, sur les marges de son domaine, d’une communauté de peones indiens, travaillant dans la plantation, mais ayant également le droit de cultiver une parcelle en maïs pour leur propre subsistance. La colonie indigène correspond alors au village de colonos que l’on connaît en Amérique du Sud, et tend à se transformer simplement en hameau de peones acasillados. La formation de communautés mixes, zapotèques, mixtèques de ce type a ainsi eu lieu dans les bajos de Playa Vicente, du Valle Nacional, à la fin du XIXe siècle. (cf. IIIe partie, ch. A 1). Mais avec l’apparition des lois agraires, la plantation, l’hacienda associant plantation et élevage risquait d’être amputée d’éjidos au profit de communautés ayant une existence physique distincte du casco. Il semble alors que le grand propriétaire ait, soit refusé toute existence légale au hameau ou pueblo indigène (c’est l’exemple de l’hacienda-latifundio de Santa Maria Chimilapa, Oaxaca, étudié dans le chapitre suivant), soit définitivement préféré l’emploi de saisonniers.
47On n’observe donc plus beaucoup de cas de colonies spontanées associées à la grande plantation ; les propriétaires cherchant par tous les moyens à éviter une installation définitive de groupes indigènes. Ainsi dans la zone des collines du pays Totonaque, près de Poza Rica, les propriétaires métis ou étrangers de terres en friches, les prêtent à des indigènes de la Sierra de Puebla, qui se chargent de planter des caféiers (ils peuvent également planter du maïs sur de petites superficies) ; après trois récoltes, les indigènes, sans aucun statut (d’arrendatario par exemple), doivent restituer terres et plantations aux propriétaires, qui profitent ainsi d’un défrichement et d’un travail de plantation gratuits.11
48Des Tzeltal-Tzotzil des Altos de Chiapas, au lieu de participer à la migration saisonnière des fincas cafetaleras, préfèrent louer des terres, parcelles vacantes ou surtout marges des grandes exploitations d’élevage de la vallée intérieure ou du nord. Dans ce cas l’indien doit donner deux fanegas (1 fanega est égale approximativement à 132 kg) de maïs comme loyer d’un hectare en produisant huit, et de plus il doit fournir deux jours de travail gratuit par semaine à son propriétaire ; ces indiens colons-métayers défrichent ainsi les terres de grandes propriétés d’élevage et les sèment en pâturages ; de riches éleveurs absentéistes, résidant à San Cristobal, ont pu constituer de cette manière des haciendas d’élevage au prix d’un investissement pratiquement nul, grâce à ce travail gratuit des indigènes.12
49La forme la plus courante de colonisation spontanée est la communauté autonome s’installant sur des terres nationales ou des latifundios forestiers plus ou moins abandonnés.
50Les communautés tzeltales des Altos de Chiapas essaiment depuis quarante ans des colonies vers le nord et vers l’est. On peut suivre leur progression dans les vallées des affluents du Grijalva, de Chamula à Chenalho et Chalchihuitan, puis encore plus au nord vers Sitala et Chilon. Elles descendent également les vallées affluentes de l’Usumacinta, dans le municipe d’Ocosingo (cf. dans le chapitre suivant les conflits entre ces communautés et les Lacandons).
51Les communautés mayas du Sud-Est de l’Etat de Yucatan ont, depuis 1880, commencé une marche vers le Quintana Roo, dans la zone de Chan Kom, Chikindzonot, Pixoy, et dans celle de Santa Rosa. Dans le cas de ces communautés le rétrécissement du terroir originel, face à une croissance de la population n’est pas l’unique moteur de la migration. Des facteurs politiques ont également joué : tensions à l’intérieur des communautés, opposant jeune génération aux autorités communautaires (c’est le cas de Chan Kom), crise politique des années 20, quand la lutte entre “socialistes" et villages plus traditionnels (ou clientèle des grands propriétaires) provoqua des schismes communautaires et la création de nouveaux villages.
52Actuellement, la Mixtèque, dans l’état de Oaxaca, est à l’origine de la formation de nouvelles colonies indigènes, tant sur le versant atlantique que sur le versant pacifique. Le bas niveau de la Mixtèque est la cause principale de l’émigration : en 1963, des colons installés dans les terres chaudes de Jamiltepec, et originaires de Santiago Yosondua, déclaraient que leur situation antérieure était misérable : 50 % d’entre eux consommaient la totalité de leur production, 45 % obtenaient un excédent de 500 pesos par an, et un seul d’entre eux gagnait plus de 500 pesos.13
53Un très bon exemple de colonisation spontanée issue de la Mixtèque a été analysé par J. Ballesteros ("La colonizacion en la Cuenca del Papaloapan", op cité) : celui de Nuevo Cosaltepec,
54La population migrante y a pour origine le district de Huajapan de Leon, dans la Mixteca Alta. La communauté indigène était à l’origine un éjido, "Cosoltepec", qui avait été doté de terres de très mauvaise qualité. Les pentes étaient fortes, les pluies insuffisantes et irrégulières, et l’érosion ravinait les sols : dans les bonnes années les rendements du maïs ne dépassaient pas 700 kg par hectare. Désespérée par une forte sécheresse en 1946, une partie de la population de Cosoltepec demanda une nouvelle dotation de terres, dans une zone meilleure, mais le Département Agraire ne proposa que des terres perdues dans les sierras du Michoacan, à l’écart de toute communication. Les éjidatarios refusèrent alors cette proposition et migrèrent spontanément en 1949 dans le bassin du Papaloapan, récemment doté d’infrastructures par la Commission de ce bassin. Les éjidatarios (une quarantaine de familles, environ 200 personnes en 1967) trouvèrent facilement des terres vacantes et il n’y eut pas de conflit avec la population autochtone, mazatèque, très clairsemée. Le milieu physique était totalement étranger aux immigrants : plus de 2 000 millimètres de pluies annuelles contre moins de 600 dans la Mixtèque, des sols épais au lieu de sols ravinés, des collines faiblement ondulées, au lieu de pentes raides. Le principal avantage de la zone était la présence d’une route goudronnée, permettant dès le départ la pratique de cultures commercialisées facilement écoulables vers Temazcal ou Tuxtepec, deux agglomérations proches.
55Le problème de l’appropriation du sol fut réglé facilement : comme les Mazatèques locaux ne revendiquaient pas ces terres, en disposant eux-mêmes de meilleure qualité, les Mixtèques purent s’établir comme colons, en achetant des parcelles de 10 hectares par chef de famille, à la Commission du Papaloapan (au prix de 16,8 pesos l’hectare, avec crédit pour payer). Au total 503 hectares furent achetés, soit douze hectares en moyenne par famille.
56Une propriété individuelle du sol remplaçait la propriété collective de la zone de départ. Cette nouvelle propriété est d’ailleurs en évolution, les colons les plus âgés vendent leurs parcelles aux plus jeunes, d’autres colons achètent parfois trois-quatre hectares à des propriétaires privés du voisinage. La colonisation a-t-elle donc entraîné une dissolution totale de la réalité communautaire ? Non, des travaux collectifs subsistent, pour installer eau potable, électricité, école, et le système de l’ayuda mutua est toujours en vigueur ; la colonie est si petite que les liens de parenté, d’amitié, de voisinage sont encore très forts.
57Quant à l’exploitation agricole, elle s’est profondément modifiée, il n’y a pas eu simple reconstitution dans la zone de colonisation de l’autosubsistance de la zone de départ. Les colons ont introduit l’élevage dans leur système de production, un élevage laitier pour l’alimentation des enfants du village, un élevage de poissons dans des étangs artificiels ; outre le maïs, et après un échec du café, du sésame et du riz sont cultivés, et la moitié de la production est vendue. Si 20 % des colons reçoivent des crédits des commerçants de Temazcal et doivent donc vendre â un prix inférieur à celui du marché, la grande majorité utilise ses ressources propres, garde sa production en silos protégés par des insecticides et vend à l’époque des plus hauts prix. C’est là un trait remarquable de dynamisme, que l’on constate encore dans la volonté des colons d’implanter une nouvelle culture commerciale (mangues), d’acheter une pompe pour irriguer en saison sèche, d’obtenir un crédit sur quinze ans pour construire de nouvelles maisons.
58Ce cas de colonisation spontanée indigène, suivie d’une belle réussite économique et sociale est cependant exceptionnel : les terres colonisées étaient de bonne qualité, traversées par une route ; les colons étaient dynamiques et bilingues ; la Commission du Papaloapan et l’Institut Indigénisté ont accordé par la suite des crédits pour l’eau potable et l’école du village, et une assistance technique pour les cultures commerciales. Toutefois cet exemple montre qu’un groupe indigène évolué, grâce à des efforts communautaires et avec un minimum de dépenses gouvernementales (460 000 pesos environ d’infrastructures sociales), environ 10 000 pesos par famille, peut réussir une colonisation agricole, alors que le nombre de tentatives plus ambitieuses, plus coûteuses, sont des échecs.
e) la colonisation indigène dirigée
59Depuis vingt-cinq ans les autorités publiques ont commencé à encadrer et à organiser certains mouvements de colonisation indigène. Ces premières tentatives d’organiser des migrations des indigènes des hautes terres vers les terres chaudes remontent aux débuts de la grande politique de "Marcha al Mar". Sous le Président Aleman, la Comision del Papaloapan a encadré certaines colonies indigènes, et déménagé les villages chassés par la montée du lac du barrage "Aleman" ; sous le Président Ruiz Cortines des "Centros Coordinadores" ont été fondés dans les Mixtèques, pour assurer une migration entre une Mixtéca Alta où "un proceso lento y progresivo de desnudamiento ha venido destruyendo el suelo agricola y otros recursos renovables", et la "Mixteca de la Costa, (où) existen tierras disponibles y condiciones favorables para realizar una colonizacion interior que alivie la presion demografica de la zona alta, mediante la absorcion de sus excedentes de poblacion" (cf. texte définissant légalement les Centres Coordinateurs). Enfin depuis 1960 environ, l’Institut National Indigéniste a adopté une double politique, visant à la réhabilitation économique des zones de départ, et l’intégration des communautés pionnières à une économie commercialisée. Nous avons choisi deux exemples de colonisation organisée, différents dans les modalités, dans le degré de réussite, et situés dans des milieux ethniques et géographiques dissemblables.
60Dans les Chiapas, l’Institut National Indigéniste et le ministère de l’agriculture ont lancé un programme d’intensification des techniques agricoles, dans les Altos et dans les terres chaudes :
61- dans la zone Chamula, près de San Cristobal, les premiers travaux concernant la lutte contre l’érosion, la conservation des sols (la Comision du Papaloapan réalise le même genre de travaux dans le haut bassin du Papaloapan, dans la Mixtèque). Le paysage chamula est en plein changement, avec la multiplication des terrasses, des murs de soutènement, avec la plantation d’arbres sur les pentes. De nouvelles cultures sont introduites : plus de 600 000 arbres fruitiers ont été plantés dans la zone tempérée et sur les bas-versants l’Institut Mexicain du Café a fait planter 2 000 000 de plans de café. L’objectif est de faire passer les communautés indigènes au stade de la production pour la vente ; l’intensification des techniques agricoles demande plus de main d’œuvre, accroît rendement et revenus et autorise ainsi des densités de population qui, dans une agriculture traditionnelle, appartiennent au domaine du surpeuplement (la densité est de 80 habitants au km2 dans San Juan Chamula). Selon les déclarations d’un fonctionnaire de l’Institut National Indigéniste, l’objectif est de "favoriser une agriculture très intensive de type japonais".14
62Mais tous ces efforts n’ont encore abouti qu’à l’apparition de petites zones pilotes sur quelques milliers d’hectares. L’insuffisance du budget de l’I.N.I. ne permet pas d’action massive. La conquête de nouvelles terres est donc toujours indispensable.
63Mais dans le domaine de la colonisation indigène des Chiapas, le secteur "progressiste", dirigé, est très minoritaire par rapport à la colonisation anarchique et autonome des indiens dans la selva d’Ocosingo. Seuls quelques groupes indigènes "évolués ont reçu une aide publique. Un cas de réussite comparable à celui de Nuevo Cosoltepec dans le Papaloapan, est celui de l’éjido "Colonia Francisco I. Serrano". Cette colonie éjidale indigène, fondée sous Cardenas au nord-ouest d’Ixtapa, dans le haut bassin du Grijalva, est parmi les plus "transculturée". Elle est entrée récemment dans une phase de production moderne. En 1965, II.N.I. lui a ouvert un large crédit, mais en échange les éjidatarios ont dû sacrifier leur parcelle individuelle pour former une exploitation collective, fondée sur l’élevage intensif, surprenante innovation dans un milieu éjidal et indigène ! Un troupeau zébu a été introduit, complété par des porcs, des volailles ; les éjidatarios ont construit étables, poulaillers et creusé des étangs pour l’élevage de poissons. La production est divisée en trois : une part pour la communauté, une pour l’éjidatario, une pour faire fonctionner l’exploitation. L’éjido est devenu une exploitation pilote, une exception au milieu de colonies marginales.
64L’expérience de reacomodo, de réinstallation d’une communauté Mazatèque, par la Comision du Papaloapan, a été en revanche un échec. À la suite de : la construction de la "Presa Miguel Aleman", les terroirs et éjidos mazatèques localisés sur l’emplacement du futur lac furent expropriés ; le gouvernement fédéral leur offrit en échange la propriété "La Joya" 18 920 hectares qui avaient appartenu à la Nebraska Land Company jusqu’en 1910 et avaient été confisqués par l’État de Oaxaca pour non-paiement des impôts fonciers. L’ancien latifundio, situé entre Tuxtepec et Playa Vicente, traversé par le rio Obispo, devait accueillir 7 éjidos et 487 éjidatarios, (environ 450 familles). L’opération de migration se déroula en 1956 et 1957.
65L’organisation de la migration et de l’accueil fut manquée : les terrains sélectionnés se révélèrent très pentus, rocheux, l’eau potable manquait ; le transport des migrants eut lieu en pleine saison des pluies, et les nouvelles maisons prévues n’avaient pas été construites ; enfin la Comision du Papaloapan n’avait pas défriché les terres destinées aux cultures, mais en revanche avait coupé et vendu les bois précieux de la zone, seule source de revenu immédiat pour les éjidatarios.
66La répartition des terres à coloniser fut également une source d’échecs. Tout d’abord, les éjidatarios ne purent récupérer que quatre hectares en moyenne par exploitant, sur les quarante hectares théoriquement exploitables, tant les sols se prêtaient peu à l’agriculture ; ensuite l’attribution des parcelles tarda, engendrant une grande insécurité de la tenure, et faisant hésiter les colons les plus entreprenants à introduire les plantations de café et de caoutchouc conseillées par les techniciens de la Commission. Le sempiternel maïs occupa les deux hectares cultivés par éjidatario (les deux hectares supplémentaires défrichés étaient mis en jachère). Mais la technique du feu, la jachère trop courte, d’un an seulement, l’absence d’engrais, firent tomber les rendements du maïs à 6-800 kilos par hectare. À cette faible production correspondirent de faibles excédents. Heureusement, les colons purent trouver un complément de revenus dans la vente du barbasco, récolté par cueillette dans la forêt, qui sert à la fabrication à Mexico d’anticonceptionnels destinés à l’exportation/(nous avons observé cette même cueillette dans le Péten guatémaltèque, d’où la plante est expédiée par avion aux États-Unis).
67Faute de crédit bon marché, des cultures comme le sésame, qui ont un rendement monétaire triple du maïs (1800 pesos au lieu de 6-700 pesos S l’hectare) ne peuvent s’étendre ; de plus, toute communication est rendue difficile par l’abandon de l’entretien de Tunique route, par la Comision du Papaloapan, à la suite de ses restrictions budgétaires.
68Les conséquences de cette situation en détérioration continuelle sont : la dépendance vis à vis des commerçants du village de Pueblo Nuevo, qui accordent quelques avances, et surtout une émigration hors des éjidos de colonisation : en 1960, 400 des 1081 habitants du principal éjido émiqrèrent pour chercher dans une migration spontanée, de nouvelles terres15.
69Dans l’ensemble donc, à part quelques cas de colonies pilotes, la colonisation indigène se rattache à deux grands types :16
la colonisation spontanée à l’écart des structures urbaines et de l’économie de marché ;
la colonisation des grandes plantations où la main d’œuvre indigène n’est qu’un instrument, saisonnier.
3) TABLEAU DES FORMES DE COLONISATION
70Après avoir examiné dans le détail des exemples régionaux de colonisation (dans la IIIe partie), après avoir réexaminé la colonisation selon ses processus, selon son caractère ethnique, il nous semble possible d’esquisser un tableau des formes de colonisation, mettant en relation les modalités de la colonisation, et les types d’utilisation du sol qu’elle propage.
71Dans les modalités de la colonisation, nous avons retenu les processus spontané, organisé (ou dirigé), planifié, en distinguant les actions individuelles des actions collectives, les actions privées des actions officielles.
72Dans les types d’utilisation du sol, nous avons été surtout intéressés par l’intensivité de l’exploitation colonisatrice, dont dépend directement la densité du peuplement.
73De ce tableau, on peut tirer les observations suivantes :
Dans la colonisation spontanée, la colonisation individuelle est à peu près exclusivement le fait de grands propriétaires planteurs ou éleveurs ; la colonisation collective oppose les communautés (éjidos, communautés indigènes) pratiquant la culture extensive du maïs, à celles de l’agriculture commercialisée (de plantation ou non) ; le clivage semble être de nature ethnique et géographique ; le premier groupe rassemble des groupes indigènes où la communauté traditionnelle survit dans des zones périphériques, le second groupe rassemble des groupes métis ou plus transculturés dans des zones de forte influence urbaine, de forte densité des communications.
Dans la colonisation organisée, le point remarquable est que tous les systèmes d’utilisation du sol sont représentés ; les entreprises privées apparaissent dans des activités de haut rendement monétaire, ce qui n’est pas synonyme d’activités peuplantes (la cueillette spéculative). En revanche la colonisation organisée officielle aboutit à des exploitations le plus souvent de type extensif, ce qui témoigne d’un échec dans la politique liant progrès économique et progrès du peuplement.
La colonisation planifiée est une exception, du point de vue régional, limitée à de petites zones (sauf la Chontalpa) et à des productions agricoles intensives et commercialisées.
4) QUELQUES TYPES DE PAYSAGES AGRAIRES ASSOCIES
a) Les caractères généraux
74L’emprise de la colonisation sur les milieux naturels du Tropique humide se marque par la construction plus ou moins marquée du paysage, par la permanence plus ou moins assurée de ses formes. Mais de même qu’il est rare d’observer un véritable front de colonisation, il est rare de rencontrer des paysages homogènes. Un paysage agraire homogène suppose en effet, outre un milieu naturel peu différencié, des types d’utilisation du sol, une structure foncière et un habitat identiques. Or, comme nous l’avons vu, le propre des zones de colonisation du Golfe et du Sud-Est est de rassembler dans une même région naturelle des générations d’exploitations pionnières successives, des structures agraires opposées, des cultures d’intensivité et d’aspect très variables.
75De plus, à l’exception de la plateforme calcaire du Yucatan, le milieu naturel est lui-même très différencié dans le détail : fonds de vallées, vegas, terrasses, bas versants et collines, offrent une variété de formes, de terroirs possibles, qui contraste avec les grands paysages uniformes des boucliers tropicaux d’Amérique ou d’Afrique.
76En raison de l’hétérogénéité, de l’imbrication des paysages agraires des zones de colonisation, nous ne tenterons pas d’en donner un tableau général, une analyse détaillée, dont nous ne nous sentons pas capables. En revanche, nous pouvons montrer et analyser rapidement quelques types de paysages agraires, en fonction de l’homogénéité et de l’achèvement de ces derniers.
b) Types de paysages d’élevage pionnier
77C’est dans le cas des zones de grandes exploitations d’élevage que le Daysage agraire semble le plus homogène. Il s’agit d’abord d’un paysage ouvert, associé à des basfonds inondables, à des terrasses mal drainées, où les mares, les esteros, les marécages donnent une impression d’inachèvement, de confusion entre les éléments. Ce tyoe de paysage aquatique, nous le trouvons dans le Bas Papaloapan, dans tous les deltas du Golfe, du Panuco à l’Usumacinta en passant par les rios Coatzacoalcos, Tonala, San Juan... L’élevage pionnier des grands propriétaires s’est glissé dans le paysage naturel sans le déformer ; les pâturages ont simplement remplacé des savanes naturelles, les clôtures de barbelés restent discrètes et leurs piquets reprennent souche à la saison des pluies.
78Ce paysage d’élevage pionnier homogène se dégrade dès que l’éleveur entre en concurrence avec l’agriculteur, c’est-à-dire lorsque les ranchs d’élevage disputent les sols forestiers aux colons et éjidaterios, ou bien lorsque les entreprises capitalistes (privées ou publiques) aménagent des plantations, rizières, ou prairies artificielles dans des savanes irrigables.
c) Le paysage mixte - parcelles agricoles - pâturages
79C’est le paysage le plus courant, du rio Panuco à Champoton. Les habitats concentrés des pueblos de colonisation agricole sont entourés d’un habitat dispersé de grandes fermes d’élevage. La marquetterie complexe des cultures et des jachères s’oppose aux larges prairies encloses, de formes géométriques. Deux sous-types de paysage mixte agricole et d’élevage peuvent être distingués :
80- celui où plantations et prairies alternent : dans la zone d’Acayucan, par exemple, où des secteurs de collines très pentues, dont la forêt a été éliminée, portent des pâturages ; exploitations et abreuvoirs occupent les sommets ; l’agriculture pratiquée sur de telles pentes serait rapidement suivie par un ravinement des sols rouges ; mais dans les secteurs très faiblement ondulés, ce sont les exploitations agricoles éjidales ou privées qui dominent : petites parcelles de 2 â 3 hectares, plantées de maïs, riz en culture sèche, complantées de bananiers et caféiers chez les éjidatarios ; ou bien grands blocs de canne à sucre dominés par la silhouette de l’ingenio.
81Sur les terrasses et bas plateaux au sud de Catemaco, les plantations de bananiers occupent les faibles éminences du terrain, tandis que les belles prairies, les vastes étables aux murs de bois, au toit de chaume (des palmes en réalité), occupent les parties basses plus humides : dans les deux cas ce sont de grands lots, associés à la propriété privée.
82- le paysage où prairies et cultures s’entremêlent : ce qui peut correspondre â une double orientation de l’exploitation colonisatrice : sur les terres éjidales de l’éjido "Loma Bonita", au sud d’Acayucan, par exemple, où les entrelacs des parcelles de maïs, de sésame, de jachère, interrompent de bons pâturages pour des vaches laitières.
83Le paysage mixte cultures-prairies peut évoluer dans le temps vers la predominance de la première forme : ainsi les grands colons privés, le long du rio Coatzacoalcos, commencent par défricher la forêt, cultiver du maïs pour préparer le sol et se constituer un petit capital, puis consacrent ces superficies agricoles à des pâturages artificiels. Deux fronts successifs divisent le paysage : le front de défrichement et le front des pâtures occupant peu â peu les zones cultivées.
d) Les paysages agricoles
84On peut les différencier selon le degré d’achèvement des défrichements ou du drainage, selon le degré d’organisation des infrastructures, de l’habitat, du parcellaire.
le type le plus touffu, le moins ordonné, est celui des clairières de défrichement de la forêt. Dans la grande forêt sempervirente la régénérescence rapide de la végétation oblitère les défrichements, qui doivent être recommencés sans cesse. On n’observe le plus souvent ni front net, ni frange régulière de parcelles mordant sur la forêt, mais des archipels de parcelles en auréoles ou bandes parallèles dont la densité diminue vers le cœur de la forêt. Dans la forêt sub-décidue yucatèque le défrichement est compliqué par les doux moutonnements du relief karstique, les parcelles se glissent dans les petites dépressions où s’accumulent les argiles et les taillis conservent leur emprise sur les parties plus élevées. Mais partout on retrouve un même habitat concentré, village de chozas de palma et bambous dans le sud du Tabasco, dans l’Isthme, ou village de pierre et de chaume dans le Yucatan. Seule la route moderne, éventrant la forêt, est créatrice d’exploitations et d’Habitat dispersés.
à une colonisation déjà ancienne, avec un peuplement dense, correspond un paysage agraire plus évolué, plus ordonné. L’appropriation du sol est complète, et dans des zones d’agriculture à très courte jachère comme dans la Chontalpa (Tabasco), où les plantations occupent une bonne part des parcelles, le paysage acquiert un certain caractère de permanence, de fixité même dans le cas des zones de plantations de café, de cacao, et surtout de canne à sucre. Chemins, routes, villages quadrillent un espace agricole où est également présent l’habitat dispersé des petits et moyens colons privés. On observe alors des nuances plutôt que des différences de paysages : les propriétés privées donnent un parcellaire un peu plus régulier et des unités un peu plus vastes que dans le cas des éjidos ; l’habitat dispersé domine dans le premier cas, le bourg dans le second.
les paysages agricoles et agraires très homogènes enfin : ce sont les paysages élaborés sur un milieu naturel uniforme et où les moyens techniques et financiers employés ont abouti à une transformation totale des exploitations antérieures.
85Appartiennent à cette catégorie : l’espace homogène du henequen dans le nord du Yucatan, la zone des plantations de canne à sucre du Papaloapan, les collines de Loma Bonita, la zone du Plan Chontalpa. Dans les trois premiers cas le caractère intensif de la production, les contraintes techniques de l’exploitation, les moyens importants dont disposent les promoteurs de la colonisation ont "gommé" les différences de structure agraire, effacé complètement les traces de la mise en valeur initiale. Le paysage homogène des plantations de henequen remplace le paysage mixte de pâturages, brousse et agriculture vivrière du milieu du XIXe siècle ; l’uniformité de la mer de canne de Cosomaloapan et de San Cristobal recouvre indifféremment propriétés privées et parcelles éjidales ; les terrasses et plantations d’ananas de Loma Bonita ont remodelé entièrement des flancs de collines consacrées aux petites parcelles de maïs. De même les plantations de bananiers du Tabasco avaient remplacé par leurs alignements réguliers, leur physionomie aérée, l’allure de verger touffu et de sous-bois des petites exploitations de café ou de cacao.
86Mais l’exemple le plus achevé de paysage, c’est peut-être celui qui se forme actuellement dans la Chontalpa ; le quadrillage régulier des éjidos, des parcelles, l’espacement régulier des villages, le rassemblement des cultures en blocs d’exploitation collective, rythment ce paysage selon la loi du planificateur et non plus du pionnier.
e) Quelques exemples de paysages agraires
Les clairières de défrichement agricole
a. Zone d’Escarcega (Campeche Central). cf. photo aérienne. no 1
87Par rapport aux paysages du Tabasco et du Nord-Chiapas, le principal changement tient au milieu naturel. Le bourg d’Escarcega est localisé aux confins de la table calcaire du Yucatan ; grands fleuves, rios permanents, marécages sont ici absents du paysage. Le défrichement de la forêt (transition de la forêt sempervirente à la forêt subdécidue) a été facilité par l’existence d’une saison sèche plus marquée, et l’absence de reliefs importants formant obstacles (comme dans les Chiapas). L’uniformité du milieu naturel d’une part, l’homogénéité agraire d’autre part (éjidatarios, petits colons) ont donné un paysage uniforme.
88Autour de l’habitat totalement concentré d’Escarcega, situé au croisement de la voie ferrée du sud-est, et de la route de Champoton (sur la côte), le défrichement a eu lieu en auréoles concentriques. Aux parcelles les plus tôt conquises sur la forêt, bien nivelées, dégagées de toute végétation parasite, qui se situent à proximité du village, s’opposent les parcelles parsemées de troncs (la technique agricole est celle de la tumba y quema) brûlés et de souches, qui mordent sur la lisière de la forêt ; le paysage est celui d’une marquetterie de parcelles ; à un colonat de petits exploitants correspond une grande Similitude de taille entre parcelles ; les grandes parcelles caractéristiques de l’exploitation d’élevage extensif sont absentes.
89La photographie aérienne, prise avant la construction de la grande route goudronnée Villahermosa-Champoton, ne peut enregistrer des modifications récentes de ce paysage : le défrichement a été poussé sur les deux flancs de la route, et la forêt, très dégradée, n’apparaît qu’au loin ; le village a perdu son caractère de clairière forestière ; de plus, des ranchs d’élevage ont occupé une part des défrichements, installant des clôtures. Le paysage agraire évolue donc vers une association de formes comparables à celles du Tabasco, la seule différence étant dans l’absence de formes aquatiques.
90b. Le même effet de marquetterie, la même prédominance de l’habitat concentré de petits colons (colonie privée), avec toutefois une place plus grande accordée aux parcelles d’élevage, sont visibles sur le croquis de la zone de Los Naranjos.(figures no 56 - 57)°
Les paysages associant élevage et agriculture
a. zone de Palenque (Chiapas) (figure no 59)
91Cette zone de colonisation est l’un des rares exemples que nous ayons d’un contact brutal, linéaire, entre le paysage naturel et le paysage humanisé. Nous sommes en présence d’un front de colonisation véritable qui s’est stabilisé le long des premiers chaînons calcaires de la Sierra Norte de Chiapas. La selva recouvre encore pentes et sommets, et a reconquis le site du centre cérémoniel maya qui s’y était établi.
92La mise en valeur de la plaine a été faite séparément par des éleveurs privés et par un éjido d’agriculteurs. Le paysage agraire se divise en deux parties distinctes, en fonction de ces deux types d’utilisation du sol et de propriété.
93Le sud-est de la zone (coin supérieur droit du croquis), légèrement déprimé, plus humide, parcouru par un arroyo suivi par une petite forêt galerie, est un espace dégagé, divisé en larges blocs géométriques : les pâturages et leur clôture de pieux.
94L’ouest de la zone a en revanche l’apparence d’une brousse arborée parsemée de multiples parcelles, de petite taille et de localisation semble-t-il anarchique. Cette zone correspond au terroir de l’éjido. L’agriculture vivrière pratiquée dans ce terroir emploie des technioues peu intensives ; l’essentiel des terres est laissé en jachères et Ton distingue facilement zones de jachère ancienne et zones récemment abandonnées par les cultures.
95L’habitat présente deux formes : une forme concentrée, le pueblo de Palenque, avec son aire urbaine géométriquement délimitée, mais pas encore totalement lotie, avec sa plaza, son quadrillage de rues, sa route reliée à la grande voie intérieure Villahermosa-Champoton. C’est le pueblo des agriculteurs et des commerçants. La seconde forme d’habitat est dispersée en grosses fermes, localisées au centre des propriétés d’élevage.
96Au réseau de chemins bien tracés et visibles des éleveurs s’oppose un réseau de sentiers pour piétons qui disparaît dans la brousse. La belle route Est-Ouest (du pueblo au bas du croquis) est une intrusion récente de la civilisation de la science et des loisirs : elle donne accès aux ruines de Palenque et amène archéologues et touristes.
b. zone de Benito Juarez (Tabasco). cf. photo aérienne. (no 2)
97Située dans la région mal drainée des terrasses pleistocènes du Tabasco oriental, cette zone de plaine ondulée présente un paysage voisin de celui de Palenque, avec une nuance de taille : la grande forêt tropicale est absente. En revanche le milieu naturel est un milieu amphibi, riche en esteros (lagune de la photo), et en rios. Dans ce pays la nappe phréatique n’est jamais loin, et étouffe la forêt, c’est une savane arborée qui domine dans les dépressions. Des lambeaux forestiers ne survivent qu’au sommet des ondulations du terrain.
98Là encore on retrouve une grande hétérogénéité dans le paysage agraire et la mise en valeur.
99Un village de colonisation agricole, colonie ou éjido, avec son quadrillage de rues et ses jardins complantés, a défriché les lambeaux de forêt et faiblement empietté sur les zones marécageuses. Le terroir communautaire est nettement visible dans la Dartie gauche de la photo : le terroir est divisé en parcelles rectangulaires (parcelles éjidales ou lots des colons) elles-mêmes découpées en petites soles de cultures ou de jachère.
100Un deuxième terroir agricole, moins étendu que le précédent allonge quelques rangs ouverts sur l’estero ; la forme de ces champs, la présence de maisons individuelles au bout de chacun nous font interpréter ce terroir comme celui de petits agriculteurs privés (qui possèdent également des pâturages).
101Enfin le troisième volet du paysage, ce sont les grands blocs de pâturages, avec quelques exploitations très isolées et des clôtures de piquets. Cette zone d’élevage recouvre essentiellement la zone de la savane arborée, les dépressions du terrain.
c. zone de Tenosique (Tabasco). cf. photo et bloc diagramme (photo no 3) (figure no 60)
102La zone de Tenosique est un contact pays des fleuves-pays calcaire, et réunit des aspects des zones précédemment examinées de Palenque et de Benito Juarez.
1031) Le contact observé est d’abord un contact physiographique : l’extrémité orientale de la plaine alluviale du Tabasco vient buter contre le premier alignement Nord-Ouest-Sud-Est des chaînons anticlinaux du Chiapas (calcaires secondaires). La plaine, dont l’altitude varie de 30 à 60 mètres, est dominée par des "collines" dépassant les 500 mètres ; il y a une barrière, visible sur le bloc-diagramme. Le rio Usumacinta, comprimé dans un lit étroit, franchit l’alignement calcaire par une tranchée coupée de rapides, puis s’élargit dans la plaine en formant des méandres. A ces rapides correspond un point de rupture de charge : la navigation fluviale s’arrête là.
1042) Le deuxième contact est un contact biogéographique : la forêt ombrophile recouvre les chaînons et leur piémont, où les sols sont jeunes et bien drainés. En revanche, une formation de savane arborée occupe la plaine. Ces savanes naturelles coïncident avec une vieille surface du Pleistocene, où le drainage se fait avec difficulté, et où les marécages sont nombreux. La forêt, qui souligne les accidents du terrain, est en recul ; le défrichement, facile dans la savane arborée, a mordu sur le Piémont forestier.
1053) Le point de départ de la colonisation, c’est la première boucle du fleuve après les rapides. La bourgade pionnière de Tenosique s’est installée sur la rive la plus élevée, à l’abri des inondations. La première vocation des colons a été l’exploitation des bois précieux, exnédiés par flottage ; puis le défrichement agricole s’est fait en éventail, sur le piémont, où des boqueteaux témoignent de l’ancienne extension forestière. Mais le front de colonisation agricole s’est rapidement stabilisé vers le sud, bloqué par la petite montagne. Le terroir, stabilisé, comprend une partie sud-ouest, divisée en petites parcelles d’agriculture vivrière, entourées de jachères, et une partie Nord et Est où dominent les grands lots de pâturages.
106Avec l’arrivée de la voie ferrée du "Jungle Express", les défrichements individuels ont repris vers l’Est, à cheval sur la voie ; la bourgade a lancé une antenne jusqu’à la gare, et une piste a relié la scierie du bord du fleuve au chemin de fer.
Les paysages agricoles évolués
a. zone de Cardenas (Tabasco) cf. photo aérienne.(no 4)
107Petite ville de colonisation dont la fondation remonte au début du XIXe siècle, située dans l’ancien delta du Mezcalapa (Rio Grijalva), Cardenas a choisi pour site une levée le long de l’ancien cours du Mezcalapa (Rio Seco) visible dans le coin supérieur droit de la photo.
108Les grandes exploitations primitives ont été divisées en éjidos, au bénéfice des habitants de la petite ville, et seule subsiste une petite et moyenne propriété privée.
109On note les différences entre le terroir éjidal (partie centrale gauche), aux toutes petites parcelles, aux jachères abondantes, et le terroir très régulier des petits propriétaires privés, dont les lots, disposés en "rangs", s’appuie sur le Rio Seco et sur le chemin qui le longe. Dans chaque lot alternent cultures vivrières, plantations de cacao, de bananiers et friches. L’habitation de l’exploitant est localisée sur la voie de communication, ici le chemin (mais dans le cas des "rangs" de San Rafael, cf. figures no 61 et 62, la grande voie de communication est au départ le fleuve).
110Le caractère d’achèvement très poussé de l’occupation du sol semble dû à l’abondance des chemins, et à la présence de deux grandes routes : la route longeant le rio Seco, vers Comalcalco, et celle (rectiligne) vers Villahermosa, construite à la fin des années 50,
111La petite ville possède en outre un terrain d’atterrissage, visible sur la photo, dû sans doute à la présence voisine de champs pétrolifères exploités par Pemex.
b. zone centrale de la Chontalpa (figures no 63 et 64)
112Les deux plans successifs illustrent les changements radicaux du paysage agricole et agraire ; à la suite des travaux du Plan Chontalpa (cf. IIIe partie A.2) on passe d’un paysage anarchique (sauf le long de la route, où de petites plantations ont tendance à s’aligner régulièrement) de parcelles éjidales dispersées et perdues au milieu de friches, de chozas de palma dispersées le long des chemins, de l’imbrication des cultures, friches et pâturages, à un paysage de polder hollandais : habitat groupé dans un village central, damier de parcelles éjidales et petites propriétés de taille identique, ségrégation très nette des cultures et des pâturages. Le quadrillage des canaux, drains, chemins, renforce et souligne le parcellaire.
113La colonisation (ici un réaménagement pour 75 % de la population) technicienne donne donc un paysage entièrement géométrique et humanisé, que Ton retrouve dans les districts d’irrigation du Nord, mais qui était jusque-là pratiquement absent des zones de colonisation du Tropique Humide.
Notes de bas de page
1 cf. Pierre Monbeig, "Les franges pionnières". Géographie Générale. Encyclopédie de La Pléiade. 1966, p. 1004.
2 J.P. Raison, dans "La Colonisation des terres neuves intertropicales", op. cité, analyse subtilement colonisation spontanée et colonisation organisée, colonisation orientée et colonisation planifiée.
3 J.P. Raison, op. cité p. 39.
4 J.P. Raison. op. cité, p, 51,
5 V, Manzanilla Schaffer. "Nuevos sistemas de colonizacion en Mexico". Revista de Ciencias Sociales. voL. VII, no 4, déc.1963. p. 387-408.
6 A. Bassols Batalla. "La division economica regionale de Mexico". Textos Universitarios. UNAM. 1967. 264 p. P. 239.
7 cf. John R. Hildebrand, "Guatemalan colonization projects; Institution Building and resource allocation", Inter American Economic Affairs.’vol.19, spring 1966, no 4, p. 41-51.
8 cf. Agustin Delgado. "Exploraciones en la Chinantla". Revista Mexicana de Estudios Antropologicos" tomo 16. Mexico.1960, p.109-123.
9 cf. J. de la Fuente. "Los Zapotecos de Choapan, Oaxaca". Anales del Institute Nacional de Antropologia e Historia, tomo II. 1941-46. p. 143-205,
10 G. Stresser Pean, "Problèmes agraires de la Huasteca ou région de Tampico, Mexique", p. 210-211. Colloques Internationaux du C.N.R.S. Les Problèmes Agraires des Amériques Latines. Paris, 1967.
11 Alfonso Fabila. "La Sierra Norte de Puebla". México.1949. 209 pages.
12 cf. "Tzeltal-Tzotzil, Reqion de Refugio". par Leonardo Ramirez Pomar. série d’articles dans "El Dia, avril 1968.
13 cf. J.J.M. Heijmerink. "La colonizacion de un grupo de indigenas en la Mixteca Baja, Estado de Oaxaca, México". America Indigena. vol. XXVI no 2, abril 1966. p. 153-172.
14 El Dia, avril 1968.
15 cf. J. Ballesteros "La Colonizacion en la cuenca del Papaloapan". 1970.
16 On ne peut plus qualifier de zones de colonisation les zones des petits planteurs indigènes des sierras de Veracruz, ou de la zone du cacao (sud du Tabasco, district de Pichucalco dans les Chiapas) : le développement des plantations y est déjà ancien, et le peuplement tel que la tendance est à l’émigration.
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