Chapitre II. L’indigénisme
p. 307-330
Texte intégral
La pensée indigéniste
1Si les débuts du capitalisme à l’époque de la Réforme, ont affecté en profondeur la société tzotzil-tzeltal, son rapide développement à l’époque du Porfiriat a ébranlé non moins profondément la société ladina. Le nouveau système de production qui tendait à s’instaurer, remettait en cause cette distinction fondamentale entre Indiens et non-Indiens sur laquelle reposait l’ancien, en même temps qu’il opérait le remaniement complet des rapports sociaux. La mobilité qu’il provoquait à l’intérieur de groupes relativement stables jusqu’alors, conduisait à une réorganisation de la stratification sociale et à un réaménagement de la classe dirigeante qui s’ouvrait à des nouveaux venus, et dont le succès économique, fruit de l’esprit d’entreprise, devenait le principal critère d’accès. Au sein de cette classe qu’auparavant elles formaient à elles seules, les élites traditionnelles de San Cristobal allaient être de plus en plus déplacées.
2Pour défendre son statut, l’aristocratie foncière locale n’avait d’autre solution que de maintenir encore plus fermement les Tzotzil-Tzeltal dans leur indianité, et de les protéger avec encore plus de vigilance que par le passé, de tout contact acculturatif. Le maintien de la position dominante des ladinos suppose, en effet, que les Indiens demeurent indiens, c’est-à-dire, prisonniers d’un univers artificiel, et qu’ils soient ainsi forcés de recourir à des intermédiaires et à des médiateurs dans leurs relations à la société globale. Le pouvoir des ladinos, qui se fonde sur le contrôle de la masse indienne, se trouve justifié par celui-ci.
3C’est dans un tel contexte qu’un mouvement indigéniste naît au Chiapas vers la fin du siècle dernier. Ce mouvement vise essentiellement à convaincre — et si nécessaire, à contraindre — les Tzotzil-Tzeltal de rester indiens et de refuser les possibilités d’intégration que leur offre l’ordre social qui s’édifie en contradiction avec celui des hauts-plateaux, à la périphérie de cette région. Peu de temps après la répression de l’insurrection de 1869, l’aristocratie foncière de San Cristobal, dont les membres possèdent sur leurs domaines des Indiens asservis, commence à s’apitoyer sur le sort des malheureux Tzotzil-Tzeltal « libres » que les planteurs du Soconusco obligent indirectement à se rendre chaque année pendant plusieurs mois dans les fincas de café, ou que les chefs de chantiers de bois envoient par milliers dans les monterías du bassin de l’Usumacinta. Dans les fincas et les monterías, les Indiens sont soumis à un traitement « inhumain » et « dégradant ». Considérés comme des machines, ils reçoivent un salaire nominal qui leur permet à peine d’entretenir leur force de travail. La nuit, ils sont parqués dans des baraquements insalubres à l’intérieur desquels règne la plus grande promiscuité. Le jour, ils sont astreints à un travail épuisant dans un milieu physique auquel ils ne sont pas adaptés et qui altère leur santé. Lorsqu’ils sont victimes de maladies ou d’accidents, leurs employeurs les renvoient impitoyablement chez eux pour y mourir dans le plus affreux dénuement. Et surtout, dans les milieux où ils sont transplantés, ils se trouvent exposés à toutes sortes d’influences pernicieuses. Dans les villes nouvelles qui, comme Tuxtla ou Tapachula, se peuplent d’éléments interlopes, ils apprennent l’espagnol, s’habillent à l’européenne et se transforment en ladinos. Ceux qui ne se ladinisent pas totalement, répudient leur héritage culturel dont ils ont honte, pour adopter les aspects les plus contestables de la culture hispano-mexicaine. Ils deviennent des « déracinés », fauteurs de trouble, d’agitation et de subversion de toute espèce.
4En même temps que fusent ces dénonciations véhémentes du capitalisme et de tous ses maux, dont la pertinence n’a d’égale que l’hypocrisie, une nouvelle image des Tzotzil-Tzeltal se constitue. Pour la première fois, des qualités sont reconnues à la personne indienne. Des beautés sont trouvées dans les langues vernaculaires. Des valeurs sont même découvertes dans les cultures préhispaniques. Ces qualités, ces beautés, ces valeurs, c’est précisément le « fardeau du ladino » que de les défendre et de les épanouir, au besoin contre les Tzotzil-Tzeltal eux-mêmes. Dans sa Gramática de la lengua tzeltal1, Vicente Pineda révèle la souplesse de cet idiome qui peut rivaliser avec l’espagnol pour exprimer les nuances de la pensée et traduire les subtilités du sentiment. Dans son Catecismo elemental de historia y estadîstica de Chiapas2, Antonio Flavio Paniagua s’interroge sur l’apparente stagnation démographique des Indiens de la région, et il cherche à y apporter un « remède efficace ». Dans son Estudio sobre ejidos3, Manuel Pineda répond indirectement à Paniagua, en liant le phénomène que celui-ci décrit, à l’extrême rareté des terres dont disposent les communautés. Il aborde le problème indien sous son aspect le plus délicat entre tous, l’aspect agraire. Il avoue que les ladinos ont « peut-être exagéré » dans le mouvement qui les a conduits à arrondir leurs domaines aux dépens des communaux indiens. Et il va même jusqu’à souhaiter que ce qui reste de ces derniers soit dorénavant mieux protégé contre les tentatives de spoliation.
5La crainte que l’Indien ne s’intègre au système capitaliste, et que, cessant d’être indien, il n’entraîne l’effondrement de la position dominante du ladino, s’exprime avec une particulière netteté dans la préface que Vicente Pineda a donné à son Histoire des soulèvements indiens. On sait en quels termes l’auteur a parlé de l’insurrection de 1869. Toutefois, après avoir qualifié les insurgés de « barbares », après les avoir comparés aux « rapaces nocturnes qui voudraient faire la guerre au soleil parce que ses rayons les aveuglent », après les avoir mis en parallèle avec les « hordes issues du centre de l’Asie pour anéantir l’œuvre de la civilisation », il conclut :
« En aucune manière, cependant, on ne peut les assimiler aux dynamiteurs irlandais, aux nihilistes russes, aux anarchistes allemands, aux socialistes belges, aux communistes français... Comparés à toute cette canaille, les Indiens ne sont qu’une pléiade de gens de bien. »4.
6Mais pour que ces « gens de bien » ne s’encanaillent pas, pour qu’ils ne deviennent pas à leur tour des dynamiteurs, des nihilistes, des anarchistes, des socialistes, des communistes, il faut que les ladinos ne les abandonnent pas entre les mains des capitalistes corrupteurs.
7Pineda et le groupe qu’il représente, ont parfaitement conscience que pour assurer sa permanence face au capitalisme, le système colonial doit se réformer. Les ladinos avaient maintenu les Tzotzil-Tzeltal dans cette « barbarie » dont ils furent d’ailleurs les premières victimes. Ils devraient maintenant, sinon les « civiliser » — Pineda laisse entendre que c’est impossible — du moins les rendre moins barbares, en leur enseignant avec prudence et discernement ce qui pourrait les « apprivoiser » (amansar) et les amener à collaborer à la défense de la société haut-chiapanèque traditionnelle. C’est dans cette perspective que Pineda suggère une politique d’éducation pour les Tzotzil-Tzeltal. Cette politique ne tend bien évidemment pas à l’assimilation des Indiens aux ladinos, car « ce qui est bon pour le ladino n’est pas forcément bon pour l’Indien ». Par ailleurs, il serait tout à fait regrettable que la tradition multiséculaire des Indiens, reflet d’une histoire glorieuse, s’altère et perde son authenticité. Aussi, l’œuvre éducative préconisée sera-t-elle « adaptée » :
« ... On ne peut espérer que les Indiens apprendront l’espagnol. Ils ne l’ont pas fait en quatre siècles, et plus grande est leur liberté, plus impérieux est leur désir de maintenir leurs coutumes et leurs superstitions, et plus profond est leur mépris pour tout ce qui n’appartient pas à leur nation et qui n’a pas été connu de leurs ancêtres. Donc, pour éduquer cette race, nous jugeons nécessaire que la société civilisée, le gouvernement et les ministres de la religion parlent [aux Tzotzil-Tzeltal] dans leurs langues. La société civilisée, pour qu’elle leur impose certaines de ses coutumes. Le gouvernement, pour qu’il fasse comprendre tout ce qui a trait au régime politique et administratif de la population placée sous son autorité... Les ministres de la religion, pour qu’ils enseignent et expliquent les dogmes et les maximes morales, pour qu’ils rendent tangibles les avantages que présente leur franche et loyale acceptation... D’autre part, nul ne peut nier que les idées parviennent à l’entendement avec plus de netteté, de clarté et de précision lors qu’elles sont exprimées dans la langue maternelle plutôt que dans toute autre langue quel que soit le degré de maîtrise acquis en elle. »
8Freiner la mobilité sociale des Tzotzil-Tzeltal, les placer dans une dépendance plus stricte des autorités politiques de la « société civilisée », leur imposer avec encore plus de rigueur l’ordre établi par et pour les ladinos, en le faisant sanctionner par la religion, tels sont les objectifs que Pineda se propose d’atteindre par le moyen de l’éducation. Et pour qu’aucune ambiguïté ne subsiste dans ses propos, il ajoute :
« Les Indiens se consacrent généralement à l’agriculture. Ils déprécient les autres activités, et ils pensent que seule l’agriculture est capable de satisfaire pleinement aux besoins des hommes. Cette attitude devrait être encouragée, en envoyant dans les communautés des professeurs d’agronomie, ou en laissant entrer quelques jeunes Indiens à l’école d’agronomie de l’Institut littéraire de l’État... Ouvrir aux Indiens d’autres horizons que le travail de la terre auquel ils se consacrent avec tant de bonne volonté, ne serait pas sage car l’agriculture a besoin d’autant plus de bras que les habitants des agglomérations ladinas éprouvent la plus vive répulsion envers cette activité. »
9Le mouvement indigéniste dont Pineda est sans doute le porte-parole le plus marquant sur les hauts-plateaux, n’a donc rien d’indien. D’ailleurs, les Tzotzil-Tzeltal ignorant qu’ils sont indiens, ne peuvent être « indigénistes ». Mais ce mouvement n’a rien non plus de pro-indien. Il se présente essentiellement comme la réaction du groupe dominant ladino de plus en plus déplacé et marginalisé par le développement économique qui s’amorce un peu partout au Mexique. L’action que ce groupe envisage, a pour but de réaménager le système colonial pour lui permettre de résister aux changements qui le secouent jusque dans ses fondations. Sous des dehors humanitaires, cette action tend à valoriser systématiquement l’Indien en tant que tel, afin de le maintenir dans la subordination, de l’empêcher de s’émanciper de la tutelle dont il est traditionnellement l’objet, et d’arrêter le processus de son abolition qui est en train de s’enclencher.
10Anticapitaliste et éminemment conservateur, cet indigénisme local se distingue non sans quelques difficultés d’ailleurs, de l’indigénisme socialisant et révolutionnaire qui se développe postérieurement comme un phénomène intellectuel et urbain, et dont les manifestations dans le domaine des lettres et des arts sont beaucoup mieux connues. Dans les combats et les luttes politico-militaires de la révolution, l’intelligentsia des grandes agglomérations mexicaines entra pour la première fois au contact direct de l’Indien qu’elle idéalisa d’autant plus qu’elle l’avait jusqu’ici ignoré et souvent méprisé. Pour ces intellectuels révolutionnaires, l’Indien devint bientôt l’artisan de la nationalité et l’instrument longtemps clandestin de toute l’histoire mexicaine. C’est lui qui avait fait le Mexique. C’est lui qui l’avait libéré au début du siècle passé du joug espagnol, et qui le libérait à nouveau de la domination anglo-saxonne. Par opposition aux influences européennes qui se trouvaient remises en cause, il fut considéré comme le dépositaire de toutes les valeurs authentiquement mexicaines. Les institutions dans lesquelles ces valeurs se révélaient, devaient servir de base à l’édification d’un ordre social meilleur. La communauté indienne dans laquelle chacun travaillant pour tous recevait ce dont il avait besoin, n’était-elle pas prototypique de ce collectivisme pour l’avènement duquel la révolution se faisait ? En réalité, l’Indien portait en lui la justification historique et sociologique du Mexique. Ce Prométhée enchaîné qui se libérait de ses entraves, offrait la promesse d’une civilisation nouvelle mais profondément enracinée dans le passé, qui ne ressemblerait à aucune autre, et qui restaurerait le pays dans son antique grandeur.
11Cet indigénisme nourri aux sources de l’histoire aztèque dont les vestiges commençaient à être systématiquement dégagés du sol, restaurés et étudiés, devint l’expression d’un social-nationalisme triomphant. Mouvement idéologique porté par romanciers et essayistes, archéologues et historiens, ethnologues, linguistes et poètes, il apparut bien vite ambigu lorsqu’il prétendit orienter l’action politique. Si d’une certaine manière, l’Indien était le support de la mexicanité, il était aussi le témoignage vivant et irrécusable de l’état d’inachèvement dans lequel se trouvait l’unité nationale posée comme idéal. Le fait qu’il existât toujours, quatre siècles après la Conquête et un siècle après l’Indépendance, des Indiens et des non-Indiens, des Blancs et des non-Blancs, prouvait que la nation mexicaine était encore en devenir. Tant que se maintiendraient ces différences raciales, ethniques et culturelles, tant que ne s’opèrerait pas la fusion de ces éléments disparates, et tant que ne surgirait pas de cette fusion une nouvelle race — la « race cosmique », selon l’expression de José Vasconcelos — le Mexique ne serait pas une nation. Substitut fonctionnel du prolétariat, l’Indien devait comme lui s’abolir dans la société que les intellectuels révolutionnaires lui donnaient pour mission de fonder.
12L’incorporation de l’Indien fut l’un des thèmes fondamentaux du programme politique que le régime révolutionnaire se donna. Ce programme s’inspira largement des idées par lesquelles l’ethnologue Manuel Gamio avait conclu, en 1922, une étude en profondeur des communautés de la vallée de Teotihuacan5. Il prévoyait la restitution des terres dont les communautés avaient été légalement ou illégalement dépouillées au cours du siècle passé, la constitution d’ejidos — sorte de calpulli soviétisés ou de kolkhozes aztéquisés —, la protection juridique de la personne indienne, et l’élaboration de diverses mesures éducatives, sanitaires et économiques devant permettre la « rédemption » de l’Indien et son intégration progressive dans la nation. Pour appliquer ce programme, un Département d’action sociale et culturelle et de protection indienne fut créé par le gouvernement fédéral. Ce Département ouvrit, en 1935, une agence à San Cristobal.
13C’est à partir de cette date que l’indigénisme conservateur des hauts-plateaux du Chiapas, et l’indigénisme révolutionnaire conçu dans les salons littéraires de Mexico, et revu et corrigé dans les officines gouvernementales de la capitale, se découvrent et entrent en conflit. Les représentants de l’un et l’autre mouvement sont d’accord pour faire « quelque chose » en faveur des Indiens. Mais faire quelque chose, ce n’est pas faire n’importe quoi, n’importe comment. Que des fonctionnaires fédéraux dont certains n’ont jamais vu un Indien de leur vie, veuillent prendre en charge les Tzotzil-Tzeltal, cela paraît déjà non seulement ridicule mais encore intolérable aux propriétaires fonciers et aux commerçants de San Cristobal, toujours prêts à dénoncer l’immixion du pouvoir central dans les affaires locales. Mais que le chef de ces fonctionnaires soit précisément un individu dont l’ascendance maternelle serait indienne et qui plus est chamula, cela fait figure de provocation pour l’ensemble de la population ladina. En effet, le gouvernement de Mexico avait nommé au poste de directeur de l’agence locale du Département d’action sociale, un certain Erasto Urbina dont les origines obscures donnaient lieu à toutes sortes de spéculations malveillantes. Le fait est que Urbina jouissait d’un crédit certain auprès des masses indiennes. Ce crédit lui permit d’associer quelques communautés à ses activités indigénistes. Il lui aurait même valu, semble-t-il, d’être reconnu à Chamula comme une nouvelle incarnation du šalik. L’élite de San Cristobal qui connaît son histoire, n’hésite pas à comparer Urbina à Galindo, et à le soupçonner de fomenter une nouvelle « guerre de castes ». Ce soupçon s’insinue d’autant plus aisément qu’un jour où Urbina est assiégé dans le bâtiment du Département d’action sociale par la populace de la ville que les finqueros ont mobilisée, les Chamulas s’arment et s’apprêtent à marcher sur San Cristobal.
14Les épisodes pittoresques de ce conflit ne doivent pas faire oublier le point essentiel. Qui, des propriétaires fonciers et des commerçants locaux ou des fonctionnaires fédéraux contrôlera les Tzotzil-Tzeltal ? Qui dirigera, et dans quel sens, leur évolution que les uns et les autres s’accordent à juger nécessaire ? Ces questions sont de toute première importance. Grâce à l’accord conclu entre Pineda et Obregón, en 1920, les propriétaires fonciers étaient parvenus à soustraire leurs domaines du champ d’application de la réforme agraire. Mais cette victoire se révèlerait vaine maintenant si les propriétaires fonciers n’arrivaient plus à obliger les Indiens à travailler pour eux comme auparavant. La possession de la terre est indissociable du contrôle de ceux qui la travaillent. Posséder de la terre sans avoir d’indiens pour la mettre en valeur n’a pas de sens. Aussi la formule des finqueros qui accusent le Département d’action sociale de provoquer leur ruine en leur « volant leurs Indiens », doit-elle être prise dans son acception la plus littérale. Elle traduit exactement la situation de l’aristocratie foncière et de l’ensemble de la classe dirigeante locale, menacées dans leur richesse et dans leurs biens par la prétention du gouvernement fédéral au contrôle exclusif des Tzotzil-Tzeltal, lesquels — encore une fois — apparaissent comme enjeu et non comme partenaires dans la lutte qui se livre en leur nom.
15Bien qu’investi de pouvoirs étendus, le Département d’action sociale est finalement contraint de composer avec les ladinos qui cessent de le paralyser, mais qui s’efforcent toujours avec succès d’en neutraliser ou d’en canaliser les activités. Ainsi, en 1937, les propriétaires fonciers de San Cristobal ne s’opposent pas à la création d’un syndicat de travailleurs indiens qui assurerait aux Tzotzil-Tzeltal les garanties qu’offre l’État fédéral à tous les ouvriers agricoles. Mais ils exigent et obtiennent que cette organisation syndicale n’ait juridiction que sur les Indiens de la région qui se rendent dans les plantations agro-industrielles du Soconusco et du Tabasco. Le syndicat, transformé en machine de guerre contre les entreprises capitalistes les plus dynamiques, ne parviendra jamais à modifier le régime d’asservissement auquel sont soumis les Tzotzil-Tzeltal dans les domaines traditionnels des hauts-plateaux. D’ailleurs, Urbina doit bientôt renoncer à ses fonctions. Exilé dans le Sonora, il est remplacé à la tête du Département d’action sociale de San Cristobal par un propriétaire foncier local.
L’action indigéniste : l’INI
16À la fin des années 1940, le gouvernement fédéral constatant l’échec des différentes agences que le Département d’action sociale avait ouvertes dans le pays, entreprend de relancer sa politique indigéniste sur des bases nouvelles. C’est à cette fin qu’il crée l’Institut national indigéniste (INI), organisation autonome, disposant de son propre personnel et de son propre budget, et relevant directement de la Présidence, dont la direction est confiée à l’éminent ethnologue et archéologue Alfonso Caso.
17Depuis le mois de février 1949, date à laquelle il commença ses travaux, l’INI a fondé une douzaine de Centres coordinateurs dans diverses zones indiennes du Mexique. Les Centres coordinateurs constituent les cellules de travail et les bases de rayonnement de l’action indigéniste Le rôle de ces Centres est de doter chacune des communautés sur lesquelles ils ont juridiction, des instruments nécessaires à leur développement. Le Centre aborde le problème de la promotion économique et sociale au niveau communautaire. Son action est intégrale, c’est-à-dire qu’elle affecte la communauté dans son ensemble et qu’elle se répercute à tous les paliers sociaux. Le fait que des ethnologues occupent dans les Centres des postes qui sont généralement confiés à des économistes dans les organismes de développement similaires, est révélateur de la conception totalisante que l’INI possède du développement.
18Les centres peuvent créer des écoles et des postes médicaux, ouvrir des exploitations agricoles modèles, organiser des coopératives de production, de consommation et de transport. Encore faut-il qu’ils reçoivent une réponse positive de la part des communautés. Car ce sont les communautés qui choisissent la nature et la forme de l’aide qu’elles désirent recevoir du Centre, et qui entreprennent la mise en œuvre de cette aide. Tous les services qu’offre le Centre sont d’ailleurs onéreux, les prix étant toutefois ajustés au niveau de vie de la population indienne. La participation du Centre aux coopératives ne peut excéder la moitié du capital souscrit. La construction des écoles, des dispensaires, l’exécution des travaux d’utilité publique, incombent également aux communautés. Le Centre pourvoit à l’investissement matériel et intellectuel, et à l’entretien du personnel (instituteurs, médecins, infirmiers, agronomes, etc.). Il n’est pas une institution caritative. Son œuvre — et c’est un point sur lequel insistent Caso et ses collaborateurs — repose sur une authentique coopération.
19Le premier Centre coordinateur de l’INI a été créé en 1950 dans la zone tzotzil-tzeltal. Ce Centre qui devait entreprendre un programme-pilote de développement socio-économique, bénéficiait au départ des connaissances ethnologiques indispensables, qu’une mission de l’Institut national d’anthropologie et de l’Université de Chicago avait rassemblées entre 1941 et 1944. Depuis sa fondation, il applique son action dans cinq domaines : l’éducation, l’économie, la santé, les communications et la protection juridique de l’Indien. Chaque domaine relève d’une section particulière du Centre, qui est dirigée par un spécialiste et animée par des techniciens formés aux méthodes de l’INI. Ces sections agissent en étroite interdépendance, afin que leur action ait une efficacité optimale.
201. Éducation. — De nombreuses communautés tzotzil-tzeltal possédaient depuis fort longtemps des écoles élémentaires. Jamais cependant, ces écoles ne fonctionnèrent correctement. Elles demeuraient déconnectées de la communauté, lorsqu’elles ne possédaient pas sur celles-ci des implications négatives. Les instituteurs étaient généralement des ladinos locaux qui partageaient les préjugés de leur groupe social. Les Tzotzil-Tzeltal étant monolingues, l’enseignement que ces instituteurs leur donnaient en espagnol et qui était identique à celui que recevaient les élèves des villes dont l’espagnol était la langue maternelle, avait peu de chance de laisser sur eux quelque trace. En fait, l’absentéisme scolaire était très élevé. Les instituteurs sans élèves employaient leur temps à commercer avec les Indiens et à leur vendre de l’eau-de-vie. D’autres complétaient leur maigre traitement de fonctionnaire en se faisant les enganchadores des planteurs de café. Dans les communautés où ils étaient en poste, ils n’éveillaient que crainte et méfiance.
21Le problème de l’INI n’était donc pas seulement de construire de nouveaux bâtiments scolaires, mais d’intégrer l’école au milieu, en donnant une formation pédagogique particulière aux instituteurs et en adaptant le contenu et les formes de l’enseignement aux orientations culturelles des élèves. Les linguistes du Centre se mirent à l’étude des langues tzotzil et tzeltal. Avec l’aide d’éducateurs, ils établirent un programme d’enseignement de ces langues aux Indiens eux-mêmes. Désormais, les Tzotzil-Tzeltal allaient apprendre à lire et à écrire dans leur langue maternelle, et non dans un idiome étranger. Pendant la première année de scolarité, l’enseignement est entièrement dispensé en tzotzil ou en tzeltal. L’étude de l’espagnol ne commence qu’en deuxième année où certaines matières sont enseignées dans cette langue. Au cours des années suivantes, le rapport des matières enseignées en tzotzil-tzeltal et en espagnol s’inverse progressivement, de sorte qu’à la fin de la scolarité, la totalité de l’enseignement est donnée en espagnol.
22Les instituteurs bilingues ont dû également ajuster l’enseignement aux conditions locales. Il ne leur suffit pas de pouvoir communiquer avec les élèves dans leur langue. Il faut encore capter leur attention, les intéresser aux matières enseignées en les dépouillant de tout ce qu’elles peuvent avoir à la fois de gratuit et d’« exotique » pour les Indiens. L’illustration de la grammaire, du calcul, de la géographie et des autres matières fondamentales, se fait à l’aide de cas concrets empruntés à la vie quotidienne des Tzotzil-Tzeltal. A ces matières fondamentales, s’en ajoutent d’autres plus immédiatement utilisables. Ainsi, chaque école possède un champ sur lequel les élèves dirigés par leurs maîtres et par les ingénieurs agronomes du Centre, peuvent se livrer à des expériences de cultures nouvelles. Le produit de la récolte obtenue est réparti entre les familles des écoliers.
23Chaque école est placée sous le double contrôle de la section d’éducation du Centre, et d’un comité local d’éducation formé par les pères de famille et par les plus hautes autorités de la communauté. Car l’école ne doit pas seulement répondre de façon abstraite aux besoins de la population ; il lui faut s’insérer dans le groupe, être acceptée par la collectivité, et devenir au même titre que les cofradías ou le cabildo par exemple, une institution authentiquement communautaire. C’est à cette condition qu’elle peut prétendre à une efficacité optimale à la fois sur les tranches d’âges scolaires et sur l’ensemble de la population.
24De 1951 à 1964, le nombre d’instituteurs est passé de 46 à 110, et le nombre d’écoles de 46 à 82. Ces écoles qui recevaient en 1951 1 504 élèves tzotzil-tzeltal, en comptaient 7 055 en 1964. Au cours de la même période, le pourcentage de filles par rapport à l’ensemble des enfants scolarisés n’a cessé d’augmenter de façon régulière, passant de 12 à 29. Pour considérable que soit le progrès que traduisent ces chiffres, il ne doit pas faire oublier que le taux d’absentéisme scolaire est resté à peu près constant malgré d’amples variations annuelles. Il ne doit pas non plus faire oublier que la masse scolarisée ne correspond toujours qu’à une très faible partie de la masse scolarisable. Si l’on admet que 25 % des Tzotzil-Tzeltal ont entre 6 et 14 ans, la population d’âge scolaire s’élèverait à 50 000. Or, moins de 15 % de cette population est effectivement touchée par l’école. Le processus d’éducation des jeunes générations indiennes est engagé sur des principes dont l’originalité et la pertinence sont hors de cause. Mais la généralisation de ce processus, s’il se poursuit au rythme avec lequel il s’est déroulé pendant ces dernières années, ne saurait être envisagée avant longtemps.
252. Économie. — Les études pratiquées par le Centre coordinateur et par des ethnologues travaillant en étroite collaboration avec lui, ont mis en évidence l’adaptation profonde du système de production des Tzotzil-Tzeltal aux conditions écologiques locales. La culture sur brûlis que les Indiens pratiquent, a souvent été jugée trop extensive et destructrice. Cependant, le brûlis permet de donner aux sols le potassium qui leur manque dans certaines zones où l’agriculture serait impossible autrement. L’association du maïs et du haricot sur le même champ, a été présentée comme peu rentable. Toutefois, outre qu’elle constitue pour le cultivateur une assurance contre les risques d’une mauvaise récolte, cette association culturale aide au maintien d’un équilibre pédologique essentiel. En effet, la légumineuse restitue à la terre les nitrates que la céréale lui prend. Les techniques instrumentales, le bâton à fouir par exemple, paraissent elles aussi rudimentaires. Mais la charrue à soc métallique et même l’araire qui scarifie le sol sans retourner la terre, ne seraient d’aucune utilité sur des champs exigus qui se divisent au fil des successions, et dont certains n’ont même pas dix mètres sur cinq. Dans les rares endroits qui se prêteraient à cette innovation, le remplacement du bâton à fouir par l’araire contribuerait à accélérer l’érosion déjà intense des sols. La dégradation définitive du terroir serait le prix de quelques récoltes supérieures à la moyenne.
26L’action économique du Centre coordinateur ne devait donc pas tellement viser à réaliser des changements dans le système de culture et d’exploitation en vigueur, mais à accroître la productivité de ce système d’une part, et d’autre part à développer des activités nouvelles à haut rendement, qui s’intègreraient au cycle des activités traditionnelles. Dans les quatre stations expérimentales créées par le Centre à Zinacantan, Chamula, Chenalho et Chanal, des espèces plus productives de maïs, de haricots et de pommes de terre ont été sélectionnées. Des semences de ces espèces sont distribuées dans toutes les écoles de la région. Les élèves les plantent sur le champ scolaire, et leurs parents en recevant la part qui leur revient de la récolte, peuvent comparer les rendements de ces semences et de celles qu’ils utilisent habituellement. Ainsi, la vente de semences sélectionnées est passée de quatre à cent tonnes, entre 1951 et 1964.
27Les stations agricoles expérimentales ont diffusé par le même procédé et avec un égal succès, des plants de café et d’arbres fruitiers. Les communautés du versant septentrional des hauts-plateaux, situées à des altitudes inférieures à 1 600 mètres, présentent des conditions particulièrement favorables à la caféiculture de haute qualité dont la production échappe aux fluctuations des cours mondiaux. Quant aux communautés de la zone des crêtes, l’arboriculture y a été développée en tenant compte non seulement des conditions climatiques et pédologiques, mais aussi et surtout de la situation du marché régional et national sur lequel la demande de fruits est en expansion. Dans l’ensemble des hauts-plateaux, le nombre d’arbres fruitiers est passé de 17 000 en 1951, à plus de 100 000 en 1964. En 1965, la production fruitière de la seule communauté de Chamula a été estimée à huit millions de pesos, somme équivalente à celle que les Chamulas ramènent annuellement de leur travail saisonnier dans le Soconusco.
28Dans la zone centrale des hauts-plateaux, près de Chilil et de Los Llanos où l’abondante couverture forestière était menacée de destruction par les Chamulas et les Huixtèques qui fabriquaient du charbon de bois, une exploitation sylvicole pilote a été créée. Cette exploitation de type coopérativiste, qui est dirigée par un ingénieur, dispose actuellement du matériel nécessaire pour transformer l’arbre en grumes et en planches, et pour assurer le transport de la production vers les points de vente. Dans une phase ultérieure, la production pourra être entièrement transformée sur place grâce à l’implantation aux côtés de la scierie, de différents ateliers de menuiserie et d’ébénisterie.
29Si l’expérience coopérativiste peut être considérée comme positive dans le domaine de la production, il n’en va pas de même dans le domaine de la consommation et des transports. Dans l’esprit de leurs promoteurs, les coopératives de consommation et de transport devaient permettre aux communautés d’acheter et de vendre aux meilleurs prix, en mettant en concurrence les différents marchés régionaux. Très vite, cependant, les coopératives de consommation se sont heurtées à un problème de gestion aggravé par la suspicion dans laquelle les coopérateurs tinrent leurs dirigeants soupçonnés de corruption, et les membres de la communauté les coopérateurs accusés de s’enrichir aux dépens des non-coopérateurs. La coopérative qui devait canaliser les solidarités communautaires traditionnelles sans doute surestimées, a principalement exacerbé l’individualisme indien. Certaines coopératives organisées sur une base trop étroitement familiale, prêtaient flanc à une telle réaction. À Chamula, par exemple, deux familles d’ailleurs apparentées dominent Tune la coopérative de consommation, l’autre la coopérative de transport. Quand bien même les Tzotzil-Tzeltal auraient vu dans le coopérativisme un moyen d’entamer le monopole économique des ladinos, ils n’auraient pu utiliser la coopérative dans ce sens. En effet, les relations commerciales entre les Tzotzil-Tzeltal et les ladinos reposent bien souvent sur des relations plus profondes et plus complexes ; elles s’inscrivent dans des rapports plus généraux de clients à patrons. Pour inégalitaires qu’elles puissent être — et précisément, parce qu’elles sont inégalitaires — elles ouvrent un droit de protection et de prise en charge par le ladinos, droit auquel l’Indien dans son aliénation, ne consent pas à renoncer.
303. Santé. — Les données des recensements nationaux ne se prêtent guère à des élaborations statistiques. Toutefois, les conditions d’hygiène et l’absence totale de services médicaux ou paramédicaux dans les communautés tzotzil-tzeltal, permettent de penser que le taux de mortalité et singulièrement le taux de mortalité infantile, était beaucoup plus élevé sur les hauts-plateaux que dans l’ensemble du Mexique, avant la création du Centre coordinateur de l’INI. D’après les résultats d’enquêtes locales, les causes principales de décès étaient les maladies gastro-intestinales, les affections des voies respiratoires et les accidents cardio-vasculaires. Les premières s’expliquent essentiellement par le manque d’hygiène alimentaire, de même que les secondes se justifient par l’insuffisante protection des individus contre l’agression du rude climat de la région.
31En outre, les maladies importées d’Europe et que l’on qualifie d’infantiles, ont également une incidence considérable sur la mortalité des enfants comme des adultes. C’est le cas de la rougeole et de la coqueluche auxquelles les Tzotzil-Tzeltal se montrent extrêmement réceptifs, et qui revêtent chez eux des formes aiguës. A ces maladies, s’ajoutent celles qui, telles le paludisme et l’onchocercose, ont été introduites à une date plus récente par les travailleurs saisonniers, et qui limitent la capacité de production de l’individu sans restreindre pour autant ses besoins. Le coût social du paludisme, de l’onchocercose et des autres maladies tropicales, est de ce fait très élevé.
32À partir de 1951, le Centre coordinateur a ouvert dans chacune des communautés un poste médical dirigé par un infirmier susceptible de donner les premiers soins. Lorsque leur état l’exige, les malades sont acheminés vers l’une des trois cliniques polyvalentes créées dans la région. Ces cliniques sont placées sous la responsabilité d’un médecin, et elles possèdent un équipement qui permet de pratiquer les interventions chirurgicales courantes. Dans les cas d’affections particulièrement graves, les malades sont dirigés sur Mexico où ils sont traités dans les meilleures conditions.
33Malgré la densité du réseau d’infirmeries et de cliniques, et le nombre et la qualité du personnel traitant, l’action curative du Centre n’a pas reçu de la part des Tzotzil-Tzeltal l’accueil attendu. En 1961, la clinique de Chamula ne parvenait à attirer qu’une dizaine de consultants par semaine. Il s’agissait en général de patients qui avaient épuisé en vain toutes les ressources de la médecine traditionnelle, et dont la maladie était arrivée au dernier degré de son évolution. La plupart d’entre eux étaient dans un état désespéré et mouraient quelques jours après leur hospitalisation, ce qui n’a certainement pas contribué à élever le prestige de la médecine moderne et des médecins de l’INI.
34Comme l’a montré William Holland6, la conception qu’entretiennent les Tzotzil-Tzeltal à propos de la maladie et de la guérison, est partie intégrante d’une conception globale de l’univers. La notion de maladie est intimement associée soit à celle de péché ou de faute morale, soit à celle d’agression métaphysique. La maladie a toujours pour cause une rupture des rapports entre le corps, l’esprit et le double-animal, provoquée par la colère des saints et des dieux, ou par la jalousie des parents ou des voisins. La guérison ne peut être obtenue qu’en apaisant les divinités irritées, ou qu’en satisfaisant aux exigences du groupe de parenté ou de voisinage envieux. Quelqu’aient été les efforts déployés par le Centre pour présenter les méthodes de traitement moderne en termes traditionnels — notamment en associant à l’acte médical des ‘ilol — il n’a pu entamer cette conception de la maladie.
35Aussi, la section de santé du Centre coordinateur a porté son action sur la médecine préventive plus que sur la médecine curative. Depuis plus d’une dizaine d’années, elle a entrepris des campagnes contre le typhus qui sévissait à l’état endémique, la variole, le paludisme et l’onchocercose. La disparition complète de ces quatre maladies témoigne du succès de la lutte engagée. En outre, le Centre s’est attaché à améliorer les conditions générales d’hygiène en protégeant les sources et les puits contre la pollution, et en développant les réseaux de distribution d’eau potable. L’indice moyen de parasitation, qui était supérieur à 50 % en 1955, est tombé à moins de 35 % en 1961. L’assainissement du milieu qui se poursuit à un rythme très rapide, contribue indirectement à abaisser de façon sensible la morbidité et la mortalité sur les hauts-plateaux.
364. Communications. — Surmonter les obstacles naturels qui isolaient les communautés, raccorder ces communautés entre elles d’abord, et à la ville de San Cristobal ensuite, de manière à les « désenclaver » et à réaliser leur « intégration régionale et nationale », tels ont été les principes qui ont conduit le Centre à étendre le réseau routier des hauts-plateaux. Depuis 1951, plusieurs centaines de kilomètres de routes, de chemins et de pistes empierrées, praticables en toutes saisons par les véhicules des coopératives indiennes de transport, ont été mis en service. Les communautés de Pantelho et de Chalchihuitan, particulièrement difficiles d’accès, ont été reliées par une route à l’ancien Camino Real qui, de San Cristobal, passe par Chamula et Chenalho. La route de San Cristobal à Chilil a été prolongée vers Oxchuc au nord, et vers Chanal à l’est. Sur ces deux grands axes, s’embranchent aujourd’hui plusieurs pistes qui conduisent à Zinacantan, Larrainzar, Milpoleta, etc.
37Les travaux de construction routière ont été en partie réalisés par des équipes de travailleurs tzotzil-tzeltal. À l’origine, chaque communauté était responsable du tronçon de route qui traversait son territoire. Le travail était organisé de manière traditionnelle, sur la base de la section ou du hameau. Cependant, il apparut que les Indiens habitués à cette forme de travail collectif, n’étaient pas en mesure d’effectuer un labeur suivi et régulier, commençant et terminant à heures fixes, et s’étendant sur une longue période. Il s’en suivait un gaspillage des moyens techniques et une sous-utilisation des machines. Le travail collectif ne fut utilisé que pour réaliser les infrastructures. Pour les autres ouvrages, on eut recours à des travailleurs salariés. Le cas est intéressant car il montre les limites des formes d’organisation traditionnelle du travail sur lesquelles certains indigénistes ont investi tant d’espoirs. Il révèle également que l’INI, loin d’être victime de clichés indigénistes, révise constamment ses méthodes en fonction de l’expérience qu’il tire de leur application.
385. Assistance juridique. — Jusqu’à une date récente, et malgré la législation qui le protège au même titre que la femme et l’enfant sans le priver en rien de ses capacités, l’Indien était systématiquement victime d’un déni de justice. Les innombrables avocats (licenciados) qui prolifèrent à San Cristobal, vivaient confortablement de la multitude des litiges entre Indiens, qu’ils entretenaient à leur gré et qu’ils réglaient le plus souvent par un vague compromis, après avoir exigé des honoraires exhorbitants. Dans les conflits qui opposaient un Indien à un ladino, le licenciado aurait estimé manquer à l’élémentaire caballerosidad s’il avait obtenu gain de cause pour son client indien. L’Indien avait toujours tort, même et d’abord aux yeux de la justice.
39Le Centre coordinateur a mis à la disposition des communautés et de leurs membres, un service d’assistance juridique. Ce service n’a pas seulement pour fonction de conseiller les Tzotzil-Tzeltal, mais aussi de les représenter et de les défendre devant les cours régionales dans les procès qui pourraient les opposer à des ladinos. En 1964, les conseillers juridiques du Centre sont intervenus en faveur de personnes physiques ou morales dans 89 affaires dont 7 d’ordre pénal et 82 d’ordre civil. Leurs interventions tendent d’une part à assainir le milieu judiciaire de San Cristobal et à faire appliquer la loi aux ladinos comme aux Indiens, et d’autre part à combler l’écart existant entre la législation mexicaine et le droit coutumier indien, par l’interprétation de la première en fonction du second.
Évaluation de l’œuvre de l’INI
40La portée de l’INI dépasse largement le cadre de son action proprement indigéniste. L’INI a été la première institution qui ait eu recours au savoir d’ethnologues, d’anthropologues et de sociologues, et qui ait appliqué à des problèmes pratiques de développement, l’apport théorique des sciences sociales. Partant de la définition de l’anthropologie que Manuel Gamio a donné au début du siècle, selon laquelle cette science rassemblerait et organiserait « les connaissances de base nécessaires à l’exercice d’un bon gouvernement, qui faciliteraient la promotion économique et sociale des hommes et des peuples », l’INI a fait naître une jeune génération d’anthropologues engagés dans l’action, en même temps qu’il orientait les sciences sociales dans la recherche de cette « technologie sociale » que les spécialistes du sous-développement appellent de leurs vœux. Renouvelant l’héritage du positivisme mexicain, il a largement contribué à façonner une anthropologie au service de la cité, qui perd dans la confrontation permanente de ses hypothèses à la dure réalité des faits, le caractère de gratuité (et de fatuité) qui est encore trop souvent le sien ailleurs.
41Les dirigeants de l’INI et Alfonso Caso le tout premier, n’ignorent pas les limites de l’œuvre qu’ils accomplissent. Ils connaissent mieux que quiconque les échecs partiels qu’ils ont subis et dont ils s’efforcent inlassablement de tirer tous les enseignements, en procédant avec lucidité à leur analyse. Toutefois, ils ont conscience d’être en possession d’une nouvelle méthode de développement socio-économique intégral, dont l’application peut être parfois déficiente et doit être sans doute corrigée, mais dont les orientations fondamentales et les principes recteurs sont bien établis. Aussi est-ce à ce niveau qu’il convient de situer toute discussion critique de l’action de l’INI. Deux principes qui sous-tendent en définitive l’ensemble de la méthodologie du développement à partir de laquelle les Centres coordinateurs agissent, semblent particulièrement significatifs et sont susceptibles d’avoir d’importants prolongements théoriques. Ils portent sur les rapports du Centre aux communautés d’une part, et sur l’influence de ces rapports à l’intérieur des relations globales entre Indiens et non-Indiens, d’autre part.
42Dans la mesure où le Centre coordinateur veut être autre chose qu’une institution caritative, une communication doit s’établir et se maintenir en permanence avec les communautés auxquelles il apporte une aide. Car cette aide n’est pas imposée ; elle est constamment négociée entre celui qui la fournit et celui qui la reçoit. Elle est aménagée en fonction des besoins objectifs et subjectifs du bénéficiaire. D’où la nécessité dans laquelle se trouve le Centre, de rencontrer comme interlocuteurs une élite indienne moderne et ouverte à la culture nationale, ou de susciter avant même d’entreprendre toute action, une telle élite dans chacune des communautés sur lesquelles il prétend rayonner. C’est à cette fin que le Centre a institué des « promoteurs culturels ». Ces promoteurs sont recrutés parmi les adolescents et les jeunes gens qui ont terminé le cycle d’enseignement primaire dans leurs communautés, et qui ont montré pendant la durée de leur scolarité, des dispositions intellectuelles adéquates. Dotés d’une bourse de l’INI, ils sont envoyés pour deux ou trois ans dans le Centre afin d’y achever leur instruction et d’y recevoir un enseignement spécialisé dans le domaine de l’éducation, de la médecine et de l’hygiène, de l’agriculture et de la gestion des coopératives, etc. Puis, ils sont renvoyés dans leurs communautés d’origine où le Centre les affecte selon la spécialité qu’ils ont acquise, à un poste d’instituteur dans une école, d’infirmier dans une clinique, d’agronome dans une station expérimentale. Ces promoteurs sont appelés à assurer le relai entre la communauté et le Centre. Continuant à vivre dans leur groupe et n’ayant jamais cessé d’être en prise directe avec lui, ils sont censés être à même d’en comprendre et d’en traduire les problèmes, et de lui faire accepter les solutions que propose le Centre après qu’ils les aient eux-mêmes ajustées et adaptées. Dès lors que la médiation qu’ils établissent se révèle fructueuse et apparaît indispensable à la communauté, les promoteurs doivent s’imposer comme nouveaux leaders et devenir les vecteurs des changements et les agents de la modernisation.
43Cependant, cette expérience n’a pas porté tous les fruits que le Centre attendait. En effet, le corps des promoteurs fait preuve d’une assez grande instabilité. En moyenne générale, la durée du service des promoteurs n’excède guère celle de leur formation. Après trois ou quatre ans de travail dans la spécialité qu’ils ont acquise au Centre, les promoteurs abandonnent leur emploi. Malgré les recyclages réguliers auxquels ils sont soumis et le contrôle permanent qui est exercé sur eux, ils sont rapidement absorbés soit par la communauté indienne dont ils sont issus, soit par la société ladina à laquelle ils se sont culturellement assimilés. Les uns cèdent aux pressions souvent très fortes dont ils sont l’objet dans leur milieu d’origine, pour qu’ils se conforment aux coutumes et aux normes traditionnelles. Ils réintègrent l’ordre social qu’ils avaient pour mission de transformer par le dedans. À Chamula, plusieurs infirmiers du Centre, qui possédaient une excellente formation et qui avaient réalisé jusqu’alors un très bon travail, ont brutalement rompu avec l’INI pour s’établir à leur compte comme guérisseurs. Il est curieux de remarquer que les méthodes thérapeutiques auxquelles ils recourent aujourd’hui, sont des méthodes traditionnelles combinées avec des méthodes modernes telles que l’injection de calcium ou d’eau distillée. Dans ce cas, le promoteur utilise la formation qu’il a reçue du Centre, à des fins personnelles, pour accroître son statut et élever sa position à l’intérieur du groupe traditionnel.
44Quant aux autres promoteurs, à ceux qui résistent non sans peine ni sans risque d’ailleurs, aux pressions de leur milieu d’origine, ils n’en sont pas moins perdus à terme poulie Centre. En possession de l’instruction qui leur a été donnée, ils cessent de s’identifier à leur groupe. Dès lors qu’ils parlent l’espagnol, qu’ils s’habillent à l’européenne et qu’ils perçoivent un traitement de fonctionnaire aussi modeste soit-il, ils ne se considèrent plus comme indiens et ils ne sont plus considérés comme tels ni par les Indiens ni par les non-Indiens. Ils ne tardent pas à partager tous les préjugés que ces derniers entretiennent à propos des Tzotzil-Tzeltal. Ils adoptent une attitude anti-indienne d’autant plus outrée qu’ils éprouvent le besoin de mieux marquer la rupture avec leurs origines ethniques, et de s’assimiler pleinement à la société nationale. Même si ces ex-Indiens continuent de travailler pendant un certain temps pour le Centre, leurs attitudes et leurs comportements sont en contradiction trop flagrante avec le rôle que l’INI leur demande de jouer.
45Le Centre voulait faire des promoteurs des individus qui participeraient à la fois de la culture indienne et de la culture ladina tout en se maintenant dans le groupe indien, et qui pourraient ainsi établir entre les deux cultures une communication au moyen de laquelle des transferts d’éléments auraient pu s’opérer de l’une à l’autre. L’échec de cette tentative de création d’une élite indienne moderne révèle l’incompatibilité qui existe entre les groupes de la région. Le groupe indien et le groupe ladino sont d’autant plus incompatibles que l’ordre de leurs rapports est défini sur une base socio-culturelle et non raciale. On sait la part qu’ont prise au Pérou, au Brésil et plus récemment dans les colonies européennes d’Afrique, les Noirs acculturés dans l’émancipation de leur groupe ou de leur pays. Bien que parlant la langue et partageant la culture de leurs colonisateurs, ces individus n’en demeuraient pas moins radicalement séparés de ces derniers par la frontière raciale. À Londres ou à Paris, l’universitaire, le médecin, l’ingénieur originaire de Nairobi ou d’Abidjan, s’apercevait chaque jour en nouant sa cravate devant un miroir qu’il était noir et qu’il ne pourrait jamais s’assimiler pleinement à la société coloniale — que celle-ci fut « raciste » ou non d’ailleurs. La couleur de la peau rejetait les élites noires modernes vers les masses traditionnelles dont elles se firent les porte-parole et dont elles devinrent les leaders. En Afrique, le système colonial a été détruit par les métis culturels qui furent les sous-produits des contacts entre colonisateurs et colonisés, et pour lesquels ce système n’avait prévu aucune place.
46En revanche, le système colonial mésoaméricain a toujours su récupérer et absorber ses propres sous-produits. Dès lors qu’un Indien parle l’espagnol et s’habille à l’européenne, il est automatiquement intégré à la société nationale (coloniale). Il passe du groupe dominé au groupe dominant, de la catégorie des exploités à celle des exploiteurs, sans que le souvenir de ses origines fasse obstacle à ce passage et le rejette de quelque manière que ce soit dans le groupe ou la catégorie dont il est issu. Il ne peut y avoir d’Indien acculturé, car dans la mesure où un individu est indien il n’est pas acculturé, et dans la mesure où il est acculturé il n’est plus indien. Il ne peut donc exister d’élite indienne moderne. Cette absence d’élite indienne susceptible d’éveiller une conscience indigène dans la masse colonisée, explique en grande partie la pérennité du système colonial qui depuis quatre siècles, fonctionne sans rencontrer de résistances internes suffisamment fortes pour le remettre en cause. Les rapports entre Indiens et non-Indiens sont d’ordre cumulatif : le système qui les contient empêche leur dialectisation.
47La difficulté dans laquelle se trouve le Centre d’établir des rapports permanents à caractère transculturel avec les communautés, a certainement limité l’impact de son action dans le domaine du développement communautaire. On a décrit les efforts notables et souvent ingénieux que le Centre a déployés afin de donner aux Tzotzil-Tzeltal les moyens techniques d’augmenter leur production, d’accroître leurs échanges et de progresser ainsi dans la voie de la parité avec les ladinos. Que ces efforts soient encore insuffisants, qu’ils n’aient pu en une dizaine d’années porter tous leurs fruits, il n’y a rien d’étonnant à cela. Le Centre inscrit son action dans une perspective à long terme. Il part de ce principe au demeurant fort discutable, que les changements qu’il induit ne doivent pas provoquer de ruptures brutales ni de tensions trop fortes. Mais ces changements sont assez importants pour qu’on puisse dès à présent dégager le sens dans lequel ils opèrent.
48Notons en premier lieu que les Tzotzil-Tzeltal ont adopté les techniques et les méthodes nouvelles qui leur étaient présentées, à partir du moment où ils en apercevaient assez clairement l’utilité. C’est peu dire qu’ils n’ont pas fait preuve de ce conservatisme viscéral dont on les a si longtemps chargés. Grâce à ces techniques et à ces méthodes ils sont parvenus à accroître leur production et à augmenter le surplus qu’ils écoulaient sur le marché. Mais leur revenu s’est-il développé en conséquence ? Et d’une manière plus générale, leur situation sociale et économique dans l’ensemble régional s’est-elle améliorée ? Malgré la création de coopératives de production, de consommation et de transport dont on a montré les difficultés, il faut bien reconnaître que les circuits d’échanges sont demeurés fondamentalement identiques. Comme par le passé, ce sont les ladinos qui les contrôlent, fixant arbitrairement les prix et contraignant l’Indien aussi bien à l’achat qu’à la vente. Les négociants qui pratiquent l’échange par assaut, ont non seulement maintenu mais encore étendu le champ de leurs activités. Grâce aux routes et aux chemins ouverts par le Centre avec la coopération des Indiens, ils parviennent aujourd’hui à dominer complètement l’économie de certaines communautés qui échappaient partiellement à leur emprise lorsqu’elles n’étaient pas encore désenclavés. Si la production des communautés tzotzil-tzeltal a augmenté, elle continue d’être accaparée par les ladinos qui se l’approprient avec des moyens techniques renforcés. Le drainage des biens produits par les Indiens ne s’effectue plus uniquement à l’échelon artisanal, comme c’était le cas auparavant avec les seuls esperadores et atajadores. A l’heure actuelle, il tend à s’organiser à grande échelle, avec l’intervention de sociétés qui possèdent des camions et qui sont en mesure de réaliser de véritables raids de pillage sur toute l’étendue des hauts-plateaux. Les communautés indiennes, bien que produisant plus, sont toujours aussi pauvres car elles sont toujours aussi exploitées. Elles ne cessent d’être stérilisées par les rapports économiques contraints et inégalitaires qu’elles entretiennent avec la métropole régionale de San Cristobal dont la population ne dispose toujours pas d’autres moyens de subsistance que la traite et l’exploitation des Indiens.
49L’action du Centre s’est voulue « intégrale ». Cependant, elle ne s’est jamais appliquée qu’au niveau de la communauté, comme si celle-ci était source de tous les blocages présents et de tous les dynamismes futurs. Elle a considéré l’institution communautaire comme une forme archaïque d’organisation sociale qu’il convenait de tirer de son isolement et de mettre en relation avec la société nationale, pour que des éléments culturels occidentaux se diffusent et se greffent en elle, et accomplissent sa modernisation. Elle a ignoré le fait que cet archaïsme, loin d’être la conséquence d’une situation géo-culturelle d’isolement, est le produit direct d’un ensemble de relations de dépendance dans lesquelles la société nationale a placé et maintenu jusqu’ici les communautés indiennes. En multipliant les contacts qui étaient censés lui permettre d’acquérir les instruments grâce auxquels il pourrait se ladiniser, le Centre a augmenté l’emprise que le ladino possédait déjà sur l’Indien, et il a renforcé d’autant la dépendance de ce dernier.
50Par ailleurs, cette conception de la communauté indienne tirée d’une ethnologie trop conformiste, a conduit le Centre à envisager le problème tzotzil-tzeltal sous un aspect culturel plus que structurel. Elle l’a amené à le traiter comme un problème de promotion d’une population attardée et non comme un problème de libération d’une population opprimée, dont la solution est moins d’ordre technique que d’ordre politique, dans la mesure où elle implique le renversement d’un système de rapports sociaux. L’action du Centre, en effet, n’a pas remis en cause l’ensemble de ces rapports dans lesquels l’Indien se trouve inscrit et qui le conditionnent. Elle s’est exercée à l’intérieur du système que de tels rapports définissent, système que le Centre semble avoir implicitement tenu pour le symptôme ou pour l’effet de l’infériorité des Tzotzil-Tzeltal alors qu’il en est la cause fondamentale, et dont il a supposé le réaménagement progressif au fur et à mesure que l’Indien serait techniquement à même de s’appareiller au ladino. Ce faisant, le Centre a indirectement et involontairement contribué à étayer ce système et à le consolider. La réorganisation des communautés qu’il a entreprise sur la base de l’amélioration des techniques et des méthodes de production indienne, n’a fait que lui conférer une plus grande rentabilité.
51S’il fallait résumer en quelques mots l’action du Centre coordinateur, on dirait que celui-ci a investi dans les communautés indiennes, mais que ce sont les ladinos plus que les Tzotzil-Tzeltal qui perçoivent les dividendes de ces investissements. De même que l’aide aux pays sous-développés finance le sous-développement plutôt qu’elle ne le résorbe, l’assistance aux communautés tzotzil-tzeltal subventionne les déséquilibres ethniques et sociaux de la région. On en vient à se demander si, avant même d’entreprendre la fondation d’un Institut indigéniste, il n’aurait pas été plus judicieux d’ouvrir à San Cristobal un Institut « ladiniste » qui eût offert à la population ladina des hauts-plateaux de plus larges moyens d’existence, qui l’eût orientée vers des activités économiquement plus productives, et qui, en la détournant de cette exploitation de la masse indienne dont elle dépend presque exclusivement pour subsister, eût amorcé un processus de dépérissement du système colonial. Car le problème tzotzil-tzeltal est d’abord un problème ladino. La transformation des communautés indiennes passe nécessairement par la transformation du groupe dominant non-Indien. Dans la mesure où ce groupe demeure ce qu’il est, les communautés demeureront ce qu’elles sont, car les rapports du premier aux secondes ne changeront pas. Mais dans la mesure où ce groupe se modifie, ses rapports aux communautés se modifieront eux aussi. De nouveaux rapports sociaux s’établiront, à l’intérieur desquels les notions d’Indien et de non-Indien pourraient s’abolir. Une nouvelle modalité d’intégration et de structuration sociales pourrait se substituer à l’ancienne qui se fonde sur une discrimination culturelle et qui met en œuvre une certaine forme de domination et d’exploitation que nous avons qualifiée de coloniale.
52En tous cas, ce n’est que dans les cadre d’une action plus générale tendant à renverser le système colonial haut-chiapanèque et à libérer l’Indien du poids de l’oppression séculaire qui pèse sur lui, que l’œuvre de l’INI se justifierait pleinement, car ce n’est qu’au sein d’une telle action concertée qu’elle parviendrait à atteindre ses buts et à réaliser ses objectifs.
Notes de bas de page
1 Pineda, Vicente, Historia de las sublevaciones de indígenas habidas en el Estado de Chiapas (annexe), San Cristobal, 1888.
2 Paniagua, Antonio Flavio, Catecismo elemental de historia y estadística de Chiapas, San Cristobal, 1876.
3 Pineda, Manuel, Estudio sobre ejidos, San Cristobal, 1910.
4 Pineda, Vicente, op. cit., p. 67.
5 Gamio, Manuel, El valle de Teotihuacan, Mexico, 1922, 3 vol.
6 Holland, William, Medicina maya en los Altos de Chiapas, INI, collección de antropología social, no 2, Mexico, 1963.
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