Chapitre III. Les rapports sociaux actuels
p. 81-111
Texte intégral
« Indigenas » et « Ladinos »
1Les habitants des hauts-plateaux se répartissent eux-mêmes en ladinos et en indígenas. Cette répartition est générale, immédiate et automatique, en ce sens que quiconque n’est pas ladino est nécessairement indigène, et que quiconque n’est pas indigène est nécessairement ladino. Tout individu est identifié à l’une ou à l’autre de ces catégories, et à l’une ou à l’autre seulement. Cette identification se fonde sur le consensus. Dans la quasi-totalité des cas, la personne classée comme ladina par un Indien se reconnaît comme ladina, et elle est reconnue pour telle par l’ensemble des ladinos et des Indiens — l’inverse n’étant pas moins vrai. La ligne de départ entre ces deux catégories prête donc rarement à contestation.
2Sous le régime espagnol et jusqu’aux premières décennies du régime républicain, l’esclave d’origine africaine constituait une troisième catégorie socio culturelle sur les hauts-plateaux. Mais cette catégorie n’a jamais été très importante. La représentativité des Afro-américains qui ne furent pas très nombreux dans la région1, se trouvait limitée. La proximité géographique et sociologique à laquelle les Afro-américains se situaient par rapport à la société coloniale, les empêchait de développer pleinement leur spécificité. En effet, les Afro-américains étaient dispersés individuellement ou par petits groupes sur les domaines ecclésiastiques ou dans les propriétés et les demeures particulières. Ils vivaient au contact étroit des Espagnols et des créoles qui se déchargeaient souvent sur eux d’une part importante de leurs responsabilités. Contre-maîtres, majordomes, intendants, parfois même confidents, toujours hommes de confiance plutôt qu’hommes de peine, ils étaient conduits à identifier leurs intérêts à ceux de leurs maîtres desquels ils recevaient en retour un traitement privilégié. Thomas Gage note qu’à San Cristobal, l’accès des arènes interdit aux Tzotzil-Tzeltal, était autorisé aux esclaves africains2. Les Afro-américains pouvaient aussi porter poignard et s’habiller à l’européenne3.
3La présence des Afro-américains sur les hauts-plateaux tout au long du régime espagnol mérite d’être évoquée, car elle a laissé une empreinte profonde dans le milieu indien. De nombreuses légendes tzotzil-tzeltal mettent en scène le personnage du Noir soit dans le rôle du mauvais génie attaché à la perte de l’humanité, soit dans celui du fustigeur chargé d’infliger des peines corporelles aux contrevenants de la coutume et aux infracteurs de la tradition. À Chamula, à l’occasion du Carnaval, quelques Indiens désignés par le dispensateur de la fête revêtent des masques noirs au nez épaté et aux lèvres adipeuses. Ces negritos parcourent le village à la recherche des personnes que la rumeur publique accuse de délits sexuels. De telles personnes s’exposent à être rouées de coups de bâton et de fouet, d’autant plus généreusement que les negritos sont protégés par l’anonymat du travesti. L’Afro-américain est devenu un élément important de la théorie et de la pratique du contrôle social. Peut-être, sont-ce des réminiscences des exactions jadis commises par les Noirs marrons4 ou plus vraisemblablement des châtiments corporels infligés par les intendants noirs des domaines aux Indiens placés sous leurs ordres, qu’expriment ces manifestations culturelles contemporaines d’où cependant la tradition maya est loin d’être absente5.
4Au cours du xixe siècle, les descendants d’esclaves africains ont reflué vers les régions côtières tropicales, si bien qu’aujourd’hui seuls subsistent sur les hauts-plateaux ladinos et indigènes. Le terme ladino désignait autrefois l’Indien lettré ou tout au moins l’Indien ayant une connaissance suffisante de l’espagnol pour remplir la charge de fiscal ou d’escribano dans sa communauté, et pour servir éventuellement d’interprète aux fonctionnaires coloniaux. Ce terme a subi un très net déplacement de sens puisqu’il s’applique actuellement à toute personne non indienne. Il est devenu l’équivalent de kašlan (déformation de castellano, « castillan ») qu’utilisent les Tzotzil-Tzcltal pour désigner toutes les personnes qui ne relèvent pas de leur groupe. Quant au terme indígena, il n’est jamais employé que par les ladinos. Ladino, kašlan et indígena ne sont en soi chargés d’aucun contenu émotionnel ou affectif.
5Mais qu’est-ce qu’un ladino ? Qu’est-ce qu’un Indien ? Quels sont les critères qui permettent d’identifier un individu comme tel ? Quels sont les jalons de cette ligne qu’avec tant de précision et de certitude les habitants des hauts-plateaux s’accordent à tirer entre 1’« indianité » et la « ladinité » ? Reconnaissons dès maintenant que si cette ligne ne prête à aucune confusion et semble évidente à tous, son tracé est difficilement perceptible à l’observateur étranger. Le départ entre ladinos et Indiens est impossible à effectuer de l’extérieur, car il ne répond exactement à aucun des critères phénoménologiques sur lesquels on a voulu le fonder6.
6On peut tenter ce départ sur le critère de la race. Le ladino accuserait théoriquement des caractères somatiques caucasoïdes, tandis que l’Indien présenterait un ensemble de traits plutôt mongoloïdes. Mais les échanges sexuels entre Espagnols et Tzotzil-Tzeltal ayant été nombreux, ou plutôt l’exploitation sexuelle de la femme indienne par le colonisateur espagnol ayant été intense, cette opposition raciale s’est considérablement réduite au fil des siècles de contact. Il n’existe pas d’« Indien pur », et l’hétérogénéité biologique que présente actuellement la population réputée indienne témoigne de l’ampleur de ce mouvement de miscégénation. De même, les ladinos ne se raccordent pas tous nécessairement au stock génétique européen, et il est possible d’en trouver certains plus marqués que bien des Tzotzil-Tzeltal par ce plissement épicanthique des yeux, cette saillie des pommettes, cette fuite du front sous une masse lisse de cheveux, et cette tache cutanée des reins qu’on donne pour caractéristiques des populations mongoloïdes. Le ladino reconnaîtra les « accrocs » de son arbre généalogique, d’autant plus volontiers que le montant de ses biens et de ses revenus lui assure une situation de prestige et d’autorité incontestable. C’est dire que l’acquis social pondère fortement l’héritage racial et qu’une belle réussite fait aisément oublier une mauvaise naissance. En ce sens, il n’y a pas et il ne peut pas y avoir de « racisme » dans les relations entre Indiens et non-Indiens, car le critère racial n’offre aux préjugés aucune prise.
7La culture constituerait-elle un meilleur critère que la race ? De prime abord, l’opposition culturelle entre ladino et Tzotzil-Tzeltal saute aux yeux. Ce dernier semble participer de coutumes et de traditions qui le lient à un passé préhispanique, et qui sont différentes des coutumes et des traditions que les Espagnols ont amenées d’Europe en 1527, et implantées sur les hauts-plateaux. Ainsi, quiconque utiliserait des éléments culturels d’origine autochtone, quiconque adopterait certaines normes, certaines valeurs, certains comportements étrangers à la culture hispanique, serait indien.
8Toutefois, la culture dont les Tzotzil-Tzeltal sont aujourd’hui porteurs a assimilé en les transmutant, ou a adopté en les interprétants, un grand nombre d’éléments anciens ou modernes de la culture de leurs colonisateurs, depuis l’époque de la Conquête. A l’inverse, la culture hispanique, du fait de son relatif isolement et de sa permanente confrontation avec la culture tzotzil-tzeltal pendant quatre siècles, a absorbé elle aussi nombre d’éléments locaux non-européens. Bref, chacune des deux cultures en présence a largement puisé chez l’autre ce qui lui manquait et ce qui lui était utilisable, au point qu’il est souvent difficile de déterminer maintenant ce qui est autochtone et ce qui est d’importation. Le bâton à fouir qui sert à ouvrir la terre au moment des semailles, est un instrument indien. Mais alors qu’avant l’établissement du régime espagnol, son extrémité était simplement durcie au feu, il est actuellement embouché d’une pointe en fer forgé ou en acier trempé. L’actuel bâton à fouir n’est ni autochtone, ni hispanique ; il résulte d’un développement spécifique dans une situation de contact.
9Pris dans un sens restrictif et conventionnel, le critère de la culture peut avoir une valeur opératoire dans la mesure où certains éléments culturels, quelle que soit leur origine, sont propres aux ladinos ou aux Tzotzil-Tzeltal. Le vêtement, par exemple, permet de repérer l’Indien non seulement en tant que tel de façon immédiate, mais encore en tant qu’habitant de tel ou tel village, en tant que membre de telle ou telle communauté. En effet, chaque communauté possède son propre costume qui semble dérivé des vêtements en usage chez les paysans péninsulaires du xvie siècle. Mais il ne faudrait pas pousser trop loin cette analyse vestimentaire. Le chamarro, ce manteau sans manche qu’on enfile par la tête et qui tombe sur les genoux, a été indistinctement porté par les ladinos et par les Indiens, et il demeure toujours utilisé par les propriétaires fonciers de la région qui le trouvent plus pratique que le vêtement ajusté pour monter à cheval. Il ne reste finalement que les chaussures qui puissent servir de base objective à la distinction que nous nous efforçons d’établir. Alors que les ladinos sont chaussés, les Tzotzil-Tzeltal vont pieds nus ou portent des sandales faites d’une semelle de bois (ou de vieux pneus d’auto) attachée à la cheville par des lanières de peau. Ce repère est certainement irrécusable, et il a été adopté d’ailleurs depuis 1940 par les services nationaux de la statistique. Mais quelle valeur l’ethnologue peut-il accorder à une définition de l’Indien à partir des pieds ?
10La langue, en revanche, offre un critère plus sûr. Le ladino parle l’espagnol, l’Indien une langue vernaculaire. Mais il existe de nombreux individus bilingues : le recensement de 1950 évalue entre 5 et 7 le pourcentage de Tzotzil-Tzeltal parlant la « langue de Castille » (kastiya k’op). Bien qu’aucun chiffre ne le précise, le pourcentage de ladinos parlant l’une ou l’autre langue indienne — et parfois les deux — est bien supérieur. La connaissance de ces langues est indispensable aux propriétaires fonciers qui emploient de la main-d’œuvre indienne, aux négociants qui sont en rapport d’échange avec les communautés, et aux fonctionnaires qui sont chargés du contrôle politique et administratif des agglomérations tzotzil-tzeltal. Dans certaines grandes familles de Comitan et de San Cristobal qui ont à leur service des nourrices indiennes, il arrive que les jeunes enfants apprennent à parler le tzotzil ou le tzeltal avant de connaître l’espagnol. De même, certains Indiens « ladinisés » apprennent l’espagnol sur le tard ; ils n’en sont pas moins considérés comme des ladinos, bien qu’ils aient été élevés dans une langue vernaculaire. En fait, ladinos et Indiens ne se distinguent que par la langue qu’ils pratiquent dans leur vie familiale et sociale.
11On touche ici à cette difficulté que nous avons soulignée dès le début, à saisir objectivement la ladinité et l’indianité. Au fur et à mesure que la trame de la logique se resserre sur elles ces notions qui paraissaient si vivement contrastées semblent perdre toute consistance. Pourtant, ladinos et Indiens s’expriment en tant que tels dans leurs relations des uns aux autres, par des comportements, des attitudes, des conduites qui définissent des rôles fortement stéréotypés. La nature de ces rôles donne aux relations ladinos-Indiens un caractère profondément asymétrique et déséquilibré à partir duquel une définition de l’indianité et de la ladinité pourrait être tentée. C’est en tous cas ce que semblent penser Nicolas Colby et Pierre van den Berghe7 dans l’article où ils résument les résultats d’une enquête quantitative menée dans la ville de San Cristobal. Des 84 ladinos interrogés dans cette ville sur leur comportement envers les Tzotzil-Tzeltal, 47 ont répondu d’une façon que les enquêteurs qualifient d’« autoritaire », 37 d’une façon « égalitaire », mais aucun d’une façon « compétitive ». C’est dire que quand bien même l’Indien est traité « comme » un égal (moins de 45 % des cas), la distance qui le sépare encore du ladino est telle que celui-ci ne peut envisager de se mesurer à lui dans aucun champ d’activité sociale. Pour une raison ou pour une autre qui est toujours une rationalisation a posteriori, le ladino s’estime implicitement ou explicitement supérieur à l’Indien.
12Le ladino peut reconnaître une sorte de hiérarchie parmi les Tzotzil-Tzeltal. Il est communément admis dans la société de San Cristobal, que les Zinacantèques et les Amatenangueros sont « meilleurs » que les Huixtèques et les Chamulas, et que ceux-ci sont « pires » que les Ténéjapanèques et les Pedranos. Mais cette classification des « meilleurs » aux « pires », qui se fonde sur l’appartenance communautaire, n’affecte en rien les conduites de base du ladino envers l’Indien quel qu’il soit. Le ladino traitera l’Indien de indiecito, de muchacho ou de mozo dans ses bons jours, de indio, indio bruto ou indio perro à ses mauvais moments8. Mais il ne l’appellera jamais par son nom, feignant de croire qu’il n’en a point ou que tous les Tzotzil-Tzeltal ont le même. Il s’adressera à lui en le tutoyant ou en lui donnant du vos, tournure archaïsante encore familière. En revanche, il s’attendra à ce que l’Indien lui témoigne de tout le respect qui s’attache à l’Usted, et l’appelle soit ahwal (« maître ») ou señor (« monsieur »), soit jefe ou patron, soit encore — mais au terme d’une longue fréquentation — par son prénom précédé du majestif don (doña pour les femmes).
13Que ce soit dans les églises, dans les administrations ou dans les boutiques de San Cristobal, bref, dans les endroits où ladinos et Tzotzil-Tzeltal se côtoyent en permanence, les Indiens sont toujours admis et servis en dernier. Le préposé s’occupera d’abord du ladino ; l’Indien attendra accroupi sur les talons, le chapeau entre les mains, dans un coin de l’échoppe ou de l’officine, qu’on veuille bien lui demander d’un air faussement détaché sous lequel perce un léger soupçon malveillant, le motif de son intrusion dans un monde qui n’est pas le sien. Il est d’ailleurs normal et de bon ton de ne pas remarquer tout de suite l’Indien, et de le faire délibérément attendre.
14Ces modèles de conduite que Colby et van den Berghe relèvent et dont ils multiplient les exemples, montrent combien rigide est le code qui régit les relations entre ladinos et Tzotzil-Tzeltal. Ils illustrent surtout certains aspects essentiels du rôle d’autorité que s’attribue le ladino et qui conditionne le rôle de dépendance de l’Indien. Il n’est meilleur témoignage de l’intériorisation dont cette dépendance est l’objet de la part de celui-ci, que le « jurement » des autorités de Chamula. Les membres de la hiérarchie politique et religieuse qui, dans cette communauté, entrent en charge en début d’année, reçoivent de leurs prédécesseurs l’instruction suivante : « Vous obéirez toujours au kašlan car il est le fils de Dieu ; c’est lui que Dieu nous a donné pour nous gouverner ». À cet égard, il est frappant de constater à quel point le ladino est parvenu à imposer aux Tzotzil-Tzeltal sa propre image et l’image qu’il se fait d’eux. L’Indien ne se sent pas seulement différent du ladino ; il s’estime encore inférieur. Il est prêt à reconnaître pour origine de sa condition, l’infériorité dont le ladino le charge. N’a-t-on pas entendu des Indiens répondre aux mesures destinées à assurer leur promotion, par cet argument : « Cela est bon pour les ladinos, pas pour nous ; nous ne sommes pas assez intelligents pour pouvoir en profiter ».
15Persuadé de son infériorité, l’Indien investira le ladino des pouvoirs qu’il n’ose pas exercer, tout en s’attendant à ce que le ladino les exerce en sa faveur. Il tentera de se concilier cet être auquel il contribue à donner un caractère omnipotent, en affectant à son endroit une soumission ostentatoire. Il étalera sa misère, il exhibera sa dégradation, afin de l’inciter à la pitié. En même temps, il fera valoir sa capacité de travail, son utilité matérielle, sa force brute. En s’instrumentalisant de la sorte, il assure sa sécurité. Dès lors qu’il appartient à don Fulano ou à don Zutano, il peut nourrir l’espoir d’être protégé et défendu au même titre que n’importe quel objet de propriété privative. Il cherchera donc à se faire « posséder » pour être libéré de ses responsabilités et pris en charge dans ses rapports à un monde qu’il se représente et qui lui est présenté sous des dehors étrangers et hostiles.
16Mais par ailleurs, à cette dépendance qu’appelle l’ensemble de ses conduites envers le ladino, l’Indien tentera sinon d’échapper, du moins de réagir indirectement, d’une manière toujours dissimulée. Du ladino, il se défendra par le mensonge, il se vengera par la paresse, il se rétribuera par le vol. Ces fausses audaces se retourneront contre lui, car elles serviront en définitive à étayer la justification que présente le ladino de l’asymétrie des relations qu’il entretient avec l’Indien. Celui-ci est-il voleur, paresseux, menteur ? La preuve est faite qu’il doit être dirigé, corrigé, civilisé, c’est-à-dire, domestiqué, car il n’est pas un cristiano, un hombre de razón.
17Cette dynamique de l’aliénation se traduit au niveau des représentations mentales en termes hautement sexualisés. La soumission dont l’Indien fait preuve, et son émotivité qui n’est souvent que le produit d’une inadaptation aux conditions qui lui sont faites, sont interprétées comme autant d’indices d’effémination. C’est ce qui explique sans doute la réputation d’homosexualité des Tzotzil-Tzeltal qu’apparemment rien ne semble justifier. Face au ladino macho, l’Indien apparaît comme un individu faiblement sexualisé (et alors il sera traité de muchacho) ou comme un individu de sexe opposé (et alors il sera traité de hembra). Dans les deux cas, il est sexuellement identifié à des personnes mineures de la société ladina, la femme et l’enfant, dont le statut est dans une situation d’homologie par rapport au sien.
18Cette transposition psychosexuelle de l’asymétrie des relations entre ladinos et Indiens est singulièrement mise en évidence par l’analyse du répertoire d’imprécations auxquelles recourent les premiers à l’adresse des Tzotzil-Tzeltal, et des plaisanteries locales (chistes) que diffusent les tavernes au sein des strates inférieures de la société de San Cristobal. Ces plaisanteries se réfèrent fréquemment à des ladinos et à des Indiens impliqués dans l’acte sexuel, les premiers tenant toujours le rôle actif, les seconds toujours le rôle passif. Certains thèmes sexuels autour desquels s’organisent de telles plaisanteries présentent parfois plus d’ambiguïté. L’Indien par exemple, est dit incapable de satisfaire une femme, et les femmes tzotzil-tzeltal sont censées lui préférer le ladino comme partenaire sexuel. Mais en même temps, l’Indien est perçu comme une menace qui pèse en permanence sur la femme ladina. Le viol de la femme ladina par l’Indien est effectivement une crainte latente profondément enracinée dans l’inconscient collectif des non-Indiens.
19Toutefois, les relations entre ladinos et Indiens ne sont pas indépendantes, et il serait parfaitement arbitraire de les isoler. Elles se situent à l’intérieur d’un réseau dans lequel s’inscrivent également les relations entre ladinos de différentes strates sociales, et entre Indiens de différentes communautés. Car les relations ladinos-Indiens, ladinos-ladinos et Indiens-Indiens s’enchevêtrent intimement et leur enchevêtrement définit un champ continu d’interaction constante. Envisagées en tant qu’éléments d’un réseau relationnel qui leur est supérieur, les relations ladinos-Indiens se distinguent des autres types de relations beaucoup moins par le caractère et les formes qu’elles peuvent présenter, que par l’intensité dont elles sont chargées et le sens dans lequel elles jouent. Elles perdent alors une grande partie de la spécificité qu’elles semblaient posséder à l’origine. Cela reviendrait-il à dire que les relations ladinos-Indiens soient comparables aux relations entre ladinos de strates sociales différentes ? Dans la mesure où on ne les saisit qu’en tant que phénomènes interindividuels d’ordre psychologique et culturel comme nous l’avons fait jusqu’ici, on est tenté de répondre à cette question par l’affirmative.
20En effet, vis-à-vis du riche ladino du centre de San Cristobal, le ladino pauvre des bas-quartiers de la ville réagit d’une manière qui n’est pas sans analogie avec la réaction de l’Indien vis-à-vis du ladino en général. Les rôles peuvent être plus ou moins stéréotypés, les conduites plus ou moins asymétriques, les représentations plus ou moins riches en contenu émotionnel, il n’en demeure pas moins que les relations qui les mettent en jeu se situent sur un seul et même registre formel. Il n’y a pas de modèle de relation propre au ladino envers l’Indien, mais un modèle général et polyvalent qui peut devenir plus autoritaire et paternaliste, ou au contraire plus démocratique et égalitaire, selon que le ladino se trouve face à un Indien ou à un autre ladino d’une strate inférieure à la sienne. De même, il n’y a pas de modèle de relation propre à l’Indien envers le ladino, mais un modèle — lui aussi général et polyvalent — de dépendance qui s’accuse ou se réduit en fonction de la distance sociale qui sépare les personnes en présence plus qu’en fonction de l’ethnie ou de la culture à laquelle ces personnes appartiennent. Mais alors, est-il toujours légitime de parler de ladinos et d’indiens ? Sur quoi fonder objectivement ce départ entre les uns et les autres ? L’Indien existe-t-il ?
Structure de castes ou structure de classes ?
21L’analyse culturelle ne parvient à définir le ladino et l’Indien dans leurs relations de l’un à l’autre qu’en les extrayant arbitrairement du contexte où se situe le jeu de leur interaction. Dès lors qu’ils sont rendus à ce contexte qui devrait logiquement révéler leur signification profonde, ladino et Indien semblent perdre toute consistance, voire toute réalité. C’est ainsi qu’on a pu soutenir tour à tour que ladino et Indien étaient situés à l’intérieur d’un même continuum culturel9 ou bien qu’ils relevaient de deux univers culturellement incommunicables.
22Cependant, ce ladino et cet Indien que nous avons tenté de définir, s’insèrent dans des groupes qui leur confèrent une représentativité ; c’est dans cette mesure que nous pouvons toujours les considérer comme des « types ». Leurs relations inter-individuelles que nous avons essayé de caractériser, s’inscrivent dans des rapports de groupe à groupe qui les dépassent ; c’est à ce titre que nous pouvons toujours les réduire en « modèles ». Ladino et Indien en tant que tels et dans leurs relations de l’un à l’autre n’existent qu’en fonction de leurs groupes respectifs et des rapports que ces groupes ont entre eux, c’est-à-dire, de la structure créée par l’agencement des ensembles sociaux auxquels ils participent. Que ces groupes se réorganisent, que les rapports de ces groupes se remanient, bref que cette structure se renverse, et ladino et Indien se redistribueraient des rôles qui accuseraient ou réduiraient leurs disparités et affecteraient — en la transformant ou en la niant — la signification de la ladinité et de l’indianité.
23Il n’est évidemment pas possible de comprendre cette structure sans évoquer, comme nous l’avons fait dans les chapitres précédents, les bases historiques sur lesquelles elle s’est édifiée. La structure d’ensemble des groupes hauts-chiapanèques procède en effet de l’organisation sociale qui s’est élaborée à partir de la situation de contact entre Espagnols et Tzotzil-Tzeltal, au xvie siècle. Dès cette époque, le gouvernement de Madrid a voulu maintenir séparées les différentes composantes ethniques des colonies américaines. Deux siècles plus tard, il a même établi à cet effet un système complexe de « castes » hiérarchisées, dans lequel les sujets de Sa Majesté Catholique auraient dû se ventiler selon le rapport de leurs sangs10.
24La structure des groupes actuels du Chiapas peut-elle être pour autant définie comme une structure de castes ou tout au moins comme une structure dérivée d’un système de castes ? C’est ce que serait tenté de croire Rodolfo Stavenhagen lorsqu’il dégage des relations entre ladinos et Indiens dont il montre par ailleurs l’originalité profonde, une structure de transition entre un système décadent de castes et un système émergeant de classes11. L’hypothèse de la difficile parturition d’une classe indienne par une société historiquement fondée sur des castes que présente brillamment ce sociologue mexicain, constitue la première approche structurelle des rapports ladinos-Indiens qui ait été tentée, et à ce titre elle mérite un examen sérieux.
25Ces castes qu’au cours du xviiie siècle — avec une persévérance qui fut loin d’être toujours soutenue, et une logique qui n’alla pas toujours sans faille — Madrid tenta d’établir en Amérique, présentent trois caractères essentiels. D’abord, elles se définissent en fonction de la race et de la culture. Ensuite, elles se répartissent en domaines géographiques et en sphères occupationnelles distinctes. Enfin, elles sont endogames, les enfants issus de rapports exogamiques étant expulsés de la caste supérieure et intégrés à la caste inférieure ou à une caste intermédiaire. Il ne s’agit donc pas de pseudo-castes, mais bien de castes authentiques qui répondent point par point à la définition qu’un Dollard ou un Davis par exemple proposent de cette institution12.
26Toutefois, le problème n’est pas de juger de l’authenticité du système de castes imaginé à la cour d’Espagne, mais de déterminer à quel point ce système s’est implanté sur les hauts-plateaux, et dans quelle mesure il y a fonctionné. À cette question, nous avons déjà apporté des éléments de réponse. Nous avons montré qu’Espagnols et Tzotzil-Tzeltal vécurent toujours en étroit contact, malgré les barrières juridiques qui devaient les isoler les uns des autres. En 1778, sept des dix-huit communautés des hauts-plateaux sur lesquelles nous disposons d’informations démographiques, comprenaient des groupes d’Espagnols, de métis et de Noirs qui y résidaient en permanence. A la même date, 1 628 métis étaient recensés dans la région, chiffre qui donne la mesure des échanges sexuels entre castes supposées endogames. Pendant tout le xviiie siècle, cette politique de séparation de la Couronne ne trouva guère d’échos favorables que parmi certains religieux qui, tel Cortes y Larraz, souscrivaient encore à la tradition lascasiste. Elle était vigoureusement combattue par la grande majorité d’une société chiapanèque toute entière occupée à reconstruire l’édifice colonial que l’insurrection de 1712 avait ébranlé jusque dans ses fondations. En fait, la présence espagnole sur les hauts-plateaux n’avait de sens que dans la mesure où le colonisateur pouvait disposer du colonisé à son profit. La séparation institutionnelle des Espagnols et des Tzotzil-Tzeltal allait directement à l’encontre des intérêts coloniaux locaux13.
27Bien que jusqu’en 1937, la présence des Tzotzil-Tzeltal dans la ville de San Cristobal demeurât l’objet de restrictions légales et qu’il fût interdit aux Indiens d’user des trottoirs, de monter à cheval et de circuler dans les rues passées les sept heures du soir sous peine d’amende ou de prison, l’imbrication géographique et l’intégration économique des groupes sociaux haut-chiapanèques n’a cessé de s’accuser. Les ladinos ont continué d’affluer massivement dans toutes les communautés, sauf peut-être à Chamula où ils ne peuvent toujours pas séjourner plus de deux ou trois jours consécutifs sans autorisation expresse des autorités communautaires. Simojovel par exemple, où il n’y avait aucun Blanc ni métis en 1778, possède actuellement une majorité de ladinos. Il en est de même à Teopisca qui est maintenant presque exclusivement peuplée de non-Indiens.
28Quant au mouvement de miscégénation, s’il n’a pas pris plus d’ampleur, il ne semble pas s’être ralenti. Les relations sexuelles entre ladinos et Indiens, et singulièrement entre hommes ladinos et femmes indiennes, sont toujours aussi fréquentes. Les enfants issus de ces relations sont le plus souvent élevés par leur mère, c’est-à-dire, en milieu indien, et ils sont de ce fait des Indiens. Mais au cas où ils seraient élevés par leur père, dans la société ladina, ils deviendraient non moins automatiquement des ladinos, sans qu’ils soient particulièrement « marqués » vis-à-vis de leur groupe paternel. Certaines unions entre ladinos et Indiens sont parfois sanctionnées par des liens matrimoniaux ou paramatrimoniaux. L’Indien a la possibilité d’épouser une ladina de condition sociale inférieure, tout comme le ladino de la même condition a la possibilité d’épouser une indienne. Le conjoint indien et sa descendance sont automatiquement intégrés au groupe ladino. Ces alliances hypergamiques qui constituent l’un des principaux moyens de ladinisation pour les Tzotzil-Tzeltal, sont d’ailleurs moins volontiers admises par le groupe indien que par le groupe ladino, bien que l’un et l’autre groupe les reconnaissent. L’union matrimoniale ou paramatrimoniale n’exige pas la parité « ethnique », « raciale » ou « culturelle » des deux partenaires : elle la provoque. C’est en ce sens qu’on a pu dire que les mariages mixtes n’existaient pas.
29Il semble donc malaisé de discerner sur les hauts-plateaux des vestiges significatifs d’un système de castes, à supposer qu’un tel système ait jamais existé ailleurs que dans l’esprit des Bourbons d’Espagne. Il n’est guère plus facile de repérer dans la région les premiers indices annonciateurs d’un système de classes qui tendrait à polariser les masses tzotzil-tzeltal à l’intérieur du processus de production, et à les placer au service des biens productifs que monopoliseraient les ladinos.
30Le principal et, pourrait-on dire, l’unique bien de production des hauts-plateaux est la terre. Abstraction faite de quelques ateliers artisanaux qui occupent le plus souvent une main-d’œuvre familiale non salariée, il n’y a aucune industrie dans la région. Or, si elle a été constamment disputée depuis le xvie siècle, la terre n’a jamais été totalement accaparée par le groupe ladino. Au cours du xviie et du xixe siècle, ce groupe a exercé sur les tenures indiennes de très fortes pressions. Mais les Tzotzil-Tzeltal, soit en réagissant à ces pressions par la violence, soit en recourant à des procédures institutionnalisées pour en limiter les effets, ont pu conserver une partie de leurs terres et même récupérer par la suite certaines des extensions dont ils avaient été dépouillés. Actuellement, le conflit des intérêts fonciers a considérablement diminué d’intensité. Il est vrai que les ladinos ont avantage à reconnaître aux Indiens le droit d’accès à la propriété foncière et à préserver — tout en faisant peser sur elles une certaine contrainte — les tenures que ceux-ci détiennent. En agissant de la sorte, les ladinos permettent aux Tzotzil-Tzeltal d’assurer leur propre subsistance, suffisamment pour que soit entretenue leur force de travail, insuffisamment pour que cette force de travail soit obligée de se louer.
31Face à la propriété ladina, les tenures indiennes paraissent en effet plus que marginales : presque résiduelles. L’Indien détient généralement une série de lopins éparpillés sur une vaste étendue, depuis que les communautés ont adopté un système d’héritage égalitaire et dans certains cas bilatéral. Ces lopins qui vont s’amenuisant et se dispersant encore au rythme des successions, n’ont parfois que quelques ares ou mètres carrés. La superficie totale que possède une famille se monte rarement au-delà de quatre ou cinq hectares en moyenne. En outre, ces lopins sont situés en zone froide, dans les endroits où les conditions climatiques et pédologiques sont les moins appropriées à l’activité agricole. Le propriétaire ladino, par contre, possède des domaines dont l’extension se mesure en centaines, voire en milliers d’hectares. Ces domaines ne peuvent plus se consolider aujourd’hui du fait de la législation foncière qui limite la quantité des terres susceptibles d’être accaparées à titre individuel, mais ils conservent néanmoins leur intégrité au fil des générations grâce à l’institution testamentaire. Ils sont localisés en zone tempérée ou chaude, où le sol ne risque pas d’être emporté par les pluies torrentielles de l’été tropical, et où le climat permet des cultures riches et diversifiées.
32La dimension et la qualité des exploitations respectives des ladinos et des Tzotzil-Tzeltal introduisent une deuxième opposition. Latifundiste, le ladino a la possibilité d’effectuer sur les vastes extensions de son domaine, des investissements qui accroîtront le rendement de l’exploitation et qui seront facilement amortis. Ces investissements, l’Indien minifundiste ne pourra les faire, non seulement parce que leur coût est trop élevé pour lui, mais encore parce que les lopins qu’il détient sont trop exigus pour que de tels investissements soient rentables. Ainsi, pendant que le ladino emploiera des engrais chimiques, utilisera des charrues ou des tracteurs, et adoptera toutes sortes d’innovations technologiques, l’Indien continuera de travailler son champ selon les méthodes traditionnelles, entamant le sol de son bâton à fouir et moissonnant sa récolte à la machette. L’écart entre la productivité du domaine ladino et celle du champ indien ira en s’accentuant.
33Du fait de sa basse productivité due à l’exiguïté de ses tenures, l’Indien ne pourra commercialiser qu’une infime partie du produit qu’il tire de son exploitation. L’essentiel de sa récolte sera absorbé par la consommation domestique à l’intérieur du cadre familial. En revanche — et pour la raison inverse — le ladino livrera la quasi-totalité de son produit aux circuits d’échanges régionaux, nationaux et même internationaux, n’en retenant qu’une faible partie pour satisfaire à ses besoins. Le ladino dominera les marchés, il fixera les prix que l’Indien sera contraint d’accepter pour écouler son maigre surplus. Propriétaire ladino et tenancier indien ne sont donc pas susceptibles d’être rangés dans une même catégorie. Les ladinos n’ont pas le monopole de la propriété foncière. Ils ne possèdent pas à eux seuls l’unique bien de production des hauts-plateaux. Mais la part qu’ils détiennent de ce bien leur assure une incontestable prééminence dans le processus de production à tous les niveaux de ce processus.
34La marginalité des tenures indiennes contraint un nombre important de Tzotzil-Tzeltal à louer leur force de travail à l’extérieur de la communauté, pendant une partie de Tannée, afin de s’assurer un revenu complémentaire. Cette main-d’œuvre temporaire ou saisonnière se dirige aujourd’hui vers les plantations de café du Soconusco et du versant septentrional des hauts-plateaux, régions qui constituent les principaux pôles d’activité du Chiapas. L’enquête conduite par nos soins en 1961 sur le travail salarié des Tzotzil-Tzeltal hors de leur milieu, permet de préciser que le nombre des départs annuels pour les plantations caféicoles a oscillé entre 12 000 et 18 000 au cours de la période 1953-196014. Dans la seule communauté de Chamula, 5 745 départs ont été enregistrés en moyenne annuelle pendant ces mêmes années. Ce chiffre représente 40 % du total de la main-d’œuvre indienne recrutée chaque année sur les hauts-plateaux. En termes absolus, Chamula fournit plus de travailleurs que n’importe quelle autre communauté de la région, bien plus que Tenejapa qui ne contribue que pour 16 % à la force de travail exportée, que Mitontic (11 %), qu’Oxchuc (7 %), que Huixtan (6 %) et que Chenalho (5 %). Ce mouvement de travailleurs indiens des hauts-plateaux vers les plantations affecte 13,4 % de l’ensemble de la population tzotzil-tzeltal. C’est la communauté de Mitontic qui donne proportionnellement le plus grand nombre de travailleurs (43 %), suivie par celle de Tenejapa (31 %), de Chamula (26 %), d’Oxchuc (19,5 %), de Huixtan (19 %) et de Chenalho (9,5 %).
35Ces pourcentages n’ont cependant qu’une valeur comparative. Ils ne sont pas significatifs en eux-mêmes, dans la mesure où ils ont été établis d’après le nombre de départs et non d’après le nombre de travailleurs réels, ce qui n’est évidemment pas la même chose car un travailleur peut se rendre plus d’une fois par an dans les plantations. Si l’on accepte l’hypothèse que les travailleurs tzotzil-tzeltal effectuent en moyenne deux séjours annuels dans les plantations, c’est à 6,2 % que se situe le pourcentage de la main-d’œuvre exportée chaque année par les communautés. Ce pourcentage correspond approximativement au cinquième de la population active masculine indienne.
36Pour grand que soit le nombre de ceux qui tous les ans, s’acheminent en pitoyables théories des hauts-plateaux vers le Soconusco ou la frontière du Tabasco, les Tzotzil-Tzeltal ne vivent pas tous de salaires. Les liquidités qu’ils rapportent des plantations se montent bon an mal an entre 5 et 8 millions de pesos, soit au tiers ou au quart du revenu global des communautés exprimé en termes monétaires. Mais même pour ceux qui travaillent régulièrement en tant qu’ouvriers agricoles et qui reçoivent régulièrement un salaire, le salariat ne se transforme jamais en mode de vie, bien que la location de la force de travail puisse devenir la principale source de revenu individuel ou familial. Le travailleur indien continue à cultiver son lopin, ne serait-ce que de façon symbolique lorsque celui-ci est submarginal, afin de satisfaire à l’obligation de nature quasi-mystique que son groupe lui impose. Il demeure d’abord et avant tout un libre paysan. Le travail des plantations s’intègre assez harmonieusement au cycle des activités rituelles et agraires traditionnelles. Il consiste essentiellement à effectuer la récolte du café qui vient à maturation entre janvier et mai selon les altitudes. Or, sur les hauts-plateaux, en janvier la plupart des champs sont déjà semés et ils n’exigent plus d’autres soins avant le premier binage de juin. Jointe à la grande liberté dont les travailleurs disposent pour partir et revenir du Soconusco (en dépit du contrat selon lequel ils sont tenus à demeurer trois mois complets), l’imbrication de cette activité moderne aux activités traditionnelles de la communauté, parmi lesquelles elle n’occupe que les temps morts, permet aux Tzotzil-Tzeltal d’éviter le choix entre leur champ et la plantation, et avec ce choix la prolétarisation.
37Mais l’Indien ne loue pas toujours sa force de travail au ladino, et celui-ci ne bénéficie pas seulement de la force de travail de l’Indien. Les caféiculteurs du Soconusco et du nord du Chiapas embauchent en plus des Tzotzil-Tzeltal, des ladinos qui appartiennent aux strates inférieures des agglomérations urbaines. Le nombre de ces ouvriers agricoles ladinos représente en moyenne annuelle entre 5 et 15 % du total de la main-d’œuvre des plantations, pourcentage assez bas mais qui, compte tenu de la faible ampleur de la population ladina des hauts-plateaux, représente un chiffre relativement élevé. Inversement, nombre de Zinacantèques qui possèdent de vastes champs dans la dépression du Grijalva, autour d’Acala et de San Lucas, embauchent comme ouvriers agricoles d’autres Tzotzil-Tzeltal des communautés voisines, en particulier des Chamulas et des Huixtèques, qu’ils rémunèrent en espèces, soit à la journée, soit à la tarea, à des taux voisins de ceux qui sont pratiqués par les employeurs ladinos. Dans le cadre communautaire, les relations d’employeurs à employés ne sont pas susceptibles de se nouer. Le travail s’échange par jeu de prestations et de contre-prestations, mais il ne s’achète ni ne se vend — encore que le « don » en nature ou en espèces tende à se substituer un peu partout à l’ancienne obligation de réciprocité, et à s’aligner de plus en plus sur le prix officiel des salaires. Mais entre Tzotzil-Tzeltal de communautés différentes, le travail est négociable et monnayable, et il est effectivement monnayé non seulement dans la zone de Zinacantan où ce phénomène est le plus notable, mais encore dans les environs de Teopisca, de Pinola, de Venustiano-Carranza, de Soyatitan et de Socoltenango.
38On pourrait tenir ces relations de travail entre ladinos et entre Indiens pour secondaires, et considérer qu’elles n’affectent pas de façon significative le clivage entre employeurs ladinos et employés indiens. Il n’en serait pas moins difficile de réduire le groupe ladino à une « classe capitaliste » et exploiteuse, et le groupe indien à une « classe prolétaire » et exploitée. Non que les ladinos ne soient exploiteurs, ni les Indiens exploités ! Mais cette exploitation ne se situe pas toujours ni seulement à l’intérieur des rapports de production. L’Indien n’est pas uniquement exploité en tant que travailleur ; il l’est aussi en tant que producteur et en tant que consommateur.
39En plus de leurs occupations agricoles, les Tzotzil-Tzeltal se livrent à diverses activités artisanales de caractère familial, dont la signification économique est loin d’être négligeable bien qu’elle soit peu valorisée par la culture indienne. Parfois, ces activités donnent lieu à des spécialités de hameau ou de communauté. Les Zinacantèques tressent des fibres végétales et extraient du sel, les Amatenangueros confectionnent de la vaisselle, les Chamulas tissent la laine et font du charbon de bois, etc. Mais les biens artisanaux produits dans les communautés sont rarement commercialisés par les Indiens eux-mêmes dont l’initiative en ce domaine est strictement limitée par le monopole commercial de fait que possèdent les ladinos.
40Toutes les communautés des hauts-plateaux se trouvent insérées dans des réseaux commerciaux très denses. Les ladinos qui animent ces réseaux, contrôlent les marchés locaux, court-circuitent les transactions intercommunautaires, et finalement acheminent vers les gros négociants de San Cristobal l’essentiel de la production indienne. Quotidiennement, ces ladinos se postent sur les axes de communication qu’empruntent les Tzoltil-Tzeltal pour se rendre d’une communauté à une autre, d’un marché au marché voisin, et ils guettent le passage des Indiens. Qu’un Indien se présente, et il est prestement délesté de la marchandise qu’il comptait vendre ailleurs, en échange de quelques pièces de monnaie qui lui sont jetées à terre. S’il se refuse à une telle opération d’où il sort toujours perdant, il sera dépouillé par la force, roué de coups et dénoncé à la police sous quelque fallacieux prétexte. Dans la seule zone de San Cristobal, il y a plusieurs centaines de ces « agents commerciaux » que leurs méthodes d’échange par assaut font connaître du nom d’esperadores ou d’atajadores. Mais en fait, la plupart des ladinos qui résident dans les communautés se livrent eux aussi à ce commerce de traite et de rapine avec les Tzotzil-Tzeltal, qui leur fournit l’essentiel de leur revenu. À San Cristobal, la production des communautés reçoit des artisans ladinos de la ville une plus-value minime, puis elle est revendue par les mêmes réseaux et les mêmes agents, à ceux qui en avaient été déssaisis auparavant. L’Indien rachète donc à prix fort, sous forme de sandales, de vêtements, de vaisselle vernissée, les peaux et les cuirs, les laines tissées ou filées, la céramique crue qu’il avait dû céder à vil prix quelques semaines ou quelques mois plus tôt.
41Le développement récent des relations entre le Chiapas et le reste du Mexique, loin d’ébranler ce système de traite, semble en aggraver les effets. Les objets manufacturés importés des grands centres industriels du pays et commercialisés sur les hauts-plateaux, soit par ces mêmes atajadores prêts à contraindre l’Indien aussi bien à l’achat qu’à la vente, soit par d’autres agents appartenant à des circuits de distribution plus modernes, ont en général une valeur d’usage assez faible, par rapport à leur valeur marchande. Le coût des transports, les bénéfices des multiples intermédiaires se répercutent en définitive sur le consommateur indien. La ville de San Cristobal et les autres agglomérations ladinas des hauts-plateaux ne vivent que de leur fonction parasitaire de centres de traite, du drainage des liquidités dont disposent les communautés tzotzil-tzeltal, et de la stérilisation permanente de leur arrière-pays indien.
42Qu’ils travaillent, produisent ou consomment, les TzotzilTzeltal contribuent de toutes les façons à étayer la position dominante des ladinos. Stavenhagen ne nie pas que cette situation soit encore par bien des aspects « coloniale ». Mais en la considérant comme transitoire et en ne la saisissant pas autrement que par référence à une situation de caste d’une part, et à une situation de classe de l’autre, à laquelle elle serait finalement réductible, ne refuse-t-il pas de lui reconnaître son authentique signification ? Le fait que le groupe indien soit à la fois économiquement intégré au groupe ladino, et socialement et culturellement séparé de lui ne s’explique pas par un retard historique fortuit mais récupérable. Il se justifie bien plutôt par l’inclusion de ces groupes dans une même structure qui les hiérarchise et qui les contraint de collaborer à partir de leurs positions respectives, tout en préservant le caractère sociétal de chacun d’eux. Cette structure coloniale, taxinomiquement différente d’une structure de classes comme d’une structure de castes, possède sa propre logique et sa propre dynamique que l’analyse des groupes qui la forment met en évidence.
Structure et dynamique coloniales
43Au seuil de cette analyse, ce qui frappe en effet, c’est que le groupe ladino et le groupe indien ont à la fois une prétention à l’autonomie et une vocation à l’interdépendance. Chaque groupe se présente comme une « société ». Que l’un soit dominant et l’autre dominé, que tous deux participent d’une seule et même société englobante qui détermine l’ordre de leurs rapports importe peu ici. Indiens et ladinos s’organisent selon des modèles sociaux différents qui mettent en jeu des valeurs bien souvent opposées.
44La société ladina est une société stratifiée. Elle se divise en capes ou en strates superposées qui se définissent en fonction du revenu et du niveau de vie, de l’occupation et du mode de vie, des attitudes et des conduites vis-à-vis des autres capes. Cette stratification s’exprime déjà dans la morphologie à la fois quadrangulaire et concentrique de la métropole régionale. Sur la place principale de San Cristobal, le zócalo, s’élèvent les édifices publics : la cathédrale, le palais de justice, l’hôtel de ville, le commissariat de police. Aux alentours immédiats de la place, sur les rues bien asphaltées et bien éclairées qui se recoupent à angle droit, s’alignent les façades des anciennes résidences seigneuriales et les demeures modernes d’aspect cossu. Mais plus on s’éloigne de ce noyau central, plus le caractère urbain de la ville s’estompe pour disparaître dans les bas-quartiers. Les rues s’encaissent ; le pavé et la terre battue succèdent au macadam ; l’éclairage se fait parcimonieux puis devient déficient ; les maisons s’abaissent et s’espacent. Progressivement, la géométrie du plan succombe sous la juxtaposition des constructions en torchis qui s’entourent déjà de quelques champs et qui forment la transition entre la ville et la campagne.
45La strate supérieure occupe le centre de l’espace ladino. Cette strate n’est cependant pas homogène. Elle se compose d’au moins trois groupes aux contours assez précis : 1) les propriétaires fonciers qui ont réussi à conserver certains des privilèges de l’ancienne aristocratie agraire et qui exercent encore un contrôle social très puissant surtout à travers l’Église et les confréries religieuses qu’ils animent ; 2) les membres des professions libérales (médecins, avocats) et commerciales (négociants et directeurs d’agences) qui sont généralement issus de l’aristocratie agraire bien qu’un nombre appréciable d’entre eux soit d’origine modeste et ait émergé à la suite de la Révolution, dans le courant des années 1930 ; enfin 3) les jeunes technocrates, fonctionnaires fédéraux, dans leur majorité étrangers à la région, et envoyés à San Cristobal par le gouvernement de Mexico pour y diriger des administrations : Institut indigéniste, services sanitaires et hospitaliers, sécurité sociale, etc.
46Au niveau immédiatement inférieur à celui de cette strate dirigeante et possédante, se situe un ensemble de strates intermédiaires plus ou moins différenciées, que faute d’un autre terme on qualifiera de « moyennes ». Artisans, employés publics ou privés, petits et moyens commerçants, petits et moyens agriculteurs, camionneurs, chauffeurs, convoyeurs, bref, tous ceux qui obtiennent par leur occupation un revenu modeste mais régulier, relèvent de cette catégorie. Les strates moyennes ne sont pas totalement inorganisées, bien que leur mode d’organisation tende à les fragmenter et à les cloisonner. Elles se répartissent dans la ville par quartiers ou barrios, et c’est à ces quartiers que leurs membres s’identifient d’abord. Chaque individu appartient à un quartier par tradition familiale. Les quartiers ne sont pas endogames, mais un individu a de nombreuses chances de se marier dans le quartier où il réside et où s’inscrivent la plupart de ses relations sociales. Le quartier possède sa propre église et son propre cycle rituel ; il se distingue, en outre, par certaines spécialités économiques. Toutefois, le développement récent de catégories occupationnelles nouvelles comme celle des cammionneurs, tend de plus en plus à ébranler l’autonomie des quartiers et à faire apparaître au-dessus de ceux-ci des strates conscientes de leur singularité.
47Ce n’est guère qu’au dernier niveau de la hiérarchie sociale ladina que se manifeste une certaine fluidité. Cette strate inférieure est composée d’individus qui n’ont souvent aucune occupation déterminée et qui ne disposent pas de revenus réguliers. Il s’agit d’ouvriers non spécialisés qui louent leur travail à la journée lorsqu’une occasion se présente. Tantôt ils s’embauchent dans la ville comme maçons ou terrassiers ; tantôt ils s’engagent dans les plantations et les domaines pendant les périodes de grande activité agricole. Le reste du temps, ils font de la traite avec les Tzotzil-Tzeltal. Parfois ladinisés de fraîche date, ils ne participent guère à la vie de San Cristobal. Ils vivent socialement en marge de la cité. Encore faut-il noter que ces individus sont reliés aux strates moyennes et, au-delà de celles-ci, à la strate supérieure par des clientèles qui recoupent verticalement les strates de la société ladina. Ces clientèles sont généralement fondées sur des liens de nature spirituelle, comme le compadrazgo. Elles servent de cadre à des échanges de biens et de services qui reposent sur les obligations et les privilèges que se reconnaissent mutuellement clients et patrons, parrains et filleuls, et co-pères. Elles constituent autant de ponts jetés entre les strates qu’elles contribuent à souder.
48Les relations de clientèle facilitent souvent les promotions individuelles. L’individu qui s’insère en elles, peut orienter les allégences qu’il donne et qu’il reçoit, de manière à favoriser son ascension sociale. Il peut faire agir les liens de parenté spirituelle qui l’unissent à des personnes d’une strate supérieure, pour se frayer une voie vers cette strate et s’y agréger éventuellement en accumulant suffisamment de richesse. Car c’est finalement en fonction de la richesse possédée que l’individu prend place à telle strate de la société. La permanence des strates n’implique pas l’hérédité, ni même la stabilité du statut des individus ; elle n’exclut pas la mobilité. Quiconque détient de la richesse, transforme cette richesse en capital, engage ce capital afin de créer de la richesse nouvelle, bref, quiconque « entreprend », s’insinue progressivement vers le haut de la hiérarchie sociale à travers les strates qui la constituent.
49Bien qu’à ses débuts, le régime révolutionnaire ait provoqué des ascensions rapides, le passage de la strate inférieure à la strate supérieure s’étale en général sur plusieurs générations. Il exige de la part de l’individu une certaine adaptation culturelle à chaque étape de son ascension. Mais cette adaptation réalisée, l’individu est automatiquement reconnu comme membre de la strate dans laquelle le situe sa capacité à produire de la richesse, et son origine sociale est rapidement oubliée. On discerne les valeurs que sous-tend un tel système — autoritarisme et individualisme, sens de l’initiative et volonté d’auto-affirmation — ainsi que les tensions que ces valeurs sont susceptibles d’engendrer à l’intérieur des rapports sociaux. Tous ces rapports visent à remettre en cause de façon continue la position et le statut d’autrui, car elles s’inscrivent dans une course collective à l’accumulation individuelle du capital. Quelque soit la strate qu’on considère, nulle part n’apparaissent ce « fatalisme » et cette « passivité » qu’on a donnés pour causes d’une prétendue rigidité sociale. Si cette rigidité existe à un certain degré — et, comparativement, la société ladina des hauts-plateaux du Chiapas est sans aucun doute plus rigide et moins mobile que celle de la région de Mexico, par exemple — elle n’est due qu’à la rareté relative du capital dans un milieu technologiquement encore archaïque.
50En regard de la société ladina, la société tzotzil-tzeltal apparaît radicalement différente. Son élément de base est la communauté. Celle-ci repose à son tour sur des liens de parenté et d’alliance qui prévalent nettement ici sur les relations secondaires, impersonnelles et médiatisées, et qui assurent au groupe une cohésion d’autant plus forte que ces liens s’établissent et se renouvellent toujours selon la règle endogamique. Aussi la communauté semble-t-elle apparemment repliée sur elle-même et fermée à l’extérieur. Elle est constituée de groupes de descendance emboîtés les uns dans les autres, en perpétuel procès de destructuration et de restructuration. Chaque communauté comprend des sections ; chaque section plusieurs clans ; chaque clan plusieurs lignages ; chaque lignage plusieurs familles qui se segmentent et se reconstituent au rythme des générations. Chacune de ces institutions remplit un rôle spécifique, mais qui complète celui de l’institution qui l’englobe et qu’elle démultiplie. Alors que la société ladina est stratifiée en capes horizontales qui se distinguent les unes des autres par leur capacité à produire de la richesse, la société tzotzil-tzeltal est compartimentée en groupes pyramidaux qui se recouvrent, et qui s’organisent et se perpétuent en fonction des échanges matrimoniaux, c’est-à-dire, de leur capacité à produire des hommes. Il y a là, entre les deux sociétés, une différence fondamentale qu’il convient déjà de noter.
51L’organisation communautaire exclut toute possibilité de mobilité sociale individuelle. Au sein de la communauté, l’individu est défini par les liens qui l’unissent au groupe. Il est fils de..., père de..., frère de... Il est situé dans une famille, dans un lignage, dans un clan, et à l’intérieur de ce clan, de ce lignage, de cette famille, à une génération aînée ou cadette. En franchissant le cap de l’adolescence, en accédant aux femmes, en engendrant une descendance, l’individu passera d’une génération inférieure à une génération supérieure. Il se trouvera progressivement porté vers le sommet de la pyramide familiale, lignagère et clanique, sans qu’il ne puisse rien faire pour hâter cette ascension. Au fur et à mesure qu’il avancera en âge, il contrôlera un nombre de plus en plus grand de descendants. Il majorera ainsi son statut, augmentera son prestige, accroîtra son autorité. Chef de famille d’abord, puis tête de lignage et de clan, il accèdera à une position d’aîné dans sa communauté. C’est automatiquement, par un long cheminement vers la vieillesse, qu’il gravira les degrés de la société. Telle est la deuxième différence qui oppose la société tzotzil-tzeltal à la société ladina.
52Mais les relations de parenté et d’alliance, les rapports de clan, de lignage et de famille, se trament au profit de l’ensemble communautaire. Chaque individu à travers le groupe de descendance auquel il appartient, doit à la communauté certaines périodes de service dans la hiérarchie politique et religieuse notamment. Cette hiérarchie qui constitue le gouvernement communautaire, est composée de différentes charges superposées, d’inégale importance, qui sont pourvues par cooptation de façon temporaire et rotative. À l’âge de seize ans par exemple, l’individu sera porté à une charge politique inférieure de la hiérarchie, pour la durée d’un an. A vingt ans, il devra prendre la charge religieuse immédiatement supérieure à la précédente. Quelques années plus tard, il lui faudra occuper une nouvelle charge politique encore plus élevée, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ait rempli alternativement toutes les charges politiques et toutes les charges religieuses que compte la hiérarchie communautaire.
53De telles charges reviennent généralement fort cher à ceux qui les assument, car leurs titulaires doivent financer à leurs frais les fêtes qui jalonnent le calendrier agro-rituel de la communauté, pendant l’année de leur mandat. Pour exercer dignement leurs charges, ils devront mobiliser les ressources de leurs groupes de descendance, et ceux-ci les leur offriront d’autant plus généreusement que le prestige qui découle du succès des fêtes organisées par un de leurs membres rejaillira sur eux. Ainsi, pour affirmer ou pour conquérir une prééminence temporaire, les groupes de descendance sont amenés à détruire périodiquement leur surplus, ou tout au moins à engager leur richesse dans des voies économiquement improductives. Le fonctionnement de la hiérarchie politique et religieuse empêche toute accumulation au sein de la communauté. La hiérarchie représente un de ces « mécanismes nivellateurs » qui maintiennent l’économie communautaire à un niveau proche de celui de la subsistance, et qui fondent cette valeur essentielle de la société tzotzil-tzeltal : l’égalitarisme15.
54La tendance égalitariste est d’ailleurs renforcée par un système particulier d’héritage qui a déjà été évoqué. Dans toutes les communauttés des hauts-plateaux, les biens et singulièrement les terres, se répartissent entre tous les successeurs masculins sans aucune discrimination, et dans certaines d’entre elles, hommes et femmes ont concurremment accès à la propriété foncière et capacité à transmettre leurs champs à leurs enfants des deux sexes. Lorsque l’héritage est constitué de terres comparables en qualité, aucun problème particulier ne se pose. Chaque ayant-droit, avec l’assentiment des autres, choisit la parcelle qui lui paraît la plus convenable, celle qui est la plus proche de sa résidence. Mais lorsqu’il existe des disparités entre les parcelles à répartir, chacune d’elles est partagée entre tous les ayants-droit. La division s’effectue selon la ligne de pente de manière à ce que tous les lopins délimités reçoivent le même ensoleillement et la même quantité de précipitation. Il n’est donc pas rare de voir dans la plupart des communautés des champs d’un mètre sur trois, et de rencontrer des propriétaires de vingt à vingt-cinq minuscules lopins dispersés dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres.
55Le remembrement des tenures atomisées par ce système d’héritage, se heurte à d’insurmontables difficultés car, bien qu’individualisée, la terre n’est pas un bien commercialisable ni transférable hors de la lignée tant que celle-ci n’est pas éteinte. La terre représente le lien physique qui unit les générations défuntes aux générations vivantes du groupe de descendance. Chaque année, l’héritier d’un champ doit offrir les prémices de la récolte à l’âme de celui dont il assume la succession, et si rien n’est plus dangereux que de laisser des descendants sans terre, c’est précisément parce que dans de tels cas, nul n’est assuré de recevoir ces offrandes et ces prières qui garantissent la survie dans l’au-delà. Le système d’héritage avec les idées religieuses qui lui sont associées, prévient toute tentative de capitalisation foncière individuelle. Il empêche le dégagement d’un surplus abondant en limitant le niveau de la productivité. Il contribue à renforcer l’égalité dans la pénurie. C’est en ce sens qu’il peut être considéré comme un deuxième mécanisme nivellateur aux effets économiquement inhibiteurs duquel les communautés tzotzil-tzeltal sont exposées.
56Le strict égalitarisme qui règne dans ces communautés, a pour corollaire la « jalousie institutionnalisée ». Quiconque ne se conforme pas aux normes économiques traditionnelles est l’objet de rumeurs malveillantes de la part de ses parents et de ses voisins. Quiconque jouit d’une relative aisance, est considéré par son entourage comme un individu dangereux et antisocial. Afin que soit neutralisé son surplus qui menace la cohésion du groupe, le riche sera porté à une charge dans la hiérarchie communautaire : il y dépensera ses excédents au profit de la communauté toute entière et il rentrera ainsi dans la norme. Mais il peut être aussi accusé de vol ou de sorcellerie, tant il est vrai que pour les Tzotzil-Tzeltal l’accumulation individuelle ne peut se faire qu’aux dépens d’autrui ou aux termes d’un pacte conclu avec les puissances occultes et les forces surnaturelles. L’accusation de sorcellerie est particulièrement grave, car elle peut conduire jusqu’au meurtre de celui qui en est l’objet. Aux yeux des Tzoltzil-Tzeltal, la richesse est toujours suspecte, au point que l’adjectif jk’ulej, « riche », possède une connotation très nette d’agressivité. Si les sociétés occidentales sont des « démocraties d’abondance », la société tzotzil-tzeltal dans laquelle l’équilibre socio-économique est constamment rétabli par un nivellement à la base, pourrait être qualifiée sans abus de langage, de « démocratie de pauvreté ».
57La société indienne et la société ladina poursuivent donc des objectifs opposés. Tandis que la société indienne ne permet ni l’accumulation, ni la formation du capital, la société ladina est entièrement tendue vers cette fin. La première canalise toutes les activités économiques vers des buts sociaux ; la seconde oriente toutes les activités sociales vers des buts économiques. De par leur mode d’organisation, les communautés tzotzil-tzeltal sont vouées à la stagnation afin de maintenir leur cohésion interne, tandis que la société ladina est condamnée à une croissance et à une expansion théoriquement indéfinies. Ainsi, la société ladina sera amenée à se projeter sur les communautés indiennes, et à établir avec celles-ci des rapports générateurs de richesse. Mais les communautés tenteront de se soustraire à cette projection, et elles se refuseront à de tels rapports puisque toute création de richesse nouvelle est pour elles non seulement inutile mais encore dangereuse. Dans la mesure où ces rapports parviennent à s’établir, ils ne pourront être que contraints et forcés, déséquilibrés et inégalitaires, sources de domination et de dépendance. Le système colonial dans lequel société ladina et société tzotzil-tzeltal sont impliquées, ne résulte pas seulement du fait que celles-ci ne sont pas « contemporaines » et que l’une est techniquement plus « avancée » que l’autre. Il se fonde à un niveau bien plus profond, sur la dynamique interne de chacune de ces sociétés en présence.
58Cette conclusion permet déjà de tracer une ligne de départ beaucoup plus précise entre ladinos et Indiens. L’Indien n’est pas exploité parce qu’il est indien, ni l’exploité n’est un Indien parce qu’il est exploité. L’Indien appartient à une communauté. Cette appartenance pourra se traduire par le port d’un certain vêtement, l’usage d’une certaine langue, l’adoption de certains traits culturels, la manifestation de certains caractères somatiques. Mais ce qui est fondamental, c’est qu’appartenant à une communauté, l’Indien ne peut accumuler de la richesse, ni transformer cette richesse en capital producteur de richesse nouvelle, et qu’en conséquence, il n’a pas la possibilité d’entrer en compétition avec le ladino. Son indianité réside dans la marginalité économique à laquelle le réduit son appartenance communautaire, et qui l’instrumentalise vis-à-vis du non-Indien. En revanche, le ladino se situant en dehors de tout lien communautaire, peut et doit accaparer de la richesse. Sa ladinité procède d’attitudes économiques éminemment compétitives qui sont conditionnées par une certaine forme d’organisation sociale, et qui l’obligent à « entreprendre » et l’amènent à considérer quiconque n’est pas compétitif — l’Indien — comme un moyen ou un instrument de capitalisation.
59Dans l’hypothèse couramment admise, le maintien de l’organisation traditionnelle de la communauté, avec ses mécanismes nivellateurs qui placent les Tzotzil-Tzeltal en situation de dépendance structurelle par rapport aux ladinos, ne pourrait s’expliquer que par l’isolement dans lequel les Indiens se seraient jusqu’ici maintenus. Une fois rompu cet isolement, les communautés seraient inéluctablement appelées à se modeler sur la société ladina, à se transformer en collectivités rurales ouvertes, et à éliminer au cours de leur transformation les mécanismes internes qui sont à l’origine de leur exploitation et de leur colonisation par les ladinos. Pour tentante qu’elle soit, cette hypothèse ne résiste guère à l’analyse. D’abord, l’isolement des communautés tzotzil-tzeltal est plus que relatif, puisque celles-ci entretiennent depuis quatre siècles des rapports intenses et continus avec la société ladina, sans pour autant que se soit opérée entre les premières et la seconde cette osmose postulée a priori. D’autre part, il apparaît que ce sont les communautés les moins isolées et les plus proches de San Cristobal, c’est-à-dire, les plus exposées aux contacts et donc les mieux intégrées au système colonial, qui sont précisément les plus traditionnelles, tandis que les communautés les plus isolées, en tout cas les plus éloignées des agglomérations ladinas et donc les plus faiblement intégrées au système colonial, semblent beaucoup plus « modernes ». À Chamula et à Tenejapa, à Zinacantan et à Huixtan, communautés toutes situées à moins de vingt kilomètres de San Cristobal, non seulement les mécanismes nivellateurs subsistent, mais encore ils se renforcent à cause de la forte pression ladina. En revanche, à Soyatitan, à Simojovel, à Ixtapa qui se trouvent à plus de cinquante kilomètres de la métropole régionale, les mécanismes nivellateurs sont en voie de disparition. Ces communautés, parce qu’elles sont faiblement soumises à la pression ladina, évoluent plus ou moins rapidement vers des formes de collectivités rurales ouvertes. Les rapports entre Tzotzil-Tzeltal et ladinos, loin d’être générateurs de transformation ou d’acculturation, sont autant de facteurs de conservatisme.
60Le paradoxe n’est qu’apparent. L’exploitation dont les communautés sont l’objet de la part de la société ladina, menace leur cohésion. Pour répondre à cette menace et préserver leur intégrité, les communautés feront appel à la tradition qui est la leur et quelles auront naturellement tendance à survaloriser. Elles augmenteront le contrôle qu’elles exercent sur leurs membres. Elles demanderont à ceux-ci des marques supplémentaires d’allégeance et de conformité. Elles tenteront de réduire les disparités qui existent entre les individus et les familles qui les composent, en renforçant leurs mécanismes nivellateurs. Elles mettront donc en œuvre la destruction d’encore plus de richesse, et elles interdiront encore plus rigoureusement d’en accumuler, de crainte que ces excédents inégalement répartis ne suscitent en leur sein des conflits et que ces conflits n’entament la résistance qu’elles doivent offrir vis-à-vis de l’extérieur. Mais si de cette manière elles parviennent à conserver leur cohésion, elles accroissent par ailleurs leur dépendance, et elles favorisent leur domination par la société ladina. Plus les communautés sont exploitées, plus elles se placent en situation de l’être davantage. Le rapport entre colonialisme et traditionnalisme est donc beaucoup plus stable qu’on l’a dit. Les termes de ce rapport qu’on a jugés souvent incompatibles, ne se contredisent pas nécessairement. Ils peuvent même se combiner, s’entretenir l’un l’autre, et définir un processus cumulatif de causes et d’effets.
61Pour illustrer ce processus, on évoquera la corrélation étroite qui existe à Chamula entre le travail salarié effectué hors de la communauté, et les fêtes communautaires traditionnelles. On a vu que la communauté de Chamula donne chaque année aux plantations caféicoles un important contingent de travailleurs saisonniers, et que ces travailleurs, loin de rompre avec leur milieu d’origine, continuent de participer à toutes les activités économiques, sociales et religieuses communautaires. En effet, à l’occasion des fêtes, la communauté de Chamula récupère la totalité de ses effectifs. Tous les Chamulas reviennent d’où qu’ils soient, pour prendre part aux cérémonies qu’elles comportent. Ces fêtes ne revêtent d’ailleurs une telle solennité et un tel faste que depuis que les Chamulas travaillent à l’extérieur de la communauté. Leur somptuosité dépend en premier lieu du nombre de Chamulas qui ont réussi à s’embaucher l’année précédente, et les fluctuations enregistrées d’une année sur l’autre dans le domaine de l’emploi, ont une incidence directe sur l’élaboration du rituel. En 1961, la fête de San Juan, patron tutélaire de la communauté, n’a pas eu l’ampleur des années précédentes, car les responsables des cérémonies et leurs familles n’étaient pas parvenus à travailler dans les plantations pour les préparer convenablement, du fait de la contraction du marché de l’emploi due à la crise de surproduction de café. Les liquidités rapportées des plantations ne sont jamais investies ni converties en capital. Elles servent en partie à l’achat de biens de consommation alimentaire que le travailleur n’a pas la possibilité de produire sur place. Quant au reste, il est entièrement canalisé dans les voies traditionnelles et improductives au premier rang desquelles figure le financement des fêtes.
62En allant travailler à l’extérieur pendant plusieurs mois de l’année, les Chamulas mettent en péril les liens communautaires qui tendent à se relâcher et à se dissoudre. La communauté tente de conserver sa cohésion en amplifiant les manifestations de solidarité collective, et en particulier les fêtes qui sont l’expression privilégiée de cette solidarité. Mais les dépenses somptuaires que les fêtes occasionnent, conduisent un nombre encore plus grand de Chamulas à s’embaucher à l’extérieur. Le mouvement s’entretient de lui-même, sans affecter autrement qu’en la consolidant l’organisation communautaire. Plutôt que de miner l’ordre ancien, il contribue à l’animer et à le maintenir artificiellement en vigueur. Il a le même effet sur la communauté que le ballon d’oxygène sur le malade. Le fait que la section la plus conservatrice — San Juan — de la communauté la plus traditionnelle — Chamula — fournisse le plus grand nombre de travailleurs saisonniers, est à cet égard révélateur. Cet exemple d’activité moderne détournée à des fins conservatrices par la communauté, éclaire sous un jour nouveau l’un des aspects essentiels du cercle vicieux du colonialisme et du traditionnalisme dans lequel sont enfermés les Tzotzil-Tzeltal, et qui constitue la base du système social haut-chiapanèque.
63On a souvent enregistré les effets destructurateurs de la société coloniale sur la société colonisée. On a eu moins fréquemment l’occasion de montrer d’une part, comment la société colonisée peut prendre appui sur la société coloniale pour demeurer ce qu’elle est, et d’autre part, comment la société coloniale, en maintenant la société colonisée dans la dépendance, introduit en elle des éléments de blocage qui réduisent ou suppriment toute possibilité d’évolution. Cet équilibre dynamique auquel société coloniale et société colonisée parviennent par le jeu de leurs rapports, et que l’une et l’autre étayent cumulativement, fixe déjà la limite des changements sociaux et singulièrement de l’acculturation, susceptibles d’intervenir à l’intérieur du système colonial.
Notes de bas de page
1 Il y en avait 723 en 1778, selon le recensement fait à cette date.
2 Gage, Thomas, Nouvelle relation contenant les voyages de Thomas Gage dans la Nouvelle Espagne..., Amsterdam, 1720, vol. I, p. 405.
3 L’usage de la soie et du velour, de même que le port de bijoux en pierres ou métaux précieux ou semi-précieux, leur était cependant prohibé.
4 Au cours du xviie et du xviiie siècle, plusieurs bandes de Noirs marrons se constituèrent au Chiapas, en particulier dans la région de Ginesta qui formait la principale voie de communication entre le Chiapas et l’Oaxaca.
5 Dans ses Constituciones diocesanas, Rome, 1702, p. 9, Nuñez de la Vega nous apprend que « En muchos pueblos... de este obispado, tienen pintados ensus repertorios, o calendarios, siete negritos para hacer adivinaciones y pronósticos correspondientes a los siete días de la semana comenzándola por el Viernes a contar, como por los siete planetas de los Gentiles, y al que llaman Coxlahuntox (que es el demonio, y segun los Indios dicen con trece potestades) le tienen pintado en silla, y con astas en la caveza, como carnero. Tienen los Indios gran micdo al negro, porque les dura la memoria de uno de sus primitivos azcendientes de color Etiópico, que fué gran guerreador, y cruelísimo, según consta por un cuadernillo antiquísimo, que en su idioma escrito para en nuestro poder. Los de Oxchuc, y de otros pueblos de los llanos venerán mucho al que llaman cYalahuu, que quiere decir negro principal, o Señor de negros : lo cual parece, que alude al culto de Chus primogénito de Cham ». Le caractère funeste du Noir semble bien avoir des racines préhispaniques. Le dieu de la guerre des anciens Mayas, Ek Chuah, est représenté en noir dans les codex TroCortésien et de Dresde. Ek Chuah était associé au dieu de la mort, Ah Puch. Il présidait aux sacrifices humains et aux jours néfastes du calendrier, les jours manik.
C’est sans doute sous l’influence des missionnaires catholiques que le Noir est passé du plan théologique au plan démonologique dans la culture spirituelle des Tzotzil-Tzeltal. Ximenez écrit à propos d’un cas de sorcellerie : « Por último supierón los PP. [Padres] por otros Indios que aquella señal se la había hecho el demonio y convencido el mismo Indio de la variedad de sus respuestas, hubo de confesar que el demonio se le habia aparecido en forma de un terrible negro y le había dicho que era amigo y que se lo había de llevar al infierno y en senal de eso le puso la mano sobre el hombro sumiéndole la carne y los huesos y dejándole aquella senal que allí se veía », Historia de la provincia de San Vicente de Chiapa y Guatemala, Guatemala, 1929, vol. I, p. 230.
Les Tzotzil-Tzeltal actuels croient en l’existence de ik’al (ik, « noir ») ou Negro Sombrerón. Caractérisé par son faciès négroïde, sa taille gigantesque et la faculté qu’il possède de se déplacer dans les airs, ik’al attaque de nuit les Indiens attardés — mais jamais les ladinos. Il viole les femmes et s’empare des hommes qu’il entraîne dans une grotte pour les dévorer. Il conserve la tête de ses victimes qu’il vend aux autorités ladinas de Tuxtla-Gutierrez pour le compte desquelles il opèrerait. Ces têtes, enfouies aux quatre coins des fondations, servent à consolider les édifices et les ponts construits par le gouvernement. Pozas relate qu’au cours du percement de la route panaméricaine qui franchit les hauts-plateaux, les Chamulas pensaient que de nombreux ik’al parcouraient la région et y enlevaient des Indiens dont ils vendaient la graisse aux entrepreneurs ladinos qui s’en servaient pour lubrifier leurs machines. Celles-ci, bulldozers, scrapers, etc. acquéraient ainsi la force nécessaire pour réaliser le travail qui leur était demandé. (Pozas Ricardo, Chamula, un pueblo indio de los Altos de Chiapas, Mexico, 1959, p. 193). Dans ces derniers cas, le Noir apparaît nettement lié au contexte colonial dans lequel il représente l’agent prédateur des ladinos. Le Noir semble jouer un rôle analogue dans les communautés mayas des terres hautes du Guatemala (Voir Correa, Gustavo, El espíritu del mal en Guatemala, MARI, Nouvelle-Orléans, 1965.
Dans la communauté tzotzil de Larrainzar voisine de Chamula, des cérémonies propiciatoires avaient lieu en l’honneur de ik’al jusqu’à une date récente (Voir Castro, Carlos Antonio, Los hombres verdaderos, Jalapa, 1959, p. 40). Sur ik’al et sa position dans la démonologie tzotzil-tzeltal, voir De la Fuente, Julio, « El folklore de los altos de Chiapas », Educación, antropología y desarollo de la comunidad, Colecciôn de antropologia social no 4, INI, Mexico, 1964, chap. 14.
6 Telle est la conclusion qui se dégage de l’article de Caso, Alfonso, « Definición del Indio y lo indio », América Indígena, vol. VIII, no 5, 1948.
7 Colby, Nicolas, et Pierre van den Berghe, « Ethnie relations in Chiapas », RMNP ; et « Ethnie relations in Southeastern Mexico », American Anthropologist, vol. 53, no 4, 1961.
8 Contrairement à son équivalent français, le terme indio a une connotation nettement péjorative ; il signifie « rustique », « grossier », « barbare ». En revanche, le terme indígena est parfaitement neutre.
9 Comme l’a prétendu Goldkind dans sa réponse à Colby et à van den Berghe, « Ethnic relations in Southeastern Mexico : a methodological note », American Anthropologist, vol. 65, no 2, 1963.
10 Ce système hautement élaboré de castes nous est surtout connu aujourd’hui par les deux séries de tableaux qui l’illustrent. La première série se trouve au Musée des Beaux-Arts de Vienne, la seconde au Musée d’Ethnologie de Madrid.
11 Stavenhagen, Rodolfo, « Clases, colonialismo y aculturación », América Latina, no 4, 1963.
12 Dollard, John, Caste and class in a Southern town, New York, 1937 ; Davis, A., B. Gardner et M. Gardner, Deep South, Chicago, 1941.
13 Pour une analyse de la politique « ségrégationniste » des Bourbons éclairés d’Espagne, et des réactions qu’elle suscita dans l’Audience du Guatemala (y compris le Chiapas), voir Mörner, Magnus, « La política de segregación y el mestizaje en la Audiencia de Guatemala », Revista de Indias, no 95-96, 1964 ; et, du même auteur, « ¿ Separación o integración ? En torno al debate dieciochesco sobre los principios de la politica indigenista en Hispano-América », Journal de la Société des Américanistes, LIV-1, 1965, dans lequel cette politique est envisagée dans ses formulations théoriques.
14 Favre, Henri, « Le travail saisonnier des Chamula », Cahiers de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine, no 7, 1965.
15 La notion de « mécanisme nivellateur » a été définie par Manning Nash dans son ouvrage Machine Age Maya, American Anthropological Association, mémoire n° 87, 1958. Nous l’avons reprise dans notre article « Quelques obstacles sociaux au développement de l’économie traditionnelle », Cahiers de Sociologie Économique, no 9, 1963.
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