Stabilité ou développement de l’économie mexicaine1
p. 203-220
Texte intégral
1Monsieur le Recteur de l’Université de Paris,
2Monsieur le Secrétaire de l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine,
3Excellences,
4Mesdames, Messieurs,
5C’est un grand honneur que d’occuper une chaire de cette illustre Université qui n’a cessé de porter le flambeau de la culture et de la civilisation à travers les siècles.
6Qu’il me soit permis d’exprimer ici ma profonde reconnaissance pour cette marque d’insigne distinction accordée au Mexique en la personne de l’un de ses citoyens.
7Le thème de cette conférence est si vaste qu’il pourrait faire à lui seul l’objet d’un cours complet, traité par une personnalité plus autorisée à le faire que je ne le suis moi-même. Je me verrai donc contraint de ramener aux proportions d’un bref exposé schématique les événements et les théories dont chacun pourrait être l’objet d’une étude. D’avance je demande pardon de l’inévitable imperfection de tels résumés.
8D’autre part, le thème concerne, d’un certain point de vue, les trois quarts du globe au moins, et d’un autre point de vue, l’autre quart de sa population.
9Le problème du développement économique se pose depuis relativement peu de temps. Quelques rares allusions à ce phénomène peuvent se trouver, et encore difficilement, dans les ouvrages des économistes classiques. Traitant le problème du développement, ceux-ci l’ont considéré comme apportant de légères altérations à un aspect de l’économie plus important à leurs yeux : celui de la stabilité. Ce n’est que depuis peu, on pourrait presque dire depuis les trente dernières années seulement, que l’attention s’est concentrée sur ce phénomène.
10Mais comme nous nous proposons de traiter le problème de la stabilité et du développement économique du Mexique, j’aborderai l’explication technique par un biais et m’efforcerai de vous démontrer, de préférence, quels ont été les changements survenus dans l’économie mexicaine et dans quelle mesure les transformations dues au progrès l’ont affectée ; j’éviterai autant que possible une terminologie trop technique.
Panorama historique
11Dès la fin du xixe siècle et jusqu’à la première guerre européenne, le Mexique était un pays où les nations industrielles les plus développées du monde venaient chercher des débouchés pour leurs excédents de capitaux et pour leur production croissante.
12La Première Guerre européenne a trouvé le Mexique, ainsi que la plupart des nations du monde, en possession d’un système monétaire fondé sur l’étalon or, qui ainsi que dans d’autres cas, s’est mué en étalon de change d’or.
13A la fin de la Première Guerre, le pays aurait été dans des conditions favorables — relativement — au lancement d’un programme de développement économique s’il en avait eu le dessein, mais il se trouvait précisément alors aux prises avec la réforme sociale qui visait à transformer la base même de son organisation économique, et qui devait vaincre la résistance d’intérêts créée sous un régime traditionnel, quasi féodal et absentéiste.
14Si cette réforme sociale, antérieure à d’autres révolutions du xxe siècle, s’était produite au cours de la première décade du siècle, la Première Guerre mondiale aurait peut-être permis au Mexique de réaliser dès 1920, ce qu’il s’est proposé en 1930 à peine.
15Si, contrairement à d’autres pays neutres, le Mexique n’a pu tirer aucun bénéfice des profits qui auraient pu lui échoir de la Première Guerre, en échange, il a souffert des conséquences de l’après-guerre.
16A la fin de la troisième décade de ce siècle, le Mexique ressentait de façon aiguë les effets de la dépression mondiale. Dans la baisse des marchés mondiaux, des exportations et de leur rendement, le Mexique a subi un véritable drainage de ses réserves d’or — qui était alors la monnaie en circulation —, sans la compensation de nouveaux investissements internationaux qui se trouvaient eux-mêmes stoppés, tant en raison des troubles intérieurs résultant de notre réforme sociale, que par suite de la limitation des ressources des pays industrialisés absorbés par leurs propres problèmes d’adaptation intérieure et de réhabilitation des pays vaincus.
17C’est dans de telles circonstances que le Mexique, devançant la Grande-Bretagne, abandonna en 1931 l’étalon-or, procédant à la dévaluation monétaire qui s’était déjà produite sur le marché.
18On pourrait dire que le développement économique du Mexique a débuté en 1925, par l’exécution d’un programme prévoyant la construction de routes et de barrages pour l’irrigation.
19Au même moment, étaient jetées les bases de la fondation de la Banque Mexicaine (loi du 16 janvier 1925), toutes les banques anciennes se trouvant alors en liquidation. Jusque-là, presque toutes les banques qui opéraient au Mexique étaient des succursales de banques étrangères ; elles recevaient les dépôts effectués par le public et les investissaient sur les marchés internationaux dans les conditions dictées par leurs sièges, de telle sorte qu’à l’intérieur du pays le crédit était réduit et l’épargne favorisait surtout le crédit et l’achat de valeurs sur les marchés extérieurs.
20En même temps que s’établissait la base d’un système bancaire national, se fondait la Banque du Mexique qui devait assumer les fonctions de banque centrale, mais par suite de la présence d’or sur le marché et de l’habitude traditionnelle du public de faire usage de monnaie forte, le papier monnaie émis par la Banque Centrale restait presque inutilisé et le réescompte pratiquement inexistant. De la même façon furent créées une Banque Agricole, une Banque d’investissement (Nacional Financiera) et une Banque de Travaux Publics.
21C’est en 1931, au moment où l’étalon or a été abandonné que la Banque Centrale a véritablement commencé à exercer les fonctions qui lui étaient assignées.
22Bien que les organes propres à favoriser le développement économique fussent désormais créés, on peut dire que celui-ci ne s’est nettement amorcé que grâce aux événements survenus en 1938.
23Cette année-là, un conflit éclata parmi les ouvriers des compagnies qui exploitaient au Mexique les gisements pétroliers. La grève ayant éclaté et le conflit ayant été tranché, les entreprises se refusèrent à accepter la décision de la Commission d’arbitrage. Elles eurent recours à la Cour Suprême de Justice qui déclara légale et applicable la sentence rendue par la Commission. Les compagnies refusèrent de se soumettre et voulurent montrer une force supérieure à celle de l’État.
24Afin d’éviter l’interruption des travaux, et en application de la loi, les autorités mexicaines réalisèrent l’expropriation des compagnies exploitant les gisements mexicains de pétrole, et une corporation fut créée pour l’exploitation sous forme d’une seule entreprise d’État.
25Le Mexique eut à résoudre un double problème : d’une part, trouver des débouchés pour le pétrole brut, et d’autre part, obtenir des capitaux en vue de la construction d’une nouvelle raffinerie, car les entreprises expropriées faisaient raffiner une grande partie du pétrole brut à l’étranger, ce qui obligeait à la réimportation sur le marché mexicain des produits raffinés.
26Du même coup, les entreprises étrangères retirèrent tous leurs fonds et par suite, les dépôts bancaires subirent une diminution de plus de 50 %, occasionnant de la sorte une sensible dépression.
27C’est dans de telles circonstances que le Gouvernement du Mexique mit à exécution le plus vaste programme d’investissements qui ait jamais été envisagé dans ce pays. Non seulement la construction des routes et les travaux d’irrigation se poursuivirent, mais d’importants travaux destinés à augmenter la production d’énergie électrique furent amorcés. De nouvelles voies de chemin de fer furent mises en construction et la première raffinerie moderne fut édifiée — en dépit du boycottage auquel les entreprises étrangères expropriées se livraient sur le marché mondial, tant en ce qui concerne la vente du pétrole brut que l’achat de l’outillage nécessaire au montage de la raffinerie.
28Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler ici qu’à cette occasion, je vins à titre de Sous-Secrétaire aux Finances proposer au Gouvernement français de lui vendre d’importants excédents de pétrole brut qui auraient pu remplacer, pour les besoins des démocraties, le pétrole d’Orient, dont à chaque instant la fourniture pouvait se voir compromise par une nouvelle guerre avec les pays totalitaires. Malheureusement, mes efforts restèrent vains, les démocraties européennes n’eurent pas le pétrole que le Mexique leur offrait, et notre pays ne put obtenir pour son programme les devises que ses ventes lui auraient procurées.
29Nous pouvons dire que le Mexique, à l’image de tous les pays, a pâti des fluctuations économiques et qu’une dépression mondiale a pu venir ajouter ses effets à ceux d’une dépression d’origine interne, comme un « boom » mondial pourrait avoir d’heureuses répercussions sur l’économie interne, même si ces répercussions se trouvaient modifiées par les caractéristiques de l’économie mexicaine.
30Les transformations effectuées sont en partie la conséquence des fluctuations économiques et des mesures prises pour les combattre, mais elles proviennent en majeure partie de l’adoption d’une politique destinée à provoquer, au moyen d’investissements gouvernementaux, un développement accéléré de la production.
31Au cours de la dernière guerre, par exemple, le Mexique a fait l’acquisition d’une de ses plus importantes réserves monétaires ; malgré cela son développement économique s’est vu entravé par des restrictions. Surtout, le système de priorité pratiqué par les États-Unis l’a mis dans l’impossibilité d’utiliser les soldes favorables de sa balance pour l’achat d’une grande partie des outillages les plus urgents. Néanmoins, une série de petites industries surgirent et les industries du sucre, du papier, du fer et de l’acier prirent alors un nouvel essor.
32Le programme d’investissements, amplifié depuis 1938, s’est poursuivi de façon beaucoup plus accentuée encore au cours de la période 1947-1952.
33A partir de 1931, les investissements de l’État ont été alimentés par trois sources : les impôts ordinaires, les émissions de bons d’État (dont les premières avaient eu lieu en 1931 au profit de la construction des routes), et le crédit international.
34L’État a employé les revenus fiscaux ordinaires à la réalisation des investissements de récupération à long terme, dont les bénéfices ne s’obtenaient pas en même temps que les investissements, mais avec un décalage qui a produit une accumulation de leurs effets dans la consommation, avant que ceux-ci n’aient contribué à l’augmentation de la production, surtout en matière de produits alimentaires.
35En outre, comme certains des investissements les plus importants, surtout pendant la période 1947-1952, n’étaient pas de type directement productif, ou ne permettaient qu’un développement à très long terme, ils n’eurent pour résultat que l’aggravation des effets sur la demande, sans compensation dans le domaine de l’offre.
36Les bons d’État furent en partie absorbés par des Institutions privées (Compagnies d’Assurances, etc...), mais en grande partie, directement ou indirectement, par la Banque Centrale. Dans le premier cas, on a utilisé l’épargne, mais dans la mesure où de telles émissions étaient absorbées par la Banque Centrale, c’est à l’inflation que l’on avait franchement recours.
37Outre l’inflation provoquée par les apports de capital réfugié pendant la guerre, les conséquences de l’apparition de crédits internationaux sur le marché interne n’étaient pas très différentes de celles des investissements réalisés par d’autres moyens, sauf que dans le cas des crédits, les devises ainsi obtenues venaient tonifier la réserve de la Banque Centrale.
38L’investissement gouvernemental a donc eu pour objet de fournir du travail à la population, d’assurer le renflouement de l’économie mexicaine, qui avait subi une forte dépression par suite des retraits de capitaux des compagnies pétrolières expropriées. Par la suite, l’État s’est donné pour tâche de procurer du travail à la population croissante, d’augmenter le revenu national et l’épargne en général, et d’obtenir par un effort d’industrialisation interne l’offre sur le marché intérieur d’articles manufacturés, dans des proportions chaque fois plus grandes, améliorant ainsi la situation de la balance des paiements. Le montant des crédits accordés à l’industrie par la Nacional Financiera donne une idée de l’ampleur de cet investissement (voir tableau et graphique p. 208).
39Les investissements engagés par l’État dans ce but furent d’une telle importance, surtout pendant la période 1947-1952, que la disparité entre l’offre et la demande d’articles alimentaires en particulier s’accentua davantage encore. En outre, la hausse survenue dans les prix des biens de capital vint accentuer encore ce processus et accroître les difficultés financières.
40Le processus d’inflation, qui se trouvait à l’origine des bénéfices croissants des chefs d’industries, provoqua une concentration du revenu entre leurs mains et une diminution relative de la part destinée aux consommateurs. Par exemple, tandis que les bénéfices des entreprises atteignaient en 1950, 41 % du revenu national, les salaires n’y entraient que pour 24 % et les revenus agricoles pour 20 % seulement.
41Les études du développement économique effectuées au cours de ces dernières années ont amené les spécialistes à découvrir que le problème essentiel d’un programme de développement, examiné a posteriori, peut être son manque d’équilibre. L’idéal serait que chaque pays réalisât son progrès économique de la façon la plus équilibrée possible. Mais il n’en a pas toujours été ainsi, parce que — parmi d’autres raisons —, l’élaboration d’un programme de développement économique constitue un effort technique qui exige une grande préparation, particulièrement difficile pour les pays sous-développés. Sans compter que, dans le monde contemporain, tout effort tendant à l’élaboration de programmes économiques précis, évoque pour nous la « planification » forcée des pays totalitaires.
42En résumé, pendant la période de 1925 à 1955, le Mexique a passé par les phases les plus aiguës de dépression interne et externe. En présence de chaque dépression et à défaut de capital extérieur, on eut recours à l’investissement d’État comme élément promoteur, pour augmenter l’emploi, le revenu et l’épargne.
43Que ce phénomène ait imposé des sacrifices à la population, la hausse constante subie par les prix pendant ces trente années le démontre clairement. Il est vrai que ce phénomène s’est produit à l’échelle mondiale, mais il est vrai aussi que sans les investissements de l’État, la hausse des prix n’aurait pas été aussi sensible au Mexique ; peut-être n’aurait-on pas non plus obtenu les mêmes résultats sans cette mesure.
44Telle est l’alternative pour un pays qui désire augmenter le rythme de ses investissements et de son progrès, en respectant les formes politiques de liberté et de démocratie.
45Si le pays avait été disposé à renoncer à de tels privilèges, la hausse aurait pu être momentanément retardée. Pour cela, il aurait fallu créer une économie fermée, comme le fit le Japon au début du siècle ; de surcroît, il aurait fallu avoir un gouvernement totalitaire et un régime social fondé sur le sacrifice, à l’exemple du Japon encore — ou à l’exemple de l’U. R. S. S. durant ces trente dernières années.
46Les conseils donnés par les économistes classiques concernent une économie qui change, mais dans un cadre identique à un certain stade de développement, et ces conseils eux-mêmes se trouvent lettre morte quand pour une raison de force majeure les Gouvernements se trouvent dans l’obligation d’avoir recours à des mesures d’urgence à titre provisoire, mais qui parfois deviennent définitives, car, selon le proverbe français, « il n’y a que le provisoire qui dure ».
47Au Mexique, la hausse des prix a contraint à plusieurs reprises à reconnaître le maigre pouvoir d’achat de la monnaie à la suite des diverses dévaluations opérées, même si celles-ci ont amélioré le commerce et favorisé la reconstitution des réserves.
48Ces dévaluations ont été : celle de 1933, qui a réduit le peso de 0,50 dollar à 27 cents 8 ; la seconde, qui s’est produite entre 1938 et 1940 fit baisser le peso à 20 cents 6 ; la troisième entre 1948 et 1949 a réduit de nouveau la valeur du peso jusqu’à 0,116 dollar et la dernière en 1954 a fixé la valeur du peso à 0,08 dollar.
49Ces quatre dévaluations constituent le tribut le plus lourd que nous ayons dû payer pour notre développement économique. Si notre pays avait subi une politique différente, ces dévaluations auraient pu être évitées, mais il est probable alors que le processus du développement se serait trouvé interrompu ou inversé.
50A tous les efforts accomplis par la Banque Centrale pour restreindre la dépense publique en raison de la menace qu’elle représentait pour les réserves et la stabilité monétaire, les autorités financières répondaient soit que le pays était dans un état de dépression relative qu’il fallait surmonter, soit que le progrès qui commençait à s’accomplir ne pouvait être sacrifié à la stabilité monétaire. Dans l’obligation de choisir, les autorités financières mexicaines ont toujours préféré maintenir le rythme du développement économique au détriment de la valeur stable de la monnaie.
51Cette politique n’a pas eu seulement pour résultat de favoriser l’industrialisation et l’équilibre entre le progrès industriel et le progrès agricole, mais elle a en même temps contribué à donner une nouvelle structure à l’économie.
52Dans un pays qui souhaiterait seulement disposer des devises nécessaires à l’achat à l’extérieur de tous les articles de consommation alimentaires et manu facturés, il suffirait d’autoriser le capital étranger à exploiter des ressources naturelles en payant salaires et impôts. Dans ces conditions, peut-être ce pays n’aurait-il pas à résoudre des problèmes de balance des paiements ; en effet, l’affluence des devises, provoquée par de nouveaux investissements de capitaux ou par la vente de produits lui en assurerait les quantités nécessaires à l’importation des facteurs de production tels que : outillage, articles de production et de consommation et main-d’œuvre s’il y a lieu. (Certains pays d’Amérique latine reçoivent chaque jour par avion des produits alimentaires venus des États-Unis).
53Mais, si les ressources naturelles ne sont pas inépuisables, la fin d’un tel procédé sera funeste. Le capital étranger abandonnerait l’exploitation des ressources épuisées, ce qui aurait pour conséquence une crise de chômage et l’afflux de devises se trouvant interrompu, le pays se trouverait dans l’impossibilité de payer l’importation d’aliments si, pour avoir consacré l’or ou les devises à l’achat d’articles de consommation au cours de la période de prospérité, il avait négligé l’importation d’outillage et l’application de ses ressources financières à l’accroissement de sa production intérieure.
54L’examen de la balance commerciale (voir tableaux des données essentielles) révèle que l’on pourrait rétablir l’équilibre assez facilement si le Mexique consentait à diminuer non pas l’importation des articles de consommation, qui ne représentent que 20 %, mais l’importation de machines et d’outillage que le pays destine à son industrialisation et à son développement et qui, avec les matières premières destinées à l’industrie, représentent 80 % de ses importations totales.
55Si le Mexique s’était proposé comme premier objectif de donner la stabilité à son économie, il ne semble pas qu’il eût eu grand peine à y parvenir, si toutefois le pays avait été prêt à sacrifier son programme de développement et de progrès général. Un tel équilibre serait illusoire. Devant l’expérience d’un niveau d’emploi croissant et la perspective d’une industrie qui se développe plus rapidement que dans les pays voisins, devant la formation d’une classe moyenne qui augmente constamment aux dépens de la population agricole dont le niveau de vie s’est sensiblement élevé, il aurait été bien difficile pour le pays de se résigner à choisir la stabilité, en sacrifiant progrès industriel et social.
56De 1940 à 1945, la production nationale a subi une augmentation moyenne annuelle de 8,2 %. Entre 1946 et 1950, ce rythme d’augmentation est redescendu à 5,9 %. De 1950 à 1954, en grande partie à la suite de la récession de 1953, l’augmentation annuelle moyenne a été seulement de 3,7 %, tandis que l’augmentation réelle de la production nationale en 1955 est évaluée à 10 %. Il est intéressant de la rapprocher d’une augmentation de 5 % seulement en Amérique latine au cours de la même période.
57D’autre part, la population économiquement active s’est élevée en 1955 à près de 34 % de la population globale, ce qui correspond à 10 millions environ de personnes occupées sur une population de près de 30 millions. C’est dire qu’un tiers de la population participe à l’activité économique.
58La consommation par tête d’un grand nombre d’articles a augmenté en même temps que la production agricole s’est accrue dans des proportions considérables.
59L’investissement total correspond à 14 % du produit national, comparé à une proportion de 17 % environ en Europe et aux États-Unis et de moins de 10 % dans le reste du monde.
60Le tableau synthétique des renseignements essentiels dont nous disposons nous permet de constater que la balance des paiements a été nettement favorable au Mexique au cours des deux dernières années et surtout en 1955.
61L’envergure prise en général par notre capacité industrielle est appelée à réduire l’importation d’articles manufacturés, même si l’importation de biens de capitaux destinés à l’industrie se poursuit. Pour parvenir à ce résultat, nous avons dû, non seulement réduire l’importation d’articles de consommation, mais augmenter nos exportations de produits manufacturés, sans compter le contingent représenté dans la balance par les revenus croissants du tourisme.
62Depuis des années, la production industrielle est supérieure à la production agricole, en dépit de l’augmentation des investissements qui, au cours des dernières années, ont permis une élévation de 45 % de la superficie des terres irriguées. Λ l’heure actuelle, les terres irriguées atteignent la proportion de 20 %, au lieu de 10 % de la superficie totale des terres cultivables.
63La production industrielle a augmenté de près de 50 % au cours de la dernière décade et il en est de même de l’énergie électrique, de la production sidérurgique, du pétrole, du ciment, etc...
64Les graphiques ci-dessus illustreront mieux les résultats obtenus.
Analyse théorique
65Ce qui précède nous a dépeint le progrès économique réalisé au Mexique et les phénomènes d’inflation et de dévaluation dont ce progrès a été accompagné. Examinons à présent ces événements d’un point de vue théorique.
66En cas de production insuffisante, les prix montent consécutivement à l’augmentation de la monnaie en circulation, mais cette augmentation peut se produire de façon autonome ou sous l’influence d’autres facteurs.
67Si cette augmentation se produit de façon autonome, il s’agit d’une simple inflation monétaire ou d’une inflation ayant son origine dans de nouveaux investissements en faveur de l’expansion industrielle ou destinée à la création de nouvelles activités. Dès qu’il y a expansion industrielle ou création d’entreprises nouvelles ou réalisation de nouveaux travaux publics, il se produit nécessairement une augmentation des revenus et une expansion monétaire.
68Si le pays dispose de réserves suffisantes, il peut importer des produits alimentaires et juguler dans une large mesure la hausse des prix consécutive à l’expansion monétaire. S’il se trouve dans l’impossibilité d’importer les denrées alimentaires, il ne pourra pas exercer de contrôle aussi efficace sur la hausse des prix. En outre, dans les deux cas, il se produit une large demande de services essentiels et de main-d’œuvre. En ce qui concerne les services, l’offre peut être élastique dans la mesure où une partie de l’outillage reste inutilisée ou en cas d’importation de nouvel outillage. La main-d’œuvre peut être trouvée sur place ou importée, mais l’élévation globale du pouvoir d’achat se reflétera de toute manière dans la demande accrue et la hausse des prix.
69J’irai jusqu’à dire qu’il ne peut pour ainsi dire pas y avoir d’expansion industrielle, progrès industrie] (nouvelles usines ou agrandissement des anciennes) sans qu’il y ait à payer le prix d’une inflation relative, au moins temporaire et la hausse des prix qui en est le reflet.
70Cette situation a été particulièrement claire dans les pays disposant d’une réserve abondante et de ressources naturelles presque illimitées, où toute expansion ou création de nouvelles industries a entraîné une hausse constante des prix.
71Quelle sera la situation dans un pays sous-développé, où, par définition, il y a peu de devises, peu de produits alimentaires et peu d’outillage pour la fabrication de l’outillage même ?
72Les investissements d’origine étrangère, qu’ils soient effectués directement ou sous forme de crédits en faveur du développement, auront également pour effet d’accroître le pouvoir d’achat (aussi bien du fait de l’élévation de l’emploi que du fait de l’élévation des salaires) et il s’ensuit une hausse des prix. A moins que les réserves soient alimentées de façon constante par un afflux permanent de nouveaux investissements — et dans beaucoup de cas, comme au Venezuela, en dépit de cela —, les prix continueront à monter.
73Dans un cas, il y a inflation en dépit de l’existence de devises et dans l’autre, il y a inflation et pénurie de devises. Dans le premier cas, il y a hausse des prix sans dévaluation. Dans le second cas, quand le niveau des prix intérieurs est plus élevé que celui des prix extérieurs, la dévaluation est inévitable. En d’autres termes, quel que soit le degré atteint par le développement d’un pays, celui-ci doit en payer le prix.
74Chaque nouvel effort verra se renouveler le phénomène L’épargne nationale augmentera. Les investissements d’origine étrangère peuvent s’élever. Les nouveaux projets peuvent être plus ambitieux. La demande à l’égard des ressources locales peut augmenter, il y aura davantage d’emplois, un pouvoir d’achat accru et une nouvelle hausse de prix.
75Cette tendance est identique même quand il s’agit d’investissements destinés à l’agriculture jusqu’à ce que les produits de cette dernière arrivent à satisfaire les nouveaux marchés créés par les investissements.
76A quel moment ce phénomène cesse-t-il de se produire ?
En cas de récession extérieure.
En cas de baisse de prix des principaux articles d’exportation, même s’il n’y a pas récession de l’extérieur.
Quand il y a interruption ou ralentissement du rythme des investissements et du développement.
77C’est-à-dire qu’un pays pourra théoriquement opter entre la stabilité, au prix du ralentissement du rythme de son développement, et la continuation de son développement, au prix de sa stabilité.
78Dans les pays hautement développés, les problèmes créés par les deux guerres mondiales ont été considérés comme des réalités et les économistes les ont présentés comme des cas de force majeure faussant artificiellement leurs théories, facteurs d’erreurs eu égard aux principes dictés par la théorie économique.
79Les économistes classiques n’ont pas accordé une importance prépondérante au développement économique au sens où on l’entend aujourd’hui, et exception faite de quelques rares allusions, il n’en est presque pas fait mention.
80Les économistes néo-classiques, tels que Cassel et surtout Schumpeter, par exemple, se contentent, quand ils traitent de l’évolution économique, d’étudier les transformations subies par l’économie à l’occasion de l’application d’une nouvelle invention ou par suite du rôle créateur d’un nouveau chef d’entreprise qui organise de façon différente et plus efficace les facteurs du processus économique ; mais, pour eux, l’ensemble des autres facteurs demeure dans les normes d’un circuit caractérisé par sa stabilité.
81Pour importante que soit cette analyse, — encore que son importance lui soit contestée par les critiques de Schumpeter parmi lesquels figure son traducteur français, le Professeur Perroux —, il est évident qu’elle nous est de peu de secours dans l’étude du problème du développement économique contemporain, envisagé comme un phénomène provoqué par une politique déterminée, appliquée à cette fin.
82Le phénomène qui se produit dans les pays industrialisés ou celui qui s’y apparente le plus est ce qu’on appelle l’expansion industrielle, mais la différence essentielle entre l’un et l’autre réside dans le fait que l’expansion se produit dans un pays déjà industrialisé et dont le développement économique a atteint un degré élevé, tandis que le phénomène que nous appelons communément de nos jours « développement économique » survient dans un pays où l’économie en est encore à un stade primitif, où il n’y a pour ainsi dire pas d’industrialisation, où la population se trouve sans emploi de façon presque permanente et où la production est nettement insuffisante.
83Un pays sous-développé n’a d’autre solution que d’exporter sa main-d’œuvre ou de créer des possibilités de travail plus étendues pour ses ressortissants, et ceci ne peut être réalisé sans une augmentation des investissements.
84Toutefois, il est bon d’observer que l’investissement privé est limité à l’intérieur par la propre capacité d’épargne du pays et à l’extérieur par l’immobilité relative du facteur capital.
85Entre le monde d’aujourd’hui, plein de limitations et de contrôles et le monde peut-être heureux du xixe siècle si vilipendé, il y a un abîme de différence comme ne manque de le noter tout observateur intelligent (voir Myrdal, etc.) et quand non seulement il n’y a pas augmentation des investissements, mais au contraire retrait de capitaux, la perspective qui s’offre à un pays dont la population et le chômage sont en proportion croissante, sera, plus qu’un état de stagnation, une dépression chaque fois plus aiguë.
86Cette situation peut se présenter également dans le cours normal des événements contemporains, quand les termes de l’échange sont défavorables (soit que l’importation coûte une plus grande part de la production interne, soit qu’elle se fasse aux dépens des réserves) ou quand la situation intérieure sociale ou politique est telle qu’elle décourage l’investissement d’origine étrangère. Dans l’un comme dans l’autre cas, il faut sortir du cercle vicieux par des mesures héroïques, analogues à celles que doit adopter un pays développé aux prises avec les exigences de la guerre.
87Il est curieux de constater que les gouvernements et les économistes du monde entier se soumettent aux mesures héroïques quand il s’agit de contribuer à détruire des hommes, et s’y refusent ou s’y soumettent de mauvaise grâce, quand un pays s’efforce de sauver son peuple du chômage et de la misère croissante.
Théorie de Lord Keynes
88Une grande partie de la politique économique contemporaine s’inspire de la théorie de Lord Keynes.
89On ne saurait nier son influence sur la politique suivie par la Grande-Bretagne et en grande partie par les États-Unis. La France même, selon ce que je crois comprendre, a prévu dans sa constitution l’obligation pour le gouvernement de présenter un programme périodique envisageant de tirer un meilleur parti des ressources nationales.
90Il est clair que la prédominance de la théorie de Keynes dans la majeure partie du monde n’a pas laissé d’avoir ses adversaires, dont quelques-uns irréconciliables, parmi les économistes néo-classiques (Schumpeter, Hayek, von Mises, Jacques Rueff et le Professeur Pigou qui, pourtant, après la mort de Keynes lui a, en partie, donné raison). Mais aussi grande qu’ait été l’influence exercée par la théorie de Keynes dans la création d’une politique économique à l’usage de pays très développés, tels que la Grande-Bretagne et les États-Unis, elle repose sur le fait admis d’un niveau préexistant d’investissements et de travail qui a subi des modifications, mais auquel il est souhaité de revenir ou de s’élever jusqu’à atteindre l’emploi maximum de la population.
91Cependant, le plein emploi de la population ne saurait être qu’un but lointain et presque inaccessible pour un pays sous-développé dont l’ambition ne peut que se limiter à obtenir rapidement des possibilités meilleures et plus grandes de travail : tel a été le programme du Mexique avant même que ne soit formulé le concept de plein emploi aux fins de politique économique.
92Mais Keynes lui-même n’envisageait pas de résoudre le problème posé par une population qui n’a jamais été occupée comme c’est le cas des pays sous-développés.
93Certains économistes (J. Viner) considèrent que ce qui importe pour un pays relativement sous-développé, c’est d’augmenter la production agricole, parce que l’augmentation du revenu per capita rendra possible la capitalisation intérieure nécessaire au développement économique. Pour obtenir cette augmentation de la production, il faudrait d’abord que la terre fût naturellement fertile, que les techniques agricoles employées fussent meilleures et que le capital investi dans la machinerie qui épargne une partie du travail (qui pourrait d’autre part être employé à d’autres activités) fût aussi plus important ; trois conditions qu’il est difficile de rencontrer dans un pays sous-développé. Il faudrait enfin que les marchés mondiaux fussent en mesure d’absorber les exportations, condition qui ne se réalise pas non plus sur le marché mondial étroit et protégé.
94Dans le processus de développement économique, le secteur agricole soutient l’industrie nationale. Quand l’industrie est techniquement avancée et dispose de marges de bénéfices importantes, elle peut subventionner une agriculture qui ne l’égale pas en bénéfices, mais elle ne saurait en aucune façon subventionner une agriculture étrangère en pays sous-développé, dont elle espère toutefois qu’elle continuera à acheter ses produits industriels de plus en plus cher, en raison de la hausse des prix et de la hausse des salaires. De telle sorte que, au fur et à mesure que le temps passe, un pays sous-développé fournit davantage de travail et de produits essentiels pour un même produit industriel.
95Exception faite de Domar, Harrod et de certains autres auteurs, la majeure partie de la littérature constructive publiée ces dernières années, concernant le problème du développement économique, a été suscitée par les études réalisées sous les auspices des organisations internationales qui se sont trouvées dans l’obligation d’étudier le double problème posé par les répercussions des dépressions mondiales dans les pays sous-développés et le chômage quasi permanent joint à une capitalisation parcimonieuse, propres à ces pays.
96Toutefois, selon la tendance naturelle des théoriciens à ramener les phénomènes économiques à des hypothèses, admettant a priori le caractère stable de certains facteurs, la théorie de Keynes conçue en fonction d’un chômage saisonnier ou cyclique d’un pays très développé, ne reçoit qu’une application relative. Les économistes étudient par exemple les répercussions que peut avoir sur l’emploi, sur le revenu national et sur l’épargne publique une augmentation déterminée de l’investissement, et essaient d’en évaluer quantitativement les résultats. Mais l’application de cette méthode d’analyse au phénomène économique d’un pays où tous les facteurs sont essentiellement variables à des degrés divers et imprévisibles, rend l’évaluation des résultats évidemment difficile.
97Toutes les données supposées a priori stables s’avèrent variables : d’abord, la population en augmentation constante, l’évaluation de l’offre d’articles alimentaires soumise directement aux contingences atmosphériques, le montant des investissements de capitaux qu’il est toujours difficile de prévoir, par suite des réactions psychologiques d’un chef d’entreprise d’un pays sous-développé, particulièrement sensible au climat politique. D’autre part, le rythme des investissements de capitaux étrangers ne dépend pas seulement de l’état de prospérité ou de dépression du monde, mais aussi de la stratégie économique des pays développés.
98En outre, dans les pays sous-développés, il est admis que l’objectif principal est l’élévation du niveau général de vie qui s’exprime en premier lieu par la hausse des salaires, bien que, dans le processus de développement, l’inflation, dans sa phase aiguë détermine une diminution du salaire réel.
99Ajoutons que, dans un pays où la population se multiplie rapidement, le revenu per capita diminue si le revenu global n’augmente pas au moins au même rythme. Par conséquent, un pays tel que le Mexique qui n’a pas encore atteint la maturité économique, n’aurait pu, en dépit de son désir, maintenir sa stabilité, du fait que la pression exercée par la population croissante l’a obligé à accomplir des efforts sans cesse plus grands dans le développement de son économie.
100En ce qui concerne les facteurs externes, il est évident que le capital disponible pour des investissements s’est trouvé limité par les effets des deux guerres qui ont épuisé les ressources des pays européens industrialisés, absorbés par leur reconstruction, y compris les ressources qui leur étaient assurées par leurs investissements à l’extérieur et dont eux-mêmes auraient pu disposer en vue de nouveaux investissements.
101La faculté de disposer du capital d’investissements pour des pays sous-développés a été, à l’exception du Plan Colombo, pratiquement limitée aux États-Unis.
102Examinons à nouveau, par exemple, la période de la Seconde Guerre mondiale.
103Celle-ci a provoqué une inflation intérieure et a mis le Mexique dans l’impossibilité de se procurer des biens de capital et des biens de consommation qui lui étaient nécessaires. L’après-guerre a balayé les réserves plus rapidement encore qu’on ne s’y attendait, par suite de l’augmentation des prix des produits manufacturés d’importation. De telle sorte que le Mexique a payé son tribut à la guerre non seulement sous la forme d’aide militaire — négligeable en comparaison des efforts accomplis par les grands pays —, mais par le sacrifice de son développement national demeuré presque stationnaire pendant la durée de la guerre, et surtout par le sacrifice fait au moment où, privé d’une partie de ses réserves, il eut à payer davantage en devises pour un même volume d’importations.
104Ce phénomène n’a pas été seulement l’équivalent d’un crédit sans intérêt accordé aux pays alliés acheteurs de produits mexicains, mais une véritable remise partielle du principal devenue effective par la réduction du pouvoir d’achat de nos avoirs nationaux. L’assistance et les crédits internationaux accordés au Mexique n’ont été qu’une compensation partielle. (L’Amérique latine tout entière n’a eu que les 41 % de ce qui a été accordée au Japon, 37 % de ce qui a été accordé à l’Italie et 26 % de ce qui a été accordé à l’Allemagne : c’est-à-dire moins de la moitié de l’aide au Japon, un tiers de l’aide à l’Italie et un quart de l’aide totale apportée à l’Allemagne). Il est à remarquer aussi que l’Amérique latine tout entière a reçu moins que la Yougoslavie à elle seule. Quant au Mexique, sa part n’a été que des 9 % de l’aide fournie au Japon, 8 % de l’aide fournie à l’Italie et 6 % de celle qu’a reçue l’Allemagne.
105Le solde net des crédits provenant de l’étranger est évalué à 4 % de l’investissement total pour la période 1940-1950 et à 7 % du montant global des investissements jusqu’en 1955. Ces chiffres sont très significatifs.
106Il est certain que les proportions de 4 % et de 7 % de l’investissement global peuvent déterminer toute la différence entre un état prospère et un état stationnaire ou même un état de dépression. Mais le plus significatif pour les Mexicains, c’est que le processus général de développement ait été réalisé grâce à l’effort régulier et croissant de l’épargne ou de la capitalisation intérieure, lesquelles ont rendu possibles des investissements de capital atteignant plus du 90 % des investissements totaux.
107Ceci revient à dire que, dans la nouvelle structure réalisée parallèlement au développement, le rôle du capital national a été de période en période plus prépondérant, tandis que le crédit international, bien qu’il ait le caractère d’un investissement marginal, est relativement limité.
108Cela signifie aussi que la capitalisation intérieure croît sans cesse et que l’intégration de l’économie nationale est plus complète, permettant une solution plus aisée des problèmes posés par la balance des paiements. C’est dire que la perspective qui s’offre à nous désormais est celle d’une stabilité plus grande, organique et fondamentale, préférable à une stabilité momentanée résultant d’une injection extraordinaire et généralement éphémère de capital étranger.
109Nous pouvons donc dire que le processus de développement qui a engendré dans le pays, au cours des trente dernières années, de nombreux phénomènes d’instabilité, a fini par jeter les bases d’une stabilité plus profondement assurée. Ceci ne veut pas dire que le pays ait résolu tous ses problèmes : son développement économique n’est encore qu’à mi-chemin, la répartition du revenu reste défectueuse et sa concentration aux mains des chefs d’entreprises — au détriment des salariés dont le pouvoir d’achat croissant est la base de la prospérité de tout le système économique — a pourtant été l’instrument de la capitalisation qui a fourni l’investissement intérieur.
110Je voudrais parler d’un phénomène qui se produit actuellement et dont nous ne nous rendons pas toujours compte, à savoir : tant que le monde ne réussira pas à intégrer les économies nationales dans une économie mondiale plus harmonieuse, le processus de développement des pays s’accomplira sur un mode saccadé, par à-coups. Il ne sera pas un processus fluide et progressif et sa courbe représentative enregistrera de brusques changements.
111L’intégration de l’économie mondiale rendrait beaucoup plus facile révolution ferme et continue des pays moins développés ; mais le monde est encore éloigné de ce stade économique. Tous les pays agissent en recherchant l’intérêt national. Il semble que le résultat final des deux dernières guerres soit une recrudescence du nationalisme ; ceci est vrai, non seulement pour les pays qui luttent pour développer leur économie intérieure, mais c’est aussi le cas des pays les plus hautement développés où le nationalisme se manifeste cruellement.
112Il suffit de dire que le pays économiquement le plus puissant de la terre maintient des tarifs protecteurs très élevés dans le domaine de son comportement international.
113Mais revenons au Mexique.
114Le programme des investissements a commencé à être l’objet d’une révision complète et la recherche de mesures tendant à remédier au déséquilibre est manifeste. L’objectif est une évolution plus harmonieuse dans l’avenir. Non seulement l’État a limité ses investissements au fur et à mesure que l’initiative privée nationale a augmenté les siens (qui, pratiquement inexistants il y a trente ans, jouent aujourd’hui un rôle primordial), mais il se préoccupe en outre d’harmoniser les investissements nationaux et les investissements d’origine étrangère, ces derniers commençant à montrer un certain intérêt à l’égard du marché mexicain.
115Si, en dépit du fait que l’État limite ses propres investissements, l’investissement global augmente, ceci est dû à l’investissement privé. Si ce dernier a épuisé l’épargne nationale, cette augmentation devra être attribuée aux investissements d’origine étrangère.
116Peut-être, sera-t-il nécessaire de limiter dans de plus larges proportions encore les investissements de l’État et de constituer avec les excédents de budgets un fonds de compensation des investissements appelé à garantir le développement futur et à combattre toute nouvelle récession provoquée par une diminution éventuelle des investissements privés. D’après les observations que nous avons pu faire au cours des dernières années, ceux-ci nous apparaissent en effet très variables.
117Ceux qui ont suivi de près des divers aspects de l’économie mexicaine n’auront pas manqué d’être surpris par les résultats obtenus par le Mexique au cours de son évolution. Un examen objectif de la situation nous permet d’espérer qu’après les sacrifices imposés par l’inflation et les dévaluations successives, nous sommes arrivés au point où, sortis du cercle vicieux dans lequel nous nous sommes débattus pendant trente ans, nous entrerons dans une période de stabilité fondée sur une nouvelle structure économique.
118Il serait vain de nous laisser leurrer par les promesses d’un enrichissement et d’un progrès plus rapides que pourraient nous procurer des investissements excessifs d’origine interne ou externe, si l’économie devait en pâtir et d’exposer le pays à affronter de nouveau les problèmes créés par l’instabilité, chaque fois que, pour des raisons d’ordre interne ou externe, le capital privé se trouvera en présence d’autres possibilités d’investissement plus avantageuses.
119Parlant de la mobilité du capital au xixe siècle, nous avons déploré les obstacles et l’absence d’initiative qui caractérisent actuellement les pays susceptibles d’investir des capitaux, mais nous n’oublions pas non plus que des pays où le développement et la stabilité ont atteint un degré aussi élevé qu’en Grande-Bretagne, par exemple, ont subi les mêmes bouleversements du fait de la mobilité de ce facteur.
120Il serait désirable d’éviter que le capital privé puisse ralentir ou accélérer à l’excès le rythme d’investissement donné.
121L’économie mexicaine paraît atteindre la stabilité à travers son processus de développement. Il serait bon de poursuivre désormais cette évolution au sein de cette relative stabilité.
Notes de bas de page
1 Conférence faite à l’Institut des Hautes Études de l’Amérique latine, de l’Université de Paris, le 1er juin 1956.
Auteur
Ancien Gouverneur de la Banque du Mexique, Président de « Banco Atlantico ».
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