Colonisation et élévage en Rondônia
p. 157-164
Texte intégral
1En tant que territoire fédéral, le Rondônia présente une situation particulière, différente des Etats voisins. Cette originalité se manifeste fortement dans le domaine des activités rurales qui nous occupent, mais elle doit être replacée dans un cadre plus large.
2L'autonomie et les pouvoirs du gouvernement du Territoire sont très restreints dans tous les domaines : dans presque tous les cas, le Territoire est géré par les organismes fédéraux de Brasilia, ou par leurs représentants locaux appliquant les consignes nationales. Dans le domaine foncier, l'autorité compétente est l'INCRA (Institut national de colonisation et de réforme agraire), d'autant plus qualifié pour agir que son autorité s'étend de droit sur une zone de 100 km de part et d'autre des routes fédérales et sur les zones de frontières, ce qui est doublement le cas du Rondônia.
3Conformément au statut des Territoires, toutes les terres non attribuées avant la création du Territoire - il y en a très peu - sont publiques, et l'INCRA est le seul habilité à donner des titres de propriété, ce qu'il ne fait qu'avec beaucoup de précautions et pour des superficies restreintes : la colonisation privée est donc peu importante, limitée à un seul cas légal (titre de propriété antérieur à la création du Territoire) et à un cas de colonisation illégale. De même, la possibilité de créer des fazendas (grands domaines d'élevage extensif) n'existe pas, sur le plan légal du moins.
4En l'occurence, la décision politique de création du Territoire en 1943, motivée par le renouveau d'intérêt pour l'Amazonie lié à la guerre et aux besoins nouveaux en caoutchouc naturel, a eu une influence déterminante sur l'occupation de l'espace, ce qui nous fait toucher du doigt le poids des actes et cadres politiques dans la géographie de l'Amazonie.1
LA COLONISATION EN RONDONIA2
5La typologie de la colonisation dans le Territoire fédéral de Rondônia est relativement simple. On peut distinguer :
- la colonisation publique fédérale : essentiellement aux mains de l'INCRA, avec trois grands "projets intégrés de colonisation", ou PICs ;
- la colonisation publique du gouvernement du Territoire ;
- la colonisation privée.
I - La colonisation publique fédérale : l'INCRA
6Le "projeto fundiario de Rondônia" de l'INCRA comprend deux branches distinctes. Un secteur prend en charge la situation foncière générale du Territoire, l'autre est chargée de la colonisation proprement dite, qui comprend en Rondônia 3 "PICs", Ouro Preto, Gy-Parana, Sidney-Girao. Ces trois "projets"3 de taille, d'âge et de situation très différents, présentent de nombreux traits communs qui justifient qu'on les étudie globalement avant de décrire leurs particularités.
A) Caractères généraux des PICs de Rondônia
7Le type d'organisation choisi a été celui de la petite colonisation agricole. Le "module" est de cent hectares, destinés à l'établissement d'une famille se consacrant à l'agriculture traditionnelle. Ces lots de 2 km de fond sur 500 m. de front, sont disposés de part et d'autre de la route fédérale, reprenant la disposition qui était déjà celle des colonies allemandes du Sud du pays au XIXe siècle, dite "ligne coloniale". Des routes de pénétration partent de la route principale et donnent accès au "front" des lots, les fonds de lot devant être laissés (50 % de la superficie) en réserve forestière.
8C'est à cette organisation qu'est dû l'aspect "zébré" du paysage vu d'avion, les "bandes" défrichées alternant avec les bandes de forêt. Toutefois, cette disposition, satisfaisante pour l'esprit, l'est moins sur le terrain. La topographie est présentée par l'INCRA4 comme "topographie plane avec des secteurs ondulés jusqu'à 15 % de pente qui n'atteignent pas 10 % du total" ; en fait, il y a très peu de secteurs complètement plans et les variations de qualité des sols sont grandes au long de pentes même faibles, ce qui introduit de grandes différences entre des parcelles voisines. Parfois même, une colline à pente spécialement raide interdit la culture ou même l'accès des véhicules à moteur. Construits en fonction d'une géométrie trop rigoureuse et a priori, ce plan est donc souvent bousculé par la topographie, certaines parcelles étant inutilisables, certaines "linhas"5 impossibles à tracer telles que les veut le plan. En outre, un plan rigide est responsable de certaines inégalités entre les parcelles, en ce qui concerne la qualité des sols et surtout l'accès à l'eau : certains colons bénéficient du passage d'un igarapé sur leur parcelle, ce qui les favorise grandement par rapport à ceux qui doivent avoir recours à un puits. Ce plan facile à tracer, présente donc quelques inconvénients qu'un travail préparatoire aurait pu éviter, mais que l'obligation de délimiter au plus vite des lots pour les colons en attente n'a pas permis de faire.
9Chacun des lots désigné par sa "linha" et sa "gleba" (groupe de 25 à 30 lots) est occupé par une famille de colons qui y réside de façon permanente, alors que l'administration, les magasins privés ou ceux de l'INCRA, le poste médical et divers services sont regroupés au centre du Projet, en bordure de la route fédérale. Ce siège peut avoir ou non donné naissance à une agglomération. Ceux d'Ouro Preto et Sidney-Girao restent isolés et ne portent pas de nom spécial, les colons allant facilement à la ville voisine, Vila de Rondônia ou Guajara-Mirim. Le siège secondaire, Jaru, est maintenant entouré d'une agglomération de 3.500 habitants, Jaru, celui de Gy-Parana par la ville de Cacoul (8.500 habitants).
10Les cultures pratiquées : riz, maïs, haricot et manioc, association courante au Brésil et connue sous le nom de "lavoura branca", sont les mêmes dans les trois projets et le système de culture est celui qui est pratiqué dans tout le Rondônia, la culture sur brûlis. Toutefois, le colon de l'INCRA se distingue des agriculteurs isolés en ce qu'il reçoit toute une série d'assistances : aide alimentaire pendant six mois, fourniture à crédit (sans échéance déterminée, ni intérêt) d'outillage, de semences, assistance médicale et sociale, prêts pour la construction de la maison définitive, assistance de techniciens agricoles. Cette assistance, efficace sur le plan social, rencontre un certain succès sur le plan de la production mais est complètement absente en ce qui concerne la commercialisation, si bien que les produits sont vendus à bas prix à des intermédiaires, les "marreteiros", qui réalisent le plus gros du profit.
11On peut estimer que les trois projets, avec un total de plus de 5.000 familles installées (en juillet 1974) regroupent une population d'environ 30.000 personnes sur un total de 240.000 dans tout le Territoire. Les colons sont pour la plupart originaires de la région Sud-Est, sauf dans le cas du petit PIC Sidney-Girao, à la frontière bolivienne. Prédominants dans tous les projets, les Etats de Minas Gerais et Espirito Santo totalisent ainsi à Ouro Preto 55,4 % et 64 % des colons, à Gy-Parana 50,9 % et 63,8 % (voir figures.). Ces colons, souvent, ont déjà connu une ou plusieurs expériences de migrations, le plus souvent en Mato Grosso ou Parana. La pression migratoire continue par l'axe de la BR 364 (Cuiaba-Porto Velho), a amené à agrandir le PIC Ouro Preto, le faisant passer de 1.800 à 4.000 lots. Ces deux projets sont d'ores et déjà complètement occupés, seul le PIC Sidney-Girao, avec des conditions physiques très différentes, offre encore des lots disponibles.
B) Les PICs : Ouro Preto, Gy-Parana, Sidney-Girao
1. Ouro Preto
12. Localisation : en bordure de la BR 364 (Cuiaba-Porto Velho) sur le tronçon Vila de Rondônia-Ariquemes. Le siège est situé au km 327, à partir de Porto Velho, le siège secondaire autour duquel s'est développée l'agglomération de Jaru, au km 285.
13. Superficie et nombre de familles : Le projet compte 4000 lots, plus de 3500 étant délimités et occupés, le reste constituant la réserve (sur le cours des igarapés principaux), où les lots sont destinés à l'administration.
14. Organisation générale : L'occupation a commencé en 1970 par le "Pop l" (abréviation du "Projeto Ouro Preto"), en bordure même de la BR 364, de part et d'autre du siège. Les Pops 2 et 3 occupés entre 1970 et 1972, au sud puis au Nord du Pop 1, s'étendent sur les flancs de celui-ci, les parcelles les plus éloignées de la BR étant à 28 km de la route. On notera que dans les Pops 1 et 2, les parcelles sont perpendiculaires à la route, et parallèles dans le Pop 3, desservi seulement par des linhas de pénétration. Les Pops 4 et 5 (Riachuelo et Jaru) ont été ouverts en 1973 pour répondre à la pression des colons attirés par la propagande officielle ou par la rumeur qui a circulé d'éventuelles extensions du projet original : l'un est situé à 10 km au Nord-Est de la route, en bordure de la glèbe Pirineos (compagnie Salama S.A.), l'autre, sur la BR 364, à l'endroit où elle franchit le rio Jaru.
15L'ensemble du PIC, avec 3.800 familles sélectionnées en juillet 1974, dont 3.500 installées réellement, constitue le plus grand projet de colonisation officielle du Brésil. Sa gestion administrative est assurée par un "exécuteur" qui s'appuie sur un groupe administratif (personnel, communications, cartographie), un groupe financier et un groupe de programmation opérationnelle (installation des colons, programmation de la production végétale et animale, infrastructure, services sociaux). Le travail de contact direct avec les colons dans les parcelles est fait par 18 techniciens agricoles (originaires pour la plupart du Nordeste, du Sud ou Sud-Est). Il n'y a pas de corrélation entre les origines des colons et celle des techniciens, recrutés sur concours. En particulier, les nordestins (Bahia et Pernambuco) y sont en plus forte proportion que chez les colons, et l'Espirito Santo y est sous-représenté malgré le fort contingent de colons de cet Etat Ces techniciens et agronomes sont, en fait, issus des états bien équipés en collèges agricoles et faculté d'agronomie.
16Le centre du projet regroupe les bureaux, le poste médical, les magasins de l'INCRA (camions, jeeps), les logements des fonctionnaires, une scierie et un centre commercial privé (pharmacie, bazars et restaurants), mais seuls peuvent y résider les personnels de l'INCRA et les commerçants.
Résultats
17On a ici des sols qu'on considère comme "bons" par rapport à la situation générale amazonienne, c'est-à-dire de lotosols rouges et surtout des podzols, avec quelques taches de terra roxa. En juillet 1974, on estimait la surface défrichée à 18.800 hectares. De cette surface 10.000 étaient cultivés en riz et en maïs, 2.500 en haricots, 3.500 en pâturages (le projet comporte 54 parcelles de 200 ha destinées à l'élevage). Grâce à la bonne qualité de certains sols (taches de terras roxas) la culture du cacao, encadrée et financée par le CEPLAC (Commissao executive do piano de recuperaçao econômica rural de lavoura cacaoeira) est possible. Elle occupe 450 ha, associée, au cours des trois premières années, au bananier. Le café occupe 450 ha, et on trouve, sans que ces cultures aient une signification statistique, coton, ananas, canne à sucre, agrumes et tabac. Des plantation d'héveas sont actuellement en cours d'implantation.
18Il est encore trop tôt pour faire un bilan de cette colonisation, puisque l'émancipation n'est prévue que pour 1976 et que, jusqu'à cette époque rien ne vient sanctionner l'échec ou le succès, l'INCRA n'exigeant aucun remboursement. On peut, pour l'instant, comparant le sort d'un "parceleiro" (occupant de parcelle de colonisation publique) de l'INCRA à celui du "posseiro" (occupant de fait de terre publique), qui tente de subsister sur une terre qu'il occupe illégalement, constater que cette colonisation est un incontestable mieux du point de vue individuel. Mais il est certain que cette politique ressemble de très près à du paternalisme, du moins jusqu'à l'échéance de l'émancipation.
19Certains colons ont fort bien réussi et seraient d'ores et déjà en mesure de rembourser leurs dettes si l'INCRA l'exigeait. Arrivés depuis trois ou quatre ans, ils ont mis en valeur toute la partie qu'il leur est permis de défricher. Ils reçoivent un financement du Banco do Brasil qui va croissant s'ils paient régulièrement les échéances. Ceux-là - souvent, ce sont des colons du Sud qui avaient un bon niveau technique et quelques économies - pourront être "émancipés le moment venu, et recevoir le titre de propriété définitif. Mais la grande majorité des colons est loin de ce niveau et ne pourrait pas rembourser, faute de vendre leur production à un prix suffisant, et beaucoup végètent en quasi auto-subsistance. Pourtant l'analyse du cas des colons qui repartent montre que tous quittent le projet avec un certain solde, en moyenne (statistique portant sur 15 % des dossiers, les autres étant incomplets) près de 7.000 Cr$, certains cas montrant des soldes de 25.000 Cr$. Cette somme représente l'argent que verse l'INCRA après estimation des travaux de défrichement, plantation, des constructions et déduction faite des avances consenties. C'est aussi le prix qui paie le colon entrant à l'INCRA ou au colon sortant, devant l'INCRA. En juillet 1974, 474 colons étaient répartis, soit 12,5 %, la plupart pour cause de maladie. Pour les colons le séjour à Ouro Preto est donc profitable. Il est très probable, bien qu'il soit difficile de donner des chiffres, que beaucoup des colons auront bien des difficultés à passer le cap de l'émancipation si le problème de la commercialisation n'est pas résolu, alors que sa solution leur permettrait de dégager des disponibilités pour éteindre leur dette.
20Un système de "coopérative" (en fait installé par l'INCRA) est actuellement en cours de mise en place sans qu'on puisse en préciser encore les effets.
2. Gy-Parana
21. Localisation : en bordure de la BR 364, des km 455 à 522, le siège étant au km 465, englobé dans la ville de Cacoal..
22. Superficie et nombre de familles : Le projet prévu comportait 400.000 ha, mais seuls 100.000 ont été distribués, à l'est de la route. On comptait, en juillet 1974, 892 familles en lots ruraux, et 262 en lots urbains atendant un lot agricole.
23. Organisation-générale : Ouvert en juillet 1972, le projet est encore en phase d'installation ; des 14 linhas prévues, trois seulement sont ouvertes complètement et cinq partiellement. Etant le premier rencontré par les immigrants venus du Sud, ce projet est constamment saturé. En effet, le centre de sélection de Pimenta Bueno, malgré de grands panneaux au bord de la route invitant à s'y présenter, n'est guère fréquenté par les immigrants, qui se rendent dans les projets pour avoir un lot. Ouro Preto a ainsi été saturé malgré ses extensions successives, ainsi que Gy-Parana malgré l'inaccessibilité de beaucoup de lots. Des lots sans aucun accès routier ont été attribués et occupés et on a vu se créer à l'intérieur du PIC, en bordure de la BR et près du centre administratif, l'agglomération de Cacoal qui regroupe déjà plus de 8.000 personnes, femmes et enfants de colons qui travaillent seuls sur leur lot inaccessible, ou familles qui attendent bien qu'aucune extension ne soit prévue à court terme, un lot rural. L'INCRA tente d'envoyer ces familles au PIC Sidney-Girao, qui tarde à se peupler, payant même voyage et déménagement, et beaucoup de ces colons vont s'installer sur un lot de la colonisation privée Itaporanga.
Résultats
24On estime à 10.000 ha la surface défrichée, consacrée aux cultures traditionnelles, avec toutefois un essai assez bien venu de caféiculture, la récolte étant très bonne dès la deuxième année, bien que cette culture se fasse sans aide technique ni financement. L'encadrement de l'INCRA est ici beaucoup plus faible qu'à Ouro Preto, faute de moyens - pas d'équipe médicale, les techniciens font le plus souvent leurs tournées à pied, par manque de véhicules et de routes. Le problème essentiel, qui ne sera pas résolu avant la saison sèche de 1975, est celui de l'ouverture des routes qui permettront d'écouler la production, certains colons ayant vu pourrir une récolte déjà faite et ensachée, faute de pouvoir la faire sortir, si ce n'est à dos d'homme car les bêtes de somme sont très rares.
3. Sidney-Giráo
25. Localisation : Entre la BR 319 et le Mamore, à 72 km de Guajara-Mirim et près de 300 de Porto Velho.
26. Superficie et nombre de familles : 200.000 ha, prévus pour 1.500 familles, le projet a été ouvert en juillet 1971, mais les conditions pédologiques et sanitaires, ou plutôt les récits faits à leur propos, ont longtemps découragé les éventuels colons : ce n'est qu'en 1974, devant la saturation complète des autres PICs, que Sidney-Girao a commencé à se remplir. On compte actuellement 456 familles installées.
27On peut distinguer facilement deux types successifs d'occupation : dans une première phase, on a vu s'installer des colons qui étaient en fait déjà sur place, principalement dans la colonie voisine de Iata, en complète décadence, ou encore ex-seringueiros ou garimpeiros. Ces premiers colons sont presque tous originaires du Nordeste, essentiellement du Ceara, ce qui distingue ce PIC des deux autres.
28La deuxième phase est faite de l'afflux des colons du Sudeste, comme dans les deux autres projets, principalement du Minas Gerais et de l'Espirito Santo.
29. Organisation générale : Le projet s'étend entre les rios Lage et Ribeirao, à l'est de la BR 319. Les parcelles sont disposées perpendiculairement à la route, trois linhas étant déjà ouvertes à 8, 12 et 16 km de la route. L'occupation de 1974 s'est faite de part et d'autre de la route de pénétration centrale, la linha D. L'occupation est encore très partielle et ce n'est qu'avec l'afflux de la saison sèche 1974 qu'il a fallu ouvrir d'urgence de nouveaux accès.
Résultats
30Les sols sont ici des latosols jaunes dont l’expérience de Iata a montré qu'ils s'épuisent très vite. Les efforts de diversification (plantations expérimentales d'agrumes, cocotiers, avocats) n'empêchent pas que l'essentiel soit la production du riz, maïs, manioc et haricots, vendus aux intermédiaires de Guajara-Mirim pour le ravitaillement de la ville ou la vente en Bolivie. Aucun chiffre sérieux de production n'est disponible.
31Un projet d'agroville a été prévu et même dessiné pour le PIC, mais il n'est semble-til plus question de l'appliquer, et l'INCRA finance la construction de maisons définitives sur les lots.
II - La colonisation publique : le gouvernement du Territoire
32II s'agit d'une colonisation beaucoup plus restreinte et plus ancienne puisqu'elle date de 1949 et 1956 : c'est à ce titre surtout qu'elle est intéressante.
33. Localisation : La colonisation gouvernementale comprend cinq noyaux proches de Porto Velho et une colonie plus importante près de Guajara-Mirim, en bordure de la BR 319, entre les rios Lage et Bananeiras.
34. Superficie et nombre de familles : Il est difficile d'avoir mieux que des impressions sur ces colonies, la division de colonisation n'étant pas en mesure de présenter un cadastre ou même un plan, et ne donnant qu'une idée approchée du nombre de colons. Cette faiblesse statisti¬ ° que traduit le peu d'intérêt porté à la colonisation par le gouvernement du Territoire, à l'exception de deux ou trois techniciens agricoles venus du Sud mais dont la bonne volonté s'émousse vite devant la désorganisation profonde des colonies et l'inertie des responsables.
35. Organisation générale : Les lots distribués selon un plan de "ligne coloniale" étaient à l’origine de 25 ha. Le gouvernement fournissent semences, outils, assistance médicale, les colonies devant en échange assurer le ravitaillement de Porto-Velho. Actuellement, les colons présents - la terre ayant parfois changé plusieurs fois de mains - ont le plus souvent deux ou trois lots, voire plus, qu'ils cultivent en auto-subsistance avec un niveau de vie très bas, brûlant la forêt primaire ou la "capoeira" (forêt secondaire après deux ans au minimum). L'aide du gouvernement se résume au passage hebdomadaire d'un camion pour les transports de personnes et des récoltes, et au fonctionnement d'une machine à décortiquer le riz.
36L'évolution est plus avancée dans la colonie de Iata, ouverte en 1956 et prévue pour 1.000 familles : elle a connu son apogée dans les années 1960, mais peu à peu toute la forêt a été brûlée, les sols épuisés, les parcelles abandonnées, regroupées par certains en grands domaines d'élevage qui, à leur tour, reculent devant l'invasion du chiendent. Une tentative actuelle de reprise en main n'échouera-t-elle pas par manque de moyens ?
37Une seule exception apparaît : une partie de la colonie 13 de Setembro a été attribuée, à un groupe de 33 familles japonaises, arrivées directement d'Osaka par un bateau spécial. A la suite de diverses expériences, ces familles ont choisi de se spécialiser dans la production horticole et l'aviculture (poulets et oeufs), utilisant des semences, engrais et rations achetées aux usines des colonies japonaises de São Paulo. Cette colonie ravitaille la ville de Porto Velho et représente un incontestable succès ; les colons disposent tous d'une certaine aisance, sans commune mesure en tout cas avec la misère de leurs voisins brésiliens.
III - La colonisation privée
38La colonisation privée est très restreinte en Rondônia du fait du statut du Territoire, où toutes les terres sont publiques, à l'exception de celles qui avaient un propriétaire régulier avant 1943, date de la création du Territoire : c'est le cas de Calama SA. Hors de ce cas, on ne peut avoir affaire qu'à une colonisation irrégulière, dite de "grileiros" (originellement fabricants de titres falsifiés, passé au sens d'occupant illégal de la terre qui se targue de faux titres). C'est ce qui se produit avec la société Itaporanga.
A) La Calama SA
39Le titre de propriétaire établi le 14 août 191S par le gouvernement du Mato Grosso, en faveur d'un groupe de capitalistes de Manaus a été racheté par un groupe financier de Londrina (Parana), qui s'est installé en 1956 à Vila de Rondônia. Ce titre valait pour près d'un million d'hectares, mais fut contesté par l'organe compétent, l'INCRA. On parvint à un accord en 1968, mais depuis 1966, la société avait déjà beaucoup vendu. Le titre définitif accordé par l'INCRA porte sur 100.585 ha, qui ont été progressivement vendus avec un "module" de 60 ha, la société se contentant de délimiter et de vendre.
40Les ventes ont toutefois à peu près cessé depuis 1973, la Calama se réservant 40.000 ha d'un seul tenant pour ouvrir une fazenda. 600 familles sont déjà installées sur les terres de la Calama ; les parcelles ont une superficie variant en fonction des finances des acheteurs, et qui va jusqu'à 200 hectares. Le plan est très irrégulier et ne semble pas avoir de principe directeur bien net. Des parcelles ont parfois été distribuées à des colons déjà en place, les suivants se taillant un lot à leur convenance, alors que la société se souciait plus d'installer le plus grand nombre possible de colons sur les terres qu'elle revendiquait que d'organiser un lotissement rationnel.
B) Itaporanga SA
41La principale différence avec la Calama SA. est que 1'Itaporanga n'a rigoureusement aucun droit sur les terres qu'elle vend puisqu'il s'agit de "terras devolutas", propriétés de l'Union (c'est-à-dire du Brésil) ou de terres de la Funai6, ou encore d'une partie du PIC Gy-Parana. Au centre, une agglomération, Espigao d'Oeste, regroupe près de 2.500 personnes, l'ensemble des terres sur lesquelles la société a de prétentions arrivant à 1 400000 hectares dont 800 000 ont déjà été vendus.
42Cette société est propriété d'un groupe financier de Sao Paulo, sans doute contrôlé - sans que nous puissions le prouver - par la banque d'affaires Bamerindus, à travers plusieurs sociétés-écrans. Les sommes versées par le colon ne représentent pas juridiquement une vente, mais paient l'accessibilité et la délimitation du lot, et incluent un substantiel bénéfice.
43La société laisse au colon le soin de faire régulariser son titre par l'INCRA en présentant son reçu qui n'a aucune valeur. Ce procédé douteux provoque régulièrement dans les bureaux de l'INCRA de véritables drames quand le colon se rend compte qu'il a été trompé. A la longue pourtant, il compte que l'état de fait sera légalisé par une licence d'occupation.
44La société a encore des projets très ambitieux, en particulier l'installation de deux autres noyaux urbains, sur les terres d'indiens Suruis et Cintas Largas qui sont rendus inoffensifs par la distribution de cadeaux et l’acculturation accélérée, et compte que l'INCRA ne pourra à la longue, que reconnaître l'état de fait.
45La colonisation en Rondônia présente donc des aspects très différents. Le point commun le plus évident est l'inquiétude que l'on doit avoir sur la capacité des sols à résister à l'agriculture faite sans aucune précaution ni aucun apport d'engrais, point que personne actuellement ne semble pouvoir résoudre, mais que l'évolution des colonies du gouvernement éclaire d'un jour sinistre. Cette situation, générale en Amazonie, menace gravement l'avenir des colonies déjà installées. En outre, le changement de la politique amazonienne du gouvernement, freinage ou même abandon de la colonisation sociale, création de pôles autour de très grands investissements, fait du Rondônia le témoin d'une phase de mise en valeur déjà anachronique, et dont l'avenir sous cette forme est fort incertain.
L'élevage en Rondônia
46L'élevage, activité promise à un grand avenir en Amazonie, objet en tout cas d'innombrables projets dans toute la périphérie sud de la zone d'action de la Sudam, n’est que très peu développé en Rondônia. A cela plusieurs raisons :
- raisons techniques : Il est beaucoup plus difficile de créer une fazenda en milieu de forêt dense que dans les "campos cerrados"7 du Mato Grosso ou du Goias. Cela suppose un très gros travail de défrichement, mené par des équipes de défricheurs engagés temporairement, et on doit ensuite entreprendre le brûlis, le semis de coûteuses graminées, fait le plus souvent d'un petit avion. Puis vient le passage d'un premier troupeau qui élimine les espèces vénéneuses et doit brouter les tiges naissantes du capim pour que celui-ci ne monte pas, mais s'étende. Tous ces travaux supposent un capital important, donc une entreprise de grande surface. Et nous retrouvons ici le problème de la structure foncière, central en Rondônia.
- raisons juridiques : La terre étant en Rondônia propriété publique, les grands groupes ne peuvent y trouver de terres à acheter. Ce n'est que très récemment qu'on a assisté à des adjudications de lots de 2.000 ha dans la gleba Corumbiaria, surface très insuffisante pour les grands projets d'élevage extensif. N'opèrent donc dans le Territoire que des "grileiros", accapareurs de terres publiques, clandestins théoriquement, mais bien connus, amis des responsables les plus haut placés du Territoire, à l'exception des fonctionnaires de l'INCRA qui leur vouent une solide inimitié à cause de la gêne qu'ils apportent à leur action.
47Les surfaces sont souvent considérables, jusqu'à 500.000 hectares par fazenda.
48On n'a donc affaire en Rondônia qu'à un élevage illégal, fait par des particuliers ou des groupes du Sud, principalement des Etats de Sao Paulo et du Parana. Ces groupes ont actuellement des prétentions sur plus de 25 % de la superficie du Territoire, et la plupart ont déjà défriché plusieurs centaines d'hectares, installé des troupeaux de plusieurs milliers de bêtes, sans que l'on puisse évidemment avoir un chiffre sérieux.
49Les perspectives semblent peu favorables au développement de ces fazendas : la faim mondiale de viande, grand argument de ces fazendeiros, ne suffira sans doute pas à aplanir les obstacles liés à la commercialisation : mauvaise qualité du bétail (gir, nélore, races zébus sans autres qualités que leur très grande résistance) et surtout concurrence du Mato Grosso, du Goias, en Amazonie même, beaucoup mieux placés par rapport aux centres de consommation et d'exportation. Il faut en effet rappeler que le Rondônia est séparé de Sao Paulo, principale zone de consommation et, par Santos, d'exportation, par 3.000 km de route dont 1.500 non asphaltée et précaire, alors que les Etats concurrents sont beaucoup plus proches et mieux desservis. La position excentrique du Rondônia est, en l'occurence, un handicap sérieux. La multiplication de ces créations où chacun flaire la bonne affaire n'est pas encore freinée par ces problèmes puisque le stade de production n'est pas atteint, mais seules, la concentration, la construction d'un frigorifique permettent à ce genre d'entreprise de réussir : il n'en est pas question ici, sur des terres dont la propriété n'est pas certaine. Déjà sûrs de ne pas être délogés, il est fort probable que l'occupation de fait sera reconnue en droit, même s'il faut réduire les surfaces, les fazendeiros ne songeront probablement qu'à vendre au meilleur prix les travaux réalisés (défrichements) et les troupeaux, ce à quoi ils ne réussiront sans doute pas tous car les terres défrichées ou encore vierges abondent dans les Etats dont la situation juridique est plus satisfaisante pour des investisseurs sérieux : Mato Grosso, Para, et même Acre, où, malgré l'enclavement encore plus marqué, l'hectare de terre vaut déjà six fois plus cher qu'en Rondônia. On a donc affaire à une occupation spéculative même si le stade où les fruits pourront en être recueillis n'est pas atteint, à cause de la situation foncière.
50Le Territoire constitue donc une zone attardée en ce qui concerne l'élevage, entre les Etats ou cette activité connaît un développement encore important : cet état de fait est lié essentiellement à sa situation juridique. Une fois encore un facteur politique est déterminant dans l'orientation du développement local et l'organisation de l'espace à l'échelle brésilienne, puisque cette région se différencie du style de développement de l'Amazonie, actuellement en grande partie fondé sur l'élevage.
CONCLUSION
51Avec un ensemble de projets de colonisation publique qui n'a d'égal que sur la route Transamazonienne et un développement des grands projets d'élevage entravé par sa situation juridique, le Territoire présente donc un cas à part et déjà anachronique en Amazonie, depuis l'inflexion de la politique amazonienne décidée par le Président Geisel. Il n'est pas impossible d'envisager une "normalisation”, bien que le stade de développement atteint ne justifie pas le passage au statut d'Etat, seul moyen de débloquer la vente des terres, et que l'équipe locale de l'INCRA s'y oppose très vivement. Dans ce cas, le Rondônia se rapprocherait du modèle général du développement amazonien, tel qu'on le connaît dans les autres régions.
Notes de bas de page
1 L'originalité du Rondônia, dont ces facteurs rendent largement compte, est analysée en détail dans notre thèse de troisième cycle "Rondônia, mutations d'un Territoire Fédéral en Amazonie brésilienne". Paris, 1976.
2 Cf. carte p. &bis.
3 Dans la nomenclature de l’INCRA, ce terme désigne les lotissements.
4 A colonizaçao no Brasil : situaçao actual, projeçoès e tendências no Rondônia. INCRA, 1972, p. 21.
5 routes de pénétration.
6 Fundaçao nacional do Indio, Service de protection des Indiens.
7 savane arborée
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Amazonies nouvelles
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