La mise en valeur de l'espace périphérique amazonien de Belem à la Bolivie
p. 123-156
Texte intégral
"O desenvolvimento pela pata do Boi"
1La nouvelle politique de mise en valeur par l'élevage concentre ses efforts sur la zone de contact entre le bassin amazonien et le plateau central, notamment dans la vallée de l'Araguaia.
2Bien que les limites administratives du Parà et du Mato Grosso ne correspondent à aucune frontière naturelle ni à aucune différence sur le plan de l'occupation de l'espace, nous avons, pour des raisons pratiques, bien souvent traité séparément ces deux Etats.
I - REGION ET PEUPLEMENT
LA PERIPHERIE PARAENSE
3L'exploitation agro-pastorale dans le Parà s'étend sur toute la partie orientale de l'Etat, depuis les alentours de Belem jusqu'à Maraba en suivant la route Belem-Brasilia (BR-14), puis le long du fleuve Araguaia jusqu'à la frontière du Mato-Grosso. L'élevage a pénétré dans la région pratiquement dès le début du siècle avec la création des premiers centres urbains. Le mouvement s'est accentué vers les années 50, puis 60 et enfin 70. Actuellement se dessinent quatre grands centres agro-pastoraux :
autour de Belem et principalement à São Domingo do Capim.
plus au sud sur la BR-14, à Paragominas
dans le sud même de l'Etat, le long du fleuve Araguaia dans les municipes de Conceição et Santana do Araguaia
à Marabà, charnière entre les deux fronts à la confluence des fleuves Tocantins et Itacaiunas.
CREATION DES PREMIERS CENTRES URBAINS
• MARABA
4L'origine de Maraba est liée à l'exploitation du caoutchouc puisqu'elle fut choisie en 1898 pour la mise en place d'un entrepôt commercial. Ce choix était dû à la position privilégiée du site légèrement en amont de la confluence du Tocantins et de l'Araguaia, ce qui facilitait le transport de la marchandise vers le port exportateur de Belem. Le déclin du caoutchouc fut atténué par un éveil d'intérêt pour l'exploitation de la castanha do Parà, c'est-à-dire la noix du Brésil. L'élevage surgit avec l'introduction des bêtes de somme dans les castanhais1 pour faciliter le transport de la récolte et subvenir aux besoins locaux de viande.
5L'exploitation pastorale ne devint une activité économique pondérable qu'à partir de 1954 avec la loi qui garantissait le droit à une sorte de bail perpétuel. Jusqu'à cette époque l'exploitant des castanhais était tenu de renouveler son bail après chaque récolte auprès du Secrétariat des Terres. A partir de 1954, ce renouvellement était automatique. L’élevage devint alors la principale option pour l'application des bénéfices, auparavant déviés vers d'autres régions, notamment Belem.
6La mise en vigeur de cette loi coïncidait avec des difficultés d'approvisionnement en viande dans la capitale de l'Etat et le Gouverneur n'hésita pas à prendre et appliquer différentes mesures pour stimuler les investissements dans l'élevage. La presque totalité des éleveurs étaient des propriétaires de castanhais :
7"Développé dans des secteurs favorables aux pâturages artificiels, l'élevage assure une importance chaque fois plus grande dans la relation économique : l'ouvrier ou l'employé de la fazenda étant un salarié qui échappe à la dépendance de l'aviamento et à la sujétion que celui-ci crée, et détermine la fixation permanente d'un contingent de population dans la région"2.
8Actuellement un nouveau processus apparaît. Des groupes qui n'ont aucun lien avec l'exploitation de la noix du Brésil sont entrés dans la région et investissent dans l'élevage. Mais ils se heurtent à la raréfaction des terres et l'on voit se développer une concurrence entre ces deux secteurs de production jusqu'alors complémentaires. Déjà des conflits surgissent sur les bords de la Trans-Amazonienne et de la PA-70, les éleveurs incendiant les castanheira. D'autres spéculent sur le bois : en 1973 le prix payé pour chaque castanheira par les scieries était de 60 cruzeiros (son produit rapporterait 100 cruzeiros par an).3
9De 1960 à 1970, la population de la micro-région de Marabà qui comprend cinq municipes s'est accrue de 90 %, passant de 30 486 habitants à 57 834. Le seul municipe de Maraba a augmenté de 74 %, supplantant des municipes dont il avait été dépendant. Cette croissance a probablement été supérieure ces dernières années avec l'ouverture du projet de Maraba, liée à celle d'un centre de colonisation officielle. La mise en place des routes Trans-Amazoniennes et PA-70 (Maraba-Conceição) a favorisé parallèlement une extraordinaire migration spontanée.
10Rappelons que c'est dans cette région que se situe la très prometteuse Serra dos Carajas dont les ressources ferrifères seraient les plus importantes du monde.
PARAGOMINAS ET SAO DOMINGO DO CAPIM
11Paragominas, érigé en municipe en 1965 par le Gouverneur d'alors, Jarbas Passarinho, a connu une prodigieuse croissance en cinq ans, passant de 540 habitants à 15 334, selon le recensement 1970. Il s'est entièrement dédié à l'élevage dès sa naissance, les premiers pionniers qui y arrivaient voulant en faire "une seconde Bahia". Paragominas point de convergence entre de nombreux défricheurs doit son nom même à ce mélange des Etats : Pará-Goiás-Minas… Paragominas. Le troupeau s'y est accru de 320 % en quatre ans et on y compte actuellement près de 1 000 exploitations d'élevage.
12Cette rapide croissance était liée à l'ouverture de la Belem-Brasilia et aux spéculations qu'elle entraînait. Spéculation foncière, proximité du marché de Belem, ouverture vers le CentreSud expliquent le "rush" des investisseurs et des travailleurs dans la région4.
13La création du municipe de Paragominas amputa son voisin, São Domingo do Capim. Ce municipe beaucoup plus ancien,puisque créé en 1890, avait déjà une tradition d'élevage bien établie. Le passage de la Belem-Brasilia à quelques 100 km réveilla l'intérêt des compagnies d'élevage.
14A partir de 1966, la création de la SUDAM donna une impulsion nouvelle au développement pastoral. Toutefois il est permis de penser que le rôle de la SUDAM dans ces régions où l'implantation des fazendas était relativement ancienne et où s'était développée une infrastructure bancaire et commerciale fut moindre que dans des régions neuves. Nous verrons qu'à Paragominas la BASA5 avait déjà développe tout un système de crédit qui marginalise l'action de la SUDAM.
• CONCEICÃO ET SANTANA DO ARAGUAIA
15Au nord du Mato-Grosso et sur l'Araguaia se situent les municipes de Conceição et Santana, grands centres d'investissements de la part de groupes brésiliens et étrangers depuis 1966 et pôle de développement dans le plan amazonien 1975-79.
16Il est difficile d'obtenir des informations sur le peuplement de cette région ; on sait que l'origine en est l'installation d'une mission dominicaine française. On peut à ce sujet raconter une anecdote historique : en 1877, le frère Bessat, dominicain originaire de Marseille, remonta le Tocantins et l'Araguaia à la recherche d'un lieu pour établir une mission près des indiens Carajas. Il rencontra à hauteur de Santana le géographe Henri Coudreau qui effectuait une mission pour le Gouvernement du Para et lui indiqua l'emplacement d'un lieu favorable.
17C'est ainsi que fut créée Conceição do Araguaia et immédiatement quelques familles habitant de part et d'autre du fleuve vinrent s'installer auprès de la nouvelle paroisse. Ensuite ce fut l'arrivée des nordestins, originaires du Ceara, du Piaui et du Maranhão, puis avec l'exploitation de la noix du Brésil, du diamant et du cristal, des premiers aventuriers dans les années 30. Des petits povoados tels Barreira do Campo, Boa Sorte se construisirent alors. On ne pratiquait qu'une petite agriculture d'auto-subsistance, suffisante pour les modestes centres urbains. Cependant l'élevage avait apparu dès 1911, ne serait-ce que celui animé par les dominicains.
18L'ouverture de la Belem-Brasilia en 1960, suscita l'implantation de tout un réseau routier, dont un embranchement vers Couto Magalhes, situé sur la rive droite de l'Araguaia, facilitant le passage des migrants expulsés des bords de la nouvelle route vers le Pará.
19La nouvelle vague de peuplement date là aussi de la création de la SUDAM et de l'ouverture de fazendas-projets.
20Aux alentours de Conceição comme de Santana, de nombreux petits agriculteurs (souvent des posseiros) assez stables, sur des terres où se mêlent un forêt aérée et des pâturages naturels, avaient constitué un petit cheptel qui suffisait à la consommation des noyaux de population et rendit service aux fazendas en phase d'implantation. C'est cette nécessité d'approvisionner le marché local tant en biens de consommation qu'en main-d'oeuvre qui a amené le Secrétariat des Terres du Para à enregistrer des titres de posse sur les terres qui n'avaient pas encore de propriétaire. Ainsi furent créées trois colonies. Afin de comprendre ce processus, il nous faut présenter une ville nouvelle, située à 50 km de Conceição, Redenção.
21Vers 1968, un promoteur venant du Minas acheta près de Conceição une grande étendue de terres afin d'y implanter une ville qui servirait de point d'appui. aux éleveurs du Centre-Sud qui investissaient dans la région.
22Redenção fut entièrement planifiée, tracée et sa mise en place attira de nombreux migrants nordestins ou mineiros. Elle était dotée d'un aéroport desservant les fazendas voisines et bien vite une route la relia à Conceição. Elle supplanta rapidement cette dernière pourtant vieille de 50 ans grâce à l'apport de nombreux investissements d'infrastructure.
23Elle compterait aujourd'hui 5 000 habitants et vit uniquement du commerce répondant aux besoins des compagnies d'élevage et du transit des manoeuvres agricoles.
24Une route en voie d'achèvement la relie à Maraba (PA-78) et une autre à São Felix do Xingu. Le plan amazonien 1975-79 prévoit la prolongation de la BR-158 "la route d'intégration de l'élevage", du Mato Grosso vers Redenção. Avant d'arriver à Redenção, elle passerait par la fazenda Suia Missu et celle de la Volkswagen. Cette route serait prise en charge dans le Mato Grosso par la SUDECO, le DERMAT6 et quelques entreprises privées d'élevage. Dans l'Etat du Para, l'association des éleveurs a lancé un appel au Gouverneur pour que l'Etat participe à sa construction.
25D'autre part le Ministère des Transports apportera aussi sa contribution.
26Redenção est un objet de fierté pour tous les cadres et les éleveurs sudistes de la région. Leur enthousiasme s'explique par le fait que la nouvelle ville est une sorte d'enclave du Centre-Sud dans le Para. En effet, la vente des lots d'habitation commença en 1971, ce qui provoqua l'expulsion de tous les nordestins travaillant à son implantation. Par contre les migrants venant de São Paulo, du Minas Gerais ou des états du sud pouvaient se permettre d'y acheter un lot et d'ouvrir un petit commerce. Ainsi se trouvèrent éliminés les gens du Para et les nordestins.
27La ville est fort bien équipée dans le secteur tertiaire : elle compte trois cliniques et cinq médecins (ce qui est supérieur à Conceição) ; un bureau politique pour chacun des deux parpartis ; un syndicat des travailleurs ruraux…
28Elle nous semble être promise à une grande expension de par l'intérêt qu'y portent les nouveaux investisseurs ; ceux-ci se sont d'ailleurs réunis en septembre 1974 pour envoyer un mémoire au Gouverneur du Pará auquel il présentait un programme qui reflète leurs ambitions :
construction de la route reliant Redenção à la limite nord du Mato Grosso
le goudronnage de la route reliant Redenção à Marabá
création d'un nouveau municipe qui serait détaché de celui de Conceição et dont le chef lieu serait Redenção.
29Ce dernier point était en octobre 1974 la principale idée défendue par les deux candidats de l'ARENA7 lors de la campagne pour les élections législatives.
L'INFRASTRUCTURE DANS LA REGION SUD DU PARA
30Celle-ci est faible : nous avons déjà signalé l'existence des routes reliant Marabá à Conceição via Redenção et celle de Santana à Conceição. Celles de Redenção à São Felix do Xingu d'une part et à la Suia Missu d'autre part ne sont encore que des projets.
31Les fazendas ont dû répondre à cette lacune en développant leurs propres routes : du moins les entreprises les plus importantes, les autres fazendas utilisant ces routes paient un tribu à l'entreprise responsable. C'est le cas par exemple de la Codespar dans le municipe de Santana do Araguaia à hauteur de Barreira do Campo : elle a construit 295 km de routes la reliant à Paraiso do Norte sur la Belem Brasilia ; actuellement cette route dessert une dizaine de fazendas dont celle de la Volkswagen.
32Mais le problème majeur de cette région reste l'absence de pont sur l'Araguaia (ce qui est une des principales revendications régionales). Cette absence les rend tributaires du bac, ce qui techniquement n'est pas problématique mais reste très coûteux. Le meilleur exemple est celui du Bac de Barreira do Campo, bac privé qui demandait en octobre 1974 1000 cruzieros pour le passage d'un camion.
L’AMAZONIE MATOGROSSENSE
33840 772 km2 sur 1 231 549 km2, soit 68 % du territoire matogrossense sont considérés comme "amazoniens" depuis la création en 1953 de l'Amazonie légale. Dix-sept municipes - les plus vastes de l'Etat - sont intégralement, et dix partiellement, inclus dans cet espace qui fut artificiellement délimité lors de la création de la Superintendance du Plan de Valorisation Economique de l'Amazonie (SPVEA). Artificiellement délimité en effet, puisque le 16e parallèle qui sert de frontière à l'Amazonie légale dans le Mato Grosso ne correspond à aucune "limite" naturelle.
34Toute la zone située en gros entre le 15e et le 16e parallèle, était avant l'existence des routes BR 364 (Cuiaba-Porto Velho) et BR 165 (Cuiaba-Santarem), beaucoup plus orientée vers le sud du Brésil. Si l'on fait intervenir comme élément d'interprétation de l'espace, sa configuration naturelle, une constatation s'impose : le territoire matogrossense s'articule autour de deux grands systèmes hydrographiques, celui de l'Amazone, sud-nord, au nord du 15e parallèle, qui recouvre toute la région drainée par ses grands affluents (Araguaia, Xingu, Teles Pires, Juruena, Roosevelt, Guaporé), et celui du fleuve Paraguay, nord-sud, qui inclut Cuiaba, la capitale de l'Etat. Ce schéma n'a pas été sans influence sur la forme qu'a prise l'occupation de l'espace au cours de l'histoire : une zone relativement accessible jusqu'à une distance d'environ 150 km au nord de Cuiaba, où existent des établissements humains assez anciens, correspond actuellement à la frange d'avancée du front pionnier spontané ; une autre, immense, presque vide, coupée de Cuiaba, très difficilement accessible, peu explorée jusqu'aux années 1965 sauf le long du fleuve Araguaia qui était atteint plus facilement depuis l'Etat de Goias, s'intègre réellement à l'espace amazonien dont elle possède la plupart des caractéristiques. L'opposition entre la végétation de campo cerrado dans la zone la plus au sud, et de la forêt tropicale plus ou moins dense dans la partie nord, est un second élément de différenciation à l'intérieur de l'Amazonie matogrossense.
35Mais la transition n'est pas brutale ; même dant la région drainée par le fleuve Paraguay et ses affluents, de vastes espaces sont restés presque inexplorés jusqu'aux dernières décennies ; en fait, longtemps isolée du sud à cause de la présence du Pantanal8, Cuiaba végétait, jusqu'à l'ouverture de la route Cuiabá-Campo Grande-São Paulo et de la Cuiabá-Goiania-Brasilia ; le voyage par le fleuve Cuiabá jusqu'au fleuve Paraguay puis jusqu'à Corumba, à la frontière de la Bolivie, était en effet interminable. Il était donc souhaitable que le retard économique et l'isolement de la région de Cuiaba soient rompus au même titre que ceux de la partie située plus au nord, par les bénéfices de la politique d'intégration de la SPVEA, puis de la Superintendance de Développement de l'Amazonie (SUDAM) qui lui a succédé.
36En outre, ce plan d'intégration avait besoin d'une ville-relais, de services et de contrôle administratif ; Cuiabá est ainsi devenue "la porte de l'Amazonie", ce qui lui donne la possibilité d'un nouveau développement, destiné à équilibrer le dynamisme beaucoup plus actif de sa rivale dans le sud de l'Etat, Campo Grande.
37Le Mato Grosso est souvent qualifié de "western brésilien" : beaucoup parmi les rapprochements qui ont pu être fait avec l'avancée pionnière dans l'Ouest des Etats-Unis, ne sont pas sans pertinence. Parcouru à la fin du XVIIIe siècle par les "bandeirantes", les chercheurs d'or et de diamant, qui ont laissé quelques petits établissements humains sans occupation réelle, il a été le cadre d'épopées humaines qui forcent le respect des Brésiliens actuels, telle celle du Maréchal Rondon, au début du siècle, qui établit la première ligne télégraphique de Cuiaba jusqu’à l'extrême nord de l'Etat, et suscita l'admiration de Roosevelt, ; ou d'explorateurs dont les aventures et les récits ont impressionné la génération d'Européens d'entre les deux guerres.
38Ce qui se passe dans le Mato Grosso actuel n'est pas sans rappeler une fois encore l'histoire de la conquête de l'Ouest nord-américain : la percée des routes qui se heurte parfois à la résistance des Indiens ; ces mêmes routes arpentées par des camions venus du sud, chargés de familles errantes à la recherche d'une parcelle de terre à défricher, qui emportent avec elles, leurs poules, leurs meubles et leurs cochons ; les aventuriers de toutes sortes, spéculateurs ou recruteurs de main-d'oeuvre (gatos, grileiros) ou chercheurs de diamant (garimpeiros) ; enfin les pionniers, ceux qui ont de grands moyens, ceux qui ont de petits moyens et ceux qui n'en ont pas du tout. Mais si la loi de la liberté totale n'existe pas au Mato Grosso, si une législation a été élaborée au sommet pour organiser l'occupation par les hommes, le contrôle est difficile, et une autre loi, tacite, qui se traduit souvent par la violence, régit plus strictement qu'il n'y paraît les relations entre ces hommes, ôtant à certains toute chance de tirer quelque parti de l'aventure, au profit d'autres.
39Par ailleurs, l'héritage légué par la politique agraire des gouvernements antérieurs aux gouvernements militaires issus du bouleversement de 1964, met les organismes de planification et de décision actuels face à une situation complexe et contraignante.
40Pour donner une idée de ce qu'est la colonisation agricole au Mato Grosso, il faut d'abord évoquer l'évolution politico-économique qui explique la situation présente : des phases de profit sans occupation réelle, celle des mines, puis la première phase du caoutchouc pendant les années 1900, la deuxième phase du caoutchouc pendant les années 1945-1950, maintenant la phase de l'élevage.
41Parallèlement, la poussée du front pionnier spontané, du Parana vers le sud du Mato Grosso (Dourados, Campo Grande), puis vers Rondonopolis (fondé en 1940), et vers le municipe de Caceres (colonie de Rio Branco, fondée en 1950), risque d'être maintenant freiné par une politique qui prétend bloquer les phénomènes spontanés et intégrer simultanément dans un vaste plan de développement planifié, toute l'Amazonie.
PEUPLEMENT. FRONT PIONNIER ET COLONISATION PLANIFIEE
42Ce que l'on qualifie au Brésil de "colonisation" n'est pas un phénomène récent dans le Mato Grosso : qu'il s'agisse d'une colonisation spontanée, officielle ou privée planifiée. "On nomme peuplement ou colonisation un mouvement de population avec l'intention définie et programmé de former et développer une communauté"9 Des objectifs économiques, sociaux politiques, tel que l'occupation des zones frontières10, motivent la colonisation planifiée qui, elle-même, entraîne à sa suite la colonisation spontanée, à moins que celle-ci, provoquée par des raisons économiques bien connues, ne la précède.
43Le sud du Mato Grosso, dès les années vingt, a représenté le cadre de l'avancée du front pionnier suivant l'axe Sud-Sud-Est (São Paulo), Nord-Nord Est (Parana, Mato Grosso). Les premières sociétés de colonisation privées sont apparues en 1912. Mais la principale offensive date de 1935-1940, avec la prise de conscience par le Gouvernement de l'Etat de la nécessité de planifier le mouvement. Toutefois, la faiblesse des ressources du Gouvernement ne lui a pas permis de réaliser réellement autre chose que poser les jalons d'une infrastructure routière et distribuer un certain nombre de titres de propriétés à des occupants spontanés. Il a vendu par ailleurs les terres dites "devolutas", d'une part à des sociétés de colonisation privées, en majorité de São Paulo, d'autre part directement à des acheteurs originaires de São Paulo ou à des fonctionnaires ou détenteurs de professions libérales de Cuiabà ou de Campo Grande. Ces lots, vendus à des prix très bas (de un à trois cruzeiros des années cinquante par hectare), ne devaient pas dans une première phase dépasser 10 000 hectares.11 Ils se sont en 1964 réduits à 3 000. Les ventes de terres par l'Etat du Mato Grosso représentaient à peu près ses seules sources de revenus ; un lot était vendu à titre provisoire sur carte, sans connaissance réelle du terrain. L'acquéreur bénéficiait de 180 jours pour reconnaître et mesurer ses terres. Mais la mauvaise connaissance du terrain, la corruption des fonctionnaires, facilitée par la loi n°238 du 13 décembre 1948 qui attribuait aux fonctionnaires du Département des Terres et Colonisation la commission de 3 % sur le revenu obtenu de la vente de terres "devolutas" a provoqué dans l'Etat, une situation agraire presque inextricable. D'innombrables parcelles ont été vendues cinq ou six fois ; parmi les titres de propriété qui ressortent auourd'hui, beaucoup ne sont pas juridiquement valables. Face aux plaignants et requérants de toutes sortes, le Gouvernement de l'Etat a purement et simplement fermé en 1966 le Département des Terres et Colonisation et confié l’examen du problème à un organisme plus autonome, la CPP (Comissão de Planejamento da Produção), actuellement appelé CODEMAT (Companhia de Desenvolvimento do Estado de Mato Grosso), à financement mixte.
44Pour avoir une idée claire de la situation du peuplement, et somme toute, de la colonisation dans le Mato Grosso, il faut donc tenir compte de plusieurs facteurs essentiels, conséquences de la politique agraire des années trente à soixante :
45• l'absence de contrôle sur le front pionnier dont l'occupation était seulement entérinée par l’Etat qui distribuait des titres après trois ans d'occupation ; ce qui actuellement explique la présence dans les régions de Cuiaba, de Caceres et des bords de l'Araguaia, de très nombreux posseiros ;
46• les faibles ressources de l'Etat qui l'ont entraîné à abandonner presque complètement la colonisation à des sociétés privées dont la grande majorité n'a pas rempli le contrat avec le gouvernement qu'elles s'étaient proposé d'exécuter (fixation de la population par l'organisation de la production et de la commercialisation et implantation d'une infrastructure). Echec dont les répercussions sont logiques : abandon de leurs terres par les colons, migrations spontanées, occupation par des gens sans titres. A noter par ailleurs que le Gouvernement de l'Etat mettait peu en pratique les projets de planification qu'il élaborait afin d'empêcher l'implantation anarchique de ces sociétés ;
47• enfin, la vente accélérée des terres "devolutas" et la distribution de titres contestables ne se sont pas limitées au sud du Mato Grosso. Elles ont porté aussi sur la partie "amazonienne" de l'Etat, encore beaucoup moins connue, peu explorée et pratiquement pas exploitée, sauf par quelques grands seringais. Lorsque l'idée de l'occupation rationnelle de l'Amazonie est devenue un élément important de la politique du Brésil, on s'est heurté dans le Mato Grosso à une situation particulière : une très grande partie des terres du nord (Diamantino, Chapada dos Guimaraes, Barra do Garças) avaient déjà des propriétaires. Presque tous les bords de la CuiabaSantarem, lorsqu'elle a été ouverte, étaient vendus. L'idée de construire la route avait déjà été lancée pendant les années cinquante par les seringalistas. Cette situation est d'ailleurs une des raisons, parmi d'autres, de l'absence de colonisation par l'INCRA dans le Mato Grosso.
TABLEAU. EVOLUTION DE LA POPULATION
ANNEE | DANS L'ETAT DU MATO GROSSE | EN AMAZONIE MATOGROSSENSE |
1940 | 452 265 | 116 036 |
1950 | 522 044 | 130 477 |
1960 | 910 262 | 191 354 |
1970 | 1 623 618 | 287 362 |
TAUX D'ACCROISSEMENT ANNUEL | ||
1940-1950 | 1,94 | 1,24 |
1950-1960 | 5,72 | 4,66 |
1960-1970 | 5,96 | 5,01 |
48Il faut signaler que certains municipes ont augmenté plus considérablement entre 1960 et 1970 que ne le laissent supposer les taux précédents : Cuiaba, 5,98 % ; Barra do Bugres où les posseiros sont très nombreux, 17,9. En revanche, certains municipes amazoniens ont perdu des habitants : Aripuanâ est passé de 5139 personnes en 1960 à 2248 en 1970, sans qu'il y ait eu démembrement du municipe.
49Quel est alors le rôle des organismes officiels de colonisation : l'INCRA, au niveau du Gouvernement fédéral, la CODEMAT dans les terres et les colonies héritées de l'ancien Département des Terres, au niveau de l'Etat du Mato Grosso.
50Dans les deux cas, on retrouve le même objectif : fixer des populations déjà installées mais instables grâce à la distribution de titres de propriété, et éviter ainsi des migrations anarchiques et spontanées et des installations précaires. Pour y parvenir, le processus juridique est long car il se heurte au problème des titres contestables et à celui des posseiros. A celui de la résistance éventurelle des grands propriétaires, soit installés depuis longtemps dans la région de Cuiaba, mais qui, grâce aux programmes de financement et à cause de l'augmentation rapide du prix des terres, trouvent un regain d'intérêt pour leurs propriétés, soit nouveaux venus en Amazonie proprement dite, mais ignorant souvent la présence d'indiens ou de posseiros sur les terres12.
51Pour l'INCRA, la résolution du problème juridique est une première étape. Presque toute l'Amazonie matogrossense est couverte par ses projets dits "fonciers" (Araguaia, Cuiaba, Diamantino, Caceres), c'est-à-dire la réalisation d'une sorte de cadastre avec distribution de titres. Il n'existe pas réellement de méthode générale d'intervention car il faut s'adapter à chaque situation locale, et les arguments et les moyens proposés par les fonctionnaires de l'INCRA varient d'un cas à l'autre.
52Le rôle de la CODEMAT est un peu plus clair car elle a hérité, d'une part des anciennes colonies semi-spontanées de l'Etat (privées mais qui ont échoué ou spontanées et prises en charge officiellement), d'autre part de réserves de terres dans le nord du Mato Grosso (à Aripuana, par exemple). Pour elle, jusqu'à maintenant, l'essentiel est de régulariser les titres dans ses colonies (contrôle des titres de propriétés existants, distribution de titres aux acheteurs de posse ou aux posseiros purs et simples), et de donner une infrastructure minima. Mais la CODEMAT rêve de ne plus se contenter de ce rôle et de "coloniser", c'est-à-dire d'organiser réellement des noyaux de population en Amazonie. Pour cela, elle espère bénéficier d'un financement de la Banque Mondiale et devenir une compagnie autonome mixte de colonisation. Actuellement, les terres d'Aripuana sont mises en vente et destinées à des sociétés privées paulistes.
53Les trois exemples de "colonies" agricoles qui vont être décrits dans le chapitre suivant, sont à l'image des différentes étapes de la mise en valeur de l'Amazonie matogrossense.
LE FRONT PIONNIER SPONTANE : RIO BRANCO (MUNICIPE DE CACERES)
54Le municipe de Caceres, à la frontière de Bolivie, représente, avec celui de Barra do Bugres, à peu près la limite de l'avancée spontanée du front pionnier qui, sous la forme qui a prévalu jusqu'à maintenant, risque d'être freinée ou bloquée par les plans officiels de mise en valeur de l'Amazonie. 80 % de son étendue sont situés dans l'Amazonie légale ; il est cependant assez peuplé. Atteint dès la fin du XVIIIe siècle par les bandeirantes, Caceres a été fondée en 1778 ; le municipe avait 28 078 habitants en 1960, il en a 86 552 en 1970. Plusieurs "colonies" occupent le nord du municipe et sont reliées à Caceres par de mauvaises routes de terre. L'une d'entre elles, Rio Branco, fondée en 1950, est la plus vaste colonie prise en charge par la CODEMAT. C'est l'ultime étape du périple des colons souvent nordestins, passés par le sud du Brésil et installés successivement à Dourados puis à Rondonopolis, victimes de la différenciation sociale qui s'insinue rapidement dans le milieu pionnier et du développement des superficies d'élevage. Notons toutefois, que, beaucoup parmi les immigrants les plus récents à Rio Branco, viennent directement du Minas Gerais. Comme à Dourados et à Rondonopolis, les colons se sont établis sur des terres riches ; les sols (latossols rouges) argileux, profonds, pourraient être hautement productifs mais les gens sont arrivés avec peu de moyens et n'ont jamais utilisé d'engrais. La forêt (campo cerrado) est relativement facile à défricher mais la morphologie du terrain (pentes raides) provoque des difficultés de mise en valeur. Seuls les fonds de vallée sont bien utilisés.
55Le nombre réel d'habitants de la colonie de Rio Branco, répartis en trois noyaux de population et en habitat isolé, qui s'étend sur 200 000 hectares, est mal connu ; la population du municipe de Caceres a plus que doublé en dix ans (1960-1970), ce qui permet de supposer une immigration très forte, en particulier dans les zones rurales. Il y a peut-être actuellement 10 000 habitants à Rio Branco. Mais il existe un va-et-vient continuel, les départs étant assez largement compensés par les arrivées. Entre 1970 et 1974, 95 000 hectares ont reçu des titres de propriétés, par lots de 24 à 121 hectares, représentant près de 2 000 familles13 L'existence de plusieurs centaines de familles supplémentaires de posseiros sans titre, est connue. D'après une enquête réalisée en mai 1974 parmi les posseiros, il ressortait que la grande majorité d'entre eux avaient de un mois à six ans de présence à Rio Branco, et 80 % de un à quatre ans.
56Par ailleurs, d'autres informations intéressantes ont été obtenues grâce à la même enquête, qui éclairent sur la situation précaire des posseiros (cf. tableau ci-joint).
57Les paysans de Rio Branco s'adonnent â une agriculture de subsistance, l'emploi des engrais est absolument inexistant et la commercialisation du café peu importante. D'ailleurs la rentabilité de la commercialisation en général, est faible et dépend beaucoup de la localisation de l'exploitation. On peut très schématiquement établir le revenu d'un petit agriculteur qui commercialise du riz de la façon suivante : les rendements atteignent à Caceres 1500 à 2000 kg par hectare. Le producteur qui exploite quatre hectares de riz peut commercialiser 20 % de sa récolte, soit 20 à 30 sacs au prix de 60 cruzeiros le sac. Sur les 1 200 cruzeiros obtenus, il faut retenir le prix du sac (7cruzeiros) et le prix du transport qui peut atteindre 20 cruzeiros par sac, depuis l'exploitation, service fourni par le commerçant, possesseur des charrettes ou des ânes. Le prix du transport varie beaucoup suivant la distance et la difficulté d'accès à la parcelle, mais il reste rarement au petit producteur plus de 6 à 700 cruzeiros pour ses trente sacs de riz.
TABLEAU. Quelques données sur la situation des posseiros qui sollicitent des terres dans la colonie de rio branco (Municipe de Caceres) 1974
58Total : 136 chefs de famille.
591°) Origine des chefs de famille
Min :as | Espirito Santo : | São Paulo : | Nord-Est : | Mato Grosso |
34,56 | 12,50 | 7,35 | 32,35 | 9,56 |
602°) Provenance
61Parmi les gens originaires de :
Minas : | Espirito Santo : | São Paulo : | Nord-Est |
Minas 65,95 | Esp.S. 64,7 | S.P. 50,0 | Rondonopolis 33,33 |
Dourados et Minas 23,5 | Rondonopolis et Dourados | São Paulo 11,9 | |
Rondonopolis | Les autres proviennent directement du NE ou du Goias ou du Minas | ||
23,53 | 50,0 |
623°) Superficie des exploitations
5-10 | alquileires | 17,54 |
10- 20 | " | 1,75 |
20- 50 | " | 4 2,96 |
50- 100 | " | 2,63 |
100- 200 | " | 1,75 |
incertain | 31,58 |
634°) Demeure sur son lot : 81,90 %
645°) Sollicite pour la première fois : 9 5 %
656°) Modalité d'acquisition de la parcelle
66a) Achat à un autre posseiro de son droit de posse : 57,43
de 400 à | 1000 | cruzeiros | 9,76 |
de 1000 à | 2000 | " | 12,66 |
de 2000 à | 10000 | " | 26,83 |
+ de 10000 | 1,63 |
67b) Occupation simple 45,53
687°) Destin de la production
Commercialise un peu (10 à 30 % de sa production) : | 55,75 |
Consomme toute sa production : | 30,09 |
Ne produit pas : | 14,16 |
698°) 100 % estiment que 20 à 50 % de la parcelle qu'ils occupent sont inutilisables (infertilité, pentes raides, difficulté d'accès).
70Maïs et haricots dont la productivité est en baisse par rapport aux années 1965 (1544 kg de maïs en 1970 au lieu de 1963 en 1965, 886 kg de haricots en 1970 au lieu de 991) laissent un revenu encore plus faible (le maïs est vendu 12 cruzeiros le sac). Seuls, le café et les fruits produits pourtant en très petite quantité pourraient permettre d'atteindre un revenu plus substantiel.
71Le bilan actuel est donc assez modeste : le posseiro s'installe sur trente à quarante hectares dont il défriche la moitié, mais il est souvent handicapé par la situation de sa parcelle. S'il obtient de la CODEMAT un titre de propriété, il peut bénéficier d'un crédit bancaire de 5 à 6000 cruzeiros pour un an. Mais l'absence de ressources à son arrivée, la pauvreté de son revenu après la première récolte et l'inflation le découragent presque toujours d'y recourir. Par conséquent, le colon ne s'attache pas à sa terre ni à l'amélioration presque impossible de son exploitation. Le plus souvent, son objectif est la spéculation car elle existe aussi fortement à l'échelle du petit paysan qu'à celle du grand marchand de terre. Pour s'en convaincre, il suffit de voir la variété des prix payés par les posseiros qui ont acheté leur droit de "posse" - de 500 cruzeiros pour 10 alquileires à 2 ou 3000.
72Certains techniciens estiment que 50 % des premiers colons installés vers les années cin quante-cinq à Rio Branco sont partis, mais qu'ils ont été remplacés par un nombre très supérieur d'arrivants, sans qu'aucune tendance à la fixation définitive n'apparaisse. Face à cette situation la CODEMAT a entrepris plusieurs actions : vente des terres au posseiro à un prix minimum destiné à couvrir les frais d'infrastructure qu'elle réalise et qu'elle se propose de continuer (50 cruzeiros par hectare). Celle-ci est insuffisante, du reste plus sommaire que celle mise en place par l'INCRA dans ses colonies, elle se limite à l'accès à la route pour tous (ce qui n'est pas en fait réalisé), à une école par groupe d'habitants et à un poste de santé, ce qui est en général effectif. Par ailleurs la CODEMAT organise un cours technique d'agriculture pour lequel les participants reçoivent une petite subvention. Cette conception de la colonisation se veut différente de celle de l'INCRA. Les techniciens estiment que cette politique "moins paternaliste” parviendra mieux à fixer les colons. Pour le moment, la solution du problème de titularisation ne permet pas à la compagnie de l'Etat de développer réellement sa philosophie, malgré le nombre de projets qu'e le est en train d'élaborer pour le nord du Mato Grosso (municipes d'Aripuana et de Chapada dos Guimaraes).
UN DES PREMIERS NOYAUX PIONNIERS DE L'AMAZONIE MATOGROSSENSE : PORTO DOS GAUCHOS
73Il s'agit là d'un cas de colonisation privée planifiée lancée au cours des années cinquante-cinq par un groupe d'allemands du Rio Grande do Sul, la Colonizadora Noroeste matogrossense CONOMALI, à quelques 300 km de l'actuelle Cuiaba-Santarem et à 500 km de Cuiabá. Porto dos Gauchos fut un des premiers noyaux pionniers de l'Amazonie matogrossense ; ce fut aussi une des seules colonies de ce type qui parvint à se développer et à devenir municipe par la suite (1963). L'exemple ne manque pas d'intérêt puisque la colonie a pris une certaine ampleur, mais après vingt ans d'existence, Porto dos Gauchos n'est pas sans connaître de sérieuses difficultés, et beaucoup de colons n'y bénéficient guère d'un niveau de vie supérieur à celui des caboclos des agglomérations plus ou moins lointaines.
74Les conditions au départ, n'étaient pas très favorables : un sol sableux pauvre avec quelques tâches d'argile rouge plus fertiles et plus nombreuses à mesure que l'on s'éloigne vers le nord ; une absence totale de communications routières avec Cuiabá. Les colons qui sont arrivés à Porto dos Gauchos étaient en général des petits agriculteurs endettés du Rio Grande do Sul qui avaient vendu leurs terres et bénéficiaient par conséquent d'une certaine expérience et d'un tout petit capital. Après quelques années, l'Etat de Mato Grosso fit procéder à la construction d'une très mauvaise route de terre, impraticable en saison des pluies, qui permit toutefois d'accéder à la colonie depuis Cuiabá. Plus récemment cette route a été reliée à la Cuiabá-Santarem.
75Très vite, au bout de quelques années à peine, les déceptions furent nombreuses et beaucoup de colons rentrèrent dans leur état d'origine ou cherchèrent ailleurs une autre parcelle ou un petit commerce. Ceux qui sont restés n'ont rien changé à leurs habitudes de cultures et de nos jours encore, le riz, les haricots et le maïs constituent l'essentiel de la production.
76En 1960, cependant, l'Etat vendit 17000 hectares de bonnes terres à un groupe d'entrepreneurs brésiliens d'origine allemande qui plantèrent des hévéas. Les opportunités d'emploi dans les seringais attirèrent un nouveau petit courant d'immigrants venus, cette fois, du Parana. Enfin l'achat de bonnes terres agricoles (222 300 hectares), le long du fleuve Arinos, à 80 km. au nord de Porto Dos Gauchos, par deux sociétés privées, IMAGROL et SIBAL, qui fondèrent en 1971 les agglomération de Novo Horizonte et de Juara, provoqua une troisième arrivée d'immigrants du sud, eux aussi munis de quelques ressources et qui en sont encore à leurs débuts.
77D'après diverses estimations, le municipe de Porto dos Gauchos (28 000 km2), qui avait en 1970, 1235 habitants, en aurait aujourd'hui environ 5000.
78Une brève analyse socio-économique de l'évolution locale permet de mettre en relief à quel point on s'est écarté du projet initial de "colonisation". Les plus anciens colons, petits propriétaires, cultivent médiocrement une parcelle dont la production est exclusivement réservée à la consommation familiale. Le reste du temps, ils s'emploient dans des besognes diverses (défrichement, commerces, récolte du café, "domestiques", entretien etc.), en général dans les fazendas des alentours. Beaucoup ne cultivent même plus du tout.
79Les immigrés de la seconde phase sont en général seringueiros. Quant aux nouveaux arrivés des deux colonies de Novo Horizonte et Juara, ils cultivent egalement le riz mais tentent de développer les petits élevages et le café. Parallèlement, certains colons, les mieux nantis, ont pu transformer leurs mauvaises terres de culture en pacages et bénéficient de l'aide technique de l'ACARMAT (Associação de Crédito e Assistencia rural de Mato Grosso) au moyen du programme SUDHEVEA, et du financement du PROBOR (Programa de Incentivo a Produçâo de Borracha vegetal) pour reconvertir leurs exploitations en plantations d'hévéas. Un accord intervenu entre le Japon et le Brésil en 1972 donne au caoutchouc de bonnes perspectives d'exportation.
TABLEAU QUELQUES DONNEES SOCIO-ECONOMIQUES SUR PORTO DOS GAUCHOS
801°) - Activité socio-professionnelle des chefs de famille (dans l'agglomération et en habitat dispersé).
81a) secteur primaire : 33,74 % dont
Agriculteurs et extraction végétale : | éleveurs |
30,50 | 2,50 |
82b) secteur tertiaire : 12,52 %
83c) Difficilement définissables (domestiques, "autres occupations", "ne savent ce qu'ils font") : 53,94 %
842°) - Origine de la population : Parana et Rio Grande do Sul : 70 %
853°) - Régime de tenure (sur 88 chefs de famille)
Propriétaires : | posseiros : | parceiros14 : | arendatarios : | |
Dans la capitale du municipe | 75,00 % | - | 25,00 % | - |
En habitat dispersé | 42,19 % | 29,69 | 12,50 | 13,62 |
864°) - 20 % seulement des agriculteurs commercialisent une partie de leur production, jamais plus de 40 %
875°) - Revenu (cruzeiro 1972)
88(sur 22 familles interrogées en zone urbaine sur 43 familles interrogées en zone rurale).
Revenu annuel | Revenu moyen par famille ann. | Revenu par tête | Revenu en dollar | |
En zone urbaine | 158 248,00 | 7 193,00 | 1 179,00 | 189,00 |
En zone rurale | 135 060,00 | 3 140,00 | 535,00 | 86,93 |
89Aux premiers colons presque "caboclisés", s'ajoutent des posseiros, des parceiros, des arrendatarios, dont les conditions de vie sont particulièrement précaires. Et comme partout ailleurs, dans Ta vallée de l'Araguaia par exemple, les terres d'élevage des grands fazenderos commencent à envahir celles des premiers colons. On aboutit donc à cet étrange paradoxe, révélé par une enquête sur le terrain réalisée par 1'ACARMAT : plus de la moitié des gens ne sont pas agriculteurs, ils ont des emplois temporaires difficilement définissable ; peôes de défrichement, domestiques et prostituées abondent. En revanche deux catégories sociales prospèrent relativement bien à Porto dos Gauchos : les empreiteiros et les commerçants, c'est-à-dire ceux dont l'activité est liée à la mise en place des fazendas d'élevage, d'hévéas et accessoirement de café.
90Les ressources budgétaires de la Préfecture de Porto dos Gauchos augmentent grâce à une réorganisation de la collecte des impôts ; un projet d'amélioration de la route a été lancé ainsi que celui de son prolongement jusqu'à Aripuana ; le développement de petites industries dérivées du bois est à l'ordre du jour. Mais l'ACARMAT a estimé qu'il n'était plus temps de se pencher sur la solution de problèmes sociaux et investit ses ressources techniques dans l'étude de la rentabilité de l'exploitation des bois, dont les variétés sont pleines de promesses, dans celle du caoutchouc, du café et de l'élevage, à l'échelle des grandes entreprises. La création d'emplois viendra ensuite, prolétarisant les anciens et les nouveaux posseiros ou immigrés caboclisés qui, d'ores et déjà n'ont souvent plus d'agriculteurs que le nom.
91Par ailleurs, le prix de la terre vendue aux nouveaux colons par lot de 60 à 3000 hectares, par la SIBAL, qui s'élève à 800 cruzeiros l'hectare, atteste qu'il s'agit avant tout de créer un noyau de population (immigrants du sud) capables de résister quelques années aux difficultés de mise en valeur et d'intégration de la région. Ceci avant qu'une infrastructure suffisante et une injection de capital privé dynamisante, dans de grandes entreprises, aient le temps de se développer et de produire des effets d'entraînement.
UN EXEMPLE DE COLONISATION MODELE, PRIVEE ET PLANIFIEE : SINOP
92L'échec de plusieurs colonizadoras15 particulières dans le Mato-Grosso, a décidé le Gouvernement fédéral à exiger d'elles, par l'intermédiaire de l'INCRA, un certain nombre de garanties. L'INCRA est donc chargé d'étudier et d'enregistrer la validité des projets. La colonizadora dispose de trois années pour réaliser ses engagements. Elle risque l’expropriation si elle n'y parvient pas. Toutes les colonizadoras du nord du Mato Grosso ne sont pas enregistrées par l'INCRA, ce qui ne les empêchent cependant pas de vendre des terres16. Par contre, la société SINOP répond à toutes les exigences et est une entreprise prestigieuse que l'on donne aisément comme modèle. La troisième des villes construites sur son territoire nommé "Gleba Celeste", Cidade Sinop, a été inaugurée en présence de plusieurs ministres et de personnages officiels à grand renfort de publicité et d'éloges en septembre 1974. Cette fondation est l'oeuvre d'une société largement expérimentée en matière de colonisation puisque, créée il y a vingt-cinq ans, elle a à son actif la fondation de trois villes dans le Parana qui groupent actuellement plus de 300 000 habitants. Dirigée par deux associés de São Paulo, dont l'un est d'origine italienne et l'autre allemande, elle a recruté la plupart de ses cadres et techniciens dans les milieux d'immigrés allemands, ce qui contribue à lui conférer une garantie de sérieux.
93SINOP-TERRAS S.A. a acheté en 1971, 189 000 hectares de part et d'autre de la Cuiaba-Santarem, à 600 km environ de Cuiaba. Au cours des quinze années précédentes, depuis leur première mise en vente par le Gouvernement du Mato Grosso, ces terres avaient eu plusieurs propriétaires successifs mais n'avaient jamais été ni explorées, ni exploitées. Ce qui a permis à la Société de les acheter à un prix assez bas (30 cruzeiros l'hectare environ). Elle a aujourd'hui 350 000 hectares.
94En 1 974, SINOP-TERRAS avait ouvert 950 km de routes, reliant entre elles les trois localités : Vera, Carmen et Sinop. 200 km supplémentaires sont en prévision. Six écoles fonctionnent, un poste de santé, des églises, une coopérative de stockage avec deux agronomes et deux techniciens, de nombreux commerces, (Sept à Vera, vingt-trois à Sinop), deux hôtels, un champ d'aviation ainsi qu'une scierie offrant services et emplois. On estime que Sinop a une zone d'influence dans ces deux derniers domaines qui s'étend sur 400 km à la ronde (fourniture aux fazendas des environs essentiellement). Les projets pour l'avenir proche sont importants : on prévoit 30 000 habitants à Cidade Sinop en 1980, 150 000 un peu plus tard. Afin de mener à bien cette entreprise, la société a bénéficié des stimulants fiscaux de la SUDAM et développé sa campagne de publicité dans les états du sud exclusivement, surtout dans le Parana. L'important était d'installer des colons dont l'expérience, le dynamisme et les revenus ne faisaient pas de doute. Vera groupe actuellement 130 familles dites urbaines, soit 600 personnes et 300 familles dans la zone rurale, installées en habitat dispersé, sur des lots de 50 à 120 hectares ; Carmen a trente familles urbaines et 400 rurales sur des lots de 60 à 160 hectares. Enfin Sinop a 140 maisons et 70 en construction. 3 500 à 4 000 habitants vivent donc déjà dans la Gleba Celeste.
95La société exerce un contrôle sévère sur l'achat de terres : le candidat doit obligatoirement venir visiter avant d'acheter afin d'éviter toute action de grileiros ou autres aventuriers. Le contrôle destiné à empêcher l'installation de posseiros se fait avec l'aide de l'INCRA, qui doit filtrer les migrants à l'entrée de la Cuiaba-Santarem.
96Il n'est pas question de faire encore quelque bilan que ce soit de la Gleba Celeste : la terre vendue à l'origine 80 cruzeiros l'hectare, en vaut maintenant un peu plus de 600 et sera prochainement augmentée car l'implantation d'infrastructure par alquileire (2, 42 hectares) est estimée à 1 000 cruzeiros, ce qui laisse une très faible marge bénéficiaire à la société. Le grand débat à propos de la Gleba Celeste a pour thème le problème de la qualité du sol qui n'est guère homogène : on passe en quelques kilomètres d'une formation sableuse à Sinop à des tâches argilosiliceuses plus productives à Vera. Mais tous les lots sont vendus au même prix, et l'acquéreur qui connaît mal la végétation de forêt tropicale ne se rend guère compte de la qualité d'un sol supportant une couverture végétale qui, pour lui, ne présente aucune différence. Les colons qui bénéficient sur douze ans d'un prêt du Proterra pour acheter, défricher et construire leurs maisons, se sont livrés aux cultures traditionnelles après avoir obtenu un petit revenu de la vente du bois de leur parcelle. La première récolte de riz après le défrichement, a été très moyenne (une tonne par hectare), les haricots et le maïs viennent mal à cause de la quantité de racines qui étouffent les plantes. Mais outre que le stockage du riz pratiqué par la coopérative afin de vendre les sacs en décembre à 140 cruzeiros le sac au lieu de 40 en août, permettent d'augmenter les revenus, les agronomes prévoient un plan de mise en valeur par la culture du café, du poivre et des ananas, et par le développement de l'élevage, le riz n'étant qu'une production de transition. Absence d'homogénéité de la qualité de la terre et difficulté d'approvisionnement en eau (la nappe souterraine est à plus de 40 m) seront donc les éléments qui joueront sans doute en faveur de la réussite de certains et de l'échec des autres.
97Il semble que très peu de colons, jusqu'à maintenant, aient abandonné leur exploitation (moins de 1 %). Et pourtant certains lots sont déjà de deuxième ou troisième main. Appartiendraient-ils alors à des gens qui ne sont jamais venus, et évite-t-on réellement la spéculation ? On peut se poser la question. Par ailleurs, qu'en est-il des migrants qui franchissent le barrage de l'INCRA dans leurs camions et parviennent à SINOP pour "chercher du travail", ? Plusieurs projets d'implantation industrielle dont l'une de cellulose de papier (capitaux paulistas) doit en principe occuper d'ici peu 130 familles. Des scieries sont également en projet, qui devraient absorber cette main-d'oeuvre. En bref, SINOP est le genre de société qui a "compris" ce que devait être la participation dynamique de l'entreprise privée à l'occupation de l'Amazonie. Finie l'époque des marchands de terre ou celle de l'INCRA, paternaliste et finalement inefficace ! Tout est planifié pour les dix années à venir et confié à des colons expérimentés et travailleurs ! Car, en matière de colonisation, tout le coeur du problème est là : on estime que l'Etat ne peut plus se permettre de procéder à une installation non rentable de colons. Son rôle est d'implanter une infrastructure qui permette une exploitation rationnelle de l'espace amazonien, c'est-à-dire qui puisse susciter la formation de capital. Mais les planificateurs se trouvent alors confrontés au problème du front pionnier spontané : celui-ci doit être résolu par la fixation de la population, c'est le rôle de l'INCRA et de la CODEMAT. Afin de réduire les tensions sociales qui peuvent surgir, l'Etat intervient à travers le Ministère du Travail qui trouve dans les Fédérations syndicales de travailleurs ruraux, une courroie de transmission. Mais là n'est pas la seule contradiction à laquelle les autorisations officielles se heurtent : les courants de migrants sont loin d'être taris, mettant l'INCRA dans une position délicate ; d'une part, le Mato Grosso est sous-peuplé et la main-d'oeuvre flottante, nécessaire à la première étape de mise en valeur sous forme de travail temporaire, doit être cherchée souvent fort loin. En effet, on ne la recrute pas parmi les familles entières qui errent sur les routes, mais c'est une main-d'oeuvre masculine, de préférence célibataire dont seuls les empreiteiros connaissent bien les centres de recrutement (dans certains villages de la frange pionnière du Mato Grosso, et surtout dans les Minas). D'autre part, le Mato Grosso n'a aucune colonie de type social apte à recevoir les familles migrantes sans ressources. Il ne reste à l'INCRA qu'à les renvoyer dans les terres de colonisation du Rondonia qui ne peuvent plus les absorber, ou à fermer les yeux sur les occupations de parcelles, ce qui provoque des problèmes à très court terme, car peu de terres n'ont pas de propriétaire qui ne surgisse un jour ou l'autre pour récupérer leur bien.
98Les techniciens de l'INCRA souhaitent d'abord que les états du sud (São Paulo et Parana) contrôlent leurs migrants et ne laissent pas, s'aventurer ceux qui n'ont pas de moyens. D'autres proposent que soit créée unecolonie de l'INCRA afin d'accueillir les posseiros des municipes voisins de Cuiabà et de résoudre ainsi les problèmes les plus urgents de conflits de terre (Barra do Bugres, Chapada do Guimaraes, les bords de la Cuiabá-Porto Velho, ceux de la Cuiaba-Santarem). Mais ce serait retomber dans l'écueil d'un investissement trop lourd pour un faible résultat. La mauvaise qualité des sols pour l'agriculture et la profondeur de la nappe souterraine aux abords de la Cuiaba-Santarem seraient deux des raisons pour lesquelles l'INCRA a abandonné tout projet de colonisation. La contradiction reste donc entière ; le temps lui permettra-t-elle de se résorber ?
99Mais parallèlement, et sans que la question sociale ait été vraiment résolue, on a commencé d'appliquer la politique dynamique de mise en valeur, c'est-à-dire l'aide à l'entreprise privée agro-industrielle qui doit en être le moteur. Ceci, sous deux formes : stimulants fiscaux et implantation de services et d'infrastructure. On verra dans le chapitre suivant ce qu'il en est concrètement de cette nouvelle option. Mais le rôle de la colonisation privée n'est pas négligeable pour atteindre l'objectif visé ; c'est elle qui fournit la structure de base : des noyaux de population dont les qualités de pionniers sont éprouvées, capables grâce à leurs habitudes de travail et à leurs petites ressources au départ, de résister aux difficultés et aux aléas des premières étapes de l'occupation. On y a déjà fait allusion. Ces noyaux pourront fournir la main-d'oeuvre permanente expérimentée nécessaire dans les étapes suivantes. Il assureront aussi les services indispensables. Afin de parvenir sans trop de mal, cest-à-dire sans trop de problèmes sociaux à cette étape, l'Etat, à travers l'INCRA, est maintenant exigeant vis-à-vis des sociétés de colonisation privée, comme on l'a vu. Il ne leur suffit plus seulement de faire du profit, il faut qu'elles soient en mesure de permettre à leurs colons de se fixer. Quant au problème de la qualité des sols, ce n'est plus l'affaire de l'Etat, à partir du moment où joue le jeu de la libre entreprise. Celle-ci est propriétaire de sa terre : à elle de résoudre au mieux le problème de ses colons.
100En résumé, dans la phase actuelle, l'Etat se heurte donc encore dans le Mato Grosso à la complexité de la situation agraire, héritage des gouvernements précédents, à des problèmes sociaux qui sont loin d'être résolus alors que la mise en application des nouvelles orientations risquent de leur apporter une solution brutale et enfin à la spéculation foncière qui se trouve à tous les niveaux et que la structure même du système rend incontrôlable.
II. LE FRONT D'ELEVAGE
1.- L'AVANCE DU FRONT
101Si l’on examine un autre volet de l'occupation et de la mise en valeur de l'Amazonie matogrossense, pourrons-nous en tirer d'autres conclusions qui permettraient de considérer la phase actuelle comme une simple phase transitoire, avec tout ce qu'elle implique de difficultés inévitables et éventuellement de violence ?
102Quelles sont les grandes lignes de la politique de développement de l'Amazonie matogrossense par l'entreprise agro-industrielle ? On verra qu'il n'existe pas réellement de nouvelle conception de l'occupation de l'espace, mais qu'il s'agit plutôt d'une continuité dont on souhaite accélérer le processus. Il n'est pas inutile de rappeler ici que l'idée de la Cuiaba-Santarem avait été lancée par les seringalistas, voici quelque vingt ans, afin de leur permettre de développer leurs exploitations et d'exporter leurs productions. Mais la route est, par ailleurs, de création trop récente pour avoir été intégrée dans la grande offensive publicitaire faite au cours des années 65-70 sur le peuplement des terres vierges de l'Amazonie par les pauvres et les chômeurs du Nord-Est. En fait, cette conception officielle éphémère n'a qu'à peine égratigné le Mato Grosso. Elle s'est heurtée tout de suite à une situation régionale particulière, à une mise en place déjà ancienne d'un type d'occupation par la grande entreprise privée, avec des structures assez solides pour qu'elle n'ait besoin maintenant que d'être récupérée, encouragée, développée et modernisée.
LE PREMIER RUSH SUR LES TERRES (1958-1963) DANS LE MATO GROSSO
103Après la deuxième crise du caoutchouc et les ventes des seringais, les éleveurs paulistes n'ont guère tardé à comprendre que l’immensité des surfaces inexploitées de l'Amazonie pouvaient, sans que les investissements ne soient trop lourds, leur apporter un profit substantiel. Le mouvement vers les terres du sud du Mato Grosso était déjà amorcé depuis longtemps, le Pantanal était occupé par d'immenses zones d'élevage extensif aux méthodes très primitives. La relative accessibilité de la région de l'Araguaia et les projets d'axes nord-sud Cuiabá-Porto Velho et Cuiabá-Santarem ont attiré les grands éleveurs du sud et les marchands de terre.
104La présence de Cuiaba et le développement de Goiania firent de ces deux villes les centres de relais et de tractation pour l'achat de terres. L'objectif des éleveurs était de regrouper les propriétés moyennes vendues au cours des années cinquante par le Gouvernement du Mato Grosso, qui n'avaient jamais été ni explorées, ni exploitées. Ce qui leur permit d'acquérir des dizaines et même des centaines de milliers d'hectares, à des prix très bas (18 cruzeiros 1974, par hectare à Diamantino en 1965).Les plus grandes propriétés s'étendirent le long de la rive gauche du fleuve Araguaia. La famille pauliste Ometto, dès 1962, ouvrit la fameuse fazenda de Suia-Missu sur plus de 400 000 hectares et fit construire plusieurs centaines de kilomètres de routes. Cependant, jusqu'aux années 1966-68, les fazendas de l'Amazonie matogrossense conservèrent un caractère très traditionnel : une bête pour 5 hectares de pacage naturel, une qualité de bétail très médiocre. On songeait moins à l'élevage qu'à la spéculation classique : l'ouverture d'une fazenda puis sa vente au bout de quelques années.
LE DEUXIEME RUSH (1968-1974)
105La création de la SUDAM en 1966 provoqua le deuxième rush pastoral sur l'Amazonie matogrossense, comme dans toute la périphérie amazonienne, depuis l'axe Belem-Brasilia jusqu'à l'Etat d'Acre.
106L'occupation de l'espace périphérique amazonien, c'est-à-dire de la zone de contact, par les fazendas d'élevage jouissait des avantages fiscaux de la SUDAM, dessine en effet un quart de cercle qui va de Belem du Para à la frontière de la Bolivie et du Rondonia. Au Mato Grosso, l'intérieur de ce quart de cercle est déjà assez abondamment occupé, avec une concentration plus notable dans le municipe de Barra do Garças, c'est-à-dire le long du fleuve Araguaia, jusqu'au parc indigène du Xingu. Celui-ci forme une vaste zone peu peuplée, amputée dans sa partie nord, il y a quelques années par la création de la route BR 80 qui relie São Felix do Araguaia à la Cuiabá-Santarem.
107Par ailleurs, si le 16e parallèle constitue dans le Mato Grosso la limite artificielle de la zone d'intervention de la SUDAM, toute la région située entre le 17e et le 15e parallèle, correspond à la frange pionnière, avec des fazendas de dimensions souvent plus modestes, plus anciennes aussi. Elles bénéficient de l'assistance technique de l'ACARMAT qui leur sert d'intermédiaire avec le Banco do Brasil, selon un schéma à peu près semblable à celui de la SUDAM.
108Il n'y a donc pas d'interruption entre les élevages de l'Amazonie légale et ceux, plus anciens, du sud de l'Etat et du Pantanal. La transition entre les deux secteurs se place dans la frange pionnière avec une forte tendance à l'accroissement de l'étendue des propriétés en allant vers le nord. La volonté de développer l'élevage du Mato Grosso apparaît dans les chiffres : en juin 1974, sur 383 projets "agro-industriels" approuvés par la SUDAM, 223 sont situés dans le Mato Grosso. Entre 1965 et juin 1974, sur un total de 1 793 588 095 cruzeiros de "stimulants fiscaux” libérés, 675 319 834, soit plus de 30 % ont été attribués au Mato Grosso (1972 constituant l'année de pointe). Dans le seul domaine de l'agro-industrie, la part du Mato Grosso atteint près de 60 %17 et en 1973, il était prévu d'occuper près de 8 millions d'hectares.
109Le recours à l'entreprise privée pour financer la mise en valeur de l'Amazonie est devenue un des aspects réalistes et prioritaires de la politique des Gouvernements issus du bouleversement de 1964, après l'éphémère publicité faite autour de la construction de la Transamazonienne et de son rôle social. En réalité, cet aspect n'avait pas cessé d'exister mais il était un peu étouffé par la campagne menée sur la colonisation officielle, nécessaire à la mise en oeuvre de l'opération amazonienne. Qu'offrait alors l'espace amazonien aux investisseurs privés ? L'exploitation des ressources minières, encore mal connues, celle du bois mais plus encore la terre qui était et est toujours le moyen de production le plus disponible et le meilleur marché. La méconnaissance de ses réelles qualités agricoles, les modestes résultats obtenus dans ce domaine dans les zones de colonisation et l'absence de main-d'oeuvre, faisaient tout naturellement de l'élevage extensif, la source de profit la plus rapidement exploitable.
110Dans un ensemble aussi immense, pourquoi le Mato Grosso est-il devenu le principal espace d'investissements ?
111C'est d'abord parce que le processus d'occupation de l'Amazonie matogrossense par les éleveurs de São Paulo avait été amorcé bien avant la création de la SUDAM, notamment dans la région de l'Araguaia d'un accès relativement aisé, mais aussi de part et d'autre des itinéraires prévus depuis les années cinquante cinq par les seringalistas des routes Cuiabá-Santarem et Cuiabá-Porto Velho. Les structures étaient déjà mises en place.. Il restait à les développer et à les moderniser.
112• Le Mato Grosso représente par ailleurs une zone charnière entre l'Amazonie proprement dite et le sud pauliste. Sa relative proximité des centres de décision, financiers, de consommation, et fournisseurs de biens d'équipement que sont São Paulo, mais aussi le Parana, Rio, Brasilia et Goiania, l'a rendu particulièrement attrayant.
113• D'autres raisons se greffent sur les précédentes : la longue tradition d'élevage de l'Etat, qui a permis, au début, de constituer des troupeaux à partir d'animaux achetés dans le Pantanal, véritable réservoir de bétail. La végétation de l'Amazonie matogrossense, en partie constituée de campo cerrado, facile à défricher, la proximité des centres de recrutement de main-d'oeuvre que sont le sud du Mato Grosso et surtout le Minas Gerais. Enfin deux villes pouvaient constituer des centres de relais offrant les services nécessaires à la mise en valeur : Cuiaba et plus encore Goiania.
114• Ajoutons enfin que la politique officielle avait une bonne raison pour favoriser le Mato Grosso : la préoccupation d'occuper fortement la zone frontière avec la Bolivie. Pour les éleveurs, cette motivation n'est pas seulement d'ordre idéologique ; en effet leur ruée vers l'intérieur, vers l'ouest, ne s'arrête pas au Mato Grosso ; ils commencent à occuper l'Acre, rêvant d'accéder, ainsi, par le Pérou, aux marchés de l'Extrême Orient - du Japon et de la Chine !
115Les capitaux individuels ne suffisaient pas à alimenter l'opération amazonienne. Il fallait faire appel aux entreprises, aux banques, aux capitaux étrangers. Ce fut le rôle de la SUDAM. Après les premières arrivées des grands éleveurs de São Paulo, on a vu pendant les années 70-74, des sociétés industrielles, telles que les frigorifiques Bordon, des sociétés de travaux publics comme Camargo Correia, des banques, la banque du Minas par exemple, des sociétés étrangères par l'intermédiaire de leurs filiales brésiliennes, telle que Volskswagen, Liquigaz, Mercedes, investir en Amazonie. Arrivées plus tard, mais munies de capitaux plus importants, elles ont acheté à un prix souvent plus élevé, des terres qui pouvaient déjà avoir fait leurs preuves ou dont la situation géographique garantissait la rentabilité.
116D'autres que les éleveurs professionnels se sont aussi intéressés à l'Amazonie matogrossense ; de riches médecins de São Paulo, des acteurs ou des speakers de télévision, des milliardaires étrangers etc… L'opération a fonctionné à un rythme plus rapide que ne l'avait prévu la SUDAM.
L’AVANCE CHAOTIQUE DE L'ELEVAGE DANS LE PARA
117Dès le 18ème siècle, le sud du Maranhão était occupé par des fazendas. Ce front pastoral avançait vers le Tocantins : le fleuve assumait l'articulation entre les zones d'élevage et le Para.
118Dans la première moitié du 19ème, l'élevage traversa le Tocantins et gagna les terres du nord du Goias.
119Le front continua son avance vers l'ouest, passant le fleuve Araguaia et colonisant les terres de la vallée à hauteur de ce qui allait devenir Conceição do Araguaia. Dans cette région s'étendaient les derniers champs naturels du Para avant l'entrée dans la forêt. Coudreau estimait en 1897 que le troupeau comptait près de 2 500 têtes. Mais cette frange de campos naturais ne s'étendait ni vers le Xingu, ni vers le nord et l'avance du front s'en trouva limité.
120Plus récemment, autour des années cinquante, l'accès au bail perpétuel favorisa, comme on l'a déjà dit, l'ouverture des premières grandes fazendas. Puis l'ouverture de la Belem-Brasilia entraîna les Brésiliens du Centre-Sud à s'intéresser à la région. Les espaces du Goias et du Para en furent valorisés tandis que surgissait avec Paragominas le principal centre de l'élevage.
121Ce fut la création de la SUDAM qui bouleversa profondément la structure traditionnelle de l'élevage. Elle éveilla les convoitises des investisseurs pour des terres considérées jusqu'alors comme "libres".
122On peut indiquer les principaux secteurs du Para où se localisent les propriétés agropastorales. Ce sont en premier lieu des secteurs qui ne sont pas naturellement favorables à l'élevage mais où celui-ci s'est implanté pour des raison historiques : Marajo, Furos, le Tapajos, le Xingu, Tomé-Açu, Belem, la zone Bragantine, Viseu, Salgado et le bas Tocantins.
123En second lieu, des terres économiquement peu favorables mais où il n'y avait pas d'autre alternative : c'est le cas de la Basse et de la Moyenne Amazone.
124Par ailleurs les attraits fiscaux de la SUDAM ont servi des régions plus adaptées à l'élevage telles celles de Paragominas, São Domingo do Capim, Conceição et Santana do Araguaia. Fin mai 1974, le Para comptait 106 projets approuvés par la SUDAM dont 60 % dans les deux derniers municipes cités.
2. - STRUCTURE ET ORGANISATION DES EXPLOITATIONS
125Deux types d'élevage se détachent qui correspondent assez bien à l'évolution historique de ce développement :
traditionnel extensif et super-extensif
extensif en voie de modernisation
126Rien ici n'est comparable à l'élevage du sud, c'est-à-dire intensif et hautement technologique. Les différences entre les deux types précédemment annoncés reposent plus sur la structure de l'entreprise que sur ses aspects techniques. Ces entreprises constituées sous forme juridique d'une capacité financière supérieure, ont une organisation interne sur des bases capitalistes et introduisent dans la région le travail salarié.
a) L'élevage extensif traditionnel
127Il approvisionne le marché local ou régional, selon son dynamisme, mais ne présente bien souvent qu'un bétail de mauvaise qualité. A l'intérieur de ces entreprises dont les tailles varient énormément, des relations de travail paternalistes subordonnent le travailleur au propriétaire. Le système de travail est celui de la parceria ou de la partilha.
128"Les relations monétaires entre le fazendeiro et l'employé sont pratiquement inexistentes. L’engagement se fait en fonction de dispositions archaïques appelées regulamentaçoes qui correspondent aux relations de travail établies dans les centres d'élevage du Maranhao au XIXe siècle. Le vacher est choisi sur la base de ses connaissances des regulamentaçoes et de son habileté à manier le bétail. La responsabilité administrative incombe au vacher-chef qui, pendant l'hiver, prend soin du bétail… L'été il s'occupe des veaux, des pâturages, de la récolte s’il y a une roça, du dressage du bétail. Il reçoit pour son salaire un quart du bétail pé-duro et un huitième des boeufs de race pendant l’année pastorile. Ce qui lui permet d'entretenir certaines cultures de subsistance et de pratiquer la pêche. Le fazendeiro lui fournit viande et sel. Ce qui devrait lui permettre et lui permet encore dans certains endroits de devenir propriétaire d'un petit troupeau. Cette possibilité dans la pratique est difficile, étant donné les avances qu'il reçoit du propriétaire et l'endettement croissant qui s'ensuit et qu’il doit payer en espèces. D'un autre côté, les têtes de bétail obtenues par la partilha ne peuvent être négociées qu'à l'intérieur de la fazenda pour des raisons pratiques. Le vacher-chef les revend donc au fazendeiro. L'alternative pour lui est de vendre ses bêtes au marreteiro ou au regatão en les échangeant contre des marchandises : seul ce type de transaction peut permettre la formation d'un petit troupeau. "18
b) extensif en voie de modernisation
129L'exploitation pastorale devint plus systématique à partir de l'ouverture de la Belem-Brasilia qui attira l'attention et éveilla l'intérêt des compagnies d'élevage et de colonisation. Plus encore, la SUDAM accéléra les investissements dans ce domaine.
130Les pionniers s'étaient installés le long de la BR-IO, auprès de petits centres vivant d'une agriculture auto-subsistante, de l'extrativisme ou de la recherche de diamant et de cristal. Les premiers centres qui se développèrent furent Paragominas, Impératriz, Araguaina, etc…
131La forte valorisation des terres du Goiàs et du Maranhão amena de nombreux conflits et la réapparition du personnage du grileiro. Des chocs souvent violents opposèrent aux compagnies agro-pastorales, les occupants traditionnels de la région, petits agriculteurs sans titre de terres. Ces heurts entraînèrent de nombreux mouvements migratoires au-delà des fleuves Araguaia ou Tocantins, dans les municipes de Conceiçao et Santana au sud, Santarem au nord et Maraba à la charnière.
132Ce front pionnier ne fit que devancer le front d'élevage qui suivit le même itinéraire à partir de 1966. S'implantèrent alors dans ces régions des entreprises capitalistes, les fazendas-projets19.
133Organisées sous forme de sociétés anonymes, elles dépendent administrativement du Bureau Directeur installé à São Paulo. Il est représenté sur place par un administrateur qui reçoit régulièrement la visite du Directeur-Président et, plus aléatoirement, du ou des propriétaires. Le personnel de l'entreprise peut être divisé en trois groupes :
le personnel administratif et technique originaire du Centre_Sud et dont la mobilité est assez grande ;
le personnel fixe manuel, qui jouit de certains privilèges et est en contact direct avec l'administration ;
le personnel saisonnier ou sous contrat à la tâche.
134L'organigramme de l'entreprise se présente de façon suivante :
a) L'administration et les techniciens
135Les cadres de l'entreprise, à savoir le gérant et, éventuellement, l'ingénieur agronome, le directeur technique ou administratif sont originaires du Sud. Leur mobilité est assez grande (le turn-over est en moyenne de trois ans) s'explique fondamentalement par trois raisons :
les techniciens se spécialisent dans une des phases d'implantation des entreprises
la concurrence entre les entreprises devant la difficulté de déplacer un personnel hautement spécialisé
la jeunesse de ce personnel, l'expérience amazonienne jouant le rôle de tremplin pour une future carrière dans le centre-sud avec souvent, comme objectif, l'ouverture de sa propre entreprise.
136Les salaires sont élevés, oscillant entre 3 000 et 7000 cruzeiros pour les cadres et 1 000 à 2 000 pour les techniciens, le logement étant fourni gratuitement par l'entreprise.
b) Le personnel fixe manuel
137Il est recruté directement par les responsables de l'entreprise et vient de traditionnelles régions d'élevage, c'est-à-dire Bahia, le Minas Gerais et le sud du Brésil. Les entreprises ont une très grande méfiance envers les paysans de la région et un mépris total pour leur expérience pastorale. Ce personnel est privilégié par rapport aux travailleurs saisonniers et il entretient des relations "paternalistes" avec l'administration.
138Les salaires sont supérieurs au salaire minimum20, compte tenu du coût de la vie en Amazonie et de la difficulté à faire venir du personnel dans ces régions reculées.
c) Le régime de l'empreiteiro
139La principale innovation apportée par les investisseurs sudistes aura été sans aucun doute le travail salarié, plus exactement le travail salarié sous une forme bien spéciale, celle de l'empreiteiro. Les grands travaux de déboisement, de nettoyage des champs, de mise en place des clôtures, de désherbage, etc… (travaux recouverts par le mot général juquira en portugais) demandent une abondante main d'oeuvre durant la saison sèche, c'est-à-dire environ six mois par an. De nombreuses entreprises ont de façon permanente pendant cette période 200 à 600 travailleurs agricoles sur leurs terres. Ils ne sont pas directement recrutés par l'administration des fazendas mais par un ou plusieurs empreiteiros, sous couvert d'un contrat à la tâche qu'ils passent avec l'entreprise d'élevage. Aucune relation ne s'effectue entre la fazenda et ces manoeuvres, toute la responsabilité en incombant aux recruteurs de main-d'oeuvre appelés gatos.
140Les travailleurs sont recrutés dans le Nord_Est ou dans certains centres spécialisés comme Belem et Santarem dans le Para. Le recruteur de main-d'oeuvre organise le voyage depuis le lieu de recrutement jusqu'au lieu de travail en prenant tous les frais à sa charge. De nombreuses pensions dans le port de Belem abritent ainsi quelques milliers de peôes en transit, qui attendent le camion ou le bateau qui les aménera vers leur nouveau travail.
141Dans la fazenda, le travail est organisé en équipes, un chef d'équipe étant désigné pour la surveillance des travaux. Le chef d'équipe peut être employé del'empreiteiro et exercer une surveillance armée des travailleurs. Dans d'autres cas encore, l'entreprise elle-même possède une milice privée pour la surveillance des travaux. Certaines peuvent cumuler les deux systèmes : c'est le cas de la JARI dont les quelque 2 000 saisonniers sont à la fois surveillés par les hommes en arme des recruteurs de main-d'oeuvre pour empêcher les fuites et par la milice de l'entreprise, peut-être pour la même raison, peut-être aussi pour prévenir d'éventuelles manifestations.
142Le contrat passé avec le travailleur est verbal et le salaire ne sera payé qu'à la fin du travail pour lequel il a été engagé, après déduction de tous les frais contractés par le gato.
143Ce dernier organise lui-même la pension de ses hommes tout comme la maintenance d'un magasin car celui de l'administration n'est pas accessible à une personne n'ayant pas de relations monétaires avec l'entreprise.
144Le recruteur de main-d'oeuvre achète les produits vendus dans son magasin dans celui de la fazenda auquel il a accès. Dans le premier magasin les produits sont majorés de 20 % environ ; dans le second, il faut encore y ajouter 10 à 20 %.
145La seule intervention de la fazenda se situe au moment du paiement qu'elle effectue elle-même pour empêcher d'éventuelles fuites des gatos avec la paie globale. Le fait était naguère courant et c'est depuis deux ans que les entreprises ont adopté le nouveau système. Toutefois, elles n'exercent aucun contrôle et font entièrement foi aux bulletins de salaire que rédigent les empreiteiros. Ce bulletin de paie n'est qu'un morceau quelconque de papier sur lequel est griffoné le nom du travailleur et la somme nette qu'il doit recevoir.
146Il est difficile d'avoir une idée juste sur le salaire moyen mensuel que perçoit un travailleur saisonnier : le contrat passé par la fazenda avec l'empreiteiro est très variable selon la tâche. Voici quelques exemples : une juquira de 10 hectares sera travaillée en 60 jours et payée 1 200 cruzeiros ; la mise en place d'une clôture de 4 km 5 sera payée 220 cruzeiros le kilomètre et devra être effectuée en 30 jours ; l'arrachage de 56 901 pieds d'une plante nocive sera payé 20 centimes le pied et devra s'effectuer en 60 jours, etc… Les prix des travaux sont discutés entre le gato et l'administrateur et varient pour une même tâche selon la difficulté du terrain, le temps désiré, etc…
147Du prix brut du contrat sera déduite une cotisation au FUNRURAL21. Quant au contratant, il retiendra 10 à 20 % de commission, distribuant le reste entre ses hommes.
148Le salaire moyen ne nous semble pas excéder 1 200 cruzeiros par juquira de 60 jours, ce qui nous fait un salaire moyen de 600 cruzeiros par mois. Ceci peut connaître de très grandes variations, certains travailleurs atteignant 2 000 cruzeiros dans le mois, d'autres par contre, restent endettés lorsque le travail arrive à sa fin.
149Nous pouvons à ce sujet raconter l'anecdote suivante : l'infrastructure bancaire étant inexistente dans de nombreux endroits, surtout hors des chefs-lieux de municipe, il arrive que les entreprises soient à court d'argent. Les commerçants locaux peuvent alors se substituer à la banque. Le bulletin de paie est présenté au commerçant qui paie le travailleur en nature et en espèces, de sorte que l'ouvrier peut alors se trouver sans argent, mais avec un miroir, un parfum, un foulard, un peigne, etc… Nous avons assisté à un paiement de ce style pour une dizaine de travailleurs qui achevaient un mois de travail : la somme la plus forte reçue fut de 100 cruzeiros et la plus faible de 60 cruzeiros. Ceux qui restent endettés s'engagent pour un nouveau travail avec leur patron sur la même ou sur une autre fazenda.
150De nombreux petits noyaux de population ne vivent effectivement que du passage des manoeuvres saisonniers et du commerce qu'ils font avec eux : achats divers, prostitution, police ont vite raison des quelques économies des travailleurs, surtout qu'ils viennent de passer le week-end dans le village le plus proche dont la population peut doubler ou tripler en 24 heures. Ce qui ne va pas sans entraîner quelques tensions avec une partie de la population traditionnelle.
151Les travailleurs viennent principalement du Nord-Est ; l'Etat du Cearà a été jusqu'à ces dernières années le principal fournisseur de main-d'oeuvre. Actuellement beaucoup d'entre eux viennent du Minas, du Goias et de Bahia.
152Le régime de l'empreiteiro est aux limites de la légalité car c'est un type de l'organisation du travail qui n'est pas prévu dans la législation du travail rural. De plus, les recruteurs de main-d'oeuvre ne sont pas toujours enregistrés et n'ont donc aucune personnalité juridique : leur contrat ne serait ainsi pas légal…
153Sachant le rôle du gato indispensable au développement des fazendas, le ministère du Travail essaie d'associer leur action à la sienne. Mais il est encore trop peu représenté dans la région (sauf sur les bords de la Transamazonienne) pour avoir une influence quelconque.22
154A la suite de nombreuses dénonciations, un sous-groupe volant d'inspection du travail a été créé en 1973 afin de contrôler la situation des travailleurs saisonniers à l'intérieur des fazendas. Toutefois, ces sortes de contrôleurs restent dépendants des moyens de transport des entreprises et peuvent difficilement accomplir un travail sérieux. Aussi, dans les premiers mois de l'année 1975 les activités des fonctionnaires sur le terrain furent-elles suspendues (ils n'étaient que 5) en attendant l'amélioration de leurs conditions matérielles.
155L'inertie des techniciens, l'absence d'un programme d'assistance, l'insuffisance de directives de la part du Gouvernement, la faiblesse des moyens matériels donnés aux techniciens chargés du contrôle, le manque de coordination entre les ministères, les difficultés de communication et surtout l'absence d'un intérêt réel chez les contrôleurs de la SUDAM (seul organisme qui aille régulièrement dans les entreprises) pour les problèmes de main-d'oeuvre, empêchent toute possibilité d'évolution de la situation et cela pour la raison la plus simple : l'un des obstacles au développement pastoral est la rareté de la main-d'oeuvre dans la région ; il faut donc aller la chercher ailleurs et la meilleure façon pour l'entreprise de se dégager de cette responsabilité, est d'utiliser le système de l'empreiteiro.
156Nous pouvons noter par ailleurs que les entreprises arrivées à maturation ont tendance à élargir le système à tous les secteurs d'activité, sauf celui qui concerne le bétail. La CODEARA par exemple, utilise une entreprise indépendante pour les travaux de menuiserie et de construction, pour la briquetterie, la cantine, etc… Elle a étendu ce système d'organisation du travail â tous les secteurs qui ne sont pas liés directement â la production et qui concernent la mise en place de l'infrastructure de l'entreprise.
157Aussi voit-on apparaître le long de la Belem-Brasilia des firmes de location de main-d'oeuvre ou de services, firmes parfaitement inscrites sur la Junta Commereial et en règle avec l'INPS. Ces firmes en prenant en charge certains secteurs d'activité des entreprises les libèrent ainsi d'une part de leurs responsabilités.
3. - DESINTEGRATION REGIONALE
Phase transitoire d'implantation : développement régional ou espace complémentaire de croissance
158La planification régionale est l'un des objectifs de la SUDAM et les projets agropastoraux doivent faire partie intégrante du développement. On peut alors poser quelques questions qui se situent à des échelles d'observation différentes : au niveau régional, se trouve-t-on dans une réelle phase de développement équilibré, alors qu’il y a intense concentration de projets, donc d'injection de capital dans certaines parties de l'Amazonie, notamment dans la zone périphérique, tandis que d'autres sont négligées jusqu'à maintenant, ce qui pourrait être interprété comme un dévoiement du rôle initial de la SUDAM. A terme, on peut supposer ou bien, que les tendances actuelles s'accentueront et que l'Amazonie restera un espace complémentaire de croissance ou de profit ; ou bien, que par le biais de la politique des pôles amazoniens de développement, un certain équilibre régional pourra être mis en place.
159A l'échelle locale, quel est le rôle joué par les grandes fazendas ? Dans la phase transitoire actuelle, elles n'en jouent aucun sur le plan du développement économique ; elles n'ont pratiquement pas de relation d'échange avec les petites agglomérations anciennes plus ou moins proches qui ne leur fournissent même pas de services23. Tout au plus, certaines fazendas s'y procurent un peu de riz et de haricots pour leurs travailleurs permanents, mais tous tendent à se suffire à elles-mêmes, grâce à la mise en culture d'un bout de terre à l'intérieur de leur domaine. Tous les autres produits alimentaires nécessaires sont importés par avion de Sao Paulo et de Goiania, accessoirement de Cuiabà. Bien entendu, tous les biens d'équipement, etc… viennent aussi de São Paulo ou de Goiania. Dans le sens inverse, elles ne vendent rien dans les petites agglomérations et n'y procèdent pratiquement à aucun recrutement de main-d'oeuvre locale : à São Felix do Araguaia, moins de 10 % des gens ont des activités plus ou moins liées à la présence des fazendas : 10 % aussi à Aripuana, un peu plus, semble-t-il, à Porto dos Gauchos. Tous les employés permanents viennent de Sao Paulo ou du Minas et sont recrutés directement dans leurs lieux d'origine par les fazenderos eux-mêmes ou par leurs administrateurs. La seule relation entre fazendas et petits agriculteurs (à São Felix par exemple), est l'utilisation par ces derniers des moyens de transport des fazendas pour la vente de leurs produits.
160Et pourtant, le pouvoir des fazenderos, sur le plan local, est sans doute plus puissant que celui de l'administration de l'Etat, dépourvu de moyens financiers, et qui n'est finalement que le gérant des deux pouvoirs convergents ou divergents suivant les situations locales, du Gouvernement fédéral et des entrepreneurs. Le Gouvernement de l'Etat peut difficilement faire autre chose que de tirer parti de ces pouvoirs ou d'être une courroie de transmission. Il ne possède même pas les principaux moyens de contrôle, sinon la police ; il est un exécutant, mais risque aussi parfois de voir retomber sur lui la responsabilité de conflits délicats. Dans ce contexte, le pouvoir des entrepreneurs, éventuellement par l’intermédiaire de l'Association des Entrepreneurs agropastoraux d'Amazonie, s'exerce à la fois sur le plan administratif et sur celui de l'occupation de l'espace. Ceci n'est pas sans lien avec les nombreux problèmes de conflits de terre entre fazenderos et posseiros que l'INCRA s'efforce de résoudre par des procédés juridiques interminables, là où des solutions à l'amiable, ou parfois des solutions plus rapides d'intimidation, ne sont pas intervenues.
161L'ouverture des fazendas d'élevage se trouve donc marquée par une phase transitoire violente d'implantation du capitalisme. Elle est jugée comme inévitable par quelques techniciens. Elle ne concerne pas seulement l'occupation et la domination sur l'espace, mais aussi les conflits avec les Indiens.
162Dans le Mato Grosso, les conflits avec les Indiens ont lieu surtout le long de la BR 80 qui coupe le parc du Xingu dans sa partie nord. Les Indiens attaquent les postes (restaurants) qui s'échelonnent le long de la route ou les fazendas qui la bordent. Les limites du territoire des Indiens sont assez peu claires et il existe sans doute une tendance de la part des entreprises, à empiéter sur le parc que certains fazendeiros estiment beaucoup trop vaste pour la population réduite qu'il abrite. Mais si l'on peut parler dans certains cas de résistance (par les posseiros, par les Indiens), il est non moins évident que les vieilles structures locales sont presque toujours désintégrées et remplacées par de nouvelles : introduction d'une population salariée permanente (vaqueiros, employés des fazendas) et non permanente (main-d'oeuvre de défrichement), essentiellement masculine et célibataire, et intégration à ce système de plusieurs tribus indigènes (Carajas, Xavantes). Il ne s'agit pas d'un phénomène tout à fait nouveau ici : les Indiens avaient, par exemple, largement contribué au défrichement de la fazenda de Suia Missu en 1961-1962. Par ailleurs, la FUNAI a créé dans l'île de Bananal, une fazenda destinée à la culture du riz et à l'élevage qui possède 2 ou 3 000 têtes de bétail ; fazenda d'Etat, elle prétend être mise en valeur par la main-d'oeuvre indienne qui en fait ne s'y intéresse pas beaucoup ; elle travaille très irrégulièrement et préfère se consacrer à l'artisanat. La question indigène, l'"intégration" ou la "désintégration" de la population indienne suivant le sens que l'on veut donner à ces termes, est avivée dans l'Araguaia par l'hostilité que manifestent les caboclos à l'égard des Indiens et par l'absence totale de collaboration avec les cadres de la FUNAI.
163Pour ne pas laisser toutes ces situations de conflits latents se développer, pendant la phase de transition actuelle, les pouvoirs ont besoin de l'armée donnant à tous l'impression d'apporter une certaine sécurité, elle peut parfois arbitrer des conflits et son assistance sociale (transports de malades, de médicaments, assistance de tout genre) est la seule présente et efficace. Ainsi l'Armée a très bien su convaincre de la nécessité de sa présence.
164Dans les régions d'implantation accélérée d'entreprises d'élevage - nous voulons parler de l'Araguaia surtout - où les conflits pouvaient prendre des proportions graves, le Gouvernement fédéral a dû jouer un jeu subtil de maintien de l'équilibre. D'une part, il contribue à stimuler le développement économique des entreprises agropastorales qui, de leur côté, renforcent et étendent leur pouvoir et, dans une certaine mesure, leur désir d'autonomie ; ce qui n'empêche pas de réitérer les professions de foi au Gouvernement que proclame sans cesse l'Association des Eleveurs d'Amazonie ; d'autre part, le Gouvernement tente d'apporter une assistance technique (présence à São Felix depuis un an, de deux techniciens de l'ACARMAT, chargés de donner des cours agricoles), sanitaire (création d'un hopital), éducative (envoi d'un instituteur jeune, dynamique et dévoué), et d'organiser les posseiros, medieiros, parceiros, etc… dans une fédération syndicale des travailleurs ruraux, une des premières qui serait créée en Amazonie matogrossenne. 24
Les conflits de terre
"terra a onde chega o boi, nao fica o homen”
Nilo Peçanha
165L'implantation des compagnies agro-pastorales entraîne, comme on l'a vu, des chocs souvent violents entre celles-ci et les petits paysans, les posseiros.
166SUDAM, qui reconnaît cinq classes de travailleurs ruraux en Amazonie, donne une définition des posseiros.
"Il s'agit d'hommes qui exploitent librement la terre de façon gratuite, avec ou sans connaissance du propriétaire, que celui-ci soit l'Etat ou un particulier. La grande masse territoriale de l'Amazonie permet la survivance de ce type d'homme auquel la terre apparaît comme un don de la nature, sans restriction sociale et pour laquelle l'utilisation dispense d'un titre de propriété ou d'une simple autorisation de travail".25
167A défaut de statistiques bien assurées, on peut indiquer quelques chiffres les concernant mais sous toutes réserves.
168Les recensements effectués entre 1940 et 1950 accusaient un passage de 13 à 24 % d'occupants dans la région nord par rapport à la population totale. Tout indique que cette proportion a maintenant augmenté. D'autres sources d'informations avancent le chiffre de 730 000 posseiros en 1970 (exploitant au maximum 50 hectares). Les régions qui ont été les plus transformées au cours des dernières années sont également celles qui ont le plus de posseiros (et le plus de conflits) : le Goiàs dont 4 179 949 hectares sont occupés par des posseiros ; le Mato Grosso avec 2 274 000 hectares ; puis l'Acre et le Para, mais pour lesquels nous n'avons pas de données. Ce sont les zones les plus fertiles en conflits sociaux et celles où se concentrent tous les projets d'élevage de la SUDAM.
169Le Projet Foncier donne aussi quelques indications : il a distribué en 1974 20 000 titres de posse, régularisant ainsi la situation de près de 120 000 personnes. Les prévisions pour l'année 1975 étaient de distribuer 50 000 titres. Ceci pour l'Amazonie légale exclusivement.26
170Nous avons déjà indiqué que les régions découvertes par les compagnies d'élevage depuis une dizaine d'années n'étaient pas des terres inhabitées mais déjà colonisées par un lent processus qui avait commencé au début du siècle. Cette avance du front pionnier s'était accélérée dans les années 60 avec l'ouverture de la BR-80 et l'expulsion des posseiros vers des terres plus libres. Ce sont ces posseiros partis plus loin auxquels se sont heurtées les compagnies d'élevage dès leur arrivée, à partir de 1966.
171Comment parvint-on à la situation conflictuelle ?
172Lorqu'un groupe décide d'investir dans l'élevage et par conséquent d'acquérir des terres, il doit en faire la demande au Secrétariat des Terres, dans chaque Etat. Après étude du Plan Cadastral et prenant en considération certains facteurs écologiques, aquatiques, pédologiques, etc… (sans oublier l'infrastructure terrestre), il fait en avion une reconnaissance du terrain, au cours de laquelle il doit s'assurer que l'aire choisie ne possède pas d'occupants non déclarés. Cette condition étant bien remplie, il peut alors présenter son projet d'achat de terre au Secrétariat. Celui-ci ne donnera son accord qu'après vérification des faits. Or, il se trouve qu'arrivant sur le terrain, l'entreprise rencontre immédiatement des difficultés avec les habitants de sa propriété, habitants supposés absents. Deux raisons sont invoquées pour expliquer ce phénomène selon que l'on s'adresse aux entreprises ou aux posseiros.
173- Pour les fazendeiros et les administrateurs, les migrants apprenant l'achat de certains lots de terre par des particuliers, s'y installent et entreprennent une roça. La loi prévoit en effet l'indemnisation du posseiro qui peut prouver qu'il est installé sur une terre depuis au moins un an et un jour. On voit bien ce qui attire le pionnier puisque dans ce cas le propriétaire devra effectivement payer le beneficiamento à l'occupant pour qu'il décampe.
174- La version des faits présentée par les posseiros est, on s'en doute, très différente. Selon eux, l'entreprise choisit de préférence les terres déjà attaquées par les défrichements et les petites cultures des posseiros, avec l'intention de profiter de ces premières ouvertures dans le manteau forestier. L'entreprise "oublie" d'en faire mention au Secrétariat des Terres, dont le personnel va rarement sur place ou bien n'est pas insensible aux avantages qui lui sont offerts.
175Il est loin d'être certain que les entreprises ont intérêt à préférer les espaces déjà occupés par les posseiros. En effet, le déboisement d'un petit agriculteur n'excède pas cinq hectares, ce qui multiplié par 10 ou même 20 occupants n'a guère de sens en face des 2 000 ou 3 000 hectares que l'entreprise a l'intention de déboiser la première année selon le projet qu'elle a présenté à la SUDAM. Il serait plus exact de dire que l'avance du front d'élevage "pousse en avant" la petite agriculture qui elle-même ne s'installe pas n'importe où, mais répond à certains facteurs géographiques et dépend de l'infrastructure. Elle a en somme les mêmes contraintes que la grande entreprise d'élevage. Quand celle-ci arrive, elle ne tient pas compte de la présence d'anciens occupants, examinant seulement les facilités d'implantation. Elle "oublie" alors de manifester la présence des posseiros avec lesquels elle essaiera de traiter directement, soit en les expulsant, soit en les indemnisant.
176Actuellement et dans la région que nous avons traversée, les posseiros sont expulsés après une indemnisation qui ne dépasse jamais 700 cruzeiros pour une roça d'environ 5 hectares. Il n'en a pas toujours été ainsi, et dans certaines régions les heurts sont encore violents. Le gérant de l'exploitation qui s'installe vient avertir les posseiros qu'ils sont illégalement installés sur une propriété privée et les somme de quitter les lieux sous un certain délai. Si ceuxci n'obéissent pas (ce qui semble souvent être le cas malgré la promesse d'indemnisation), l'administrateur revient avec la police ou ses propres hommes armés. Lorsque les occupants résistent, on en vient vite à la violence. Le bétail de la fazenda est envoyé sur les plantations et les cultures et les habitations sont incendiées… quand ÏT n'y a pas de sévices corporels. Après quoi, la plupart préfèrent émigrer. Selon la situation géographique, ils informent ou non les autorités locales.
177Dans notre région où le taux de syndicalisation est assez élevé, le syndicat des travailleurs ruraux intervient auprès de la justice locale en faveur de l'indemnisation, au risque de se heurter à l'opposition de la police locale et au préfet (le maire).
Quelques cas de conflits
178Le premier conflit que nous allons présenter est celui de Floresta, une communauté de posseiros, dans le municipe de Conceição.
179Floresta est née de l'immigration massive de tous les pionniers de Redenção quand celle-ci commença à vendre ses lots d'habitation. Les posseiros se dispersèrent alors dans la région, autour de nombreux hameaux installés depuis parfois 50 ans. Ceci causait quelques problèmes avec les fazendas voisines qui fonctionnaient depuis de nombreuses années. Cette masse de gens mobiles et les tensions qu'elle pouvait créer incita le Secrétariat des Terres, sur l'initiative du Prélat de Conceiçao, à octroyer 23 glebas (soit une superficie de près de 100 000 hectares) aux posseiros. Précisons que les paysans ne recevaient pas un titre individuel de propriété mais seulement un titre global de posse qui était donné indépendamment de la composition et du nombre de résidents. La communauté était mise sous la responsabilité de l'évêché. Les seules contraintes étaient l'enregistrement de chaque famille auprès du responsable et la limite de 50 hectares par famille. Une autre clause interdisait la coupe des bois précieux à fins commerciales.
180Sous l'impulsion du syndicat de Conceição et en même temps que celui de Redençao, un syndicat avait été créé qui devait se charger de l'administration de la communauté.
181Floresta commença d'exister en 1970 et l'intervention du Secrétariat des Terres date de 1972, le journal officiel du 4 avril 1974 ayant fait paraître l'acte définitif.
182L'emplacement fut choisi dans une région de savanes et de forêts ouvertes, bien adaptée à de petites exploitations et que semblent dédaigner les grandes entreprises qui préfèrent la grande forêt.
183Des problèmes surgirent dès juillet 1973 avec les fazendas voisines. La colonie est entourée de 5 grandes propriétés ; celles-ci coordonnent leurs effets, revendiquant chacune 4 à 5 glebas. (Il s'agit probablement d'une société qui essaie de se constituer). Elles utilisèrent les méthodes classiques d'intimidation : destruction des cultures par le bétail, menaces verbales, surveillance des posseiros par des hommes armés, etc… En septembre 1974, elles organisent à Redençao sur le Forum municipal une réunion afin de dénoncer l'occupation de leurs terres par les paysans de Floresta. Le véritable propriétaire serait Dalva Rodriguez de Cunha, de la fazenda Agropecus ; on apprend par d'autres sources qu'il possède 140 glebas dans la région. Les deux syndicats interviennent alors auprès du Secrétariat des Terres qui répond ne pouvoir donner d'assurance aux colons que pour cinq glebas, le reste étant mis à l'étude.Dix-huit seraient en litige ou du moins auraient des titres qui pourraient bien appartenir aux fazendas.
184Fin septembre, les deux syndicats décidèrent de recourir directement à l'INCRA. Pour eux, l'aire litigieuse dépend du Projet Foncier de Sao Geraldo qui devrait pouvoir appliquer une expropriation pour''intérêt public" et distribuer les titres de propriété, ce qui stabiliserait peut-être les colons.
185Devant l'inefficacité de l'INCRA local, les syndicats prirent directement contact avec le Président de l'INCRA à Brasilia, afin de dénoncer les faits, mettant l'accent sur la violation des droits accordés par le ministère de l'Agriculture. Vers le mois d'octobre 1974, au moment où nous quittions la région aucune réponse n'était parvenue et une délégation de posseiros dirigée par le président du syndicat de Conceiçao s'apprêtait à partir pour Brasilia.
186Nous devons préciser que le conflit fut pris en charge par le syndicat de Conceiçao, celui de Floresta se chargeant surtout des problèmes domestiques, à savoir l'organisation de la vie communautaire, les conflits entre les posseiros et leur arbitrage, le respect des principes de base de la colonie.
187Ainsi surgissent de nombreux conflits au sujet des clôtures, de la coupe des arbres, de la spéculation sur les cultures et de la valorisation des lots, de la mobilité des travailleurs, de l'arrivée quasi-journalière de nouvelles familles (en moyenne trois par semaine). Ces conflits internes prennent une acuité particulière du fait que le bureau directeur est composé en grande partie de commerçants (de par l'obligation de savoir au moins écrire son nom) qui soutiennent les fazendas.
188A l'exemple de Floresta, on peut en joindre d'autres :
La fazenda Suçuapara, près de Barreira do Campo, découvrit sur ces terres 5 familles de posseiros : il n'y eut pas de heurts. Elle embaucha une famille et indemnisa les autres au coût moyen de 700 cruzeiros par roça, qui émigrèrent. Probablement, ces familles étaient-elles installées là depuis de nombreuses années à en juger par l'état des plantations. Les négociations se firent sans avoir recours à la Justice locale qui siège à 200 km de là, sans liaison routière.
La fazenda Volkswagen fut très silencieuse à cet égard. A l'en croire, les posseiros s'installent sur des lots afin d'être expulsés après indemnisation, et ont connaissance des lots en transaction. Elle prétend ne pas en avoir eu, ce qui semble très improbable, mais nous n'avons aucune information.
La raison invoquée par la Volkswagen semble avoir joué dans le cas de la fazenda Piquia, près de Redençao, qui connut un grand afflux de posseiros au moment de son installation. Ce qui causa d'assez grandes violences de part et d'autre jusqu'à l'incendie de la grange à semences, ce qui explique peut-être l'intervention du syndicat et l'indemnisation de tous les posseiros.
La fazenda Bradesco27 a usé d'une certaine férocité envers les occupants de ses terres installés dans la région depuis de nombreuses années ; au moment de la mise en place de la fazenda, elle a utilisé des hommes armés et la police locale ; l'opération se serait soldée par plusieurs morts. Avec l'arrivée du syndicat de Conceiçao, l'exploitation a été menée devant la Justice locale et les posseiros ont été transférés dans des projets de colonisation voisins ou sur la Transamazonienne.
Rappelons brièvement le problème de la "Codeara". Située dans le nord du Mato Grosso et projet de la SUDAM dès 1966, la Companhia do Desenvolvimento do Araguaia s'installa à Santa Teresinha. Elle s'affirmait propriétaire de l'aire rurale comme de l'aire urbaine du povoado et voulait expulser les posseiros de ses terres, soit environ 1000 personnes. Les paysans refusant les indemnisations, la Compagnie passa à la violence (destruction des plantations, castration du bétail, menaces d'hommes armés…).
189Le prêtre du village intervint alors en faveur des paysans. Il porta problème devant le gouvernement : en 1967, le Président de la République, le général Costa e Silva ordonna l'expropriation du terrain en faveur des agriculteurs. L'IBRA28 se déclara incompétent. Les luttes reprirent et en mai 1970, la CODERA fit don de plus de 5000 hectares aux posseiros, à répartir entre 100 familles. (La propriété est de 196 507 hectares).
190Deux ans plus tard, un décret du ministère de l'Agriculture créait une zone urbaine de 211,78 hectares. Ce décret faisait suite à une attaque des bâtiments sociaux de Santa Teresinha par les hommes armés de la CODEARA aidés de la police, auxquels la population avait répondu à coups de feu. Le problème n'est pas réglé puisque l'entreprise construit un immeuble au milieu de l'avenue principale.
191Tout au long du conflit, le mouvement ne reçut aucun soutien institutionnel local ; il semble bien, notamment, que la Préfecture et la police aient porté leur aide à la Compagnie d'élevage. Plusieurs paysans furent emprisonnés et le prêtre expulsé.
192Le conflit se situait d'ailleurs à un autre niveau : entre les ministères de l'Intérieur par l'intermédiaire de la SUDAM et de l'Agriculture par celui de l'INCRA. Le premier soutenant la CODEARA et l'autre essayant (sans beaucoup d'efficacité) de faire respecter les décisions et d'arbitrer les conflits.
193- La fazenda Granja S/A à Campo Grande, en octobre 1974 : 11 familles résidentes dans l'aire refusèrent malgré l'ordre de la 18e Vara Civil d'abandonner leurs terres. Elles accusaient le propriétaire de déborder les limites de ses terres et de s'approprier illégalement les exploitations des posseiros. Deux d'entre eux eurent leur maison détruite par des tracteurs. D'autres résidences furent brûlées ainsi que les plantations, ceci avec l'aide de la 35e DD. Ces attaques eurent lieu devant l'obstination des posseiros à refuser l'indemnisation pour quitter les lieux. Certains accepteront après "discussion” avec le personnel administratif de la Granja : l'un reçut 420 francs, l'autre 100 pour les résidences et les plantations. Les posseiros eurent alors recours à la Justice qui leur donna raison. Mais la police ne tint pas compte des ordres et menaça d'emprisonner les paysans.
194Les titres de quelques uns de ces posseiros avaient été validés par l'INCRA qui, à notre connaissance, n'intervint pas. Le problème resta pendant dans les bureaux de la Justice.
195- Début août 1972, un groupe de posseiros expulsés de la fazenda Jacaré à Impératriz, se présenta à Brasilia. Ils travaillaient dans la région depuis cinq ans : lors de la vente des terres à un entrepreneur du sud, ils furent expulsés sans indemnisation, sous prétexte que les cultures qu'ils avaient faites n'avaient aucune valeur. Ils allèrent alors à l'INCRA de Brasilia qui les renvoya à Impératriz qui s'en déchargea sur Brasilia. Le problème est en attente là encore.
Moyens institutionnels de gérer les conflits
196Comment les conflits sont-ils pris en charge par l'Etat ?
197L'une des principales revendications des investisseurs du Centre-Sud est en effet que le gouvernement règle définitivement le problème foncier.
198Pour les entreprises, les heurts fréquents entre posseiros et fazendas ont l'inconvénient de retarder leur mise en place et les mettent parfois dans une situation inconfortable. C'est dans ces termes d'ailleurs que M. Paulinelli, alors ministre de l'Agriculture, annonçait comme de première urgence la titularisation des terres, "la paix sociale étant un facteur indispensable au développement."
199Afin de régler définitivement le problème, le ministère de l'Agriculture s'est donné un nouveau moyen : le Projet Foncier.
200En 1971 le décret du 1er avril donne à l'Union les terres situées 100 km de part et d'autre des routes fédérales en Amazonie, ainsi que celles situées dans une bande de 150 km de profondeur, le long des frontières. Furent alors mises en place 7 commissions de discrimination des terres dévolues. Devant l'ampleur de la tâche, 18 Projets Fonciers ont été créés29 pour régler des questions de terres. Pour chacun, la discrimination de la zone se fait en trois étapes :
l'annonce de la future discrimination est faite par tous les moyens d'information de façon à ce que les résidents se fassent connaître, présentant au siège de l'INCRA leur titre de propriété ou de posse. Cette première démarche s'accompagne d'un relevé chez les notaires de tous les titres émis et de la vérification de leur validité auprès du Secrétariat des Terres. Il peut aussi exister des titres d'aforamento : c'est le cas de nombreux castanhais. Il s'agit d'un bail accordé pour un temps limité mais qui peut être perpétuel.
une équipe de topographes vérifie ensuite sur le terrain s'il y a correspondance entre les titres et leur mise en valeur et fait le relevé des occupants qui ne se sont pas manifestés.
la dernière étape est celle de l'établissement d'un cadastre.
201Un titre de posse est validé si la terre a été mise en valeur. Son occupant reçoit un titre de propriété gratuitement si la superficie ne dépasse pas 100 hectares. Au-delà il doit payer de 50 à 97 cruzeiros l'hectare. De 500 à 3000 hectares, il faut présenter un projet d'exploitation. Le module maximum est de 3000 hectares. Il peut être élargi avec l'autorisation du Sénat. Il suffit en effet qu'une société qui décide d'acheter plusieurs modules présente un projet par module, chaque fois à un nom différent, par exemple ceux des actionnaires.
202Le Projet peut avoir recours à des désappropriations en cas de litiges : pour intérêt social ou pour utilité publique.
intérêt social : désappropriation d'un bien pour servir à tous au moyen d'une indemnisation en argent.
utilité publique : privatif de l'Union quand un bien est désapproprié pour servir à quelques-uns : l'indemnisation se fait en donnant des titres de terre.
203Les Projets qui fonctionnent le mieux, selon l'INCRA, sont ceux de : Araguaina et Impératriz sur la Belem-Brasilia (zones d'intenses migrations) Altamira et Marabà sur la Trans-Amazonienne (deux points de colonisation officielle qui ont entraîné une très forte migration spontanée) - Cuiabà, Caceres et Corumba dans le Mato Grosso (zone de la spéculation immobilière la plus forte) - les territoires de Rondonia et de Boa Vista où les titres de propriété n'existent pas.
204En fait, Altamira fut la seule désappropriation en Amazonie jusqu'en décembre 1974. La Police et l'Armée exercent elles aussi des fonctions d'arbitrage dans les conflits de terre.
205La Police est restée longtemps (et reste encore dans certaines petites bourgades) très corruptible. Ces dernières années, dans la vallée d'Araguaia, le Gouvernement s'est attaché à assainir le personnel et à améliorer la surveillance politique de la région. La faiblesse des salaires et l'analphabétisme de beaucoup expliquent la facilité qu'avaient les entreprises à se faire aider dans les expulsions par certains membres de la police. Ce qui semble être devenu bien plus difficile, du moins à Maraba et à Conceiçao.
206L'Armée assume elle aussi un rôle important dans la région. Par une action socio-médicale dans les zones de tension où ce rôle était rempli par les congrégations religieuses dont on préfère limiter l'action. Par une plus grande présence militaire. C'est dans ce but qu'une rencontre a eu lieu en juin 1974 entre le ministre de l'Intérieur, Rangel Reis et le général Silvio Frota, chef de l'Etat-Major de Forces Armées. Le premier qui rentrait alors d'un voyage au Para et se référait à la région de Conceiçao, suggérait au second d'envoyer les troupes dans les régions en litige. Le ministre des Armées refusa, soucieux qu'il était de ne pas heurter l'opinion publique. La solution fut de renforcer les pouvoirs du Gouverneur et de lui fournir les moyens financiers pour entretenir des détachements de sécurité dans les secteurs litigieux. On pensait ainsi suppléer aux déficiences de la Justice locale.
207Pour ce qui se rapporte au rôle des syndicats, un exemple est fourni par celui de Conceiçao.
208Créé en 1972 et reconnu en 1974, son origine est liée aux nombreux conflits qui éclatèrent entre posseiros et fazendas après 1966, dans toute la région, la compagnie la plus remarquable ayant été celle de Bradesco. Cette dernière est installée aux portes mêmes de Conceiçao, en concentration de posseiros. Les heurts furent très violents et les petits exploitants de la région comprirent la nécessité de se donner un instrument institutionnel pour défendre ce qu'ils appelaient leurs droits, sachant l'absence d'assistance de la part de la Justice, de la Police ou de tout autre autorité locale.
209Bien structuré et organisé, le syndicat a pu s'affirmer en face des grandes sociétés. Son rôle principal est dans l'appui qu'il apporte à ses adhérents dans les conflits de terre. Il est beaucoup moins efficace lorsqu'il s'agit des travailleurs saisonniers essentiellement mobiles et soumis plus que d'autres aux lenteurs de la procédure judiciaire. Notons du reste qu'à peine 10 % du millier de syndiqués sont de simples manoeuvres.
210Rappelons que ce fut sous l'impulsion du syndicat de Conceiçao que deux autres se constituèrent à Redençao et à Floresta. Eux aussi ont pour tâche la défense des posseiros qui, s'ils obtiennent sans trop de mal une indemnisation, n'en doivent pas moins partir ailleurs, au moins dans la plupart des cas. Leur réinstallation est théoriquement prévue dans trois centres d'accueil qu'on hésite à qualifier de "colonies". L'action des autorités fédérales s'y limite à délivrer un titre global de "posse".
211Il reste à indiquer que le syndicat de Conceiçao procure à ses membres des avantages sociaux grâce à une convention passée avec le FUNRURAL : soins médicaux gratuits à l'hopital de Conceiçao, allocations vieillesse, etc…
4. - EBAUCHE D'UN PREMIER BILAN
212Alors que les entreprises agropastorales ont maintenant une existence de deux à sept ou huit ans, quelques questions et quelques constatations sur la réalisation des objectifs économiques s'imposent tant à la SUDAM et au Gouvernement fédéral qu'aux entrepreneurs eux-mêmes.
Objectifs
213Le choix économique de couvrir de boeufs l'Amazonie a été largement justifié dans les discours officiels par les besoins croissants du monde en protéines animales, par la faiblesse des stocks, par la consommation de plus en plus élevée des pays développés. Le développement du marché interne a ôté mis aussi en relief. Le Brésil qui compte en nombre de têtes (plus de 80 millions en 1973) le troisième troupeau bovin du monde, prétend parvenir à 105 millions en 1980 et à concurrencer l'Argentine dans quelques années, sur le plan de l'exportation ; et avant que la qualité de son troupeau ne se soit réellement améliorée, il compte développer l'exportation de viandes congelées.
214Or, en effet, bien que le pays ne parvienne pas encore à satisfaire sa consommation intérieure, la valeur de ses exportations en viande a plus que doublé entre 1970 et 1971 (15 788 000 dollars en 1970, 50 509 000 en 197230 ; puis le rythme de croissance a ralenti à partir de 1972, mais continue à se maintenir31.
215La zone contrôlée par la SUDAM ne participe encore que dans une faible mesure à cette production : en 1973, il n'y avait que cinq millions de têtes en Amazonie, dont près de trois concentrées dans l'Amazonie matogrossense où les effectifs augmentent d'environ 100 000 bêtes par an, notamment dans les municipes de Barra do Garças (Mato Grosso Est, région de l'Araguaia) et Barra do Bugres et Mato Grosso (frontière bolivienne). Le Mato Grosso qui, lui, subvient à ses besoins internes (le Sud et le Pantanal élèvent près de 12 millions de bovins) est capable d'exporter plus de 400 000 têtes par an, vers Sao Paulo surtout. Mais les éleveurs d'Amazonie visent le marché de Manaus, de Santarem et de Belem, et aussi celui de l'Europe et des Etats-Unis par la BR 163 (Cuiaba-Santarem) et l'Amazone, le marché du Pérou et du Japon par le Rondonia et l'Acre.
216Quant aux prévisions de production et d'exportation à long terme des projets de la SUDAM, elles sont assez difficiles à cerner réellement et s'avèrent un peu fantaisistes et imprécises suivant les sources de renseignements. En novembre 1973, les projets SUDAM comptaient un troupeau nouveau de 1 million 1/2 de têtes. Les prévisions à partir des entreprises existantes de plus de 15 000 hectares - c'est-à-dire sans inclure les fazendas qui ne sont pas des "projets", ni ceux qui seront approuvés dans les années suivantes - devraient s'élever à 5 millions de têtes en 1980, dont 500 000 commercialisables par an, soit 125 000 tonnes de viande destinée à alimenter une industrie tournée vers le marché interne ou pour l'exportation32. D'autres sources, un bureau d'étude de Goiania par exemple, estime qu'en 1980, les seules vallées du Tocantins et de l'Araguaia auront 10 millions de têtes, etc…
Le milieu naturel et le troupeau amazonien
217Comme on y a déjà fait allusion, les sols amazoniens sont fragiles, soumis à l'érosion et au lessivage. Leur entretien, même lorsqu'il s'agit d'élevage est délicat, lorsqu'on prévoit deux têtes de bétail par hectare, comme le font la plupart des projets. Par ailleurs, il existe une grande quantité de plantes nocives qui tuent sur les pacages naturels plus de 15 % du troupeau chaque année. Le nettoyage fréquent des pâturages oblige à avoir recours à une main-d'oeuvre temporaire pendant certaines périodes de l'année.33 Enfin, la nature sableuse de vastes espaces, en particulier dans l'Araguaia et dans le centre du Mato Grosso, retire au pacage artificiel beaucoup des sels minéraux indispensables aux animaux. Veiller à compenser les carences (en sel, calcium et iode) oblige à une organisation très rationnelle des déplacements du troupeau dans la fazenda.
218Les éleveurs "modernisés" d'Amazonie ont opté pour la plantation d'un pacage artificiel sur plus de la moitié de leurs terres défrichées : capim coloniâo, capim gordura, capim jaragua, que l'on tente actuellement d'implanter pour ses qualités de résistance qui doivent lui permettre de supporter effectivement deux bêtes par hectare, mais dont les exigences quant à la qualité des sols, sont plus élevées que pour le capim coloniâo.
219Le bétail traditionnel de l'Amazonie était le zébu. Sa résistance au climat et sa robustesse avait fait de lui l'animal privilégié des premières fazendas qui faisaient reposer sur la seule extension de leur superficie, la rentabilité de leur troupeau. Ne pouvant procéder sur leurs propres pâturages naturels à l'embouche, elles vendaient les animaux maigres dans le sud (Sao Paulo, Rio Grande do Sul, Parana) afin qu'ils soient engraissés et livrés à l'abattage. Cette méthode impliquait peu de frais mais également une rentabilité faible. Encore pratiquée dansde vastes zones d'élevage, notamment dans le Pantanal matogrossense, elle est mise en cause par les grandes entreprises qui envisagent de procéder elles-mêmes à l'embouche.
220Diverses options sont envisagées - toutes dépendantes finalement des possibilités de financement de l'entreprise - ; pour certains, il s'agit d'améliorer la productivité du zébu nelore34, en considérant que, s'il ne peut pas concurrencer les races européennes, il peut soit fournir le marché intérieur, soit fournir le marché de la viande congelée ou la matière première des produits industrialisés. Pour d'autres, en particulier pour les groupes qui ont de grands moyens financiers, il est préférable, grâce à leurs possibilités d'importation de bétail, d'installer des fermes expérimentales, des laboratoires d'insémination artificielle, etc…, de réaliser des croisements permettant l'implantation de races, peut-être plus délicates, mais aussi plus productives et compétitives sur le marché international, notamment européen.35
Types d'entreprises agropastorales
221Le bref exposé précédent permet de comprendre que l'on se trouve, en Amazonie, et en Amazonie matogrossense en particulier, en présence de trois types d'élevages (la SUDAM ne faisant la distinction qu'entre fazendas traditionnelles et fazendas en cours de modernisation) :
l'élevage traditionnel extensif, peu rentable et peu productif ;
les fazendas au pouvoir d'investissement médiocre ou moyen, qui se destinent surtout à, fournir le marché intérieur et à la vente aux frigorifiques locaux (Campo Grande, Cuiaba, Barra do Garças) ; à partir de capitaux individuels en général ;
les fazendas à grands moyens d'investissements qui visent une amélioration rapide des races et se destinent surtout au marché extérieur (frigorifiques propres ou grands frigorifiques de São Paulo et du Minas) ; il s'agit essentiellement des grands groupes brésiliens ou des entreprises industrielles étrangères.
222Cette typologie peut être illustrée par quelques exemples ; nous n'entrerons pas ici dans le détail de la comptabilité des projets, mais ces données permettront d'aborder le problème des difficultés auxquelles se heurtent actuellement les "petites” fazendas ou les "petits" projets.
223Ces fazendas sont des exemples-types comme il en existe des dizaines dans la frange pionnière (projets ACARMAT surtout, dont la surface est plus réduite, projets SUDAM plus au nord et plus vastes). Les prévisions de financement sont beaucoup plus élevées dans les projets SUDAM celles des recettes à peu près équivalentes, compte tenu de la taille des propriétés.
224D'autre part, dans le détail des projets, il n'est pas fait mention d'augmentation des salaires de la main-d'oeuvre de 1974 à 1980 :
Projet SUDAM : | Capataz | 1000 cruzeiros | x 13 |
Peão | 350 " | x 13 (12 à 19 peôes prévus pendant 5 ans) | |
Braçal | 300 " | (2 par an) |
225Les prévisions pour la constitution d'un troupeau dans les années à venir sont également statiques :
-Prix d’un taureau fin | 10 000 | cruzeiros |
d'une vache fine | 3 000 | " |
d'un taureau métis | 5 000 | " |
d'une vache métisse | 900 | " |
226Dans chaque cas il est prévu une amélioration du troupeau de race zébu, afin de diminuer la mortalité et une augmentation à peu près semblable du nombre de têtes commercialisables (15 à 20 % du troupeau).
227Or, les difficultés qu'abordent actuellement ces petits projets sont nombreuses surtout lorsqu'il s'agit de ceux qui sont situés loin des points de vente. Les causes de ces difficultés sont multiples :
les dépenses ne sont pas prévues correctement et tiennent peu compte de l'inflation ;
l'amélioration du troupeau implique un contrôle vétérinaire qui ne se fait pas dans beaucoup de cas ;
le processus administratif de déblocage de crédit est lent et les projets sont considérablement retardés par rapport aux prévisions (lenteur du système Proterra en particulier) ;
le contrôle des prix de vente imposés par le Gouvernement et les frigorifiques ne permet pas d'atteindre les bénéfices espérés.
228Plusieurs conséquences en résultent directement dont certaines restent au niveau de la "combine" tandis que d'autres sont plus graves :
difficultés de contrôle des projets ; on transfère le même troupeau d'un endroit à l'autre de la fazenda, afin de faire croire qu'il s'agit de troupeaux différents lorsque passent les contrôleurs ;
on a tendance à défricher toutes les terres de son exploitation malgré la réglementation de l'IBDF qui impose d'en conserver la moitié en forêt ;
des fonds sont détournés de leur objectif et investis dans l'achat de biens immobiliers à Sao Paulo ou autre part ;
mais surtout, la spéculation foncière a tendance à faire un retour en force : les achats et ventes de terres sont redevenus la meilleure source de profit dans le Mato Grosso. En 1970, on trouvait de la terre pour 18 cruzeiros l'hectare à Diamantino, elle atteint 1400 en 1974 et 2000 si elle est défrichée ; elle dépasse 1000 cruzeiros l'hectare dans l’Araguaia. Dans la vallée du Rio Teles Pires, des entrepreneurs immobiliers - marchands de biens par définition - achètent encore en 1974, des terres à 200 cruzeiros l'hectare et la revendent l'année suivante à 2000 par lot de 200 alqueires, après avoir défriché et construit une route. On estime par ailleurs que si l'on possède dix arbres de valeur sur une alqueire, le défrichement est remboursé (un arbre de valeur étant vendu 100 cruzeiros le m3). Ce même genre d'opération est d'ailleurs entrepris parfois par les Brésiliens en territoire bolivien (frontière de l'Acre).
229Enfin, les projets SUDAM eux-mêmes deviennent des produits commercialisables : on achète de la terre, on fait un projet ; lorsqu'il est approuvé, on le revend immédiatement. D'autres enfin, attendent plus simplement que le prix des terres augmente pour revendre sans avoir procédé au moindre investissement.
230En résumé, au niveau des fazendas traditionnelles et anciennes, on peut considérer qu'il y a profit médiocre mais investissements Faibles, avec comme seul moyen de production l'extension de la propriété. A terme, ce genre d'entreprise résistera sans doute mal à la concurrence. A un autre niveau, on trouve les petits projets trop optimistes qui se heurtent aux difficultés auxquelles nous venons de faire allusion.
Les grands projets
231Qu'en est-il des énormes projets ou des projets élaborés par des groupes qui ont fait entrer en ligne de compte, non seulement le bas prix de la terre mais les ressources de capital dont elles bénéficiaient en propre et les possibilités d'injection de capital qu'elles étaient capables de faire chaque année ?
232Voici deux exemples : Suia Missu (Liquifarm, elle-même dépendante de la société italienne Liquigaz, avec filiale au Brésil), et Arrosensal (groupe Camargo Correia, première entreprise de travaux publics du Brésil) ; une description très brève permet de constater que ces deux projets n'ont rien de commun avec les précédents.
233Suia Missu : 566 000 hectares de bonne terre sur la rive ouest du fleuve Araguaia, achetés en 1971 à la famille Ometto, pour 50 millions de cruzeiros, 40 000 hectares étaient déjà couverts de pacages artificiels qui supportaient 7 000 têtes de bovins et plus de 1000 km de routes étaient construits. La nouvelle fazenda est complétée par une autre plus petite, située dans l'Etat de São Paulo (2 500 hectares), qui constitue le centre expérimental chargé de procéder au croisement de races italiennes avec les races zébu locales, afin de les implanter à Suia Missu.
234Sur le plan exclusif de l'élevage, l'objectif est vaste : production, embouche, abattage, industrialisation et exportation ; toutes ces opérations étant prévues dans le circuit propre de la fazenda. Ce qui implique la construction d'un frigorifique, de petites usines de transformation, d'un port sur l'Araguaia, d'un champ d'aviation qui permette aux avions de transporter directement la viande depuis la fazenda jusqu'à l'Europe.
235Le projet est en marche : actuellement, il y a 50 000 têtes ; on en prévoit 152 000 en 1980 et 300 000 en 1990. Un frigorifique destiné à industrialiser 10 000 puis 40 000 tonnes de viande (1980) va commencer de fonctionner. Il aura la capacité de recevoir 150 000 têtes par an dont 80 000 de Suia Missu, les autres provenant des fazendas voisines (objectif à long terme : 300 000 têtes. Actuellement, Suia Missu exporte 20 000 tonnes par an directement vers l'Italie.
236Mais pour compléter le projet, une ville de 6000 habitants (Liquilandia) abritera les travailleurs des frigorifiques et des industries dérivées. En bref, il s'agit d'un petit pays, à l'intérieur d'un grand pays, à la rentabilité duquel ont veillé à la fois la FAO, préoccupée par le manque de protéines dans le monde et par la faiblesse des stocks, la SUDAM qui stimule et contrôle l'investissement privé, la société Liquifarm, éblouie par les besoins futurs en viande du Marché Commun européen. Il va sans dire que les investissements initiaux prévus dans le projet SUDAM de la Suia Missu paraissent bien faibles à côté de la réalité actuelle :
2377 878 000,00 cruzeiros de stimulants fiscaux
238et 4 427 826,00 cruzeiros de ressources propres
239soit :
24012 305 826 cruzeiros en 1967
241et 13 000 000 cruzeiros de ressources propres
242+ 39 000 000 de stimulants fiscaux
243soit 52 000 000 de cruzeiros en 1972, lors de la "reformulation".
244Ceci, alors que 500 millions de cruzeiros vont être affectés dans les années à venir aux trois projets : boeufs, frigorifiques, ville de Liquilandia (financement de la FAO : 10 millions de dollars, intervention de plusieurs banques privées internationales). Ce n'est pas par hasard que Liquifarm s'est installée dans la vallée de l'Araguaia : la présence dans les environs de quelques uns des plus grands et des plus solides projets SUDAM, assure à son frigorifique un fonctionnement à plein, pour les années futures. La main-d'oeuvre salariée qu'elle aura la possibilité de contrôler dans sa ville, l'exportation directe vers l'Europe, lui permettront par ailleurs de jouir à long terme, d'une grande autonomie.
245Pour le moment de tels exemples ne sont pas très nombreux, mais l'achat de 700 000 hectares par Mercedes, dans le Mato Grosso, laisse présager de l'importance que prendront les sociétés d'origine européenne dans l'avenir de la périphérie amazonienne (si l'on compare les prévisions d'exportations de la Suia Missu vers l'Europe et celles qui sont faites au niveau de toute l'Amazonie, celles de Suia Missu en représenteraient déjà plus du quart).
246Arrosensal (municipe de Nortelandia) : une des fermes modèles de l'Amazonie matogrossense, appartenant au groupe Camargo Correia. 68 787 hectares seulement, mais une organisation très évoluée ; 400 km de routes, usine électrique, poste météorologique, 34 737 têtes de bétail en 1974, 55 000 prévues. Une amélioration très nette du troupeau a déjà été entreprise : la mortalité n'est plus que de 2 %, le taux de fécondité de 88 % pour les Nelore, de 56 % pour les bovins dits "métis". Par ailleurs, la fazenda entretient une équipe de géologues qui étudient les ressources minières de la propriété, notamment les diamants.
247Ce cas est intéressant car, bien que l'étendue de la fazenda ne soit pas - toute proportion gardée - gigantesque, on a affaire à un projet techniquement très avancé. Ce résultat a été obtenu à quel prix ? Les chiffres suivants éclairent sur l'optimisme excessif de nombreux projets dont les ressources propres étaient insuffisantes et qui se trouvent actuellement confrontés à des difficultés. Dans le cas d'Arrosensal, la firme Camargo Correia a dû investir, en ressources propres, beaucoup plus qu'il n'était prévu initialement ; mais elle en avait les moyens :
2481ère étape ouverture de la fazenda
stimulants fiscaux | : | 8 587 575 | cruzeiros36 |
ressources propres | : | 2 862 525 | " |
autres ressources | : | 199 073 | " |
total | : | : 11 649 173 |
2492ème étape "reformulation"
ressources propres | : | 7 864 519 | cruzeiros |
stimulants fiscaux | : | 18 012 654 | " |
correction monétaire | 2 496 939 | " | |
total | : | : 28 373 939 |
250Dépenses réelles jusqu'en août 1974 :
ressources propres | : | 16 000 000 de | cruzeiros |
stimulants fiscaux | : | 18 012 654 | " |
correction monétaire | 2 496 766 | " | |
total | : | : 36 509 420 |
251Dans ce contexte, il paraît vraisemblable que l'on tendra à l'avenir, surtout dans certaines régions précises, à une concentration de plus en plus forte de plusieurs entreprises concurrentes. Un grand éleveur d'Amazonie disait sous forpe de boutade : "le Gouvernement devrait laisser cinq ou six grands entrepreneurs "capables" se partager l’Amazonie." Cette concentration est déjà amorcée dans la mesure où plusieurs fazendas se trouvent sous le contrôle d'un même groupe : un grand fazendero est à la fois PDG d'une, deux ou trois fazendas et membre du conseil d'administration ou actionnaire de plusieurs autres. Le circuit des personnes qui ont réellement du poids dans la mise en valeur de l'Amazonie matogrossense est finalement assez réduit et fait du nord du Mato Grosso un espace dépendant presqu'exclusivement de São-Paulo ; ceci ne signifiant pas d'ailleurs que, seuls les projets des grands groupes industriels soient destinés à subsister. Certaines riches familles d'éleveurs paulistes, installées en Amazonie, peuvent également soutenir la concurrence (certaines y possèdent plus d'un million d'hectares).
QUELQUES REFLEXIONS EN GUISE DE CONCLUSION
252La jeunesse des projets agro-pastoraux rend hasardeuse une conclusion générale. Mieux vaut se limiter à quelques réflexions sur la situation actuelle et sur les perspectives de l'économie.
Limite du rôle de la SUDAM
253Jusqu'en 1966, la SUDAM resta subordonnée à un Ministère Extraordinaire pour la Coordination des Organismes Régionaux. Ce ministère disposait d'un pouvoir faible mais suffisant pour limiter l'autonomie de la Superintendance.
254En 1967, elle fut absorbée par le ministère de l'Intérieur créé cette année là. Sous l'orbite de ce nouveau ministère bien structuré, elle perdit sa fonction coordinatrice et ne conserva plus qu'un rôle exécutif du Plan élaboré par d'autres instances.
255La SUDAM ne participait donc plus à la planification nationale, pas plus qu'elle ne pouvait intervenir dans la coordination des stimulants fiscaux en Amazonie.
256De nombreuses déficiences dans la coordination et l'exécution du travail ont amené de violentes critiques de la part des investisseurs.
257Les contrôleurs de l'organisme (vétérinaires, économistes et agronomes) doivent effectuer une visite annuelle dans chaque fazenda afin de permettre la libération d'une partie des incentivos fiscais. Ce contrôle devrait s'accompagner de directives techniques, mais d'énormes difficultés matérielles les acculent à un rôle purement comptable. Leur totale dépendance des moyens de transport de l'entreprise les empêche d'obtenir des informations sur le terrain et leur dossier ne peut reproduire que les données présentées par le personnel administratif de la fazenda.
258Le principal reproche adressé par les entreprises à la SUDAM était sans nul doute la lenteur des libérations. Un récent décret37 a modifié le système de captation des ressources, ce qui devrait d'une part diminuer les coûts de captation des stimulants fiscaux (qui absorbaient jusqu'à 20 % des ressources), d'autre part accélérer le processus de libération.
259Dans le domaine social, les techniciens n'ont aucune compétence ni directives pour traiter des problèmes de main-d'oeuvre ou des conflits de terre, ce qui provoque des heurts avec l'INCRA.
260Ces derniers mois, tout un débat s'est développé autour des "erreurs de la SUDAM". Absences d'orientation technique (dans les projets, les aspects financiers sont beaucoup plus étudiés que les aspects techniques), absence d'études de marchés, ce qui a peut-être provoqué le développement d'un élevage non assuré de ses débouchés sur le marché international.
261Pour essayer de trouver un remède aux difficultés, la SUDAM a décidé de se montrer plus exigeante sur la capacité financière des entreprises qui présentent un projet. Elle essaie aussi de se réhabiliter en participant à la planification et de se justifier par la présentation au sein du Plan, de tout un programme de soutien à l'élevage d'exportation.
Dynamisme des projets
262La simple visite des fazendas amène une première constatation : le retard par rapport aux projets et une certaine absence de dynamisme. Selon la SUDAM elle-même, en 1973, sur 314 projets d'élevage, 14 étaient caducs, 265 toujours en phase d'implantation et seulement 35 étaient considérés comme fonctionnant normalement.
263Les entreprises appliquent leurs investissements dans la mise en place de l'infrastructure, et à ce point de vue atteignent et parfois même dépassent les objectifs qu'elles se sont assignés. Ces objectifs une fois atteints, elles entrent dans une phase de stagnation et le bétail qu'elles amènent sur leurs terres n'est pas proportionné aux dépenses d'infrastructure. Cette paralysie peut n'être qu'une étape, en attendant l'amélioration de l'infrastructure routière ou l'installation d'un frigorifique, ce qui diminuerait les coûts de transport et permettrait à l'entreprise d'entrer dans une phase plus productive.
264Seules les exploitations d'une très grande capacité financière ont un rôle économique actif, commercialisant une partie du bétail au moins régionalement, et développant des activités annexes sur leurs terres.
Evolution actuelle
265Devant ce retard considérable des projets, la SUDAM, en 1973, a décidé d'être plus exigeante et de n'approuver que des implantations de compagnies agro-pastorales d'une capacité financière considérable. Aussi, voit-on apparaître des projets gigantesques dont certains, sans même rechercher les avantages fournis par la SUDAM, voulant échapper à sa tutelle et possédant des ressources propres suffisantes. Selon le bulletin des entrepreneurs en Amazonie, déjà 13 groupes brésiliens ou étrangers ont investi en 1973 en Amazonie, avec leurs ressources propres38.
266Ces sociétés auraient choisi leurs investissements après les excursions en Amazonie, organisées par le ministère de l'Intérieur et destinées aux entrepreneurs du Centre Sud "O sul vai ao Norte".
267Ce désir d'échapper au contrôle de la SUDAM des très grandes entreprises pour ne pas dire des firmes multi-nationales, se retrouve aussi dans les projets déjà installés, ces derniers reprochant à l'organe du MINTER un trop grand autoritarisme ainsi que sa rigidité administrative : interdiction de certains investissements, interdiction de commercialiser le bétail avant l'atteinte des objectifs, obligation d'effectuer 50 % du déboisement manuellement, etc… A cela s'ajoutent les lenteurs des libérations qui peuvent entraîner l'étranglement des petites et moyennes exploitations.
268D'autres facteurs expliquent le ralentissement du rythme des projets depuis 1970. Les stimulants fiscaux devenant plus rares sur le marché, leur coût est de plus en plus élevé. Ce qui oblige certaines entreprises à s'endetter dès le début auprès de la Banque du Brésil.
269Cette crise des stimulants fiscaux serait due, d'une part à la création du PIN et du PROTERRA, qui ont réduit de moitié le volume des stimulants disponibles. De plus, ces derniers ont connu une plus grande diversification avec la création de nouveaux programmes tels ceux de reboisement, de tourisme ou de pêche.
Commercialisation
270Bien peu d'entreprises SUDAM ont jusqu'à présent commencé à commercialiser leur bétail. Le marché régional reste en grande partie alimenté par des exploitations traditionnelles, à ressources propres ou bénéficiant de prêts bancaires.
271Ces entreprises vendent leurs bêtes sur pied à l'abatteur ou au marchand qui servira d'intermédiaire avec les grossistes. Plusieurs types d'abatteurs existent, mais le plus courant est celui qui se déplace avec son camion et vient directement chercher les bêtes à l'intérieur même de la fazenda. Vers Belem, environ 50 % du bétail est acheminé par voie routière et 50 % par voie fluviale.
272Les principales régions soumises au système de l'abatedor sont celles de Paragominas, de la Basse et de la Moyenne Amazonie, de Conceiçao et Santana do Araguaia dans le Para, de Barra do Garças dans le Mato Grosso ainsi que le Rondônia.
Origine du bétail | Centre consommateur |
Nord du Goiás | |
Santana et Conceiçao | Belem |
Maranhão | |
Basse Amazonie | Belem |
Boa Vista | |
Moyen Amazone Paraense | Manaus |
Nord du Mato Grosso | |
Barra do Garças | Goiania Aracatuba |
Perspectives d'emploi
273Reformulant toute la conception de l'occupation amazonienne, le ministre de l'Intérieur, Rangel Reis, dès le début de son mandat en mars 1974, défendait un développement basé sur l'utilisation des ressources naturelles, le facteur terre étant le meilleur marché.39 Et l'assesseur du ministre de l'Intérieur précisait :
"Notre finalité est l'occupation économique et non le peuplement de l'Amazonie. Dans ce processus l'intégration se basera plus sur le capital et la technologie que la maind'oeuvre.
" Raymundo NONATO de CERTRO
274A l'examen des avantages comparatifs, c'est l'élevage qui semble pouvoir jouer un rôle privilégié.
275Il faut bien remarquer qu'il engendre peu d'emplois, aussi bien dans l'immédiat que dans le futur, sauf s'il s'accompagne de la mise en place d'un frigorifique.
276L'enquête suivante effectuée par la SUDAM présente les perspectives d'emplois liées à la manutention du bétail en fonction du degré technologique de l'entreprise :
277Le nombre d'emplois fixes nécessaires au fonctionnement de l'entreprise est en effet très faible par rapport à la taille de l'exploitation. De 1966 à 1973, les 502 projets approuvés par la SUDAM ont créé théoriquement 53 119 emplois. Moins de 30 % sont imputables à l'élevage alors que celui-ci a capté près de 50 % des stimulants fiscaux.
278Toujours selon la SUDAM, en 1985, entre 20 000 et 25 000 emplois directs seront créés par les entreprises d'élevage amazoniennes : 27 % de ces emplois seront destinés aux techniciens, 34 % aux semi-spécialisés et 39 % aux manoeuvres.
279Ici se situe l'une des contradictions de ce choix économique : l'avance du front d'élevage va libérer la petite paysannerie mais celle-ci ne pourra être absorbée par l'élevage. Les entreprises préfèrent importer leur main-d'oeuvre de régions où traditionnellement l'élevage a été une activité importante. Autre conséquence : celle de l'augmentation du coût social de développement, d'où la nécessité d'associer des activités agro-industrielles à l'exploitation pastorale..
280Un contingent non négligeable de main-d'oeuvre saisonnière et sans qualification semble pour l'instant maintenu, mais en sera-t-il longtemps ainsi ? En octobre 1974, un séminaire organisé par les éleveurs d'Amazonie, sur le thème de la "Préparation des sols pour la formation des pâturages", concluait qu'il était nécessaire de déboiser et de préparer les sols mécaniquement, considérant entre autres "les coûts opérationnels inférieurs â ceux du processus manuel, variables d'une région à l'autre, en fonction de caractéristiques déterminées."
Le capital international et l'élevage amazonien
281Une première constatation s'impose : la faible participation du capital étranger dans l'élevage, la quasi absence de capitaux américains.
282Ces deux dernières années, les investissements européens dans ce domaine se sont intensifiés, principalement ceux venant de pays soumis à la crise qui touche le monde capitaliste, tels l'Italie et l'Allemagne, pour lesquels l'Amazonie peut jouer comme espace refuge, le Capital-Terre pouvant apparaître une valeur sûre.
La firme automobile Volkswagen a acheté 140 000 hectares de terres dans le municipe de Santana do Araguaia, avec l'intention de développer un troupeau de 100 000 bêtes et d'implanter un frigorifique en s'associant à d'autres firmes (peut-être Swift Armour). Son installation a causé une forte inflation des terres, par les débouchés offerts.
La Suia-Missu/Liquigaz dans le Mato Grosso.
La Mercedès dans le municipe de Diamantino, avec une superficie de près de 700 000 hectares (ce n'est pas un projet de la SUDAM).
La firme italienne Lancia-Fiat dans le Mato Grosso (projet).
La firme Swift Armour possède une fazenda à Paragominas et s'apprête à y installer un frigorifique.
La fazenda de la Volkswagen se propose d'en installer un, en accord avec King Ranch do Brasil situé à Paragominas.
283Nous pouvons signaler la présence de la plus grande propriété au Brésil, s'étendant sur une surface de un million et demi d'hectares au nord du Para, sur le fleuve Jari. Elle appartient au multi-millionnaire D.K. Ludwig et ses activités sont très diversifiées. Cette entreprise ne bénéficie pas des avantages de la SUDAM et est entièrement à capitaux américains. Toutefois et malgré quelques 20 000 bêtes, l'élevage est pour elle secondaire.
284Le gouvernement lui-même incite les étrangers à placer leurs capitaux dans l'élevage et ne met aucune limite à leur participation. Il fait valoir la stabilité politique et la sécurité des investissements qu'elle engendre. C'est probablement un des éléments importants qui expliquent ce "retour à la terre" des capitaux industriels européens.
RATIONALITE DES PROJETS ET PERSPECTIVES DE DEBOUCHES
285Il reste enfin à soulever la question des débouchés à laquelle nous n'apporterons pas de réponse précise. Précédemment, on a vu quelles sont les prévisions officielles des techniciens et des spécialistes du Gouvernement brésilien et des entreprises. Il est certain que le marché intérieur n'est pas entièrement satisfait, mais le pouvoir d'achat des populations est loin d'augmenter au même rythme que celui du coût de production des éleveurs. Des distorsions graves ont déjà eu lieu en 1974 et au début de 1975, qui ont été provisoirement résolues par l'importation de viande d'Uruguay.
286Par ailleurs, le principal marché extérieur visé par les entreprises d'élevage est le Marché Commun Européen, car les Etats-Unis imposent pour le moment trop d'exigences sur la qualité du bétail qu'ils importent : les animaux brésiliens peuvent avoir été atteints de maladie et sont donc exclus. En revanche, le Marché Commun Européen est réputé manquer de viande, notamment l'Allemagne et l'Italie. Ces deux pays importent depuis longtemps de la viande d'Argentine et ils ont ouvert leurs portes au Brésil. Ces perspectives d'exportations expliquent en partie l'intérêt des firmes allemandes et italiennes pour investir dans l'agro-industrie en Amazonie. Mais lorsqu'il s’agit des entreprises brésiliennes, l'optimisme officiel peut paraître moins justifié : dès 1969, alors qu'en Europe, on insistait sur le manque de viande et qu'on tentait d'en développer la production à l'intérieur de la Communauté en palliant l'insuffisance par l'importation, les pays latino-américains (surtout l'Argentine et l'Uruguay) se plaignaient déjà d'être des pourvoyeurs occasionnels qui répercutaient les à-coups de la demande globale d'importation, en fournissant de la viande considérée comme médiocre ou moyenne, autrement dit d’un faible rapport.
287En 1974, la situation de la CEE est différente ; la tendance à l'autosatisfaction de leurs besoins par les pays européens a été un des éléments dominants de la politique communautaire, la France excédentaire fournissant l'Italie déficitaire. Par ailleurs, les tarifs d'exportation vers la CEE ne sont guère favorables aux pays tiers et les pays de l'Est européen exercent une sorte de dumping qui porte également préjudice aux pays latino-américains Enfin l'Italie, principal client, a émis dans son plan de redressement, l'intention de diminuer ses importations de viande latino-américaine.
288Cette situation nouvelle n'a pas été sans inquiéter les éleveurs brésiliens et le Gouvernement : en décembre 1974, lors de la cinquième rencontre au niveau des ambassadeurs entre les Communautés européennes et les pays d'Amérique Latine, ces derniers ont rappelé les "graves préoccupations" que leur inspire en ce moment la situation des exportations de viande bovine vers la Communauté, actuellement suspendues, en soulignant les démarches qu'ils avaient effectuées à ce sujet. Ils ont insisté sur les dangers que représentent pour eux les tendances protectionnistes du marché européen40
289De telles préoccupations ne font pas l'objet d’une forte propagande dans les mass media spécialisées brésiliennes. Il n'en reste pas moins qu'elles existent et sont susceptibles d'affecter beaucoup plus les éleveurs brésiliens que les entreprises européennes installées au Brésil et vraisemblablement assurées pour le moment de leurs débouchés. D'une façon générale, si la presse brésilienne fait allusion à la situation difficile du marché de la viande dans la CEE, c'est pour conclure qu'il s'agit seulement d'une mauvaise période provisoire, qui ne tardera pas à se rétablir. Convient-il alors de se poser la question du danger d'une mono-production agricole ? Peut-être. Ou bien, à long terme, les très grandes entreprises visent-elles un autre objectif que le seul élevage du bétail ?
Annexe
GLOSSAIRE
ALQUEIRE Mesure de surface utilisée surtout dans l'Etat de Saint Paul ; 2,42 ha dans le Matto Grosso.
ARRENDATARIO Exploitant soumis à un système de fermage.
AVIAMENTO Système de crédit en chaîne qui entraîne l'endettement permanent des travailleurs du caoutchouc.
BANDEIRANTE Aventuriers paulistes dont les premiers partirent à la recherche de métaux précieux dans les terres vierges de l'intérieur du Brésil. Devenus des personnages héroïques de l'histoire brésilienne.
BENEFICIAMENTO Valeur estimée des benfeitorias : travaux réalisés, plus-value apportée par le défrichement et la construction de bâtiments.
BRACAL Travailleur saisonnier.
CABOCLO A l'origine, métis d'indien et de blanc ; employé actuellement pour toute la population amazonienne de souche relativement ancienne.
CAMPO CERRADO Zone de végétation secondaire composée d'arbustes rachitiques et de graminées.
CAMPO NATURAL Terme général pour désigner une zone de pâturage naturel.
CAPATAZ Chef d'équipe de vachers
CASTANHA DO PARA Noix du Brésil.
CASTANHAL Plantation de noyers du Brésil.
EMPREITEIRO Entrepreneur passant des contrats avec les grandes sociétés qui lui confient le recrutement de la main-d'oeuvre, la tâche de déboisement, etc…
FAZENDA Exploitation agricole ou d'élevage.
GARIMPEIRO Chercheur d'or ou de pierres précieuses. Peut travailler à son propre compte ou pour un patron.
GATO Terme populaire pour désigner le recruteur de main-d'oeuvre.
GRILEIRO Fabriquant de faux papiers qui permettent d'accéder illégalement à la terre.
GLEBA Superficie mise en adjudication pour la constitution de moyennes ou grandes exploitations.
MARETEIRO Terme local désignant un marchand ambulant de bestiaux.
MEDIEIRO Exploitant soumis au système de métayage.
PARCEIRO Exploitant qui jouit d'une part de revenu proportionnelle à son apport en capital ou en travail.
PARCERIA Forme de métayage.
PARTILHA Terme local ; retribution en nature de l'ouvrier prise sur la production.
POSSE Exploitation du posseiro.
POSSEIRO Petit exploitant sans lien juridique avec la terre.
POVOADO Hameau.
REGATÃO Corrmerçant navigateur ambulant.
ROCA Terrain qui vient d'être défriché.
SERINGAL Exploitation d'hévéas.
SERINGALISTA Patron d'une exploitation d'hévéas.
SERINGUEIRO Ramasseur de latex.
Notes de bas de page
1 Voir glossaire.
2 Piano de desenvolvimento urbano de Marabà-Analyse I-A formaçâo de Marabà, MINTER, 1973.
3 Sebastiâo ANDRADE, Commission Amazonienne de la Chambre des députés, 6.11.73, Archives de la Chambre.
4 Selon une information de Catharina VERGOLINA DIAS et Orlando VALVERDE, la spéculation commença avant l'ouverture de la route. Les lots étaient vendus en premier lieu à São Paulo, dans le Minas, le Parana et le sud du Goias, le nouveau propriétaire recevant un reçu de l'ancien. Il présentait alors ce reçu au Secrétariat des Terres à Belem pour que s'effectue le changement de nom de propriétaire. (Arodovia Belem-Brasilia, 1958).
5 Banque d'Amazonie.
6 DERMAT : Département des routes du Mato Grosso.-SUDECO : Superintendance du développement Centre Ouest.
7 Alliance de Rénovation Nationale, parti du Gouvernement.
8 Vaste zone marécageuse inondée annuellement par les eaux du fleuve Paraguay.
9 BARRETO MENNA, O problema das migraçoes setoriales do Brasil. Apostilado.
10 La Frontière avec le Paraguay a été définie en 1872, avec la Bolivie en 1903.
11 Je considère comme latifundio, la propriété rurale supérieure à 10 000 hectares ; je tenterai de promouvoir l'extinction progressive des latifundios, pour conditionner l'usage de la propriété au bien-être social", disait vers les années 50 le Gouverneur du Mato Grosso, Arnaldo ESTEVÃO DE FIGUEIREDO, membre de l'Alliance des Partis Socialdémocrate et Travailliste brésilien.
12 Malgré l'obligation théorique pour les acquéreurs d’aller "reconnaître" leurs terres, beaucoup d'entre eux ne le faisaient pas.
13 5 membres par famille en moyenne.
14 Les parceiros sont des sortes de métayers ; les arrendatarios des fermiers.
15 Sociétés privées de colonisations.
16 Nous ne parlerons pas ici d'un nouveau modèle dit"intégré" de colonisation privée lancée en 1974-75 par le groupe auquel appartient le président de l'Association des Eleveurs d'Amazonie et qui repose sur la juxtaposition planifiée de la zone de colonisation agricole divisée en petits lots, située au centre du territoire possédé par la société, et des zones d'élevage formées de plusieurs ensembles qui encerclent de tous côtés le noyau d'exploitation agricole. Ce modèle est intéressant si l'on se pose la question de son évolution dans le temps. Pour plus de détails, voir Ch. APESTEGUY et H. RIVIERE D'ARC, Nouvelles franges pionnières dans la périphérie amazonienne, à paraître dans Etudes Rurales fin 1976.
17 Il est prévu de favoriser maintenant d'autres zones comme la région de Manaus, l'Etat d'Acre, etc...
18 Ministerio do Interior - Sudam et Serete, S.A. Engenheria Estudos seterais e levantamento de dados da Amazonia. Nov. 1972, n° 2 (3).
19 Il est bien entendu que ceci est un modèle qui peut différer d'une entreprise à l'autre ; toutefois, ce schéma est souvent observé, son niveau de sophistication variant avec la taille, les ressources et la maturité du projet. Encore très peu d'entreprises emploient un médecin, un vétérinaire ou un ingénieur agronome, mais elles reçoivent leur assistance temporairement.
20 Le salaire minimum varie d’un état à l'autre. Dans le Para il était de 295 cruzeiros en octobre 1975. A titre d'exemple, les salaires moyens manuels sont de 550 cruzeiros pour les vachers, 700 cruzeiros pour les chefs de secteur et 1000 cruzeiros pour les contremaîtres.
21 Fond Rural, assurance sociale des travailleurs ruraux.
22 En 1974, le ministère du Travail prit la décision de délivrer des cartes provisoires de travail valables un an, mais par l'intermédiaire de la police. D’autre part, de nombreux postes de police ont été mis en place afin de contrôler l’arrivée des travailleurs ainsi que les contrats des entreprises.
23 Ces petits noyaux de population du nord'du Mato Grosso, apparus au cours du XXe siècle, sont constitués soit d'anciens seringueiros pratiquement inoccupés maintenant (Aripuana), soit de posseiros nordestins du Maranhão et du Ceará, venus au cours des années 1930-1950 (petites villes de l'Araguaia).
24 Aux dernières nouvelles (1975), ce projet a été abandonné.
25 "Sols d'Amazonie et conditionnants institutionnels de l'utilisation et de la propriété de la terre". MINTERSUDAM et SERETE S.A. engenheria. Etudes sectorielles et relevés de données en Amazonie, novembre 1972.
26 Auparavant, et dans le Brésil entier de 1963 jusqu'en 1973, on avait attribué 30 969 titres de terre ; mais le chiffre concerne aussi 5 projets hors d'Amazonie.
27 Banco Brasileiro de Desconto
28 Instituto Brasileiro de Reforma Agraria (antécédent de l'INCRA).
29 Liste des 18 Projets Fonciers : 1) Manaus (AM) 11) 2) Humaita (AM) 12) Diamantino (MT Z) Altamira (PA) 4) Maraba (PA) 5) São Geraldo (PA) 6) Amapà 7) Impêratriz (PA) 8) Paragominas (PA) 9) Bacabal (MA) 10) Araguaina (GO) Caceres (MT) 13) Cuiabà (MT) 14) Vale do Araguaia (MT) 15) Acre 16) Corumba (MT) 17) Rondonia 18) Boa Vista (PA‘)
30 Banque Française et Italienne pour l'Amérique du Sud. Rapport de conjoncture, 1972-1973.
31 Voici brièvement quelles sont les prévisions des experts brésiliens pour les années à venir : malgré la faible consommation par tête, 20 kg en 1962, 21 en 1972, la demande potentielle s'accroît de 7 % par an, tandis que le troupeau augmente de 3 %. Il faut donc pour pouvoir exporter que le Brésil augmente sa production de 10 %, afin que la demande interne soit également équilibrée. Si le pays parvient à 105 000 000 de têtes en 1980 et si ce troupeau présente les qualités de productivité qu’il n'a pas encore, la production sera de 2,7 millions de tonnes par an pour une consommation intérieure de 2,5 millions. 200 000 tonnes exportables resteront disponibles. Pour concurrencer l'Argentine qui exportait déjà 500 000 tonnes en 1972, il faudrait parvenir à une productivité par tête comparable à la moyenne mondiale (qui est plus élevée que celle du Brésil, mais très inférieure à celle de l'Europe. Cf. Negocios en Exame,, n° 73, sept. 1973). Cette augmentation de la productivité implique : l'abaissement de l'âge de l'abattage, la diminution de la mortalité, en particulier des veaux de moins de un an, l'augmentation de la fécondité et la diminution des avortements spontanés, la disparition des maladies, l'augmentation de la viande disponible et sa qualité par animal, etc... En réalité, les exploitations brésiliennes ont déjà atteint 150 000 tonnes en 1972, tandis que la production ne satisfait pas la consommation intérieure qui est en partie compensée par des importations de viande d'Uruguay.
32 Cf. Colonel MILTON CAMARA SENNA. SUDAM. Notons par ailleurs, que la Suia Missu, à elle seule, prévoit d'exporter en 1980, plus de 40 000 tonnes de viande par an.
33 Certaines entreprises, la CODEARA par exemple, a un projet de mécanisation du nettoyage.
34 Race zébu importée de l'Inde, qui domine en Amazonie.
35 Les données suivantes permettent de se faire une idée de la médiocre qualité du bétail amazonien :
- possibilités de commercialisation annuelle du troupeau amazonien : 10 % ; (Europe 40 %).
- taux de natalité : 60 % (Europe : 90 %)
- âge d'abattage : 4 ans (Europe : 2 ans)
- en outre, forte mortalité due aux maladies, fort taux d'avortement spontané dû à l'alimentation, etc...
- utilisation réelle d'un zébu : 20 %, d'un animal européen : 45 %.
36 Cf. article de Michel FOUCHER.
37 Décret-Loi n° 1376 du 12 décembre 1974.
38 Dans te cas d'entreprises brésiliennes moyennes, on peut avancer une autre explication, avec certaines précautions : des entreprises qui s'installent en Amazonie sans capacité financière suffisante, n'ont pas de possibilités de mettre leurs terres en valeur et se livrent à la spéculation. Ce pourquoi elles fuient un contrôle trop strict de la part de l'Etat.
39 Voir à ce sujet Michel FOUCHER.
40 Conférence entre les Communautés européennes et les pays d'Amérique Latine membres de la Commission spéciale de coordination latino-américaine (CECLA), Communiqué de Presse, Bruxelles, 6 décembre 1974.
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