Énergie électrique et industrialisation en Amérique Latine
p. 125-127
Texte intégral
I. — DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION ÉLECTRIQUE ET INTERVENTION DE L’ÉTAT
1C'est surtout à partir des années 50, que les gouvernements latino-américains sont devenus conscients que le manque d'énergie électrique constituait l'un des principaux obstacles à la politique de croissance industrielle, qu'ils désiraient lancer. En effet, les petites compagnies privées nationales et les sociétés étrangères (en majorité américaines et canadiennes) productrices d'électricité étaient absolument incapables d'assurer un développement rapide de la production pour des raisons diverses (manque de moyens financiers pour les unes, timidité des investissements et crainte de nationalisations pour les autres). En conséquence, les gouvernements centraux (ou ceux des Etats ou des Provinces, par exemple au Brésil et en Argentine) ont développé les attributions de leurs "Départements des Eaux et Energie Electrique" ou créé des "Commissions", des sociétés d'économie mixte et des organismes publics, chargés de préparer et d'exécuter les Plans d'électrification, de réaliser l'interconnexion au stade régional et national. Cette intégration nationale plus efficace, provoque évidemment l'absorption des microproducteurs et autoproducteurs, tandis que les grandes sociétés privées peuvent subsister, intégrées dans le système (ainsi le groupe Light au Brésil, et Electricidad de Caracas au Venezuela).
2Cet effort a été précoce dans certains pays et très tardif dans d'autres : ainsi les précurseurs ont été au plan national : le Mexique avec la création de la C.F.E. (Commission Fédérale d'Electricité) et le Chili avec la ENDESA (Entreprise nationale d'Electricité S.A.) en 1944, et au plan régional, le Brésil avec la création en 1945 par le Gouvernement Fédéral, de la C.H.E.S.F. (Compagnie hydroélectrique du Sao Francisco), et dans le Rio Grande du Sud, de la C.E.E.E. (Commission Estaduale d'Energie Electrique), puis en 1952 dans le Minas Gerais, de la C.E.M.I.G. (Centrales Electriques de Minas Gerais) ; également la Colombie, avec la constitution en 1954 de la C.V.C. (Corporation autonome régionale de la Vallée du Cauca). Au plan national, au Venezuela la CADAFE (Compania Anónima de Administración y Fomento Eléctrico) date de 1959, et au Brésil, l'Electrobras a été créée en 1961. Par contre, en Equateur, 1'I.N.E.C.E.L. (Institut Equatorien d'Electrification) et au Pérou, 1'Electroperu, n'ont été créés qu'en 1970 et 1972.
3L'examen du tableau 1 montre le développement de la production électrique en Amérique du Sud et au Mexique, de 1954 à 1971 : l'augmentation de la production totale a été de 327,8 %, mais la forte croissance démographique a annulé une partie des efforts accomplis. Si l'on s'en tient à la production per capita, l'augmentation n'a été que de 164 % et le quotient atteint en 1971 est encore très faible : 619 Kwh par habitant, par rapport à celui des pays industriels ou même par rapport à celui de pays méditerranéens encore peu industrialisés, comme la Grèce : 1060 Kwh. En prenant ce même indicateur, il apparaît que le classement des différents pays en 1954 et en 1971 est sensiblement le même, sauf pour le haut du tableau ; en effet, le Chili et l'Uruguay, qui occupaient en 1954 la 1ère et la 2ème places, sont relégués à la 3ème en 1971, tandis que le Venezuela, qui occupait la 4ème place, se hisse au premier rang en 1971, avec un quotient 5 fois plus élevé (mais encore inférieur à celui de l'Espagne, par exemple : 1760 Kwh) ; le quotient chilien n'a augmenté que de 53 %. On retrouve le Mexique et le Brésil légèrement en-dessus et en-dessous de la moyenne régionale, et en bas du tableau, toujours très en retard, la Bolivie, l'Equateur et le Paraguay. En fait, ce classement reproduit assez fidèlement celui du P N B par tête à la même date.
II. — CONSOMMATION D’ÉNERGIE ÉLECTRIQUE DANS LE SECTEUR INDUSTRIEL
4En 1974, la consommation d'énergie électrique dans le secteur industriel a dépassé 100 Milliards de Kwh sur un total de plus de 174 Milliards pour toute l'Amérique Latine, soit en moyenne 57,68 % (Tableau 2).
5Dans les pays les plus industrialisés, il est certain que le taux de consommation industrielle a augmenté depuis 20 ans : l'exemple du Brésil et du Venezuela le montre : ainsi au Brésil ce taux est passé de 42 % en 1957 à 53,6 % en 1974 et au Venezuela il est passé de 40,7 % en 1950 à 57,6 % actuellement. La moyenne actuelle en Amérique Latine de 57,68 % recouvre des situations très différentes suivant les pays. Dans la plupart des pays, le taux de consommation industrielle est compris entre 57,6 % (Venezuela) et 42,2 % (Colombie). 4 pays présentent un taux de consommation faible : El Salvador, République Dominicaine, Uruguay et Panama (avec le taux le plus bas de 22,8 % seulement). Au contraire, dans 6 pays le secteur industriel consomme plus de 67 % de l'énergie électrique. Il s'agit d'un pays possédant un arsenal industriel diversifié, le Mexique, de 2 pays andins où le secteur minier (cuivre, fer, plomb, argent, etc...) est prépondérant à l'intérieur du secteur industriel, le Pérou et le Chili, et enfin de 3 petits états, où les activités grosses consommatrices d'énergie électrique sont la fabrication de l'alumine (Jamaïque et Guyana), le raffinage du pétrole et la pétrochimie à Trinidad. Si l'on considère ensuite la consommation d'énergie électrique dans le secteur industriel per capita, on retrouve ces 6 pays parmi les 9 premiers d'Amérique Latine, mais il faut y ajouter le Venezuela (qui prend la tête du classement), l'Argentine et le Brésil : ce sont les 3 pays les plus industrialisés d'Amérique Latine avec le Mexique et possédant l'arsenal industriel le plus ancien (l'Argentine), le plus diversifié (le Brésil) et le plus récent(Venezuela) ; il y a un grand écart entre la consommation par tête des pays en haut du tableau et de ceux en bas du classement, de la République Dominicaine à Haïti : quel abîme entre les 810 kwh du Venezuela et les 12 d'Haïti (67 fois moins). Là encore, ce classement suit sensiblement celui du PNB par tête à la même date, en avantageant cependant Chili, Pérou et Guyana et en pénalisant 2 pays très peu industrialisés, Panama et Equateur. En ce qui concerne le PNB par tête, l'écart entre le Venezuela et Haïti serait de 14 fois environ.
6La dernière colonne du tableau 2 nous offre encore un thème de comparaison, en ce qui concerne la part des autoproducteurs dans la capacité totale électrique installée. Dans l'ensemble, cette part a tendance à diminuer, à cause de l'intervention des gouvernements dans la planification et la production électrique. Cependant, des écarts considérables existent : cette part est encore très importante dans les pays où domine dans le secteur industriel, une activité spécifique qui a été ou qui est encore entre les mains de grandes sociétés : l'extraction et le raffinage des minerais au Pérou, en Bolivie et au Chili, la fabrication de l'alumine en Guyana et en Jamaïque, l'industrie sucrière à Cuba. Par contre, cette part est limitée entre 20 et 12 % pour l'Argentine, l'Uruguay, la Colombie, le Mexique et le Venezuela ; enfin, elle est très faible dans les pays peu industrialisés comme le Honduras et le Panama ou encore au Brésil (7,50 %, taux le plus bas) où l'intégration réalisée par les sociétés d'économie mixte et les organismes publics est la plus avancée (le taux était de 12,1 % en 1964).
III. — DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION ÉLECTRIQUE ET IMPLANTATIONS INDUSTRIELLES
7En 20 ans de 1954 à 1974, la production d'énergie électrique en Amérique du Sud est passée de 28,259 Milliards de Kwh à 150,734 Milliards, soit une augmentation de 433,40 %. Or, ce résultat a été obtenu par le développement plus rapide de la production hydroélectrique passée de 15,740 Milliards de Kwh à 102,268 (soit une augmentation de 549,73 %, tandis que la production thermoélectrique n'augmentait que de 287,13 %, en passant de 12,519 Milliards de Kwh à 48,466. Ainsi, en 1974 l'hydroélectricité représente-t-elle 67,8 % du total de la production électrique contre 55,7 % seulement en 1954. L'évolution est très nette surtout pour les pays qui, dans les années 50, présentaient une forte prédominance d'électricité thermique ; ainsi au Venezuela, pourtant riche en pétrole et en gaz naturel, la part de l'hydroélectricité est passée en 20 ans de 19,70 % à 41,92 % et en Argentine de 5,24 % à 17,22 % (le cas du Mexique est semblable à celui du Venezuela) et ces pays prévoient à partir de 1980 ou 1985 une large prédominance de l'hydroélectricité. Par contre, en Equateur, au Pérou et en Uruguay où le retard des équipements se fait sentir, la participation de l'hydroélectricité a diminué (en attendant la réalisation des aménagements hydroélectriques en cours).
8Il semble évident que les principales centrales thermiques (comme les centrales nucléaires) ont été installées en priorité à proximité des grands centres urbains et industriels, le plus souvent en bordure de la mer... mais la construction de puissantes centrales hydroélectriques (la puissance installée dépasse souvent 500 ou 1000 Mw et atteindra 14 000 Mw à Itaipu sur le Paraná) a-t-elle permis l'implantation de nouveaux centres industriels, en dehors des grandes métropoles ou des villes industrielles existantes ? Dans l'ensemble, on peut répondre non, sauf cas exceptionnels. Certes, il existe disséminées en Amérique Latine quelques usines électrométallurgiques installées à proximité de l'hydroélectricité, comme le type alpin traditionnel et des chutes utilisées pour mettre en valeur des gisements miniers isolés, mais la grande majorité de l'énergie produite dans les grands équipements hydroélectriques construits et en construction actuellement, est transportée et sera transportée sur de longues distances (pouvant dépasser 1 500 km...) vers les grands centres urbains industriels, qui ont un besoin urgent de cette énergie : Ainsi en Argentine l'énergie du Futaleufú servira à l'usine d'aluminium de Puerto Madryn (à 600 km de distance) et 90 % de l'énergie produite sur le Rio Limay (Chocón 1 200 Mw, Cerros Colorados 450 Mw, puis Piedradel Aguila 2 000 Mw) sera transporté vers le Grand Buenos Aires, comme d'ailleurs l'énergie qui sera produite dans les projets internationaux de Salto Grande sur l'Uruguay (1 600 Mw) et de Yacireta-Apipé sur le Paraná (2 200 Mw) ; en effet, le Grand Buenos Aires consomme plus de la moitié de l'énergie électrique argentine.
9De même au Brésil, l'énergie du Parana et de ses affluents (Rio Grande - Paranaiba, Tiête, Iguaçu), qui représentent un potentiel installable supérieur à 50 000 Mw, est destinée à l'approvisionnement de la région Sud-Est, la plus industrialisée du Brésil et surtout à l'état de São Paulo, qui consomme à lui seul 45 % de la consommation brésilienne et 49 % de la consommation industrielle (50 % en 1966), sans doute installera-t-on à proximité de la future centrale d'Itaipu sur le Parana, qui sera la plus grande du monde avec une puissance future installée de 14 000 Mw, une aciérie électrique d'une capacité de 100 000 tonnes par an. Certes, la future centrale de Tucurui sur le Tocantins en Amazonie (capacité installée future 6 480 Mw) alimentera la région de Belem do Para, mais aussi la zone d'extraction du minerai de fer de la Sierra dos Carajas et une usine d'aluminium. Quant à l'usine de Paulo Alfonso sur le Rio São Francisco, elle n'a attiré aucune usine à proximité, mais elle a permis le démarrage industriel du Nord-Est brésilien, qui consomme en 1974 10,3 % de l'énergie électrique destinée au secteur industriel, contre seulement 5 % 10 ans plus tôt.
10Au Mexique, l'énergie produite dans le Bassin du Rio Balsas et plus loin encore dans le Bassin du Grijalva, est destinée en priorité à la région du Grand Mexico (et du Golfe aussi, dans le cas de Grijalva. C'est principalement à cause des gisements de fer et de sa situation côtière, que se développe le complexe sidérurgique de Las Truchas et non à cause de la proximité des centrales hydroélectriques de La Villita et Infiernillo.
11Au Venezuela, l'énergie produite par le Caroni (centrales de Macagua I et Guri I actuellement) est certes à la base du développement du nouveau pôle industriel de Ciudad Guayana, mais en 1974, sur une production de 7,2 Milliards de Kw, plus de 3,8 Milliards ont été exportés, en majorité vers la région de Caracas.
Tableau 1 : PRODUCTION D’ENERGIE ELECTRIQUE
Amérique Latine | 1954 Millions de.Kwh | 1954 Per capita Kwh/habitant | 1971 Millions de Kwh | 1971 Per capita Kwh/habitant |
Brésil | 11 700 | 205 | 51 900 | 541 |
Mexique | 7 000 | 234 | 30 884 | 630 |
Argentine | 6 300 | 339 | 23 700 | 999 |
Chili | 3 600 | 557 | 8 524 | 855 |
Colombie | 1 950 | 157 | 9 450 | 424 |
Venezuela | 1 700 | 302 | 15 749 | 1 500 |
Pérou | 1 360 | 148 | 5 858 | 404 |
Uruguay | 957 | 361 | 2 393 | 855 |
Bolivie | 350 | 108 | 832 | 175 |
Equateur | 230 | 64 | 1 050 | 164 |
Paraguay | 50 | 33 | 257 | 104 |
Moyenne Amérique du Sud | 35 197 | 234 | 150 597 | 619 |
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