Ciudad Guayana : d’une économie extractive a une tentative de développement industriel
p. 111-120
Texte intégral
INTRODUCTION
1Depuis les années 60, et sous le contrôle direct de l'Etat vénézuélien, Ciudad Guayana est devenue le grand espoir du Vénézuéla dans sa tentative d'une redistribution des revenus pétroliers devant permettre d'échapper à la dépendance du pays par un développement industriel national.
2C'est en raison de la présence des ressouces énergétiques et minières sur place, que des investissements massifs se sont concentrés dans cette région qui, jusqu'à cette date, se trouvait très à l'écart du Vénézuéla dit "utile".
3Dans le passé, les ressources des Guyanas n'avaient pas été totalement ignorées et, dès le XVIIIe siècle, l'exploitation des mines d'or et de diamants avait suscité quelques intérêts pour la région. Mais cette exploitation était restée localisée ; destinée à l'exportation vers l'ouest du pays et vers l'étranger, elle laissait les guyanes vénézuéliennes dans la léthargie d'une économie d'autosubsistance. En fin de compte, cette phase minière a eu pour effet principal de provoquer l'exode rural dans une région déjà sous-peuplée (1940 : 0,40 h/km2).
4Avant les années 50, lorsque des compagnies américaines vont entreprendre l'exploitation du minerai de fer et que l'état vénézuélien, un peu plus tard, va décider la construction d'un barrage hydroélectrique sur le Caroni, les investissements resteront encore très localisés et effectués dans le seul but d'exporter vers l'étranger ou vers les centres urbains de l'ouest du pays. Le développement économique reste donc de type "extractif", c'est-à-dire sans diffusion spatiale dans la région.
5La création de la Corporación Venezolana de Guayana en 1960 a marqué une nouvelle orientation : son objectif principal était la mise sur pied d'une sidérurgie nationale, devant répondre avant tout à des intérêts nationaux, donc conçue à l'échelle nationale.
6Le choix de la localisation de l'implantation de la sidérurgie est dû comme il a été dit plus haut, à la présence des ressources nécessaires (matières premières minérales et possibilités énergétiques), en dépit du peu d'abondance de main-d’œuvre locale.
7Cependant, au Vénézuéla comme dans toute l'Amérique Latine, les théories sur la régionalisation, c'est-à-dire la nécessité d'une lutte contre les déséquilibres régionaux, ainsi du reste que le souci d'atténuer les disparités marquées de niveau de vie dans la population, ont fait école et la CVG a adopté, dans son programme, ces objectifs.
8Dans le cas de Ciudad Guayana, il s'agit de tenter de vérifier si la réalité du pôle laisse présager un résultat conforme aux espérances.
9Les investissements massifs profitent-ils à la population au niveau local, c'est-à-dire du "pôle" ? et quels Bénéfices en retire la région d'accueil ?
10En un mot, Ciudad Guayana est-elle un pôle de développement ?
I. — A L’ÉCHELLE LOCALE : INTÉGRATION DE LA POPULATION AU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
A) LE DECLENCHEMENT DU MOUVEMENT MIGRATOIRE
11Le noyau de population du nom de San Félix près duquel sont construits, en 1950, les aménagements portuaires devant permettre l'évacuation du minerai de fer, est peu important (1936 : 1173 hts à San Felix. 1950 : 3800 hts) ; mais les besoins de main-d’œuvre pour l'extraction, qui s'opère à ciel ouvert, pour le transport jusqu'aux ports et l'embarquement, sont faibles. En effet, chaque opération est mécanisée ; la main-d’œuvre qualifiée est recrutée sur contrat à l'étranger. Ainsi en 1953, d'après une étude du Banco Obrero, les deux compagnies offrent en tout et pour tout 1100 emplois à San Félix.
12A proximité des ports, de part et d'autre du Caroni, les compagnies ont installé des "camps" destinés à assurer l'hébergement du personnel permanent. Ces camps comprennent des aménagements hospitaliers, scolaires, et des coopératives ; ils vivent repliés sur eux-mêmes.
13Cependant, le mouvement migratoire est déclenché. Sans contrat, mais dans l'espoir de trouver un emploi, des migrants affluent et se regroupent autour du noyau de population traditionnel de San Felix. En 1953, l'on recense 8 503 habitants à San Felix.
14Un certain gonflement de population se produit également autour des camps construits à proximité des mines : El Pao et Ciudad Piar. Mais situés loin d'un noyau de population traditionnel, ils offrent peu de moyens de survie aux sans emplois, qui préfèrent San Felix.
15Lors de la construction des barrages Macagua et Guri, le mouvement migratoire suit le même schéma, en s'amplifiant.
16En 1960, la zone urbaine de San Felix, qui prendra le nom de Ciudad Guayana après celui de Santo Tomé de Guayana, compte 44.100 habitants.
B) LES CARACTERISTIQUES DE LA POPULATION ACTUELLE DE CIUDAD GUAYANA
17Les investissements massifs réalisés à partir de 1961, sous le contrôle de la CVG, ont encore accentué l'attraction de la ville : en 1975 elle compte 225 000 habitants.
18a) La majeure partie de la population de Ciudad Guayana s'y est installée au cours des vingt dernières années. Cependant, la population actuelle ne présente pas les caractéristiques de celle d'une ville pionnière où l'élément masculin de 25 à 45 ans est généralement majoritaire. Dans la phase de type extractif, de 1950 à 1960, la ville compte 23,9 % d'hommes de 25 à 45 ans ; mais dès 1965, ceux-ci ne représentent plus que 16,8 % de la population totale. La pyramide des âges est "normale".
19Une population féminine a donc migrée avec ou sans enfants en abondance vers la ville pour rejoindre un parent arrivé précédemment ou sans autre but qu'une amélioration des conditions de survie. Dès 1965, l'équilibre hommes-femmes est presque rétabli : 50,6 % hommes et 49,5 % femmes (sources : Banco central de Venezuela).
20Le Taux de natalité et le taux de fécondité sont élevés. En 1972, 72 % de la population de Ciudad Guayana avait moins de 25 ans. Cette situation implique de grands besoins en services scolaires, sanitaires, etc.
21b) L'origine des migrants : D'après les recensements de 1950, 1961, 1971, et les études de la CVG, l'Etat de Bolivar lui-même et les états limitrophes de Monagas et Anzoategui ont fourni 70,2 % de la population immigrée de la ville. En ajoutant les migrants originaires des Etats de Sucre, Delta Amacuro et Nueva Esparta, 89,2 % (recensement 1969) des migrants ont effectué pour se rendre dans la ville une migration de courte distance. Le phénomène est d'autant plus marqué pour les femmes.
22Toutes les études effectuées font apparaître une disparité non seulement quantitative mais qualitative entre les migrants à "courte distance" et ceux originaires du reste du pays ou de l'étranger. Dans le premier cas, les migrants proviennent en grande partie de milieux ruraux ou de villes de taille moyenne ; ils viennent à la recherche d'un emploi mais par leurs propres moyens et sans contrat de travail, ils n'ont pas de qualifications professionnelles. Au contraire, les migrants à "longue distance" qui ne représentaient que 12,8 % de la population de la ville en 1969, viennent à Ciudad Guayana avec un contrat de travail et possèdent une qualification professionnelle.
C) LES CARACTERISTIQUES DE LA CROISSANCE URBAINE
23En 1950, la Orinoco Iron Mines Compagny installe son centre d'hébergement sur la rive gauche du Caroni, à Puerto Ordaz. Le développement de Ciudad Guayana va dès lors s'étendre de part et d'autre du fleuve, avec cependant une croissance beaucoup plus rapide sur la rive droite, autour du noyau traditionnel de population, San Felix.
24A partir de 1963, la CVG désire planifier la croissance urbaine de Ciudad Guayana. La grande zone des implantations industrielles (Matanza) se trouvant sur la rive gauche du fleuve, les projets de la CVG prévoient un développement urbain en faveur de Puerto Ordaz, afin d'éviter les migrations pendulaires entre San Felix et la zone industrielle, les encombrements du pont entre les deux rives, le congestionnement déjà important de la zone urbaine de San Felix.
25Les projets et tentatives de la CVG n'ont pas porté leurs fruits ; le déséquilibre existant demeure.
26Une croissance urbaine déséquilibrée : En 1974, 78 % de la population résidait à San Félix, 22 % à Puerto Ordaz.
27La très grande majorité des migrants n'ayant pas de contrat de travail à leur arrivée dans la ville, le choix du quartier est fonction des meilleures chances de survie : la présence proche de parents installés depuis plus longtemps, des facilités de crédit, etc. Puerto Ordaz n'offre pas de structures d'accueil adaptées aux migrants en quête d'un emploi (pas de marché traditionnel, pas de crédit au supermarché, logement plus cher qu'à San Felix).

28Une ségrégation urbaine marquée. L'origine géographique des migrants correspond nettement, dans le cas de Ciudad Guayana, à leur catégorie socio-professionnelle ; ainsi, en fonction de l'origine des migrants, Puerto Ordaz ou San Felix est choisi comme lieu de résidence ; d'après le recensement (1971), Puerto Ordaz comptait 10 % d'étrangers, 14 % de sa population née dans des états éloignés des Guyanes, 5 % née à Caracas, soit 29 % de migrants à "longue distance" contre 14 % de la population de San Felix.
29La répartition des bidonvilles dans la ville confirme une ségrégation sociale marquée entre Puerto Ordaz et San Felix. En 1975, 8 817 bidonvilles sont recensés à San Felix, 708 bidonvilles à Puerto Ordaz.
30Ciudad Guayana est en fait constituée de deux villes, bien délimitées l'une de l'autre par l'obstacle géographique que représente le Caroni et par des barrières sociales que le pont joignant les deux rives ne semble pas permettre de franchir aisément.
31Mobilité résidentielle et migrations pendulaires. D'après une enquête réalisée en 1974 par Mme M.P. Garcia, la population de Ciudad Guayana est mouvante ; les changements de résidence sont fréquents mais ils sont rares d'un secteur à l'autre de la ville. En effet, 92,3 % des personnes s'étant installées à San Felix dès leur arrivée dans la ville restent dans ce secteur ; cependant 36 % de celles qui se sont installées à Puerto Ordaz se déplacent ultérieurement vers San Felix.
32Les migrations pendulaires des travailleurs des grandes entreprises ont été organisées par celles-ci. En 1976, 62,3 % du personnel de SIDOR vivaient à San Felix, soit 6 645 personnes, 5 062 d'entre eux étaient des journaliers.
D) LES CARACTERISTIQUES DE L'EMPLOI A CIUDAD GUAYANA
33Dans la 1ère phase d'investissement effectuée dans les Guyanes, le déséquilibre entre l'offre et la demande d'emploi s'est vite creusé. Les migrants en quête de travail continuèrent à se rendre à San Felix alors même que les compagnies Nord-américaines avaient cessé d'embaucher. La construction des barrages du Caroni ne résorba pas la masse des chômeurs, car de nouvelles vagues de migrants affluèrent vers la ville et vers les chantiers. Après la construction, une masse considérable de travailleurs fût réduite au chômage.
34Contrairement à l'exploitation minière et à la production d'électricité, l'industrie sidérurgique impliquait la présence dans la zone d'une main-d’œuvre abondante et permanente. Les autorités responsables des investissements, principalement l'Etat vénézuélien par l'intermédiaire de la CVG, souhaitèrent une croissance démographique rapide de Ciudad Guayana ; le chiffre avancé dans les projets était de 250 000 habitants à Ciudad Guayana pour l'année 1970. Pourtant bien que la croissance urbaine ait été moins importante que celle espérée, le taux d'activité constaté en 1970 à Ciudad Guayana était très inférieur à celui que l'on souhaitait : 26,8 % au lieu de 33,3 % projeté. Ce taux d'activité de 26,8 % étant même inférieur à la moyenne constatée dans l'ensemble des aires urbaines du pays (28,1 %).
35La faiblesse du taux d'activité, en partie explicable par la grande proportion de jeunes de moins de 10 ans, reflète également une mauvaise situation de l'emploi dans la ville. Le taux de chômage atteindra 14,6 % en 1972. En 1970, 23 % de la population de Ciudad Guayana disposait de revenus inférieurs à 500 bolivars, à cette même date Caracas en comptait seulement 1 %.
36Deux causes principales expliquent cette situation :
- Le manque de qualification de la main-d’œuvre - un grand nombre des migrants d'origine rurale ne sont pas adaptés au travail en usine ;
- La faiblesse du développement des petites et moyennes entreprises.
37Il s'en suit à Ciudad Guayana un gonflement du secteur tertiaire. Ce gonflement du secteur tertiaire se trouve tempéré épisodiquement dans les périodes de grands travaux, notamment les travaux d'agrandissement de SIDOR. Le secteur de la construction, très important â Ciudad Guayana, est également le secteur qui connaît les taux de chômage les plus importants.
Distribution en chiffre | |
relatif de la population | |
active occupée, par branche | Taux de chômage par branche d'activité |
d'activité économique | |
1/7/71 | 1/7/71 |

38L'importance du chômage à Ciudad Guayana n'exclut donc pas le fait que les usines sidérurgiques ont des difficultés à pourvoir les postes qualifiés. Au manque de formation de la main-d’œuvre locale, signalée plus haut, il faut ajouter une mobilité très grande des cadres recrutés sur contrat dans l'ensemble du pays.
39En effet, ceux-ci ont souvent accepté de venir à Ciudad Guayana seulement par obligations professionnelles. Ils renouvellent rarement leurs contrats, s'intègrent très superficiellement à la ville, attendent la première occasion pour regagner l'est du pays.
II. — CIUDAD GUAYANA ET SA RÉGION. LA VILLE EST-ELLE UNE ENCLAVE OU UN PÔLE DE DÉVELOPPEMENT ?
40Ciudad Guayana possède une situation de ville carrefour, au contact de trois grands ensembles naturels, le Delta de l'Orénoque au nord-est, le Massif Guyanais auquel elle s'adosse et la plaine des Llanos, en face de la ville de l'autre côté de l'Orénoque. Mais avant les investissements effectués à partir de 1950, la ville n'est qu'un très petit bourg agricole et c'est Ciudad Bolivar, capitale de l'état, située en amont, là où l'Orénoque est le plus aisément franchissable, qui constitue le point de contact entre le Massif guyanais et les Llanos, entre le Massif guyanais et le reste du pays. Le Delta est laissé à l'écart en dépit de la navigation sur l'Orénoque.
41Sous le nom d'Angostura, puis sous celui de Ciudad Bolivar, la ville va exercer pendant trois siècles, le contrôle politique, administratif et commercial des Guyanes vénézuéliennes. A la fin du XIXe siècle, Ciudad Bolivar eut d'importants échanges commerciaux directement avec l'Europe et les Etats-Unis. Son port fut le point d'embarquement des produits des forêts du sud et du sud-est du pays, ainsi que celui des Llanos et de la Colombie. Ces produits étaient acheminés jusqu'à Ciudad Bolivar par les voies fluviales (Meta, Apure, Portuguesa, Orinoco).
42En 1950, Ciudad Bolivar comptait 30 000 habitants, un quart de la population totale de l'Etat. Jusqu'à cette date la croissance démographique a été très lente. En fait, Ciudad Bolivar végète car la région qu'elle contrôle est isolée, vide d'hommes, peu productive et désarticulée. L'agriculture est une agriculture d'auto-subsistance, souvent sur brûlis, exercée par les indigènes. L'élevage très extensif, localisé principalement près d'Upata, ne produit que pour la consommation locale. Les petits noyaux de population constitués autour des mines d'or et des diamants sont reliés à Ciudad Bolivar par des chemins muletiers. Les missions dispersées sur le territoire vivent repliées sur elles-mêmes. En 1950, la mise en valeur de la région n'a pas commencée.
43La première conséquence régionale des investissements effectués par l'Etat vénézuélien pour la construction des barrages du Caroni, sera la mise en place d'un réseau routier relativement dense.
A) LES VOIES DE CIRCULATION
44Des routes ont été tracées très vite par la CVG pour rattacher la ville nouvelle de Ciudad Guayana au Vénézuéla "utile". Un axe de circulation assure la liaison à travers les gisements pétroliers de l'Oriente et en direction de Barcelona, de Maturin et de Caracas. Maturin est du reste directement reliée au Delta par Temblador et Barrancas. Si l'on excepte ce dernier axe, Ciudad Bolivar est toujours le lieu de passage privilégié, car c'est à Ciudad Bolivar que le pont suspendu permettant de traverser l'Orénoque a été construit. C'est du reste, autant de Ciudad Bolivar que de Ciudad Guayana que part la route qui s'enfonce à travers le Massif Guyanais en direction de la frontière brésilienne. Deux routes ont également été construites de part et d'autre du Caroni en direction des mines de fer de Cerro Bolivar et de El Pao (et de la ville de Upata).
45Cependant, ce réseau routier, du reste, encore assez lâche, n'a pas innervé des espaces productifs et dans un premier temps, il a surtout accéléré l'exode rural.
B) L'EXODE RURAL
46Les enquêtes effectuées à Ciudad Guayana auprès des migrants font apparaître une forte proportion de personnes originaires de l'Oriente pétrolier en crise mais également une forte proportion de personnes originaires de l'Etat de Bolivar lui-même. Dans les deux cas, du reste, le lieu de naissance et même le lieu de résidence antérieure est souvent rural.
47Le taux de croissance de la population rurale de l'Etat de Bolivar dans la période 1950-61 est presque nul : 1,42 % en onze ans. La croissance urbaine est de 103,72 % dans cette même période.
48Dans la période 1961-71, l'exode rural se ralenti quelque peu, mais la croissance de la densité de population de l'Etat de Bolivar (0,40 h/km2 en 1940 - 1,65 h/km2 en 1971) est une illusion puisque la croissance se fait au seul profit des centres urbains, la densité de population rurale stagne.
C) PAS DE DEVELOPPEMENT AGRICOLE SPONTANE
49L'agriculture de l'Etat de Bolivar, traditionnellement peu développée, n'a pas été stimulée par la croissance de Ciudad Guayana et la forte demande en produits agricoles qui s'en est suivie. En 1970, les 30 % du territoire national que représente l'Etat de Bolivar ne produisent toujours que 2,8 % des produits agricoles de l'ensemble du pays. Le secteur agricole, qui n'utilise plus que 6 % de la population active de la région en 1973, connaît un taux d'activité très bas : 22,6 % alors que la moyenne régionale est de 26,4 %. La croissance du marché économique due à la croissance industrielle n'a pas freiné la crise du secteur agricole. Elle n'a pas entraîné non plus un renouveau du peuplement ou une modernisation. Les petits noyaux de colonisation, installés par l'Institut nactional agraire près de El Pao ne commercialisent guère leur production (manioc, bananes, papayes).
50Seul l'élevage de la zone d'Upata a profité de la présence du marché de consommation ; mais cet élevage, aux mains de grands propriétaires, est très extensif et extrêmement déprédateur.
51Aujourd'hui, comme au temps de l'implantation des entreprises nord-américaines d'extraction minières, l'approvisionnement de Ciudad Guayana et des autres villes de la région est assuré par l'importantion depuis d'autres régions du pays et même encore depuis l'étranger.
52En conséquence, un coût de la vie très élevé, et accentué par la spéculation, provoque de grandes difficultés pour le développement industriel de Ciudad Guayana, entraînant des revendications de la part de la main-d’œuvre, il freine les investissements de petites ou moyennes entreprises industrielles qui se trouvent déjà pénalisées par l'éloignement des grands marchés économiques de l'ouest du pays.
D) PRISE DE CONSCIENCE DE LA CVG
a) Une politique du développement agricole ?
53A partir de 1970, la CVG a pris conscience de la nécessité pressante d'une intervention pour faire participer la région d'accueil au développement du centre industriel. Des investissements avaient du reste déjà été effectués, dès 1966, par la CVG en milieu rural, pour la création de la plantation de pins Caribe dans la zone de Uverito, celle-ci devant approvisionner à partir de 1980 l'usine de pâte à papier de Ciudad Guayana. La plantation de pin Caribe, très mécanisée, fait plus partie du développement industriel de la zone que d'un début de solution pour le développement agricole.
54Le Delta, au contraire, fut l'objet d'un vaste projet de développement. La digue construite le long du Caño Manamo protège 140 000 ha de l'inondation annuelle, et notamment l'Ile de Guara qui doit devenir, sous le contrôle de la CVG, l'élément moteur de la mise en valeur du Delta. Mais de nombreuses contradictions sont apparues ; les responsables savent que les tentatives effectuées à l'île Guara ne sont pas au point, et qu'elles ne peuvent servir telles quelles d'exemple à suivre pour le développement du Delta. Le Delta, toujours isolé, est encore bien loin de pouvoir assurer l'approvisionnement de Ciudad Guayana.
55Plus récemment, la CVG a créé d'autres centres d'expérimentation (Upata et la Gran Sabana), mais ni les uns ni les autres n'ont pour l'instant d'impact sur la région.
b) La fonction des villes
56Lors de la création de la CVG, nul ne s'est soucié de prendre en compte les pouvoirs locaux et traditionnels. Ciudad Guayana devant servir des intérêts nationaux, était conçue comme une enclave également du point de vue du pouvoir de décision. Directement "gouvernée" par Caracas, elle échappait totalement au contrôle de la capitale de l'Etat de Bolivar. Aucune complémentarité n'était prévue entre les deux villes.
57Ciudad Bolivar s'est cependant trouvée touchée par le développement industriel de Ciudad Guayana. D'une part, en raison de son rôle de redistribution des produits importés dans la région, la capitale conserve en effet cette fonction. D'autre part, en devenant la ville dortoir du pôle industriel. La croissance urbaine très rapide de Ciudad Guayana a en effet provoquée dans la ville une crise de logement importante, accompagnée d'une grande déficience des services et agravée par une spéculation effrénée.
58En 1970, la CVG intègre la capitale traditionnelle de la région aux projets de développement industriel, en prônant une complémentarité de fonctions entre les deux villes. Ciudad Bolivar doit devenir le centre administratif et de services de Ciudad Guayana, et Ciudad Guayana le centre industriel d'une "région bipolarisée". Une amélioration des services est prévue non seulement à Tucupita et Upata, mais également dans les petits centres urbains dispersés et isolés de la région.
CONCLUSION
59Il est clair, dans le cas de Ciudad Guayana, que ce sont les intérêts économiques à l'échelle nationale qui ont mobilisé les efforts de la CVG.
60Les pronostics établis quant à la croissance urbaine ne tenaient compte que des données impliquées par le développement industriel. La réalité humaine et sociale propre au pays a été négligée, en dépit du précédent spectaculaire des migrations excessives et inadaptées vers les camps d'extraction du pétrole. L'industrie de Ciudad Guayana manque d'une main-d’œuvre qualifiée. La grande majorité de la population qui a migré vers la ville n'est pas celle espérée. La CVG doit faire face à une population flottante importante, qu'elle doit tenter d'intégrer au développement économique pour ne pas compromettre l'avenir du pôle industriel.
61A l'échelle régionale, la croissance industrielle de Ciudad Guayana n'a pas entraîné, spontanément, le développement régional ; et la ville ne peut, jusqu'à présent, être qualifiée de "pôle de développement". L'action de la CVG en milieu rural est trop récente pour en juger les résultats.
62Il est apparu, par contre, avec l'expérience de ses vingt années d'existence, que Ciudad Guayana, conçue à l'origine comme une enclave méprisant l'espace environnant, ne pouvait se passer, sans encombre, du développement de sa région, que ce soit pour assurer son approvisionnement ou pour enrayer l'exode rural qu'elle provoque depuis les zones en crise.
RÉSUMÉ
63A partir de 1965, l'Etat vénézuélien concentre une masse importante de capitaux à Ciudad Guayana pour la création d'une sidérurgie nationale, en raison de la présence de ressources énergétiques et minières à proximité de la ville.
64Ciudad Guayana, située au bord de l'Orénoque et de part et d'autre du Caroni, se localise à l'écart du Vénézuéla "utile", dans la région des Guyanes à l'ouest du pays.
65Un organisme public est créé en 1960 pour mener à bien le développement industriel ; c'est la Corporación Venezolana de Guayana (CVG). Le pouvoir de décision se trouve à Caracas.
66Après une vingtaine d'années d'existence, le "pôle industriel" présente les caractéristiques suivantes :
- une réussite économique des entreprises contrôlées par la CVG ;
- des investissements industriels privés encore rares en raison d'un coût de la vie élevée et de l'éloignement des grands marchés de consommation de l'ouest du pays ;
- une croissance démographique rapide de la ville mais souvent inadaptée aux besoins du développement industriel ;
- une croissance urbaine déséquilibrée, avec une intégration difficile dans le tissu urbain de la population flottante.
- au point de vue régional, une diffusion négligeable de la croissance économique de la ville sur le milieu rural et les autres centres peuplés de l'Etat de Bolivar.
FICHE DE PRÉSENTATION : CIUDAD GUAYANA
I. LOCALISATION ET SITE
67A l'est du Vénézuéla, dans la région des Guyanes vénézuéliennes (peu peuplées : 1950 - 0,55 h/km2).
68La ville fait partie au point de vue administratif de l'Etat de Bolivar et plus précisément du District du Caroni, lui-même constitué le 29/6/61 du Municipe de San Felix auquel s'est ajouté un certain nombre de centres peuplés appartenant antérieurement au Municipe de Ciudad Bolivar. Ces centres se situaient à la limite du Municipe de Ciudad Bolivar sur la rive gauche du Caroni.
69Ciudad Guayana se localise au bord de l'Orénoque qui forme la limite ouest de-l'Etat, à environ 340 km de la mer, et à proximité de la confluence de ce fleuve et du Caroni.
70Cette ville nouvelle se localise à 120 km de la capitale de l'Etat, Ciudad Bolivar. Les deux villes concentrent à elles seules 60 % de la population totale de l'Etat.
71Ciudad Guyana se situe au niveau jusqu'auquel des bateaux de mer (80.000 tonnes - 50.000 tonnes) peuvent remonter le fleuve. Le fleuve doit être préalablement dragué jusqu'à la hauteur de la ville.
72Les mines de fer se trouvant, l'une à l'est, l'autre à l'ouest du Caroni sont respectivement à 45 km et 120 km au sud de la ville.
II. HISTORIQUE DU DEVELOPPEMENT DU POLE
1. Etapes des investissements
73Avant 1950, le bourg agricole de San Felix compte 3 800 personnes. C'est à cette date que la zone est choisie en raison de sa localisation par rapport aux débouchés vers la mer pour l'installation de deux ports fluviaux sur l'Orénoque, destinés à l'exportation du minerai de fer.
A. LES COMPAGNIES AMERICAINES ET L'EXTRACTION DE MINERAI DE FER
74Deux compagnies étrangères ont décidé l'exploitation des gisements de fer : La Iron Mining Company, à l'ouest du Caroni, gisement El Cerro Bolivar ; La Bethleem Steel, à l'est du Caroni, gisement El Pao.
75Une ligne de chemin de fer est construite par la Iron Mining Company entre Cerro Bolivar et le port situé sur l'Orénoque à l'ouest de l'embouchure du Caroni.
76Une autre ligne est construite par le Bethleem Steel entre El Pao et le port de "Palúa" situé également sur la rive de l'Orénoque à l'est de l'embouchure du Caroni.
77Des camps sont installés près des mines et des ports. Ils sont destinés à l'hébergement de la main-d’œuvre.
B. LES BARRAGES SUR LE CARONI
78En 1953, l'Etat Vénézuélien décide l'installation de plusieurs barrages sur le Caroni, en amont de la ville, destinés à fournir de l'électricité au reste du pays (barrages de Macagua et de Guri).
79C'est une période de construction d'infrastructures routières.
C. SIDOR ET LA CVG
801956 : Début de la construction de l'usine. Un décret du Président de la République Vénézuélienne crée, le 30 décembre 1960, la CVG, Corporación Venezolana de Guayana, avec pour mission la création d'une sidérurgie nationale.
811960 : Inauguration de SIDOR, suivie par la création d'autres industries.
82Ce développement industriel entraîne, en conséquence, des investissements pour les infrastructures, les services, etc.
2. Les autorités responsables des implantations extractives et industrielles
83Ce sont :
- Dans un premier temps, des compagnies étrangères : extraction et exportation de minerai de fer ;
- Dès 1953, l'Etat vénézuélien : Barrage du Caroni ;
- A partir de 1960, l'Etat vénézuélien, par intermédiaire de la CVG, et jusqu'à présent, exerce le contrôle des grandes entreprises. L'exploitation des mines de fer a été nationalisée ; cependant certaines entreprises sont des compagnies à capitaux mixtes (privés et publics) ; certaines sont en partie nationales, en partie étrangères.
84Les compagnies entièrement privées sont de petites unités encore rares.
III. EMPLOI INDUSTRIEL ET POPULATION ACTIVE
85Le secteur industriel représente 35,9 % de la population active en 1971. 20 % de la population activé du secteur industriel travaille dans les grandes unités industrielles contrôlées par la CVG.
IV. IMPORTANCE DE L'ENSEMBLE URBAIN LIE AU FOYER
1. Croissance urbaine
1950 | 3 803 habitants à San Felix |
1960 | 44 100 (la ville est alors appelée Santo Tomé de Guyana) |
1973 | 170 000 habitants (la ville prend le nom de Ciudad Guayana) |
1975 | 225 000 habitants |
86Taux de croissance : 1961 à 1971.
Ciudad Guayana | 13,3 % par an |
Ciudad Bolivar | 5,0 % par an |
Moyenne régionale de la croissance urbaine | 7,2 % par an |
2. Caractéristiques de la population de Ciudad Guayana
87A. Une pyramide des âges équilibrée (normale), après un léger déséquilibre dans les années 61 :
Répartition | 1961 | 55,0 % hommes |
44,7 % femmes | ||
hommes-femmes | 1965 | 50,6 % hommes |
49,5 % femmes | ||
Pourcentage d'hommes de25 à 45 ans | ||
1961 | 23,9 % | |
1965 | 16,8 % |
88Très forte proportion de jeunes : 72 % entre 0 et 24 ans.
89Fécondité de type rural : 5,46 enfants par famille.
LES COMPOSANTS DU FOYER

(x) Dates de mise en servise
Abondance d’eau pouvant servir à l’industrie : Caroni – 5000 m3/s ; orénogue – 20 000 m3/s
Production mineral de fer : 1972 : 17 604 490 T, avec 97% pour exportation.
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