Chimbote ou la croissance industrielle mal contrôlée
p. 101-110
Texte intégral
1Chimbote a été conçu dès le départ comme centre urbain de développement régional. En effet, le premier foyer industriel provincial du Pérou a d'abord été prévu pour des raisons purement productives et sa localisation choisie en fonction des facteurs de production. Mais sa création a été décidée par un organisme d'aménagement : la Corporation du Santa. Son prodigieux développement ultérieur a tenu autant à la planification industrielle qu'au hasard de l'expansion de la pêche dans le cadre d'un libéralisme sauvage.
2Et si l'agglomération passe de 4 000 habitants en 1940 à près de 200 000 en 1977, cela sera plus dû à l'explosion d'un habitat spontané entraîné par la fièvre des nouveaux emplois que par un urbanisme contrôlé dans le cadre d'une politique d'aménagement régional.
3En fait voici un centre industriel issu d'une politique volontaire et installé dans un secteur particulièrement aride et désert de la côte péruvienne qui a servi de détonateur à un développement industriel et urbain motivé mais anarchique. L'Etat, depuis, tente de reprendre en main cette croissance spontanée, de l'encadrer et de mesurer les effets qu'elle a entraînés dans l'arrière pays proche et lointain.
I. — CHIMBOTE, FOYER SIDÉRURGIQUE NATIONAL
4Chimbote en 1940 est une grosse bourgade de pêcheurs et une escale maritime commerciale d'intérêt purement local. L'excellente rade, la meilleure entre Paita et le Callao reste très peu utilisée faute d'arrière pays agricole et minier. La basse vallée du Santa malgré l'importance du débit du rio Santa demeure une oasis de faible production. D'abord parce que la vallée est étroite et vite bloquée par un cañon en amont et qu'elle nécessite de grands aménagements hydrauliques pour s'étendre et ensuite parce que les cultures, essentiellement du maïs et du coton, ne constituent pas un fret maritime comme la canne à sucre des oasis situées plus au Nord en Lambayeque ou au Sud comme dans la vallée de Nepeña.
5Chimbote n'a pas connu la grande fièvre du guano ni ensuite n'a servi de débouché à une mine de cuivre, de plomb ou de zinc, absente pendant encore longtemps de cette région. Bref, un simple port d'escale, d'abri ou de refuge, et même pas de ravitaillement depuis que les derniers clippers avaient cessé de voguer sur les mers du Sud. La rade sert surtout à une communauté de pêcheurs artisanaux qui, comme dans les baies voisines de Samanaco et de Coishco, pêchent le long du littoral très abondant en thons, bonites et poissons de table.
6En 1943, la Corporación Peruana del Santa, organisme para-public de développement régional essentiellement chargé de mettre en valeur le département de l'Ancash, ses mines et la production agricole andine, les ressources en charbon du moyen Santa et, surtout, les ressources hydro-électriques et hydrauliques du rio Santa, émet le vœu que le désenclavement de la Sierra et la croissance agricole régionale attendue s'appuient sur un centre urbain. En effet, entre Lima et Trujillo, existe un véritable vide urbain sur plus de cinq cents kilomètres.
7Mais entre le rio Santa et la vallée de Santa Catalina qui abrite Trujillo, il y a 140 km de Pampas désertiques où il serait vain d'implanter artificiellement une ville. En revanche, à 10 km au Sud de l'embouchure du rio Santa, la baie de Chimbote offre un site portuaire excellent. Au Sud, entre 25 et 200 km, on trouve deux oasis productives, Nepeña et Casma couvrant 30 000 ha. et, au Nord, la basse vallée du Santa s'étend sur 12 000 hectares. C'est là un arrière pays, sinon nul, du moins fort limité avec 30 000 habitants. Si l'on ajoute que le Sud de ce secteur est à égale distance de Lima à 200 km aussi, on concevra que l'arrière pays côtier de la rade de Chimbote sur 300 km représente un désert humain.
8Or la Corporación del Santa vise à irriguer 25 000 ha. dans le Bas Santa mais essentiellement 120 000 ha. tout au Nord, en Libertad, entre 100 et 180 km, c'est-à-dire dans le rayon d'action de la vieille métropole régionale de Trujillo.
9Les objectifs de la Corporation ne peuvent être donc d'encadrer une région côtière inexistante par un pôle urbain. En revanche, l'arrière pays andin et notamment la Cordillera Negra et surtout le Callejón de Huaylas sont déjà extrêmement peuplés avec 390 000 habitants dont au moins 200 000 dans la mouvance théorique de Chimbote par l'intermédiaire de la vallée du Haut Santa ou Callejón de Huaylas. La capitale de l'Ancash certes est située en Sierra et sur le haut Santa, ce qui est logique. Mais son isolement extrême lui ôte tout caractère animateur, dans la Sierra de l'Ancash nord et bien évidemment sur la Côte.
10De là l'idée, par un chemin de fer partant du port de Chimbote, de désenclaver le Callejón de Huaylas et 200 000 habitants ainsi que les mines du Haut Marañon, à condition de rentabiliser cette voie ferrée et le port de Chimbote. Les activités tertiaires ne pouvant suffire à créer et rentabiliser un centre urbain (on ne parle pas encore de pôle), seule une activité minière ou industrielle peut financer et activer une nouvelle ville en milieu désertique, et avec un arrière pays andin peuplé, mais au revenu très faible, malgré quelques mines d'argent au-delà de la Cordillère blanche sur le Marañón.
11Seul un centre industriel peut donc se développer. Or, l'Etat péruvien désire à cette époque comme tous les pays d'Amérique Latine1, installer une sidérurgie nationale. Politique volontariste du reste très timide dans un état où règne l'économie libérale et où les investisseurs étrangers ont l'habitude de remplacer un capital privé national très timoré dans le secteur industriel.
12La Corporation du Santa, inspirée par le groupe d'ingeneering H.A. Brasser, fut donc créée en fait pour établir une sidérurgie mais il est remarquable que dès cette époque, on songea à rentabiliser l'ensemble des opérations de transport et d'énergie par un rôle de développement régional-le désenclavement de la Sierra-et par une grande hydraulique,-une extension des cultures du littoral qui peu à peu, de projets en contre projets, allait s'étendre, dans les plans, sur 165 000 ha jusqu'au centre de la Libertad à 175 km du rio Santa !
13Donc un développement régional global appuyé sur un centre urbain nouveau. Chimbote présente un excellent port par où faire débarquer le minerai de fer de Marcona. Le sillon du Moyen Santa, très voisin, possède du charbon à Tallones sans que l'on se préoccupe s'il est cokéfiable mais, surtout, le cañon del Pato représente un bon site pour établir un barrage hydro-électrique.
14Les bases objectives seront donc un port pour l'importation du minerai de fer et pour l'exportation des produits miniers de la Sierra y compris l'anthracite de la cordillère noire, associé à un chemin de fer de 138 km jusqu'à Huallanca où la route prend le relai vers Huaraz à 115 km. Et surtout le Santa qui fournira l'énergie, l'eau indispensable pour l'industrie et une ville, et l'eau qui permettra de développer un arrière pays agricole irrigué.
15Comme on le voit, le projet porte bien son nom car l'eau reste peut-être initialement le seul facteur irremplaçable et indéplaçable. En fait, les rades naturelles de Coishco, Chimbote, à l'abri d'une île, et Samanco constituent des facteurs qui se révèleront aussi importants par la suite lors de la seconde phase de la croissance de Chimbote, celle qui a échappé aux planificateurs, dès le boom de la farine de poisson.
II. — DÉVELOPPEMENT ORDONNÉ ET CROISSANCE ANARCHIQUE
16Prévue dès 1943, la Sidérurgie n'entre en production qu'en 1958. De 1948 à 1956, le Général Odria, peu séduit par une économie volontariste et pris entre le double feu des milieux d'affaires qu'il soutient et qui le soutiennent, partisans d'un régime d'investissements privés et rentables, d'une part, et de la pression nationaliste, d'autre part, fait avancer le projet à petits pas. Mais il progresse : 1952 voit le contrat de vente à prix réduit du fer de Marcona contre la concession du gisement de fer (à 7 %) à la Utah Construction and Mining Co.
17La SOGESA, Sociedad Siderúrgica de Chimbote SA, créée en deux temps en 1956 et 1960, est détachée de la Corporación del Santa. Celle-ci garde la responsabilité de la construction de la Sidérurgie et surtout ce qui a trait à la centrale et à l'irrigation, au chemin de fer et au port. En plus, pour se rentabiliser, elle crée l'hôtel Chimu à Chimbote, point de départ des touristes, alors, pour la Cordillère Blanca, un des plus beaux sites touristiques du Pérou.
18Si l'énumération précédente donne l'impression d'une structure productive puissante, port, voie ferrée, mines de charbon et de fer, barrage, centrale, sidérurgie, projections sur l'irrigation et tourisme, il s'agit pourtant d'un marteau pilon pour écraser une mouche.
19Le port a une capacité de 400 000 t. mais 50 millions de dollars 1958 ont été dépensés pour l'usine et 30 pour la centrale. Le tout pour 40 000 t. d'acier ! En revanche, la Sidérurgie à elle seule a offert 1 600 emplois, le port 200 et le chemin de fer 100. Plus de 18 000 personnes vivent directement de la Sidérurgie et des installations connexes. Avec les retombées évidentes, c'est une ville de 30 000 habitants à haut revenu moyen et fixe qu'engendre la sidérurgie quand Trujillo atteint à l'époque juste 100 000 habitants dont 40 % de chômeurs ou prolétaires marginaux inclassables.
20Mais le rôle régional de la ville reste très faible ou au contraire négatif. Aux activités parachutées correspond une main-d’œuvre qualifiée de départements voisins et surtout de Lima Callao. Les manœuvres viennent, pour très peu, de la petite oasis du Santa où leur départ ruine du reste les haciendas traditionnelles comme Tambo Real et Guadalupito.
21L'irrigation qui doit être entreprise de pair pour renforcer l'arrière pays attend ses premières réalisations en 1969 ! Quant au chemin de fer, il permet une meilleure voie pour vider l'arrière pays agricole serranais. Et du reste mal commode, il sera vite concurrencé par les routes de Casma à Huaraz et surtout de Paramonga à Huaraz et Huallanca. La boucle est alors bouclée et le chemin de fer réduit au de bouché du charbon. D'un charbon qui s'avère peu cokéfiable et inutilisable pour la sidérurgie.
22On comprendra, dès lors, que Chimbote n'ait pas obtenu le rôle de pôle qui lui était dévolu. C'est un foyer industriel, coûteux, qui vide de ses ouvriers son environnement régional côtier. Santa, bourg de l'oasis du Bas Santa, demeure avec moins de 3 000 habitants le plus petit centre urbain d'oasis de la côte. Et Casma, située à plus de 60 km au Sud, continue à se développer indépendamment de Chimbote, en demeurant capitale de province. Le départ du phénomène de Chimbote aboutit à créer une enclave industrielle. Mais celle-ci va progresser indépendamment de la politique volontariste.
III. — LE BOOM DE LA FARINE DE POISSON ET LA DÉSORGANISATION URBAINE
23En fait, le rôle régional de Chimbote, demeurant très faible, c'est le rôle national déjà amorcé avec la sidérurgie, qui va se poursuivre avec la pêche et les industries de la farine de poisson. En 1951, les baies immédiatement voisines de Samanco, au Sud, et de Coishco, au Nord, ont chacune une usine de farine de poisson. En 1953, Chimbote, alors bourgade de pêcheurs artisans, voient s'ouvrir sa première usine de farine à base de déchets.
24En 1956, deux ans avant l'ouverture des hauts fourneaux, on pêche 118 000 tonnes de poissons à Chimbote et l'on ouvre entre 1955 et 1957, dix nouvelles usines de farine ; deux encore basées sur les déchets mais surtout huit fondées sur la pêche à l'anchois2. Dans tout le Pérou côtier, le grand boom de la farine de poisson, à partir de l'anchois, est commencé. Il va faire de Chimbote le premier port de pêche du monde avec trois millions de tonnes de prises et le premier port industriel de farine de poisson, avec 550 000 t. produites dès 1964 pour atteindre son record en 1968 avec 3 674 000 t. pour les seuls anchois.
25Dès 1962, vingt sept usines produisent ·395 000 t. de farine et 34 usines sortiront 809 000 t. en 1968, soit 39 % du Pérou auxquelles il faut ajouter 109 000 t. d'huile, soit 55 % du Pérou. Une flotte de 650 chalutiers de petite et moyenne capacité fera place, de 1962 à 1968, à 281 chalutiers de tonnage moyen et 53 chalutiers en coque d'acier, dont la capacité totale 43 000 t. représentera 25 % de celle du pays.
26Dès 1961, Chimbote a 60 000 habitants fixes et on admet généralement dans tous les organismes officiels qu'entre 25 000 et 40 000 personnes n'ont pas été recensées. Il est certain que la Junta de la Vivienda décomptera plus de 100 000 habitants en 1964 et que le recensement de 1972, en dénombrera, et ceci malgré un tremblement de terre qui détruit 72 % de la ville en 1970, plus de 120 000. Avec une marge d'erreur en deçà mal connue mais toujours estimée à près de 40 000 personnes.
27Si la sidérurgie, directement et indirectement, explique la présence de 18 à 21 000 habitants dès 1958, le fait qu'elle va végéter jusqu'en 1968 et surtout croître en 1973, n'explique pas cette prodigieuse hausse de population. Elle n'explique pas non plus l'essor de la pêche à Chimbote même. Les baies de Samanco et Coishco ont connu cependant un développement très limité et celle de Chimbote a vu l'implantation des pêcheries et de leurs jetées d'accostage, indépendantes du port commercial et sidérurgique. En fait, Chimbote, port bien équipé avec son entrepôt de produits pétroliers et la fourniture d'électricité, centre urbain déjà en voie d'être une tête de chemin de fer, un relais bien équipé sur la route panaméricaines, et qui offre les services d'une ville de 30 000 habitants, siège administratif de l'antenne locale de la Corporación del Santa, était privilégié pour recevoir les industries de la pêche. Certes, la rade est une des meilleures et les eaux littorales sont très abondantes en poisson. Mais les bolicheras de Chimbote croisent à 90 km au Nord et à 100 km au Sud et on a préféré les installations modernes de la nouvelle ville, notamment le port d'exportation.
28L'effet de cristallisation de la pêche à Chimbote est évident et, ici, l'entraînement de la sidérurgie a bien joué. Mais Chimbote sans sidérurgie eut été un port industriel de la farine de poisson comme il y en eut tant sur le littoral péruvien. Moins important, ce qui eut donné peut-être leur chance à Samanco et Coishco, toutes proches, et du reste intégrées complètement à Chimbote, et aussi à Casma au Sud et peut-être à un nouveau port plus au Nord.
29Les industriels de la pêche ont donc profité incontestablement, non seulement de l'excellente rade, mais de toute la gamme et de ses équipements et de ses services.
30Mais le système administratif de la ville s'est révélé incapable de supporter le choc des activités et encore moins d'encadrer la population immigrante.
31Chimbote n'est qu'un district, ce qui dans la pyramide administrative péruvienne n'est pratiquement rien, ni en budget ni en personnel. En effet, la capitale de province est Casma et celle du département est Huaraz, à 200 km en pleine Sierra.
32L'énorme département d'Ancash est totalement déséquilibré entre une Sierra surpeuplée et une Côte aride et déserte. En 1940, il y a 37 000 habitants sur la côte et 428 000 dans la cordillère ! En 1961, il y en a 126 000 sur la côte dont 60 000 à Chimbote, et 461 000 dans la Sierra. Entre temps, on a créé une nouvelle province, celle du Santa avec Chimbote comme capitale, tandis que Casma reste capitale d'une petite province au Sud. Maigre progrès qui ne donne pas, dans un pays où la planification régionale n'aura pas d'antenne en province avant 1969, une possibilité d'intervention très forte, au niveau de l'urbanisme et de l'équipement.
33Quant à la Corporation du Santa, créée pour la sidérurgie et aux prises avec de redoutables problèmes financiers, elle étend son champ d'action vers l'irrigation dans les oasis côtières. Privée de moyens, elle agit avec une lenteur telle que seul le Bas Santa voit ses cultures régularisées mais avec une très faible extension. Le Chao, le Virú, Santa Catalina (Trujillo) et le Chicama, visées par le vaste projet voient leur expansion retardée sans cesse.
TABLEAU 1. PROVENANCE DES IMMIGRANTS SUR LA COTE D'ANCASH 1961
AMAZONAS | 268 | LAMBAYEQUE | 2 135 |
ANCASH | 44 461 | LIMA | 13 157 |
APURIMAC | 239 | LORETO | 247 |
AREQUIPA | 983 | MADRE DE DIOS | 24 |
AYACUCHO | 341 | MOQUEGUA | 148 |
CAJAMARCA | 4 324 | PASCO | 234 |
CALLAO | 1 153 | PIURA | 3 402 |
CUZCO | 338 | PUNO | 202 |
HUANCAVELICA | 264 | SAN MARTIN | 226 |
HUANUCO | 1 557 | TACNA | 153 |
ICA | 790 | TUMBES | 441 |
JUNIN | 713 | DE L'ETRANGER | 776 |
LIBERTAD | 22 799 | TOTAL | 99 537 |
34Donc la Corporation du Santa ne s'occupera pas de logement. La Junta de la Vivienda, puis la Corporation de développement de l'Ancash Cordan puis le Sinamos, organisme politique d'intervention dans les bidonvilles, puis la Junta del Terremoto après le tragique tremblement de terre en 1970 et enfin la Orden, organisme de planification régionale, basé à Chiclayo, c'est-à-dire à 450 km ont compétence pour urbaniser Chimbote.
35Mais l'explosion urbaine les summerge. La pêche industrielle et artisanale proprement dite fournit environ 5 500 emplois auxquels il faut ajouter les 1 350 ouvriers des conserveries et les 2 880 (dès 1963), ouvriers des usines de farine de poisson auxquels il faut ajouter les 320 ouvriers des constructions ou réparations navales formant un bloc de 10 000 emplois faisant vivre au moins 60 000 personnes. Or, jusqu'en 1971, malgré des hauts et des bas de la pêche, il y a du travail à Chimbote et les activités se diversifient car la population active a de forts revenus, en moyenne le triple de la moyenne nationale et les activités induites sont importantes.
36En 1972, la population active se répartit ainsi :
TABLEAU II. INDUSTRIE, TRANSPORT, BATIMENT.
Aciéries et dérivés | 2 857 | |
Port | 453 | |
Pêche | 4 985 | |
Industries de la pêche | 6 280 | |
Construction navale | 410 | |
Transport routier | 890 | |
Bâtiment, meubles etc... | 5 340 | |
Industries alimentaires | 215 | |
Industries mécaniques | 230 | |
Industries électriques | 325 | |
21 985 | ||
Administrations publiques | 630 | |
Sièges sociaux, bureaux officines privées | 1 056 | |
Services hôtels, garages | 1 280 | |
Taxis, bus | 2 030 | |
Commerce patenté | 1 365 | |
Total population active enregistrée : | 28 346 |
37Voici donc une statistique du recensement de 1972, qui souligne évidemment le caractère industriel de Chimbote. La ville "avoue" alors 159 000 habitants, avec une population active de 28 346 personnes soit à peine 18 % contre une moyenne nationale de 32 %.
38Il est vrai que mille activités marginales échappent à toute classification. De même que la forte solidarité familiale péruvienne notamment dans les milieux d'origine rurale permet à une famille élargie parfois à ses collatéraux de subsister sur un emploi stable en augmentant les ressources du groupe, parfois 7, 8 voire 10 personnes par de petits emplois temporaires, ou purement marginaux comme ceux de vendeurs ambulants.
39Ici, l'appareil statistique le plus perfectionné serait défié par la mobilité et par l'origine de la population, et par la diversité des tâches et leur précarité. Toutes échappent à l'emploi, la sécurité sociale, à l'impôt et naturellement à tout recensement sérieux.
40On peut facilement avancer qu'à Chimbote, en 1972 et encore plus maintenant, à cause de la crise de la pêche, il y avait environ dix mille personnes dont l'activité le plus souvent très honorable ne pouvait être classée ni enregistrée.
41Nous avons estimé le seul marché de plein air de Chimbote centre à 800 étales. Il faudrait y ajouter plus d'un millier de vendeurs ambulants. Et comment comptabiliser tous ceux qui trouvent une embauche temporaire réduite à quelques semaines dans le bâtiment, à quelques jours voire quelques heures dans la manutention des transports et du commerce, ou de la décharge des poissons. Et les domestiques, et les taxis collectifs "sauvages", c'est-à-dire occasionnels. Les meublés et garnis ?
42En fait, la sidérurgie a offert une base de revenus fixes relativement élevés, et la pêche une masse d'argent très flottante, non au gré des saisons d'ouverture et de fermeture, mais aussi des hausses des prix de la farine mondiale et enfin des variations des prises suivant les années. Ces fluctuations feront, en plus de la soudaineté du boom de la pêche, que la population a non seulement afflué vers Chimbote mais sans sécurité d'emploi n'a pu ni trouver un logement au départ ni s'assurer les moyens d'en obtenir ou d'en garder un.
IV. — CHIMBOTE, UNE AGGLOMÉRATION DÉSARTICULÉE
43Non seulement la ville n'est pas prête à recevoir environ 80 000 personnes entre 1956 et 1966 mais en plus, elle n’en a pas les moyens administratifs.
44La planification générale et la Corporation du Santa ont planifié une sidérurgie et n'ont du reste même pas prévu les logements des 2 000 travailleurs. La municipalité est inexistante. Et il arrivera 80 000 personnes. Sans sécurité de revenus pour 75 000 d'entre elles ! Enfin, le milieu physique de Chimbote, n'est pas très favorable à l'urbanisation.
45L'espace ne manque pas, même s'il est battu par les vents marins forts, frais et humides huit mois par an. Le problème réside surtout dans le fait que la plaine qui longe la baie est marécageuse, les eaux d'un inferoflux du Santa et d'un affluent côtier bloquées par les dunes du littoral sourdent ici et là. Les glacis sur roche dure, plats et stables existent au Sud et à autant du rivage. Et les grands glacis d'éboulis juste au Nord de la ville sont proches mais très exigus.
46La population affluante n'a pu que constituer d'énormes bidonvilles qui groupent 75 à 85 % de la population. Ils occupent toute la plaine inondable sur six à sept kilomètres de longueur et trois de large. Au-delà du petit col qui domine la ville au Nord, la baie de Coishco a vu aussi par débordement du cadre physique de Chimbote, près de 10 % de la population s'établir là, à seulement douze minutes du centre.
47Mais qu'est-ce qui a circonscrit les bidonvilles ? La sidérurgie et son port occupent toute la partie plane et son terrain stable du Nord de la baie de Chimbote. L'usine bloque tout sur 3200 mètres de longueur et 800 mètres de large. Le cœur administratif et surtout commercial a empilé ses maisons "en dur" de qualité fort médiocre et généralement inachevées sur environ 250 hectares, de part et d'autre de la route panaméricaine. Ce "centre", pratiquement sans aucun immeuble jusqu'à 1972, fut détruit et recontruit tel quel après le tremblement de terre de 1970.
48Faute de cœur "colonial" en damier, faute d'un encadrement administratif, donc de personnel qualifié et de moyens, mais surtout faute de temps, la municipalité de pêcheurs d'une part, l'organisme de développement sidérurgique en perpétuel déficit budgétaire et aux prises à d'implacables freinages politiques, d'autre part, n'ont pu qu'assister au déferlement de la population. L'autorité de l'Etat ne s'est exercé que sur le terrain destiné à la Sidérurgie et au Port. Celles qui ont pris en charge le logement n'ont réussi qu'à occuper la pampa ensablée et en pente, mais saine et proche du centre, au Nord de la ville.
49Dès 1965, banques, promoteurs, mais aussi Junta de la Vivienda, établissaient à plus de huit kilomètres du centre portuaire une urbanisation pour haut de classe moyenne, cadres petits et moyens. Les cadres supérieurs de la pêche résident à Lima et ceux de la Sidérurgie vivent dans leur propre quartier dans l'enclos de l'aire de la SOGESA à proximité immédiate des hauts fournaux. Cette urbanisation, compte tenu de la distance, était cependant réussie pour au moins quatre raisons.
50. L'espace y permet la résidence individuelle et un jardin éventuel s'il y a de l'eau.
51. La position en dehors de l'éventail des vents du Sud-Sud-Ouest provenant des fabriques de farine de poisson qui émettent une puanteur difficilement soutenable. D'où le nom de Buenos Aires bien trouvé à double titre. Pas d'odeur et quel grand air ! Le souffle de l'alizé, notamment renforcé par la brise de mer dans l'après-midi, heurte de plein fouet ce quartier. Et l'ensablerait si on ne plantait des paravents de pins casuarinas.
52. Troisième avantage, et non le moindre, l'urbanisation est construite à l'abri de l'inondation sur un niveau horizontal taillé dans les roches cristallines des premiers contreforts andins.
53Enfin, un quatrième avantage apparut certain lors du tremblement de terre de 1970 et fut dûment signalé dans leur rapport par les géographes Dollfus et Tricart à la Junta du tremblement de terre, à savoir que la faible élasticité des grano-diorites contrairement à celle des argiles plastiques de la baie, avait évité de graves dommages aux maisons pourtant bâties en mauvais ciment. Alors que les habitations, précaires ou non, avaient toutes été détruites ou très fortement endommagées dans la vallée alluviale et marine, c'est-à-dire là où résidaient 85 % de la population, les dégâts étaient nuis ou minimes sur le cristallin à Buenos Aires.
54Le rapport préconisait d'établir la ville reconstruite sur ce type de plateau en roches cristallines. Ni les faibles moyens débloqués, ni les longs délais, ni surtout l'autorité indispensable ne permirent une politique de reconstruction logique et progressive.
55Les habitants livrés à eux-mêmes rebâtirent sur les lieux dans le "centre" et à l'Ouest de la plaine de la baie. Seul fut interdit l'Ouest de la baie inondable et inondé. On évita donc un des inconvénients insupportables mais on garda l'atmosphère empestée, l'entassement malgré quelques avenues très larges permettant une meilleure circulation et un léger détournement de la route panaméricaine à partir de 1974, enfin on ne retint pas les conclusions concernant les secousses sismiques sur les argiles.
56Le tremblement de terre révéla l'impossibilité de gérer l'espace urbain au-delà de la percée de quatre grandes avenues parallèles Nord Sud et de la déviation de la Panaméricaine. Seule l'aire de la Sider Peru (qui absorba en 1971 la SOGESA après la révolution militaire en 1971) a été préservée au Nord, tandis que des conserveries et fabriques de farine subsistantes des 42 initiales nationalisées en 1973 après les désastreuses campagnes de 1972 et 1973, occupent la ligne du rivage des baies de Samanco, Chimbote et Coishco.
57Au total Chimbote apparaît en 1977 à peine mieux encadrée qu'en 1962 après que successivement l'ait frappé une crise de la pêche en 1965, un tremblement de terre dévastateur à 80 % en 1970, une crise prolongée de la pêche de 1972 à 1975 par disparition de 50 à 80 % des bancs d'anchois et par les nationalisations successives de l'industrie puis des bâteaux suivie en 1976 de la revente des bateaux.
58Mais la ville, selon toutes les estimations jusqu'à la crise politique de 1976, n'avait pas vue son emprise sur l'espace, diminuer, même si sa population avait vu fléchir catastrophiquement ses revenus. Mais d'où venait cette population stable pour au moins 120 000 de ses habitants et flottante pour 30 à 60 000 du reste ?
V. — CHIMBOTE ET SON ARRIÈRE PAYS
59Force est de constater que l'effet d'entraînement ne se mesure guère. Aucune activité agricole, commerciale, administrative et industrielle n'attendait Chimbote, faute d'exister. D'abord la population. Le tableau montre que 99 537 habitants ont émigré vers la côte de l'Ancash. Dont 55 000 pour Chimbote et le reste 44 000 pour Casma agricole ! Mais surtout pendant le même temps la cordillère de l'Ancash a vu partir 174 000 habitants dont 44 000 seulement pour la côte de l'Ancash sur lesquels 32 000 pour les oasis et villes moyennes de la province de Casma !
6021 000 seulement sont allés à Chimbote, n'étant ni pêcheurs ni ouvriers. Les 34 000 autres sont essentiellement venus des villes de pêche ; Callao, Chancay, Supe ont envoyé 25 000 immigrants et le reste du pays encore 9 000.
61Cela revient à dire que Chimbote a exercé une attraction sur la main-d’œuvre qualifiée ou industrialisable de tout le pays et surtout de Lima alors que seulement 21 000 serranais de l'Ancash venaient grossir le tertiaire marginal de la cité industrielle ! Et finalement dans une plus faible proportion qu'on aurait pu le penser. La grande majorité des émigrants montagnards est partie pour 100 000 vers Lima et le reste 44 000 vers les oasis de la côte où elle pouvait utiliser sa qualification d'agriculteur.
62Les résultats du recensement de 1972 sont légèrement différents. 136 000 sont nés dans le Santa dont 81 000 à Chimbote et 55 000 dans son arrière pays du Santa qui a progressé à peu près au rythme du pays entier et sensiblement moins vite que la côte !
63L'Ancash a vu sa population totale enregistrée monter à 726 215. En fait le département et donc Chimbote n'a pas encore retenu un énorme flot d'émigrants, soit avec 631 906 restées en Ancash, 227 361 personnes ayant émigré dont près de la moitié depuis 1961, pendant le boom de la pêche. Mais aux 631 906 personnes étant demeurées en Ancash s'ajoutent 94 309 immigrants venus des autres départements avec 85 458 pour Chimbote dont 55 % environ depuis 1961.
64Chimbote est loin de retenir la population agricole migrant vers Lima ou les oasis de la côte, et notamment pas celle de Santa qui n'a pas vu sa population augmenter au rythme des vallées sucrières situées au Nord et au Sud. En revanche, elle a offert un débouché incontestable à la population qualifiée et prolétarisable de Lima et surtout de la Libertad d'où arrive 18 000 émigrants que l'on retrouve plus dans les petits emplois marginaux.
65Quant au rôle régional, le chemin de fer a très peu drainé les produits de la Sierra qui préfèrent la route de Huaraz Paramonga Lima et il ne survit pas au tremblement de terre. Le port reste très essentiellement lié à la Sidérurgie et à l'exportation de la farine de poisson et à l'huile (entre 200 et 750 000 tonnes contre 12 000 tonnes aux marchandises) et de Nepeña. Les vallées du Santa seul arrière pays agricole côtier ont été touchées par l'attraction de la main-d’œuvre vers Chimbote attirée par les hauts salaires.
66Le faible encadrement administratif au niveau provincial, les luttes de compétence entre divers organismes lointains (Chiclayo, Huaraz, Lima) depuis le tremblement de terre, et enfin la faiblesse de l'intervention agricole de la Corporation du Santa ont empêché toute action animatrice de la région. Son taux d'encadrement administratif, sanitaire et scolaire reste un des plus bas des capitales provinciales et n'a rien à voir avec celui qu'on peut attendre d'un pôle régional.
67Non seulement Chimbote sera restée une enclave industrielle, d'intérêt national du reste indiscutable et sans rôle polarisateur mais ses propres équipements urbains et ses services demeurent largement au-dessous de la moyenne nationale au niveau des villes de plus de 100 000 habitants.
68Malgré bien des vicissitudes. Chimbote a joué un rôle et jour toujours un grand rôle dans l'industrie nationale. Point de fixation très relatif des populations rurales du Nord et du Centre Nord, première agglomération industrielle provinciale du Pérou, elle reste encore étrangère à un ensemble régional auquel ne manque certes ni l'infrastructure énergétique ni celle des transports, mais avant une base agricole côtière importante et qu'un no man's land désertique et montagneux sépare d'un arrière pays montagnard lui-même très étiré et trop bien relié à Lima.
69Chimbote reste disponible pour une région qu'il faudra créer, et qui s'affirmera beaucoup plus minière, énergétique et industrielle.
CHIMBOTE : FICHE DE PRÉSENTATION
70410 km au Nord de Lima sur le littoral.
71Port, agglomération de 186 000 h. complexe sidérurgique. Industrie de la farine et de l'huile de poisson. Siège de la Corporation du Santa, organisme de développement régional, industriel, énergétique, portuaire et agricole.
72Port de pêche et d'escale locale jusqu'en 1958, date de la mise en route de la sidérurgie et du grand développement de l'industrie de la pêche.
1941 | 1961 | 1972 | 1976 estimation | |
Population : | 4 000 | 60 000 | 159 000 | 186 000 |
Sidérurgie :
Projet 1943-1958 première coulée 1973. Plan d'aggrandissement et de quadruplement de la production.
Bases : . électricité d'une centrale hydroélectrique du canon del Pato à 140 km sur le rio Santa.
. coke du Japon, le charbon du Santa n'étant pas cokéfiable.
. le minerai de fer vient des mines de Marcona (Sud du Pérou expédié par mer de San Juan à Chimbóte (540 km).
. le port a une capacité de 400 000 t. en 1958 et un million de tonnes en 1977.
. la panaméricaine passe par Chimbote.
Investissements :
50 millions de $ (1956) en 1958
+ 30 pour la centrale électrique 1958
+ 18 pour la voie ferrée 1958
+ 36 millions de $ (1968) de 1958 à 1968
+ 46 millions de $ (1968) de 1969 à 1973
+ 1 200 millions de $ (1074) de 1974 à 1980
+ 700 millions de $ (1974) de 1981 à 1988
Société mixte SOGESA jusqu'en 1971, ensuite SIDERPERU, Société autonome nationale.
Production de fonte : | 300 000 t | 1976 |
Production d'acier : | 550 000 t |
Prévisions : 1,2 million de t. en 1980, 2,2 millions de t. en 1982.
Comparaison avec Nazca, le nouveau complexe 4 millions de t. prévues pour ses débuts en 1978.
Emplois | 1 600 emplois en 1963 | Sidérurgie |
2 600 - - 1976 | ||
1 100 - - | dans la métallugie lourde industrielle |
Pêche : 280 chalutiers 5 000 emplois en 1972
Industrie de la pêche : 10 280 et industries induites
Fluctuations du tonnage d'anchois pêché (mille t.).
Notes de bas de page
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