Conclusions
p. 173-174
Texte intégral
1La colonisation par des paysans recouvre donc un très large éventail de cas particuliers. On pourrait en amorcer la typologie en partant des colonisations peu ou pas encadrées, comme dans le Peten guatemaltègue ou dans les colonies nationales du Paraguay oriental. Là où il y a encadrement, la part de l'initiative locale diminue depuis des cas techniquement simples (groupes Ujamaa de Tanzanie ?) jusqu'à des projets de haut niveau technique où les décisions centralisées prédominent. L'encadrement d'une monoculture est le cas le plus fréquent (alors subsiste une initiative paysanne parallèle pour les cultures d'autosubsistance) et celui d'une polyculture moderne reste l'exception. Enfin le degré de réussite (sociale ?) relève de la qualité technique (parfois très défaillante) du projet et surtout de bonnes conditions de commercialisation des produits assurant une croissance des revenus des familles de colons. Dans les cas de réussites comme dans la colonisation brésilienne du Parana occidental, on observe une intégration étroite de l'industrie et de l'agriculteur dans une véritable "chafhe" agro-industrielle qui l'encadre en amont comme en aval.
2On a pu noter que très souvent c'est sous forme de coopérative que sont organisés les colons : si cette forme d'intégration de la paysannerie leur laisse le plus souvent bien peu d'autonomie, si l'on tend bien souvent à considérer les colons-coopérateurs comme des salariés (et c'est bien sur le plan syndical qu'ils se défendent...), pourquoi cette fiction ? Sans doute parce que la logique technique de la plantation, grande exploitation agricole moderne à main d'oeuvre salariée, n'est socialement souhaitée ni par les bailleurs de fonds ni par les autorités socio-politiques. Il faut donc assurer la cohérence du projet technico-commercial à travers la fiction de l'association coopérative des colons "indépendants" parce que propriétaires...
3Certes des cas limites peuvent être relevés : l'armée bolivienne représente une main d'oeuvre salariée particulière dans certaines opérations de colonisation ; dans un tout autre contexte les élèves des écoles secondaires à la campagne de Cuba sont une main d'oeuvre à mi-temps installée sur des terres neuves. Mais, sauf exception, souhaite-t-on supporter le coût d'une main d'oeuvre salariée stable, permanente, dans la grande agriculture moderne ? On assure sans doute cette stabilité à moindre frais avec des colons-coopérateurs. De plus ceux-ci peuvent recevoir du crédit, c'est-à-dire supporter les risques de la production, qu'ils proviennent de l'imprévoyance ou de la mauvaise qualité des travaux exécutés, ou qu'ils proviennent des aléas climatiques. Enfin la tendance de l'"entrepreneur" qui gère une plantation sera de limiter au maximum le nombre de salariés permanents pour des raisons de coûts et de risques sociaux : cela peut aller à l'encontre des objectifs globaux de peuplement dans une zone de colonisation censée soulager d'autres zones surpeuplées. Ainsi la logique technicienne de la plantation à main-d'oeuvre salariée est une tendance qui ne s'accomplit vraiment que dans les cas exceptionnels où cette main-d'oeuvre sera sûrement docile et bon marché. Ailleurs les colons-coopérateurs-paysans assurent une meilleure souplesse du système social.
4Les zones de colonisations, lieu privilégié de l'encadrement de la paysannerie, révèlent le contenu de la société paysanne locale. Il nous faut prendre conscience de ce que le paysan africain n'est pas un et que les ethnies jouent différemment leur partie dans les opérations de colonisation. De même, en Amérique Latine, le brésilien du sud diffère largement du caboclo d'Amazonie, tout comme le norteño mexicain diffère de l'"indigène" du Oaxaca, même si celui-ci est hispanophone.
5Mais plus encore se révèlent dans les zones de colonisation les traits majeurs de la société globale qui mène l'opération : certes une rationalité technique commune se retrouve dans tous les cas, mais bien plus que des nuances sont apportées par les projets des Etats. Ceux-ci dévoilent l'idéologie nationale qui dans les pays du Tiers Monde se mélange avec l'idéologie des conseillers, techniciens, bailleurs de fonds qui assurent l'aide internationale réglée par les grands blocs. Et sur le plan national interne ce sont des options fondamentales qui apparaissent ici : celles qui concernent le milieu naturel, le territoire national, la population. Mais ces options ne sont pas simplement celles de l' "Etat" ; non qu'il n'existe en tant que tel, mais il est loin d'être toujours monolithique : ainsi, au Brésil il faudra savoir quel est le jeu de différents ministères ou services publics, de gouverneurs d'Etats, des milieux paulistes, etc...
6Ainsi les zones de colonisation nous montrent-elle s bien des réalités fondamentales de la vie sociale concrète des pays du Tiers Monde.
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L’encadrement des paysanneries dans les zones de colonisation en Amérique latine
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