Le projet Shuar et la stratégie de colonisation du Sud-Est Équatorien
p. 55-66
Texte intégral
1Les opérations d'encadrement de populations rurales, nous apparaissent généralement (et parfois nous les pensons ainsi) en termes d'intervention extérieure en milieu paysan, de stratégie imposée, de méthodes et techniques : nous présentons ici un cas radicalement différent. Cette communication veut montrer comment un groupe humain de l'Oriente équatorien a rompu, tant du point de vue idéologique que pratiquement, avec les modalités auxquelles nous a tant habitué la logique de l'expansion capitaliste.
2En but aux terribles épreuves de la colonisation amazonienne, le peuple Shuar, qui appartient à la famille ethno-linguistique Jivaro, s'est mis dramatiquement en marche vers la modernisation de sa propre culture. Bien que préliminaires, les notes ci-dessous nous semblent se justifier par la signification qu'apporte l'expérience du peuple Shuar dans la critique actuelle des modes de développement. Il nous appartient de présenter d'abord rapidement l'espace et les protagonistes.
I. DONNÉES FONDAMENTALES
1. Un milieu naturel aux potentialités mal connues
3Dans le sud-est équatorien, il convient de distinguer vallées orientales et plaines orientales. Dans les premières coulent le Palora-Pastaza, l'Upano-Namangoza et le Zamora-Santiago, encaissés entre les pentes orientales de la cordillère centrale des Andes et les pentes occidentales assez larges pour l'Upano ; mais les chaînes sont accidentées ; le Tropique humide y règne. Ce que l'on sait de l'usage du sol est largement hypothétique : sur 586 000 ha., 120 000 en pâtures, 410 000 en forêts naturelles et par déduction 76 000 ha. seraient en culture. Pratiquement aucun renseignement officiel sur les potentialités des plaines orientales. Sans doute sur 1 500 000 ha., des terres forestières plates ou ondulées, mal drainées. On estime que 50 % sont inaptes aux utilisations forestières ou agropastorales, 12 % seraient utilisables par l'agriculture, 18 % par l'élevage et le reste par la sylviculture.
2. Possessions des Shuars et possessions des colons
4Selons certaines études, la population Shuar se disperserait sur 430 000 ha. en Equateur et 278 000 au Pérou. Ce domaine en Equateur s'étend tant aux vallées qu'à la plaine, principalement dans leurs portions orientale (Macuma - Postaza) et méridionale (Yaupi - Santiago).
5Mais légalement, on est loin d'avoir reconnu aux Shuars tout ce domaine : actuellement, les attributions concernant les Shuars sont aussi importantes que celles destinées aux colons. Voici le dernier rapport officiel sur les attributions réalisées par l'IERAC en 1964-1974 dans la province de Morona-Santiago :
Total | 210 000 ha. | 3 987 familles |
Shuars | 110 240 ha. | 1143 familles |
Colons | 102 060 ha. | 2 531 familles |
6Les attributions auraient crû sensiblement vers 1976 (total atteint alors : 254 043 ha.). Les rapports signalent que seulement 25 % de ces attributions concernent la plaine orientale.
3. Jalons de l'occupation du territoire
7Une longue période suivra la destruction des implantations espagnoles (lors d'une insurrection indigène en 1599) : on n'assistera en effet à l'installation du premier noyau stable de colons qu'en 1810, à Gualaquiza, province de Zamora-Chinchipe. Ce n'est qu'à la fin du siècle, en 1893, que viennent s'installer de manière stable les premiers missionnaires salésiens, à Indanza, point de départ des missions créées à Mendez (1916), Macas (1924), Sucua (1931), et Chiguaza (1954).
8Ce n'est qu'après 1930 qu'on peut parler du développement d'un "front" de colonisation. Les missionnaires vont créer un processus d'entraînement particulièrement net dans les provinces de Azuay et de Cañar. Si le processus est lent, en raison de la précarité des moyens de cette colonisation spontanée, une certaine accélération apparaît dans les années 1930-1941 à cause de la reprise d'activité dans les placers d'or sur les rivières comprises entre le Zamora au Sud et le Namangoza au Nord.
9L'ouverture de la route (troncal) de l'Upano, axe principal de pénétration de 127 km. depuis la ville de Cuenca, marque une nouvelle avancée de la colonisation dans les vallées orientales vers le nord. Actuellement, quelques dizaines de kilomètres de chemins vicinaux s'y ajoutent.
10Enfin la mise en place d'un système administratif dans la région à partir de 1937, sous forme de cantons et paroisses, est aussi un effet stimulant pour l'implantation d'une population venue de l'extérieur.
11On peut jusqu'à présent distinguer trois étapes dans la colonisation officielle menée par le CREA et l'IERAC depuis 1964 :
- jusqu'en 1969 une aide à la colonisation spontanée, opérant dans la vallée de l'Upano, sous forme de constructions de chemins signalées ci-dessus principalement, et sous forme d'une campagne d'enregistrement des titres fonciers ;
- de 1969 à 1978, le projet Upano-Palora prévoit l'installation de 3 800 familles, mais on est resté jusqu'à présent très loin de ce but : sept centres de peuplement seulement ont été créés et leur fonctionnement en coopératives ou semi-coopératives reste précaire ;
- à la fin de 1975 démarre le projet Morona, dans l'est de la chaîne de Cutucù, canton de Morona. L'état d'avancement est très modeste jusqu'en 1977, puisque un seul centre prend forme, à San José de Morona.
12Conclusion importante : mises à part l'expansion et l'amélioration des communications et la mise en place de quelques services, la colonisation officielle semble n'avoir pas modifié notablement la précaire installation des colons, ce sur quoi nous reviendrons.
4. Les imprécisions de la démographie
13Pour 1968, l'INEDES estimait en 1968 la population à 35 769 habitants pour la Province de Morona - Santiago, à 29 210 pour celle de Pastaza et à 16 077 pour celle de Zamora Chinchipe. Deux axes de discussion à partir de ces chiffres : le montant de la population indigène était quasi ignoré en 1962, date de départ de l'estimation ; il était bien difficile de prévoir le rythme réel de la colonisation, qui passait alors de sa phase spontanée à sa phase officielle. Ceci apparaît clairement quand on compare divers chiffres disponibles et de toute manière la population indigène semble largement sous-estimée.
14Selon les chiffres actuellement disponibles, on peut faire seulement une estimation des populations "blanche" et indigène. Selon les chiffres par provinces du CREA (53 325 habitants en août 1976 pour la province de Morona - Santiago) et ceux fournis par la Fédération des Centres Shuars auxquels on ajoute une population d'"assimilés" et un certain nombre d'indigènes, soit dans des coopératives, soit isolés, il résulte que la population indigène dépasse le tiers du total dans cette province.
5. Les Shuars, les missions et la colonisation
15L'installation des Missions et la colonisation se développent sur les antiques territoires tribaux du peuple Shuar, ce qui a rapidement fixé dans l'Oriente une "zone de friction" culturelle où tous les processus vont dans le sens d'une destructuration de la culture indigène traditionnelle. Au centre de ce problème se situent les conflits de terre qui finissent par être permanents.
16Durant toute cette période de conflits, le Shuar va emprunter plusieurs voies pour survivre :
- Se rapprocher du colon pour s'adapter à une nouvelle rationalité et essayer d'assimiler la "culture du progrès". Une telle expérience se solde en général par l'inclusion dans un système de dépendance et d'exploitation dans lequel le Shuar devient serviteur (criado), ouvrier agricole (peon) et dans le meilleur des cas métayer instable (partidario). Dans ce cas, l'acculturation est profonde et spontanée.
- De nombreuses families Shuar se sont intégrées au système des Missions, soit pour y chercher protection, soit attirées par les possibilités de travail dans les reducciones ou réserves que l'Etat accorde aux Missions. Ici, l'acculturation sera systématique, accélérée par l'éducation assurée dans les internats religieux.
- D'autres Shuars ont choisi de s'éloigner de la "zone de friction" vers l'est, vers les régions du Pastaza, ou vers le sud dans la province de Morena - Santiago. Ce mouvement de peuplement nous intéresse pour deux raisons : il contribue à développer des relations entre les groupes dispersés de la plaine amazonienne et ceux des vallées et il va accroître la résistance de la culture traditionnelle Shuar, ce qui aura bien sûr une extrême importance. Là-bas vont survivre plus purs les mythes, les pratiques traditionnelles, l'artisanat.
- Une minorité de Shuar enfin a essayé d'émigrer vers l'ouest, soit en traversant la Sierra pour s'installer dans la forêt dense occidentale (canton de Milagro), soit en gagnant la région de Limon. Leurs conditions de vie ont été des plus précaires, tant pour la possession de la terre que par rapport à la désagrégation culturelle.
17Comme résultat de tout ceci dans les années 1960, on pouvait constater que la culture Shuar traditionnelle avait été profondément atteinte par l'acculturation, mais que subsistaient des noyaux de résistance culturelle et que plus généralement une série de comportements Shuar se développait, mécanisme d'ethnogénèse en réponse à celui de l'ethnocide. Aujourd'hui, la colonisation officielle menace d'un nouvel assaut, le dernier peut-être, ce peuple et cette culture qui n'avaient pu être conquis en 400 ans. C'est la conscience du danger et, peut-être pourquoi pas, l'instinct de conservation, qui va permettre au peuple Shuar d'inventer une réponse. Celle-ci est un instrument et aussi un projet. Projet au sens le plus large du terme celui d'une finalité supérieure, débordant les limites de l'existence actuelle du groupe.
II. UN INSTRUMENT ET UNE STRATÉGIE POUR LA MODERNISATION
18La Fédération des Centres Shuar, née à ce moment dramatique pour la survie du groupe, est actuellement un organisme complexe et puissant, qu'on ne saurait en rien comparer à d'autres structures d'association, parce qu'au-delà d'une structure d'encadrement d'une population rurale, elle apparaît comme l'autorité suprême d'une nation indigène, compétente pour tous les aspects de la vie de ses membres. Bien plus, cette organisation moderne semble avoir acquis certaines valeurs de prestige propres aux autorités tribales vis-à-vis de la population indigène. Une telle identification n'est probablement pas étrangère à son activité dynamique, malgré la modestie de ses moyens.
1. Les origines
19L'origine de l'organisation et ses orientations stratégiques découlent d'une convergence de facteurs difficiles à hiérarchiser. En tout cas, il est particulièrement décisif qu'apparaisse au seuil des années 60 une première génération de Shuar adultes ayant parcouru une scolarité dépassant le primaire jusqu'au secondaire ou au technique. On trouve dans cette génération un groupe qui, sous diverses influences, va s'engager dans une pratique et une réflexion centrées sur le sauvetage de l'identité ethnique et culturelle. Ce groupe participe en septembre 1961 au premier cours de formation de dirigeants organisé à Sucùa : l'élaboration du statut de l'Association des Centres Jivaros de Sucùa en sort, véritable acte de naissance de la FCSH ; c'est elle qui, dès 1962, servira de base à l'extension de l'organisation à toute la province de Morona - Santiago.
20Le rôle joué par quelques missionnaires salésiens de Sacùa semble tout aussi décisif : leur collaboration intellectuelle laisse des traces évidentes dans la définition idéologique comme dans la pratique de l'organisation. Matériellement, leur appui fut indispensable et il est évidemment décisif que les reducciones dépendant des Missions aient été le lieu d'organisation des premiers Centres ou cellules de base.
21Il est intéressant de remarquer que ces initiatives des Missionnaires sont largement antérieures au virage que l'Eglise Catholique donne à sa politique en zones indigènes d'Amérique (qui commence en 1968-1971 par "l'indigénisation" de l'Eglise). Plus tard, la FCSH née en 1964 trouvera de nouveaux appuis intellectuels pour définir ses bases stratégiques. Il y aura confluence majeure entre dirigeants indigènes, église et spécialistes de l'ethnologie et de l'anthropologie indigène. Jalons dont il faut se souvenir : déclaration de la Barbade en 1971, Parlement des Indiens du cône sud américain à Asuncion en 1974, Symposium des Indigènes Américains en Floride en 1975. Les sources idéologiques de la FCSH et ses projets semblent étroitement liés à cette confluence.
2. Les ruptures idéologiques
22La revendication Shuar essentielle de la FCSH est un pluralisme culturel à l'intérieur de l'Etat équatorien, considéré comme condition indispensable du sauvetage de l'identité culturelle et ethnique indigène. Cette revendication répudie tous les projets qui poussent consciemment ou non l'assimilation et finalement à l'ethnocide du groupe indigène. C'est en même temps bien sûr une rupture avec les idéologies qui aliment les politiques et les pratiques assimilationistes.
23La pratique du pluralisme culturel contient une autre revendication sans laquelle il n'est pas viable c'est celle de l'autonomie pour conduire le développement chez les Shuar. Cette autonomie conditionne la liberté de progresser vers la modernisation selon les rythmes et les modalités les mieux adaptées à la tradition culturelle et donc sans destructuration.
24Bien sûr la liberté pour un développement culturel parallèle est une pratique inconnue dans l'histoire des Etats-Nations et plus encore en Amérique Latine. Ce n'est qu'au milieu du XXème siècle que les Etats-Nations occidentaux voient renaître des revendications ethniques et nationales qui contestent le long processus d'assimilation, d'anéantissement et de négation des différences ethniques et culturelles. C'est de nos jours seulement que la conception de l'Etat "national" est mise en question, créant une crise des vieux principes.
25Il n'est donc pas étonnant que les principes d'une culture Shuar parallèle au sein de l'Etat équatorien viennent en contradiction avec les idées dominantes et tout d'abord avec l'idéologie publique de l'Etat nationaliste qui suppose une homogénéité ethnique équatorienne mettant en relief le caractère métis de la société "nationale". Cependant, le discours métis équatorien semble laisser un champ ouvert au jeu pluraliste, au moins là où le pluralisme est une revendication appuyée par une stratégie cohérente, théoriquement et pratiquement. Ceci reste possible dans ce pays où la lutte entre la tendance intégratrice du pouvoir central et les diverses résistances ethno-culturelles reste un problème non résolu.
26Un tel aspect peut être repéré dans la loi de 1972 qui réaffirme l'objectif de "créer une culture nationale" en Equateur, culture nationale pour tous, sans tenir compte des différences ethniques et linguistiques, parce que "nous en venons tous à être blancs quand nous acceptons les normes de la culture nationale". Ceci laisse une zone de jeu possible pour propager le bilinguisme, sous forme d'une collaboration proprement dite avec les plans d'éducation de la FCSH.
3. Autres rationalités
27Comme stratégie économique aussi il y a rupture avec les objectifs de productivisme à tout crin que propage ou voudrait propager la colonisation officielle.
28La visée productiviste suppose que les colons soient rapidement intégrés au marché et qu'une "sélection naturelle" prenne vite corps dans les zones de colonisation. Actuellement, la seule production réalisable pour le marché des grandes villes est celle de l'élevage, qui a besoin nécessairement de "s'agrandir" : abandon par les uns et concentration des terres par d'autres, relations de salariat et tenures précaires gagnent vite du terrain.
29Face à cette rationalité des colons, celle des Shuars apparaît comme la recherche d'un système économique qui harmonise l'économie traditionnelle avec un segment d'économie marchande selon les avantages de la modernisation auxquels les Shuars sont sensibles et selon la capacité de résistance à la modernisation que présente leur culture. De telle sorte que le leit-motiv cesse d'être productiviste.
30Ceci se comprend mieux encore si l'on tient compte des caractères de l'équilibre qui, chez les Shuars, s'établit entre coopération mutuelle de l'agriculture traditionnelle et des travaux d'intérêt commun, et auto-affirmation de la personne que certains auteurs ont souligné comme un caractère original de ce peuple. Il faut aussi se rappeler que les relations économiques entre personnes, familles et tribus se fondaient sur la réciprocité et la participation, et que le travail avait à la fois un but matériel et un contenu rituel.
31On peut alors comprendre que la rationalité du projet Shuar impose que l'égalitarisme règne dans les relations sociales qui assureront le passage d'un système économique à l'autre, soit de la simple agriculture itinérante traditionnelle avec cueillette à un système agropastoral moderne plus complexe. En fait, les organismes officiels sont loin d'accepter cette rationalité.
III. AXES PRINCIPAUX DU PROGRAMME DE DÉVELOPPEMENT
32Fin 1977, la FCSH était composée de 14 associations groupant 159 centres fédérés, soit un total de population organisée de l'ordre de 26 000 personnes réparties dans trois provinces du sud-est équatorien. Peut-être ces chiffres parleront peu si l'on oublie les problèmes liés à la dispersion et aux difficultés de transport en milieu amazonien. Ils parleront peu aussi à ceux qui, de coutume, analysent des opérations d'interventions rurales couvertes par le poids financier et les moyens des grands projets. Si l'on accepte ces précautions, l'œuvre de la FCSH est surprenante ; comme nous n'avons pas les moyens dans cet article de décrire en détails tous les programmes en cours qui, ensemble, forment une stratégie de développement intégral du peuple Shuar, nous examinerons en priorité dans cette perspective trois axes privilégiés.
1. Priorité au renforcement de l'identité culturelle
33Pour la FCSH, il n'y a pas de stratégie socio-économique possible sans donner priorité au renforcement de l'identité culturelle, si bien que le programme culturel et éducatif est au centre de son action. Celui-ci mériterait plus d'attention que celle que nous pouvons lui prêter ici, car il est exemplaire à divers points de vue.
34On y trouve d'abord une recherche de la convergence entre les deux cultures, Shuar et occidentale. Tout le programme culturel et scolaire est bilingue ; la langue Shuar sert à valoriser et à développer la culture indigène classique, instrument indispensable pour une prise de conscience interne du peuple Shuar afin qu'il puisse être le moteur de son propre développement. Le rôle de l'espagnol est de rendre le peuple Shuar capable de communiquer avec la culture dominante en des termes les moins aliénants et les moins destructurants possibles. La valorisation de l'identité ethnique est donc la garantie de la communication entre cultures.
35En second lieu, pour démentir les opinions fatalistes relatives à l'usage moderne des langues indigènes, on assiste à la production de tout un matériel écrit, tant pour les programmes éducatifs ou culturels que pour la recherche sur la culture Shuar et sa vulgarisation, tant en langue indigène qu'en espagnol.
36En troisième lieu, les moyens de communication de masse modernes, radio surtout, ont été mis au service des programmes éducatifs et culturels avec une efficacité inconnue ailleurs : Radio Federación couvre en 16 heures quotidiennes ininterrompues dans les deux langues tout le territoire équatorien et les Ecoles Radiophoniques Shuar couvrent l'espace du sud-est équatorien (voir carte) et assurent la scolarisation des enfants pour les six années de l'école primaire.
37Enfin, il faut noter que ces programmes sont entre les mains des Shuar eux-mêmes, car certains se sont spécialisés dans les diverses techniques nécessaires au fonctionnement d'une énorme structure culturelle et éducative. Bien sûr, ils peuvent compter sur l'aide de quelques missionnaires et volontaires étrangers dont l'appui a été et reste inestimable.
38Le programme culturel de Radio Federación date de 1968 avec un contenu d'éducation, d'informations, de musique et de religion (énumération faite dans l'ordre selon l'importance du temps d'émission utilisé). Les informations jouent un rôle particulier, car un certain temps y est consacré aux communications entre familles et groupes Shuar.
39De leur côté, les Ecoles Radiophoniques Shuar sont nées en 1972-1973 pour remplir l'énorme vide éducatif auprès des enfants Shuar, vide que le Ministère de l'Education n'était pas à même de combler. Ces écoles se sont développées sans cesse pour couvrir les provinces de Morona-Santiago, Pastaza et Zamora-Chinchipe ; elles ont partiellement atteint ce que la FCSH appelle "la scolarisation totale des enfants Shuar-". En effet, en 1977-1978, ont été lancées les classes de 5e et 6e années qui terminent le primaire.
40En 1976, 138 écoles ont fonctionné dans les Centres Shuar, accueillant au total 3 175 élèves encadrés dans ces écoles par 231 télémoniteurs (maîtres - instructeurs), tous d'origine Shuar. Ceux-ci orientés, aidés, contrôlés par tout un système de programmes, coordination, supervision et administration technique dont les responsables sont installés au siège de la Fédération.
41Actuellement, les Ecoles Radiophoniques préparent la mise en route d'écoles de formation technique pour les élèves sortis du primaire.
2. Développement d'un système mixte, économie de subsistance et économie de marché
42La stratégie Shuar vise le changement du système traditionnel en combinant deux types de production nettement différents pour leur technologie : l'agriculture itinérante traditionnelle et l'élevage bovin moderne.
43A moyen terme, l'agriculture traditionnelle ne va subir aucun grand changement, ni pour les plantes cultivées, ni pour les superficies utilisées, ni pour les techniques employées et elle est uniquement destinée à la consommation locale. Actuellement le champ du Shar (aja = chacta en espagnol) est toujours principalement planté de Yuca (manioc), le bananier et la pelma (tubercule) ; on y trouve aussi de la canne à sucre et de l'ananas. Peu d'innovations : quelques agrumes, des poireaux et parfois du piment. La technique reste traditionnelle : l'emplacement du champ change chaque trois ou quatre ans, voire deux-trois ans, sans fertilisants ; outillage élémentaire, division traditionnelle du travail entre hommes et femmes, etc... Deux hectares en culture dans l'année semblent suffire à l'alimentation du groupe familial.
44L'élevage au contraire serait appelé à un autre destin, pour devenir le lien avec l'économie commerciale. L'élevage bovin possède divers avantages évidents :
- depuis plusieurs décennies, certains Shuar ont assuré leur passage à l'économie pastorale ; d'anciens métayers des colons ont pu réunir un petit troupeau ; des Indigènes isolés sont revenus à leur lieu d'origine avec quelques têtes de bétail : on avait donc la preuve que la conversion était possible et souhaitable pour les Shuar.
- les avantages du milieu de l'Oriente sont évidents pour l'élevage de bétail à viande : on peut faire vivre une tête de bétail sur un hectare de pâture médiocrement cultivée (culture fourragère de Gramalote), comme nous l'avons constaté dans divers Centres de l'Association Sucùa. La culture fourragère est d'une technologie simple et bon marché (selon les secteurs, l'hectare de pâture revient à 800/1 000 sucres, soit environ 200 F. français ; la dépense additionnelle annuelle de désherbage de la pâture est de 350 sucres).
- dans une région où les transports sont particulièrement lents et précaires et où tout équipement manque pour la conservation des produits agricoles, l'élevage offre des avantages évidents puisqu'on transporte le bétail sur pied jusqu'à des villes lointaines comme Cuenca.
- l'élevage donne aux Shuar un argument d'un grand poids à l'IERAC et à la loi agraire, puisque l'obligation majeure est que la terre soit cultivée : on peut ainsi neutraliser la pression des colons.
45L'élevage peut ainsi devenir le moyen de capitaliser pour les Centres Shuar et dans ce sens sans être la source d'auto-financement des programmes de développement de la Fédération. D'où l'attention portée systématiquement depuis 1971 à ce programme grâce à des fonds d'origine allemande et avec l'aide technique du Service des volontaires allemands. Dès lors, les groupes de développement pastoral ont proliféré : en août 1977, on en trouvait 72, un par Centre, avec un investissement en bétail de 7 434 200 sucres (crédits accordés par la Fédération et financés par des fondations étrangères).
46Le développement est inégal selon les Centres et tous ne se mettent pas rapidement au programme d'élevage. Dans quelques Centres, beaucoup de participants entrent au Groupe de développement pastoral, dans d'autres seulement encore une minorité. On note du point de vue de la productivité des niveaux différents, voire très différents, par exemple pour les taux de mortalité et de natalité du bétail. Si bien qu'une "campagne de prise de conscience pour le éveloppement pastoral", ainsi qu'une formation technique, font l'objet d'efforts des dirigeants qui se rendent clairement compte que bien des problèmes relèvent non seulement des difficultés inhérentes à l'apprentissage d'une technique, mais aussi des inerties propres à une société sans aucun passé pastoral, qui, encore aujourd'hui, s'adresse à la chasse et à la pêche pour sa consommation en protéines et qui, enfin, n'a que des besoins monétaires minimaux.
47Malgré ces handicaps, le troupeau bovin a connu une croissance notable et avec elle la capitalisation des Centres : 1 721 animaux achetés jusqu'en août 1975, troupeau total de 2 118 têtes à cette même date et de 3 394 têtes en août 1976.
48Actuellement, la production pastorale permet trois choses : amortir la dette (elle s'élevait par participant à 9 795 sucres pour un capital de 13 170 sucres) ; vendre quelques bêtes pour faire face aux besoins monétaires ; et améliorer le régime alimentaire grâce à quelques litres de lait. Nous reviendrons sur les perspectives à long terme.
3. Programmes et problèmes de santé chez une population traditionnelle en expansion démographique
49Le problème sanitaire semble fondamental pour une société traditionnelle qui a choisi l'expansion démographique, facteur décisif de survie de l'ethnie et d'affirmation des droits des Shuar sur les terres de l'Oriente.
50La démographie Shuar est effectivement en expansion et la FCSH maintient une politique de refus de toute politique imposant du dehors des programmes contraceptifs. Nous sommes actuellement très au-dessus de 5 000 à 6 000 Jivaros que l'on rencontre ici et là dans les publications. De toute manière, ni les Recensements équatoriens, ni l'Etat Civil ne semblent enregistrer la réalité démographique Shuar et la Fédération a pu démentir, à l'occasion, les chiffres officiels avec des arguments précis. La Fédération fournit évidemment des chiffres proches de la réalité quand elle estime le taux de natalité autour de 3,2 % ; de toute manière d'autres indicateurs dénotent un fort dynamisme démographique.
51Cependant, l'action de la FCSH semble n'avoir pas abouti dans le domaine de la santé à des résultats comparables à ceux des deux axes de développement ci-dessus étudiés. La Commission sanitaire n'a pu compter jusqu'à présent que sur du personnel volontaire : quatre médecins étrangers se sont succédés, aidés par un contingent de 90 jeunes Shuar volontaires. Au niveau moyen, on disposait de 13 infirmiers Shuar en 1977.
52La tuberculose est réellement contrôlée et on pratique une certaine prévention. Il reste beaucoup à faire pour l'assainissement de l'habitat et les maladies intestinales d'origine parasitaires qui semblent le point le plus faible, sans parler des maladies digestives liées au régime alimentaire. Enfin certaines formes de paludisme sont visibles.
53Actuellement, un fossé se creuse entre les Shuar à propos de l'usage de la médecine traditionnelle, difficile à remplacer en totalité pour le moment et pour encore de nombreuses années. Il est clair qu'une combinaison adéquate entre pratiques traditionnelles et médecine moderne, soulagerait une situation rendue aujourd'hui difficile par le manque de médecins, la rareté et les prix élevés des médicaments. Mais, en ce domaine, aucune recherche n'est en cours ou en projet. Ainsi, le problème de la médecine souligne le point faible du modèle de modernisation adopté.
IV. L’AVENIR : LE PROJET SHUAR, COLONISATION ET DÉVELOPPEMENT RÉGIONAL
54L'esprit de responsabilité et l'efficacité dont fait montre la FCSH dans un contexte extrêmement conflictuel, lui ont permis de conquérir une certaine légitimité dans ses rapports avec l'Etat équatorien. Pour preuve, la série de conventions passées entre la FCSH et les Ministères ou Organismes autonomes comme l'IERAC ou le CREA. De même, a-t-elle acquis une légitimité au regard des fondations privées, nationales ou internationales. Jusqu'ici le bilan est plus que positif mais l'on n'en est qu'au début car les problèmes se multiplient et les engagements de l'Etat sont fragiles et incohérents.
55Se pose ainsi la question du plein essor et de la sécurité même du projet. Les problèmes tiennent à l'avenir du système économique Shuar et à celui des politiques de colonisation et de régionalisation de l'Etat. Nous nous contentons ici d'ouvrir la discussion sur deux problèmes fondamentaux.
1. Le système économique Shuar et son espace
56Si nous partons de la base que le système économique proposé par la FCSH est appelé à se développer, la variable décisive est ce que nous pourrions appeler l'"espace de programmation" Shuar.
57Depuis sa fondation, la FCSH a consacré une grande part de son action à la recherche d'une reconnaissance légale de ses terres. Une commission importante est celle de "Arbitrage et Colonisation" qui, non seulement s'efforce d'obtenir les titres de propriété pour les Centres Shuar, mais aussi recherche des terres disponibles et négocie l'annulation des contrats d'achat-vente de terres Shuar, etc...
58Toute l'activité de la Commission s'appuie sur la doctrine du "droit naturel" dans la mesure où depuis des temps immémoriaux la société Shuar tient pour sien le territoire oriental, "espace reconnu" par les tribus et qui correspondait à sa façon spécifique de s'adapter à la forêt tropicale. Ces droits n'ont jamais été reconnus par l'Etat équatorien et il semble difficile que cette position de principe change si la FCSH ne donne pas une forme concrète et moderne à cette revendication, ce qui signifie pour elle la nécessité d'avoir une stratégie prospective d'utilisation du territoire amazonien.
59Les attributions de terres obtenues jusqu'ici non sans mal ne paraissent pas garantir l'expansion future du système proposé. La dotation par famille tend à s'approcher de "l'unité agricole familiale" évoquée par la convention de 1973 entre IERAC, CREA et FCSH. On peut y lire au point 2 : "l'unité agricole fixée par le IERAC en fonction des facteurs agrologiques sera comprise entre 60 et 80 hectares". Mais la nouvelle convention signée en 1975 réduit ces surfaces à 40 et 60 ha....
60Néanmoins, il semble que les Centres Shuar sont en train de s'assurer, grâce aux titres "globaux" accordés par l'IERAC, ce que nous pourrions appeler un "espace restreint" à l'intérieur duquel pourrait fonctionner le système d'exploitation agropastoral permettant ainsi sa reproduction mais, jusqu'à quel point son expansion ?
61Divers problèmes se posent, en effet. D'abord celui de la persistance de l'agriculture itinérante qui exige un espace approprié. D'après certains exemples, le retour de la fertilité du sol s'obtient en une vingtaine d'années. Ce qui suppose pour chaque famille un minimum d'une trentaine d'hectares, d'après ce que nous avons pu estimer en visitant les Centres de l'Association Sucùa.
62L'autre pôle du système est l'élevage qui exige un hectare de pâture par tête. A moyen terme, on ne peut envisager autre chose qu'un élevage semi-intensif. De sorte qu'avec la concurrence des deux pôles, nous parvenons tout juste à une exploitation relativement viable, quant aux possibilités d'accumulation.
63Reste à savoir si l'on ne doit pas nuancer ces considérations par une étude plus affinée du potentiel réel des sols attribués. Auquel cas, on aurait une exploitation à peine capable d'assurer sa propre reproduction.
64Mais il faut introduire deux autres éléments.
65Le premier vient compléter les activités agropastorales : il s'agit de la chasse et de la pêche. L'essentiel des protéines consommées par la population Shuar en provient. De plus cette activité, inhérente aux habitants de la forêt, a une énorme importance dans les relations sociales et culturelles. D'où la nécessité qu'elle reste présente dans le système économique modernisé, ce qui pose le problème des "réserves naturelles" puisque l'on ne voit pas de quelle autre façon la chasse et la pêche pourraient se maintenir. Dès aujourd'hui, la faune se fait rare dans la zone de colonisation et une excursion de chasse qui prenait naguère une journée en exige plusieurs maintenant, faute de gibier.
66Deuxième considération à introduire : il est inconcevable que le système économique Shuar ne doive pas se diversifier dans l'avenir sous la pression démographique et en vertu des exigences mêmes de la modernisation. Toute une génération est en cours de formation et les intérêts variés de cette jeunesse exigeront une diversification technique. Jusqu'à quel point le système agropastoral est-il en mesure de retenir cette population formée ? On peut envisager la transformation industrielle des produits du sol mais l'exploitation forestière paraît offrir un meilleur terrain pour passer à un futur système agricole, pastoral et industriel.
67Il résulte de tout cela que la programmation du développement à long terme ne peut se concevoir sans ce que nous pourrions appeler "un espace complémentaire" pour les centres Shuar. De plus, personne n'est mieux placé, que le peuple Shuar pour la conduite de ces réserves naturelles, d'abord de par sa profonde connaissance empirique de la forêt ensuite parce qu'il est en train de démontrer une énorme capacité d'assimilation des connaissances et de la technologie modernes.
68Pour l'instant, cependant, ce ne sont pas les critères retenus et nous avons l'impression que la FCSH elle-même n'a guère poussé la réflexion sur ce thème. C'est ainsi que le point 4 de l'accord de 1975 avec l'IERAC prévoit que "l'on exceptera de ces adjudications (de terres aux Centres) les sols à vocation forestière qui ne doivent pas être défrichés pour des raisons de type technico-écologique ; superficie qui sera déterminée conjointement par la Direction du Développement Forestier du Ministère de l'Agriculture et l'IERAC". Aucune référence n'y figure concernant la responsabilité de la conduite de ces réserves forestières, ni qui, ni comment...
69De toute façon, le seul fait de poser la question d'un "espace complémentaire" pour le projet Shuar met en question la validité même de la poursuite de la politique actuelle de colonisation. L'affaire prend la plus grande importance du fait que l'Etat équatorien s'apprête, avec l'appui de la BID (Banque Inter-américaine de Développement) à passer à une phase nouvelle d'activité en ce domaine.
2. Une autre politique officielle pour le sud de l'Oriente est-elle concevable ?
70Jusqu'à présent l'expérience équatorienne n'intègre pas la pratique d'un développement régional ce qui ne signifie pas qu'une série d'organismes sectoriels ne réalisent pas une activité riche en contenu pour le développement régional et parmi eux, ceux qui sont chargés de la colonisation. Quelle est la cohérence de la colonisation au regard des politiques régionales annoncées ? Quel est le réalisme de ces politiques ? Voilà des points qui concernent directement l'avenir du projet Shuar.
71La FCSH fait partie des rares groupes qui mettent en cause en Equateur la politique régionale à la suite de la remise en question de la politique de colonisation. Le rêve de toujours de l'Etat équatorien, la Conquête de l'Oriente, n'a jamais cessé de figurer comme objectif officiel et bannière des élites politiques, mais il serait aventureux de prétendre qu'il suscite l'enthousiasme de vastes couches de la population. Peut-être parce que cette conquête reste toujours une entreprise difficile, hasardeuse et coûteuse.
72On peut lire ce qui suit dans une publication Shuar : "Rien qu'en carburant pour les vols vers l'Oriente, on dépense plus que dans la construction d'une route ; et parfois un chemin vicinal résout les problèmes d'une communauté mieux qu'une coopérative isolée des années durant en pleine forêt. Les traumatismes que subissent les Indiens de la Sierra qui doivent s'acclimater aux chaleurs de l'Est, vivre un temps sans le nécessaire, diviser leurs familles, par force, pour que l'homme prépare le terrain au loin tandis que la femme reste avec les enfants dans la Sierra, tout cela ne se planifie pas : on le voit. Prenons un exemple : dans le hameau Paul VI (entre Chiguaza et Pastaza) la population s'est totalement renouvelée en 4 ans : aucun des fondateurs de la coopérative n'a résisté à l'impact du changement. Il aurait mieux valu poursuivre la route Paute-Pendez et continuer à peupler peu à peu la région, kilomètre par kilomètre... même sous une forme planifiée. Par contre, on a dépensé des millions pour monter 11 coopératives là où sans un centime de financement vivent déjà 11 Centres Shuar avec 2 306 habitants. Car le meilleur colon de l'Oriente ne peut être que l'authentique oriental".
73Nous avons transcrit la totalité de ce texte parce qu'il nous parait synthétiser les points marquants de la colonisation officielle : son coût est sans rapport avec la précarité des implantations, dramatiquement ponctuelles dans l'immensité amazonique. En face de ces dépenses et de ces échecs : le dynamisme Shuar.
74Mais cela va plus loin car, implicitement, c'est la "stratégie du développement régional" qui est en cause, c'est-à-dire non seulement l'activité du CREA ou de l'IERAL mais un point essentiel de la stratégie nationale de développement. Pourquoi ?
75Parce que pour le pouvoir central comme pour la bourgeoisie du Sud, la colonisation est considérée comme l'issue (ou l'échappatoire) aux problèmes caractéristiques, du sous-développement régional et devient par là même stratégie de développement du Sud. Il en coûterait peu de mettre en évidence les faiblesses de cette conception et d'en montrer le caractère illusoire.
76Le retard de tout le sud équatorien passe souvent au second plan du fait d'une façon habituelle de penser en Equateur qui ne considère l'espace qu'en termes de Sierra, Côte et Oriente. Or, ce retard de la région est de toute évidence non le résultat du surpeuplement relatif des campagnes (sur lequel on insiste tant) mais du sous-développement industriel et urbain de cette partie du pays.
77En 1968, les six provinces du sud comptaient 1 054 000 habitants, soit 18,7 % du pays. La seule ville de quelque importance est Cuenca (85 000 habitants) alors que les capitales des autres provinces, à l'exception de Soja, sont à peine des bourgades. La population est nettement rurale. Ces 6 provinces ne regroupent que 10 % de la population active du pays employée dans l'industrie et ne fournissent que 8 % de la production industrielle nationale. D'autres indices encore sont significatifs du retard par rapport à d'autres régions, ainsi le haut taux d'émigration des provinces d'Azuay et de Soja...
78En première approximation, on peut soutenir que ces handicaps fondamentaux du sud ne seront pas surmontés par une stratégie de colonisation de l'Oriente, même en supposant qu'on triple les efforts actuels. En étant optimiste, on peut envisager l'installation d'environ 1 000 colons par an. De cette façon, les problèmes de la Sierre méridionale (sous-développement industriel, sur-population relative des campagnes) resteront sans solution.
79Il ne semble donc pas qu'il y ait une issue externe à un problème interne de sous-développement, ce qui signifie accepter l'hypothèse d'un changement de stratégie et l'ouverture d'un débat autour de la volonté politique du pouvoir central et des populations du sud, comme condition préalable au succès de toute stratégie. Celle-ci ne pourra surgir qu'à partir d'une représentation de l'espace équatorien au tournant du XXIème siècle. C'est la seule façon de persévérer dans l'utilisation concentrée des investissements sur des objectifs concrets. Cette image ne devrait comporter que les grandes taches de l'espace considéré comme désirable : ce sont ces taches qui renferment l'essence même de la stratégie ; les points de l'image sont des éléments secondaires.
80Si l'on pense à l'organisation actuelle de l'espace en Equateur, l'image nous montre deux grandes taches de développement, autour de Quito et Guayaquil, et c'est dans le jeu des forces à l'intérieur de ces deux taches et entre elles que se situe, pour l'instant, tout le destin de l'espace équatorien. La totalité de l'espace méridional est soumis à ce jeu de forces avec les risques inhérents à la situation : désertification, accentuation du sous-développement relatif.
81Si l'on parle d'une stratégie régionale favorisant un développement équilibré de l'espace équatorien, un choix paraît évident : faire apparaître sur l'image spatiale du pays une troisième tache de développement au sud. Le grand projet régional de l'Equateur ne devrait être autre que le développement d'un puissant organisme urbain - industriel dans le sud, capable de neutraliser les effets de drainage vers les deux autres zones et capable d'effets d'entraînement économiques et urbains avec la constitution d'un réseau de villes qui n'existent pas aujourd'hui. C'est seulement à partir de cette base que les territoires de l'Oriente pourraient se trouver en condition de bénéficier d'un développement réel.
82Et en supposant que cette voie ne soit pas impossible, comment joueraient donc les divers concurrents d'aujourd'hui face à l'espace de l'Oriente ?
83Pour une longue période, les efforts devraient se concentrer sur le nouvel objectif, ce qui signifie chercher à maximiser l'efficacité des investissements destinés au développement des populations de l'Oriente. Dans ce cadre, la stratégie Shuar devrait être privilégiée, devenant le grand agent du développement de ces territoires. Sa conception "non productivité" du développement s'adapterait parfaitement à la première période où les efforts devraient être surtout consacrés à la solution des problèmes sociaux et préparerait le terrain pour une deuxième période, vers la dernière décennie du siècle, où de puissants investissements dans l'Oriente s'inscriraient dans le prolongement normal de l'effort portant sur l'objectif central de la stratégie régionale.
84Ainsi, la nécessité de prévoir les possibilités et les limites, à l'avenir, de son projet, indique à la FCSH l'intérêt de susciter un débat national autour des options de l'Etat équatorien concernant la stratégie à long terme dans le sud du pays.
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