Conclusion
p. 343-345
Texte intégral
1Depuis 2009, la Bolivie est sans conteste entrée dans une nouvelle phase politique de son histoire liée à un nouveau paradigme constitutionnel qui constitue un vaste scénario politique et social marqué par de nouveaux enjeux et des tensions multiples inhérentes à ces derniers. L’instauration d’un pluralisme généralisé et d’un État à la fois plurinational et organisé sur des territoires décentralisés et autonomes offrent des perspectives tout à fait inédites tant pour les partis politiques que pour l’ensemble de la société civile et les mouvements sociaux qui ont mis en œuvre le scénario de changement social actuel. Les relations préétablies entre le gouvernement d’Evo Morales et ces derniers s’en trouvent modifiées, indexées d’une part sur l’interprétation et les modalités d’application de la Constitution censée contribuer à refonder le pays et, d’autre part, sur la capacité du gouvernement d’Evo Morales à garantir un espace d’expression et d’action acceptable pour les mouvements sociaux. Il en va de même pour l’opposition qui tente en grande partie de se reconstruire et de s’articuler sur les différends apparus au cours des dernières années entre le MAS et certaines organisations sociales ou sectorielles. Dans le cadre de cette réorganisation générale des forces politiques et sociales, la question de la gestion des ressources naturelles s’avère centrale et persistante. À l’origine de la phase actuelle, celle-ci se présente encore et toujours comme l’objet principal de conflits d’intérêts, de concurrences, de tensions. Dans le jeu croisé des scénarios multiples (institutionnel, social, régional, politique, environnemental, économique) qui se met en place, les mouvements sociaux sont une nouvelle fois omniprésents.
2Historiquement, ceux-ci ont joué un rôle majeur dans la vie politique bolivienne, que ce soit avec la puissante Centrale ouvrière bolivienne (COB) depuis la révolution de 1952 jusqu’au retour de la démocratie, ou aujourd’hui les mouvements autochtones et paysans qui ont porté Evo Morales au pouvoir. Les mouvements sociaux constituent sans conteste les acteurs centraux du changement social. Le mouvement autochtone joue en ce sens un rôle crucial dans le processus politique actuel, tant dans la symbolique même de construction de l’État plurinational que du projet de société porté par la société civile, même si paradoxalement il se retrouve politiquement affaibli depuis le deuxième mandat du gouvernement de Morales.
3Au travers des mobilisations sociales et régionales évoquées dans cette partie, ce sont les questions du respect de la Constitution et de sa mise en place qui sont au cœur des débats, notamment sur le thème des ressources naturelles et des autonomies. Les revendications sociales pour la défense et l’application de la Constitution passent davantage par la société civile que par les partis politiques grâce à l’action stratégique et aux discours des mouvements sociaux, des associations citoyennes, des organisations environnementalistes, qui semblent plus propices à l’approfondissement de la démocratie1. La principale question sera ainsi de savoir qui, du gouvernement ou des différentes oppositions, parviendra à mieux capitaliser les dimensions sociales de ces mouvements afin de se constituer comme le garant du changement social pour la refondation du pays et de la représentation sociale et politique.
4Si le MAS souhaite incarner une rupture avec les gouvernements précédents, il n’est pas pour autant exempt de certaines pratiques autoritaires et d’exclusion. Le « processus de changement » reste finalement peu discuté et constitue un facteur de tension interne. Par ailleurs, les organisations sociales qui ne sont pas affiliées au MAS se voient mises à la marge de la dynamique portée par un soi-disant « gouvernement des mouvements sociaux ». C’est le cas d’une grande partie des organisations autochtones qui ont été marginalisées par le pouvoir dont elles contestaient certaines pratiques et politiques économiques.
5Les partis d’opposition proches du MAS tentent de profiter de ces tensions entre le gouvernement et certaines organisations sociales pour établir de nouvelles alliances et se doter d’une crédibilité et d’une légitimité renouvelées. La conquête des mouvements sociaux s’avère la principale arme de l’opposition pour concurrencer le MAS. Le Movimiento Sin Miedo (MSM) était de la sorte parvenu à conquérir des mairies stratégiques et symboliques lors des élections municipales de 2010. À gauche notamment, les discours sur le « sectarisme » du MAS, sur le modèle extractiviste de développement et sur la réforme de l’État ou sur l’application de la Constitution, trouvent un certain écho au sein de la population au moment même où Evo Morales jouit d’un soutien populaire affaibli. Jusqu’à présent, le MAS a bénéficié d’une conjoncture économique et politique particulièrement favorable à son essor, mais les changements politiques en Amérique du Sud, la dette et la relation accrue avec la Chine, ou encore le modèle productif sont source de critiques jusque dans son propre camp.
6C’est en ce sens que pour le parti au pouvoir, la loyauté des organisations paysannes, mais aussi la récente alliance avec la COB — malgré quelques tensions — s’avèrent fondamentales pour maintenir les liens avec les bases sociales. Deux interrogations dès lors se posent : le rapprochement avec les organisations ouvrières marque-t-il un virage « classiste » pour le gouvernement ou s’agit-il d’une simple réorientation stratégique après avoir perdu le soutien de certaines bases rurales ? Surtout, ces alliances avec les organisations ouvrières et paysannes sont-elles suffisantes alors que la principale réussite du MAS en 2005 avait été la conquête des classes moyennes urbaines ? Dans le cercle restreint autour du gouvernement, les défis de stabilité sont nombreux. Du maintien de l’unité et de l’alliance des composantes masistes découlera la capacité du MAS à se maintenir au pouvoir face à une opposition qui, bien que n’ayant pu s’unifier, a retrouvé une légitimité après plusieurs années d’hégémonie masiste.
Notes de bas de page
1 Le mouvement civil de contestation semble maintenir un certain éclatement volontaire en mobilisant les réseaux sociaux sur Internet pour porter ses revendications, selon une logique horizontale et diffuse, dans le but de limiter les attaques du gouvernement contre une organisation précise. Un cas exemplaire fut la mobilisation contre la gestion gouvernementale de l’eau à La Paz à la fin de l’année 2016.
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