Restructuration et diversification de l’opposition politique
p. 331-342
Texte intégral
1Au cours de la dernière décennie, le panorama politique et l’offre partisane ont évolué de manière significative en Bolivie. Les grands partis ayant occupé tour à tour le pouvoir depuis le retour à la démocratie en 1982 ont progressivement disparu du devant de la scène politique au bénéfice d’une montée en puissance du MAS d’Evo Morales. C’est le cas du Movimiento Nacional Revolucionario (MNR, 1942), du Movimiento de Izquierda Revolucionario (MIR, 1971) et de l’Acción Democrática Nacionalista (ADN, 1979). Ce phénomène n’épargne pas les partis dits secondaires ou outsiders apparus au cours des années 1980 et qui ont participé à des coalitions de gouvernement. Les partis néo-populistes Unión cívica solidaridad (UCS) et Conciencia de patria (Condepa)1 ou encore le parti agrarien Movimiento Bolivia libre (MBL) disparaissent par effet de fusion ou par scission.
2La prédominance du MAS dans le champ politique engendre une profonde réorganisation de l’opposition partisane. La recomposition commence au cours de la décennie des années 2000. De nouvelles formations émanent des partis historiques. Les plus importantes sont le Movimiento Sin Miedo (MSM, 1999) créé par quelques membres du MBL rejoints par la suite par des dissidents du MAS, et dont plusieurs membres forment Soberanía y libertad lorsque le MSM perd sa personnalité juridique en 2014 ; la Unidad nacional (UN, 2003) issue d’une scission d’avec le MIR ; le Poder Democrático social (Podemos, 2005) résultant d’une résurgence de l’ADN ; le Plan progreso para Bolivia — convergencia nacional (PPB-CN, 2009) rassemblant plusieurs micro-partis2. Seul le parti Alianza social (AS, 2004) semble émerger d’une dynamique propre (toutefois inspirée du Partido socialista) et locale (Potosí).
3Une fois la Constitution approuvée en 2009 et dans la perspective des élections de 2014, une nouvelle reconfiguration de l’opposition se produit et ce sont quatre formations partisanes qui tentent de s’organiser pour contester la suprématie du MAS et d’Evo Morales : le MSM, allié au gouvernement national jusqu’aux élections départementales et municipales de 2010 ; le Partido demócrata cristiano (PDC, 1954), l’une des principales mouvances de Podemos ; Unidad demócrata (UD, 2014) résultant d’une alliance ponctuelle entre le Movimiento demócrata social (MDS, Demócratas, 2013)3 et le Frente amplio (FA, 2013)4 ; et le Partido verde (PVB, 2007) ravivé par le ralliement de plusieurs militants impliqués dans la défense du Tipnis5 dont certains dirigeants autochtones.
4Ainsi, la réorganisation générale de l’opposition se réalise au fil des conjonctures politiques qui ont marqué le pays au cours des dernières années. De nouvelles formations émergentes, de nouvelles figures d’opposants font leur apparition au fil des échéances électorales. Parmi celles-ci, on compte des dirigeants régionalistes, des gouverneurs départementaux, des leaders sociaux, des entrepreneurs, des avocats et défenseurs des droits humains. Mais jusqu’à présent aucune de ces figures n’est parvenue à concurrencer celle d’Evo Morales. Par ailleurs, cette opposition se caractérise par une variété en termes organisationnel (partis, mouvements, associations, regroupements), idéologique (conservateurs, progressistes, libéraux, socialistes) et programmatique (battre le MAS ou réduire son hégémonie, proposer une alternative idéologique, accéder au pouvoir, réformer la Constitution, etc.).
Une prédominance de l’opposition régionaliste dans le contexte de refondation du pays (2000-2009)
5Dans un mouvement simultané à celui de l’émergence du MAS, le mouvement régionaliste des départements des Basses Terres se réorganise autour des politiques de gestion des ressources naturelles à l’origine du cycle d’instabilité sociale et politique qui a marqué le pays au début des années 2000. La question du gaz, rythmée par un conflit social de grande envergure, un référendum populaire et l’adoption d’une nouvelle loi6, a réactivé la revendication historique de l’autonomie départementale sur laquelle s’étaient constitués les mouvements régionalistes et leurs comités civiques au cours des années 19507. C’est sur cette dynamique que va s’articuler dans un premier temps l’opposition politique au MAS devenu force de gouvernement après son triomphe aux élections anticipées de 2005.
6L’Assemblée constituante (2006-2008) engage chacune des deux parties dans un bras de fer incessant qui se traduit par une bipolarisation politique. Ce moment de tension est l’occasion pour l’opposition de coordonner son action, ce qu’elle ne parvenait pas à faire depuis l’élection de Morales. C’est ainsi que les mouvements régionalistes des Basses Terres, quelques préfets et les principaux partis d’opposition (Podemos, MNR, UN) forment une coalition, le Conseil national pour la défense de la démocratie (Conalde). Celui-ci dénonce le court-circuitage et la marginalisation du Parlement. Ne contrôlant pas les deux tiers des sièges au Congrès, le gouvernement d’Evo Morales peut difficilement mettre en place son programme politique et a souvent recours à l’émission de décrets pour mener à bien ses réformes, plus d’un millier au cours des trois premières années de gestion8. Par ailleurs, le MAS propose à plusieurs reprises de suspendre le Parlement le temps de l’Assemblée constituante, ce qui amène l’opposition à dénoncer la menace d’un régime totalitariste. De son côté, le gouvernement condamne la politique de blocage systématique de l’opposition au Parlement dont le but est de générer un mécontentement social. Il dénonce les fins séparatistes et divisionnistes de l’opposition régionale et le conservatisme de l’opposition parlementaire.
7De septembre 2006 à janvier 2007, plusieurs journées de mobilisation sont organisées dans tout le pays contre la volonté du MAS d’imposer le vote à la simple majorité des articles de la Constitution au lieu des deux tiers des voix requises par le règlement initial de l’Assemblée constituante. Ces journées sont marquées par des actes de violence dans les grandes villes. Des militants du MAS sont agressés, des actes racistes sont perpétrés et des administrations de l’État sont occupées, pour certaines saccagées. Le MAS cède à la pression et abandonne son projet de modification des règles après de violents affrontements dans la ville de Cochabamba qui se soldent par trois morts et des dizaines de blessés. À peine cette controverse résolue, une nouvelle bataille s’engage autour de la capitale constitutionnelle. Les organisations régionalistes du département de Chuquisaca se mobilisent pour le respect du statut de Sucre, comme capitale historique du pays. L’Assemblée constituante qui se tient dans la capitale constitutionnelle de Sucre représente l’occasion unique de demander le transfert dans cette ville des institutions de l’État dont la plupart sont installées à La Paz et qui est devenue, au fil du temps, la capitale administrative et le siège du gouvernement. En effet, à la suite de la guerre fédérale (1898-1898) opposant les libéraux de La Paz aux conservateurs de Sucre, la victoire des premiers permit à La Paz de devenir la capitale des pouvoirs exécutif et législatif, originellement installés à Sucre, cette dernière n’ayant pu que conserver le siège constitutionnel. L’Assemblée constituante est dès lors l’occasion de faire resurgir des tensions historiques entre ces deux villes qui n’ont cessé depuis la fondation de la république de Bolivie en 1825. Ce conflit confirme la prédominance du sentiment régionaliste en Bolivie reposant, en grande partie, sur le rejet du centralisme de La Paz. Il reflète également l’instrumentalisation de l’histoire à des fins politiques contemporaines.
8Durant ces conflits, les comités civiques ont été très actifs, en particulier celui du département de Santa Cruz qui, depuis les années 1950, occupe une place importante dans la vie politique en Bolivie9. Le comité pro-Santa Cruz saisit l’opportunité du débat sur les autonomies pour redonner sens à la lutte régionaliste dans le pays10. Il devient l’organe articulateur des demandes de type régional d’une partie du pays et, d’autre part, le fer de lance de l’opposition au gouvernement du MAS11. Le registre de mobilisation et d’action collective du mouvement régionaliste est largement renouvelé. Si les rassemblements populaires (cabildo) et les « grèves civiques » sont monnaie courante depuis des décennies, le référendum est désormais utilisé, sous forme d’annonce ou de manière effective en cette période propice aux consultations multiples, mais toujours dans la perspective de contrer les projets du gouvernement du MAS. En mai et juin 2008, les préfets des départements de Santa Cruz, du Beni, du Pando et de Tarija organisent ainsi des référendums sans l’aval de l’État et font approuver leur statut d’autonomie avec plus de 80 % des suffrages exprimés dans chacun de ces départements. Cette consultation est boycottée par les secteurs sociaux proches du gouvernement et ses résultats ne sont pas reconnus par la Cour nationale électorale. Toutefois les mouvements régionalistes entretiennent la controverse sur la légitimité des consultations locales, « autoconvoquées », contribuant ainsi à alimenter l’état de tension déjà à son comble en cette période d’Assemblée constituante.
Tableau no 11. Résultats des référendums sur les statuts d’autonomie départementale réalisés à l’issue d’autoconvocations locales (2008)
Département | Date | OUI | NON |
Santa Cruz | 04/05/2008 | 86 % | 14 % |
Beni | 01/06/2008 | 80,5 % | 19,5 % |
Pando | 01/06/2008 | 82 % | 18 % |
Tarija | 22/06/2008 | 82 % | 18 % |
Élaboration propre selon les sources de la Cour nationale électorale de Bolivie.
9Le registre d’action collective du mouvement régionaliste bolivien s’étoffe au fil du scénario de bipolarisation avec le MAS. Les formes de mobilisation utilisées par les mouvements sociaux sont reprises par les secteurs conservateurs, les dirigeants régionalistes développent des discours et méthodes populistes pour rassembler les foules et font preuve d’un certain laxisme quant à l’activisme violent et raciste de certaines de leurs bases12 affaiblissant considérablement, par la même occasion, l’image pacifique et citoyenne espérée par la stratégie des référendums. Après la vague de violences perpétrées en 2006, des groupes de choc se constituent dans plusieurs départements pour « veiller » à ce que soient respectés les consignes et mots d’ordre délivrés par les leaders régionalistes. C’est à cette période qu’à Santa Cruz, les « jeunesses crucéniennes » circulaient dans les rues et mettaient à sac les magasins dont les propriétaires ne respectaient pas les grèves civiques ou lynchaient quelques militants du MAS. Alors que la tension est à son comble à l’issue du référendum révocatoire en août 2008, et dans l’attente de celui organisé sur la nouvelle Constitution en janvier 2009, les affrontements entre les deux camps se multiplient un peu partout dans le pays. En septembre, dix-huit paysans sont assassinés dans le village de El Porvenir situé dans le département du Pando. Cet événement conduit à l’arrestation du préfet du département (Leopoldo Fernández), fidèle allié de la « Demi-lune », accusé d’avoir orchestré le massacre. Si toute la lumière n’a pas été faite sur cet épisode malheureux, celui-ci reflète l’impuissance de l’opposition régionaliste à contrecarrer l’ascension du MAS par la simple voie représentative et marque le début d’un reflux déjà amorcé.
L’opposition en difficulté face à l’hégémonie masiste (2008-2010)
10À l’issue de l’Assemblée constituante, le MAS consolide son hégémonie politique et l’opposition se délite rapidement au fil des consultations populaires. Celle-ci se voit affaiblie par le rouleau compresseur masiste qui tire pleinement profit du référendum révocatoire et de l’approbation de la nouvelle Constitution. Après ces revers électoraux successifs, le Conalde vole en éclats à partir de 2010. Une disjonction se produit entre les secteurs régionalistes et les forces parlementaires d’opposition. Les premiers se replient sur la mise en place effective des autonomies départementales et se focalisent sur la rédaction des statuts d’autonomie devenus pour l’occasion de nouveaux enjeux politiques locaux. Les secondes tentent de se réorganiser sans pour autant parvenir à tirer les leçons de leurs échecs électoraux et de leur incapacité à s’allier face au MAS. Certaines d’entre elles, comme le Frente de unión nacional (UN), tentent vainement une volte-face en adoptant quelques-unes des postures discursives du gouvernement. Le seul lot de consolation pour l’opposition est la négociation d’une centaine d’articles du texte final de la Constitution en octobre 2008. Les modifications sont parfois importantes, mais l’orientation générale du nouveau projet sociétal reste sensiblement le même et sa mise en place est désormais contrôlée par le MAS.
11Désunie, l’opposition parvient à se mobiliser ponctuellement autour de la question du respect de l’État de droit, qui, lui, semble menacé par l’hégémonie du parti au gouvernement. Elle dénonce une persécution politique de certains leaders d’opposition13 prenant la forme de poursuites judiciaires ciblées et multiples. La judiciarisation de la vie politique menée par le gouvernement d’Evo Morales aurait été accompagnée de mesures peu conventionnelles pendant les campagnes électorales comme le refus de participer à des débats télévisés et le rachat par l’État de certains grands médias détenus auparavant par des opposants ou des proches de l’opposition. Ces dénonciations ne parviennent pas à sensibiliser massivement la population ni les services diplomatiques des pays voisins où se sont exilés quelques opposants. Si le nombre de charges imputées à certains d’entre eux semble démesuré ou abusif, beaucoup s’avèrent justifiées ou recevables par la justice. Celles-ci concernent principalement des actes de malversation, d’extorsion ou de détournement de fonds publics.
12Cette crise traversée l’opposition partisane bolivienne est symptomatique de celles des partis traditionnels qui ne parviennent plus à séduire ni à mobiliser de larges secteurs de la population. Au cours des dernières années, ceux-ci ont totalement perdu leur centralité dans le champ politique et se sont retrouvés réduits à des espaces minoritaires, presque anecdotiques pour certains. Pour la sociologue Maria Teresa Zegada, cette situation est la conséquence d’une série de carences que l’opposition a été incapable de surmonter et qui l’a progressivement plongé dans une sorte « d’autisme politique » prolongé. La crise des partis politiques traditionnels en Bolivie est due en premier lieu à l’absence de relecture de la réalité politique et institutionnelle, mais aussi sociale et culturelle des transformations récentes qui se sont produites dans le champ politique national. Cela a eu pour conséquence un autre type d’absence, celui d’un projet ou d’un programme politique et idéologique renouvelé qui ne se limite pas à la seule action défensive et de résistance, mais qui serait capable de construire de nouveaux référents discursifs et symboliques qui interpellent efficacement la société. De même, le fonctionnement interne des partis n’a fait aucunement l’objet d’une autocritique et d’une tentative de rénovation plus adaptée à la Bolivie contemporaine. Le délitement de la relation entre le parti comme forme d’organisation et la société a ouvert une brèche béante entre l’action partisane et les attentes sociales14.
13En somme, le parti politique tel qu’il a existé depuis les années 1980 devient inopérant en Bolivie. Et dans une perspective comparative, le MAS15 constitue une innovation organisationnelle attractive parce qu’il parvient à joindre le format partisan à l’aspect syndical et social. Cet instrument politique a ouvert des espaces de représentation et de décision à des secteurs de la société historiquement marginalisés et discriminés. En conséquence, sa composition est à l’image de celle de la société bolivienne. Il reflète et incarne une nouvelle vision de la Bolivie, plus ouverte et plus diversifiée, ce que ne proposent pas ou plus les partis traditionnels même rénovés sous de nouvelles appellations. Par ailleurs, l’opposition s’est montrée incapable de faire émerger une revendication et un leader commun, à tel point que la radicalisation de son discours apparaît bien souvent comme « le dernier refuge qui lui assure une existence politique16 ».
La diversification de l’opposition
14Alors que les forces d’opposition régionalistes et parlementaires tentent de se remettre d’aplomb, un nouveau type d’opposition voit le jour et émane du parti d’Evo Morales ou tout du moins des secteurs sociaux. À partir de 2010, plusieurs cadres historiques du MAS sont expulsés ou quittent le parti au pouvoir pour des raisons diverses et variées. La majorité d’entre eux se présente sur des listes concurrentes17 lors de chaque élection, sans pour autant réussir à créer un front commun dissident. Au cours des élections de 2010, le MAS perd également l’un de ses principaux alliés, le MSM qui n’accepte pas les conditions imposées par le parti du gouvernement et conteste, de la même manière que l’opposition, la gestion du pouvoir. Une purge notable se produit alors au sein même du MAS. Les militants n’adoptant pas une position de rupture sont expulsés. Ce fut par exemple le cas en janvier 2011, dans la municipalité de San Julián, bastion historique du MAS situé dans le département de Santa Cruz, où 35 masistes furent bannis de leur parti pour l’entretien supposé de liens avec certains membres locaux de l’ancien parti allié. Avec quelques autres forces de gauche, le MSM s’érige progressivement comme une formation potentiellement rivale du MAS. Toutefois, celles-ci ne peuvent être tout à fait considérées comme de véritables forces d’opposition du fait qu’elles n’interviennent que dans le cadre des paramètres discursifs du gouvernement et que leurs critiques se réduisent à questionner le style de conduite du processus de changement18.
15Par la suite, le MAS connaît une nouvelle vague de dissidence interne emmenée par la présidente de la chambre des députés, Rebecca Delgado. À partir de 2012, plusieurs députés et sénateurs du parti de gouvernement se présentent comme « libres penseurs », expression utilisée par le président Morales pour exprimer son mécontentement à l’égard de la prise non concertée de parole ou de position de certains membres du parti. Le mouvement de dissidence prend de l’ampleur au fil des conflits sociaux qui se multiplient à partir de 2010. Le conflit du Tipnis, la rééligibilité controversée d’Evo Morales, la rupture avec le MSM ont alimenté la prise de distance d’un certain nombre de cadres du MAS à l’égard de l’exécutif et de sa politique. Ces dissidents ont créé le parti Libertad de pensamiento para Bolivia (LPB) dont le programme insiste sur l’application de la Constitution. Les membres les plus radicaux du MAS perçoivent cette initiative comme un acte de traîtrise. Les plus modérés appellent au rassemblement et à la fin des querelles internes considérant ces dissidents comme encore membres du MAS.
16De son côté, l’opposition historique au parti d’Evo Morales tente de se réorganiser malgré la déroute de la période précédente. Comme toutes les autres droites d’Amérique latine où la gauche a conquis le pouvoir au cours des années 2000, la droite bolivienne tente de se moderniser en procédant à une refonte de ses programmes et de son fonctionnement interne19. Tous les partis concurrents du MAS proclament le même mot d’ordre, à savoir la mobilisation pour la chute du parti au pouvoir. De droite comme de gauche, l’opposition condamne le régime « autocratique » et « autoritariste » du parti de gouvernement, son « sectarisme », son « verticalisme » et son « unilatéralisme ». En somme, son mode de penser et d’agir qui ne serait pas exempt de faiblesses démocratiques. Cette ligne commune se traduit par la démultiplication de termes relatifs aux principes de démocratie et de liberté dans les noms des partis créés pour chaque échéance électorale. Toutefois, l’union de cette opposition semble difficile. La dimension régionaliste des formations politiques, la concurrence des principaux leaders d’opposition, l’idéologie portée si différente (libéraux, conservateurs, socio-démocrates, écologistes, dissidents) rendent plus difficiles les possibilités de rapprochement et d’alliance.
17L’incapacité pour l’opposition de créer un front uni face au phénomène politico-électoral que représente le MAS se traduit par un nouvel échec lors des élections nationales de 2014. Malgré la large coalition proposée par Unidad demócrata, son candidat Samuel Medina ne recueille que 24,52 % des suffrages, loin derrière Evo Morales (61,01 %). Le MSM perd même sa personnalité juridique en obtenant moins de 5 % des voix. L’opposition dans son ensemble se trouve en position de minorité au Congrès en occupant 1120 des 36 sièges du Sénat et 3721 des 130 sièges du Parlement. À l’issue des élections départementales de 2015, celle-ci ne parvient pas plus à limiter l’hégémonie du MAS et ne contrôle, comme en 2010, que 3 départements. Santa Cruz continue d’être le fief du gouverneur Costas et de son parti Demócratas qui remporte haut la main le suffrage avec 59,44 % des voix, distançant de près de 30 points le MAS arrivé en seconde position (31,80 %). Le département de Tarija reste également aux mains de l’opposition après la victoire flamboyante de l’Unidad departamental autonomista (UD-A) qui obtient 60,69 % des voix, loin devant le MAS qui, là encore, arrive en seconde position avec 39,31 % des voix. Soberanía y libertad (ex-MSM) fait sensation en ravissant La Paz au MAS en obtenant 50,09 % des voix, mais l’opposition perd dans le même temps le département emblématique du Beni, réputé être l’un des fiefs de l’opposition conservatrice. Les élections municipales ne sont pas plus glorieuses. Alors que le MAS conquiert 225 des 339 gouvernements municipaux, les Demócratas en gouvernent 23, le Movimiento por la soberanía 14 et l’alliance constituée autour du Movimiento nacionalista revolucionario, 11. Le MAS ne remporte cependant que deux capitales départementales (Potosí et Sucre), perdant à cette occasion la commune de El Alto, l’un de ses bastions historiques. Ces élections confirment ainsi son emprise sur les zones rurales et villes intermédiaires. Elles révèlent aussi une distanciation des classes moyennes urbaines avec le parti gouvernemental qui avaient joué un rôle prépondérant, aux côtés des bases paysannes, lors de ses premières victoires électorales. Ce revers dans les grandes villes du pays n’est ainsi pas anodin dans une Bolivie majoritairement urbaine où les classes moyennes représentent un poids politique et électoral toujours plus important.
18Le référendum de 2016 contre la nouvelle candidature d’Evo Morales a néanmoins réactivé l’opposition. Renouvelant la rhétorique autour des groupes citoyens initiés par les comités civiques et se voulant ouverts aux leaders d’organisations sociales et à tous les défenseurs de la démocratie, cette opposition se construit au sein de plates-formes et de partis politiques autour du slogan « la Bolivie a dit non ». Après plusieurs mois de tractations et de recherches d’alliances souvent infructueuses, neuf partis ou fronts politiques sont finalement habilités à se présenter aux élections municipales22. Certains, comme la Comunidad ciudadana de Carlos Mesa (ancien président et porte-parole de la demande maritime bolivienne à La Haye), ont pu réunir plusieurs plates-formes citoyennes et des anciens dirigeants d’organisations sociales autrefois proches du MAS. Certains hommes politiques de premier plan sont également absents, tel Samuel Doria Medina, alors que des figures anciennes font leur retour (deux ex-présidents, Carlos Mesa et Jaime Paz Zamora, et l’ex-vice-président Víctor Hugo Cárdenas) et que d’autres souhaitent convertir leur réussite régionale au niveau national (Félix Patzi, gouverneur du département de La Paz avec le MSM). Le MAS d’Evo Morales, l’alianza Bolivia dice no d’Oscar Ortiz et de Rubén Costa, la Comunidad ciudadana de Carlos Mesa et le Movimiento tercer sistema de Félix Patzi sont perçus comme les protagonistes d’une élection incertaine.
Notes de bas de page
1 Ces deux formations ont été l’objet de nombreux travaux, en particulier : S. Alenda, « La résurgence du populisme en Bolivie. “Conscience de la Patrie” ou la construction de nouvelles identités urbaines dans un contexte compétitif », Bulletin de l’Ifea, 30(1), 2000, p. 1-26 ; F. Mayorga, Avatares: ensayos sobre política y sociedad en Bolivia, Cochabamba, Cesu-UMSS, 2003.
2 Nueva Fuerza Republicana (NFR), Movimiento Nacional Revolucionario (MNR), Plan Progreso para Bolivia (PPB), Autonomía para Bolivia (APB), Partido Popular (PP).
3 Le MDS résulte d’une fusion entre les partis Verdad y Democracia Social (Verdes), Libertad y Democracia Renovadora (Líder) et Consenso Popular (CP). La tête de liste est l’actuel gouverneur de Santa Cruz, Ruben Costas.
4 Large alliance composée de deux partis (UN et MNR) et de plusieurs associations citoyennes.
5 Territoire indigène et parc national Isiboro-Securé.
6 Voir partie I, premier chapitre.
7 L. Lacroix, « Bolivie : refondation du modèle politique national et tensions politiques », op. cit.
8 F. Mayorga, Dilemas, op. cit.
9 J.-P. Lavaud, L’instabilité politique de l’Amérique latine, op. cit. ; Z. Lacombe, Régionalisme par le haut : transformations des formes d’organisation et de protestation d’un groupe d’intérêt à fortes ressources. Le cas du comité pro-Santa Cruz, Bolivie, thèse de doctorat en sociologie, Lille, Université de Lille 1, 2006.
10 Z. Lacombe, « Les autonomies départementales, une nouvelle légitimité pour le Comité pro-Santa Cruz ? », LAZOS. Bulletin de liaison bolivianiste, no 7, 2005, p. 161-172.
11 M. T. Zegada, C. Arce, G. Canedo et A. Quispe, La democracia desde los márgenes, op. cit.
12 J. Bowen, « The Right in “New Left” Latin America », Journal of Politics in Latin America, vol. 3, no 1, 2011, p. 99-124.
13 Les cas les plus médiatisés d’opposants se déclarant persécutés sont ceux de Manfred Reyes Villa, ancien préfet de Cochabamba ; de Leopoldo Fernandez, ancien préfet du Pando ; du sénateur Roger Pinto ; du président du comité civique pro-Santa Cruz, Branko Marinkovic, et de l’ancien dirigeant du parti Podemos, Tuto Quiroga.
14 M. T. Zegada, C. Arce, G. Canedo et A. Quispe, La democracia desde los márgenes, op. cit.
15 Si le MAS joue un rôle important du niveau national jusqu’au niveau local, en prêtant son sigle à de nombreux candidats paysans, d’autres formations politiques émergent au niveau local avec la loi de participation populaire (LPP), le plus souvent à partir d’organisations sociales, dont certaines entrent en opposition avec le MAS au niveau local. La loi no 2771 de Agrupacion Ciudana y Pueblos Indigenas de 2004 accentue cette dynamique en permettant à des groupes citoyens et aux peuples autochtones de présenter leurs propres candidats, en dehors des structures partisanes traditionnelles. Souvent décriée pour son aspect néo-colonial et néo-libéral, la LPP marque ainsi une démocratisation générale de la politique locale, en proposant de nouvelles formes d’élections, plus horizontales et plus démocratiques, de par leur caractère « organique », aux mouvements sociaux de ces nouvelles formations. Cette politisation des mouvements sociaux permet à de nombreux leaders de base d’accéder et de se conforter dans des fonctions politiques locales, tremplin souvent indispensable avant de les poursuivre au niveau national. Voir : C. Le Gouill, « L’ethnicisation des luttes pour le pouvoir local en Bolivie », op. cit.
16 H. Do Alto et F. Poupeau, « Ressorts de l’opposition régionale bolivienne », op. cit.
17 Parmi les plus connus et médiatiques : Román Loayza, Filemón Escóbar, Lino Villca, Rufo Calle, Felix Santos, Felix Patzi, Rebecca Delgado.
18 F. Mayorga, Dilemas, op. cit.
19 J. Bowen, « The Right in “New Left” Latin America », op. cit.
20 10 sièges pour Unidad Demócrata et 1 siège pour Partido Demócrata Cristiano.
21 35 sièges pour Unidad Demócrata, 11 pour Partido Demócrata Cristiano, 1 pour Movimiento sin Miedo et 1 pour Partido Verde.
22 Movimiento tercer sistema (MTS), Movimiento al socialismo-instrumento político por la soberanía de los pueblos (MAS-IPSP), Movimiento nacionalista revolucionario (MNR), alianza Bolivia dice no, Partido demócrata cristiano (PDC), Partido de acción nacional boliviano (PAN-BOL), Unidad cívica solidaridad (UCS), Comunidad ciudadana (CC) et Frente para la victoria (FPV).
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