Un nouveau paradigme constitutionnel
p. 247-276
Texte intégral
1Pour certains observateurs avisés, la Constitution bolivienne de 2009 présente un caractère « expérimental » propice à ouvrir un nouvel horizon constitutionnel en Amérique latine, tant le nombre de dispositions inédites et innovantes est élevé1. L’une des principales orientations proposées par la Constitution bolivienne consiste à redéfinir en profondeur la composition, l’organisation et le rôle de l’État. À terme, cela doit se traduire par une série d’innovations politiques parmi lesquelles :
l’instauration d’un État dit plurinational, qui redéfinit en profondeur les relations entre l’État et les peuples autochtones, et qui reconnaît à ces derniers de nouveaux droits collectifs ainsi qu’une place centrale au sein même de l’État ;
une refonte de l’organisation politico-administrative et territoriale de l’État fondée sur quatre types d’entités territoriales décentralisées et autonomes (départements, régions, municipalités, territoires autochtones) ;
la mise en œuvre d’une institutionnalité pluraliste, notamment dans les champs politique, économique, éducatif, juridique et judiciaire.
l’instauration d’un droit de la Nature et d’un régime judiciaire autochtone qui implique une réorganisation totale du système de justice.
2L’État doit jouer un rôle central dans la mise en place des nouvelles dispositions constitutionnelles, et assumer un retour au premier plan après plusieurs décennies de retrait adopté et imposé dans le cadre du consensus de Washington. Ce mouvement s’inscrit dans une dynamique régionale marquée par un « surprenant retour de l’État » dans les années 20002. La Constitution bolivienne prévoit donc la restauration d’un État régulateur, voire interventionniste dans de nombreux domaines3, mais aussi la restructuration et la réorganisation de ses institutions.
3Pour donner une assise à la Constitution, le congrès bolivien a promulgué, en 2010, cinq lois dites « piliers », ou structurelles : la loi de l’Organe électoral plurinational (loi 18 du 6 juin 2010), la loi de l’Organe judiciaire (loi 25 du 24 juin 2010), la loi de Régime électoral (loi 26 du 30 juin 2010), la loi du Tribunal constitutionnel (loi 27 du 6 juillet 2010) et la loi-cadre des Autonomies et de Décentralisation (loi 31 du 19 juillet 2010). Celles-ci ont fait l’objet de longs et profonds débats au sein de la société bolivienne et ont été à l’origine de nombreuses mobilisations sociales pour leur approbation rapide ou leurs amendements. Le président Morales estime qu’une centaine de lois de la sorte et une décennie sont nécessaires pour instaurer le nouveau paradigme constitutionnel.
L’instauration d’un État plurinational
4La Constitution de 2009 définit la Bolivie comme un « État unitaire social de droit plurinational communautaire » (art. 1) dont le sens et les implications restent à définir. En théorie, il s’agit de reconsidérer l’existence des peuples autochtones et de leur accorder une place centrale dans le processus de refondation de l’État. Avec la « totalité des Boliviens et Boliviennes » non autochtones, les nations et peuples autochtones constituent le peuple bolivien et composent la nation bolivienne (art. 3). En d’autres termes, l’État plurinational implique d’une part une revalorisation politique des identités culturelles et collectives, placées au centre du système politique, et d’autre part la mise en place d’un régime pluraliste généralisé, à la fois politique, économique, juridique, culturel et linguistique, le tout dans le respect de l’unité de l’État.
5La perspective propose une triple rupture avec trois processus profondément ancrés et enchevêtrés dans l’histoire des pays latino-américains : avec la forme classique d’État-nation et le régime de citoyenneté historique inspiré du modèle républicain européen ; avec les politiques multiculturalistes libérales considérées comme importées et inadaptées ; avec le capitalisme qui constituerait une nouvelle forme de colonialisme et de pillage des ressources des pays du Sud. Le projet d’État plurinational se distingue explicitement du modèle historique d’État-nation métis, au caractère uninational et monoculturel, qui s’est perpétué depuis l’instauration des républiques au xixe siècle et jusqu’au xxie siècle en dépit des évolutions constitutionnelles et politiques des dernières décennies tendant vers la reconnaissance d’un certain nombre de droits collectifs des peuples autochtones. L’État plurinational imaginé en Bolivie semble impliquer l’abandon relatif du multiculturalisme libéral adopté par de nombreux pays latino-américains au cours des années 19904. Celui-ci reposait jusqu’à présent sur l’idée primordiale que les peuples autochtones constituent des minorités culturelles auxquelles il faut conférer un statut particulier et pour lesquelles il faut élaborer des politiques spécifiques face à une culture nationale hégémonique. À l’inverse, la revalorisation politique des identités culturelles et collectives par et dans l’État plurinational doit se traduire par la disparition du statut de minorités et de majorité culturelles. Cet État n’exclut, a priori, aucune forme de métissage, mais réfute catégoriquement la figure du métis comme incarnation exclusive d’un projet politique. Il ne s’agirait pas non plus d’ériger un État autochtone comme le craignent ses opposants, mais de garantir les conditions structurelles et institutionnelles pour une relation plus horizontale, voire équilibrée, entre autochtones et non-autochtones, mais aussi entre individus et collectivités. En d’autres termes, le mot d’ordre serait de transformer en réalité politique le principe d’unité dans la diversité porté par la majorité des peuples autochtones en Amérique latine et de mettre fin à la marginalisation et à l’exclusion établies sur des critères ethniques, voire racistes depuis la colonisation.
6S’il ne peut donc être considéré comme une forme renouvelée d’un État-nation classique, l’État plurinational ne peut pour autant être considéré comme un État multinational5 malgré une logique pluraliste proclamée. La première distinction concerne le type d’entités collectives composant l’État. Alors que dans les pays « multinationaux » sont prioritairement considérées les communautés régionales, religieuses et/ou linguistiques6, l’État plurinational, lui, se construit sur les nations et peuples autochtones et ce, dans la continuité du multiculturalisme latino-américain qui se distingue déjà des autres formes de multiculturalisme adoptées dans le monde pour proposer un traitement et des dispositifs exclusivement destinés aux peuples reconnus comme autochtones et afro-descendants7. Contrairement aux pays multinationaux où la question de la colonisation ne se pose pas ou plus, l’instauration de l’État plurinational s’établit sur le principe constitutionnel de préexistence coloniale des nations et peuples amérindiens. C’est sur cette première différence qu’une deuxième distinction peut être établie entre les deux modèles pluralistes d’État. Lorsque les pays multinationaux assument l’existence de minorités par des politiques multiculturalistes libérales, l’État plurinational propose d’y mettre fin en considérant sur un pied d’égalité les peuples autochtones et les citoyens non autochtones.
7Le passage du « multiculturel » au « plurinational » implique de considérer l’État non pas seulement comme une mosaïque de peuples et de nation(alité)s, mais bien plus comme une sorte de kaléidoscope (géo)politique intégrant des peuples et des nations qui permet de « combiner différents concepts de la nation dans un seul et même État8 ». L’État plurinational propose d’aller au-delà de la seule politique de reconnaissance et de gestion de la diversité culturelle proposée par le multiculturalisme et le multinationalisme. Il prétend incarner la considération et la prise en compte de différentes conceptions de l’État et des nations en son sein. Toutefois, et c’est sans doute sa principale spécificité, l’État plurinational conserve un caractère unitaire, ce qui constitue une troisième distinction importante avec les pays multinationaux. La Constitution bolivienne rappelle à plusieurs reprises l’unité, l’unicité et l’indivisibilité de l’État. Pour autant, le caractère unitaire de ce dernier ne rend pas impossible la reconnaissance du droit à l’autodétermination interne des peuples et des nations autochtones qui le composent.
8Ainsi, l’État plurinational n’est pas un État-nation au sens strict et historique du terme dans la mesure où il présente un caractère fondamentalement pluraliste. Mais dans le même temps, il ne s’inscrit pas pour autant dans la catégorie des pays dits multinationaux puisqu’il conserve un principe unitaire érigé comme fondement politique absolu. En somme, il s’agit d’un seul et même État qui se compose de citoyen(ne)s, mais aussi de peuples et de nation(alité)s autochtones sans État qui participent communément et directement à sa définition et à sa construction. Au même titre que le modèle d’État-nation qu’il prétend remplacer pour son caractère colonial et inopérant face à la composition multiculturelle des sociétés latino-américaines, l’État plurinational propose un nouvel horizon de « communauté imaginée » reposant d’une part sur un héritage politique particulier et d’autre part sur des principes et des concepts novateurs visant à établir une nouvelle « légitimité émotionnelle » partagée9. Il pourrait ainsi constituer une nouvelle forme d’État en gestation10.
9Dans ce projet sociétal, la question autochtone occupe donc une place prépondérante. La Constitution bolivienne consacre ainsi plus d’une cinquantaine d’articles à celle-ci, soit un huitième de son contenu. Le texte reconnaît dix-huit droits collectifs spécifiques aux peuples autochtones (art. 30. II). Il leur garantit le droit à la libre détermination, à l’autonomie, à l’autogouvernement, à la culture. Leurs institutions, territoires et systèmes de gouvernement sont reconnus dans le respect de l’unité de l’État. La Constitution bolivienne prend en considération chacun des quarante-six articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (2007) et va même au-delà des normes internationales existantes en prévoyant d’institutionnaliser les territoires autochtones dans la nouvelle organisation politico-administrative de l’État. De manière officielle, la question autochtone devient ainsi prédominante et transversale dans le champ politique et législatif bolivien. La Constitution bolivienne engage par ailleurs le pays dans une sorte d’autochtonisation symbolique de l’État, par une reconceptualisation de son rôle et de ses structures en considérant des valeurs sociales et morales ainsi que les us et coutumes des principaux peuples autochtones qui le composent. Désormais, l’État bolivien adopte ou porte certains principes éthico-moraux comme le vivre bien (Vivir Bien) ou le code moral quechua Ama qhilla, ama llulla, ama suwa (ne sois pas fainéant, ni menteur ni voleur), révélateurs de son caractère plurinational (art. 8). De la même manière sont adoptés des symboles autochtones comme la wiphala11 (art. 6) qui accompagne le drapeau bolivien sur toutes les façades des institutions étatiques. Le gouvernement d’Evo Morales a largement contribué à cette construction symbolique de l’État plurinational en appliquant, à sa manière et selon ses intérêts, ces dispositions constitutionnelles mais aussi en intégrant de nouvelles dates anniversaires12 dans le calendrier national13.
10Concernant les peuples autochtones, la Constitution fait usage d’une expression particulière, celle d’indigène-originaire-paysan. Le texte déclare en effet que « toute collectivité humaine qui partage une identité culturelle, une langue, une tradition historique, des institutions, une territorialité et une cosmovision dont l’existence est antérieure à l’invasion coloniale espagnole » est considérée comme « une nation et un peuple indigène-originaire-paysan » (art. 30. I).
11La loi-cadre des Autonomies et de Décentralisation (2010) complète la définition constitutionnelle en établissant que :
« les nations et peuples indigène-originaire-paysans sont des peuples et des nations qui existent avant l’invasion et la colonisation, constituent une unité sociopolitique, historiquement développée, avec une organisation, une culture, des institutions, un droit, une ritualité, une religion, une langue et d’autres caractéristiques communes et partagées. Ils sont établis dans un territoire ancestral déterminé et ont leurs institutions propres. Dans les Hautes Terres, ce sont les Suyus conformés par des Markas, Ayllus et d’autres formes d’organisation ; dans les Basses Terres, ceux-ci portent les caractéristiques propres à chaque peuple autochtone » (art. 6. III).
12L’article 43 de cette même loi apporte quelques précisions sur la signification du caractère indigène-originaire-paysan :
« C’est un concept indivisible qui identifie les peuples et nations de Bolivie dont l’existence est antérieure à la colonie, dont la population partage une territorialité, une culture, une histoire, des langues et une organisation ou des institutions juridiques, politiques, sociales, économiques propres. Ainsi, on nomme seulement comme indigènes ou comme originaires ou comme paysans ceux qui peuvent accéder en toute égalité de conditions au droit à l’autonomie établie dans la Constitution, à leurs territoires ancestraux qu’ils continuent d’occuper en accord avec l’article 1 de la convention 169 de l’OIT. Le peuple afro-bolivien est inclus dans ces dispositions en accord avec l’article 32 de la Constitution politique de l’État. »
13La formule relève d’une innovation conceptuelle visant à unifier, jusque dans l’accord du nombre14, des catégories nominatives historiques et régionales, à la fois sociales et identitaires : les indigènes pour les peuples autochtones des Basses Terres, les originaires pour ceux des Hautes Terres et les paysans pour un ensemble diffus de petits cultivateurs revendiquant une certaine amérindianité15. Les concepts d’ethnicité, de « race » et de classe ont toujours été étroitement liés en Amérique latine. Mais de manière générale, les organisations autochtones et les syndicats paysans se distinguent par leurs modes d’organisation et leurs plates-formes revendicatives malgré une solidarité réciproque régulière et des demandes communes (voir encadré suivant).
14Si cette catégorie constitutionnelle de nations et peuples indigène-originaire-paysans résulte d’une suite de glissements sémantiques liés à des périodes de l’histoire bolivienne16 et voit le jour dans une conjoncture très particulière qui est l’Assemblée constituante (2006-2008), celle-ci n’a d’autre sens commun que celui de « peuples autochtones » usité au niveau international. Dans la Constitution bolivienne, ce qui unit les indigènes, les originaires et les paysans, c’est leur existence précoloniale au nom de laquelle des droits collectifs spécifiques leur sont reconnus pour tenter d’atténuer les principales conséquences d’une marginalisation historique des peuples colonisés que sont le racisme persistant, la discrimination permanente, la dépossession, l’assimilation et l’acculturation. Ce qui semble important de souligner ici, c’est que le principe unificateur proposé renvoie à une expérience historique (la colonisation) et à ses effets (la colonialité) et non à la mise en avant immédiate et primordiale d’une différence socioculturelle ou civilisationnelle.
Encadré no 8. Paysans et autochtones, la fragmentation du monde rural bolivien
À l’instar de toute forme d’identité collective, celle des groupes ruraux boliviens ne peut se comprendre que dans une « subjectivité située », c’est-à-dire dans une dynamique à la fois interactionnelle, situationnelle et contextuelle prenant en compte l’hybridité des représentations. Les catégories et identités de « paysans » et d’« autochtones » renvoient à une division tant spatiale que sociale du monde rural, reposant sur des processus historiques précis et distincts, à partir desquels se construisent différentes idéologies, formes d’organisation et représentations du monde. Les organisations paysannes et autochtones se distinguent par les conditions historiques et les rapports de domination dans lesquels elles ont émergé. Leur relation s’établit aujourd’hui dans un rapport de rivalité, chaque groupe construisant son identité collective et organisationnelle à la fois dans son rapport à l’État et en opposition à l’organisation concurrente. Ces organisations n’émergent pas indépendamment les unes des autres, et encore moins de l’État. Elles sont en effet étroitement associées aux nominations officielles de ce dernier : Indiens sous la colonisation espagnole, indigènes sous la République au xixe siècle, paysanne à partir de la révolution de 1952, autochtone à partir des droits reconnus au niveau international. Ces catégories nominatives font l’objet d’une réappropriation par les groupes concernés dans leurs stratégies de mobilisation et de différenciation, alors que de nouvelles catégories sont créées comme celle d’« originaire », dans les Andes au cours des années 1980, afin de se distinguer des termes « paysans » et « indigènes » jugés péjoratifs, car émanant de la société dominante.
La catégorie d’« Indien » naît de la colonisation et peut être assimilée à ses débuts comme une catégorie fiscale, reposant aussi bien sur un ancrage territorial que sur une division sociale du travail, à tel point qu’à chaque catégorie correspond une activité économique : il ne peut ainsi y avoir de paysans non indiens ni d’Indiens instruits. Cette catégorie a fait l’objet de nombreuses luttes et manipulations, tant par l’État qui pouvait redéfinir les frontières de cette catégorie selon ses besoins fiscaux, que par les peuples autochtones eux-mêmes qui pouvaient la mobiliser ou non selon les opportunités ou les contraintes (impôts, travail forcé). La catégorie de « paysan » apparaît quant à elle à la suite de la révolution de 1952 et de la réforme agraire de 1953 qui impulse un projet national populaire de modernisation des campagnes — à travers la création de syndicats agraires — et un indigénisme d’État de type assimilationniste prônant un métissage social et politique faisant de l’« Indien » un « paysan ». Si de nombreux auteurs ont critiqué le métissage par le haut du processus révolutionnaire de 1952, d’autres au contraire ont montré que le syndicalisme et l’identité paysanne apparaissent comme des espaces d’autonomie permettant aux anciens travailleurs des haciendas (grandes propriétés terriennes) de rompre avec les rapports de domination patronale. L’organisation syndicale se constitue ainsi principalement dans les régions agricoles fertiles où s’est développé le système d’hacienda et des rapports de domination « de classe ». Dans un contexte d’essoufflement du modèle national-populaire et d’un échec du métissage ascensionnel, le syndicalisme paysan connaît à la fin des années 1960 un processus d’indianisation permettant de rompre avec sa subordination aux gouvernements civils et militaires successifs. De ce mouvement d’émancipation, naît en 1979 la Confédération syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie (CSUTCB) articulant revendications « culturelles » et « classistes ». Malgré un discours qui s’appuie sur l’indianité, la CSUTCB ne parvient pas à répondre à l’ensemble des revendications culturelles et politiques des territoires où une « autonomie de fait » s’était maintenue et dans lesquels émergent la Confédération indigène de Bolivie (Cidob) et le Conseil national des ayllus et markas du Qullasuyu (Conamaq).
Ces « autonomies de fait » renvoient à des territoires souvent éloignés des centres du pouvoir dans lesquels les populations locales ont maintenu leur propre organisation sociale et politique, en marge des grandes propriétés terriennes et où, de ce fait, le syndicalisme agraire et l’identité paysanne n’avaient qu’un rayonnement limité. Dans les Andes, les organisations autochtones émergent dans des territoires où s’était maintenue la structure territoriale et politique des ayllus, d’origine précoloniale, bien que ceux-ci se soient adaptés tant spatialement que politiquement à la colonisation espagnole et à la République bolivienne. C’est en référence à ce passé et à ces formes d’organisation que naît en 1997 le Conamaq dont l’objectif consiste à « reconstruire les ayllus » et à valoriser les formes d’autonomie autochtones historiques dites « andines ». Le Conamaq brandit dès lors l’identité « originaire » pour se démarquer du syndicalisme paysan. Pourtant, les limites identitaires sont souvent floues dans les Andes, certaines communautés pouvant changer régulièrement de grille d’identification (paysanne ou originaire) et, en conséquence, de filiation organisationnelle oscillant entre la CSUTCB et le Conamaq selon les intérêts stratégiques du moment, du fait notamment que ces deux organisations renvoient à un même imaginaire socio-anthropologique supposé « andin ». Dans les Basses Terres, de nombreux peuples autochtones ont maintenu de la même manière une certaine autonomie, malgré certains processus d’évangélisation durant la colonisation et sous la République. Tout comme dans les Andes, ces peuples ont maintenu et su adapter leur organisation propre sur leurs territoires, sur lesquels la réforme agraire n’a eu que peu d’écho et où l’organisation syndicale ne s’est donc que peu développée. La Cidob est fondée en 1982 avec le projet de réunir tous les peuples des Basses Terres. Elle s’oppose au syndicat paysan en brandissant quant à elle une identité autochtone.
La nouvelle Constitution politique de l’État de 2009 a cherché à fédérer ces différentes organisations et identités sous l’appellation générique d’« indigène-originaire-paysan » (IOC). Cette construction semble cependant bien artificielle au vu des tensions et rhétoriques divergentes actuelles entre les organisations autochtones et paysannes. En effet, si en certaines occasions celles-ci montrent une solidarité réciproque et des demandes communes, elles se distinguent par leurs modes d’organisation et leurs plates-formes revendicatives empruntées à des influences idéologiques distinctes. Ainsi, le syndicalisme paysan maintient certaines orientations « classistes » et oriente davantage ses revendications vers le soutien à l’agriculture parcellaire. À l’inverse, les organisations autochtones s’orientent vers la reconnaissance des territoires et de leurs formes d’organisation, héritées d’un passé précolonial réinventé. Ces dernières s’inscrivent par ailleurs dans un imaginaire de l’indianité porté par la coopération internationale avec laquelle elles sont parvenues à créer de nombreux liens depuis les années 1980. Qu’ils renvoient à la différenciation ou à la similitude, les jeux identitaires entre paysans et autochtones en Bolivie font l’objet d’une grande quantité de travaux scientifiques et s’inscrivent dans un vaste champ de recherche global sur les phénomènes identitaires des sociétés contemporaines17.
15Toutes ces dispositions constitutionnelles se traduisent par un ensemble de mesures spécifiques pour les peuples autochtones reconnus officiellement par l’État bolivien. Pour assurer leur représentation politique, un système de réservation de sièges et de postes a été instauré dans les principales institutions de l’État plurinational. Sur ce principe, les peuples autochtones définis par la loi comme « démographiquement minoritaires18 » occupent des sièges réservés au sein de l’Assemblée législative plurinationale et de huit des neuf assemblées législatives départementales que compte le pays. De la même manière, des sièges sont réservés au sein des institutions judiciaires pour des hauts magistrats revendiquant une identité autochtone19. En termes de participation politique, les organisations des peuples autochtones dotées d’une personnalité juridique sont reconnues comme des institutions politiques représentatives et peuvent donc participer aux élections locales ou nationales au même titre que les partis politiques. Par ailleurs, la loi reconnaît la démocratie communautaire, les assemblées communales et les cabildos20 comme des espaces officiels de débat politique. Ces dispositions légales restent à ce jour très limitées et n’impliquent aucun caractère contraignant, ce qui alimente la discussion sur la participation réelle et effective des peuples autochtones à la prise de décision dans les affaires qui les concernent.
16Sur le plan linguistique, les langues des 36 peuples et nations autochtones reconnus par l’État deviennent des langues officielles au même titre que l’espagnol, et à l’avenir, les candidat(e)s à des postes de la fonction publique devront parler au moins deux langues officielles du pays, c’est-à-dire au moins une langue autochtone de la région où ils exercent. Dans cette perspective, la loi d’Éducation de 2010 préconise l’apprentissage et l’usage de la langue maternelle au cours des premières années de scolarité. Pendant le cursus scolaire, deux langues officielles nationales et une langue étrangère doivent être enseignées. Il est prévu que l’histoire, les cosmovisions et les savoirs des peuples autochtones soient intégrés dans les programmes scolaires. Comme prévu par la loi, des instituts linguistiques régionaux et des conseils éducatifs des peuples originaires ont vu le jour. Sous la tutelle de l’Institut des langues autochtones, les premiers sont chargés du développement et de la normalisation des langues autochtones. Les seconds doivent participer à la formulation et à la gestion des politiques éducatives et veiller à leur application locale. Cette dernière semble cependant lente à mettre en place, que ce soit du fait des changements constants de techniciens au sein du ministère de l’Éducation, de leur manque de formation académique ainsi que, dans bien des cas, de l’éloignement culturel des professeurs avec leurs élèves et dont le processus de socialisation à la loi semble s’être avéré peu efficace21.
17Comme nous le verrons, d’autres dispositions du même acabit se réalisent aussi bien dans la réorganisation territoriale de l’État que dans la rénovation des systèmes politique, judiciaire et économique. La question et la place des peuples autochtones dans l’État proposé par le projet plurinational ne doivent pas être considérées comme secondaires pour comprendre la Bolivie d’Evo Morales. Car, quelles que soient sa forme et sa direction actuelles, ce projet prétend amorcer un changement de paradigme politique22 qui est à l’origine de nombreux conflits sociopolitiques depuis 2009. Dans l’imaginaire collectif, la Constitution est largement perçue comme une victoire politique des mouvements autochtones de par leur forte implication dans le processus constituant. Par ailleurs, cette même Constitution octroie des droits irréversibles dont le respect et l’application s’avèrent incompatibles avec la conservation du modèle économique de rente fondé sur l’extraction industrielle des ressources naturelles23. En ce sens, les modalités d’instauration de l’État plurinational et plus largement d’application de la Constitution de 2009 vont sans conteste représenter des enjeux politiques majeurs.
Une trame institutionnelle pluraliste en construction
18La refondation de l’État telle qu’elle est prévue par la Constitution est susceptible d’engendrer de profonds changements normatifs, institutionnels et organisationnels, voire paradigmatiques. L’instauration d’un État plurinational et l’adoption d’un pluralisme généralisé devraient en effet modifier considérablement de nombreux aspects de la société bolivienne, en particulier les systèmes politique, judiciaire et économique.
Représentation et participation politiques
19La Constitution bolivienne reconnaît trois types de démocratie qui s’exercent en théorie de la manière suivante (art. 11) :
la démocratie représentative par l’élection de représentants au vote universel direct et secret ;
la démocratie directe et participative par le référendum, l’initiative législative citoyenne, la révocation de mandat, l’assemblée, le cabildo, et la consultation préalable ;
la démocratie communautaire par l’élection, la désignation ou la nomination d’autorités et de représentants selon les normes et procédures propres à chaque nation et peuple autochtone.
20La coexistence de ces trois types de démocratie forme ce que la loi de Régime électoral (2010) dénomme la « démocratie interculturelle » (art. 1 et 7). Ce qui ressemble à l’élaboration d’un nouveau paradigme démocratique, celui de « démodiversité24 », doit contribuer à une redéfinition plus politique de l’interculturalité25 que celle proposée lors des décennies précédentes dans le cadre du multiculturalisme libéral. Il s’agit bien ici d’intégrer de nouvelles formes et procédures de décision collective qui étaient jusqu’à présent exclues du cadre restrictif de la démocratie représentative. Cette nouvelle ossature démocratique ne pourra être pleinement effective qu’à l’issue de la mise en place du régime général des autonomies.
21Toutefois, la démocratie communautaire a été expérimentée à l’occasion des élections générales de décembre 2009 et des élections locales (municipales et départementales) d’avril 2010 lors de la nomination des candidats ou des représentants des peuples autochtones dans les différentes institutions26. À d’autres occasions, c’est la démocratie participative qui s’est exercée à travers l’organisation de référendums locaux dans le cadre de la mise en place des autonomies et de consultation préalable, libre et informée pour des projets routiers et de nombreux projets d’exploration ou d’exploitation gazière et minière. Cette démocratie participative reste somme toute limitée, car elle est essentiellement délibérative et non contraignante, ce qui génère d’ores et déjà des conflits dans le cadre de grands projets de développement ou d’extraction de ressources naturelles. Ces conflits ne cessent de se multiplier et mettent en évidence une mobilisation croissante des populations locales pour faire respecter leurs droits individuels et collectifs reconnus par la Constitution (cf. infra).
Organisation juridictionnelle
22La justice connaît, elle aussi, d’importants changements organisationnels. Le pouvoir judiciaire se compose désormais de quatre types de juridictions :
la juridiction ordinaire exercée par le Tribunal suprême de justice, les tribunaux départementaux de justice et de sentence et les juges compétents ;
la juridiction autochtone exercée par les autorités autochtones compétentes selon les normes et les procédures de chaque peuple autochtone ;
la juridiction agro-environnementale par le Tribunal agro-environnemental et les juges compétents ;
les juridictions spéciales régulées par la loi.
23La fonction judiciaire est unique. Ces quatre juridictions jouissent du même statut. Aucune hiérarchie n’est établie entre elles. Cela signifie que la justice autochtone jouit du même statut que les autres justices officielles appliquées dans le pays. Les décisions relevant de cette juridiction régleront les conflits internes aux peuples autochtones et ne devront pas être contraires aux droits constitutionnels ni aux instruments internationaux relatifs aux droits humains. Une loi de délimitation juridictionnelle (2010) tente de définir sans y parvenir clairement les champs de compétences de la justice autochtone ainsi que les mécanismes de coordination et de coopération avec les autres types de justice, en particulier avec la justice ordinaire. Cette loi fait l’objet de nombreuses contestations de la part des organisations autochtones qui dénoncent une restriction de l’autonomie organisationnelle et décisionnelle dans les juridictions reconnues comme autochtones.
24Un nouvel arsenal juridique accompagne cette réorganisation du dispositif judiciaire par l’adoption de nouveaux types de droits collectifs et environnementaux. En 2007, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est promulguée comme loi nationale. En 2012, la Bolivie instaure un droit de la Terre et donc reconnaît celle-ci comme un sujet juridique à part entière en promulguant la loi-cadre de la Terre-Mère et de développement intégral pour vivre bien. Toutefois, des flous juridiques persistent quant à la définition même de Terre-Mère et certains principes constitutionnels et législatifs, comme celui de non-marchandisation de cette Terre-Mère, restent sujets à débats.
25En octobre 2011, une expérience unique en son genre a consisté à organiser les premières élections au suffrage universel des autorités judiciaires du pays. Sur 520 postulants, 156 candidats sont présélectionnés par l’État et 56 d’entre eux sont élus juges titulaires et suppléants : 14 au Tribunal constitutionnel plurinational, 18 au Tribunal suprême plurinational, 14 au Tribunal agro-environnemental, 10 au Conseil de la magistrature. Ces élections font l’objet d’un boycott de la part de l’opposition qui dénonce une présélection partisane du gouvernement d’Evo Morales et la non prise en compte des critères de compétence et de méritocratie. Cet appel a semble-t-il été relativement entendu puisque l’abstention atteint l’un des taux le plus haut de l’histoire électorale en Bolivie (20,23 %). Si la participation reste élevée (79,72 %), le vote blanc atteint lui aussi un seuil record à 14 % et 40 % des suffrages exprimés sont considérés comme nuls27. Ces résultats montrent un profond désaccord au sein de la population non sur le principe de l’élection des juges, mais sur le processus obscur de présélection des candidats. Quoi qu’il en soit, les nouvelles autorités judiciaires entrent en fonction le 3 janvier 2012. Au-delà des controverses, ces élections judiciaires sont marquées par un vote massif pour des juges autochtones et des juges femmes. Des cinq candidats ayant obtenu le plus de votes, quatre s’auto-identifient comme autochtones. Cet aspect n’est pas sans importance dans un pays proposant l’instauration d’un État plurinational.
Tableau nº 6. Résultats des élections judiciaires du 16 octobre 2011. Magistrats élus titulaires
Tribunal constitutionnel plurinational | ||
Votes | % | |
Gualberto Cusi Mamani | 273 081 | 15,55 |
Efrén Choque Capuma | 184 284 | 10,49 |
Ligia Mónica Velásquez Castaños | 127 614 | 7,27 |
Mirtha Camacho Quiroga | 105 107 | 5,99 |
Ruddy José Flores Monterrey | 100 884 | 5,74 |
Neldy Virginia Andrade Martínez | 92 002 | 5,24 |
Soraida Rosario Chanez Chire | 89 068 | 5,07 |
Tribunal agro-environnemental | ||
Votes | % | |
Bernardo Huarachi Tola | 290 556 | 16,47 |
Deysi Villagomez Velasco | 159 171 | 9,02 |
Gabriela Cinthia Armijo Paz | 123 662 | 7,01 |
Javier Peñafiel Bravo | 101 551 | 5,76 |
Juan Ricardo Soto Butrón | 94 858 | 5,38 |
Lucio Fuentes Hinojosa | 94 242 | 5,34 |
Paty Yola Paucara Paco | 82 263 | 4,66 |
Conseil de la magistrature | ||
Votes | % | |
Cristina Mamani Aguilar | 457 399 | 26,18 |
Wilma Mamani Cruz | 152 673 | 8,74 |
Freddy Sanabria Taboada | 151 989 | 8,7 |
Roger Gonzalo Triveño Herbas | 139 648 | 7,99 |
Ernesto Aranibar Sagárnaga | 119 659 | 6,85 |
Tribunal suprême de justice (un élu par département) | ||
Votes | % | |
Maritza Suntunra Juaniquina | 258 477 | 48,65 |
Jorge Isaac Von Borries | 154 145 | 56,31 |
Fidel Marco Tordoya Rivas | 149 210 | 42,29 |
Romulo Calle Mamani | 59 063 | 56,39 |
Pastor Segundo Mamani Villca | 50 831 | 40,97 |
Rita Susana Nava Durán | 35 229 | 40,99 |
Antonio Guido Campero Segovia | 35 026 | 51,1 |
Gonzalo Miguel Hurtado Zamorano | 23 601 | 57,02 |
Norka Natalia Mercado Guzman | 9 363 | 76,97 |
Élaboration propre (L. Lacroix). Source : Tribunal suprême électoral, 2014.
26En dépit d’une nouvelle ossature, la justice pâtit toujours de lourdeurs bureaucratiques, d’un manque de coordination entre les différentes juridictions, de carences de certains juges, de faits avérés de corruption, d’une indépendance constamment malmenée. Le fonctionnement de la justice continue de faire l’objet de vives critiques et constitue l’un des principaux thèmes de débat du début de la campagne électorale de 2014, en particulier ses moyens et ses capacités. Certains députés d’opposition et quelques juges constatent un manque de ressources financières impliquant une politique de réduction du personnel administratif ainsi qu’un déficit de juges (830 en 2014 pour environ dix millions d’habitants). Au moment des premiers bilans, le président Morales attribue, quant à lui, une grande part de responsabilité aux quelques autorités judiciaires autochtones dont la présence et l’action n’ont eu, à ses yeux, aucun effet28. Inscrite dans un discours de campagne durant laquelle le MAS est en recherche d’un électorat urbain principalement composé de classes moyennes, cette considération semblait amorcer de manière prolongée un abandon de la rhétorique indigéniste du MAS et celui de son discours appelant à la construction effective d’un État plurinational. Pourtant, à l’issue des élections de 2014, le ministère de la Justice est une nouvelle fois occupé par une femme de pollera, Virginia Velasco Condori qui a été missionnée par le président Morales pour entreprendre une refonte totale de la justice dans le pays sans donner plus d’indications sur les orientations pour y parvenir.
Économie plurielle et modèle économique
27Dans le champ économique, la Constitution prévoit l’instauration d’une « économie plurielle », c’est-à-dire reconnaissant et articulant quatre principaux modes de production : « étatique », « privée », « sociale et coopérative », « communautaire » (autochtone et/ou paysanne) (art. 306 à 310). L’État joue un rôle central dans ce nouveau modèle économique. Il l’organise et est garant de sa viabilité. Il peut intervenir dans toute la chaîne productive des secteurs définis comme stratégiques et définit lui-même les activités productives et commerciales dont il assure le monopole. Il conduit le processus de planification économique et sociale et assure la direction et le contrôle des secteurs stratégiques de l’économie bolivienne. Il est chargé de redistribuer de manière équitable les excédents économiques à travers des politiques sociales, de santé, éducatives, culturelles et l’investissement dans le développement économique productif (art. 306 à 317). Les situations de monopole et d’oligopole privé sont interdites (art. 314).
28La Constitution déclare les ressources naturelles comme propriété du peuple bolivien, lesquelles doivent être administrées par l’État. Leur industrialisation constitue la première des priorités économiques. Celle-ci doit permettre de sortir d’une dépendance historique liée à l’exportation de matières premières (art. 311, 319, 348 à 379). Pour accompagner cette évolution, la recherche scientifique, technique et technologique doit bénéficier d’un effort significatif de développement au bénéfice de l’intérêt général. À cette fin, l’État doit structurer un système scientifique et technologique approprié. En collaboration avec les universités et les entreprises, publiques et privées, ainsi qu’avec les nations et peuples autochtones, il est appelé à mettre en œuvre des processus de recherche, d’innovation, de promotion, de divulgation, d’application et de transferts de technologies et de savoirs pour renforcer la base productive et générer le développement intégral de la société (art. 103).
29Le rôle primordial de l’État attribué par la Constitution se voit largement appliqué par le gouvernement d’Evo Morales. Cette question d’un État fort, régulateur et interventionniste constitue sans doute l’aspect le plus partagé entre le projet constitutionnel de « refondation du pays » et le « processus de changement » du Movimiento al Socialismo. Toutefois, le « modèle économique, social, communautaire et productif » relève d’une interprétation propre au gouvernement pour mettre en place l’économie plurielle prônée par la Constitution29.
La reconfiguration territoriale de l’État par des autonomies décentralisées
30La Constitution bolivienne engage une réorganisation territoriale de l’État fondée sur l’instauration d’un régime généralisé d’autonomie des collectivités locales. L’agencement proposé depuis 1994 par la loi de participation populaire30 est globalement abandonné, mais la municipalisation instaurée à cette occasion n’est pas pour autant remise en cause. On compte désormais quatre niveaux d’entités territoriales autonomes en Bolivie : les départements, les régions, les municipalités et les territoires autochtones. Leurs compétences sont définies et précisées dans la Constitution et dans la loi-cadre des Autonomies et de Décentralisation (2010). Celles-ci sont exclusives, partagées ou concurrentes dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’habitat et du logement, de l’eau potable, des télécommunications, du patrimoine culturel, des ressources naturelles, de la biodiversité et de l’environnement, du développement rural et productif, de la planification, de l’organisation territoriale, du tourisme, du transport et de la gestion des risques naturels. Chacune de ces collectivités locales peut bénéficier d’une plus large autonomie budgétaire, financière, économique et décisionnelle, dès lors qu’elle a rédigé un statut d’autonomie (sorte de constitution locale) approuvé par référendum local et avalisé par le Tribunal constitutionnel. Les ressources financières de ces entités territoriales autonomes proviennent en grande partie de fonds décentralisés de l’État central31, dont la gestion est soumise à une réglementation précise et commune. Leur fonctionnement est principalement financé avec la rente gazière qui a considérablement augmenté depuis la nationalisation des hydrocarbures en 2006. Avec celle-ci, les budgets des départements sont, par exemple, environ huit fois plus importants en 2013 qu’au début des années 200032.
31Dans ce nouveau schéma, l’une des principales innovations33 consiste à instaurer des « autonomies autochtones » (autonomias indígena originaria campesinas, AIOC) définies par la Constitution comme « l’expression du droit à l’autogouvernement comme exercice de l’autodétermination des nations et peuples indigène-originaire-paysans dont la population partage un territoire, une culture, une histoire, des langues et une organisation ou des institutions juridiques, politiques, sociales et économiques propres » (art. 290). Il s’agit d’une part de reconnaître et d’intégrer des territoires autochtones dans l’organisation politique de l’État et d’autre part, d’instaurer un régime de gouvernance propre aux peuples autochtones dans les collectivités locales qui le souhaitent, à l’exception des départements qui ne peuvent prétendre accéder à ce type de régime34. La loi-cadre des Autonomies et de Décentralisation définit, pour sa part, le territoire autochtone (Territorio indígena originario campesino, Tioc) comme un « territoire ancestral sur lequel se sont constituées les terres collectives ou communautaires d’origine, dûment consolidées et conformes à la loi et qui ont acquis cette catégorie par la procédure agraire correspondante […]. Il se fondera, dans celui-ci, un gouvernement autonome indigène-originaire-paysan. Ce territoire sera approuvé par la loi comme unité territoriale, acquérant ainsi un double caractère » (art. 6), à la fois agraire et juridictionnel. L’institutionnalisation du territoire autochtone s’effectue par une procédure administrative de conversion des Terres communautaires d’origine (TCO) relevant du régime agraire de 1996 en entités territoriales dotées de pouvoirs autonomes, de budgets et de compétences similaires à celles des municipalités35. Par ailleurs, l’État reconnaît à ses habitants un ensemble de droits spécifiques sur leurs territoires : propriété collective et inaliénable des terres, consultation préalable libre et en connaissance de cause pour tout projet impulsé par un agent extérieur, priorité d’usage et d’exploitation des ressources naturelles renouvelables et participation aux bénéfices de l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables. En parallèle, le régime d’autonomie autochtone est accordé de manière exclusive aux « nations et peuples indigène-originaire-paysans ». Ce régime spécifique dote la collectivité locale de compétences supplémentaires. Il permet notamment d’adopter ses propres formes de gouvernement et ses propres institutions, d’établir une politique territoriale plus autonome, de gérer et d’administrer les ressources naturelles renouvelables locales en accord avec la législation nationale en vigueur. Par ailleurs et indépendamment de ce régime spécifique d’autonomie, les peuples autochtones peuvent instaurer leur propre système de justice, ce qui constitue, là encore, une compétence additionnelle particulière36. Avec de tels dispositifs, des gouvernements autochtones locaux peuvent se constituer et légiférer, délibérer, réglementer. Ainsi déterminée par la Constitution et la loi, l’autonomie autochtone répond aux attentes des principales organisations autochtones du pays.
32En décembre 2009, les premières localités du pays engagent une procédure pour obtenir un régime d’autonomie autochtone. Un référendum consultatif local est organisé à cette fin dans douze des trois cent trente-sept municipalités. Onze d’entre elles approuvent la perspective. En 2018, deux localités (Charagua et Uru Chipaya) officiaient sous ce régime spécifique. Des huit autres en lice, cinq travaillent à la finalisation de la procédure et trois ont, au contraire, à peine engagé le processus de conversion. Dans la plupart des cas, des tensions locales sont liées à des luttes de pouvoir entre organisations paysannes et autochtones ou entre leaders, à des incompréhensions entre les populations autochtones et non autochtones, à la résistance des élites politiques locales. À chaque fois, le ministère des Autonomies assume un rôle de médiation pour tenter d’apaiser les conflits locaux, en particulier à Jesús de Machaca qui était initialement présenté comme une expérience modèle par l’État. La localité de Raqaypampa (département de Cochabamba) est, quant à elle, la première à se convertir en territoire autochtone autonome en août 2016. Pour les autres TCO, le chemin semble plus problématique. Les prérequis sont contestés par de nombreuses organisations autochtones locales, en particulier la variable démographique et l’exigence de continuité territoriale qui leur paraissent draconiennes et limitatives pour bon nombre de peuples autochtones désireux d’accéder à l’autonomie territoriale.
Tableau no 7. Référendums locaux sur l’adoption d’un régime d’autonomie indigène-originaire-paysanne (autochtone). 6 décembre 2009
Municipalités (département) | OUI (%) | NON (%) | |
1 | Charazani (La Paz) | 100 | 0 |
2 | Chipaya (Oruro) | 100 | 0 |
3 | Tarabuco (Chuquisaca) | 86 | 14 |
4 | Pampa Aullagas (Oruro) | 85 | 15 |
5 | Mojocoya (Chuquisaca) | 78 | 22 |
6 | Totora (Oruro) | 75 | 25 |
7 | Salinas G de Mendoza (Oruro) | 68 | 32 |
8 | Jesús de Machaca (La Paz) | 66 | 34 |
9 | Charagua (Santa Cruz) | 57 | 43 |
10 | Chayanta (Potosí) | 50 | 50 |
11 | Huacaya (Chuquisaca) | 50 | 50 |
12 | Curahuara de Carangas (Oruro) | 30 | 70 |
Élaboration propre selon les sources du ministère des Autonomies.
33Avec ces quelques initiatives, le régime d’autonomie autochtone est loin de provoquer un mouvement de frénésie dans ce pays « indien » qu’est la Bolivie. La plupart des organisations autochtones consultées sur ce qui pourrait apparaître comme une contradiction soulignent la méfiance historique à l’égard des politiques menées par l’État et le manque de temps nécessaire pour s’approprier le processus d’autonomie fondé sur une réflexion collective locale, mais aussi sur l’observation des premières expériences menées dans le pays. Toutefois, depuis 2013 plusieurs territoires et municipalités ont annoncé leur intention d’adopter ce régime spécifique. Quelle que soit l’évolution de ces « autonomies autochtones », l’observation nous permet d’affirmer qu’à l’instar des autres processus d’autonomie, elle résulte d’une construction sociale et politique complexe, non exempte de logiques partidaires et rarement consensuelle.
Encadré no 9. La conversion au régime d’autonomie autochtone
Elle peut s’effectuer par la conversion d’une municipalité en gouvernement municipal autochtone (voie municipale) ou par celle d’une Terre communautaire d’origine (TCO) en territoire autochtone (voie territoriale). Dans les deux cas, la procédure s’avère longue et ponctuée par de multiples étapes administratives et politiques. Le processus d’autonomisation ne peut s’engager que sous certaines conditions préalables, à la fois démographiques, territoriales, historiques et politiques. Ainsi, le nombre d’habitants prérequis s’élève à 4 000 dans la région andine et 1 000 dans celle des Basses Terres. D’autre part, les collectivités locales qui manifestent un intérêt pour adopter le régime d’autonomie autochtone doivent recevoir du ministère des Autonomies une certification préalable attestant du caractère ancestral de l’unité territoriale pour laquelle l’anthropologie et l’histoire sont mises à contribution. Comme pour la dotation de TCO au cours des années 1990, l’existence prolongée d’une nation ou d’un peuple autochtone dans un espace donné doit être clairement définie. Ses membres doivent partager une même cosmovision, une tradition historique, une identité culturelle, une langue. Ils doivent être dotés d’institutions propres, judiciaires, politiques, sociales, économiques et être majoritairement établis dans un territoire historique. Pour les TCO, trois autres conditions doivent être remplies. Celles-ci doivent recevoir une accréditation sur leur viabilité de gouvernement après évaluation de l’organisation politique et examen du plan de développement territorial par le ministère des Autonomies. Si l’unité territoriale revendiquée affecte des limites municipales, le cas doit être traité et résolu par l’Assemblée législative plurinationale. Enfin, les TCO doivent se convertir en territoire autochtone (territoire indigène-originaire-paysan — Tioc) par simple procédure administrative.
La procédure d’autonomie autochtone s’engage sur initiative locale et doit être approuvée par référendum consultatif. C’est à ce moment que l’État intervient pour superviser à chacune de ses étapes ultérieures le processus d’autonomisation par l’intermédiaire du Service interculturel de renforcement démocratique (Servicio Intercultural de Fortalecimiento Democrático — Sifde). Une fois la proposition validée, un organe délibératif est élu ou nommé pour élaborer le statut d’autonomie locale. S’engage alors l’une des phases les plus longues, alimentée par des débats, des controverses et des conflits liés en grande partie à l’extrême difficulté de s’accorder sur les règles de vie sociale et d’organisation politique et à leurs institutionnalisations.
Cheminement pour accéder à l’autonomie autochtone
Voie municipale | Voie territoriale |
0- Prérequis | |
4 000 < habitants dans les Andes 1 000 < habitants dans les Basses Terres | |
Certificat de territoire ancestral | |
Viabilité gouvernementale | |
Viabilité d’affectation territoriale éventuelle | |
Procédure administrative de conversion des terres communautaires d’origine | |
1- Engagement de la procédure | |
Initiative populaire soutenue par 30 % | Initiative organisée selon les normes et procédures locales supervisée par le Sifde |
Ordonnance ou résolution municipale qui convoque à un référendum consultatif | |
Référendum consultatif pour approuver l’engagement de la procédure | |
2 - Élaboration du statut d’autonomie | |
Conformation d’un organe délibératif selon normes et procédures propres | |
Élaboration du statut d’autonomie : commissions, rencontres publiques, conseils juridiques | |
Approbation du texte par les 2/3 de l’organe délibératif, supervisée par le Sifde | |
3 - Contrôle constitutionnel | |
Remise du texte au Tribunal constitutionnel plurinational (TCP) | |
Révision du texte par le TCP : acceptation ou demandes de constitutionnalité | |
Constitutionnalisation intégrale du statut d’autonomie par l’organe délibératif | |
Validation du texte par le TCP | |
4 - Approbation du statut d’autonomie par référendum local | |
5 - Élection et prise de fonction du nouveau gouvernement selon les modalités établies par le statut d’autonomie |
Élaboration propre (L. Lacroix).
Elle révèle souvent d’innombrables enjeux et tensions et dévoile des rapports de force et de pouvoir, exacerbés par la présence de certaines ONG. Des sessions de travail des commissions et des rencontres publiques se succèdent sans discontinuer jusqu’à atteindre un certain consensus. Principalement politique, cette période se présente aussi comme éminemment technique et juridique puisqu’il s’agit d’élaborer une charte locale en conformité avec les normes étatiques en vigueur. Les statuts d’autonomie doivent notamment considérer les minorités, non autochtones mais aussi autochtones, en leur garantissant les droits établis par la Constitution.
Le texte doit être approuvé, dans son intégralité puis par article, par les deux tiers des membres de l’organe délibératif avant d’être présenté au Tribunal constitutionnel plurinational, lequel examine le texte et émet quelques recommandations pour une version définitive. Une fois avalisé, le statut d’autonomie doit être approuvé par les deux tiers de la population lors d’un référendum local. Ensuite, des gouvernements autochtones peuvent se constituer et exercer leurs pouvoirs de législation, délibération, réglementation et assumer les compétences qui leur sont attribuées37.
34L’autonomie des autres types de collectivités territoriales est tout aussi lente à se mettre en place. À la fin de 2018, seuls les départements du Pando, de Tarija et de Santa Cruz ont approuvé par référendums populaires leurs statuts d’autonomie, ce qui leur permet d’être reconnus comme entités territoriales décentralisées et autonomes à part entière. Ces départements sont ceux qui avaient initié, avec celui du Beni toujours en cours d’élaboration, les référendums populaires anticipés de 2008 et le référendum révocatoire de 200938. Pour les cinq départements andins, le processus d’autonomie semble bien compromis à courte échéance. En septembre 2015, aucun des statuts des départements de Cochabamba, Chuquisaca, La Paz, Oruro, Potosí, n’est approuvé à l’issue des référendums organisés. Ce résultat marque, semble-t-il, un véritable coup d’arrêt du processus d’autonomie pour ces départements. La dynamique est tout aussi fluctuante et plus problématique en ce qui concerne les municipalités. Des 337 communes existantes en 2018, seules quinze ont approuvé leur statut d’autonomie39 et une quarantaine d’entre elles devait soumettre leur charte locale à référendum populaire en 2018. À l’inverse, pour l’unique région constituée, celle du Gran Chaco, le processus d’autonomie s’est avéré rapide. Celle-ci existe officiellement depuis novembre 2016 ; elle est étroitement associée aux importantes ressources naturelles qui s’y trouvent et aux bénéfices espérés avec la rente gazière.
Tableau no 8. Résultats des référendums du 20 septembre 2015 sur l’approbation de statuts locaux d’autonomie
OUI | NON | ||
Départements | Chuquisaca | 42,57 | 57,43 |
Cochabamba | 38,42 | 61,58 | |
La Paz | 31,94 | 68,06 | |
Potosí | 31,92 | 68,08 | |
Oruro | 25,98 | 74,02 | |
Municipalités | Cocapata | 56,72 | 43,28 |
Tacopaya | 56,79 | 43,21 | |
Huanuni | 41,71 | 58,29 | |
Municipalités autochtones | Charagua Yyambae | 53,25 | 46,75 |
Totora Marka | 29,96 | 70,04 |
Élaboration propre selon les sources de la CNE.
35Le nombre important d’étapes politiques et techniques à réaliser, la bureaucratisation inhérente à de telles procédures et la démultiplication de tensions entre les entités locales et l’État central explique en grande partie la lenteur du processus d’autonomisation des collectivités locales en Bolivie. La volonté du gouvernement d’Evo Morales de contrôler l’institutionnalisation de ces autonomies, face aux risques éventuels d’un retour des régionalismes qui se sont manifestés au cours des dernières années, explique en grande partie la lenteur de ce processus. Par ailleurs, plusieurs recours de constitutionnalité concernant la loi-cadre des Autonomies et de Décentralisation présentée par l’opposition ont largement contribué au ralentissement de l’autonomisation des entités territoriales, en particulier la mise en place d’un cadre normatif connexe40. Enfin, les nombreux conflits limitrophes entre gouvernements municipaux, mais aussi entre départements, ne font que retarder, là encore, l’autonomie locale. Malgré ces freins, les premiers fonds décentralisés sont déjà reversés, mais ne peuvent être utilisés par les collectivités locales, ce qui aiguise plus encore les tensions et les discordes politiques. La question des autonomies est marquée par une profonde contradiction, celle d’un État historiquement centralisé, animé par des dynamiques centripètes et qui est chargé de la mise en place d’un régime d’autonomie de nature centrifuge. Il est fort probable que la réorganisation territoriale de l’État soit le scénario de conflits sociopolitiques d’envergure au cours des prochaines années en Bolivie.
Notes de bas de page
1 B. De Sousa Santos, « Las paradojas de nuestro tiempo y la Plurinacionalidad », in A. Acosta et E. Martinez, Plurinacionalidad: democracia en la diversidad, Quito, Abya Yala, 2009, p. 21-62 ; R. Yrigoyen Fajardo, Pueblos indígenas: constituciones y reformas políticas en Latinoamérica, Lima, Iids/Inesc/Ilsa, 2010.
2 G. Couffignal, « Amérique latine : le surprenant retour de l’État », Une Amérique latine toujours étonnante, Paris, La documentation française, coll. « Mondes émergents », 2012, p. 79-91.
3 En particulier l’article 9 : « Les fins et les fonctions essentielles de l’État, en plus de celles qu’établissent la Constitution et la loi, sont les suivantes : 1- Constituer une société juste et harmonieuse, cimentée autour du principe de décolonisation, sans discrimination ni exploitation, comptant avec une pleine justice sociale, pour consolider les identités plurinationales. 2- Garantir le bien-être, le développement, la sécurité et la protection et l’égale dignité des personnes, des nations, des peuples et des communautés, et promouvoir le respect mutuel et le dialogue intraculturel, interculturel et plurilingue. 3- Réaffirmer et consolider le pays et préserver comme patrimoine historique et humain la diversité plurinationale. 4- Garantir l’accomplissement des principes, des valeurs, des droits et des devoirs reconnus et consacrés dans cette Constitution. 5- Garantir l’accès des personnes à l’éducation, la santé et au travail. 6- Promouvoir et garantir l’exploitation responsable des ressources naturelles et impulser leur industrialisation à travers le développement et le renforcement de la base productive dans ses différentes dimensions et niveaux multiples comme la conservation de l’environnement, pour le bien-être des générations actuelles et futures ».
4 L. Lacroix, « État plurinational et redéfinition du multiculturalisme en Bolivie », in C. Gros et D. Dumoulin Kervran (dir.), Le multiculturalisme au concret : un modèle latino-américain ?, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2011a.
5 Parmi les plus étudiés : le Canada, la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume-Uni ou encore l’Espagne et quelques pays de l’ancienne Union soviétique.
6 À l’exception du Canada où les Indiens, les Inuits et les métis sont reconnus comme « peuples autochtones ».
7 C. Gros et D. Dumoulin Kervran, Le multiculturalisme au concret : un modèle latino-américain ?, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2011.
8 B. De Sousa Santos, La reinvención del Estado y el Estado plurinacional, Santa Cruz de la Sierra, Cejis-Cenda-Cedib, 2007, p. 18.
9 B. Anderson, L’imaginaire national : réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996.
10 L. Lacroix, « Un multiculturalisme sans minorités ? Quelques réflexions sur l’État plurinational en Bolivie et en Équateur », Belgeo [en ligne], 2013. Disponible sur http://belgeo.revues.org/11512.
11 Drapeau principalement porté par les organisations aymaras et quechuas de Bolivie et qui fait l’objet de diverses interprétations.
12 Jour de la fondation de l’État plurinational (22 janvier), Nouvel An andino-amazonien (21 juin), Jour de la parade militaro-autochtone (7 août, jour suivant celui de la fête de l’indépendance nationale), Jour de la révolution productive, agraire et communautaire (anciennement « Jour de l’Indien » instauré en 1937, puis « Jour du paysan » depuis 1953), Jour de la décolonisation (12 octobre, en référence à la « découverte » de l’Amérique en 1492).
13 V. Orduña, Tan lejos, tan cerca del Estado plurinacional: lecturas y reflexiones sobre la nación boliviana en tiempos del Estado plurinacional, La Paz, Pieb, 2015.
14 X. Albó et C. Romero, Autonomías Indígenas en la realidad boliviana y su nueva Constitución, La Paz, Vicepresidencia del Estado Plurinacional de Bolivia/Padep-GTZ, 2009.
15 Le terme agriculteur ou petit producteur agricole est réservé aux autres catégories de petits cultivateurs.
16 L. Lacroix, « L’institutionnalisation des “autonomies indigènes” en Bolivie », Actes du Ier congrès de l’Association française d’ethnologie et d’anthropologie (Afea), No(s) Limit(es), 2012a. Disponible sur :
17 Sources : L. Cloud, V. González González, L. Lacroix, « Catégories, nominations et droits liés à l’autochtonie en Amérique latine : variations historiques et enjeux actuels », in I. Bellier (dir.), Peuples autochtones dans le monde : les enjeux de la reconnaissance, Paris, L’Harmattan/Sogip, 2011, p. 41-74 ; I. Daillant et J.-P. Lavaud (dir.), La catégorisation ethnique en Bolivie : labellisation officielle et sentiment d’appartenance, Paris, L’Harmattan, 2008 ; J. Gordillo, Campesinos revolucionarios en Bolivia: identidad, territorio y sexualidad en el Valle Alto de Cochabamba. 1952-1964, La Paz, Promec/Universidad de la Cordillera/Plural/CEP, 2000 ; L. Gotkowitz, La revolución antes de la Révolución: luchas indígenas por tierra y justicia en Bolivia. 1880-1952, La Paz, Pieb/Plural, 2011 ; B. Larson, Colonialismo y transformación agraria en Bolivia: Cochabamba, 1500-1900, La Paz, Ceres/Hisbol, 1992 ; Y. Le Bot, Violence de la modernité en Amérique latine : indianité, société et pouvoir, Paris, Karthala, 1994 ; C. Le Gouill, « Je ne suis pas ton compagnon mon frère ». Ayllus, syndicats et métis : construction de l’altérité et changement social dans le Nord Potosí, Bolivie, thèse de doctorat en sociologie, Paris, IHEAL, 2013 ; G. Rivière, « De la chefferie à la communauté et retour ? À propos des nouvelles organisations indigènes dans les hauts plateaux de Bolivie », in D. Rolland et J. Chassin (dir.), Pour comprendre la Bolivie d’Evo Morales, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 207-219.
18 La dénomination de « peuples démographiquement minoritaires » concerne les 36 peuples autochtones des Basses Terres et 4 peuples des Andes (Afro-boliviens, Kallawayas, Uru-Chipayas, Uru-Muratos). Sont considérés implicitement comme « majoritaires », les Aymaras et les Quechuas.
19 Tribunal constitutionnel, Tribunal suprême électoral plurinational, tribunaux électoraux départementaux, Tribunal suprême judiciaire, Tribunal agro-environnemental, Conseil de la magistrature.
20 Terme hérité de la période coloniale qui ne fait l’objet d’aucune définition juridique précise. Dans la pratique, le cabildo est généralement une assemblée populaire qui prend des formes multiples. Elle peut être ordinaire ou extraordinaire, communale ou régionale, citoyenne ou syndicale, interne ou ouverte. Elle marque souvent le caractère extraordinaire d’une assemblée, mais pas systématiquement. Le terme a longtemps été utilisé pour qualifier les rencontres autochtones locales ou régionales, mais s’est élargi à d’autres types d’assemblées populaires depuis plusieurs décennies.
21 S. Lewandowski, « De la enseñanza árabe-islámica al Vivir Bien: los modelos no occidentales de educación frente a las políticas internacionales de lucha contra la pobreza », Bulletin de l’Institut français des études andines, no 44/3, 2015, p. 343-364.
22 L. Lacroix, « État plurinational et redéfinition du multiculturalisme en Bolivie », op. cit.
23 J. Crabtree et A. Chaplin, Bolivia: procesos de cambio, La Paz, Pieb/Cedla/Oxfam, 2013.
24 M. T. Zegada, C. Arce, G. Canedo et A. Quispe, La democracia desde los márgenes, op. cit., p. 320.
25 F. Mayorga, Dilemas, op. cit.
26 M. Fernández Osco, Pluriversidad: colonialidad de los usos y costumbres Naciones y Pueblos Indígena Originario Campesinos de tierras altas (La Paz-Oruro), La Paz, TSE/Idea, 2011 ; A. Diez Astete, Estudio sobre democracia comunitaria y elección por usos y costumbres en las tierras bajas de Bolivia: elecciones departamentales y municipales 2010, La Paz, TSE/Idea, 2012.
27 En 2017, la nouvelle élection des autorités judiciaires a révélé un même rejet du processus de sélection par le parlement des candidats, avec un taux de participation de 84 %, un vote blanc à 13,7 % et un vote nul à 51,34 %.
28 « En vain, nous avons incorporé des ponchos et des polleras dans la justice » (En vano incorporamos poncho y pollera en la justicia), discours partiellement reproduit par une grande partie de la presse nationale.
29 Voir partie I.
30 L’organisation reposait sur l’État central, les départements, les provinces, les municipalités, les districts municipaux et les cantons.
31 Ceux-ci proviennent du fonds directement décentralisé du budget national (coparticipation tributaire), des impôts directs sur l’exploitation des hydrocarbures, des aides internationales, de fonds propres.
32 Par exemple, les royalties versées au département pétrolier de Tarija atteignent en 2012 environ 365 millions d’euros alors que sur la période 1974-1994, celles-ci s’élevaient à 102 millions d’euros, soit 5 millions d’euros annuels (Bolivian Information Forum, Bulletin, nº 22, septembre 2012, p. 8).
33 La région constitue également une innovation en Bolivie, mais celle-ci ne rencontre encore que peu de succès. En 2014, seule la région pétrolière du Chaco dans le département de Tarija s’est engagée à devenir une collectivité territoriale autonome. Le département et la municipalité existent, quant à eux, depuis la fondation de la République au début du xixe siècle.
34 Cette exception peut en partie s’expliquer par l’importance du sentiment d’appartenance à un département dans l’imaginaire politique en Bolivie, qui se traduit par un fort régionalisme marquant la très grande majorité des institutions politiques et organisations sociales du pays. Par ailleurs, les projets d’autonomie départementale et d’autonomie autochtone ayant constitué des projets politiques concurrents durant l’Assemblée constituante à l’origine d’une bipolarisation politique, il s’avère impossible de lier ou de fusionner ces deux projets dans la conjoncture politique actuelle. Enfin, cette exception permet aussi de limiter toute prétention territoriale autochtone qui serait trop étendue et permet de confiner les espaces d’autonomie autochtone.
35 Notamment la définition et l’application d’un programme de développement local (économique, culturel, social), le développement et le maintien des infrastructures, la prise en charge de la santé, la préservation du patrimoine naturel et culturel, les relations avec les institutions et organisations externes.
36 Promulguée en 2010, la loi de Délimitation juridictionnelle (Ley de Deslinde jurisdiccional) établit principalement les modalités de coordination entre la justice ordinaire et la justice autochtone, or le texte était censé définir les champs de compétence pour la justice autochtone. Cette loi a été largement rejetée par les organisations autochtones qui, par ailleurs, n’ont pas été conviées à participer à l’élaboration du texte. Celles-ci estiment de manière unanime que la loi réduit de manière drastique les compétences de la justice autochtone. Le règlement n’a toujours pas été promulgué, faute de consensus.
37 Sources : J. Cameron, Identidades conflictuadas: conflictos internos en las autonomías indígena originaria campesinas en Bolivia, La Paz, Dalhousie University/Fundación Tierra, 2012 ; Constitución política del Estado Boliviano, 2009 ; L. Lacroix, « L’institutionnalisation des “autonomies indigènes” en Bolivie », op. cit. ; L. Lacroix, « Territorialité autochtone et agenda politique en Bolivie (1970-2010) », QuAderns-e. Revista de l’Institut Català d’Antropologia, 17/1, 2012b ; Ley marco de autonomías y descentralización « Andrés Ibáñez », 2010 ; Ministerio de Autonomías, Bolivia Autonómica, no 4, Territorialidad y Autonomía Indígena Originaria Campesina, 2009.
38 Voir le premier chapitre de la partie.
39 Cocapata, Tacopaya, El Puente, Yapacaní, Buena Vista, El Torno, Totora, Arque.
40 Par exemple, la loi de délimitation des unités territoriales qui n’a été promulguée qu’en 2013 et la loi des gouvernements autonomes municipaux en janvier 2014.
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