Introduction
p. 243-245
Texte intégral
1Depuis 2000, la Bolivie connaît une série de soubresauts et de tensions sociopolitiques qui semblent illustrer une phase de mutation sociétale marquée jusqu’à présent par deux événements majeurs que sont l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales en 2005 et l’approbation d’une nouvelle Constitution par référendum populaire en 2009. Ces deux faits marquants ont une origine commune : une crise généralisée du système politique et du modèle économique mis en place au cours des années 1980. La défaillance du modèle d’ajustement structurel à l’origine d’un accroissement des inégalités sociales et économiques, l’étiolement accéléré du système de représentation politique par la perte progressive de représentativité et de légitimité des partis traditionnels, le retrait et la déficience prolongée d’un État centralisé et excluant constituent les principaux éléments structurels de cette crise. En somme, l’origine des changements récents en Bolivie est en grande partie liée à l’échec des politiques menées dans le cadre du consensus de Washington.
2Le mécontentement social accumulé depuis deux décennies s’est exprimé au cours d’un cycle de conflits sociopolitiques qui a favorisé l’émergence, au premier plan de la vie politique, d’un grand nombre d’acteurs sociaux dont la plupart portent au pouvoir Evo Morales et son parti, le Movimiento al Socialismo, comme figures et porte-parole d’un changement politique attendu. Ce premier objectif atteint, l’horizon d’une nouvelle Constitution scelle l’alliance entre le gouvernement d’Evo Morales et de nombreux secteurs sociaux (appelé secteur masiste) mobilisés contre une opposition politique peu encline à accepter la « refondation du pays » telle qu’elle est proposée. Dès lors, la tension augmente dans le pays et le scénario politique se structure autour de trois cycles de conflits1.
3Le premier se caractérise par une polarisation politique entre le nouveau gouvernement et l’opposition2. Il correspond à la mise en place et au déroulement de l’Assemblée constituante (2005-2008). Cette période est marquée par une tension extrême et de nombreux actes de violence entre les deux parties, mobilisées de manière permanente. La refondation du pays et de l’État est au cœur de la confrontation entre l’opposition, coalisée autour du Conseil national de défense de la démocratie (Conalde), et le secteur masiste rassemblé dans la Coordination nationale pour le changement (Conalcam).
4Le second cycle pourrait se caractériser comme celui de l’hégémonie politique du MAS. Celui-ci débute par l’organisation en août 2008 d’un référendum révocatoire organisé sous la pression de l’opposition. Il se poursuit par la négociation concertée du texte final de la Constitution, puis l’approbation de celle-ci en janvier 2009 par plus de 61 % des citoyens ayant voté. Enfin, il culmine avec les élections générales de décembre de la même année. Toutes ces échéances contribuent à renforcer la place centrale du MAS sur l’échiquier politique et à affaiblir considérablement les forces d’opposition qui ne parviennent pas à s’allier. Le gouvernement d’Evo Morales tire les bénéfices de la Constitution et gagne haut la main les consultations référendaires et électorales.
5La troisième phase marque une sorte de coup d’arrêt au scénario amorcé. Alors que le MAS contrôle le congrès et se trouve à même de mettre en place son projet de gouvernement, freiné jusqu’à présent par une opposition parlementaire vacillante mais résistante, un effet de crispation interne vient altérer l’élan hégémonique du MAS au cours de l’année 2010. Des tensions apparaissent avec plusieurs secteurs sociaux, mais aussi avec des partis alliés. Le gouvernement s’engage alors dans une logique binaire partisane (pro ou anti) qui indispose certains de ses alliés ou de ses membres. Quelques « libres penseurs » du parti prennent leurs distances avec l’exécutif après une série de conflits qui ont pour effet de fissurer l’alliance des secteurs sociaux réunis autour du gouvernement.
6Ces évolutions politiques récentes montrent combien la mise en place de la Constitution se présente comme une nouvelle conjoncture politique de conflits de type structurel liés à des enjeux et des projets particuliers3. Il semble important ici d’établir une distinction entre d’un côté l’horizon constitutionnel qui n’est plus, aujourd’hui, remis en cause par l’opposition et par ailleurs, le plan de gouvernement d’Evo Morales qui est de plus en plus souvent l’objet de critiques. L’un (l’horizon) comme l’autre (le plan) correspondent à deux projets politiques distincts. Le premier implique une « refondation du pays », le second un « processus de changement ». Cette différenciation paraît importante à l’heure où le gouvernement d’Evo Morales termine son troisième mandat consécutif et marque indéniablement de son empreinte la vie politique bolivienne contemporaine.
7Ce qui est en jeu pour l’ensemble des acteurs mobilisés, ce sont les modalités de mise en place de la Constitution. En d’autres termes, celle-ci est en grande partie à l’origine des conflits sociaux actuels et dérive d’une interprétation propre à chaque groupe d’acteurs impliqué dans la refondation du pays. Pour les mouvements sociaux, il s’agit de mettre en œuvre les principes constitutionnels, en mobilisant leurs bases autour d’intérêts sectoriels. Pour le MAS, c’est l’un des moyens de conforter son hégémonie politique en tentant de fusionner le projet constitutionnel et son programme politique. Pour l’opposition, c’est un véritable défi et une fenêtre d’opportunité pour tenter de renaître de ses cendres et offrir une alternative politique à la Bolivie d’Evo Morales en proposant d’autres modalités d’application des principes constitutionnels et en dénonçant les contradictions ou dérives présupposées du gouvernement. Quelles que soient sa forme et sa direction, le processus de refondation du pays engendré par la Constitution bolivienne amorce des changements importants comme la rénovation des élites politiques, la refonte de l’État et de ses institutions ou encore la consécration de l’indianité dans l’arène politique4. Autant d’éléments qui semblent venir illustrer un vaste mouvement de démocratisation de la société et de l’État en Bolivie, du moins dans les textes.
Notes de bas de page
1 M. T. Zegada, C. Arce, G. Canedo et A. Quispe, La democracia desde los márgenes: transformaciones en el campo político boliviano, La Paz, Clacso/Muela del Diablo, 2011.
2 L. Lacroix, « Bolivie : refondation du modèle politique national et tensions politiques », in Observatoire des changements en Amérique latine, Amérique latine 2006, Paris, La documentation française, 2006b.
3 M. T. Zegada, Y. Tórrez et G. Cámara, Movimientos sociales en tiempos de poder: articulaciones y campos de conflicto en el gobierno del MAS, La Paz, Plural/Centro Cuarto Intermedio, 2008.
4 F. Mayorga, Dilemas: ensayos sobre democracia intercultural y Estado Plurinacional, La Paz, Cesu-UMSS/Plural, 2011a.
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