La voie vénézuélienne chaviste
p. 203-215
Texte intégral
1L’un des principaux changements dans la réorientation de la politique extérieure bolivienne depuis l’arrivée d’Evo Morales au pouvoir est l’intensification des relations politiques, commerciales, énergétiques et sécuritaires avec le Venezuela. Ce rapprochement se produit dans un cadre spécifique, l’Alternative bolivarienne pour les Amériques — Traité de commerce des peuples (Alba-TCP) — créée en avril 2005, une alliance politique et économique impulsée par le président vénézuélien Hugo Chávez qui se présente comme une alternative à la fois au projet continental de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), portée par les États-Unis, et à celui de Communauté sud-américaine des nations (CSN) imaginé alors par le président brésilien Lula Da Silva qui se concrétisera ultérieurement par la création de l’Unasur.
2Pour la Bolivie, l’Alba se traduit par la constitution d’une nouvelle zone d’échange commerciale et diplomatique impliquant une dizaine de pays dans laquelle le Venezuela constitue un intermédiaire incontournable. Elle engage également une coopération sud-sud naissante avec la Russie, la Chine ou l’Iran, via les réseaux d’Hugo Chávez. Elle facilite enfin le renouvellement de l’armement avec les deux premiers de ces nouveaux partenaires sans pour autant permettre l’instauration d’une coopération militaire effective à l’échelle régionale.
L’adhésion à l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (Alba)
3La Bolivie devient membre de l’Alba le 29 avril 2006, soit quatre mois après la prise de fonction présidentielle d’Evo Morales. Son adhésion résulte d’un double intérêt stratégique, à la fois idéologico-politique et économique. D’une part, la perspective d’une association latino-américaine énergétique qui prendrait la forme de consortium d’entreprises étatiques apparaît comme attractive pour le gouvernement bolivien pour placer la Bolivie au centre de nouveaux projets d’intégration régionale. D’autre part, la position discursive anticapitaliste et anti-impérialiste du gouvernement de Chávez et de ses alliés conforte ses propres principes idéologiques exprimés à travers la « diplomatie des peuples ». La dernière position forte des pays de l’alliance bolivarienne est présentée lors de la 42e assemblée générale de l’Organisation des États américains, en juin 2012. Evo Morales s’interroge alors sur le système général de l’organisation continentale, dénonce la suprématie états-unienne sur celui-ci et appelle à le refonder dans une perspective horizontale et décoloniale1. Des paroles suivies d’actes puisqu’en septembre 2013, le Venezuela se retire officiellement du système interaméricain de justice alors que l’Équateur et la Bolivie menacent de faire de même.
4Pilotée par le Venezuela, l’Alba vise à favoriser une logique de coopération entre ses membres. Elle prétend privilégier l’association entre entreprises nationales et instaurer un fonds de compensation interne censé corriger les asymétries dans les échanges entre les pays partenaires2. Cette alliance compte avec un système de coopération énergétique (Petrosur), une banque régionale3 (Bancosur), une alliance médiatique (Telesur) et un fonds social4. Un Système unique de compensation régionale, le sucre, a été créé en 2009. Il constitue une unité de paiement virtuelle pour les échanges commerciaux entre les pays membres. L’objectif consiste à procurer une plus grande indépendance monétaire et financière aux pays de l’Alba. Il est calculé sur la valeur du dollar et en fonction d’une évaluation complexe de chaque économie participante. Ainsi, un sucre valait 10 bolivianos en 2012, soit environ un euro. Si à ce jour, le sucre ne constitue qu’une monnaie de comptabilité et non une monnaie d’échange, le volume de transactions avec cette monnaie croît progressivement. En 2012, une valeur de 800 000,00 euros était ainsi échangée. De mai 2011 à mai 2012, les transactions en sucres réalisées par la Bolivie ont augmenté de 214 %. Sur cette période, 63 contrats commerciaux ont été réalisés pour une valeur estimée à 19 millions d’euros, principalement dans les secteurs du textile et de l’étain et presque exclusivement à destination du Venezuela5 qui agit comme véritable plate-forme centralisée des dynamiques économiques et commerciales de l’Alba.
5En Bolivie, une présence vénézuélienne croissante est notable depuis l’élection d’Evo Morales, particulièrement dans les secteurs pétrolier et bancaire6. Ce qui n’est pas sans susciter de nombreux débats sur le caractère illusoire d’une indépendance de la Bolivie, tant économique que politique et géostratégique. Certains observateurs doutent de la pérennité de cette alliance tant le Venezuela occupe une place importante au sein de cette initiative et que les relations entre pays satellites sont sommaires, voire inexistantes selon le spécialiste Alfredo Seoane7, d’autant que le projet s’est altéré avec la mort d’Hugo Chávez en mars 2013.
6Celle-ci, ainsi que la crise vénézuélienne et le nouveau contexte politique régional, a quelque peu atténué les relations entre la Bolivie et le Venezuela qui, jusqu’à présent, reposaient largement sur une proximité personnelle, politique et doctrinale entre Chávez et Morales8. Ce dernier fut très affecté par la disparition de son compère et décréta sept jours de deuil national pour lui rendre hommage. Le président Nicolas Maduro tente de prolonger les bonnes relations entre les deux pays et de faire survivre l’Alba qui se trouve désormais face à de nouveaux défis : la mort de son père fondateur, l’entrée du Venezuela dans le Mercosur et celle annoncée de la Bolivie, la domination croissante du Brésil dans la région et sa présence accrue dans l’économie bolivienne ainsi que celle de la Chine. Preuve de ces difficultés, après une année record en 2012 durant laquelle le commerce de la Bolivie au sein de l’Alba atteint 485 millions d’euros d’exportations et 423 millions d’importations, les exportations boliviennes à destination de l’Alba ne sont en 2015 plus que de 151 millions d’euros et les importations de 47 millions ; elles représentent en 2017 1,9 % des exportations totales du pays et 0,6 % de ses importations, principalement avec le Venezuela.
Nouvelles alliances, nouveaux marchés
7Depuis son adhésion à l’Alba, la Bolivie a largement développé ses relations commerciales avec le Venezuela. En 2007, un premier pas est réalisé dans la perspective d’une alliance énergétique. Les entreprises pétrolières nationales bolivienne (Yacimientos petrolíferos fiscales bolivianos, YPFB) et vénézuélienne (Petróleos de Venezuela SA, PDVSA) s’associent pour créer un consortium en Bolivie, la PetroAndina SA. Une opération évaluée à 450 millions d’euros à laquelle participe de manière indirecte l’entreprise nationale argentine Enarsa (Energía Argentina SA) qui doit prendre en charge l’infrastructure destinée à alimenter l’Argentine en gaz bolivien produit par PetroAndina. La partie bolivienne détient la majorité des parts du consortium (51 %) ; le reste est entre les mains de son homologue caribéenne. Le Venezuela devait investir plus d’un milliard d’euros d’ici 2012 dans ce projet9. L’accord octroie à PDVSA des contrats d’exploration et d’exploitation d’une durée de quarante ans. Il prévoit la création d’une chaîne de stations-service, la construction d’usines pétrochimiques et une campagne de prospection de nouvelles ressources pétrolières et gazières. À cette fin, PetroAndina avait déjà foré une douzaine de puits d’extraction en 2010. Malgré les nombreux discours sur la coopération solidaire et fraternelle, la Bolivie reçoit l’aide du gouvernement d’Hugo Chávez avec méfiance. Les deux pays sont en effet les deux principaux producteurs et fournisseurs de gaz dans la région et leur association n’est pas exempte de concurrence10.
8Sur le plan des échanges commerciaux, le Venezuela s’érige en tant qu’alternative aux États-Unis, qui ont mis fin, en 2009, aux accords commerciaux liés à la Loi de préférences commerciales avec les pays andins et d’éradication de la drogue (ATPDEA). Cette perte significative des marchés à l’exportation pour la Bolivie est en partie palliée par son rapprochement avec le Venezuela dans le cadre du Traité commercial entre les peuples conclu en 2006. Les productions les plus exportées sont le soja et ses dérivés (environ 60 %), les textiles (environ 15 %) et l’étain11. En 2010, la valeur annuelle des exportations de textiles boliviens sur le marché vénézuélien était deux fois supérieure à celle réalisée au cours des années précédentes aux États-Unis dans le cadre de l’ATPDEA, soit 38 millions d’euros. L’année suivante, ce chiffre atteignait 91 millions d’euros. De 2006 à 2012, le nombre d’entreprises boliviennes exportant au Venezuela a doublé, passant de 56 à 118. En 2011, sept lois de coopération commerciale sont établies entre les deux pays afin de pérenniser ces échanges commerciaux. En septembre 2012, la première Rencontre de complémentarité économique productive et commerciale de l’Alba organisée à Caracas permet aux producteurs boliviens présents d’enregistrer des promesses d’achat à hauteur de 49 millions d’euros dont 12,7 pour l’entreprise nationale textile (Enatex) nouvellement créée. Les ventes des micro-entrepreneurs de la filière ont, en revanche, drastiquement diminué en 2013 (-52,27 %) suite à des changements de normes techniques et commerciales. Le gouvernement tente alors d’obtenir l’ouverture de marchés en Argentine et au Brésil pour écouler cette production. En avril 2013, le gouvernement d’Evo Morales autorise l’exportation exclusive à destination du Venezuela de 12 000 tonnes de lait en poudre et de 60 000 tonnes de sucre de canne.
9Cette intensification des relations commerciales s’accompagne d’une dépendance économique et financière croissante de la Bolivie à l’égard du Venezuela, une situation qui fait l’objet de débats au sein des sphères politiques et économiques. En effet, la balance commerciale largement positive pour la Bolivie en 2004 (+166 millions d’euros) est négative depuis 2009 (-7,3 millions d’euros) selon une étude de l’Institut bolivien du commerce extérieur (IBCE) datant de 2012 et sa dette s’accroît de manière exponentielle (34,5 millions d’euros en 2007 contre 310 millions d’euros en 2012) selon une étude de la Fondation Milenio publiée la même année. Cette dette est principalement due à l’importation de diesel réalisée dans le cadre d’un échange spécifique établi depuis 2006. Selon les termes du contrat, le Venezuela livre chaque mois 200 000 barils de carburant à la Bolivie qui, en contrepartie, fournit 200 000 tonnes de soja auxquelles peuvent s’ajouter 20 000 tonnes de viande de poulet et 14 000 tonnes d’huile de soja selon la demande vénézuélienne et les capacités de production boliviennes. Si ce type d’échanges paraît bénéficier aux producteurs de soja boliviens confrontés à une concurrence croissante des producteurs nord-américains sur les marchés colombien et péruvien à la suite des traités de libre commerce signés entre ces pays en 2009, il contribue par ailleurs à la dégradation de la balance commerciale. Toutefois, en septembre 2013, celle-ci était de nouveau positive de 58,3 millions d’euros selon les chiffres fournis par l’IBCE en octobre 201312. Les accords commerciaux et stratégiques entre les deux pays ont été reconduits en mai 2013 par les présidents Maduro et Morales. Ils concernent principalement les secteurs de l’énergie, de l’alimentaire, du textile et de la défense. Un projet de constitution d’une entreprise commune de production d’aliments (Grannacional) n’a, à ce jour, pas avancé. L’année 2014 marque un tournant avec une baisse de 82 % de ces échanges (de 159 millions de dollars en 2013 à 24 millions en 2014), le Venezuela « cessant d’être l’un des principaux partenaires commerciaux de la Bolivie » d’après Gary Rodríguez, le responsable de l’IBCE.
10Ces évolutions s’inscrivent dans une conjoncture globale particulière marquée à la fois par une vaste politique d’emprunts auprès des organismes internationaux et de certains pays latino-américains et par une balance commerciale générale déficitaire (-117 millions d’euros en mai 2012). Au cours des dernières années, le gouvernement d’Evo Morales a multiplié les prêts pour mettre en place sa politique d’industrialisation et accélérer le développement des infrastructures d’aménagement territorial que celle-ci implique. La somme totale de la dette externe publique était évaluée à près de 4 milliards d’euros en juillet 2012. La dette multilatérale représentait alors 73 % de celle-ci. Les principaux créditeurs étaient la Banque de développement d’Amérique latine (CAF, 53 %), la Banque interaméricaine de développement (BID, 28 %) et la Banque mondiale (13 %). La dette externe bilatérale bolivienne était pour moitié contractée auprès du Venezuela, qui proposait un taux d’intérêt compétitif quasi constant de 1,6 %. Selon la Banque centrale de Bolivie, cette dette externe publique passe en 2018 à 8,5 milliards d’euros, soit 23,4 % du PIB, un record historique pour la Bolivie, dont 65 % proviennent de prêts multilatéraux. Alors que jusqu’en 2011 le Venezuela était le principal créditeur du pays, il est remplacé par la Chine à partir de 2012 qui représente aujourd’hui 8 % de la dette totale et 72 % de la dette bilatérale.
Encadré no 7. Accords de coopération entre le Venezuela et la Bolivie (2013)
Agriculture et alimentation
Production, traitement, échange et commercialisation de produits alimentaires.
Décision quant à la constitution d’une équipe de travail.
Production de grains pour la campagne 2013-2014 : 500 hectares à Pailón en Bolivie et 500 hectares de riz à Guanarito au Venezuela.
Industrie
Dans le textile, soutien à la production de pièces de coton et de fil.
La Bolivie a informé des avancées en tissage, teinture et confection.
La Bolivie sollicite une participation actionnariale du Venezuela dans Enatex.
Formation des Boliviens installés au Pérou pour concrétiser le Plan national sur les textiles.
Création d’un centre d’innovation et de développement textile.
Développement du marché des vêtements.
Construction d’une usine de ciment à Potosí à laquelle pourrait participer une commission technique binationale.
Lancement d’études sur l’industrialisation du lithium.
Éducation
Renforcement des télécentres éducatifs avec des moyens satellitaires.
Soutien à l’inclusion des radios communautaires dans la plate-forme satellitaire.
Énergie
Dans le nord du département de La Paz, PDVSA enverra une équipe pour développer une proposition d’exploration pétrolière.
YPFB enverra des informations au Venezuela sur son niveau de dettes.
La Fluvialba transportera des produits par la voie fluviale Paraná-Paraguay.
Poursuite des efforts pour obtenir plus de licences dans la région du Tipnis.
YPFB peut participer à l’exploration sur la faille de l’Orénoque (Venezuela). Elle enverra une équipe pour évaluer ladite participation.
Communications
Forum bilatéral et création d’outils médiatiques et travail coordonné.
Dans le domaine de l’éducation, diffusion d’informations sur les possibilités de bourses d’études au Venezuela. Jusqu’à présent, 1 600 Boliviens en sont bénéficiaires. L’effort doit être maintenu.
Commerce
Installation de succursales de l’Alba en Bolivie, spécialement dans les secteurs de l’artisanat et de la petite production.
Organisation de rencontres entre artisans, entrepreneurs et petits producteurs.
Renforcement institutionnel de la banque de l’Alba.
Renforcement des relations commerciales réalisées en sucres.
Développement et extension des relations et des échanges marchands.
Santé et sports
Le Venezuela diffusera les activités et organisations communes dans ce domaine.
Aéronavigation
Favoriser la circulation des personnes et des marchandises entre les deux pays par l’établissement de conditions spéciales.
Sécurité et défense
Équiper l’école de la Défense de l’Alba.
Proposition de plan de prévention et de répression contre les drogues sur la base d’un agenda élaboré par la Bolivie.
Source : presse bolivienne (sources multiples)
11La Bolivie profite par ailleurs de la filière chaviste pour diversifier ses partenariats économiques et commerciaux. La Chine se présente désormais comme un associé de choix après la ratification en 2011 de plusieurs accords-cadres dans les domaines militaire, bancaire, minier (lithium), agricole et des télécommunications (voir infra). La Russie a, quant à elle, déclaré son intérêt pour investir dans des projets pétroliers et hydroélectriques. Le Plan bilatéral de coopération financière de la fédération de Russie en Bolivie prévoit le financement par l’entreprise étatique Zuk Hydroproject de 70 % de la construction des mégacentrales électriques Tahuamanu, Cachuela Esperanza y San José. Le consortium Gazprom devait, quant à lui, s’allier avec Total et YPFB pour créer une société mixte d’exploration de nouvelles réserves de gaz et de pétrole en Bolivie, dans laquelle l’entité russe devait investir deux tiers des montants prévus (2,3 milliards d’euros sur 3,5). À l’issue du 2e Sommet du forum des pays exportateurs de gaz (juillet 2013), la société d’État russe Rosneft et l’entreprise d’électricité Inter Rao obtiennent l’autorisation de développer des activités en Bolivie. Le mois suivant, le gouvernement bolivien autorise Gazprom à acquérir 20 % de la participation aux blocs Ipati y Aquio sous contrôle de Total E&P Bolivie13 et annonce un investissement commun avec la filiale franco-belge de 96 millions d’euros dans l’exploration du bloc Azero. En 2016, la Russie s’est également déclarée intéressée pour participer au projet d’industrialisation du lithium bolivien et investir dans un centre de recherche nucléaire.
Discours et pratiques sur les questions militaires et sécuritaires
12Le caractère confidentiel des accords de coopération militaire entre le Venezuela et la Bolivie, qui laisse bien souvent libre cours à toutes sortes de spéculations, en particulier sur le nombre, l’action et l’influence de cadres vénézuéliens présents au sein des institutions de l’État bolivien, ne permet d’avoir dans le cadre de cette étude qu’une vision très partielle des relations sécuritaires et militaires entre les deux pays. Nous nous en tiendrons donc ici à décrire la mise en place des grands dispositifs relevés par des sources secondaires, principalement la presse. Toutefois, il semble que la récurrence des questions de sécurité régionale et de coopération militaire dans les discours des principaux dirigeants de l’Alba ne se concrétise pas ou peu et que le nombre de projets reste à ce jour très limité. La mise en place d’une coordination binationale paraît complexe ou tout du moins lente.
13Entre 2009 et 2012, les pays de l’Alba discutent de la création d’un Conseil de défense chargé de définir une « stratégie commune de défense intégrale populaire ». Celle-ci doit se traduire par la coopération étroite des Forces armées des pays membres, en particulier dans l’échange fluide de renseignements et par un rapprochement entre les Forces armées et les peuples. Une première étape est franchie en juillet 2013 lors du premier séminaire international sur la sécurité et la défense des pays membres de l’Alba qui se tient à Santa Cruz de la Sierra en Bolivie, avec l’adoption d’une nouvelle doctrine anti-impérialiste, anticolonialiste et anticapitaliste. Celle-ci s’inspire largement de celle promue par Evo Morales dans son propre pays et qui s’est accompagnée d’une modification de l’insigne militaire et d’un changement de devise14. Au cours de cette même rencontre, est annoncée l’ouverture du premier centre de formation militaire de l’Alba à Santa Rosita de Paquió (municipalité de Warnes, Santa Cruz, Bolivie). Cette institution, dont les infrastructures ont été inaugurées en 2013, doit former des dirigeants militaires, mais aussi civils à la défense et la sécurité. En mars 2013, la Bolivie renforce la présence d’anciens militaires dans ses relations diplomatiques en nommant, au lendemain de la mort d’Hugo Chávez, le général retraité et ancien directeur des forces aéronavales, Luis Trigo Antelo, comme ambassadeur au Venezuela (remplacé en 2017 par l’ex-ministre de la Communication Sebastian Michel).
14De la même manière que pour ses contrats commerciaux, la Bolivie se voit proposer, par l’intermédiaire du Venezuela, de généreux crédits par la Russie et la Chine pour renouveler une partie de son arsenal militaire. Une modernisation qui reste sous haute vigilance du Paraguay inquiet d’une militarisation des pays de l’Alba15. Au terme de deux ans de négociation mettant en concurrence les deux fournisseurs potentiels de matériel militaire, la Chine est la première à accorder des prêts à La Paz (environ 150 millions d’euros) pour l’achat d’avions et d’hélicoptères16. Ce type de crédits n’est pas nouveau, mais les montants sont cette fois plus élevés et signalent un renforcement des relations bilatérales. En 2010, la Chine avait déjà octroyé une ligne de crédit d’environ 40 millions d’euros pour équiper le bataillon d’ingénierie de l’armée bolivienne (loi 014, 2010), un montant significatif au regard des prêts précédents (1,8 million d’euros en 1998). En mai 2013, les deux pays signaient un accord de coopération militaire prévoyant le don d’équipements chinois (camionnettes, canots patrouilleurs) pour lutter contre le narcotrafic et des programmes de formation en logistique et en communication. En 2010, la Chine avait déjà fait don de 37 bus (Higher KLQ6702) et de 21 camionnettes (Nissan ZN2031 UBS Pick-up) auprès du ministère de la Défense de Bolivie. Les discussions ouvertes avec la Russie en septembre 2012 se poursuivent. Elles concernent principalement la négociation d’un prêt de 222 millions d’euros permettant d’acquérir cinq hélicoptères MI-17 et d’assurer la formation de policiers en renseignements pour renforcer les moyens de lutte contre le narcotrafic.
Coopération économico-sociale et technique
15Exception faite du Venezuela, les relations économiques de la Bolivie avec les autres pays membres de l’Alba s’avèrent limitées, voire inexistantes. Celles-ci s’inscrivent plutôt dans le cadre d’accords de coopération classique (cas de l’Équateur) ou d’opération de solidarité de grande envergure. C’est en particulier le cas avec Cuba qui participe activement aux programmes d’alphabétisation « Yo si puedo » et médical « Operación milagro ». En 2011, les médecins cubains présents en Bolivie depuis 2006 avaient réalisé plus de 600 000 opérations chirurgicales gratuites. Dans le cadre de la coopération solidaire, la Bolivie envoie une aide alimentaire de 120 tonnes à Cuba après le passage de l’ouragan Sandy. En 2018, des accords commerciaux ont été signés entre la Bolivie et Cuba, notamment pour l’exportation de lait, de produits dérivés de soja, de textiles et de téléphones vers l’île caribéenne.
16Hors de la zone Alba, mais toujours dans le giron des relations vénézuéliennes, la Bolivie entretient une coopération économique et technique avec la Chine17 et l’Iran. Avec ce dernier, les relations diplomatiques sont établies depuis 2007 grâce à l’intermédiation directe du président Hugo Chávez. Celles-ci ont été considérées par certains spécialistes comme une « anomalie » en raison de l’absence d’antécédents historiques, culturels et politiques, mais aussi de la faible densité commerciale : en 2012, l’Iran représentait 0,0022 % des exportations boliviennes et 0,0021 % des importations18. Le rapprochement repose principalement sur une rhétorique anti-états-unienne et un soutien réciproque sur la scène internationale aux demandes des deux pays : la défense du programme nucléaire pacifique iranien par le gouvernement bolivien et la reconnaissance du droit inaliénable du peuple bolivien à la feuille de coca de la part de l’Iran. L’aide économique de ce dernier en Bolivie est relativement stable. En 2009, celle-ci s’élevait à 890 millions d’euros pour atteindre 1,1 milliard en 2012. Selon des sources officielles, elle permettrait d’acquérir des tracteurs iraniens fabriqués au Venezuela, la construction d’une usine de production laitière et d’hôpitaux, d’organiser des programmes d’assistance pour l’exploitation du lithium et d’échanges de savoirs techniques en exploration minière. Malgré l’intérêt exprimé par l’Iran pour exploiter le lithium bolivien, aucun accord connu n’a pour le moment été finalisé sur cette question.
17Sur le plan politique, La Paz et Téhéran dénoncent conjointement ce qu’ils définissent comme une inégalité de traitement entre les pays face à l’application du traité de non-prolifération des armes nucléaires et l’impérialisme des pays du Nord. Après avoir rompu ses relations diplomatiques avec Israël en 2008, la Bolivie reconnaît l’État palestinien en 2010 et, la même année, ouvre une ambassade à Téhéran. Des centres culturels iraniens sont créés en Bolivie, comme dans d’autres pays d’Amérique latine. En juin 2012, les deux pays signent un acte d’entente qui établit 12 domaines de coopération parmi lesquels la prospection d’uranium et la « réduction de la demande et de l’offre de drogues » pour laquelle le vice-chancelier iranien pour l’Europe et l’Amérique, Ali Asghar Khaji, développe une campagne de promotion auprès de La Paz en mettant en avant une prétendue expérience de l’Iran en termes de lutte contre le narcotrafic. Lors de son élection en 2013, le nouveau président Hassan Rohani a affirmé vouloir prolonger les relations avec la Bolivie.
18L’opposition bolivienne et une partie de la communauté internationale critiquent vivement celles-ci. La question de l’uranium se trouve au centre de la polémique même si Téhéran et La Paz insistent sur la nature de l’accord qui ne concernerait qu’une activité de prospection, et non de commerce. En revanche, les deux gouvernements soulignent les accords concernant l’industrialisation du lithium. Une autre suspicion concerne la participation de l’Iran à la politique de défense des pays de l’Alba. En juin 2012, le centre Simon-Wiesenthal de Buenos Aires dénonce auprès de l’Organisation des États américains (OEA) le rôle important supposé de l’Iran dans la constitution de l’École de défense et de sécurité de l’Alba, révélé, selon lui, par la présence du ministre de la Défense iranien, Ahmad Vahidi19 en 2011 à Santa Cruz de la Sierra.
Notes de bas de page
1 À cette occasion, Evo Morales préconise une profonde réforme de la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) pour que sa juridiction s’étende aux États-Unis, dénonce le non-respect par ce même pays du traité de Rio sur l’alliance interaméricaine de défense et demande la fermeture de toutes les bases militaires états-uniennes situées en Amérique du Sud.
2 En plus du Venezuela : Antigua et Barbuda, la Bolivie, Cuba, la Dominique, l’Équateur, le Nicaragua, Saint-Vincent et les Grenadines. Les États observateurs sont Haïti, l’Iran, la Russie et l’Uruguay.
3 Pour laquelle la Bolivie injecte 7,3 millions d’euros annuellement pour son fonctionnement et ses réserves.
4 S. Ticehurst, « Nuevos horizontes para la integración ? », Umbrales, no 17, 2008, p. 155-176.
5 Chiffres présentés lors de la XIXe Réunion du directoire exécutif du conseil monétaire régional du sucre organisée en mai 2012.
6 L. Lacroix, « Bolivie : les défis du nouveau gouvernement », RAMSES 2007, 2006a, p. 210-212.
7 Entretien réalisé à La Paz en octobre 2013.
8 L. Lacroix, « Un parti politique au cœur de la transnationalité latino-américaine », op. cit.
9 Aucune information complémentaire n’a pu être recueillie concernant ce projet.
10 L. Perrier-Bruslé, « Le gaz bolivien : la Bolivie face à son avenir », op. cit.
11 Estimation inconnue, car les chiffres fournis par les autorités compétentes ne distinguent pas les différents types de minerai.
12 Depuis 2014, des chiffres fiables ou officiels concernant la balance commerciale entre les deux pays sont rares, voire inexistants.
13 Farmout Agreement datant du 30 septembre 2010. http://www.epbolivia.total.com/contenido.php?id=10
14 Voir partie 1.
15 L. Lacroix et L. Perrier-Bruslé, « La frontière boliviano-paraguayenne : des contentieux historiques aux dynamiques d’intégration énergétiques », op. cit.
16 Avions de type k-8, six hélicoptères de type H-425 et un avion Fokker F-27. La loi 231 de mars 2012 valide le prêt contracté par l’État bolivien auprès de la Export Import Bank of China (Eximbank) le 22 décembre 2011 pour un montant de 100 millions d’euros destiné à acheter six hélicoptères H-425.
17 Voir le chapitre suivant de cette partie.
18 N. Ceppi, « La política exterior de Bolivia en tiempos de Evo Morales Ayma », Si Somos Americanos. Revista de Estudios Transfronterizos, vol. 14, no 1, 2014, p. 125-151.
19 Ahmad Vahidi est soupçonné par la justice argentine d’avoir participé directement ou indirectement à l’attentat perpétré en 1994 à Buenos Aires contre l’Association israélite d’Argentine (Amia) faisant 85 morts et plus de 300 blessés. Vahidi est recherché par Interpol depuis 2007, mais bénéficie de l’immunité diplomatique. Un incident diplomatique fut évité avec l’Argentine, alors que Ahmad Vahidi était en Bolivie pour participer à une cérémonie d’anniversaire du collège d’aviation, puis à l’inauguration de l’École militaire de défense de l’Alba, La Paz expulsant le dirigeant iranien en toute urgence avant la cérémonie.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Meurtre au palais épiscopal
Histoire et mémoire d'un crime d'ecclésiastique dans le Nordeste brésilien (de 1957 au début du XXIe siècle)
Richard Marin
2010
Les collégiens des favelas
Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro
Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992