Réformes des forces de l’ordre
p. 131-141
Texte intégral
1Les études scientifiques sur les services de police et les Forces armées sont rares en Bolivie. Les raisons en sont multiples. Au-delà des droits de réserve et du devoir de confidentialité de leurs personnels, ces institutions ne disposent ni d’archives organisées, ni de fonds de documentation, ni de bibliothèques spécialisées comme le souligne le ministre de la Présidence et spécialiste des corps armés de l’État bolivien, Juan Ramón Quintana Taborga1. Quelques historiens comme Luis Oporto Ordóñez ont entrepris depuis peu ce travail de localisation et d’organisation des fonds accessibles2. Enfin, l’implication historique de ces deux institutions dans la vie politique du pays rend difficile l’étude de leurs relations avec le pouvoir, d’autant que les deux corps se livrent à une concurrence continue pour la légitimité et le prestige à l’origine d’une « inadéquation irrésolue entre la police et les Forces armées3 ».
2Au cours de l’histoire du pays, ces deux corps se sont sans cesse relayés pour accompagner ou participer aux changements politiques. Ainsi se succèdent trois périodes d’influence alternée au cours du xxe siècle. Constituant sans aucun doute un acteur de premier plan dans la vie politique bolivienne qui a connu 190 coups d’État entre 1825 et 1982, les Forces armées assument un rôle influent à partir de la guerre du Chaco (1932-1935) en participant directement ou indirectement aux différents gouvernements qui se succèdent jusqu’au début des années 19804 alors que la police constitue « le parent pauvre de la force publique5 ». Un seul intermède vient suspendre temporairement cette prédominance militaire. Lors de la Révolution nationale (1952-1964), la police qui a soutenu les insurgés arrivés au pouvoir est revalorisée par le gouvernement révolutionnaire et mieux dotée en équipement et personnel6. Suite au coup d’État de 1964, le général Barrientos redonne un rôle clé aux Forces armées jusqu’au retour des civils au pouvoir en 19827.
3Avec le rétablissement de la démocratie, l’état-major des Forces armées engage de manière volontaire un retour aux casernes. La police connaît alors un renouveau. À partir de 1985, la loi organique de la police tente de redonner une importance à cette institution au sein de la société civile. Chargée de lutter contre le narcotrafic, la police bénéficie d’un large soutien financier et logistique des États-Unis. Des brigades spéciales sont militarisées pour remplir cette mission de première importance aux yeux de la communauté internationale8. Au cours des années 1990, l’institution policière prend son essor. Un état-major est créé sur le modèle des Forces armées et plusieurs services spécifiques voient le jour comme la prestigieuse police judiciaire en 1993 (très critiquée depuis).
4Entre 2000 et 2005, le cycle d’instabilité politique ouvre un nouveau scénario. En février 2003, la majorité des policiers se lie aux secteurs sociaux mobilisés contre la hausse des impôts. Pour remédier à cette défection massive, le gouvernement du président Sánchez de Lozada fait appel aux Forces armées chargées de contenir les troubles sociaux et éviter l’insurrection. C’est dans ce contexte particulier que policiers et militaires s’affrontent au milieu des cortèges, provoquant la mort d’une trentaine de personnes. Cet épisode dénommé « février noir » précède de quelques mois celui de la « guerre du gaz » (octobre) dont le scénario fort semblable se soldera par la mort d’une soixantaine de personnes et des centaines de blessés. À l’issue de ces deux conflits, le rôle répressif des Forces armées est condamné par les secteurs sociaux qui constituent la base électorale du MAS élu en 2005.
5Au pouvoir, mais sous la pression de ses bases, ce dernier ne peut qu’engager un vaste plan de purge au sein des hauts gradés des Forces armées. Un scandale lié à l’envoi illégal aux États-Unis en 2005 de 37 missiles chinois (HN-5A) pour leur désamorçage est l’occasion d’imposer, en 2006, une retraite anticipée à un nombre important d’officiers supérieurs en fonction sous le gouvernement précédent. L’affaire continue en 2013 lorsqu’une dizaine de responsables politiques et d’anciens hauts responsables des Forces armées sont appréhendés par la justice pour corruption (un million d’euros) et haute trahison dans l’affaire des missiles.
6Malgré ce scandale et leur participation aux régimes militaires répressifs, en particulier celui du général Banzer (1971-1978) qui a fortement marqué les esprits, les Forces armées conservent une image populaire d’institution nationaliste et anti-impérialiste. Ce double caractère va de pair avec le positionnement politique du gouvernement d’Evo Morales et constitue les « éléments d’un fonds idéologique commun9 » octroyant un rôle important aux Forces armées dans « le processus de changement » porté par le MAS. Ce nouveau rapprochement ne semble pas toutefois se réaliser au détriment de la police pour laquelle le gouvernement d’Evo Morales accorde une attention particulière en projetant d’adopter une réforme de fond tant attendue. Pour autant, le traitement du pouvoir à l’égard de ces deux institutions fortement corporatistes continue d’être différent et en faveur des Forces armées.
Les Forces armées comme garantes du « processus de changement »
7Dans ses discours, le président Morales insiste régulièrement sur les nouvelles fonctions des Forces armées dans le cadre du « processus de changement ». L’armée, aime-t-il à répéter, a reconquis son indépendance vis-à-vis des puissances étrangères, en particulier des États-Unis. Elle a pour principale mission historique la défense du territoire national et la souveraineté du pays et, désormais, elle est également associée aux mouvements sociaux pour la défense des ressources naturelles et pour lutter « contre l’impérialisme, le colonialisme et le néo-libéralisme ». C’est ainsi qu’à l’annonce de la nationalisation des hydrocarbures en 2006, des régiments sont envoyés pour prendre possession et protéger des champs gaziers, une mesure éminemment symbolique, mais qui a suscité quelques tensions avec les entreprises étrangères et les gouvernements de leurs pays d’origine.
8Depuis 2012, l’armée est par ailleurs directement impliquée dans la mise en œuvre des politiques sociales. En plus d’assumer la logistique de ces programmes, notamment en organisant la distribution des bons sociaux, le président Morales souhaiterait que l’institution s’engage par ailleurs dans celle de panneaux solaires en milieu rural dans le cadre des politiques gouvernementales de distribution de matériel informatique pour les écoles (zones souvent non desservies par les réseaux d’électricité).
9Après la réorganisation de son commandement et dans le cadre des nouvelles fonctions sociales et humanitaires qui lui sont attribuées par l’exécutif, la question des nominations et des promotions suscite des polémiques régulières au sein de la Défense. En 2009, les états-majors des Forces armées exercent une pression sur le gouvernement et le congrès pour procéder aux promotions retardées par la constitution de ce dernier et pour garantir le patrimoine de l’institution menacée par des coupes budgétaires annoncées. En 2010, les hauts gradés expriment leur malaise et leurs interrogations sur un certain nombre de décisions :
le manque de consultation sur les modalités de nomination ;
l’incertitude et l’imprécision concernant le plan général de restructuration qui, à ce jour, reste sans suite ;
l’adoption d’une nouvelle doctrine (socialiste, anticapitaliste, anti-impérialiste) et de la wiphala (drapeau aymara adopté par l’État plurinational) sur l’insigne militaire, ainsi qu’un changement de devise (l’abandon de « subordination et constance, vive la Bolivie » pour « La patrie ou la mort, nous vaincrons » inspiré de la révolution cubaine et lorsque les Forces armées ont participé à l’exécution de Che Guevara en 1967) qui sont à l’origine d’un vaste débat sur la politisation et l’instrumentalisation des Forces armées par le pouvoir ;
l’ouverture des archives des années de dictature qui fait l’objet d’une forte réticence, certains responsables politiques et militaires demandant que celle-ci soit repoussée de quelques années pour éviter tout procès.
10Après plusieurs changements du chef des armées entre 2010 et 2012, le gouvernement instaure un système rotatif à la direction des armées. Depuis lors, chacun des trois principaux corps (armée de terre, forces aériennes, marine) dirige à tour de rôle l’institution pour un ou deux ans. D’autre part, le président Morales ne revient pas sur le caractère obligatoire du service national, mais souhaite qu’à l’issue de celui-ci, les soldats puissent bénéficier d’une formation (pré)professionnelle ou sortent diplômés. En revanche, aucune disposition n’est prise pour remédier à la violence interne ou au manque de respect de certains protocoles de sécurité qui ont coûté la vie à une vingtaine d’appelés depuis 2010.
11À l’instar des autres pays de la région, la Bolivie a entrepris une politique de rénovation et de modernisation de son équipement militaire. Le budget de la Défense a connu une hausse quasi constante depuis l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales pour atteindre 203 millions d’euros en 2010. Selon un rapport de l’Unasur, la Bolivie a consacré entre 2006 et 2010 en moyenne 1,46 % de son PIB en dépenses militaires10. Cet investissement répond à une demande historique des Forces armées boliviennes qui cherchent à retrouver leur capacité opérative perdue depuis les années 198011.
12Sur cette période 2006-2010, l’État bolivien a fait l’acquisition de 9 avions Diamond, 6 avions de chasse k-8, 6 hélicoptères Robinson R-44, 2 hélicoptères Eurocopter AS-350, 2 hélicoptères Eurocopter EC-145, 148 camions, 42 autobus, 142 camionnettes, 40 4x4 et des motos ainsi qu’un avion Falcon 900 EX-Easy pour les déplacements du président Morales. En 2013, la presse nationale recensait l’achat de 9 avions d’entraînement, 8 hélicoptères dont 2 EC-145, des GPS et des téléphones satellites. Un centre de formation pour les femmes a été construit et un centre de recherches en technologie aéronautique (CITA) a été inauguré. En annonçant ces acquisitions et ces dépenses, le gouvernement d’Evo Morales rappelle ses positions contre la guerre d’agression et insiste sur la nécessité d’atteindre une « capacité opérationnelle raisonnable » selon les termes employés par le ministre de la Défense en 2012.
La rénovation de l’institution policière
13Malgré les multiples tentatives de revalorisation sociale et institutionnelle dont elle a été l’objet, l’institution policière se voit de nouveau montrer du doigt. À partir des années 1990, son action inquiète plus qu’elle ne rassure. Le nombre de plaintes dénonçant les délits policiers augmente sans cesse et rapidement. La corruption, le traitement discriminatoire, les abus d’autorité, la malversation constituent autant de maux qui rongent l’institution et restent impunis. Pendant deux décennies, aucune exaction n’a été sanctionnée12. En 1998, l’Association des droits humains relève un lien entre des policiers et la mafia carcérale ou le narcotrafic13 et dénonce la régularité des violences policières dans les prisons et les commissariats. Face à ces critiques, les représentants de l’institution évoquent le manque de moyens (humains, en équipements, en locaux) comme causes de ces déviances. Selon Mansilla, elles relèvent surtout l’existence d’une sous-culture policière reposant sur un solide corporatisme et des codes informels de comportement qui admettent dans une large mesure l’illégalité des actes. La police traverse une « grave crise institutionnelle14 » qui ne cesse de perdurer. Malgré de multiples réformes annoncées, aucune mesure n’a, à ce jour, modifié le fonctionnement de l’institution policière ni même sa relation avec la société bolivienne.
14En 2011, un rapport du Tribunal disciplinaire supérieur de la police bolivienne indiquait que, depuis 2010, plus de 1 800 policiers faisaient l’objet d’une plainte et que 664 d’entre eux étaient déjà sous le coup d’une sanction disciplinaire pour corruption ou malversation. La même année, une quarantaine de policiers sont poursuivis pour trafic de drogue et participation à des jeux clandestins et quatre policiers sont assassinés dans des communautés autochtones du Nord Potosí, accusés par la population d’avoir participé à la contrebande de voitures, à des assassinats et à des actes de corruption. En 2013, les chauffeurs de taxi de la ville d’Oruro organisaient une journée de grève contre les pratiques courantes d’extorsion des policiers chargés de la circulation. Les affaires ne concernent pas simplement le policier des rues. En février 2011, l’ancien responsable de la lutte antidrogue et membre des services de renseignement, René Sanabria, est arrêté pour avoir facilité l’envoi de conteneurs de cocaïne aux États-Unis. En septembre 2013, le chef de l’unité anticorruption de la police, Mario Fabricio Ormachea (connu pour ses actes répétés de malversation) est arrêté dans le même pays pour avoir extorqué des dizaines de milliers de dollars à l’ancien président de la compagnie aérienne Aerosur.
15Selon le spécialiste gouvernemental des forces de sécurité, Juan Ramón Quintana, l’institution doit se créer sa propre identité, en rupture avec le passé marqué par le caudillisme et l’influence étrangère15. Il faut, selon lui, construire une police d’État au service d’un régime démocratique et de droit. À cette fin, il est nécessaire de démocratiser, dépolitiser, institutionnaliser et plurinationaliser l’institution16, en bref que l’État et la société en reprennent le contrôle. La stabilité étant propice aux réformes de la police en Bolivie17, le gouvernement d’Evo Morales engage une refonte de l’institution policière.
16Depuis 2010, ce dernier annonce une grande purge. Tous les policiers soumis au Tribunal disciplinaire seront licenciés, soit environ 1 500 selon les estimations. Une police des polices est créée pour enquêter de l’intérieur, ce qui accroît les tensions internes et la suspicion. Il est également demandé aux chefs de la police de lutter contre la corruption et procéder à une épuration interne. Ces requêtes s’effectuent non sans provocations ni dénigrements de l’institution, ce qui accentue le malaise déjà grand. En décembre 2012, le président Evo Morales évoquait publiquement le surpoids des policiers et la nécessité d’instaurer un programme d’entraînement physique. Plus sérieusement, il dénonçait l’enregistrement secret de ses discussions avec les hauts responsables de la police, réalisé par ces derniers. En mars 2013, la ministre de la Communication jette un froid lorsqu’elle propose que la police indemnise la famille d’un journaliste tué lors d’une opération.
17Sur ces bases, la relation entre le gouvernement et la police reste tendue. Celle-ci se ressent en particulier lors des nominations des hauts responsables policiers qui suscitent de nombreuses polémiques. En mai 2012, la désignation de Victor Maldonado comme commandant général fut très mal perçue par la hiérarchie de l’institution et ce dernier dut renoncer six mois plus tard.
18À partir de 2013, le gouvernement applique une stratégie moins coercitive et « entreprend d’améliorer l’image de la police » selon les termes du ministre du Gouvernement Carlos Romero. Ce dernier présente un avant-projet de loi de modernisation de la police qui propose, entre autres nombreuses mesures :
la création de nouveaux services (renseignement, police anticriminelle, protection de la famille, sécurité citoyenne, planification stratégique, brigade de lutte contre les délits transnationaux et la traite des personnes) ;
l’adoption d’une nouvelle doctrine inspirée de ce qui serait un principe moral autochtone andin « ama sua, ama llulla y ama kella18 » et en plein accord avec le respect des droits humains ;
un système de promotion basé sur la position hiérarchique et les formations individuelles ; la refonte des formations et l’obligation d’être titulaire d’une maîtrise en Sciences policières et développement national ;
la déconcentration et la territorialisation de la police ;
l’amélioration de l’action coordonnée avec les services judiciaires.
19En 2010, le gouvernement d’Evo Morales a fermé l’Académie de police (Anapol) et lui a substitué une université (Unipol) dont la création était prévue depuis 200419. Cette dernière a déjà fait l’objet de deux scandales, dont l’un concernait des surcoûts illégaux (2010) et l’autre un traitement de faveur (2012) pour certains candidats.
20Malgré ces problèmes et ces tensions, la refonte de la police semble engagée. Si les maux inhérents à l’institution ne disparaissent pas rapidement, la restructuration des services est une réalité. En mai 2013, le gouvernement a voulu marquer les esprits en nommant deux femmes parmi les 18 officiers supérieurs promus au grade de général. Cela constitue une grande première dans l’histoire de la police bolivienne et reflète les efforts engagés par le gouvernement pour améliorer le fonctionnement et l’image de la police20.
Le chambardement sur le fil du rasoir
21Dans sa relation avec les forces de sécurité, le gouvernement d’Evo Morales semble s’inscrire dans une certaine continuité historique, privilégiant les Forces armées malgré une volonté affichée de revaloriser l’existence et l’action de la police. Si le gouvernement semble contrôler ces deux entités, il ne semble pas toutefois à l’abri de soubresauts. Les réformes engagées sont susceptibles d’engendrer quelques crispations et d’autres questions latentes paraissent tout aussi propices à l’apparition de tensions avec le pouvoir en place.
22Celle relative aux salaires, aux conditions de vie et d’exercice a été à l’origine de deux mouvements successifs en 2012. D’abord au sein de l’armée, en mai, lorsque les sous-officiers de second rang (10 000 environ) dénonçaient le non-respect du décret 1213 établissant une hausse de 8 % des salaires, le gouvernement prévoyant une hausse de 3 %. Un mois plus tard, ce sont les policiers de même rang qui réclament en vain un alignement de leurs grilles salariales sur celles des militaires. Le silence du gouvernement est à l’origine d’une mutinerie policière longue de six jours. Sur les dix accords passés, seule une hausse mensuelle de 1,50 euro a été jusqu’à présent accordée. Les principaux grades concernés montrent depuis lors leur impatience et menacent régulièrement de lancer une nouvelle mobilisation.
23De même, la question de la retraite pourrait susciter quelques inquiétudes au sein des Forces armées. En mai 2013, de nombreux acteurs sociaux remettent en cause le traitement de faveur dont bénéficient les militaires retraités qui perçoivent des rentes équivalentes à leurs derniers salaires alors que le régime général prévoit une couverture à hauteur de 70 % pour tous les secteurs de la société. Objet de critiques récurrentes pour leur rôle subordonné à l’activité présidentielle (assurer la sécurité d’Evo Morales, participer à tous les protocoles, acheminement des aides sociales), les Forces armées pourraient bien se rebeller en freinant l’application de la loi de 2004 sur les dédommagements aux victimes des violences politiques21, amendée en avril 2012, permettant le paiement individuel des victimes et qui concerne à ce jour 6 200 dossiers de plainte selon le ministère de la Justice.
24La « décolonisation » annoncée des institutions militaire et policière pourrait également faire l’objet de tension et d’instabilité. Celle-ci correspond à une promesse répétée du président Morales qui souhaite la démocratisation de ces deux institutions. En plus d’une intégration préalablement évoquée de symboles et de principes éthiques supposés autochtones dans la doctrine et l’organisation quotidienne de ces institutions, la décolonisation doit se traduire par trois grandes mesures :
leur ouverture au plus grand nombre, en particulier aux jeunes autochtones et paysans et offrir une possibilité réelle d’ascension sociale et professionnelle ;
la fin de certains privilèges pour les hautes autorités comme la mise à disposition gratuite de voitures neuves et d’autres « cadeaux » du même acabit qui étaient devenus monnaie courante depuis plusieurs décennies pour garantir la non-intromission des forces de l’ordre dans la vie politique ;
la formation d’une nouvelle génération de cadres, si possible d’origine autochtone et paysanne, respectant ainsi les principes souverainistes et nationalistes généraux portés par le gouvernement d’Evo Morales, « pour que jamais plus des militaires étrangers ne dirigent nos unités policières et militaires22 ».
25Dans les faits, la décolonisation des forces de l’ordre ne se traduit à ce jour que par l’organisation gouvernementale de défilés « militaro-autochtones » dans le cadre des activités officielles liées à la fête nationale et à l’anniversaire de l’État plurinational de Bolivie. Quelques formations en stratégie et technique militaires ont été dispensées à des organisations sociales proches du gouvernement comme les ponchos rojos, bras social musclé de l’exécutif chargé du service d’ordre lors des grandes mobilisations sociales, en particulier paysannes durant l’Assemblée constituante (2006-2008).
26Au sein des casernes et des postes de police, la décolonisation n’est encore qu’un effet d’annonce. En avril 2014, plus de 700 sous-officiers et sergents de l’armée se mobilisent pour demander une décolonisation effective et immédiate de leur institution, c’est-à-dire une démocratisation interne qui permette la possibilité d’une ascension sociale plus rapide. Dans un mouvement commun et simultané, ils se retirent des casernes et réclament l’ouverture d’un dialogue social. Après les menaces répétées de sanction et d’éviction par le gouvernement et des hautes autorités militaires, les organisations paysannes proches du gouvernement, en particulier les ponchos rojos et les Bartolinas (fédération syndicale des femmes paysannes), interviennent comme médiateurs et obtiennent le retour des militaires mobilisés dans leur caserne en contrepartie de leur réaffectation sans sanction. À l’instar des policiers vigilants sur leurs conditions de travail et leurs salaires, les soldats et premiers grades restent attentifs à la décolonisation et à la démocratisation de leurs institutions.
Notes de bas de page
1 Entretien accordé au Pieb en août 2012 : http://www.pieb.com.bo/sipieb_imprimir.php?idn=7214
2 L. Oporto Ordóñez, Archivos Militares de Bolivia, La Paz, CEPAAA/La Pesada, 2011.
3 J. R. Quintana, Policía en Bolivia: historia no oficial, La Paz, Observatorio de Democracia y Seguridad, 2012.
4 Direction des Affaires stratégiques du ministère français de la Défense (DAS), « Les forces armées boliviennes dans le “processus de changement” du gouvernement d’Evo Morales (2005-2013) », note de consultance, DAS, avril 2013.
5 J. R. Quintana, Policía en Bolivia, op. cit.
6 H. C. F. Mansilla, La policía boliviana: entre los códigos informales y los intentos de modernización, La Paz, Plural, 2003.
7 J.-P. Lavaud, L’instabilité politique de l’Amérique latine : le cas de la Bolivie, Paris, L’Harmattan, 1991.
8 H. C. F. Mansilla, La policía boliviana, op. cit.
9 DAS, « Les Forces armées boliviennes », op. cit., p. 5.
10 Union des nations sud-américaines (Unasur), Registro Suramericano de gasto de Defensa. Avance preliminar: resumen ejecutivo, Quito, Centro de Estudios Estratégicos de la Defensa, 2012.
11 DAS, « Les Forces armées boliviennes », op. cit.
12 H. C. F. Mansilla, La policía boliviana, op. cit.
13 Sur cette question du narcotrafic, les Forces armées ne sont pas en reste, notamment durant le régime militaire de Luis García Meza Tejada (1980-1981), considéré comme une « narco-dictature » financée par le trafic de cocaïne.
14 H. C. F. Mansilla, La policía boliviana, op. cit.
15 J. R. Quintana, Policía en Bolivia, op. cit.
16 J. R. Quintana, Policía y democracia en Bolivia: una política institucional pendiente, La Paz, Pieb, 2005.
17 H. C. F. Mansilla, La policía boliviana, op. cit.
18 « Ne sois pas voleur, ni menteur ni fainéant ».
19 Unipol fut créée par la résolution suprême 222297 datée du 18 février 2004.
20 De la même manière, le gouvernement nomme en 2011 María Cecilia Chacón Rendón ministre de la Défense, première femme de l’histoire du pays à occuper une telle fonction.
21 Ces plaintes concernent les périodes de régimes militaires passés (1960-1980), mais aussi la période d’instabilité entre 2000 et 2005.
22 Discours présidentiel prononcé dans la ville de Tarija le 7 août 2011 dans le cadre du 186e anniversaire des Forces armées de Bolivie.
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