Politiques sociales
p. 115-129
Texte intégral
1À l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales en 2005, la crise que connaît la Bolivie n’est pas uniquement politique, elle est également économique et sociale. Les échecs de la réforme agraire de 1953 et les politiques d’ajustement structurel des années 1980 ont conduit à des phénomènes de migration vers les grandes villes du pays — bien que moins importants que dans la majorité des pays latino-américains — où se développent une économie informelle et la précarité dans les quartiers périurbains. Selon une étude menée par Antonio Rodríguez-Carmona, le taux de pauvreté atteint 54,4 % en 2003 dans les villes, mais il est encore plus fort en milieu rural avec 77,7 % de personnes vivant sous le seuil de pauvreté et ne pouvant satisfaire leurs besoins basiques. 34,5 % de cette population rurale se trouve en situation d’extrême pauvreté (38,2 % en 2005) et dans l’impossibilité de satisfaire ses besoins alimentaires. Cette extrême pauvreté avait connu une légère baisse la décennie précédente, entre 1990 où elle atteignait 48,8 % de la population et 1997 où elle était descendue à 38,5 %, avant de connaître des fluctuations à partir de la crise économique de 1999-2003 pour atteindre 45,2 % en 20001. Le taux de mortalité infantile est l’un des plus élevés du continent, avec un taux de 54/1 000 en 2003, la moyenne latino-américaine étant à la même époque de 25,5/1 000.
2Pourtant, la période néo-libérale marque une croissance de l’investissement public dans le secteur de l’éducation (passant de 3,7 % du PIB en 1991 à 7,4 % en 2003) et de la santé (de 1,8 % du PIB en 1991 à 3,6 % en 2003). L’indice de développement humain général passe ainsi de 0,511 en 1975 à 0,692 en 2004. Il reste cependant inférieur à la moyenne continentale de 0,795 (seuls le Honduras, le Guatemala et Haïti ont un indice moins élevé). Comme l’indique Antonio Rodríguez-Carmona, les améliorations en termes de santé et d’éducation ne se sont pas accompagnées cependant d’une croissance économique pour l’ensemble de la population. Le néo-libéralisme a ainsi accentué un dualisme économique entre un secteur moderne exportateur et un secteur traditionnel appauvri, auquel s’ajoute un marché du travail toujours plus précaire, qui sont les caractéristiques d’un manque de redistribution des richesses. Le pays connaît en effet des inégalités d’accès aux revenus en forte augmentation, le coefficient de Gini passant de 0,53 en 1989 à 0,59 en 2001, ce qui en fait l’un des taux de redistribution les moins élevés d’Amérique latine. Durant cette période s’accroissent de manière significative les disparités géographiques, ethniques et de genre. La probabilité d’être pauvre en Bolivie est de 16 points supérieurs pour un Indien et le taux de mortalité infantile de la population autochtone atteint 62/1 000 alors qu’il est de 33/1 000 pour la population non autochtone. D’un point de vue géographique, une brèche se crée entre l’Orient du pays, dont le département de Santa Cruz qui possède 10 des 22 municipalités à l’indice de développement le plus élevé (supérieur à 0,700), et l’Occident du pays, dont le département de Potosí où se situent 10 des 25 municipalités aux indices de développement le plus bas du pays, inférieurs à 0,430. Les taux de pauvreté et le manque d’accès à l’éducation sont également plus importants chez les femmes et les personnes âgées : 47,8 % des personnes de plus de 60 ans sont analphabètes et 63 % vivent dans une situation de pauvreté2.
3La crise économique du début du xxie siècle explique en grande partie la poussée des mouvements sociaux à partir de la « guerre de l’eau » de Cochabamba en 2000, en réponse notamment à la privatisation des ressources naturelles. La victoire d’Evo Morales doit ainsi marquer un tournant pour les secteurs les plus défavorisés, en procédant à une importante redistribution des richesses grâce notamment à une réinstauration d’une politique souverainiste sur les ressources naturelles3. Il est donc symbolique et attendu que son gouvernement finance une grande partie de sa politique sociale grâce à l’impôt tiré de la nationalisation des ressources naturelles (IDH), dans un pays marqué par un mythe « eldoradiste » de développement fondé sur l’activité extractive4. Les entreprises publiques (YPFB, Comibol, Entel, Cofadena, Ende, BOA et DAB) contribuent, elles aussi, au financement des politiques sociales. Une partie de leurs excédents est ponctionnée sous forme d’impôts et contribue à la pérennisation d’aides sociales conditionnées (sous forme de bons) et du système de retraite des fonctionnaires. Loin de vouloir prétendre à une analyse approfondie des différentes mesures sociales du gouvernement d’Evo Morales, il est important de rappeler les principaux dispositifs que ce dernier a mis en place dans les domaines de la santé, de l’éducation, du logement et du travail5.
Santé
4Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement d’Evo Morales entreprend une grande réforme de la santé. Celle-ci se réalise sur des principes participatifs et reconnaît la pratique de la « médecine traditionnelle autochtone6 ». Le principal objectif de cette réforme est d’instaurer une assurance maladie universelle à travers le système unique, interculturel et communautaire de santé. L’Assurance maladie est née en Bolivie en 1956, pour les travailleurs. Elle s’est élargie en 1998 avec l’Assurance médicale gratuite de vieillesse, destinée aux 60 ans et plus, puis en 2002 avec l’Assurance universelle maternelle infantile (Sumi) garantissant la gratuité des soins pour les femmes durant leur grossesse et leurs six premiers mois de maternité ainsi que pour les enfants de moins de 5 ans.
5Le 16 janvier 2006, le gouvernement du MAS remplace l’Assurance médicale gratuite de vieillesse par l’Assurance de santé pour personnes âgées (SSPAM), prise en charge non plus par l’État, mais par les municipalités à travers l’IDH. Le Sumi se voit quant à lui renforcé à partir de 2009 par le bon Juana Azurduy afin d’améliorer la santé nutritionnelle de la mère enceinte et de son enfant. Il vise à encourager l’encadrement institutionnel de la naissance en octroyant une aide aux mères réalisant des contrôles prénataux, accouchant dans des centres de santé et faisant suivre le nouveau-né par des médecins pendant les deux premières années. Cette aide peut atteindre 200 euros en 33 mois si tous les contrôles sont effectués et le suivi réalisé. Par cette incitation, le taux de malnutrition infantile baisse de 27 % en 2008 à 15 % en 2014, soit plus que l’objectif initial qui était d’atteindre 19 % en 2015. Selon le ministère de la Santé, les taux de mortalité maternelle et infantile ont réduit de moitié entre 2005 et 2015 et le nombre d’accouchements dans des centres de santé a sensiblement augmenté entre 2005 (50 %) et 2013 (80 %). De son côté, l’Institut national de la statistique estime, sur la base du recensement de 2012, que le pourcentage de femmes ayant accouché de leur dernier enfant dans un établissement de santé est de 67,8 %, alors qu’il n’était que de 60,1 % en 20017. Pour le ministère de l’Économie et des Finances publiques, 552 000 mères et 800 000 enfants, soit 11,8 % de la population, ont bénéficié du bon Juana Azurduy entre 2009 et 20158.
6Outre cette réforme, le nombre de centres de santé passe de 2 870 en 2005 à 3 900 en 2014, dont 85 % de premier niveau, c’est-à-dire ne comprenant que l’équipement et le personnel le plus basique. Le personnel a de son côté plus que doublé, mais reste encore insuffisant, tandis que plusieurs vagues d’achats d’ambulances ont été réalisées (719 ambulances financées ou offertes en partie par l’Espagne et le Venezuela en 2009 et 702 ambulances achetées à l’Argentine en 2014). Le programme Operación Milagro, destiné aux malvoyants, aurait permis à 665 928 personnes de bénéficier gratuitement de soins oculaires grâce à l’aide de médecins cubains entre 2006 et la fin de l’année 2014. Cuba finance sur la même période six centres ophtalmologiques.
7Malgré ces bons résultats globaux, une étude de l’Organisation mondiale de la santé et de la Banque mondiale indiquait que la Bolivie investissait 132,70 euros par famille en 2012, loin derrière la moyenne de 481,20 euros pour l’ensemble de l’Amérique latine (seuls le Nicaragua et Haïti font moins bien que la Bolivie), même si ce montant passe à 153,20 euros en 20139. Selon l’ONG SOS, ces résultats s’expliqueraient par la mauvaise gestion des investissements, destinés davantage à répondre à des intérêts politiques qu’à ceux réels des populations. De plus, certaines constructions modernes d’hôpitaux se trouvent sans équipements ni personnels spécialisés pour les rendre efficients. Outre le manque de formation, la Bolivie souffre d’un déficit de création de postes dans le domaine de la santé, ce qui fait que de nombreuses structures sont en sous-effectif. Alors que le budget de la santé connaissait une forte polémique, le ministère de la Santé déclara en mai 2015 que ce dernier représentait désormais 11,5 % du budget général de la nation (contre 3,5 % en 2005), soit 1,938 million d’euros répartis de la manière suivante : 72 % au niveau central, 9 % aux départements et 19 % aux municipalités.
Éducation
8Sur le plan éducatif, la présence scolaire et l’offre éducative professionnelle constituent les nouvelles priorités. Les programmes phares du gouvernement d’Evo Morales sont les suivants :
Le bon Juancito Pinto
9Ce bon, créé en 2006, est destiné à réduire l’absentéisme scolaire et à augmenter le taux de scolarisation afin de générer un futur « capital humain » pour rompre la reproduction intergénérationnelle de la pauvreté. En 2010, 700 000 enfants n’étaient pas scolarisés, la plupart exerçant un travail rémunéré ou non rémunéré (domestique)10. Une somme annuelle de 22 euros est versée aux familles des élèves des écoles publiques primaires âgés de 6 à 14 ans, ce qui représente de 31 % à 90 % des coûts d’achat de matériel scolaire estimés par élève selon les niveaux scolaires et les zones géographiques11. En contrepartie, ces enfants doivent obligatoirement assister au minimum à 80 % des cours de l’année scolaire.
10Ce programme s’est progressivement étendu aux classes supérieures et concerne depuis 2014 l’ensemble du cycle secondaire, l’équivalent du lycée en France. Selon le ministère de l’Éducation, le budget de ce programme est passé de 24 millions d’euros en 2006 à 38 millions en 2012, alors que le nombre de bénéficiaires a augmenté de 1 085 360 en 2006 à 2 189 813 en 2014, soit 19,9 % de la population totale du pays12. De plus, cette aide bénéficie désormais aux 8 500 étudiants des 107 centres d’éducation alternative et spéciale que compte le pays. Pour l’année 2015, le gouvernement avait prévu un investissement d’un peu plus de 60 millions d’euros pour bénéficier à 2,3 millions d’étudiants.
11Malgré des critiques concernant l’usage réel de cette somme par les parents, tous les chiffres indiquent une forte diminution de l’absentéisme scolaire même si le coût de l’éducation reste largement supérieur au montant de l’aide apporté par le bon, surtout en ville. L’absentéisme aurait ainsi baissé de 6,1 % avant 2006 à 1,5 % en 2013 pour l’enseignement primaire, et de 11 % à 4 % pour le secondaire sur la même période, selon le ministère de l’Éducation. Les enfants de moins de 6 ans restent cependant exclus du programme et une diminution de leur scolarité depuis quelques années a même été relevée13.
Campagne d’alphabétisation Yo si puedo seguir
12Ce programme a été créé en 2006 avec la venue massive de professeurs cubains et vénézuéliens afin de permettre l’alphabétisation des plus de 15 ans sortis du système scolaire14. En trois ans, 824 000 personnes, dont 70 % de femmes ont bénéficié de ce programme. En 2008, le gouvernement d’Evo Morales déclarait non sans fierté la Bolivie « territoire libre d’analphabétisme », enregistrant un taux d’analphabétisme de 3,7 %15. Par la suite, la campagne s’est amplifiée avec Yo si puedo seguir, un programme national de post-alphabétisation créé en 2009 offrant une formation de niveau d’enseignement primaire et accordant une place à l’éducation en langue autochtone. Celui-ci aurait permis à 186 234 personnes de poursuivre leur scolarisation jusqu’en 2015.
13Par ailleurs, le gouvernement a mis en place un service de petits-déjeuners et de transport scolaires (Escuela Amiga), adopté un système de professionnalisation des professeurs intérimaires, construit des télécentres éducatifs autochtones et inauguré trois universités autochtones proposant des cursus professionnels adaptés aux besoins régionaux (Tupac Katari à Warisata, Casimiro Huanca à Chimoré, Apiaguiki Tüpa à Machareti). Aucune évaluation n’a encore été effectuée sur ces projets pilotes qui ont pu se réaliser grâce au soutien financier du Fonds de développement pour les peuples autochtones (FDPI) à hauteur de 8 millions d’euros. Le Comité exécutif des universités boliviennes (CEUB) ne reconnaît pas ces universités autochtones estimant qu’elles ne répondent pas aux critères d’autonomie stipulés dans la Constitution politique et qu’elles relèvent exclusivement d’un projet gouvernemental et non étatique. En 2014, sont sortis de ces universités les premiers diplômés (126), qui ont bénéficié de bourses pour poursuivre leurs études à l’étranger ou de postes au sein du gouvernement, des départements et des municipalités. Ces opportunités offertes en priorité aux étudiants autochtones sont cependant perçues comme une forme de discrimination envers les autres étudiants boliviens par le CEUB.
Habitat
14La Nouvelle Constitution politique de l’État déclare l’accès à l’électricité, à l’eau et aux communications comme un droit humain. Le gouvernement d’Evo Morales a ainsi impulsé plusieurs programmes afin de renforcer sa politique du « bien vivre » dans les foyers du pays.
Plan Vivienda (Plan logement)
15Le Plan logement a été impulsé par le gouvernement à partir d’avril 2007. Selon le ministère des Travaux publics, des Services et du Logement, le gouvernement a construit, entre 2006 et 2014, 67 949 logements dans tout le pays, pour un investissement total de 349,4 millions d’euros. Si l’objectif est de terminer avec le mal-logement d’ici 2025, le vice-ministre du Logement et de l’Urbanisme estime que le déficit de logements augmente de 30 000 logements par an. Face à certains faits avérés de corruption — au niveau des entreprises, des municipalités et de fonctionnaires de l’État — le plan Vivienda est remplacé en 2012 par un nouveau programme à travers l’Agence étatique du logement (AEVI). Elle a pour objectif de répondre aux exigences de logement à travers une subvention permettant de couvrir le coût de la construction (pour les plus démunis, avec une aide des départements et des municipalités) ou à travers un crédit avec de faibles taux d’intérêt sur vingt ans (principalement dans le milieu urbain). Dans ce cadre, le 21 août 2013 est promulguée la loi de services financiers devant permettre une certaine démocratisation de l’accès aux crédits pour le logement social, laquelle autorise l’État à réguler les taux d’intérêt pour des emprunts immobiliers. Cette loi doit permettre aux classes moyennes qui n’avaient pas bénéficié du plan Vivienda précédent d’accéder aux crédits pour le logement social. En 2014, 10 390 familles auraient bénéficié de ce type de crédits à faible taux d’intérêt.
16Cette politique n’a cependant pas permis de diminuer le déficit de logements qui s’accroît chaque année pour atteindre 570 000 logements en 2015. Selon le vice-ministère du Logement et de l’Urbanisme, ce chiffre pourrait atteindre 1,2 million logements en comptant les logements précaires. Le gouvernement prévoit 20 000 nouveaux logements pour l’année 2015, notamment 7 000 en milieu urbain à travers le programme Communauté urbaine de l’AEVI d’un montant de 125 millions d’euros. Ce programme ne représente cependant que 1 % des besoins du pays en logement. L’objectif affiché du gouvernement est de financer 20 000 logements sociaux par an entre 2015 et 2020, ce qui permettrait de réduire ce déficit à 29 %. Il compte pour cela sur le soutien du secteur privé — à travers les crédits — pour participer à cet effort décrété d’intérêt national.
Tarifa dignidad (tarif dignité)
17Le programme Tarifa dignidad est créé en 2006 comme une forme d’interventionnisme social afin de résoudre les inégalités d’accès à l’électricité. Il octroie aux familles ayant une consommation électrique inférieure à 70 kW/heure une diminution de 25 % du prix de celle-ci afin que les plus faibles revenus parviennent à accéder à l’électricité. Ce programme est financé par les grandes entreprises qui composent le marché de l’électricité. En juillet 2014, plus d’un million de foyers auraient bénéficié de ce tarif qui aurait permis une économie totale de 58,2 millions d’euros. Ce tarif différencié sur la consommation électrique profiterait aujourd’hui à plus de 50 % des usagers du pays.
Accessibilité du gaz en ville
18Depuis les années 1980, la Bolivie connaît un déséquilibre entre la production et la demande d’hydrocarbures liquides. Dans ce cadre s’est initié depuis 1994 un programme de substitution des hydrocarbures liquides par le gaz naturel en reliant les grandes villes et villes intermédiaires du pays au réseau de gaz naturel. Le gouvernement d’Evo Morales a amplifié ce processus depuis la nationalisation de YPFB. Alors qu’en 2006 le nombre de foyers connectés au gaz naturel n’est que de 28 000, il passe à 478 427 en 2014 et YPFB espère atteindre les 500 000 foyers en 2016, ce qui devrait bénéficier à 2,5 millions d’habitants et alimenter 25 % des logements des grandes villes du pays. La ville d’El Alto, symbolique pour sa lutte durant la dénommée « guerre du gaz », est la ville ayant connu le plus de connexions, avec entre 35 et 40 % des connexions totales (200 000 foyers connectés espérés en 2016).
Loi sur les retraites
19La loi sur les retraites promulguée en 2010 est l’une des mesures phares du gouvernement d’Evo Morales, alors que les 60 ans et plus représentent 7 % de la population totale d’après le recensement de 2001, dont 54 % de femmes16. Cette loi met fin au système en vigueur depuis 1996 fondé sur une capitalisation individuelle par la réintroduction des principes de répartition et d’universalité. Elle propose un système contributif (financé par l’apport des travailleurs) et un système semi-contributif destiné aux plus faibles revenus et aux travailleurs indépendants et autonomes (qui ne percevaient pas de retraite auparavant), sous condition de dix années de cotisation, grâce à la création d’un Fonds solidaire financé par les salaires les plus élevés. Elle se traduit également par une réduction de l’âge de celle-ci de 65 à 58 ans, avec une diminution pour les femmes d’un an par enfant (avec un maximum de trois ans) et une retraite entre 56 et 51 ans pour les travailleurs des mines. Depuis 2014, ces dispositions particulières concernent également les travailleurs exposés aux risques toxiques et chimiques. Par ailleurs, le gouvernement a entrepris la nationalisation progressive des fonds de pension privés au profit de l’organe public de gestion de la sécurité sociale à long terme (GSS) relevant du ministère des Finances et des Dépenses publiques.
20La nouvelle loi sur les retraites comprend également la pension solidaire de vieillesse (« renta dignidad17 ») pour les personnes âgées de 60 ans et plus, par un système non contributif, financé par l’IDH. Son montant initial est de 260 euros par an pour les personnes ne touchant pas d’autre retraite, et 196 euros, soit 75 % de la pension complète, pour les personnes déjà bénéficiaires d’une retraite. Ce montant augmente ensuite régulièrement pour atteindre, en 2015, 388 euros annuels pour les personnes sans retraite et 310 euros pour celles bénéficiant d’une retraite contributive. De 2008 à 2014, 1 091 966 personnes de plus de 60 ans auraient bénéficié de cette aide, soit 9,9 % de la population18. En 2013, la loi 430 de modification de la loi sur les retraites accorde une augmentation d’environ 40 euros mensuels pour les mineurs retraités ayant plus de trente années d’ancienneté.
21Selon un rapport de la Banque interaméricaine de développement publié en 2013, le budget de la retraite représenterait 3,5 % du PIB en Bolivie, dont 1 % pour la retraite non contributive. Ce document fait du pays un cas exemplaire en Amérique latine, du fait que son système de retraite parvient à couvrir 97 % de la population âgée alors que moins de 20 % de la population active cotise à un système de retraite contributif. Cette réussite provient de la pension universelle de la « renta dignidad », qui permet également de réduire les brèches entre niveaux d’éducation et de genre, sachant que le nombre d’hommes à percevoir une retraite contributive représente le double de celui des femmes. Malgré ces bons points, le rapport précise cependant que 78 % des retraites versées ne permettent pas de dépasser le seuil de pauvreté. Malgré cela, la « renta dignidad » a permis de réduire le taux de pauvreté des personnes de plus de 65 ans dans le pays19.
Salaire minimum
22Dès le début de son premier mandat, le gouvernement d’Evo Morales a augmenté le salaire minimum de 13,6 %, ce dernier passant de 48 à 55 euros. Depuis, il augmente progressivement, indexé sur la hausse régulière des salaires des fonctionnaires, et doit permettre d’atténuer la forte inflation que connaît le pays. Une nouvelle hausse (8,5 %) de celui-ci a été décrétée au 1er mai 2015, l’élevant à 211,77 euros, et portant son augmentation à 200 % depuis 2006, alors que la période comprise entre 1996 et 2005 ne l’avait vu augmenter que de 37 %. Les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’armée et de la police ont dans le même temps bénéficié d’augmentations salariales supérieures, ce qui n’a pas été sans créer des tensions, notamment avec la COB, le principal syndicat des travailleurs du pays, historiquement dirigé par les mineurs.
Programme Bolivia cambia, Evo cumple
23Si le gouvernement est accusé de stratégies électoralistes, clientélistes et de populisme pour ses nombreuses politiques sociales, un programme a suscité récemment les critiques de la classe politique d’opposition, Bolivia cambia, Evo cumple. Ce programme a été créé en 2006 avec des fonds provenant directement du Venezuela (et en moindre importance de Chine), afin d’impulser des projets dans les municipalités du pays, notamment en infrastructures éducative20 et sportive. Le nouvel allié caribéen l’aurait financé à hauteur de 410 millions d’euros entre 2006 et 201121. Depuis 2011, ce programme est financé avec les fonds propres de l’État bolivien et, en 2015, Evo Morales a annoncé l’orientation des fonds vers le secteur productif.
24L’opposition dénonce le manque de contrôle de l’investissement public et les nombreux voyages présidentiels pour inaugurer les projets. Face aux critiques, le ministre de la présidence Juan Ramón Quintana a précisé que, jusqu’en 2013, le gouvernement avait investi 506 millions d’euros dans ce programme pour un total de 4 580 projets réalisés. L’opposition prétendait quant à elle que 30 % de ces projets étaient paralysés, même si ces problèmes provenaient autant des municipalités chargées de l’exécution des projets que du manque de contrôle du gouvernement sur leur mise en œuvre. Ce dernier affirme vouloir remédier à ce problème en institutionnalisant ce programme afin d’obliger les municipalités à réaliser ces projets quelle que soit l’appartenance politique des édiles locaux et les problèmes de coordination entre l’État central et les collectivités territoriales. Les critiques sont également nombreuses envers l’aspect politique de ce programme, le gouvernement affirmant à plusieurs reprises que les régions dirigées par l’opposition ne pourraient pas en bénéficier. Le gouvernement départemental de Santa Cruz a ainsi refusé de participer à l’inauguration des projets sur son territoire et, dans certains cas, il a empêché leur mise en place.
Un modèle pérenne ?
25Lors de sa réélection en 2014, le président Morales a estimé que ses politiques avaient permis de baisser l’extrême pauvreté de 18 points entre 2005 et 2014 (passant de 37,2 % à 18,8 %) et il a réaffirmé qu’une nouvelle réduction de 8 points était l’objectif fixé pour 2020. Ces chiffres sont extraits d’un rapport récent du Programme de développement des Nations unies indiquant que la Bolivie était le pays latino-américain qui avait le plus diminué la situation de pauvreté entre 2000 et 2012 (-32 %), bien que 16 % de la population sortie de la pauvreté soient encore « vulnérables22 ». Le gouvernement estime qu’il atteindra les objectifs du millénaire fixés par les Nations unies sur la réduction de l’extrême pauvreté et l’accès des populations à l’eau.
26Les nombreuses études menées sur les politiques sociales du gouvernement d’Evo Morales montrent toutes leurs effets sur la baisse de la pauvreté en Bolivie. Certaines soulèvent cependant des carences quant à l’évaluation des différents programmes lancés par le gouvernement du fait d’une estimation indépendante et isolée de chacun d’eux, sans prendre en compte, par exemple, qu’une même famille peut bénéficier de plusieurs politiques sociales sur une même période. Ces différentes études critiquent également l’aspect bureaucratique de ces programmes et le manque de coordination entre les différents niveaux administratifs chargés de les appliquer (préfectures, municipalités, communautés), surtout lorsque ces deux entités n’appartiennent pas au même parti politique, même si le contrôle social des organisations sociales s’est peu à peu renforcé. Cette politique a également comme conséquence d’exclure de ces actions les habitants les plus démunis des zones périphériques des grandes villes23, alors que le dernier recensement de 2012 montre une population toujours plus urbaine, ce qui va à l’encontre de la politique ruraliste de l’État, même si la plus grande pauvreté se situe toujours en zone rurale. Enfin, la baisse de la pauvreté ne peut s’expliquer uniquement par ces programmes gouvernementaux sans prendre en compte les facteurs plus structurels de l’économie bolivienne24.
27La couverture et les effets de toutes ces mesures sociales sont ainsi très variables et le travail informel est encore fort développé en Bolivie. De même, les investissements publics dans les secteurs de la santé, de l’éducation et du logement s’avèrent encore insuffisants pour combler les déficits structurels accumulés les décennies passées, à tel point que plusieurs spécialistes critiquent les carences des infrastructures hospitalières du fait du manque de personnels et du manque de formation. De plus, la décentralisation des secteurs de santé vers les départements et les municipalités a rencontré de nombreuses limites, les budgets alloués à ce secteur n’étant bien souvent pas dépensés du fait du manque de capacité à développer une politique cohérente dans ce secteur.
28Si la Bolivie a su profiter de ses relations avec les gouvernements vénézuélien et cubain pour appliquer plusieurs programmes, le financement de la plupart des autres politiques sociales à travers l’IDH entraîne de nombreuses incertitudes pour les municipalités au moment de réaliser leur planification de gestion municipale. La volonté d’investissement public et les nouvelles ressources économiques provenant des hydrocarbures se heurtent également à une incapacité technique et humaine à impulser des projets25. Les municipalités privilégient ainsi les investissements en infrastructures même si de nombreuses municipalités ont amélioré leurs programmes sociaux26.
29Enfin, la politique d’augmentation salariale et de la « renta dignidad », qui représente à elle seule 30 % de l’IDH, a entraîné une inflation de 47,1 % entre 2006 et 201227. Conjuguée à une baisse de l’âge de la retraite et à des programmes moins importants dans les villes, elle entraîne de nouveaux conflits autour des salaires et des retraites. Le gouvernement s’est ainsi confronté aux mobilisations de la COB en mai 2013 pour une réforme des retraites. Il s’agit sans nul doute de l’un des sujets les plus épineux de la politique sociale du gouvernement, qui révèle les tensions existant entre le pouvoir central et les organisations qui ont porté le MAS au pouvoir.
Notes de bas de page
1 A. Rodríguez-Carmona, El proyectorado, op. cit.
2 Organización interamericana de seguridad social (OISS), Situación, necesidades y demandas de las personas mayores en Bolivia, Colombia, Costa Rica, Ecuador y México: apuntes para un diagnóstico, OISS/Ministerio de Trabajo y Asuntos Sociales/Imserso, 2008.
3 R. Cavagnoud, S. Lewandowski et C. Salazar, « Introducción: pobreza, desigualdades y educación en Bolivia (2005-2015) », Bulletin de l’Institut français d’études andines, nº 44/3, 2015, p. 311-324.
4 M. Svampa, « Consenso de los Commodities, Giro Ecoterritorial y Pensamiento crítico en América Latina », op. cit.
5 Sur ces thèmes, voir notamment le dossier : R. Cavagnoud, S. Lewandowski et C. Salazar (dir.), « Lucha contra la pobreza y educación en Bolivia », Bulletin de l’Institut français d’études andines, nº 44/3, 2015.
6 Selon une enquête de l’Institut national de la statistique publiée en 2014, 28,3 % des personnes malades privilégient les centres de santé publics (dont 63,1 % viennent du milieu urbain), 8,1 % se soignent avec un médecin traditionnel (52,4 % proviennent du milieu rural) et 20,8 % avec des remèdes « faits maison » (62,5 % en milieu urbain). Le reste se partage entre établissements privés et pharmacies. Instituto Nacional de Estadística (INE), « Cada vez más personas son atendidas en establecimientos de salud » [nota de prensa], La Paz, Unidad de difusión y comunicación, 2014.
7 Ibid.
8 Ministerio de Economía y Finanzas Publicas (MEFP), Los bonos sociales creados por el Gobierno Nacional benefician a más de cuatro millones de bolivianos, La Paz, MEFP, 24/03/2015.
9 http://datos.bancomundial.org/indicador/SH.XPD.PCAP?order=wbapi_data_value_2012+wbapi_data_value+wbapi_data_value-last&sort=asc
10 M. Navarro, El bono Juancito Pinto del Estado Plurinacional de Bolivia, Santiago du Chili, Cepal, 2012.
11 E. Y. Aguilar, « El impacto del bono Juancito Pinto: un análisis a partir de microsimulaciones », Revista latinoamericana de desarrollo económico, vol. 10, no 17, 2012, p. 75-112.
12 MEFP, Los bonos sociales creados, op. cit.
13 M. Navarro, El bono Juancito Pinto, op. cit.
14 Ce programme cubain a bénéficié à 9 millions de personnes de 30 pays d’Amérique latine, mais aussi d’Afrique et d’Asie, en 19 langues (dont le braille), et aurait permis d’éradiquer l’analphabétisme en Bolivie, au Nicaragua, à Haïti et au Venezuela. La pédagogue à l’origine de ce programme, Leonela Inés Relys Diaz est décédée en janvier 2015.
15 Ce chiffre remontait à 5,02 % lors du recensement de 2012, avant de redescendre à 3,59 % en 2014 d’après le gouvernement. La Bolivie occuperait ainsi le 4e rang des pays les moins affectés par l’analphabétisme en Amérique latine.
16 OISS, Situación, necesidades y demandas de las personas mayores, op. cit.
17 Cette aide remplace le Bono Solidario (bon solidaire, Bonosol) créé en 2002 qui octroyait une retraite annuelle de 196 euros aux personnes âgées de 65 ans et plus.
18 MEFP, Los bonos sociales creados, op. cit.
19 M. Bosch, Á. Melguizo et C. Pagés, Mejores pensiones, mejores trabajos: hacia una cobertura universal en América Latina y el Caribe, Washington, Banco Interamericano de Desarrollo, 2013.
20 Selon le ministère de l’Éducation, près de 4 000 écoles ont été construites grâce à ce programme jusqu’en 2014, soit entre 40 % et 45 % des infrastructures éducatives du pays.
21 N. Ceppi, « La política exterior de Bolivia en tiempos de Evo Morales Ayma », Si Somos Americanos. Revista de Estudios Transfronterizos, vol. 14, no 1, 2014, p. 125-151.
22 Programme de développement des Nations unies (Pnud), Informe sobre de desarrollo humano 2014. Sostener el progreso humano: reducir vulnerabilidades y construir resiliencia, Pnud, 2014.
23 N. Morales, La política social en Bolivia: un análisis de los programas sociales (2006-2008), La Paz, BID, 2010.
24 R. Cavagnoud, S. Lewandowski et C. Salazar, « Introducción: pobreza, desigualdades y educación en Bolivia (2005-2015) », op. cit.
25 A. Rodríguez-Carmona, El proyectorado, op. cit.
26 N. Morales, La política social en Bolivia, op. cit.
27 L’inflation qu’avait connue le mouvement de gauche UDP, lors de sa prise du pouvoir après les dictatures, en 1982, est encore dans toutes les mémoires. Cette inflation avait alors conduit à l’échec du mouvement, et elle est aujourd’hui considérée comme étant à l’origine des politiques néo-libérales orthodoxes appliquées au cours des dernières décennies.
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