Les priorités de développement économique
p. 79-114
Texte intégral
1Depuis plusieurs décennies, l’économie bolivienne repose, d’une part, sur un large secteur à faible productivité représentant 83 % des emplois et générant 25 % du PIB et, d’autre part, sur un secteur à haute productivité contribuant à produire 65 % du PIB et générer 9 % des emplois1. Contrairement aux idées reçues qui laissent penser que l’action économique du gouvernement de Morales consiste à soutenir exclusivement la production paysanne et à nationaliser les secteurs stratégiques, l’orientation générale de son programme économique vise à dynamiser les secteurs économiques qui ont été délaissés par les politiques néo-libérales et qui représentent une grande part de son électorat, tout en maintenant l’effort de soutien aux secteurs de pointe, souvent proches de l’opposition.
2La tâche est loin d’être aisée, d’autant que cette situation de dualisme économique n’est pas sans générer des tensions autour des orientations politiques et des financements gouvernementaux. Dans le domaine agricole, les fédérations paysannes proches du MAS et l’agro-industrie exercent chacune de leur côté une pression sans relâche pour obtenir des subventions ou de grands programmes de soutien. Dans le domaine minier, la configuration fragmentée du secteur d’exploitation rend complexe la mise en place d’une politique cohérente visant à répondre aux attentes des organisations se disputant le contrôle des gisements.
3Le gouvernement de Morales doit par ailleurs faire face à des difficultés d’un autre ordre, liées en partie au retour de l’État au premier plan dans le champ économique. Le mouvement de nationalisation s’avère limité du fait de l’incapacité technique et humaine de l’État à prendre le contrôle des opérations, conduisant à des négociations parfois tendues avec les entreprises étrangères. Pour cette raison, l’ensemble du projet de modernisation et d’industrialisation connaît de nombreux soubresauts, notamment dans le secteur stratégique des hydrocarbures et dans celui hautement symbolique du lithium censé faire entrer la Bolivie dans une nouvelle ère économique.
4Un autre grand défi s’impose au gouvernement avec l’accélération des processus d’intégration régionale à l’échelle du sous-continent. Il s’agit ici de répondre aux sollicitations des puissants voisins en termes d’aménagement territorial pour ne pas se trouver en marge des grandes dynamiques géopolitiques et économiques de l’Amérique latine. Cela, au risque de perdre un peu de sa souveraineté dans la gestion de l’espace national.
Agriculture : ambiguïté de la politique de « sécurité alimentaire avec souveraineté »
5La paysannerie conserve un fort poids symbolique de par la vitalité de ses mouvements sociaux paysans-autochtones dont est issu Evo Morales. Pourtant, depuis les années 1990, la population bolivienne est à majorité urbaine et la production agricole ne représente que 9,8 % du PIB en 2007. Afin de redynamiser celle-ci, le gouvernement bolivien affirme vouloir donner la priorité aux petites et moyennes unités de production, en favorisant l’articulation des différents secteurs agricoles selon le principe du « capitalisme andino-amazonico » rebaptisé par la suite « modèle économique, social, communautaire et productif », avec pour objectif de parvenir à la « sécurité alimentaire avec souveraineté2 ».
6La production agricole bolivienne repose sur deux grandes tendances historiques, engagées dans une concurrence politique grandissante. L’une relève d’une économie paysanne, principalement localisée sur l’altiplano et les vallées, tournée vers les produits agricoles traditionnels (pommes de terre, quinoa) et le marché interne. L’autre concerne une agriculture industrielle aux rendements plus importants, principalement située dans les Basses Terres et tournée vers l’exportation. À partir de 1985, le patron productif de l’agriculture bolivienne connaît un changement important sous l’effet des politiques néo-libérales. Alors que, dans les années 1980, 91 % des terres cultivées étaient destinées aux aliments de première nécessité, en 2012 les cultures industrielles couvrent 48 % de la superficie totale cultivée. Sur la période, la surface de celles-ci augmente de 425 % alors que celle de l’ensemble des terres agricoles n’enregistre qu’une croissance de 125 % au regard d’une extension annuelle de la frontière agricole de 4,1 %3. Cette hausse en superficie s’accompagne d’une hausse de production pour les cultures industrielles. Entre 1991 et 2012, celle-ci augmente de 136 %, principalement du fait de la croissance quasi exponentielle de la culture du soja. En revanche, la production de tubercules caractéristiques de l’agriculture paysanne ne croît que de 18 % sur la même période4.
7Cette situation ne permet pas d’assurer la sécurité alimentaire du pays — de par son orientation vers le marché international — ni la souveraineté alimentaire, car l’augmentation des superficies des cultures d’exportation se fait au détriment d’autres productions qui pourraient répondre directement aux besoins alimentaires de la population5.
Encadré no 4. Le soja, le fleuron de l’agro-industrie bolivienne
La Bolivie compte parmi les huit principaux pays producteurs de soja dans le monde avec les États-Unis, le Brésil, l’Argentine, la Chine, le Paraguay, l’Inde et le Canada. La culture de l’oléagineux est industrialisée et majoritairement destinée à l’exportation dans les pays voisins (70 %). La valeur de sa production constitue environ 6 % du PIB bolivien au cours des dernières années. En termes de revenus, c’est la troisième activité économique du pays après l’exploitation des hydrocarbures et des mines.
Le soja a été introduit en Bolivie au cours des années 1960 à l’issue du plan Bohan (1 942) élaboré par une mission états-unienne pour désenclaver et développer l’économie du département de Santa Cruz. En 1972, 800 hectares sont cultivés et l’Association nationale des producteurs d’oléagineuses et de blé (Anapo) est fondée en 1974. Au cours des années 1990, le projet Basses terres de Bolivie (Bolivia Eastern Lowlands) financé par la Banque mondiale impulse le boom du soja. Le projet contribue à l’émergence et au développement rapide de l’agro-industrie dans le pays. Dès lors, l’État bolivien propose une politique active de soutien à ce secteur. Il assure l’infrastructure routière dans les régions de production, négocie des marchés auprès des pays voisins, assure un approvisionnement prioritaire en carburant aux producteurs malgré les difficultés de fourniture, allège leur fiscalité, sécurise juridiquement leurs propriétés et dynamise le marché des terres pour le développement de leurs activités. En conséquence, les superficies d’exploitation et le volume de production ne cessent d’augmenter de manière exponentielle. En 2014, 1 237 000 hectares de soja sont cultivés et 2,9 millions de tonnes métriques produites. Plus de 1,7 million de tonnes de tourte et d’huile de soja sont exportées pour une valeur estimée à environ 757 millions d’euros. Le soja est principalement vendu aux pays membres de la Communauté andine des nations et au Venezuela. Il représente 77 % des exportations agricoles boliviennes.
Tendant à se généraliser dans certaines régions, la monoculture de soja génère des effets significatifs. Le secteur connaît une mutation organisationnelle depuis le début des années 2000. Une concentration des terres s’opère progressivement au bénéfice des moyens et des grands propriétaires qui contrôlent toute la chaîne productive, réduisant les petits producteurs à de la simple main-d’œuvre au service des firmes multinationales (Cargill, Gravetal, ADM SAO, Fino, IOL, Granos). En 2011, les 78 % de petits producteurs (0-50 hectares) détiennent 9 % des parcelles de soja, les 20 % de producteurs moyens (51-1 000 hectares) 20 % et les 2 % de grands producteurs (> 1 000 hectares) 71 %. On note par ailleurs une prédominance grandissante de grands producteurs étrangers, en particulier brésiliens et argentins. Au niveau environnemental, plusieurs études démontrent que la monoculture provoque, d’une part, une déforestation accélérée (1 375 hectares par jour en 2006), dont 88 % est illégal, et, d’autre part, la stérilisation progressive des sols. Cette dernière est due à l’exploitation intensive sans période de jachère ni rotation des cultures, au compactage de la terre par l’exploitation mécanique et à la dégradation de celle-ci par une utilisation abondante de traitements chimiques. Des phénomènes d’érosion et de désertification commencent à être observés dans certaines zones où est cultivé le soja.
Le modèle de production favorise par ailleurs le développement d’organismes génétiquement modifiés (OGM). Les premières expériences se réalisent à la fin des années 1990. En 2005, les cultures et l’importation de soja transgénique ainsi que son utilisation dans les produits alimentaires industriels sont discrètement autorisées par les autorités compétentes sans concertation ni publicité. Si le gouvernement d’Evo Morales avait initialement déclaré son intention de positionner le pays sur le marché du soja biologique pour se distinguer de ses voisins et pour freiner un modèle de production qu’il a longuement critiqué, rien n’a été réalisé en ce sens. Et la Constitution de 2009 n’interdit pas les OGM après la modification du texte initial (2008) négociée entre le MAS et l’opposition. Le texte en vigueur stipule que la production, l’importation et la commer-cia-li-sa-tion de transgéniques sera régulée par la loi (article 409). Celle-ci n’étant pas à l’ordre du jour, le soja transgénique poursuit son expansion. En 2015, une quinzaine de semences génétiquement modifiées sont sur le marché et plusieurs études estiment que 99 % du soja produit en Bolivie est génétiquement modifié6.
8La sécurité alimentaire se pose donc comme un problème en Bolivie malgré une baisse globale de la pauvreté. Une étude du ministère du Développement rural et des Terres et du Programme mondial des aliments publiée en 2012 indiquait que, sur les 339 municipalités du pays, 30,1 % se trouvent en situation de haute vulnérabilité alimentaire (11 % de la population totale), 58,7 % en vulnérabilité moyenne et 11,2 % en faible vulnérabilité7. L’inflation galopante du prix des denrées, liée à la crise alimentaire globale, menace l’ensemble du pays d’insécurité alimentaire. Cette situation préoccupante s’accentue de manière récurrente lorsque des secteurs agro-industriels proches de l’opposition politique utilisent la spéculation alimentaire comme moyen de pression. Pour lutter contre les effets déstabilisateurs de ce genre de pratique, le gouvernement Morales décide d’accentuer son contrôle sur les importations et suspend certaines exportations dans le but de mieux contrôler le marché interne.
9Le Programme productif pour la souveraineté alimentaire 2008 a permis de stabiliser les prix des aliments de première nécessité par l’activation de trois leviers : une demande élevée de l’Emapa en blé, maïs, riz et soja pour un montant de 37,3 millions d’euros ; un soutien de l’Unité de production de semence de pomme de terre (SEPA) à la production et provision de semences de pomme de terre avec un investissement de 1,4 million d’euros ; un soutien à hauteur de 4,3 millions d’euros pour la production paysanne (maïs, pommes de terre, tomates, oignons)8. En parallèle, le gouvernement de Morales a augmenté de 93 %, entre 2010 et 2014, l’importation de produits agricoles de première nécessité (légumes, pommes de terre, fruits, maïs, riz) afin de combler le déficit du marché national et de constituer des réserves stratégiques alimentaires. Le gouvernement justifie cette politique d’importation comme une réponse aux conditions climatiques défavorables en Bolivie, mais elle pourrait aussi révéler, pour certains spécialistes, une crise plus profonde de l’économie paysanne9. Malgré cette politique d’importation, le solde commercial des aliments est positif pour la Bolivie depuis 200810, notamment grâce aux exportations de soja, mais la croissante dépendance des importations de produits basiques marque une réelle perte de souveraineté alimentaire pour le pays.
10Pour parvenir à cette souveraineté alimentaire, le gouvernement a lancé plusieurs programmes destinés à renforcer l’économie agricole paysanne-autochtone en promouvant une agriculture « culturellement appropriée et écologique », que ce soit par des crédits à la mécanisation de l’agriculture, la création de l’Institut national d’innovation agricole et forestière ou plusieurs programmes de financement directement tournés vers le soutien à la petite agriculture et à l’irrigation. La loi « de révolution productive communautaire agricole » (2011) et la loi « sur les organisations économiques paysannes et autochtones et des organisations économiques communautaires pour l’intégration de l’agriculture familiale durable et la souveraineté alimentaire » (2013) accordent ainsi une place centrale à l’économie dite communautaire (traditionnelle) des organisations paysannes et des peuples autochtones, qui doivent être amenés à devenir les principaux acteurs économiques du développement local. Ces lois entraînent cependant des concurrences dans la gestion des projets agricoles entre « l’économie communautaire », représentée par les structures territoriales paysannes-autochtones, et les associations ou les coopératives de producteurs, montrant par là des contradictions dans la définition même de l’« économie plurielle » et de ses acteurs légitimes11. Une Banque de développement productif a également été créée en 2007 afin de faciliter l’accès aux crédits pour les petits producteurs12. De plus, la plupart des entreprises alimentaires nationales (Emapa, EBA, Azucarbol, Lácteosbol) soutiennent l’économie paysanne en absorbant une bonne partie de sa production qu’elles transforment et commercialisent.
11Pour le gouvernement, la sécurité et la souveraineté alimentaire ne s’obtiennent pas seulement par le soutien à l’agriculture paysanne, mais passent aussi par des mesures plus structurelles concernant la propriété agraire et l’accès à la terre. La loi de « reconduction communautaire de la réforme agraire » (2006) doit permettre d’éradiquer une bonne fois pour toutes le latinfundio et favoriser la redistribution des terres aux petits producteurs, en particulier paysans et autochtones. Pour ce faire, celle-ci prévoit, depuis 200913, la reconversion des propriétés supérieures à 5 000 hectares ou celles qui n’accomplissent pas une « fonction économique et sociale », ni ne respectent les normes minimales requises pour un maniement durable des sols, des eaux, des forêts et de la biodiversité14. Dans les faits cependant, la politique de Morales s’avère plus ambiguë. Plusieurs études indépendantes montrent une accélération des procédures d’émission de titres initiées au cours des années 1990 plutôt qu’une nouvelle vague de redistribution de terres15. De nombreuses voix critiquent ainsi le soutien du gouvernement de Morales au secteur agro-industriel. Le premier établit en effet un « pacte productif » avec le second en 2009 pour mettre fin aux pressions spéculatives, promouvoir le développement industriel du pays et faciliter l’exportation de viande et de soja vers le Pérou, le Venezuela, l’Inde et la Chine16. Grâce à ce pacte, la superficie destinée au secteur agro-industriel pourrait atteindre 22 millions d’hectares, alors que seuls 225 000 hectares issus des grandes propriétés auraient basculé sous le régime de l’État depuis l’instauration de la loi agraire de 199617 et 126 860 auraient été redistribués aux petits propriétaires18. Selon cette même logique gouvernementale, l’entreprise publique Emapa de soutien à la production d’aliments oriente davantage ses opérations vers le secteur agro-industriel à partir de 2012, jusqu’à y consacrer 87 % de son budget19.
12Comme l’économie paysanne, l’agro-industrie fait l’objet, elle aussi, d’un certain nombre de dispositions légales et normatives spécifiques. En 2013, la loi de soutien à la production d’aliments et de restitution des forêts prévoit la levée de poursuites pour les auteurs de déboisements illégaux si ces derniers reforestent une partie des superficies déforestées et produisent des aliments sur les autres parcelles20. Selon certaines ONG militantes, l’objectif inavoué de cette loi consiste à réguler l’expansion du front agricole en cours. Parallèlement, la superficie et le volume des cultures transgéniques ne cessent d’augmenter alors qu’une loi est attendue sur la question depuis 2009, date à laquelle les lobbys agro-industriels ont négocié la modification de la Constitution prévoyant initialement leur interdiction. Enfin, le secteur agro-industriel bénéficie d’un accès prioritaire aux réserves de diesel pour faire face à sa dépendance en combustible fossile pour le fonctionnement des machines agricoles, y compris au cours des périodes de pénurie. Lors du sommet agricole d’avril 2015, le président Morales déclare vouloir augmenter le PIB agricole de 3,5 à 8,9 milliards d’euros d’ici à 2020 grâce à une nouvelle extension du front agricole.
13La principale réussite de la politique agricole du MAS aura donc été de réguler le commerce des aliments, notamment en prohibant temporairement les exportations d’aliments n’ayant pas satisfait les besoins du marché interne. Les déficits de production restent cependant récurrents et seraient palliés avant tout grâce à l’importation et la contrebande, accentuant la dépendance de la Bolivie envers le marché externe et les fluctuations des prix internationaux. La souveraineté et la sécurité alimentaires souhaitées ne seraient ainsi pas atteintes et la participation des organisations paysannes et de producteurs serait quasi absente des orientations des politiques alimentaires gouvernementales. La faible capacité du gouvernement à renforcer l’agriculture familiale paysanne-autochtone met ainsi à mal son modèle économique, social, communautaire et productif toujours plus orienté vers le secteur agro-industriel. Alors que l’économie bolivienne connaissait une croissance annuelle de 5 % sur la dernière décennie, la croissance de l’agriculture paysanne ne serait ainsi quant à elle que de 2,19 %21. Les budgets alloués à améliorer la petite agriculture ne seraient pas à la hauteur des objectifs et leur exécution serait défaillante22, en grande partie en raison du manque de coordination entre les différentes entités exécutrices et du manque d’articulation conceptuelle et opérative23. Au regard de plusieurs observateurs, un constat s’impose donc sur la contradiction entre, d’un côté, une rhétorique discursive forte prenant la défense des petits et des plus faibles et, de l’autre, une realpolitik faisant la part belle à la propriété privée pour étendre et intensifier le front agricole et répondre à la demande interne tout en développant son potentiel exportateur.
14Certes, le devenir de l’agriculture et de l’économie paysanne et autochtone ne dépend pas de la seule politique d’État. Les mutations du monde rural sont nombreuses et rapides. Les difficultés d’accès au marché, l’évolution de la diète alimentaire bolivienne toujours plus orientée vers des produits urbains et modernes ou encore la croissance démographique dans les communautés ne permettent plus aux familles paysannes-autochtones de vivre uniquement de leur production. Les principales ressources des familles rurales proviennent ainsi du travail temporaire dans les villes, du commerce en tout genre (dont la contrebande). Pour être réelle et effective, l’économie plurielle devra non seulement offrir une place plus importante à l’économie paysanne, mais aussi se défaire d’une vision romantique de celle-ci, qui lui serait tout aussi fatale que le déséquilibre grandissant actuel au bénéfice de l’agro-industrie en Bolivie.
Encadré no 5. Le quinoa, un succès risqué ?
La « graine d’or des Andes » est considérée comme la « céréale de l’avenir » par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture afin de résoudre la faim dans le monde, de par sa richesse en protéines et en oligo-éléments et sa forte capacité d’adaptation à divers climats. 2013 a ainsi été proclamée « année internationale du quinoa » pour valoriser ces qualités au niveau international.
Le boom du quinoa commence dans les années 1980 avec la création des premières organisations économiques paysannes qui contribuent à structurer le secteur de manière significative. Dans les années 1990 se constituent les premières filières « biologiques » et « équitables » à destination des pays du Nord. Selon la Chambre bolivienne des exportations de quinoa et de produits organiques, la production a atteint dans le pays 61 182 tonnes métriques en 2013, soit 55,7 % de la production mondiale. Jusqu’en 2014, la Bolivie se présente comme le premier pays producteur mondial, détrôné depuis 2015 par le Pérou, alors que l’Équateur est le troisième producteur mondial et que d’autres pays (États-Unis, des pays européens) se sont lancés dans la production et pourraient à terme modifier le marché mondial. Le quinoa bolivien est principalement exporté aux États-Unis (60 %), en France (8 %), en Allemagne (6,6 %), aux Pays-Bas (5,6 %) et au Canada (5,3 %).
Le quinoa est produit dans les territoires autochtones de l’altiplano de La Paz, Oruro et Potosí, où l’on trouve le « quinoa royal » de la plus haute qualité. Ces zones sont passées depuis les années 1980 d’une production destinée à l’autoconsommation à une économie marchande internationalisée, ce qui n’est pas sans générer des effets socioenvironnementaux importants. L’organisation interfamiliale de la communauté laisse ainsi place à une individualisation de la vie communale. Des tensions sont apparues pour l’accès à la terre, conduisant à une accélération des inégalités au sein des communautés et à l’apparition d’une « bourgeoisie rurale » locale contrôlant la terre et la main-d’œuvre. De nombreux conflits territoriaux font s’entredéchirer des communautés voisines, chacune tentant d’étendre ses aires de production. Par ailleurs, la monoculture de quinoa provoque une baisse drastique de production d’autres aliments (pommes de terre, légumineuses) et implique l’importation récente de ces denrées.
En termes écologiques, l’expansion de la frontière agricole du quinoa a entraîné une marginalisation de l’élevage, une diminution du temps de jachère et la tendance à la monoculture de quinoa favorise la prolifération d’espèces nuisibles, l’érosion et la perte de rendement du sol. Par ailleurs, plusieurs études montrent que les filières du « commerce équitable » et du « bio » ont entraîné une dépendance importante des organisations de producteurs de quinoa envers les entreprises de distribution. Ces filières sont somme toute marginales dans la génération des ressources économiques, les prix du commerce conventionnel pouvant être supérieurs à ceux du commerce équitable.
Malgré ces contradictions, les régions productrices connaissent une hausse du niveau de vie, qui se traduit par des investissements familiaux dans l’éducation, dans les infrastructures et équipements. De nouvelles expériences sont en cours, afin de renforcer le contrôle communal sur la terre, freiner la monoculture, redonner une place à l’élevage et réguler la répartition des terres. Depuis la fin de l’année 2014, les producteurs de quinoa sont mobilisés pour demander un soutien de l’État face aux problèmes d’accès à la terre et à l’eau. Ils souhaitent une mécanisation accélérée et le développement d’une technologie de pointe pour leur secteur, ainsi que l’ouverture de nouveaux marchés pour l’exportation, sans passer par les intermédiaires traditionnels.
Le développement de l’économie du quinoa est l’exemple type du passage d’une économie d’autosubsistance à une économie de marché et d’une production locale au commerce international. Plusieurs auteurs interrogent la possibilité d’articuler l’économie paysanne andine à l’économie globalisée, l’un des objectifs majeurs du principe d’économie plurielle promue par le gouvernement bolivien24.
Le gaz bolivien au centre du projet économique et géopolitique gouvernemental
15Depuis la découverte des premières réserves de pétrole à la fin des années 1920, la production de gaz est centrale dans la politique économique de la Bolivie25. Cette ressource représente actuellement plus de 40 % du total des exportations boliviennes et 40 % des ressources fiscales du pays proviennent de la seule exploitation des hydrocarbures26. C’est dire si la production de gaz s’avère importante pour le gouvernement d’Evo Morales. En effet, le financement du « processus de changement » porté par celui-ci repose en grande partie sur la réforme de l’IDH, qui a permis d’augmenter de manière considérable le budget des collectivités territoriales (départements, municipalités) et de financer les multiples politiques sociales. Si la Bolivie exporte plus de 80 % de sa production en gaz vers le Brésil et l’Argentine, ses deux seuls clients, la production destinée au marché interne aurait, d’après le gouvernement, été multipliée par quatre depuis 2006, ce qui aurait permis le développement d’un important réseau de gaz domestique à destination des particuliers.
16La découverte d’importants gisements de gaz en Bolivie au cours des années 1990 avait amené tout autant à de nouvelles perspectives économiques qu’à de fortes tensions politiques quant à leurs utilisations et formes d’exploitation. C’est dans ce cadre que la « nationalisation du gaz » proclamée le 1er mai 2006 ouvre le processus de changement promis par Evo Morales, dans la continuité de la demande de souveraineté populaire sur les ressources naturelles portée par les mouvements sociaux depuis la « guerre du gaz » de 2003. Cette nationalisation s’accompagne d’un projet d’industrialisation répondant à un « agenda patriotique » pour le développement industriel du pays, comme alternative à la simple exportation de gaz naturel brut. L’objectif est de donner une meilleure valeur ajoutée aux matières premières boliviennes, afin de rompre avec la matrice historique de développement du pays fondée sur l’exportation de ses ressources naturelles. Le Plan national de développement établit ainsi comme stratégie la récupération et la consolidation de la propriété des hydrocarbures, l’exploration et l’exploitation afin d’augmenter les réserves nationales, l’industrialisation pour générer une valeur ajoutée et la garantie de la sécurité énergétique nationale pour renforcer le poids de la Bolivie au niveau régional27. La nationalisation du secteur doit ainsi permettre à l’État de structurer et de réguler un schéma directeur cohérent entre les différents points d’exploitation et d’industrialisation du pays28.
17Le secteur des hydrocarbures bolivien repose principalement sur la production de gaz naturel (80,7 % en 2013), et en plus faible proportion sur le pétrole, condensé et essence naturelle (13,7 %), la biomasse (4,6 %) et l’hydro-énergie (1 %)29. Au premier semestre 2014, la production de gaz atteignait 61,83 millions de mètres cubes journaliers, soit une augmentation de 7,67 % par rapport à l’année précédente, dont plus de 70 % provenaient des trois principaux champs de San Alberto (16 %), Sábalo (30,7 %) et Margarita (24,4 %)30. On note cependant une baisse de la production depuis 2015, et les chiffres des réserves gazières ont été considérablement revus à la baisse en 200931. Pour y remédier, le gouvernement d’Evo Morales a multiplié par vingt le budget dédié aux opérations d’exploration entre 2010 et 2011, pour atteindre un montant de 325 millions d’euros32. Selon cette même logique, le plan d’investissement 2009-2015 de YPFB indiquait un investissement de 10,5 milliards d’euros pour développer le secteur des hydrocarbures, desquels 17 % étaient destinés aux activités d’industrialisation, plus de 69 % à l’exploration, à l’exploitation et au transport, et 13,6 % au raffinage et au réseau de gaz interne33. La frontière pétrolière a ainsi connu une profonde avancée depuis le décret suprême 676 du 20 octobre 2010, en ouvrant certaines aires protégées et certains territoires autochtones à l’exploration et à l’exploitation, suivies en mai 2015 du décret 2366 ouvrant l’ensemble des aires protégées à l’exploration et à l’exploitation pétrolière et gazière. Ces différentes mesures auraient déjà permis d’augmenter les réserves prouvées de gaz à 10,45 TCF (avec une baisse probable des réserves)34. En décembre 2014, à l’occasion des soixante-dix-huit ans de la création de l’entreprise nationale YPFB, un investissement de 10,7 milliards d’euros a été annoncé par le gouvernement pour le plan quinquennal 2015-2019, alors qu’un financement historique de 8,5 milliards d’euros avait déjà accompagné la nationalisation du 1er mai 2006. Le projet de loi des hydrocarbures devrait permettre de favoriser davantage les explorations comme l’a affirmé à plusieurs reprises le gouvernement, avec toutefois un haut risque de conflits sociaux puisque la norme devra répondre aux exigences environnementales et respecter les droits des peuples autochtones inscrits dans la nouvelle Constitution de 2009.
18L’objectif annoncé est le financement du projet d’industrialisation qui constitue le socle de la politique souverainiste proposée par le gouvernement d’Evo Morales. Chaque nouvelle construction d’infrastructures ou production de nouveaux types de matériaux donne lieu à une cérémonie à laquelle sont présents Evo Morales et les principaux cadres du gouvernement, afin d’affirmer les avancées du « processus de changement » et du projet souverainiste bolivien. Sept projets d’industrialisation concernent directement les hydrocarbures35, dont deux sont entrés en phase opérationnelle (Rio Grande et Gran Chaco). La première phase de ce projet d’industrialisation a commencé avec la construction des complexes de séparation des liquides de Rio Grande36 et Gran Chaco37, qui permet à la Bolivie de produire du gaz de pétrole liquéfié (GPL), avec dans un second temps comme finalité la mise en route de complexes pétrochimiques pour produire des plastiques durs. En parallèle s’est construit le complexe d’ammoniaque et d’urée de Bulo Bulo, inaugurée en 2017, lequel est destiné à la production de fertilisants pour dynamiser l’agriculture du pays et dont les excédents devraient être exportés principalement vers le Brésil et l’Argentine. Ce projet constitue l’un des projets phares du plan d’industrialisation. Il est déjà considéré par le gouvernement comme l’une des grandes réussites pour atteindre une indépendance et une souveraineté énergétique nationale. Il s’agit du premier projet moderne de cette envergure intégralement financé par l’État bolivien. Selon le directeur général du département chargé de l’industrialisation au sein du ministère des Hydrocarbures, Humberto Salinas, 2,8 milliards d’euros ont été investis en 2014 pour mener des opérations d’exploration, d’exploitation et d’industrialisation, dont près de la moitié (1,2 milliard d’euros) sur les sites de Bulo Bulo et de Gran Chaco38.
19Malgré la ritualisation et la propagande, la politique de nationalisation et d’industrialisation des hydrocarbures menée par le gouvernement d’Evo Morales fait l’objet de vives critiques en Bolivie. De nombreuses voix se sont élevées contre un projet qualifié de lent39, coûteux, en pointant les incohérences dans le projet lui-même qui n’a cessé d’être modifié. Le manque de coordination et la superposition des objectifs entre YPFB et l’Entreprise bolivienne d’industrialisation des hydrocarbures (EBIH) ainsi qu’une carence dans la connaissance du marché seraient les principaux obstacles à la mise en place des différents projets. Mais c’est aussi la définition même de l’industrialisation qui est contestée, le gouvernement ne distinguant pas le processus de séparation du gaz de sa réelle transformation à des fins industriels40. De plus, les critiques pointent également une « fausse nationalisation » qui aurait permis aux entreprises étrangères de maintenir leur pouvoir d’influence sur les décisions gouvernementales, et autour du projet d’industrialisation soumis aux conditions imposées par les entreprises multinationales. La nationalisation n’a en effet pas entraîné le départ des multinationales comme le craignaient les plus sceptiques au lendemain du 1er mai 2006. Au contraire, il semble qu’elle ait contribué à pérenniser une certaine collaboration historique entre les firmes et l’État qui permettent à celles-ci de toujours tirer d’énormes profits de leur activité dans le pays. En effet, de la même manière que pour les autres projets d’industrialisation (lithium), des accords ont été passés avec des « partenaires stratégiques » ciblés par le gouvernement Morales, selon une logique « gagnant-gagnant ». Le second défi pour le gouvernement est de sortir de sa dépendance technique envers ces entreprises. Le manque de main-d’œuvre qualifiée représenterait ainsi le principal obstacle que doit affronter le gouvernement bolivien pour industrialiser le pays de manière souveraine. Selon l’un des principaux penseurs du projet d’industrialisation, Saul Escalera, qui fut gérant de l’industrialisation à YPFB entre 2006 et 2009, « le problème n’est pas qu’il n’y a pas d’experts en Bolivie, mais qu’il n’y a pas d’experts dans le parti du gouvernement […] les experts du gouvernement sont des militants, je dirais même des politiques. Certains sont des économistes, des avocats, mais il y a trop peu, au sein du MAS, d’ingénieurs qualifiés41 ». Le directeur général du département chargé de l’industrialisation au sein du ministère des Hydrocarbures, Humberto Salinas, reconnaît ces difficultés : « Lorsque nous avons engagé l’industrialisation, nous n’avions pas cette quantité d’études pour savoir où aller. Nous n’étions habitués qu’à de petits projets, plus rapides, pour lesquels la décision était prise et un ou deux ans après les projets étaient réalisés. Ces nouveaux projets nous ont coûté, pour comprendre qu’ils sont beaucoup plus grands et que les délais sont plus longs. C’est un apprentissage pour nous, cela nous a pris du temps. Ce n’est pas une perte de temps, c’est un temps qu’il a fallu nécessairement prendre pour apprendre42. »
Une économie minière symboliquement forte, mais politiquement controversée
20La question minière occupe une place particulière dans l’imaginaire et l’inconscient national en Bolivie. Elle est à l’origine d’une sorte de schizophrénie collective qui semble vouloir perdurer depuis la colonisation et qui oscille entre le « syndrome de Potosí43 » et la vision « eldoradiste » des ressources naturelles. Le premier, hérité de l’exploitation du célèbre Cerro Rico de Potosí ayant largement contribué à l’enrichissement de l’Europe, symbolise l’économie de pillage qui a marqué son histoire44. La seconde a été introduite par le sociologue bolivien René Zavaleta qui la définit comme l’un des grands mythes en Amérique latine sur lequel repose le récit des régimes de type national populaire depuis le milieu du xxe siècle. Elle incarne un espoir mystique fondé sur la découverte soudaine d’une ressource ou d’un bien naturels permettant de produire un excédent matériel comme par « magie » et bénéficiant au plus grand nombre45. Cette schizophrénie a marqué l’histoire des politiques minières du pays.
21Dans les années 1950, le gouvernement national populaire du Movimiento Nacionalista Revolucionario (1952-1964) entreprend la nationalisation des mines et crée la Corporation minière de Bolivie (Comibol), chargée de contrôler ce secteur d’activité placé sous le giron de l’État. Ce modèle prend fin avec les politiques d’ajustements structurels de 1985 qui conduisent à la privatisation des mines d’État. L’arrivée de Morales au pouvoir marque le retour d’un projet souverainiste sur les ressources naturelles. Le Plan national de développement établit comme stratégie l’établissement d’un nouveau cadre juridique pour le développement intégral de l’activité minière, il fait de l’État le protagoniste et le promoteur du développement de cette activité, et valorise la diversification du potentiel métallurgique, le renforcement de la petite exploitation minière et des coopératives ainsi que la participation des communautés46. Contrairement à la branche des hydrocarbures où le gouvernement décide rapidement de donner une place centrale à l’État, la structure du secteur minier ne se retrouve cependant pas radicalement modifiée. La nouvelle loi minière de 2014, qui remplace l’ancien code minier de 1997, est ainsi fortement contestée par de nombreux mouvements sociaux pour son caractère « anticonstitutionnel » et « néo-libéral ».
22À l’arrivée au pouvoir du gouvernement Morales, l’activité minière se divise en trois sous-secteurs dont les dynamiques sont variées : les sites étatiques de la Comibol dont l’activité est spartiate depuis la privatisation des mines en 1985 ; les entreprises privées dont la productivité est élevée ; et les coopératives dont la productivité est faible, mais qui absorbent une grande partie de la main-d’œuvre. Les entreprises privées47 étaient sans aucun doute celles qui avaient le plus à craindre des plans annoncés par le gouvernement de Morales. Pourtant, ce secteur n’a connu qu’une modification partielle du régime tributaire avant la loi minière de 2014. Si le montant des redevances n’a pas été relevé, malgré le fait qu’il ait été établi lorsque le prix des matières premières était encore faible, le gouvernement a néanmoins ajouté un impôt sur les bénéfices de 25 % ainsi qu’un surplus extraordinaire de 12,5 % en cas de forte augmentation des prix internationaux des minerais.
23De son côté, le soutien du gouvernement aux coopératives s’inscrit dans le cadre du modèle d’économie plurielle48. De par le nombre important de leurs membres, les coopératives minières sont parvenues à faire pression sur le gouvernement pour renforcer certains avantages acquis durant la période néo-libérale, en restant exemptées de certains impôts (loi 3787 et loi 4049) et des normes environnementales (loi 1333 sur l’environnement) au nom de leur « caractère social », pourtant fortement contesté49. Le gouvernement créé de plus le Fonds de financement pour l’activité minière, qui permet d’offrir des prêts aux développements des coopératives, ainsi que le Centre intégral de commercialisation des minerais des coopératives minières (Comeremin), avec comme objectif de faciliter la commercialisation. Le décret suprême 29769 offre également une aide de l’État en cas de baisse des prix des minerais, le décret suprême 2917 et la loi 368 facilitent l’accès des coopératives aux concessions de la Comibol, et la loi 367 protège les coopératives des occupations de terre visant à contester cette activité50.
24Le secteur étatique a, quant à lui, connu les plus grands changements avec l’arrivée de Morales au pouvoir. Depuis 2006, l’État bolivien a investi plus de 174 millions d’euros, dix fois plus qu’entre 1999 et 2005. Sur les mêmes périodes, les royalties pour le pays ont progressé de 6 à 78 millions d’euros51, notamment sous l’effet du boom du prix des matières premières. Depuis 2010, plusieurs gisements d’étain, de zinc, de cuivre et de fer de première importance ont été partiellement ou totalement nationalisés (Huanuni, Colquiri, Karachipampa, Vinto, Coro Coro, Mallku Khota). Ces nationalisations seraient cependant davantage le fruit d’« accidents », comme l’indique Jorge Companini du Centro de Documentación e Información Bolivia (Cedib)52, liés à des pressions sociales et à une urgence de résolution de conflit (comme à Huanuni, Colquiri, Mallku Khota), plutôt qu’à une véritable stratégie économique sur le long terme53. Ces nationalisations ont ainsi fortement augmenté le nombre de travailleurs au sein de la Comibol sans améliorer toutefois la productivité des gisements par manque d’investissement, ce qui a amené Evo Morales à déclarer au Parlement : « si la nationalisation n’a d’autres effets que de produire moins, alors il ne faut pas nationaliser54 ». Le gouvernement lance en parallèle un vaste programme de rénovation industrielle de l’exploitation minière. Des projets sont développés en ce sens sur le site du Mutún (fer)55, dans les fonderies de zinc de Potosí et d’Oruro, dans la réhabilitation d’usines (Vinto, Pulacayo, Coro Coro, Eucaliptus), dans la raffinerie de métaux de Karachipampa56, et surtout le lithium du salar d’Uyuni qui doit permettre à la Bolivie de réaliser un « saut industriel ». Le manque de ressources humaines57, mais aussi les problèmes d’approvisionnements énergétiques et de transport ainsi que les pressions des entreprises étrangères compliquent cependant ce programme de modernisation sectorielle comme le signale Hector Cordova, ancien président de la Comibol (2011-2012) et ancien vice-ministre du Développement productif minier (2010-2011)58. Ces problèmes accentuent de plus la dépendance du secteur envers le financement étranger59. Alors que ces projets étaient nés durant le boom du prix des matières premières, certains retards dans leurs mises en fonction ou la paralysie des activités de certaines usines et raffineries à la suite de problèmes techniques, cumulés à la baisse du prix international des métaux, pourraient compromettre leur rentabilité.
25L’activité minière a aujourd’hui été détrônée par celle des hydrocarbures (gaz) comme moteur de l’économie bolivienne. Elle représente, en 2013, 5,9 % du PIB, 19,9 % des exportations (2 768 millions d’euros d’exportation), 5,7 % des emplois, 7,7 % des impôts directs et 16,09 % des redevances minières comprenant les hydrocarbures et les minerais60. Selon les chiffres fournis par le gouvernement, le secteur privé assure en 2013 près de 80 % de sa production et regroupe 6 % des travailleurs. Bien qu’employant près de 90 % de la main-d’œuvre, estimée à environ 120 000 travailleurs en 2013, les coopératives ne contribuent qu’aux alentours de 17 % de la production. Le secteur étatique assume quant à lui moins de 4 % de la production. Il s’est ainsi développé une industrie minière « dualiste » reposant sur un secteur de coopératives rudimentaires et un secteur privé à haute productivité qui montre une certaine réticence à investir du fait du manque de perspective politique stable du pays61.
Tableau no 4. Participation des différents secteurs à l’économie minière, 2005 et 2013
Comibol | Secteur privé | Coopératives | Total | |
Production 2005 | — | 182 000 | 108 000 | 290 000 |
Production 2013 | 27 000 | 581 000 | 124 000 | 732 000 |
Valeur 2005 | — | 309 | 252 | 561 |
Valeur 2013 | 260 | 1 884 | 876 | 3 020 |
Redevances 2005 | — | 8,92 | 3,57 | 12,49 |
Redevances 2013 | 11,60 | 83,87 | 27,66 | 123,13 |
Nombre de travailleurs en 2005 | 117 | 5 450 | 50 150 | 55 717 |
Nombre de travailleurs en 2013 | 7 902 | 8 110 | 119 340 | 135 352 |
Source : Élaboration propre à partir des chiffres du rapport de gestion 2013 de l’État plurinational de Bolivie.
26La politique minière du gouvernement Morales s’exprime à la fois dans une période de hausse du prix des matières premières (de 2006 à 2011) et de transition entre l’ancien code minier néo-libéral de 1997 et l’approbation de la Nouvelle Constitution politique de l’État (NCPE) en 2009. Cette phase de transition n’a pas été sans conséquence sur le secteur minier. En effet, entre les périodes de 2006-2009 et 2010-2013, soit avant et après l’approbation de la NCPE, les investissements à destination du secteur minier diminuent de 29,8 %, du fait principalement du vide juridique entourant l’activité minière et de l’augmentation des conflits sociaux autour de cette activité62. La situation est cependant différente entre le secteur public qui connaît une forte augmentation à la suite des projets d’industrialisation (+186,5 %) et l’investissement privé en forte baisse (-49,2 %).
27L’adoption de la nouvelle loi minière et de métallurgie devait combler ce vide juridique et s’inscrire dans le cadre de la NCPE reconnaissant de nouveaux droits aux peuples autochtones et à l’origine de nombreuses lois environnementales dans un contexte minier particulièrement sensible. Le texte est élaboré par les organisations minières et les cabinets ministériels, sans la présence des organisations paysannes-autochtones, et approuvé au Parlement en 2014. La grande nouveauté concerne les modalités de concession qui deviennent un « contrat d’association » octroyant un partage des bénéfices de 45 % pour l’entreprise et de 55 % pour l’État, excepté pour la mine de San Cristóbal qui reste une concession privée. Les contrats signés avant la mise en place de cette nouvelle loi sont cependant maintenus. Conformément à la NCPE, la nouvelle loi minière introduit pour les entreprises l’obligation de « fonctions économiques et sociales » qui consistent à la remise d’un rapport annuel d’activité et au paiement de la taxe professionnelle, sans prendre en compte l’intérêt stratégique de l’exploitation pour l’État bolivien, les normes environnementales ou un quelconque programme de développement local63.
28Cette loi minière a connu de nombreuses critiques, tant de la part des ONG environnementalistes que de nombreuses organisations sociales. Les principales critiques se concentrent sur le droit d’usage illimité et gratuit au territoire et aux ressources situées sur les aires de concession (terre, matériaux de construction, bois, etc., article 107), ainsi que sur l’eau (article 111 et 112), allant à l’encontre du principe constitutionnel de non-marchandisation de cette ressource dont l’accès est défini comme un droit humain universel64. Les peuples autochtones ne sont pas reconnus comme « sujets de droits miniers », ce qui les prive du droit à la création d’« entreprises communautaires » gérées directement par les communautés locales autochtones. Par ailleurs, l’application du droit international des peuples autochtones à la consultation et au consentement préalables se voit extrêmement limitée, ne s’appliquant pas aux phases d’exploration ni de prospection et ne concernant que les nouveaux contrats miniers signés dans le cadre de cette loi (article 207). Toute contestation des projets miniers est soumise à de fortes poursuites judiciaires (article 99-II), criminalisant un peu plus les protestations menées par certaines organisations autochtones contre ceux-ci.
29Le principal sujet de controverse a cependant été celui des avantages concédés au secteur des coopératives. Celles-ci bénéficient des mêmes droits que les entreprises privées, sans voir toutefois leurs redevances augmentées65. Elles jouissent d’autres avantages comme les aires louées à la Comibol qui peuvent se transformer en contrats administratifs de durée indéfinie en les libérant du paiement de la location (article 63). Le débat le plus important concerne les articles autorisant les coopératives à passer des accords avec les entreprises multinationales, ce qui permet à ces dernières de conquérir de nouvelles aires de travail tout en bénéficiant du caractère « social » des coopératives pour être exemptées de certains impôts et du contrôle environnemental. Ces accords étaient déjà connus et inscrits dans la NCPE (article 351), mais leur institutionnalisation dans la loi minière (article 151) a engendré de vives critiques — y compris de la part de membres du gouvernement —, à tel point qu’ils ont été supprimés avant l’approbation de la loi au Parlement. S’il n’est plus permis aux coopératives de passer des accords avec des transnationales, l’article 130 établit cependant que les contrats passés avant la loi se maintiennent, alors qu’ils étaient illégaux. Malgré le retrait de l’article 151, les coopératives sont une nouvelle fois les principales bénéficiaires de la politique minière du gouvernement d’Evo Morales, alors même que leurs modes de gestion vont, dans les faits, à l’encontre du projet souverainiste et redistributif du MAS66.
Le lithium, nouvelle Arabie saoudite ou nouveau Potosí ?
30Le lithium bolivien se trouve dans les zones des salar, principalement celui d’Uyuni (Potosí) et dans une moindre mesure celui de Coipasa (Oruro), qui comptent parmi les zones les plus pauvres et les plus fragiles d’un point de vue écologique. La Bolivie est l’un des 17 pays à posséder des réserves de lithium. Son industrialisation est l’un des projets phares du gouvernement d’Evo Morales. Cette ressource est déclarée « priorité nationale » depuis le décret suprême 29496 du 1er avril 2008 et, en 2010, la Stratégie nationale d’industrialisation des ressources évaporites de Bolivie est présentée par Evo Morales. Celle-ci vise à planifier l’industrialisation de ces ressources avec des techniques et des financements propres. Elle comprend trois phases distinctes : une première de construction d’usines pilotes, une deuxième d’industrialisation et une troisième de fabrication de batteries de lithium.
31Ce projet donne lieu à de nombreuses controverses et débats contradictoires quant à sa future réussite. Parmi les débats centraux se trouve la quantité même des réserves boliviennes, desquelles dépend la place du pays sur le marché international. Selon le Service géologique des États-Unis, ces réserves seraient de 9 millions de tonnes métriques alors que le gouvernement bolivien annonce le chiffre de 100 millions de tonnes, ce qui en ferait la plus grande réserve mondiale67, constituant 77 % de celle-ci. De son côté, le Centro de Estudios para el desarollo laboral y social (Cedla) indique que la Bolivie posséderait 18 % des réserves mondiales68, sans préciser la source de ses chiffres.
32Par ailleurs, le salar d’Uyuni abrite également 19 % des réserves mondiales de potassium, qui s’avérerait plus rentable que le lithium sur le marché mondial du fait du manque de données précises et fiables des réserves boliviennes de lithium et de perspective quant à l’avenir des voitures électriques pour lesquelles cette ressource est nécessaire69. Selon le spécialiste de la question de l’industrialisation en Bolivie, Saul Escalera, la faible concentration en carbonate de potassium ne permettra cependant pas au pays de s’imposer sur le marché mondial (La Rázon, 05/02/2014). Des techniciens japonais de l’entreprise Jogmec chargés de réaliser des essais sur la production de carbonate de lithium ont également montré la difficulté de cette tâche dans cette zone70. Ces études font cependant polémique, le gouvernement accusant certains pays de dénigrer le projet souverainiste bolivien afin d’imposer leurs technologies et de s’introduire dans le marché. Considérée comme « la nouvelle Arabie saoudite » pour sa réserve d’« or blanc », la Bolivie fait en effet face à de nombreuses pressions. L’ancien ministre de la Mine et de la Métallurgie (2010-2011) et ancien président de la Comibol (2011-2012), Hector Cordova, évoque ainsi « une lutte de pouvoir impressionnante » entre le pays et certaines entreprises ainsi que des tentatives de déstabilisation et de boycotts des projets boliviens. Il déplore également des actions « très agressives », notamment de l’entreprise sud-coréenne Kores-Posco, avec laquelle des pourparlers ont été entretenus jusqu’à ce que celle-ci s’oriente vers le lithium argentin71.
33L’objectif affiché par le gouvernement est d’entrer sur le marché mondial des batteries de lithium en 2020. Des experts internationaux ont fait part de leur scepticisme quant à la bonne réalisation du projet. Les raisons en sont nombreuses : le manque de techniciens spécialistes du lithium en Bolivie, la carence en compétence technique et administrative de la Comibol, le risque de pollution à grande échelle, la forte concurrence étrangère, le problème du coût des nouvelles technologies si la Bolivie n’est pas soutenue par la coopération internationale, le faible niveau d’infrastructures routières et électriques72. Ajoutons que le lithium bolivien serait en effet plus difficilement exploitable que celui de ses pays voisins chilien et argentin, du fait qu’il ne se concentre pas de manière pure et qu’il nécessite un nouveau processus d’évaporation, difficile à réaliser dans le salar d’Uyuni en raison des fortes précipitations durant l’été73.
34Face à ce défi industriel, la Bolivie a passé plusieurs accords avec des entreprises étrangères, le plus souvent dans l’optique de former des techniciens boliviens et d’obtenir des infrastructures et des équipements de pointe. En France, l’alliance Bolloré-Eramet a, entre 2008 et 2010, convoité les richesses du lithium afin de développer sa voiture électrique, la Bluecar. Malgré une offre d’investissement d’un peu plus d’un milliard d’euros, l’accord n’a cependant jamais vu le jour, le groupe Bolloré s’étant vu reprocher de vouloir exporter des matières primaires semi-élaborées au détriment du développement industriel bolivien. En novembre 2014, un accord a cependant été trouvé entre la Bolivie et le Commissariat français de l’énergie atomique (CEA). Quatre lettres d’intention ont été signées autour d’une coopération en matière de technologie nucléaire civile, d’énergies alternatives (solaires), un programme de développement des capacités techniques et scientifiques pour l’innovation du développement industriel ainsi que pour la valorisation du lithium. Cet accord s’avère important pour la Bolivie, qui a déjà signé un accord avec l’Argentine pour construire une centrale nucléaire dans les Andes d’ici à 2025. Concernant le lithium, cet accord porte sur l’ensemble de la chaîne d’industrialisation, et précise que les batteries devront être fabriquées sur le territoire bolivien.
35De nombreuses critiques portent sur la lenteur du processus d’industrialisation et sur les accords avec les entreprises étrangères qui affaibliraient la souveraineté bolivienne et réactiveraient l’idée d’un pillage de ses ressources naturelles. Certains observateurs estiment que le gouvernement n’a pas fait appel aux spécialistes nationaux74. Elles émanent également d’ONG qui critiquent le manque de transparence dans les négociations auprès des communautés autochtones de la région et les risques de contamination écologiques75. En réponse, le gouvernement a attaqué les manques de fondements scientifiques de ces accusations, mais aussi les intérêts personnels de ces spécialistes et ONG, leur vision « antipatrie » ou leurs liens avec la coopération étrangère, avec des partis de l’opposition ou avec des multinationales76. Le responsable de la communication de la Direction nationale des ressources évaporites (GNRE) chargée de l’exploitation du lithium, Honorio Carlo, tient à affirmer que ce projet est « 100 % bolivien », réitérant ainsi l’objectif souverainiste d’Evo Morales qui déclarait « chercher des partenaires, et non pas des patrons ». Ces accords ne concerneraient ainsi que la coopération, l’échange d’informations et le soutien technique avec la formation de techniciens boliviens. La troisième phase de production de batteries de lithium doit quant à elle impliquer un accord commercial du fait qu’elle nécessite une haute technologie que ne peut fournir la Bolivie77.
36Malgré les difficultés et les critiques, l’exploitation du lithium a commencé. Les trois phases de son industrialisation ont été lancées simultanément et ont donné naissance à plusieurs sites. Le 3 janvier 2013, l’usine pilote de carbonate de lithium est inaugurée à Llipi, suite à un investissement de 16,6 millions d’euros. Malgré la difficulté de séparer le lithium des autres minéraux présents, en août 2014, la GNRE a cependant affirmé avoir atteint une pureté de 99,5 %, ce qui lui permettait d’entrevoir la prochaine création de cathodes de lithium, élément indispensable à la fabrication des batteries. En 2016, la Bolivie initie finalement ses premières exportations de carbonate de lithium à destination du marché chinois. Un appel a été lancé également pour la construction de la future usine industrielle de carbonate de lithium, dessinée par l’entreprise allemande K-Utec et pour laquelle plusieurs entreprises se sont dites intéressées.
37En septembre 2012 est inaugurée l’usine pilote de chlorure de potassium (à 15 kilomètres du salar d’Uyuni), dont les premières ventes ont eu lieu en mai 2013. En août 2014, la production totale s’élevait à 900 tonnes, sur lesquelles 500 tonnes ont été vendues comme fertilisants aux entreprises boliviennes Petrodrill et Brenntag, à un prix supérieur à celui des cours internationaux. En janvier 2016, la quantité totale commercialisée était de 1 325 tonnes. En décembre 2013, la GNRE a reçu les plans de l’usine industrielle de chlorure de potassium, qui devrait être construite à 5 kilomètres de l’usine pilote. Ces plans ont été élaborés par l’entreprise allemande Ercosplan, dont l’étude aurait coûté 4,21 millions d’euros, alors que l’entreprise chinoise CAMC Engineering Co. Ltd est chargée de sa construction. Cette usine devrait voir le jour en 2018 et permettra la production de 700 000 tonnes annuelles de chlorure de potassium avec une pureté de 95 %.
38Enfin, en 2014, la Bolivie a inauguré la première usine pilote d’assemblage de batteries de lithium à La Palca, d’un coût de 3,2 millions d’euros, grâce à l’appui technique et financier de l’entreprise China Linyi Dake Trade. Cette usine devrait produire par jour 1 000 batteries d’ion de lithium pour téléphones portables et ordinateurs ainsi que 40 batteries pour bicyclettes et automobiles. L’usine pilote a produit, jusqu’en août 2014, 4 000 batteries de téléphone portable et 20 batteries de véhicules, ce qui marque pour le gouvernement un pas décisif dans son projet d’industrialisation, malgré le fait que les cathodes de lithium nécessaires à la fabrication aient été importées. En août 2013, le gouvernement a également signé un accord avec l’entreprise hollandaise BTI Energy Innovators. Celui-ci prévoit la création d’une usine de fabrication industrielle de batteries de lithium (d’un coût estimé à entre 20 et 21,5 millions d’euros), d’un centre de recherches, d’un laboratoire et la formation de professionnels boliviens à l’université de Delft pendant quatre ans.
39Du projet d’industrialisation du lithium dépendra ainsi une bonne partie de l’avenir de la Bolivie et de sa place sur le marché international. Au vu des chiffres et débats contradictoires, il est cependant difficile de se prononcer sur cette réussite. Au-delà de l’aspect économique sur le marché mondial, cette industrialisation porte également de véritables enjeux nationaux. Elle doit permettre au gouvernement de se montrer capable de négocier avec les entreprises étrangères tout en maintenant son projet souverainiste. Cette contradiction a déjà conduit des multinationales à s’orienter vers le lithium argentin (groupe Bolloré-Eramet, Kores-Posco). Si les richesses du sous-sol bolivien étaient cependant confirmées, elles pourraient mettre le pays en situation de force au moment des négociations et lui permettre de dépasser ce traumatisme historique du pillage de ses ressources naturelles.
L’aménagement territorial pour l’intégration régionale
40Depuis plus d’une décennie, l’Amérique du Sud s’est engagée dans le projet le plus ambitieux d’aménagement territorial de son histoire. L’Initiative pour l’intégration de l’infrastructure régionale sud-américaine (Iirsa) constitue un vaste programme interétatique principalement incité par le Brésil, destiné à faciliter et à intensifier la circulation des matières premières, de l’énergie, des biens et des services78. Tout le sous-continent se voit quadrillé par des axes de développement infrastructurel. Plus de 500 travaux publics de grande envergure sont planifiés : des ponts, des routes terrestres et fluviales, des barrages, des centrales hydroélectriques. Une cinquantaine de ces « mégaprojets » doit se réaliser en Bolivie, pays qui occupe une place stratégique de par ses réserves en ressources énergétiques et minières et sa position géographique centrale à la croisée de plusieurs processus d’intégration régionale et des voies de communication devant relier les océans Atlantique et Pacifique pour faciliter la circulation et l’acheminement de marchandises, en particulier vers l’Asie.
41Les premiers aménagements s’y réalisent à partir de 2005 dans le cadre de l’Agenda de mise en œuvre consensuelle 2005-2010 de l’Iirsa, sous l’impulsion du gouvernement d’Evo Morales dont l’aménagement territorial constitue depuis son arrivée au pouvoir l’un des axes prioritaires de ses plans d’action. Au cours de ses deux premières mandatures (2005-2014), l’exécutif a ordonné la construction d’environ 2 500 kilomètres de routes et des premières voies rapides, contribuant ainsi à développer de manière significative un réseau routier encore précaire et jusque-là peu entretenu. Sur cette période, l’État bolivien a investi près de 3 milliards d’euros. Une soixantaine de routes dont certains axes routiers majeurs sont en cours de réalisation et plusieurs dizaines de tronçons en voie de rénovation79. Les plus grands projets s’inscrivent dans le cadre de l’Iirsa.
42Dans le nord du pays, les bourgades de Guayamerín et de Cobija devraient être reliées entre elles et à la ville de La Paz, cela dans le cadre du « couloir nord » de l’Iirsa dont le but est de connecter l’Amazonie bolivienne au reste du pays et aux états brésiliens de Rondônia et de l’Acre ainsi qu’à la région péruvienne de Madre de Dios. Un peu plus au sud de ce couloir nord, plusieurs projets infrastructurels viennent se greffer à celui du réseau routier prévu à la lisière des aires protégées et territoires autochtones Madidi et Pilón Lajas80 : un complexe agro-industriel sucrier, un pont entre les villes de Rurrenabaque et de San Buenaventura, un barrage (El Bala) et de nouvelles concessions pétrolières. À l’est du pays, la route reliant Santa Cruz de la Sierra à Puerto Suarez fait partie du « couloir est » de l’Iirsa et constitue un tronçon de l’axe biocéanique prévu entre le port brésilien de Santos et ceux d’Arica ou d’Iquique au Chili. Elle doit faciliter le transport de plus de deux millions de tonnes de marchandises par an. Dans la région andine, les projets liés au « couloir sud » doivent permettre de relier la frontière argentine à la frontière chilienne en passant par les villes de Yacuiba, Potosí et Oruro. Le principal objectif consiste à améliorer l’accès et la desserte des sites gaziers et miniers qui comptent parmi les plus importants du pays. Il s’agit également de moderniser le tronçon bolivien de la route panaméricaine81.
43Le développement de l’infrastructure routière représente l’une des clés de voûte du Plan national de développement bolivien. S’il répond à une certaine demande interne, il tente surtout de s’inscrire dans les attentes des pays voisins en termes d’intégration régionale, et indirectement à celles de la Chine, qui investit de manière exponentielle en Amérique latine. Dans les projections établies par le gouvernement de Morales, l’essor des voies de communication terrestre doit accompagner l’industrialisation des ressources naturelles et favoriser la dynamisation des marchés par l’accélération des flux de marchandises. C’est donc en toute logique que l’amplification et l’amélioration du réseau routier apparaissent une nouvelle fois comme l’une des propositions phares du programme gouvernemental d’Evo Morales pour 2015-2020. Celle-ci prévoit l’asphaltage des principaux axes routiers du réseau national et des « couloirs d’intégration » de l’Iirsa, la réhabilitation des routes secondaires, le développement des voies rapides, le renforcement des connexions terrestres entre capitales départementales et l’intégration des régions dites « à vocation productive ». Environ 8 500 kilomètres de routes devraient être ainsi créés ou améliorés.
44Quelques projets de communication fluviale (notamment sur les fleuves Paraná, Beni et Madre de Dios) et ferroviaire (liaison entre les villes de Santa Cruz de la Sierra et Aiquile dans le cadre du projet régional biocéanique) viennent compléter cet effort d’aménagement territorial terrestre. Les airs bénéficient eux aussi d’une modernisation accélérée. Les principaux aéroports connaissent une vaste rénovation à hauteur de 200 millions d’euros entre 2006 et 2014 afin que ceux-ci répondent aux normes et aux attentes internationales82. Une trentaine d’aéroports intermédiaires doivent être par ailleurs agrandis et trois nouveaux construits d’ici à 2020. La compagnie nationale BOA qui contrôle 60 à 70 % du marché aérien national ouvre régulièrement de nouvelles lignes et intensifie les rotations déjà existantes entre les capitales départementales pour répondre à une demande en forte hausse.
45À l’instar des voies de communication, la construction de certains barrages hydroélectriques est également considérée comme hautement stratégique par le gouvernement d’Evo Morales. L’un des projets phares pour ce dernier est celui de Cachuela Esperanza qui se situe au nord du pays, à la frontière avec le Brésil. L’ouvrage constitue l’une des quatre pièces maîtresses d’un vaste complexe hydroélectrique imaginé dès 1971 par les deux pays sur le fleuve Madera83. Fer de lance de la politique gouvernementale de « développement en Amazonie bolivienne », ce barrage doit permettre de produire 80 % de l’électricité du pays dont une grande partie doit toutefois être exportée vers le puissant voisin lusophone. Le lancement du projet a été officiellement annoncé en août 2008 en présence des autorités brésiliennes. Le montant de l’investissement initial devrait s’élever à 2,8 milliards d’euros et être totalement assumé par l’État bolivien en recherche d’indépendance et de souveraineté énergétiques84. Le barrage El Bala constitue lui aussi une priorité nationale. Imaginée dans les années 1980, sa construction effective est annoncée en 2007. L’ouvrage doit permettre de générer de l’électricité pour tout le pays et d’exporter le surplus le cas échéant vers le voisin brésilien85.
46Face à l’urbanisation croissante du pays, les transports urbains font, eux aussi, l’objet d’une politique volontariste de l’État qui investit en particulier dans les grands projets de réseaux intercités des métropoles. C’est ainsi que le téléphérique relie désormais les villes de La Paz et d’El Alto avec le triple objectif de désengorger le trafic automobile, de réduire les temps de transport et mieux contrôler la pollution. La construction et la gestion des lignes sont assurées par la Compagnie étatique de transport par câble « Mon téléphérique ». Trois lignes principales, déjà existantes, structurent le réseau qui devrait, au final, se composer d’une dizaine de lignes. Le transport par téléphérique devrait desservir 90 zones urbaines et pouvoir transporter 200 000 voyageurs par jour (18 000 par heure sur les trois lignes principales). La première phase du projet a pris fin en 2014 et a représenté un investissement évalué à 207 millions d’euros. Symbole d’une urbanité moderne, battant tous les records d’altitude et de longueur, ce premier téléphérique urbain représente une vitrine pour le gouvernement d’Evo Morales86. Des projets ferroviaires tout aussi ambitieux existent pour les régions métropolitaines de Cochabamba et de Santa Cruz de la Sierra. Pour le premier, le réseau du train intercités devrait se déployer sur une quarantaine de kilomètres. Pour le second, les modalités de transport ne sont pas encore clairement définies, mais la combinaison bimodale entre le train interurbain et le tramway a été évoquée. L’État devrait investir près d’1,5 milliard d’euros au cours de ces prochaines années dans ces trois projets selon le ministère des Travaux publics87.
47Depuis 2010, de grands investissements ont par ailleurs été réalisés pour améliorer sensiblement les réseaux de communication téléphonique. Le gouvernement d’Evo Morales a, pour cela, nationalisé l’entreprise Entel en 2008 et opté pour la technologie satellitaire les années suivantes. En quelques années, près de 400 millions d’euros sont investis dans les nouvelles technologies et les communications téléphoniques. Près de 700 antennes relais sont installées dans le pays et 600 télécentres ruraux créés. Les effets sont immédiats. En 2013, la quasi-totalité du territoire national peut téléphoner et accéder à Internet. 4,4 millions de personnes possèdent un téléphone portable et ont accès à la technologie 2G, 140 000 à la 4G. Trois cent vingt-six des 339 municipalités du pays ont accès à la technologie 4G.
48Le gouvernement d’Evo Morales est parvenu à moderniser rapidement les infrastructures communicationnelles dans le pays. Excepté la question des nouvelles technologies de communication, il a généralement mis en œuvre des projets discutés et imaginés depuis plusieurs décennies. Son action et son investissement ont œuvré de manière effective pour le développement infrastructurel et technologique du pays. C’est là l’une de ses grandes forces qui a contribué à son succès politique et électoral. Pour une majeure partie de l’opinion publique, la politique menée par le gouvernement d’Evo Morales contribue à extirper la Bolivie de la liste des pays sous-développés et subalternes. Il répond à une demande populaire de modernisation et de modernité, mais aussi de souveraineté et de dignité.
Notes de bas de page
1 World Bank, Bolivia Poverty Assessment: Establishing the Basis for Pro-Poor Growth. Report No. 28068-BO, 2005.
2 La souveraineté alimentaire est définie par le gouvernement comme « le droit de l’État à définir ses propres politiques en matière d’aliments, de garantir à ses agriculteurs l’accès au marché local à des conditions favorables et approvisionner la population avec des aliments à des prix accessibles, sains, sûrs et culturellement appropriés » (cité par E. Ormachea, Soberanía y seguridad alimentaria en Bolivia: políticas y estado de situación, La Paz, Cedla, 2009, p. 25).
3 G. Colque, M. Urioste et J. L. Eyzaguirre, Marginalización de la agricultura campesina e indígena: dinámicas locales, seguridad y soberanía alimentaria, La Paz, Fundación Tierra, 2015.
4 E. Castañón Ballivián, Las dos caras de la moneda: agricultura y seguridad alimentaria en Bolivia, Berlin, FDCL, 2014.
5 A. Dávalos Saravia, Políticas públicas de seguridad alimentaria con soberanía en Bolivia, La Paz, Fundación Tierra, 2013.
6 Sources : N. Alvarez, Cuatro Cañadas: tierra y desarollo rural, La Paz/Santa Cruz de la Sierra, Fundación Tierra, 2005 ; Cámara Agropecuaria del Oriente, Evaluación de desempeño del sector agropecuario en el departamento de Santa Cruz, Santa Cruz de la Sierra, CAO, 2014 ; B. McKay et G. Colque, « Bolivia’s soy complex: the development of “productive exclusion” », The Journal of Peasant Studies, vol. 43, 2016, p. 583-610 ; P. Molina et S. Copa, ¿La agricultura soyera en Bolivia, necesita transgénicos? Factores productivos y competitividad de la soya boliviana, La Paz, Fobomade, 2005 ; G. Medeiros, « Evolución y características del sector soyero en Bolivia », in X. Soruco (dir.), Los barones del Oriente: el poder en Santa Cruz ayer y hoy, La Paz, Fundación Tierra, 2008, p. 173-288 ; M. Pérez Luna, No todo grano que brilla es oro: un análisis de la soya en Bolivia, La Paz, Cedla, 2007 ; M. Urioste, « El monocultivo de la soya en el municipio de Pailón », in M. Urioste et D. Pacheco, Las Tierras Bajas de Bolivia a fines del siglo xx, La Paz, Pieb, 2001, p. 254-276.
7 E. Castañón Ballivián, Las dos caras de la moneda, op. cit.
8 E. Ormachea, Soberanía y seguridad alimentaria en Bolivia, op. cit.
9 G. Colque, M. Urioste et J. L. Eyzaguirre, Marginalización de la agricultura campesina e indígena, op. cit.
10 En 2012, la Bolivie exporte 300 000 tonnes de plus qu’elle n’importe.
11 F. Wanderley, La economía solidaria en la economía plural: discursos, prácticas y resultados en Bolivia, La Paz, Cides-Umsa, 2015.
12 A. Dávalos Saravia, Políticas públicas de seguridad alimentaria, op. cit.
13 Mesure qui a été validée par voie de référendum populaire en janvier 2009, en même temps que celui organisé pour entériner la nouvelle Constitution. La consultation portait sur la superficie minimale autorisée des propriétés agricoles : 5 000 (80,56 % des suffrages exprimés) ou 10 000 hectares (19,35 %).
14 E. Ormachea, Soberanía y seguridad alimentaria en Bolivia, op. cit.
15 En 2014, 87 millions d’hectares avaient été titularisés : 25 millions comme terres fiscales, 23 millions en Terres communautaires d’origine pour les populations autochtones, 17 millions pour les communautés paysannes et l’agriculture familiale et 13 millions pour les propriétés moyennes et grandes. Voir J. P. Chumacero, « La reforma agraria no ha terminado », Opinión y análisis [en ligne], La Paz, 2014, mis en ligne le 31 juillet 2014 [consulté le 14 octobre 2014]. Disponible sur : http://www.ftierra.org/index.php/opinion-y-analisis/377-la-reforma-agraria-no-ha-terminado
16 E. Ormachea et N. Ramirez, Políticas agrarias del gobierno del MAS o la agenda del « poder empresarial-hacendal », La Paz, Cedla, 2013a.
17 J. P. Chumacero, « La reforma agraria no ha terminado », op. cit.
18 E. Ormachea et N. Ramirez, Políticas agrarias del gobierno del MAS, op. cit.
19 G. Colque, M. Urioste et J. L. Eyzaguirre, Marginalización de la agricultura campesina e indígena, op. cit.
20 E. Castañón Ballivián, Las dos caras de la moneda, op. cit.
21 G. Colque, M. Urioste et J. L. Eyzaguirre, Marginalización de la agricultura campesina e indígena, op. cit.
22 E. Castañón Ballivián, Las dos caras de la moneda, op. cit.
23 A. Dávalos Saravia, Políticas públicas de seguridad alimentaria con soberanía en Bolivia, op. cit.
24 Sources : A. Carimentrand et J. Ballet, « La responsabilité des firmes vis-à-vis du développement : le cas de la filière quinoa du commerce équitable en Bolivie », Mondes en développement, no 144, 2008, p. 13-26 ; P. Laguna, Mallas y flujos: acción colectiva, cambio social y desarrollo regional indígena en los Andes bolivianos, Thesis Wageningen University, Wageningel School of Social Sciences (WASS), 2011 ; E. Ormachea Saavedra et N. Ramirez, Propriedad colectiva de la tierra y producción agrícola capitalista: el caso de la quinoa en el altiplano sur de Bolivia, La Paz, Cedla, 2013b ; A. Vassas et M. Vieira Pak, « La production de quinoa dans l’altiplano sud de la Bolivie : entre crises et innovations », in CiradInra-SupAgro, Innovation and Sustainable Development in Agriculture and Food (Isda), Montpellier, juin 2010 ; A. Vassas, Partir et cultiver : essor de la quinoa, mobilités et recompositions rurales en Bolivie, Paris, IRD, 2015 ; T. Winkel, Quinoa et quinueros, Paris, IRD, 2013.
25 C. Miranda Pacheco, « La importancia del gas en la economía boliviana », in J. Crabtree, G. Molina Gray et L. Whitehead (dir.), Tensiones irresuletas: Bolivia, pasado y presente, La Paz, Plural/Pnud, 2009, p. 191-212.
26 I. Bascopé Sanjinés, « Derecho a la consulta y participación en hidrocarburos: una aproximación en Bolivia », in C. Arze, Reporte anual de industrias extractivas, La Paz, Cedla, 2014.
27 C. Arze, Industrialización en el Proceso de Cambio: la modernización populista del MAS, La Paz, Cedla, 2014.
28 Entretien avec Humberto Salinas, directeur général à l’industrialisation du ministère des Hydrocarbures, avril 2014.
29 Ministerio de Hidrocarburos y Energia (MHE), Balance energético nacional, La Paz, MHE, 2014.
30 Yacimiento Petrolíferos Fiscales Bolivianos, Boletín Estadístico. Gestión 2014, La Paz, YPFB, 2015.
31 Alors que le gouvernement néo-libéral annonçait en 2002 des réserves de 52,3 trillons de pieds cubes (TCF, trillion cubic feet) (prouvées, probables et possibles comprises), une estimation de l’entreprise Ryder Scott en 2009 indiquait quant à elle des réserves « prouvées » boliviennes de 9,94 TCF, auxquelles pourraient s’ajouter 3,71 TCF de réserves « probables » et 6,25 TCF de réserves « possibles ».
32 I. Bascopé Sanjinés, « Derecho a la consulta y participación en hidrocarburos », op. cit.
33 C. Arze, Industrialización en el Proceso de Cambio, op. cit.
34 Ces chiffres ont été certifiés par l’entreprise canadienne GLJ Petroleum au 31 décembre 2013.
35 C. Arze, Industrialización en el Proceso de Cambio, op. cit.
36 L’usine de Rio Grande a été inaugurée en juillet 2013, avec deux années de retard sur les premières prévisions, et doit permettre à la Bolivie de combler son déficit en essence et en GPL pour assurer sa sécurité énergétique. En 2014, la production sur ce site aurait permis à la Bolivie de répondre à la demande interne et d’exporter l’excédent au Paraguay, en Uruguay et au Pérou en produisant en moyenne 329,67 tonnes métriques de GPL par jour (voir YPFB, Boletín Estadístico. Gestión 2014, op. cit.).
37 Inauguré en 2014, Gran Chaco devrait compter parmi les trois complexes les plus importants d’Amérique du Sud. À partir de 2018, l’objectif est de transformer du GPL en propane, puis en propylène et en polypropylène afin de produire différents types de plastiques. À partir de 2022, bien que initialement prévu en 2017, le complexe devrait permettre également la production de l’éthylène puis du polyéthylène à partir de l’éthanol.
38 Entretien réalisé à La Paz en avril 2015.
39 Des experts estiment par exemple que le complexe de Bulo Bulo pourrait être opérationnel trop tardivement pour la Bolivie afin d’être compétitif sur le marché international, alors que sa production est destinée à 80 ou 90 % au marché extérieur. En effet, le gouvernement doit régler la question du transport jusqu’aux frontières et de nombreux pays ont entrepris, eux aussi, de produire de l’urée et de l’ammoniaque, comme le Brésil qui devrait être autosuffisant en 2016 (Petropress, 12/02/2014).
40 C. Arze, Industrialización en el Proceso de Cambio, op. cit.
41 Entretien réalisé à La Paz en avril 2014.
42 Entretien réalisé à La Paz en avril 2015.
43 L. Perrier-Bruslé, « Le gaz bolivien : la Bolivie face à son avenir », Outre-terre, no 18, 2007, p. 235-251.
44 E. Galeano, Les veines ouvertes de l’Amérique latine, Paris, Plon, 1981 ; A. Franqueville, La Bolivie d’un pillage à l’autre, Paris/Toulouse, PUM/IRD, 2000.
45 M. Svampa, « Consenso de los Commodities, Giro Ecoterritorial y Pensamiento crítico en América Latina », Observatorio Social de América Latina (Osal), nº 32, 2012, p. 15-38.
46 Cité par C. Arze, Industrialización en el Proceso de Cambio, op. cit.
47 Les principales entreprises — Inti Raymi (Promisa), Sinchi Wayra (Glencore), Manquiri (Cœur d’Alene Mines Corporation), Empresa Minera Mallku Khota (South American Silver) — possèdent des droits d’exploitation avec la Comibol à travers des contrats de location ou de risques partagés. La mine de San Cristóbal (de la transnationale japonaise Sumitomo) est la seule à bénéficier d’une concession privée.
48 P. Poveda Avila, Formas de producción de las cooperativas mineras de Bolivia, La Paz, Cedla, 2014a.
49 De nombreuses études ont montré les fortes hiérarchies, inégalités et conditions de travail précaires au sein des coopératives tout comme l’absence de droits et de sécurité sociale pour leurs membres. Voir J. Michard, Cooperativas mineras en Bolivia: formas de organización, producción y comercialización, Cochabamba, Cedib, 2008 ; K. Francescone et V. Diaz, « Cooperativas Mineras. Entre socios, patrones y peones », Petropress, 2013, p. 34-41.
50 P. Poveda Avila, Formas de producción de las cooperativas mineras de Bolivia, op. cit.
51 E. Morales, Informe de Gestión 2012, La Paz, État plurinational de Bolivie, 2013.
52 Entretien réalisé à Cochabamba en avril 2014.
53 H. Oporto, «¿La nacionalizacion minera? Entre el mito y el desencanto », in H. Oporto (dir.), ¿De vuelta al Estado minero?, La Paz, Fundación Vicente Pazos Kanki/Foro Minero, 2013.
54 Ibid.
55 À la surprise générale, le gouvernement décide en septembre 2015 de « geler » ce projet dans l’attente d’un financement extérieur, lequel intervient finalement en 2016 avec la signature d’un contrat avec l’entreprise chinoise Sinosteel Equipment & Engineering Co. Ltd. Plusieurs spécialistes ont cependant mis en doute la viabilité du projet actuel depuis la baisse du prix du fer sur les marchés internationaux. Il ne s’agit pas là de la première péripétie dans ce projet : l’entreprise indienne Jindal & Steel avait déjà abandonné le Mutún (2007-2012) du fait de problèmes d’infrastructure de transport et d’approvisionnement énergétique (gaz). Voir J. Espinoza, « Minería estatal: ¿Una historia de fracaso ? », in H. Oporto (dir.), ¿De vuelta al Estado minero?, La Paz, Fundación Vicente Pazos Kanki/Foro Minero, 2013.
56 Après plus de trente ans d’inactivité, le gouvernement relance le projet de raffinerie de Karachipampa en 2011 et l’inaugure en septembre 2014. Depuis, l’activité a été paralysée à plusieurs reprises, à la suite de problèmes techniques que plusieurs spécialistes expliquent par la vétusté des installations.
57 Malgré sa longue tradition minière, la Bolivie connaîtrait en effet un manque d’experts depuis la fermeture de l’Institut de recherches sur les minéraux et métallurgie en 1985, à la suite du démantèlement du secteur minier par les politiques d’ajustements structurels. Entretien avec Hector Cordoba, La Paz, avril 2014.
58 Entretien réalisé à La Paz en avril 2014.
59 C. Arze, Industrialización en el Proceso de Cambio, op. cit.
60 E. Sandi Bernal, « Minería, desarrollo y conflictividad social », in Unir, La veta del conflicto: ocho miradas sobre conflictividad minera en Bolivia (2010-2014), La Paz, Unir, 2014.
61 J. Crabtree et A. Chaplin, Bolivia: procesos de cambio, La Paz, Pieb/Cedla/Oxfam, 2013.
62 E. Sandi Bernal, « Minería, desarrollo y conflictividad social », op. cit.
63 Cedla, « Ley Minera del MAS: privatista y anti-indígena », Control Ciudadano, no 24, 2014, p. 1-12.
64 E. Sandi Bernal, « Minería, desarrollo y conflictividad social », op. cit.
65 Une augmentation de 1 % des redevances est cependant légiférée pour l’exploitation de l’or dans les « gisements marginaux ».
66 La pression des coopératives sur le gouvernement d’Evo Morales a connu une fin tragique lorsque, en août 2016, une mobilisation violente des coopératives tourne à l’affrontement avec la police, faisant quatre morts chez les mineurs. Les coopératives protestaient contre le droit de syndicalisation, contre l’interdiction de l’utilisation des dynamites lors des manifestations et pour reconnaître l’article 151 de la loi minière autorisant les coopératives à souscrire des contrats avec les entreprises privées. Afin de parvenir à une sortie de crise, le vice-ministre du régime intérieur et policier Rodolfo Illanes est envoyé sur place pour négocier avec les coopérativistes, mais il est finalement séquestré, torturé, puis assassiné par des dirigeants. Cet événement a un retentissement international et provoque une onde de choc en Bolivie, face à laquelle le gouvernement adopte des mesures drastiques contre ce secteur minier : interdiction de l’utilisation d’explosifs lors des manifestations (décret suprême 2888), contrôle fiscal des coopératives (décret suprême 2889), reconversion à l’État des coopératives non productives (décret suprême 2890), reconversion à l’État des coopératives ayant passé des contrats avec des entreprises privées (décret suprême 2891), droit de syndicalisation des travailleurs au sein des coopératives (décret suprême 2892).
67 J. Strobele-Gregor, « El proyecto estatal del litio en Bolivia: expectativas, desafios y dilemas », Nueva Sociedad, no 244, 2013, p. 74-83.
68 Cedla, « Ley Minera del MAS », op. cit.
69 Ibid.
70 J. Strobele-Gregor, « El proyecto estatal del litio en Bolivia », op. cit.
71 Entretien avec Hector Cordova, La Paz, avril 2014.
72 J. Strobele-Gregor, « El proyecto estatal del litio en Bolivia », op. cit.
73 Entretien avec Saul Escalera, La Paz, avril 2014.
74 Entretien avec le spécialiste Saul Escalera, La Paz, avril 2014.
75 J. C. Guzmán Salinas (dir.), Un presente sin futuro: el proyecto de industrialización del litio en Bolivia, La Paz, Cedla, 2014.
76 Entretien avec Hector Cordova, La Paz, avril, 2014.
77 Ibid.
78 Iniciativa para la integración de la infraestructura regional suramericana, http://www.iirsa.org/
79 Rapport d’activité 2014, Entreprise nationale des ponts et chaussées (Administradora Boliviana de Carreteras).
80 Le Pilon Lajas a le double statut de territoire autochtone et d’aire protégée. Dans le cas du parc national de Madidi, celui-ci héberge la TCO Tacana San Juan de Uchipianomas.
81 Ceadesc, Atlas de Megaproyectos de Infraestructura en Bolivia, Cochabamba, Ceadesc, 2011.
82 E. Morales, Informe de Gestión 2012, op. cit.
83 Le fleuve Madeira ou Madera est le plus long affluent de l’Amazone. Le complexe hydro-électrique se compose de quatre barrages : deux au Brésil (Santo Antonio, 330 MegaWatts et Jirau, 3 150 MW), un en zone binationale (binacional Brasil-Bolivia, 3 000 MW) et un en Bolivie (Cachuela Esperanza, 900 MW). Voir P. Villegas Nava, Geopolítica de las carreteras y el saqueo de los recursos naturales, Cochabamba, Cedib, 2013.
84 Ceadesc, Atlas de Megaproyectos de Infraestructura en Bolivia, op. cit.
85 H. Laats, M. L. Inturias et C. Caymani, Megaobras en Madidi y Pilón Lajas: hacia una transformación de los conflictos, La Paz, Pieb, 2012.
86 Du 21 au 23 octobre 2015, la Bolivie a organisé, à La Paz, le premier Congrès international de transport par câble urbain.
87 397 millions d’euros pour la seconde phase du téléphérique entre La Paz et El Alto, 397 millions pour le train métropolitain de Cochabamba et 661 millions pour celui de Santa Cruz de la Sierra (La Razón, 23/03/2015).
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