Émergence et développement du Movimiento al Socialismo
p. 27-58
Texte intégral
1Après deux décennies de régimes militaires altérées de quelques mois de gouvernement civil et à l’issue d’une transition politique chaotique de quatre années jalonnée de neuf phases présidentielles1, le retour à la démocratie en 1982 se présente comme une opportunité nécessaire d’entreprendre de profonds changements. Cette transition est marquée par la victoire électorale de l’Unité démocratique et populaire (Unidad Democrática y Popular) et la mandature du président Hernán Siles Zuazo2 qui envisage de mettre en œuvre de grandes réformes sociales pour tenter de répondre à la crise économique et financière désastreuse dans laquelle est plongé le pays. Face à l’ampleur de la tâche, confrontée à une inflation historique et sous la pression des créanciers et de l’opposition, la coalition gouvernementale ne parvient pas à établir une ligne d’action claire ni à conserver son unité.
2Des élections anticipées sont organisées en 1985 et remportées par Víctor Paz Estenssoro (Movimiento Nacionalista Revolucionario — MNR) qui engage une vaste modernisation de l’État destinée à pérenniser la démocratisation et à contrôler les effets de la décadence économique selon les orientations néo-libérales proposées par le consensus de Washington. Celle-ci s’effectue en deux temps3. Le premier est marqué par des ajustements structurels drastiques, guidés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, qui provoquent une réduction soudaine et franche de la présence étatique dans la sphère économique. Le second est consacré à réformer l’organisation politico-administrative du pays et à poursuivre les politiques de privatisation et de constitution de marchés. La libéralisation est tant économique que politique. Les mutations engendrées se traduisent, entre autres conséquences, par un accroissement des inégalités sociales, mais aussi par l’émergence d’acteurs sociaux démontrant d’une part une capacité nouvelle à entrer dans l’arène partidaire et parlementaire et, d’autre part, une faculté de mobilisation et de contestation contre les mesures néo-libérales jugées insoutenables, illégitimes et inappropriées.
3Sous l’égide des organismes internationaux précités et avec le soutien des principaux partis politiques de l’époque, cette « nouvelle politique économique » du président Víctor Paz Estenssoro est destinée, entre autres objectifs d’urgence, à mettre fin à l’hyperinflation (7 000 %) et à maintenir un taux de croissance relativement élevé (4 % annuel). Ce plan de gouvernement marque le début d’un vaste mouvement de libéralisation économique et de retrait de l’État. L’application du décret suprême 21060 (29 août 1985) implique des ajustements structurels notables. Ces derniers se traduisent par le dégraissage rapide et massif des services étatiques ou protégés de l’État, la privatisation des entreprises nationales, notamment de la compagnie pétrolière, le gel des rémunérations salariales, une hausse tarifaire des services publics et la relocalisation partielle de 23 000 mineurs et de milliers d’ouvriers dans les vallées tropicales du pays qui se reconvertissent en petits paysans producteurs de feuilles de coca (cocaleros) et forment bientôt de puissants syndicats grâce à leur solide formation politique acquise dans les mines et les manufactures.
4Si cette politique permet de stabiliser les principaux indicateurs économiques, la dette sociale s’alourdit au fil des mesures dites compensatoires qui se révèlent incapables de réduire l’inégalité grandissante entre les plus pauvres et les plus riches4. Sous cette forme quasi exclusivement économique, la modernisation de l’État provoque de grandes mobilisations sociales. C’est à ce moment que s’opère un déplacement du rayonnement syndical5. Les organisations de cocaleros prennent la tête de la contestation, les fédérations de mineurs et d’ouvriers étant largement affaiblies par les démantèlements puis par les privatisations des grands secteurs historiques de production nationale.
5Le mouvement cocalero et l’un de ses dirigeants charismatiques, un certain Evo Morales, obtiennent leurs lettres de noblesse dans leur lutte contre les différentes lois interdisant la production et la commercialisation de la feuille de coca, diligentée par Washington et coordonnée sur place par la Drug Enforcement Administration (pour une description plus précise des enjeux autour de la feuille de coca, voir p. 288, partie 3). La loi de régime de substances contrôlées (loi nº 1088, 1988) est l’une des premières mesures phares en la matière contre laquelle va s’organiser le mouvement des paysans producteurs de feuilles de coca. Cette loi pénalise la production de cocaïne, mais aussi la culture de feuilles de coca dans les zones dites non traditionnelles de production, comme dans le Chaparé, où Evo Morales est leader syndical. Les paysans sont vivement incités à adhérer à des programmes de développement alternatif impliquant l’abandon de la culture de coca pour d’autres cultures (bananes, ananas) beaucoup moins rentables. Cette politique est vivement contestée par les paysans dont les conditions économiques et sociales ne s’améliorent pas et qui dénoncent une politique répressive. Le plan « Coca zéro » adopté en 1994 provoque des mobilisations paysannes d’envergure comme la « marche pour la coca, la vie et la dignité », puis la « marche pour la vie et la souveraineté nationale » en 1996. De nombreux comités d’autodéfense locaux se créent et la tension est permanente dans le Chaparé, où cocaleros et militaires chargés d’éradiquer les arbustes s’affrontent régulièrement et violemment. En 1998, l’État militarise le Chaparé dans le cadre du Plan Dignidad. L’état de siège est déclaré et la tension à son comble. Le décret suprême 26415 interdisant la commercialisation de la feuille de coca dans le Chaparé met le feu aux poudres : au début de l’année 2002, les affrontements dans la bourgade de Sacaba durent trois semaines sans discontinuer, se soldant par la mort de quatre manifestants et de quatre policiers, plusieurs centaines de blessés et la poursuite judiciaire d’une soixantaine de dirigeants cocaleros.
6C’est à l’issue de ces événements que le mouvement cocalero prend le contrôle de la puissante Confédération syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie (CSUTCB). La défense de la feuille de coca devient alors l’un des principaux symboles de la lutte paysanne. Elle évoque la précarité économique des familles paysannes (la coca constituant un élément primaire de revenu), pose la question de la différence culturelle sous une nouvelle forme (utilisation traditionnelle de la feuille de coca) et sensibilise sur les droits de l’homme et les droits politiques (militarisation des zones tropicales dans le cadre de la politique d’éradication et persécution des communautés paysannes)6. Peu à peu, le discours anti-impérialiste et anticolonialiste dépasse la seule organisation cocalera. C’est ainsi l’ensemble de la CSUTCB qui se restructure autour de valeurs culturelles et politiques propices à unifier l’ensemble des organisations paysannes et une partie des organisations autochtones.
Genèse d’une formation politique et sociale atypique
7L’irruption du MAS emmené par Evo Morales sur la scène partidaire de Bolivie est étroitement liée à l’histoire du mouvement paysan. En 1995, les principales organisations paysannes et autochtones du pays7 fondent leur propre instrument politique, l’Assemblée pour la souveraineté des peuples (ASP) qui doit permettre au mouvement paysan-autochtone de s’émanciper d’un pongueaje politique8. L’initiative est présentée comme historique, en particulier pour les organisations paysannes ayant été contrôlées ou cooptées par des partis politiques de manière quasi continue depuis leur création9. Elle fait suite à une éphémère Assemblée des nationalités, fruit d’une action commune en 1992 entre les confédérations paysanne CSUTCB et autochtone Cidob10 en guise d’action de protestation dans le cadre de la commémoration internationale de la découverte des Amériques.
8La constitution de l’ASP intervient dans un vide politique marqué par le déclin des partis de gauche qui, dans un esprit de survie, entrent progressivement dans le jeu de la « démocratie pactée11 », c’est-à-dire dans un système d’alliances pragmatiques entre partis politiques bradant quelque peu leurs principes idéologiques, sans véritable ligne directrice clairement établie, délitant une relation historique souvent étroite avec les organisations syndicales et les secteurs populaires12. Par ailleurs, le processus de décentralisation et de municipalisation, impulsé par la loi de participation populaire de 1994 promulguée par le gouvernement du président Gonzalo Sánchez de Lozada13, joue un rôle déterminant dans l’autonomisation et la participation électorale des organisations sociales rurales comme en attestent de nombreux travaux14.
9L’émancipation à l’égard des partis politiques ne permet pas pour autant l’unification des différentes composantes de l’ASP. Dès les premiers congrès, des divergences conceptuelles et stratégiques, mais aussi les luttes de pouvoir prennent le dessus. En résulte une concurrence conflictuelle qui perdure plusieurs années entre Alejo Véliz, alors secrétaire général de la CSUTCB et principal dirigeant de l’ASP, et Evo Morales son puissant second15. La confédération indigène Cidob, quant à elle, se retire rapidement face au manque d’intérêt porté à ses revendications par les syndicats paysans et à la place secondaire qui lui est accordée par les différentes mouvances prédominantes en concurrence.
10N’ayant pu présenter tous les prérequis nécessaires, l’ASP ne participe pas aux élections municipales de 1995. Le mouvement cocalero décide donc de faire alliance avec la Gauche unie emmenée par le parti communiste de Bolivie et obtient ses premières victoires électorales, principalement dans son fief du Chaparé : 11 mairies et 49 postes de conseillers municipaux. Lors des élections nationales de 1997, cette même coalition gagne quatre sièges parlementaires. À cette occasion, Evo Morales est le premier paysan cocalero à être élu député en obtenant le meilleur score de tout le pays avec 70,3 % des votes dans sa circonscription16. Entre ces deux élections politiques, Morales est élu à la présidence des six fédérations des producteurs de feuilles de coca du tropique de Cochabamba, ce qui lui garantit une base électorale.
11Fort de ces résultats, le mouvement cocalero fonde en 1998 l’Instrument politique pour la souveraineté des peuples (IPSP) destiné à concurrencer, voire à évincer l’ASP de Véliz. Les tensions se font plus fortes au sein du mouvement paysan. Des organisations syndicales parallèles prolifèrent, engageant une lutte de légitimité et de représentativité. À plusieurs reprises, les congrès paysans tournent aux affrontements17. La concurrence entre Morales et Véliz symbolise en effet une rivalité permanente entre régions et organisations dans laquelle les cocaleros semblent irrémédiablement s’imposer. Lors des élections municipales de 1999, une nouvelle fois l’ASP ne parvient pas à se présenter seule. Elle intègre la Gauche unie dans laquelle elle se dilue. Les cocaleros s’unissent quant à eux avec l’aile gauche de la Falange Socialista Boliviana, rassemblée autour du micro-parti dénommé Movimiento al Socialismo qui lui lègue son sigle, une transaction qui permet d’éviter les aléas des procédures électorales et de s’investir rapidement dans la campagne. Les cocaleros créent ainsi le Movimiento al Socialismo — Instrumento político para la soberanía de los pueblos (MAS-IPSP). La nouvelle formation politique emmenée par Evo Morales sera vivement attaquée par ses adversaires, en particulier paysans, pour son alliance avec un parti, certes moribond, mais à l’idéologie ambiguë et au passé sulfureux18. Quoi qu’il en soit, la force politique que l’on dénommera désormais le MAS prête par la suite à son tour son sigle à de nombreux candidats autochtones et paysans indépendants dans tout le pays afin que ceux-ci puissent participer aux élections. Une opération toute bénéfique qui lui permet de gagner des postes de conseillers municipaux, voire des mairies ici ou là dans le pays.
12À l’issue du scrutin municipal de 1999, le MAS confirme sa progression. Sans allié, il concentre 3,20 % des votes et conquiert seul 9 mairies et 39 sièges de conseillers municipaux, dont respectivement 7 et 27 dans le département de Cochabamba. Si bon nombre de travaux convergent pour affirmer que la municipalisation mise en place par le gouvernement du président Sánchez de Lozada19 a contribué à l’émergence puis à la montée en puissance du MAS, ce dernier ne doit son ascension qu’à lui-même en répondant à une attente historique de pans entiers de la société dans la manière de penser et de faire de la politique, en particulier en milieu rural20. Pour la première fois, les candidats paysans sont directement désignés par leurs bases sociales, lors de congrès syndicaux ou d’assemblées locales, et mènent campagne sous leur propre label politique. En ce sens, le MAS constitue d’une certaine manière une passerelle entre le social et le politique.
13La machinerie masiste est dès lors en marche. Véliz disparaît de l’avant-scène paysanne pour ne réapparaître que ponctuellement lors d’échéances électorales. Sitôt l’ASP désintégrée, le MAS assiste à l’émergence d’une nouvelle formation issue du mouvement paysan. En 2000, le leader indianiste Felipe Quispe, alors président de la CSUTCB depuis 1998, crée le Movimiento Indígena Pachakuti (MIP). Toutefois, la concurrence qui s’établit entre celui-ci et le MAS n’a que peu d’effets sur le mouvement paysan ni sur le cours des événements sociopolitiques qui s’intensifient à partir de 2000.
14Contrairement au MIP dont l’action et le rayonnement sont cantonnés au fief de Quispe sur l’Altiplano autour du lac Titicaca, le MAS poursuit sur sa dynamique d’ouverture et d’expansion. Il se transforme progressivement et rapidement en un mouvement politique avec une stratégie propre reposant de manière dynamique sur le conflit social et la participation électorale selon les opportunités politiques21. En adoptant un discours politique moins excluant que celui de l’indianisme radical du mouvement de Felipe Quispe, Evo Morales parvient à étendre son réseau d’alliance aux ouvriers et classes moyennes urbaines durant la dénommée « guerre de l’eau22 » qui a lieu à Cochabamba en 2000. Par leur expérience de lutte contre la répression, les cocaleros y jouent un rôle tout aussi stratégique que symbolique.
15Les résultats des élections nationales de 2002 sont significatifs d’une progression spectaculaire du MAS qui s’impose comme la seconde force politique et parlementaire du pays en recueillant 20,94 % des suffrages exprimés. Il occupe 19,8 % des sièges du Parlement (27/136) et 29,6 % des sièges du Sénat (8/27). Le MIP quant à lui obtient 6,09 % des votes et occupe six sièges parlementaires. Evo Morales participe au second tour des élections présidentielles qu’il perd après l’alliance des partis « traditionnels » ayant soutenu la candidature de Gonzalo Sánchez de Lozada23. L’ascension remarquable du MAS et d’Evo Morales s’explique en grande partie par l’adoption d’une stratégie oscillant entre mobilisation sociale et participation électorale que nous serons amenés à examiner ultérieurement. Elle s’inscrit également dans un développement discursif efficace activant une symbolique ancrée dans l’imaginaire populaire, à la fois autour de la reconquête des ressources naturelles — à partir de la revendication identitaire de la feuille « sacrée » de la coca —, de la lutte pour la souveraineté nationale face à ce qu’il nomme l’impérialisme et le néo-colonialisme, et d’une certaine indianité. À cela il faut ajouter que l’éviction d’Evo Morales du Parlement, peu avant les élections pour « acte de sédition », après les événements de Sacaba (cf. supra) et l’intervention de l’ambassade des États-Unis au cours de la campagne appelant la population bolivienne à ne pas élire un producteur de coca, ont constitué du pain béni pour le syndicaliste cocalero afin de nourrir son discours sur la discrimination et la marginalisation des plus opprimés qu’il affirme incarner et représenter. Dès lors, le MAS d’Evo Morales s’oppose activement à la politique du président Sánchez de Lozada qui, depuis quelques mois, plaide en faveur d’une intégration de la Bolivie à l’Aire de libre commerce des Amériques (Alca). La bipolarisation idéologique, politique et parlementaire entre le MNR au pouvoir et le MAS qui se positionne désormais en chef de file de l’opposition va s’instaurer pour perdurer.
Encadré nº 1. Evo Morales, portrait d’un militant paysan devenu président
Aucun président de Bolivie n’a engendré autant de littérature, articles de presse internationale et produits dérivés (tee-shirts, figurines, affiches…) qu’Evo Morales. Le suivi au quotidien du premier président autochtone de Bolivie par le journaliste argentin Martín Sivak a été traduit en quatre langues (espagnol, français, anglais, italien). De nombreuses biographies, écrites ou documentaires, sont proposées et un film a même été réalisé en 2008 par Tonchy Antezana, Evo Pueblo.
Né en 1959 dans la communauté d’Isallavi, dans le canton d’Orinoca du département d’Oruro, Juan Evo Morales Ayma est issu d’une famille aymaraphone d’éleveurs de l’Altiplano bolivien. Avant de connaître un destin particulier, il grandit dans le contexte propre au monde rural de l’époque marqué par la pénibilité des travaux agricoles et les migrations temporaires. Les conditions de vie sont précaires et la pauvreté quotidienne. Quatre de ses frères décèdent avant l’âge de 2 ans. Enfant, il conduit avec son père des caravanes de lamas d’Oruro à Cochabamba, durant de longs voyages propres à l’économie d’élevage et d’échange de produits agricoles dans le monde andin. Dans les années 1960, il migre en Argentine, où ses parents travaillent dans les champs de canne à sucre. De retour en Bolivie, il crée à 13 ans une équipe de football dans sa communauté et poursuit ses études dans les écoles rurales de la région. Il termine son baccalauréat à Oruro. Il y travaille comme boulanger puis comme maçon. Il joue de la trompette dans la Banda Imperial, un groupe de renommée départementale (et même internationale aujourd’hui) avec lequel il participe au fameux Carnaval d’Oruro. Après avoir effectué son service militaire obligatoire à La Paz, il migre dans le Chaparé de Cochabamba avec son père, en 1981, à la suite d’une sécheresse particulièrement ravageuse pour l’élevage et la production agricole andine.
Cette première étape de la vie d’Evo Morales est aujourd’hui connue de tous. Elle ancre profondément son personnage dans le monde traditionnel rural et dans l’imaginaire bolivien. Le président ne manque d’ailleurs pas de rappeler ses origines, en jouant de l’image proprement andine de son enfance pour revendiquer son identité autochtone parfois contestée — il ne parle en effet pas couramment le quechua ni l’aymara — ou au contraire en affirmant son identité nationale bolivienne, en participant encore aujourd’hui au Carnaval d’Oruro ou en organisant de nombreux matchs de football avec son équipe gouvernementale.
La suite, Evo Morales la construit dans la lutte sociale et le militantisme. Comme beaucoup de dirigeants paysans avant lui, Evo Morales intègre le syndicat grâce à l’équipe locale de football, une activité qui permet aux membres de voyager dans différentes communautés, de se rencontrer, d’échanger autour des problèmes de la vie quotidienne, voire de s’organiser à l’écart des autorités locales ou nationales qui contrôlent ou interdisent les rassemblements populaires durant les périodes de répression. À son arrivée dans le Chaparé, il est nommé secrétaire des sports du syndicat San Francisco, puis est élu secrétaire général en 1985. Son engagement et son rôle de dirigeant l’amènent en première ligne des mobilisations sociales contre la répression dont font l’objet les producteurs de coca, à partir de 1988, date à laquelle est appliquée la loi de régime sur la coca et les substances contrôlées qui accentue le contrôle du marché de la coca et organise la destruction de champs de coca par l’armée.
En 1989, il est arrêté, passé à tabac et laissé pour mort dans la forêt du Chaparé par l’Unité mobile policière pour les aires rurales (Umopar), organe connu pour sa brutalité et qui agit sous la coordination de la Drug Enforcement Administration (DEA) états-unienne. En 1994, il participe à la « marche pour le respect et la dignité » puis est élu président du Comité de coordination des six fédérations du tropique de Cochabamba. Au milieu des années 1990, il s’engage en politique et obtient son premier mandat de député en 199724.
La conquête du pouvoir et d’une position hégémonique
16Les élections de juin 2002 n’apaisent pas le climat de tension. Au contraire, les conflits locaux se démultiplient un peu partout dans le pays. Les secteurs mobilisés de manière quasi continue depuis 2000 (coopératives populaires de gestion de l’eau, paysans, cocaleros, peuples autochtones) se réorganisent et d’autres pans de la société se mobilisent. Au cours des six derniers mois de l’année 2002, une dizaine de conflits majeurs successifs ou simultanés génèrent une situation de confusion générale. La « génération sandwich » réclame le droit à une retraite décente pour 26 000 travailleurs précaires, les chauffeurs routiers de meilleures conditions de travail, les colonos ou colonizadores25 une plus grande quantité de terres, les cocaleros la légalisation de la feuille de coca et son industrialisation, les enseignants une réforme éducative et la titularisation des maîtres urbains, les agro-industriels des subventions et des aides importantes. Les personnels soignants s’opposent à une politique de restructuration qui doit impliquer plusieurs centaines de licenciements. Les paysans exigent que le gouvernement accomplisse ses promesses obtenues depuis 2000 : un système spécifique de couverture sociale, la dotation de 3,8 hectares par famille, de 1 000 camions et de 1 000 tracteurs, et la création d’une université autochtone. Les peuples autochtones entreprennent, quant à eux, une « marche pour la souveraineté, le territoire et les ressources naturelles » pour proposer la formation immédiate d’une Assemblée constituante comme solution adéquate pour mettre fin à la situation tumultueuse que traverse le pays.
17La méthode du gouvernement qui consiste à discuter et négocier de manière cloisonnée avec chacun des secteurs pour tenter d’étouffer la pression générale s’avère inefficace. La plupart des secteurs mobilisés se rapprochent progressivement pour former une coalition. En janvier 2003 est créé l’État majeur du peuple26 sous la houlette de la Centrale ouvrière bolivienne27 (COB). Celle-ci se voit très vite supplantée par les fédérations de cocaleros qui disposent de leur propre instrument politique, le MAS-IPSP. La passerelle entre les mouvements sociaux et la formation politique d’Evo Morales est établie. La plate-forme revendicative se construit sur la lutte contre l’ingérence états-unienne dans les affaires boliviennes, définie comme un acte d’impérialisme, et contre les politiques néo-libérales menées par le gouvernement du président Sánchez de Lozada. L’organisation d’une Assemblée constituante devient le principal objectif commun avec la proposition que celle-ci garantisse la mise en place d’un État fort et pleinement souverain.
18Deux conflits d’envergure nationale vont coup sur coup renforcer le rôle d’intermédiation du MAS dans la coordination des secteurs sociaux mobilisés. En février, le gouvernement projette une augmentation de l’impôt sur le revenu. Les secteurs les plus pauvres et la classe moyenne pressentent une ponction importante (le taux de prélèvement pouvant atteindre près de 10 % des salaires) et voient en cette réforme fiscale une baisse drastique programmée de leurs niveaux de vie. L’annonce soulève un tollé général. La quasi-totalité des secteurs sociaux et économiques s’oppose à cette mesure mal venue et se mobilise massivement. Ce qui aurait pu être une énorme, mais simple vague de mécontentement bascule subitement dans la violence lorsque, le 12 février, une centaine de policiers se mutine en annonçant son soutien aux secteurs mobilisés. Le lendemain, lors d’une grande manifestation, des heurts éclatent entre les Forces armées qui avaient été appelées pour assurer la sécurité et les policiers rebelles qui utilisent leurs armes de service. Les balles pleuvent sur les manifestants pris entre deux feux, faisant une quinzaine de morts et une soixantaine de blessés. Le pays plonge alors dans le chaos. Le massacre fait place aux pillages dans plusieurs villes et le 14 février donne lieu à de nouveaux affrontements augmentant le nombre de victimes à près d’une trentaine. Le gouvernement parvient à rétablir l’ordre en abandonnant son projet de réforme fiscale. Il apaise l’antagonisme profond entre policiers et militaires en arrêtant les mutins et en réunissant les états-majors de chacun des corps de sécurité.
19Le conflit débouche sur l’ouverture d’un « dialogue social » entre le gouvernement et les différents secteurs sociaux devant aboutir à « un pacte social » général. Les discussions et les négociations s’avèrent difficiles pendant plusieurs mois. En septembre 2003, un nouveau mouvement social multisectoriel s’organise en réaction au projet gouvernemental d’exportation de gaz brut vers les États-Unis et le Mexique via le Chili au nom de la souveraineté bolivienne sur ses ressources naturelles et du nationalisme historique qui oppose le pays à son voisin chilien. Une nouvelle fois, des manifestations massives sont organisées dans plusieurs villes, dont celle de La Paz qui commence à peine à effacer les traces du conflit de février et qui se trouve, depuis, dans une situation de pénurie. La mobilisation gagne rapidement l’ensemble du pays où les différents secteurs convergent vers La Paz pour participer aux massives protestations de ce qui restera dans les mémoires comme la « guerre du gaz ». Sur les hauteurs du lac Titicaca, les bourgs de Sorata et de Warisata sont le théâtre de violents affrontements. La ville populaire d’El Alto, surplombant La Paz, devient l’épicentre de la contestation. L’arrivée d’un convoi de gaz protégé par l’armée qui tente de forcer les barrages tenus par les manifestants déclenche les hostilités. En un mois, une soixantaine de personnes trouvent la mort et plus de cinq cents sont blessées ou mutilées. La rue demande la démission immédiate du président de la République qui fuit aux États-Unis, laissant un pays dans le chaos au vice-président Carlos Mesa. Lors de ce conflit, le MAS adopte une stratégie qui consiste à intégrer le mouvement de contestation pour ne pas perdre le leadership du mouvement populaire, tout en se démarquant des secteurs les plus radicaux pour maintenir son engagement électoral et conquérir le vote des classes moyennes. C’est donc tardivement que la formation politique rejoint les secteurs sociaux massivement mobilisés.
20À partir de ces événements de 2003, la politique sur les ressources naturelles devient prédominante. Un référendum sur la politique gazière est organisé en juillet 2004 sous la pression des secteurs sociaux coagulés autour du MAS. Ces derniers espèrent une redistribution plus large des revenus issus de l’exploitation des hydrocarbures au bénéfice de la population ainsi qu’une participation aux politiques étatiques des « majorités nationales », c’est-à-dire des peuples autochtones jusque-là marginalisés et qui souhaitent tirer bénéfice de l’exploitation des nombreux champs pétrolifères situés dans leurs territoires. En marge, les secteurs sociaux urbains les plus radicaux exigent, quant à eux, une (re)nationalisation immédiate et généralisée des ressources d’hydrocarbures et rejettent l’idée de consultation. Du référendum découle une loi sur les hydrocarbures (2005) fortement contestée par les mouvements régionalistes de cinq départements pétroliers (Santa Cruz, Beni, Pando, Tarija et Chuquisaca) rassemblés sous le nom de « Demi-lune » en raison de la forme géographique de l’alliance. À l’opposé des mouvements populaires proches du MAS, leurs comités civiques s’opposent à toute nationalisation des ressources naturelles et défendent l’idée primordiale d’une « autonomie départementale » qui permettrait à chaque département de gérer lui-même ses ressources naturelles et de promouvoir ses propres accords avec les entreprises étrangères.
21La tension monte d’un cran lorsque les secteurs sociaux et les régionalistes s’activent chacun de leur côté pour imposer leurs propres priorités politiques. Les premiers réclament l’instauration d’une Assemblée constituante avant les prochaines élections nationales prévues en 2007 pour redéfinir une politique sur les ressources naturelles et « refonder le pays ». Les seconds exigent l’organisation préalable d’élections départementales pour désigner les premiers gouverneurs de l’histoire du pays28. Menacé par une bipolarisation politique croissante, le président Mesa accepte le double agenda et démissionne en mai 2005 jugeant le pays « ingouvernable ». Il est remplacé par le président de la Cour suprême, Eduardo Rodríguez Veltzé qui opte pour organiser des élections générales anticipées en décembre 2005. C’est à cette occasion que le MAS d’Evo Morales obtient une victoire éclatante avec la majorité absolue (53,7 % des voix), un résultat jamais atteint depuis la restauration de la démocratie en 1982. Le nouveau gouvernement jouit dès lors d’un fort appui populaire, mais aussi du soutien de la communauté internationale pour mettre en place ses principales réformes : nationalisations et élaboration d’une nouvelle Constitution politique de l’État par l’organisation d’une Assemblée constituante.
22Ce succès triomphal du MAS semble correspondre à une victoire déterminante sinon définitive d’Evo Morales sur les autres leaders sociaux, en particulier paysans. Felipe Quispe, le dirigeant du MIP, abandonne la voie parlementaire pour réinvestir la scène revendicative et y développer un discours de type ethnonationaliste, quelque peu en marge des préoccupations principales des grandes mobilisations de 2003. Cette stratégie s’avère pénalisante pour sa formation politique qui n’obtient que 2,16 % des voix en 2005 et ne peut renouveler sa présence au Congrès. Alejo Véliz disparaît, lui aussi, du panorama électoral. Il n’est inscrit sur aucune liste pour les élections de 2005.
23Evo Morales est élu président et son parti occupe la majorité des sièges au Congrès. Il n’est cependant pas en mesure d’appliquer sa politique comme il l’entend, car il ne détient pas la barre fatidique des deux tiers des sièges nécessaires pour valider les décisions au Congrès. Par ailleurs, six des neuf préfectures sont désormais contrôlées par l’opposition régionaliste à l’issue des premières élections de gouverneurs organisées le même jour. Cette situation a été dénommée par bon nombre d’analystes politiques de « match nul catastrophique » (el empate catastrófico) puisque l’issue de ces échéances électorales conforte le scénario de bipolarisation politique amorcé quelques mois auparavant.
24L’état de tension perdure avec le maintien des calendriers respectifs et opposés des régionalistes de la « Demi-lune » et du MAS. Le 2 juillet 2006, sont simultanément organisés, d’une part, un référendum populaire sur le principe d’autonomie départementale et, d’autre part, l’élection des représentants constituants. À l’issue de cette double échéance, le pays vit un nouvel empate. D’un côté, le MAS et ses alliés contrôlent l’Assemblée constituante en occupant 137 des 255 sièges, mais n’ayant pas obtenu les deux tiers des voix, ils ne peuvent faire passer leur projet sans négociations avec l’opposition. De l’autre, la proposition d’autonomie départementale est largement approuvée dans les départements des Basses Terres (Santa Cruz, Beni, Pando, Tarija) contrôlés par l’opposition29 et garantit la perspective d’instauration des autonomies départementales dans la nouvelle Constitution.
Tableau no 1. Résultats du référendum sur les autonomies départementales (2 juillet 2006)
Département | OUI | NON |
Beni | 73,83 % | 26,17 % |
Santa Cruz | 71,11 % | 28,89 % |
Tarija | 60,79 % | 39,21 % |
Pando | 57,69 % | 42,31 % |
Chuquisaca | 37,77 % | 62,23 % |
Cochabamba | 36,96 % | 63,04 % |
Potosí | 26,88 % | 73,12 % |
La Paz | 26,56 % | 73,44 % |
Oruro | 24,52 % | 75,48 % |
25C’est dans ce contexte de statu quo que s’ouvre l’Assemblée constituante en août 2006. Celle-ci va rapidement devenir la scène d’affrontements entre le bloc masiste et le bloc régionaliste. Le règlement de l’Assemblée et la désignation de la capitale du pays vont constituer deux grands thèmes de crispation30. À l’issue des élections de juillet 2006, le MAS tente de modifier les modalités de validation des articles de la nouvelle Constitution. Face à la difficulté d’obtenir les deux tiers des votes requis pour celle-ci, il propose d’instaurer un vote à la majorité. Cette option est catégoriquement rejetée par l’opposition qui voit là un moyen d’obliger le MAS à négocier pour freiner son hégémonie grandissante. Plus tard, la désignation de la capitale constitutionnelle représente un autre levier de mobilisation pour l’opposition. Ces controverses retardent le processus. Alors que le délai d’élaboration du texte constitutionnel est repoussé, les affrontements se font de plus en plus violents, l’opposition allant jusqu’à bloquer l’entrée des députés constituants au siège de l’assemblée à Sucre. Dans le chaos généralisé, le texte est approuvé en première lecture en novembre 2007 sans la présence d’une partie de l’opposition et « entre fusils et baïonnettes » dans un lycée militaire, puis approuvé en seconde lecture (article par article) en décembre à Oruro dans des conditions sensiblement similaires. En octobre 2008, une centaine d’articles est révisée après négociation entre le gouvernement et l’opposition dans un climat politique extrêmement tendu.
26Celui-ci est marqué par un référendum révocatoire organisé en août 2008 pour tenter de mettre fin à la crise politique prolongée entre le gouvernement et les préfets d’opposition qui refusent d’appliquer certaines mesures gouvernementales et contestent les modalités d’approbation de la nouvelle Constitution. Les mandats du président, du vice-président et des préfets des neuf départements sont remis en jeu. Les résultats ne modifient pas outre mesure la configuration politique. Evo Morales conforte sa popularité, plébiscité par 67,4 % des suffrages exprimés. L’opposition perd quant à elle deux préfets alliés, ceux de La Paz et de Cochabamba qui se voient révoqués et dont les successeurs respectifs sont élus en janvier 2009, au moment même où le texte constitutionnel est soumis, lui aussi, à un référendum populaire.
Figure nº 1. Résultats du référendum révocatoire du 10 août 2008
1- Êtes-vous d’accord pour poursuivre le processus de changement mené par le président Evo Morales et le vice-président Álvaro Garciá Linera ?
OUI | NON |
2 103 732 | 1 016 992 |
67 % | 33 % |
Source : Cour nationale électorale de Bolivie.
27En janvier 2009, la Constitution est approuvée par 61,4 % des suffrages exprimés. Si ce résultat est inférieur au résultat du référendum révocatoire de 2008, il reste supérieur à celui de l’élection présidentielle de 2005 et de l’Assemblée constituante de 2006. L’hégémonie politique du MAS se confirme avec la victoire d’Evo Morales à l’élection présidentielle de décembre 2009 qui obtient 64,2 % des voix. Les élections départementales et municipales organisées en avril 2010 confirment la prédominance du MAS comme unique force politique d’envergure nationale. Cette formation conquiert près de 68 % des mairies (229 sur 337) et parvient à inverser le rapport de force avec l’opposition régionaliste en contrôlant six des neuf gouvernements départementaux. Ces résultats permettent d’asseoir les conditions politiques et institutionnelles propices pour l’application du projet politique du MAS. Cette situation confortable légitime l’approbation accélérée de lois gouvernementales et renforce le présidentialisme. Deux éléments qui engagent le pays dans une période plus stable permise par l’obtention d’un processus décisionnel largement contrôlé par le MAS31. Mais paradoxalement, la victoire du gouvernement d’Evo Morales sur l’opposition a pour conséquence de provoquer des remous dans sa propre formation32.
28Toutefois, le MAS continue sur sa lancée victorieuse et maintient des taux élevés d’approbation populaire lors des élections nationales de 2014 et locales de 2015 (municipales et départementales). À l’occasion des premières, Evo Morales est élu une nouvelle fois à la majorité absolue avec 61 % des voix, devançant de plus de 36 points le second candidat, Samuel Medina de Unidad Demócrata. Le MAS arrive en tête dans huit des neuf départements33, une première, et confirme sa dimension nationale, ce qui le différencie de tous ses adversaires. Il contrôle le Congrès en occupant 25 des 36 sièges du Sénat et 82 des 130 sièges du Parlement. À l’issue des secondes, il conserve 66 % des communes (225 sur 339 gouvernements municipaux) et gouverne toujours six départements34. Malgré ces résultats, le président bolivien s’inquiète de la baisse des pourcentages obtenus par son parti aux dernières échéances électorales. S’il devance encore largement ses adversaires, il n’en reste pas moins que le score obtenu en 2014 est en baisse de trois points par rapport à celui de 2009 et que le nombre de représentants au Congrès stagne, ne permettant pas d’obtenir encore une fois les deux tiers des sièges nécessaires pour promulguer plus facilement les politiques gouvernementales. Les élections municipales et départementales de 2015 ont par ailleurs constitué un avertissement sans frais pour son gouvernement. Si le MAS a réalisé l’exploit de gagner le gouvernement du Beni, un département où ses résultats étaient jusqu’à présent toujours au plus bas, il perd en revanche le département clé de La Paz ravi par un ancien cadre du MAS, Félix Patzi, engagé avec Soberanía y Libertad (Sol Bo). De la même manière, l’ancien bastion d’El Alto échappe au giron du parti du gouvernement, gagné par Soledad Chapetón de Unidad Nacional. Cette tendance à l’effritement hégémonique se poursuit en 2016 quand le gouvernement organise un référendum visant à modifier la Constitution pour supprimer le nombre autorisé de mandats présidentiels successifs (2), ce qui permettrait à Evo Morales de se représenter à l’élection de 2019. Le référendum se solde par un échec cinglant pour ce dernier : 51,30 % des personnes ayant participé à la consultation refusent cette modification de la Constitution et donc une participation d’Evo Morales au prochain scrutin présidentiel. Cette défaite est à l’origine d’une réorganisation de l’opposition qui se mobilise en continu autour de plusieurs plates-formes et groupes citoyens pour faire respecter ce résultat. De son côté, le gouvernement conteste ce vote qui s’est déroulé dans un contexte de campagne calomnieuse au sujet d’un supposé enfant d’Evo Morales. En novembre 2017, le Tribunal constitutionnel, au nom de l’article 23 de la Convention américaine des droits de l’homme, reconnaît le droit à postuler « sans limite » une fonction politique. Puis, en décembre 2018, le Tribunal suprême électoral habilite une nouvelle candidature d’Evo Morales. Ces deux sentences sont fortement contestées par l’opposition, que ce soit dans l’interprétation jugée erronée de l’article 23 ou dans ce qu’elle qualifie d’ingérence gouvernementale.
Tableau no 2. L’évolution des résultats électoraux du MAS (1999-2015)
Élections | Suffrage obtenu | Présence | Présence au Sénat |
Élections de 2002 | 20,94 % | 27 députés sur 136 | 8 sénateurs sur 27 |
Élections de 2005 | 53,74 % | 72 députés sur 130 | 12 sénateurs sur 27 |
Assemblée constituante 2006 | 51,00 % | 137 représentants sur 255 | - |
Référendum révocatoire 2008 | 67,40 % | - | - |
Référendum sur Constitution 2009 | 61,40 % | - | - |
Élections de 2009 | 64,22 % | 88 députés sur 130 | 26 sénateurs sur 36 |
Élections de 2014 | 61,01 % | 82 députés sur 130 | 25 sénateurs sur 36 |
Élections locales | Nombre de mairies |
Municipales 1999 | 9 mairies (311 municipalités) |
Municipales 2004 | 100 mairies (329 municipalités) |
Départementales 2005 | 3 départements sur 9 |
Municipales 2010 | 231 mairies (337 municipalités) |
Départementales 2010 | 6 départements sur 9 |
Municipales de 2015 | 228 maires (337 municipalités) |
Départementales de 2015 | 6 départements sur 9 |
Encadré no 2. Mouvements sociaux et participation politique
Depuis deux décennies, les mouvements autochtones et paysans exercent une influence incontestable sur la vie politique en Bolivie, reléguant le mouvement ouvrier au second plan de la scène sociale. Leurs actions et leurs propositions viennent sans cesse faire concurrence au système de partis. Plusieurs alliances ont ainsi marqué l’histoire politique récente et accompagné le développement hégémonique du Movimiento al Socialismo (MAS) d’Evo Morales.
En 2000, à l’issue de la 3e marche nationale organisée par les organisations autochtones des Basses Terres « en défense des ressources naturelles, des terres et des territoires autochtones » à laquelle participent plusieurs organisations paysannes, se forme le Bloque Oriente composé de la Coordination des peuples ethniques de Santa Cruz, de la Fédération syndicale unique des travailleurs paysans de Santa Cruz Apiagüayki Yumpa, du Mouvement des sans-terre (MST), de la fédération départementale des femmes paysannes Bartolina Sisa et de la fédération départementale des colonisateurs de Santa Cruz.
Lors de la 4e marche nationale autochtone « pour la souveraineté populaire, le territoire et les ressources naturelles » (2002), l’organisation autochtone andine du Conseil national des Ayllus et Markas du Qullasuyu (Conamaq) se joint au Bloque Oriente. Les organisations mobilisées revendiquent l’instauration d’une Assemblée constituante pour répondre à la crise sociopolitique. Cette mobilisation est aussi l’occasion de soutenir la première candidature d’Evo Morales à la présidence de la République.
En 2003, les cocaleros suscitent la création d’un état-major du peuple bolivien (EMPB) pour coordonner les grandes mobilisations intersectorielles qui se préparent contre les politiques du gouvernement de Sánchez de Lozada. Cette coalition rassemble la COB, les centrales ouvrières départementales, la Confédération nationale des enseignants urbains et ruraux, celle des colonisateurs, le MST, l’association des petits prestataires, la CSUTCB, les fédérations populaires de l’Eau, quelques syndicats universitaires et les fédérations de cocaleros.
À l’issue des grands conflits sociaux de 2003, les principales organisations autochtones et paysannes du pays scellent un Pacte d’unité, la plus importante coalition entre ces deux secteurs après plusieurs tentatives depuis 1996. Ce Pacte joue un rôle déterminant dans le processus constituant entre 2006 et 2008. Il est le seul parmi tous les acteurs concernés (organisations sociales, partis, associations, etc.) à présenter un projet de texte constitutionnel complet et détaillé même si des désaccords majeurs internes sont apparus entre paysans et autochtones sur les questions des terres et territoires. Ce projet inspire très largement la version initiale de la Constitution. Par ailleurs, le Pacte d’unité s’est rapproché du MAS et veille à ce que celui-ci respecte et défende sa proposition. Cette relation au parti de gouvernement est à l’origine de polémiques et de tensions entre les organisations paysannes membres de celui-ci et les organisations autochtones plus distantes et critiques. Mais un certain niveau d’autonomie a été maintenu vis-à-vis du pouvoir le temps de l’Assemblée constituante.
Une fois la Constitution adoptée en 2009, le Pacte d’unité se délite progressivement au profit de la Coordination nationale pour le changement (Conalcam) créée en 2007 sous l’égide du MAS et composée du Pacte d’unité, mais aussi des fédérations de mineurs, des paysans sans terre, des organisations de retraités, des syndicats ouvriers, des syndicats des employés du secteur pétrolier et des fédérations des associations d’habitants. La COB s’associe de manière ponctuelle aux actions de cette nouvelle coalition. La Conalcam constitue une sorte de bras intersyndical du MAS devant faciliter la mobilisation rapide des secteurs sociaux pour contrer les actions du Conseil national de défense de la démocratie (Conalde) constitué et piloté par l’opposition politique et régionaliste. Censée veiller aux bonnes orientations du processus de changement et évaluer de manière régulière l’action du gouvernement de Morales, la Conalcam a surtout permis au MAS d’instaurer un système clientéliste reposant sur la concurrence entre ses membres et la distribution de postes aux alliés les plus fidèles. Elle a dans le même temps permis de tempérer les contestations internes émergentes et de contrôler, voire d’écarter les alliés les plus frondeurs. À partir de 2010, les premières inflexions du système masiste se manifestent. Le Pacte d’unité se retire de la Conalcam avant d’imploser en 2013. Cela a pour effet une consolidation des organisations paysannes dans le giron masiste et une marginalisation des organisations autochtones. Ces divisions et réorganisations d’alliances mettent en évidence la nature fluctuante des relations entre les mouvements sociaux et le MAS35.
Les gouvernements du MAS : arrêt sur leurs compositions
29Répondant aux accords d’alliance entre le MAS et les principales organisations sociales et sectorielles du pays durant la campagne électorale, le premier gouvernement d’Evo Morales octroie une large place aux dirigeants syndicaux et sociaux qui assument sept des seize portefeuilles ministériels36. Plusieurs secteurs sociaux sont ainsi représentés dans l’exécutif : les ouvriers de l’industrie manufacturière (fabriles, ministère du Travail), la Fejuve de la ville de El Alto37 (ministère de l’Eau), les paysans (ministère du Développement économique et des Petites entreprises), les cocaleros (un vice-ministre de la Feuille de coca et du Développement intégral), les coopératives minières (ministère des Mines et de la Métallurgie) et les travailleurs indépendants (gremiales, ministère de la Justice). Un vice-ministère de Coordination avec les mouvements sociaux et la société civile est créé pour tenter de maintenir une relation continue entre la tête de l’État et la base du MAS.
30Malgré les liens étroits qui lient Evo Morales et la CSUTCB, aucun dirigeant de la Confédération syndicale paysanne n’entre dans l’un de ses gouvernements. Les seuls représentants paysans à occuper des postes ministériels sont des femmes du syndicat Bartolina Sisa (Celinda Sosa au Développement économique et à la petite entreprise, Celima Torrico et Nilda Copa au ministère de la Justice, Julia Ramos et Nemesia Achacollo au ministère du Développement rural). La représentation des deux principales organisations autochtones du pays reste, quant à elle, marginale au regard du discours indigéniste développé par le gouvernement. Seuls deux membres du Conamaq sont nommés secrétaires d’État (vice ministerios) entre 2006 et 201238. La Confédération indigène de Bolivie (Cidob) n’a assumé, à ce jour, aucune fonction gouvernementale depuis l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales. Au sein de l’exécutif, l’indianité ou l’autochtonie est principalement incarnée par le président lui-même. Au cours de la première mandature, certains ministres comme David Choquehuanca (intellectuel et responsable d’une ONG), Casimira Rodríguez (travailleuse domestique) et Félix Patzi (sociologue) sont présentés par le MAS comme « autochtones » sans qu’aucun ne soit, pour autant, issu d’une organisation se revendiquant comme telle. Par la suite, Morales et Choquehuanca deviendront au fil des mandats les garants officiels d’une représentation gouvernementale des peuples autochtones.
31Aux côtés des représentants sociaux et des membres du MAS, on compte au sein des gouvernements successifs de Morales des « invités » : des sympathisants de gauche issus des milieux urbains et des classes moyennes, ainsi que des anciens « compagnons de route » des organisations sociales39. L’expérience électorale de 2002 conduit en effet le MAS à adopter une stratégie de conquête de nouveaux espaces de pouvoir, notamment vers les villes avec les militants profesionales des ONG, intellectuels de gauche et intellectuels aymaras, non intégrés à la structure paysanne syndicale, mais qui parviennent peu à peu à occuper des postes importants au sein du MAS afin de former une « alliance entre la conscience sociale et la connaissance intellectuelle40 ». D’abord politique, au nom de la solidarité avec le monde paysan ou par militantisme, l’engagement devient dans de nombreux cas, après 2002 et les premières victoires électorales, une stratégie d’obtention d’emploi à travers l’adhésion à un réseau clientéliste41. Leur absence de légitimité auprès des organisations sociales les contraint de plus à une forte relation de dépendance envers Evo Morales, tant pour se maintenir au sein du gouvernement que pour poursuivre leur carrière politique42. Cette rétribution de l’engagement est d’autant plus importante dans la culture politique bolivienne que l’accès aux postes étatiques a souvent constitué l’une des rares possibilités d’ascension sociale43, que ce soit aussi bien pour les anciennes classes moyennes que pour les nouveaux dirigeants d’organisation sociale qui sont parvenus à occuper des responsabilités politiques depuis les années 199044.
32La forte participation des organisations sociales au sein du gouvernement n’a pas apporté la stabilité souhaitée, notamment dans le contexte très conflictuel de l’Assemblée constituante. Ainsi, le président Morales n’a pas hésité à changer ses collaborateurs chaque année et quatre changements massifs ont été répertoriés entre 2005 et 2009, portant leur nombre total à 51 sur cette période45. Les raisons de ces changements sont diverses. Plusieurs mandataires ont dû abandonner leurs responsabilités pour raison de santé. D’autres ont été limogés sous la pression des mouvements sociaux insatisfaits de leur mode de fonctionnement ou d’action. D’autres encore furent destitués à la suite d’erreurs de gestion administrative ou politique, mais aussi d’actes avérés de corruption à l’origine de plusieurs scandales46 qui ont entaché la crédibilité du discours gouvernemental sur les principes éthiques et moraux de la gouvernance. Ce dernier point montre que le gouvernement du MAS n’est pas parvenu à endiguer totalement certaines dérives politiques malgré la création, en 2009, du ministère de la Transparence institutionnelle et de la Lutte contre la corruption, dirigé par deux avocates, Nardy Suxo Iturry (2009-2015), puis Lenny Tatiana Valdivia Bautista (2015-2017) jusqu’à ce que ce ministère soit rattaché à celui de la Justice en 2017.
33En 2014, le journal Pagina Siete relevait dans un article daté du 26 octobre que 22 des 56 ex-ministres de Morales maintenaient de hautes fonctions, que ce soit au sein de l’exécutif (douze, dont Alfredo Rada de ministre du Gouvernement à vice-ministre de la Coordination avec les mouvements sociaux, ou Noël Aguirre de ministre du Développement à vice-ministre de l’Éducation alternative), dans des entreprises publiques (Carlos Villegas à Yacimientos Petroliferos Fiscales Bolivianos [YPFB], Oscar Coca à Entel, Walter Delgadillo, membre de la direction d’Entel), au sein d’unités décentralisées ou dans les services diplomatiques (Magdalena Cajías, Chili ; Jorge Tapia Sainz, Argentine ; Felipe Quispe Quenta, Chili ; Sacha Llorenti, ONU). D’autres, au contraire, ont rejoint les rangs de l’opposition, tel l’ancien militant du parti communiste et vice-ministre des Terres Alejandro Almaraz.
34Les grands perdants de ces remaniements ministériels sont les leaders des mouvements sociaux. En 2010, on ne compte plus que deux ministres paysans, un artisan et un ouvrier47, alors qu’ils étaient sept dans la première gestion et que le nombre de ministères passe dans le même temps de seize à vingt48. Cette diminution de la présence des mouvements sociaux est à contre-courant de la nouvelle Constitution de 2009 ordonnant la désignation des ministres selon le caractère plurinational de l’État et l’équité de genre. Sur les vingt ministres, on ne compte ainsi que quatre autochtones (dont trois femmes), soit 14 % du total : David Choquehuanca, Nilda Copa, Nemesia Achacollo et Antonia Rodríguez49. Le nouveau gouvernement de 2015 tend à confirmer cette diminution du nombre de représentants des organisations sociales. La seule figure autochtone du gouvernement reste David Choquehuanca, après que Nemesia Achacollo a été démise de ses fonctions à la suite du scandale de corruption au sein du Fondioc.
35Le ministère des Terres et surtout celui de la Mine et de la Métallurgie sont au cœur de tensions entre organisations sociales. Dans ce dernier, l’alternance entre ministres issus du secteur des coopératives et du syndicalisme ouvrier reflète les tensions au sein de ce secteur économique comme nous le relèverons par la suite. Cette alternance se termine avec l’arrivée d’un technicien-ingénieur, sans plus de réussite. Il est destitué à la suite d’un scandale de contrats anticonstitutionnels entre coopératives et multinationales et remplacé par un politicien à l’expérience plus ancienne et plus générale. Le ministère de la Justice — qui est celui qui a connu le plus de changements de ministres — connaît le même processus de technicisation de la fonction de ministre. Alors qu’il avait été confié à des femmes issues des mouvements sociaux depuis 2006, à partir de 2012 il passe entre les mains d’avocates spécialisées, avant de revenir à une avocate assesseure des mouvements sociaux en 201550.
36En ce qui concerne la parité, le second gouvernement Morales marque un fait historique. Tandis que quatre femmes seulement étaient présentes au sein du premier cabinet gouvernemental, avec le second mandat de 2010 — ouvert à vingt ministres — la parité est atteinte pour la première fois dans l’histoire bolivienne51. On note cependant une féminisation de certaines fonctions. Ainsi, les ministères de la Justice et de la Transparence institutionnelle et lutte contre la corruption ont été exclusivement occupés par des femmes, et celui de la Santé en grande majorité par une ministre, renvoyant par là même à une image féminine la bonne gestion démocratique des institutions. Le fait de nommer exclusivement des femmes comme représentantes des secteurs paysans peut également être questionné et perçu comme une volonté de domination symbolique patriarcale d’Evo Morales sur les bases qu’ils représentent52. Lors du troisième mandat de 2015, la parité atteinte en 2010 est cependant remise en cause, avec la présence de sept femmes sur un total de vingt et un ministres.
37Tout au long des trois mandats d’Evo Morales, le poids des « invités » se fait toujours plus important, avec notamment la nomination d’un nombre croissant d’avocats. Alors qu’ils n’étaient que sept lors du premier mandat, on en compte dix lors des deuxième et troisième mandats, dont Carlos Romero qui occupe plusieurs postes successifs depuis 2006. En nombre d’importance au sein du gouvernement, ils sont suivis par les professionnels en sciences sociales, que ce soient des sociologues/anthropologues (huit, dont Félix Patzi, Juan Ramon Quintana, Alfredo Rada, René Gonzalez, Orellana Halkyer), politologues (six, dont Maria Cecilia Chacon, Rubén Aldo Saavedra Soto, Pablo Groux) ou une historienne (Magdalena Cajías). On compte également la présence de six économistes, parmi les membres les plus influents du gouvernement et occupant les postes stratégiques (Luis Arce au Budget, Alfredo Rada au Gouvernement et Carlos Villegas au Développement puis à YPFB).
38Les hommes forts du gouvernement sont en effet ces « invités », parfois proches des organisations sociales, mais qui permettent à Evo Morales de valoriser leurs savoirs « techniques » acquis au sein des ONG, au détriment des savoirs « organiques » et « traditionnels » des leaders sociaux53. De nombreuses figures « invitées » apparaissent ainsi peu à peu comme les hommes clés du gouvernement et sont envoyées de ministère en ministère selon les pressions sociales et enjeux du moment. Parmi elles, notons en priorité la présence d’anciens leaders de gauche (Delgadillo, Rada, Arce), de responsables d’ONG (Romero, Choquehuanca) et celle d’un seul militant historique du MAS (Coca). Ces invités occupent de manière continue le ministère de la Présidence.
39Parmi les hommes forts figure Carlos Romero. Ancien directeur du Centre d’études juridiques et de recherche sociale (Cejis), puis membre de l’Assemblée constituante à Santa Cruz (2006-2007), il occupe successivement les plus hautes responsabilités aux ministères du Développement rural et de l’Environnement (2008-2009), des Autonomies (2009-2010), de la Présidence (2011-2012), puis du Gouvernement (2012-2014). En 2014, il devient sénateur à Santa Cruz avant de revenir au ministère du Gouvernement en 2015. De son côté, Juan Ramón Quintana a occupé à deux reprises le poste de ministre de la Présidence (2006-2010 et 2012-2015), alors qu’entre 2010 et 2011, il est nommé directeur exécutif de l’Agence pour le développement des macrorégions et zones frontalières. Ancien militaire, diplômé en sciences politiques (chercheur au Programme de recherche stratégique de Bolivie — Pieb), Juan Ramón Quintana fut également assesseur du ministre de la Défense du gouvernement d’Hugo Banzer (1999-2002) avant de devenir l’une des pièces centrales du gouvernement Morales. Accusé d’être impliqué dans le convoi de trente-trois camions de contrebande, il fut cependant excusé par une commission multipartiste54. Autre homme fort du gouvernement Morales, Wálter Juvenal Delgadillo Terceros est la figure de l’ancien militant de gauche aujourd’hui proche d’Evo Morales. Fondateur du Movimiento de Izquierda Revolucionaria (MIR, de tendance marxiste à ses origines) qu’il a dirigé, ancien haut responsable de la COB, ancien ministre sous le gouvernement de l’UDP (1982) et ancien candidat à la vice-présidence de la Gauche unie, Walter Delgadillo a également été technicien de la coopération allemande en Bolivie (Padep/GTZ). Il occupe différents postes de ministre (Travail, 2007-2008 ; Services et travaux publics, 2008-2012) avant de s’écarter du gouvernement pour des raisons de santé.
40Enfin, deux ministres se sont maintenus à leur fonction pendant les dix années de gouvernement d’Evo Morales. Le premier est avec Evo Morales la figure autochtone du gouvernement, David Choquehuanca. D’origine aymara, il est spécialisé dans le droit des peuples autochtones et est un ancien responsable de l’ONG de formation de leaders NINA. Ministre des Affaires étrangères (Chancellerie) depuis 2006, il est la pièce centrale de l’image autochtone sur la scène internationale avant de quitter le gouvernement en janvier 2017. Son ministère a publié de nombreux discours d’Evo Morales autour de cette thématique et de l’écologie (« bien vivre », loi de la Terre-Mère, etc.). Le second est économiste et l’un des principaux penseurs de l’économie plurielle, Luís Alberto Arce Catacora. Diplômé en sciences économiques et ancien fonctionnaire de la Banque centrale de Bolivie (1987-2006), il fait partie des technocrates proches du vice-président Álvaro García Linera. Malgré sa position au sein du gouvernement et son rôle dans la stabilité économique du pays, il fut contesté par de nombreux secteurs sociaux pour certaines de ses politiques, notamment à la suite du « gasolinazo », un important mouvement populaire contre la fin des subventions sur l’essence en décembre 2010.
41Une ONG mérite ici une attention particulière : le Cejis55. Depuis plus de trente ans, cette ONG, basée à Santa Cruz, est à la pointe de la lutte pour la reconnaissance des peuples autochtones des Basses Terres, en soutenant leurs organisations dans leurs revendications et en leur offrant un appui technique. Le vice-président Álvaro Garciá Linera fut lui-même président du directoire de l’Assemblée des associés de cette ONG. Six anciens membres du Cejis ont occupé des fonctions de ministre56 : Carlos Romero, Alfredo Rada (Gouvernement), Hugo Salvatierra (Développement rural), Guillermo Dalence (Mine), Susana Rivero (Développement rural) et Alejandro Almaraz (vice-ministre des Terres).
42Malgré les apparences, l’hégémonie politique du MAS peut, à certains égards, sembler précaire. La complexité des relations internes à ce mouvement politique constitue un facteur potentiel d’instabilité propre et endogène pour cette formation politique. En conséquence, l’élément de cohésion n’est pas l’idéologie, mais l’instrument politique comme forme d’accès au pouvoir57. Face à cette pression interne, le MAS pourrait se transformer progressivement en parti « traditionnel » en reproduisant les vieux schémas clientélistes de pouvoir58. Au-delà du leadership charismatique du président Morales, il se constitue un processus d’« oligarquisation », c’est-à-dire la création d’une élite partisane chargée de prendre les décisions et en situation de monopole sur les ressources, les informations et les réseaux sociaux59.
43De plus, les postes de ministres acquis par les organisations sociales ne sont pas le fruit d’une consultation de leurs bases ou d’une élection interne à celles-ci. Ils sont le plus souvent « offerts » par le président Morales qui sollicite directement ces dirigeants, comme une première entame du réseau clientéliste qui se développe peu à peu. Le MAS poursuit également sa conquête du monde rural en formant des cadres politiques dans les différentes régions du pays et en pratiquant l’entrisme auprès de certaines organisations paysannes locales, ce qui n’est pas sans créer des tensions dans plusieurs régions60. Ces tensions se répercutent aussi bien entre les organisations sociales et l’exécutif, qu’entre celles-ci et « leurs » députés des assemblées législative et constituante auxquels il est reproché de répondre d’avantage aux consignes du gouvernement qu’à celles des bases sociales qu’ils représentent.
Notes de bas de page
1 J.-P. Lavaud, « Indianisme et écologie dans les pays andins : dispositif légal, discours officiels et mobilisations », Problèmes d’Amérique latine, no 76, 2010/2, p. 95-117.
2 L’Unité démocratique et populaire était une coalition de 4 formations politiques dites « de gauche » : le Movimiento Nacionalista Revolucionario de Izquierda (MNR), le Movimiento de Izquierda Revolucionaria (MIR), le Partido Revolucionario de la Izquierda Revolucionaria (Prin) et le Partido Comunista de Bolivia (PCB).
3 L. Lacroix, « Changements de modèles, changements d’acteurs (1982-2005) », in D. Rolland et J. Chassin (dir.), Pour comprendre la Bolivie d’Evo Morales, Paris, L’Harmattan, 2007.
4 F. Gamboa Rocabado, « Cómo las políticas sociales se someten al ajuste liberal », T’inkazos, no 4, 1999, p. 121-153.
5 R. Calla Ortega, « Hallu hayllisa huti: identificación étnica y procesos políticos en Bolivia », in I. De Gregori (dir.), Democracia, etnicidad y violencia, Lima, Ifea/IEP, 1993.
6 J. Komadina et C. Geoffroy, El poder del movimiento político: estrategia, tramas organizativas e identidad del MAS en Cochabamba (1999-2005), Cochabamba, UMSS, 2007.
7 La CSUTCB, la Confédération syndicale des colonisateurs de Bolivie (CSCB), la Confédération nationale des femmes paysannes de Bolivie-Bartolina Sisa (FNMCB-BS) et la Confédération indigène de Bolivie (Confederación Indígena de Bolivia – Cidob).
8 Le « pongueaje » est un ensemble d’obligations dont les paysans indiens étaient redevables aux propriétaires terriens (hacendados). Ces tâches étaient récurrentes et concernaient essentiellement des travaux domestiques. Par « pongueaje » politique, on évoque l’utilisation des paysans par les partis pendant les campagnes électorales.
9 H. Do Alto, « El MAS-IPSP, entre movimiento social y partido político », Análisis Político, no 62, 2008, p. 25-43.
10 La Cidob est fondée en 1982 pour devenir l’organisation représentative des peuples autochtones des Basses Terres. Elle est à l’origine de plusieurs marches pour la défense des territoires autochtones et de propositions politiques novatrices qui ont marqué la vie politique bolivienne. L. Lacroix, « La participation de la Confédération indigène de Bolivie à la vie politique nationale bolivienne (1982-2010) », Civilisations, vol. 60, no 1, 2011b, p. 103-119.
11 M. Zuazo, « ¿Los movimientos sociales en el poder? El gobierno del MAS en Bolivia », Nueva Sociedad, no 227, 2010, p. 120-135.
12 R. E. Mayorga, « La crisis del sistema de partidos políticos en Bolivia : causas y consecuencias », Cuaderno del Cendes, no 57, 2004, p. 83-114.
13 Ce gouvernement est le résultat d’une coalition électorale qui a surpris le monde bolivien entre le parti libéral Movimiento Nacionalista Revolucionario (MNR) et le parti indianiste Movimiento Revolucionario Tupac Katari de Liberación (MRTKL) dont le principal dirigeant, Victor Hugo Cárdenas, assume les fonctions de vice-président de la République entre 1993 et 1997.
14 J. Blanes, Mallkus y Alcaldes, La Paz, Pieb, 2000 ; A. M. Lema, De la Huella al impacto: la participación popular en municipios con población indígena, La Paz, Pieb, 2001.
15 A. Quispe, Indios contra indios, La Paz, Nuevo Siglo, 2003.
16 J. Komadina et C. Geffroy, El poder del movimiento político, op. cit.
17 A. Quispe, Indios contra indios, op. cit.
18 La Falange Socialista Boliviana est une formation politique fondée en 1937 développant une idéologie principalement nationaliste et souverainiste. Initialement inspirée par des thèses fascistes, elle regroupe des mouvances d’obédiences diverses, voire opposées, animées par un anticommunisme profond. En 1987 s’opère une scission historique entre d’un côté la phalange de droite et d’extrême droite qui conserve le sigle et de l’autre la phalange de gauche qui créera la même année le Movimiento al Socialismo-Unzaguista.
19 La loi de participation populaire (1994) a permis de municipaliser le pays en créant plus de 300 gouvernements municipaux soumis aux règles de la démocratie représentative, alors qu’auparavant seules les 24 métropoles du pays reconnues par l’État central étaient dotées de tels gouvernements. Cette loi a ainsi permis la démocratisation des collectivités locales par l’instauration généralisée de gouvernements municipaux élus démocratiquement.
20 M. Zuazo, ¿Cómo nació el MAS?: la ruralización de la política en Bolivia, La Paz, Friedrich Ebert Stiftung, 2009.
21 J. Komadina et C. Geffroy, El poder del movimiento político, op. cit.
22 La « guerre de l’eau » fait référence aux mobilisations populaires contre la privatisation de la gestion de l’eau à Cochabamba et la forte augmentation du coût de celle-ci par l’entreprise Aguas del Tunari, filiale de la compagnie nord-américaine Bechtel. Cette mobilisation, qui amorce le cycle de contestation des années 2000-2005, se termine par l’annulation du contrat de concession accordé à l’entreprise. Pour en savoir plus, voir : F. Poupeau, « La guerre de l’eau : Cochabamba, Bolivie, 1999-2001 », Agone, no 26-27, 2002, p. 133-140 ; T. Perreault, « From the Guerra Del Agua to the Guerra Del Gas: Resource Governance, Neoliberalism and Popular Protest in Bolivia », Antipode, no 38, 2006, p. 150-172.
23 Selon la procédure établie à l’époque par la Constitution (art. 90) et le Code électoral, c’est le Congrès qui désigne par son vote l’un des deux candidats en ballottage à l’issue du premier tour organisé au suffrage universel. Résultat en 2002 : Sánchez de Lozada, 84 voix ; Evo Morales, 43 voix ; votes blancs, 2 ; votes nuls, 26.
24 Sources : D. Rolland, « Evo Morales, éléments bibliographiques », in D. Rolland et J. Chassin (dir.), Pour comprendre la Bolivie d’Evo Morales, Paris, L’Harmattan, 2007 ; M. Sivak, Evo : portrait au quotidien du premier président indigène de la Bolivie, Paris, Le jouet enragé, 2010.
25 Paysans andins ayant migré pour s’installer dans une autre région que celle dont ils sont originaires, généralement dans les Basses Terres.
26 Principalement composé de la COB et des centrales ouvrières départementales ; des Confédérations nationales des maîtres urbains et ruraux, des colonisateurs, du Mouvement sans-terre ; des fédérations des cocaleros, des travailleurs paysans, des coopératives d’irrigation, des prestataires de services, des universitaires. Les principales organisations autochtones rejoignent ultérieurement cette coalition multisectorielle. L’un des grands absents est le secteur paysan de Felipe Quispe de la CSUTCB.
27 La COB est le syndicat ouvrier historique, qui réunit les différentes branches des travailleurs de Bolivie, et joue un rôle de premier plan dans la contestation sociale jusqu’à être remplacé progressivement par les organisations paysannes et autochtones au cours des années 1980 (voir p. 279 de la partie 3).
28 Depuis l’instauration de la République en 1825, les autorités supérieures départementales étaient les préfets, représentants directs de l’État central. Le terme de préfet est maintenu jusqu’à la Constitution de 2009 qui lui substituera celui de gouverneur.
29 Celle-ci est rejetée dans les départements andins de Cochabamba, de Chuquisaca, de La Paz, d’Oruro et de Potosí.
30 M. T. Zegada, Y. Tórrez et G. Cámara, Movimientos sociales en tiempos de poder: articulaciones y campos de conflicto en el gobierno del MAS, La Paz, Plural/Centro Cuarto Intermedio, 2008.
31 F. Mayorga, Dilemas, op. cit.
32 Voir partie 3.
33 Le Beni est le seul département où le MAS n’arrive pas en tête mais second avec 41,49 % des voix, derrière Unidad Demócrata qui obtient 51,44 % des voix. Pour la première fois, le MAS arrive en tête dans les départements de Santa Cruz (48,99 %) et du Pando (52,09 %).
34 Dans les trois autres départements, ceux de La Paz, de Santa Cruz et de Tarija, le MAS constitue la seconde force politique.
35 Sources : F. Garcès (dir.), El Pacto de Unidad y el Proceso de construcción de una Propuesta de Constitución Política del Estado: sistematización de la experiencia, La Paz, Programa Nina, 2010 ; L. Lacroix, « Bolivie : refondation du modèle politique national et tensions politiques », in Observatoire des changements en Amérique latine, Amérique latine 2006, Paris, La documentation française, 2006b ; F. Mayorga, Dilemas, op. cit. ; M. T. Zegada, C. Arce, G. Canedo et A. Quispe, La democracia desde los márgenes: transformaciones en el campo político boliviano, La Paz, Clacso/Muela del Diablo, 2011 ; M. del Pilar Valencia Garciá et I. Egido Zurita, Los pueblos indígenas de Tierras Bajas en el proceso constituyente boliviano, Santa Cruz de la Sierra, Cejis-Iwgia, 2010.
36 M. T. Zegada, C. Arce, G. Canedo et A. Quispe, La democracia desde los márgenes, op. cit.
37 La Fejuve est la Fédération des juntes vicinales (Fédéración de Juntas Vecinales). Celle d’El Alto reste influente du fait de sa participation à la « guerre du gaz » en 2003.
38 Valentin Ticona Colque, en charge de la justice communautaire entre 2006 et 2010, puis nommé vice-ministre des Terres en 2016 ; Gregorio Aro, en charge de l’autonomie indigène originaire paysanne de 2009 à 2012.
39 H. Do Alto, « Un parti paysan dans la ville en Bolivie : le Mouvement vers le socialisme (MAS) à La Paz (2005-2010) », Revue d’études en agriculture et environnement, vol. 92, no 4, 2011, p. 389-416.
40 H. Do Alto, « El MAS-IPSP, entre movimiento social y partido político », op. cit.
41 H. Do Alto, « Un parti paysan dans la ville en Bolivie », op. cit.
42 M. Zuazo, « ¿Los movimientos sociales en el poder? », op. cit.
43 B. Fornillo et M. Schiavi, « Sindicatos campesinos y poder estatal en la Bolivia evista (2005-2010) », Amérique latine, histoire et mémoire : Les Cahiers ALHIM [en ligne], no 26, 2013. Disponible sur http://alhim.revues.org/4819.
44 C. Le Gouill, « Les savoirs du poncho et de la cravate : formations politiques et émergence des leaders indigènes en Bolivie », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, no 14, 2015, p. 265-286.
45 B. Fornillo et M. Schiavi, « Sindicatos campesinos », op. cit.
46 Parmi les cas les plus emblématiques de corruption au sein du gouvernement, notons ceux de Wilfredo Chavez, ministre du Gouvernement en 2011-2012 ; Saul Avalos, ministre des Hydrocarbures en 2008 impliqué dans le scandale de corruption au sein d’YPFB (2009) ; Hugo Salvatierra suspecté de corruption lorsqu’il était ministre du Développement rural et agricole (2006-2007) ; Cecilia Rocabado, ministre de la Défense légale de l’État ; Félix Rojas, ministre du Travail, 2011 ; Nemesia Achacollo Tola, ancienne dirigeante syndicale paysanne ministre du Développement rural et des terres entre 2010 et 2015, impliquée avec de nombreux autres dirigeants paysans autochtones dans une vaste affaire de corruption et de détournement de fonds au sein du Fonds de développement pour les peuples indigènes originaires et communautés paysannes (Fondioc).
47 M. T. Zegada, C. Arce, G. Canedo et A. Quispe, La democracia desde los márgenes, op. cit.
48 Les nouveaux ministères sont ceux de l’Environnement et de l’Eau, des Autonomies, des Cultures et de la Transparence institutionnelle et de la Lutte contre la corruption.
49 V. H. Cárdenas, « Participación Política Indígena y Políticas Públicas », in K. Adenauer Stiftung (dir.), Participación Política Indígena y Políticas Públicas para Pueblos Indígenas en América Latina, La Paz, Fundación Konrad Adenauer, Programa Regional de Participación Política Indígena, 2011.
50 En 2017, ce poste est occupé par Hector Enrique Arce Zaconeta, ancien député du MAS et procureur général.
51 La présence des femmes à des fonctions politiques est également en augmentation à tous les échelons de la vie politique bolivienne, même si la parité n’est jamais atteinte. Alors qu’en 2002 les femmes ne représentaient que 18 % des députés et 15 % des sénateurs, elles représentent 35 % des assembléistes durant l’Assemblée constituante, 47 % des sénateurs et moins de 33 % des députés en 2009, voir F. Mayorga, « Movimientos sociales y participación política en Bolivia », in I. Cheresky, Ciudadanía y legitimidad democrática en América Latina, Buenos Aires, Prometeo, 2011b.
52 Certains propos « machistes » du président Morales envers les représentantes des Bartolina Sisa ont ainsi été dénoncés par les collectifs féministes et dans la presse par de nombreux observateurs.
53 C. Le Gouill, « Les savoirs du poncho et de la cravate », op. cit.
54 Juan Ramón Quintana quitte le gouvernement en janvier 2017.
55 Sous la présidence Morales, le bureau du Cejis est attaqué à plusieurs reprises par l’opposition régionale de Santa Cruz, avant que l’ONG ne rentre en opposition avec le gouvernement à la suite de différends au sujet de sa politique envers les peuples autochtones.
56 B. Fornillo et M. Schiavi, « Sindicatos campesinos », op. cit.
57 M. T. Zegada, C. Arce, G. Canedo et A. Quispe, La democracia desde los márgenes, op. cit.
58 F. Mayorga, « Movimientos sociales y participación política en Bolivia », op. cit.
59 M. Zuazo, « ¿Los movimientos sociales en el poder? », op. cit.
60 C. Le Gouill, « L’ethnicisation des luttes pour le pouvoir local en Bolivie : la conquête du monde rural dans le Nord Potosí », Revue d’étude en agriculture et environnement, vol. 92, no 4, 2011, p. 363-387.
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