Conclusion
p. 321-325
Texte intégral
1Très imparfaitement, l’analyse du développement énergétique et de l’industrialisation au Brésil débouche sur les trois groupes d’enseignements évoqués dans l’introduction de cette étude. L’un d’entre eux, rappelons-le, portait sur la contribution du secteur énergétique à la restructuration de l’ensemble. Ce problème mérite d’être repris si l’on souhaite clore l’analyse sur les voies qui s’offrent au planificateur pour construire le développement énergétique futur. Celui-ci ne peut l’être qu’en fonction d’objectifs liés à un projet d’industrialisation explicite. L’expérience passée permet-elle d’esquisser les grandes lignes de cette liaison ? Sans doute bien des points demeurent-ils obscurs et les quelques enseignements que nous avons pu réunir s’apparentent-ils plus à des hypothèses de travail qu’à des conclusions définitives. En dépit de leur fragilité, ils peuvent être utilisés tout au moins sous la forme de questions que l’on ne saurait éluder.
2C’est moins par la croissance indifférenciée de son produit que par une série d’effets indirects et induits liés à la dimension et au statut public de ses unités que le secteur énergétique — plus particulièrement les branches du pétrole et de l’électricité — a joué un rôle important dans la croissance industrielle du Brésil au cours de la dernière décennie. Jonction, en aval, du charbon et de l’électricité avec la sidérurgie et la métallurgie, du pétrole avec l’industrie des matières plastiques, des engrais et du caoutchouc ; entraînement, en amont, des industries métallurgiques, mécaniques et électriques. Le secteur de l’énergie se trouve ainsi placé au centre de cet ensemble d’industries dont nous avons souligné la rapide croissance (growth industries) et dont on peut penser qu’elles ont exercé de forts effets sur la productivité d’autres secteurs (industries industrialisantes). Qu’une telle action n’ait pas été maximale, cela n’est que trop certain et l’on peut recenser quelques-unes des nombreuses déperditions liées aux structures de l’économie brésilienne durant cette période : projets abandonnés ou partiellement exécutés ; achat à l’extérieur de biens d’équipement dont la fabrication nationale n’était pas impossible ; concentration des nouvelles unités dans le Centre-Sud sans aménagement des propagations vers les autres régions..., etc. L’on retrouve, par ce biais, toutes les limites du « modèle » brésilien d’industrialisation mais ces dernières ne doivent pas masquer le rôle joué par un secteur qui, à travers d’inévitables tâtonnements, se réorganise autour de grandes firmes publiques ou semi-publiques, élabore un embryon de planification, mobilise des fonds qui ne seraient pas forcément utilisés à des fins productives, implante des unités dont la dimension et le caractère novateur supposent des macro-décisions et un horizon long.
3Ces caractéristiques permettent de penser que les composantes les plus dynamiques du secteur énergétique brésilien, non seulement sont appelées à jouer un rôle de premier plan dans la poursuite de l’industrialisation, mais disposent des moyens nécessaires pour contribuer à sa généralisation hors des zones où elle se cantonne actuellement. Une telle action porte moins sur la croissance globale de la consommation et de la production1 que sur la façon d’assurer, à partir du secteur énergétique, les effets d’entraînement maximum sur le reste de l’économie. Cet objectif s’impose d’autant plus que les ressources énergétiques disponibles demeurent limitées malgré les résultats atteints au cours de la dernière décennie.
4La voie la plus fréquemment explorée dans ce sens est celle de la diminution du prix de l’énergie rendue à l’usager. Une telle baisse devrait entraîner chez les consommateurs une série de réactions positives qui se répercuteraient de proche en proche en prenant la forme d’achats de machines, d’élévation de productivité et de baisse progressive des prix réels. Cette voie, nous semble-t-il, est non seulement erronée mais peut aboutir, dans un pays en voie d’industrialisation, à des résultats inverses de ceux escomptés.
5La relation de cause à effet entre l’abaissement du prix de l’énergie et la croissance des industries est, tout d’abord, incertaine. Même lorsque le champ d’investigation couvre des expériences multiples et variées, aucune corrélation statistique n’est observable2. Analytiquement, le phénomène s’explique : hors quelques usages sur lesquels nous reviendrons plus loin, l’énergie n’entre que pour une faible part dans la structure des coûts industriels3. Dès lors, une variation du prix réel qui ne peut être que faible a peu de chance d’entraîner les réactions positives que nous évoquions plus haut. Ce qui est vrai dans un pays industrialisé a des chances plus grandes encore de l’être dans un pays en voie d’industrialisation où les prix n’ont que des liens très lâches avec les coûts de production4 et où l’on sait que de toute façon les réactions primaires ne se propagent peu ou pas parce que les industries et les marchés sont mal reliés du fait des déficiences de l’infrastructure et de l’inorganisation des communications.
6Quand bien même d’ailleurs l’abaissement du prix de l’énergie aboutirait aux résultats escomptés, il ne constituerait probablement pas l’effet d’entraînement maximum dans une économie en voie d’industrialisation. Le but à poursuivre en effet n’est pas tant de développer ce qui existe déjà que de faire surgir des industries dans les secteurs et les régions qui en manquent. Or, à quoi conduirait un abaissement progressif et généralisé du prix de l’énergie sinon à favoriser sans discrimination les usagers qui ont la possibilité d’en consommer, c’est-à-dire certains secteurs, certaines régions et certains groupes sociaux qui se partagent déjà l’essentiel du revenu national ? Quant à attendre de l’abaissement du prix de l’énergie — et de lui seul — la création spontanée d’industries industrialisantes dans les régions les plus retardées, il ne faut guère y compter. Sans doute l’énergie constitue-t-elle une fraction importante des coûts de ce type d’industrie, mais l’on sait aussi que leur implantation se heurte à des obstacles d’une toute autre nature.
7Ajoutons enfin d’un point de vue opérationnel que les prix d’une entreprise ou d’une branche de production sont de mauvais guides pour une politique d’industrialisation parce que même lorsqu’ils sont correctement calculés et connus, ils émanent de comptabilités fausses5. L’entrepreneur, privé ou public, n’enregistre qu’une partie des coûts que son activité fait supporter à la collectivité, si bien qu’une baisse du prix de l’énergie pratiquée par un producteur peut, en fait, être accompagnée d’une élévation de son coût social6. Comme précédemment, cette analyse critique de la signification du prix, valable pour les pays industrialisés, l’est à fortiori pour l’économie brésilienne victime à la fois d’effets de domination externe puissants et de distorsions internes profondes.
8La recherche d’une maximation des effets d’entraînement du secteur énergétique n’implique cependant pas que l’on néglige le prix de l’énergie mais qu’on le replace dans l’ensemble des autres actions qui, pour ne pas être les plus visibles, n’en sont pas moins effectives. Parmi elles, nous privilégions celles qui sont susceptibles de s’exercer sur les industries qui fabriquent des machines et des semi-produits car ces industries peuvent, par leur produit, élever la productivité de l’agriculture, des activités secondaires semi-artisanales et des services contribuant ainsi à résorber les distorsions qui entravent actuellement l’industrialisation brésilienne. Développer l’électrification rurale ou approvisionner le Nordeste en produits pétroliers n’ont en effet de sens que si, parallèlement, l’industrie brésilienne est capable de fournir en quantité le second terme du couple énergie-machine. Une telle analyse conduit ainsi à construire le développement énergétique futur en fonction d’un double groupe d’effets potentiels.
9En aval, l’objectif peut être de rechercher, par priorité, le couplage de toute disponibilité additionnelle d’énergie avec les techniques les plus novatrices dans les domaines de la sidérurgie, de la métallurgie, de la pétro ou carbochimie, et l’implantation des unités qui en résultent dans les régions du pays qui n’ont encore été que faiblement atteintes par l’industrialisation7. La réduction directe du minerai de fer par les hydrocarbures et la sidérurgie électrique, la mise en œuvre des procédés pétrochimiques les plus modernes, sont quelques-unes de ces innovations majeures qui, en raccourcissant les processus techniques, peuvent élever sensiblement l'efficacité de l’accumulation et abaisser le taux de dépendance de l’économie brésilienne.
10En amont, ce sont les effets de dimension et d’innovation des investissements énergétiques qui doivent être maximisés. L’industrie brésilienne de biens d’équipement a déjà atteint un niveau de développement suffisant pour que l’on puisse en attendre des réactions positives à toute impulsion prenant la forme d’un débouché nouveau ou d’une innovation technologique. Par sa dimension, son statut partiellement public et son souci d’innover dans certains domaines8, le secteur énergétique peut entraîner la croissance d’un groupe d’industries de grande taille et de niveau technique élevé dont les répercussions s’étendront à de nombreuses branches d’industries utilisant des équipements similaires.
11Cette double jonction ne constitue que l’amorce — mais l’amorce indispensable — des effets d’entraînement potentiels du développement énergétique. Ces derniers se poursuivent à travers les élévations successives de productivité liées à la diffusion du couple machine-énergie dans les diverses sphères d’activité. Encore faut-il que les propagations soient aménagées, c’est-à-dire que le développement énergétique s’insère dans un projet d’industrialisation fixant les grandes lignes de la nécessaire restructuration de l’économie brésilienne et disposant des moyens de la mener à bien.
Notes de bas de page
1 Les prévisions actuelles portent sur une croissance globale de 60 % entre 1964 et 1970, soit à cette date une consommation de 61 millions de m3 équivalent pétrole contre 38 actuellement. Les diverses formes d’énergie n’y contribueront pas également : les produits végétaux continueront à régresser tandis que les produits pétroliers et l’électricité verront leur part croître très rapidement. D’après les dernières prévisions dont nous disposons pour 1970, la puissance installée passerait ainsi de 7,1 à 14 millions de kW environ (+ 100 %), la capacité de raffinage de 14 à 23,8 millions de tonnes (+ 70 %), la production de charbon de Santa Catarina de 1,6 à 3,2 millions de tonnes (+ 100 %) et la production de pétrole brut de 4,3 à plus de 10 millions de tonnes.
2 Cf. Institut Economique et Juridique de l’Energie. Prix de l’énergie et croissance économique, 2 volumes ronéotypés, 1961.
3 Cf. Institut Economique et Juridique de l’Energie. Actes du premier Colloque franco-italien d’économie de l’énergie..., op. cit.
4 Cf. Naciones Unidas — CEPAL — El processo de industrializacion en America Latina, E/CN. 12/716, avril 1965, 2 volumes, p. 266 et suivantes.
5 On reconnaîtra là une analyse du Professeur F. Perroux.
6 Parce qu’elle a entraîné un endettement externe freinant la croissance d’autres secteurs, un chômage sans possibilité de réemploi dans certaines régions, une élévation du taux de morbidité professionnelle..., etc.
7 On peut observer sur la carte no 12 ci-jointe que les réserves énergétiques, évaluées en 1963, s’étendent du Nordeste au Rio Grande do Sul : encore ne comprennent-elles pas les ressources mal connues telles que le potentiel hydroélectrique des affluents de l’Amazone et les éventuelles réserves pétrolières de Barreirinhas dont on a annoncé récemment la découverte.
8 Nous pensons, par exemple, aux recherches entreprises par Petrohras pour exploiter les schistes bitumineux ou à celles qui sont menées en matière d’énergie nucléaire.
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