Chapitre IX. Après la crise l’installation dans la médiocrité (1642-1650). Généralités
p. 1852-1883
Texte intégral
1Le cycle qui s’ouvre sur la crise des années 1641-1642 est bien un cycle de transition, entre quelque chose qui n’est plus et qui ne sera jamais plus, l’Atlantique de Séville dominante et quelque chose qui n’est pas encore, l’Atlantique de Séville dominée. Quelque chose qui n’est plus, certes, puisque la part de l’Atlantique de Séville ne cesse de décroître dans l’économie mondiale des échanges à longue distance, quelque chose qui n’est pas encore, puisque c’est, précisément, cette rupture de l’économie jadis dominante, qui, fait, sous forme d’une rupture atténuée, mais généralisée, le passage à travers l’Europe et au-delà, d’une phase A à une phase B. Séville obtenant, en quelque sorte, par son suicide même, de se prolonger, un cycle ou deux, encore, dans son rôle de dominante. Tel pourrait se résumer, vu de Séville, le drame de ces années médiocres.
2Le cycle 1632-1641 participait, on a vu comment, à la grande phase descendante, qui devait amener le trafic du niveau victorieux des années 1608-1611 au creux extrême des années 1640-1642. Le cycle 1642-1650 rompt, pour ainsi dire, avec cette forme de décroissance. La décroissance subsiste, mais son rythme est ralenti. 1642-1650, dans une certaine mesure ne fait pas autre chose que consolider les niveaux de la dernière fluctuation du cycle précédent. Après la chute des vingt dernières années, la Carrière des Indes épuisée va s’installer sur un long plateau faiblement descendant.
I. — LIMITES
3Les limites de la dernière fluctuation cyclique sont claires. Elles ne prêtent pas à équivoque. 1641-1642, d’une part, 1648-1650, d’autre part. Le hasard a voulu que le terme de la fluctuation corresponde, très exatement, avec l’année 50. On n’a rencontré, de ce fait, aucune difficulté particulière à fixer le terme de la présente étude. On a voulu une date qui ne prêtât point à équivoque. C’eût été le cas de 1648 et de 1659-1660, dates politiques. Elles eussent abouti à des transferts de causalité que l’on a voulu éviter.
41641 eût été la bonne date. Malheureusement, pour apprécier la rupture de 1640-1642, il n’est pas d’autre moyen que de préciser la nature de ce qui suit. Il fallait donc poursuivre l’étude d’un cycle au-delà de son véritable terme. On pouvait d’autant plus aisément le faire qu’au cours de ces neuf années, les solidarités sont fortes avec un passé tout proche encore. Mais aller plus loin — faut-il le redire ? — c’eût été de la complaisance. 1650, enfin, par son apparence d’arbitraire signifie qu’en se transformant, la Carrière des Indes se poursuit. Elle fera l’objet d’une autre étude dont les bases sont posées. Le hasard a voulu, en outre, que 1650 marquât clairement la fin d’un cycle et le début d’un autre cycle. Il fallait donc en profiter et profiter, ainsi, d’une cassure qui s’imposait, tant en structures qu’en conjoncture.
1641-1642
5Le creux cyclique initial n’a plus à être justifié. On a vu combien profond est le repli1, par rapport aux termes de référence médiocres, pourtant, des années 1636-1637. Pour éviter les dangers du découpage annuel en raison de l’irrégularité du flux du mouvement tant à l’Aller qu’au Retour, sans enlever à la fluctuation sa personnalité et sa nervosité.
6Il suffit de comparer entre eux des fragments de deux ans à la fois. En Allers2 par exemple, si on compare le niveau incontestable du creux cyclique, 1641-1642, soit 56 navires et 11 485 toneladas, au précédent sommet cyclique, 1636-1637, soit 145 navires et 35 098 toneladas, on observe un recul extraordinaire, sans conteste un des plus importants calculés dans ces conditions de toute l’histoire de la Carrera, soit respectivement 61,4 % sur le mouvement unitaire et 67 % en tonnage. Ce recul s’est accompagné, en outre, d’une modification structurelle de l’armement, ou plus exactement d’une ventilation différente des navires entre les grandes catégories qui composent le matériel naval, puisque le tonnage unitaire pourtant assez faible en 1636-1637, 242,1 toneladas s’abaisse encore à 205,1 toneladas seulement de 1641 à 1642.
7Cet accident négatif remarquable se retrouve, sur les Retours, et a fortiori, sur les Allers et retours. On observe, fait nouveau, et non dépourvu de signification, une véritable anticipation de la fluctuation des Retours par rapport aux Allers. Cette anticipation traduit, nous en sommes convaincus, le rôle de plus en plus grand que jouent les maisons créoles autonomes du versant américain dans l’entreprise. La comparaison doit donc s’établir entre sommet et creux ainsi définis, 1635-1636, d’une part, pour le sommet du précédent cycle, 1640-1641, pour la dépression qui sépare les deux fluctuations. De 107 unités et 36 384 toneladas à 42 navires et 13 616 toneladas, on observera un recul du même ordre, soit, respectivement, de 60,7 % sur le mouvement unitaire et de 62,2 % en tonnage, sans modification aussi sensible que pour les Allers du tonnage unitaire moyen, de 340 toneladas à 352 toneladas.
8Même mouvement, bien sûr, pour les globaux Allers et retours, entre 1635-1636, sommet d’expansion cyclique de la fluctuation décennale 1632-1641, d’une part et le creux médian 1641-1642, d’autre part. D’un côté, 251 navires en deux ans totalisant 71 184 toneladas, de l’autre, 105 navires et 31 331 toneladas, soit des contractions respectives de 58 % sur le mouvement unitaire et de 54,5 % en tonnage, avec un quasi plafonnement du tonnage unitaire de 283,6 toneladas en 1635-1636 à 298,5 toneladas en 1641-1642.
9On peut difficilement rêver d’un creux plus parfaitement marqué. Cette dissymétrie est proprement sans pareille dans toute l’histoire de la Carrera et c’est la preuve que l’on se trouve bien en présence d’autre chose qu’un simple accident cyclique. Semblable dénivellement ne peut s’expliquer que par une crise de structure, le passage, si on y regarde d’un peu près, à l’intérieur de la phase longue de contraction d’un long intercycle de baisse sur vingt ans, à un plus long intercycle, de plateau faiblement déprimé. Pour retrouver des ordres de grandeur comparables, il faudrait se placer à d’autres moments de graves mutations, entre 1550-1551 et 1553-1554, par exemple, c’est-à-dire au passage du premier intercycle de hausse au premier intercycle de contraction, voire mais dans une moindre mesure, entre 1588-1589 et 1591-1592, après la récession quantitative qui suit le paroxysme de la guerre hispano-anglaise et les désastres de l'Invincible Armada.
10Aucune hésitation possible, par conséquent, quant au point de départ du cycle. D’autant plus sûrement que le creux se définit tout aussi bien, par rapport à un proche futur qu’à un passé récent. En effet, le niveau maximal d’expansion cyclique, au cours de la fluctuation décennale 1642-1650, atteint des positions, à très peu de choses près comparables à celles du cycle précédent. En Allers, le niveau sur deux ans de 1616-1647 s’élève à 116 unités et 33 809 toneladas, soit à 29 unités près et 1 189 toneladas, seulement le précédent record de 1636-1637. Pour les Retours, le décalage est plus grand, 83 unités et 29 556 toneladas de 1645 à 1616 soit 24 navires et 6 828 toneladas, de moins, qu’en 1635-1636. Pour les Allers et retours, le niveau sur deux ans de 1645-1646 est de 62 unités et 9 714 toneladas inférieur à celui de 1635-1636. Le dénivellement des niveaux maxima d’expansion cyclique suivis, d’une manière irréfutable, sur deux ans, ne dépasse pas, d’un cycle à l’autre, un ordre de 3 à 25 % suivant le cas. Ce qui laisse une belle marge de supériorité au mouvement de ces années, 1645-1646 et 1646-1647, par rapport au premier creux cyclique de 1641-1642 et 1640-1641. Les niveaux de 1645-1646 et de 1646-1647 font plus que doubler, généralement, ceux du creux de 1640-1641 et 1641-1642.
11De 1641-1642 à 1646-16473, les Allers passent de 56 unités à 116 unités et de 11 485 toneladas à 33 809 toneladas, soit un accroissement respectif de 107 % et 194,5 %, avec un prodigieux accroissement du tonnage unitaire de 205,1 toneladas à 291,45 toneladas. Pour les Retours, de 1640-1641 à 1645-1646, l’accroissement respectif de 42 unités à 83 unités, de 13 646 à 29 556 toneladas est un peu plus faible mais encore considérable, plus que doublement en tonnage, soit un accroissement de 116 %, grâce à une amélioration du tonnage unitaire de 325 toneladas à 356,1 toneladas. En Allers et retours, de 105 navires et 31 331 toneladas en 1641-1642, on passe à 189 navires et 61 370 toneladas, c’est-à-dire très près encore du doublement.
12On retrouverait, naturellement, par tous les autres moyens à notre disposition, le creux bien fermement dessiné des années 1640-1642, sur toutes les expressions possibles du mouvement, et notamment, sur la série la plus susceptible de ne laisser subsister que la fluctuation, en gros, décennale, celle des moyennes mobiles médianes de cinq ans. On aura noté que les points de 1643 en Allers, 1640 en Retours et en Allers et retours, sont les plus bas de tout le demi-siècle, les plus bas, jamais atteints, en fait, depuis la grande récession intercyclique du demi xvie siècle.
1648-1650
13Si le creux des années 40 est marqué avec l’extrême vigueur que l’on vient de noter, il en va, pratiquement, de même du creux terminal du mouvement. Mesuré par la même méthode que précédemment, entendez du couple sur deux ans, il se place en 1648-1649 pour les Allers, en 1649-1650, pour les Retours et les Allers et retours. Le creux cyclique ainsi défini arrive presque à égalité avec le creux précédent de 1640-1641 et de 1641-1642.
14Les Allers s’étaient élevés à 56 navires, en tout, et 11 485 toneladas de 1641 à 1642, de 1648 à 1649, ils s’élèvent à 47 navires et 14 133 toneladas, l’avantage du mouvement, au cours du creux cyclique terminal, est dû surtout à une modification sensible du tonnage unitaire, il vaudrait mieux dire à une moindre altération du tonnage unitaire, 205,1 toneladas de 1641 à 1642, 300,7 toneladas de 1648 à 1649. Le creux des Retours, par contre, est encore un peu plus marqué en 1649-1650 qu’il ne l’était, dix ans plus tôt, de 1640 à 1611, soit 41 navires, 13 099 toneladas en 1649-1650, d’une part, avec un tonnage unitaire de 319,5 toneladas au lieu de 42 unités, 13 616 toneladas et un tonnage unitaire de 325 toneladas. En Allers et retours, par contre, tout en demeurant comme précédemment à un niveau comparable, le creux des années 1619-1650 est un peu moins marqué que le creux unique de 1611-1612, 110 navires, 32 691 toneladas contre 105 navires et 31 331 toneladas, dans le cas précédent et sur la série des tonnages unitaires moyens des positions, à peu près équivalentes, aussi, 298,6 toneladas en 1611-1642, 297,2 toneladas en 1649-1650.
15On voit ainsi se dégager un énorme creux cyclique par rapport aux niveaux d’expansion cyclique maximale de 1616-1617 en Allers et 1645-1646 en Retours et Allers et retours. En Allers, par rapport au sommet sur deux ans de 1646-1617, la contraction au fond du creux 1618-1649 est de 116 navires à 47 navires, 33 809 toneladas à 14 139 toneladas, respectivement de 59,5 % et de 58 %, avec le maintien pratiquement du tonnage unitaire au même niveau, de 291,45 toneladas à 300,7 toneladas. Pour les Retours, de 83 navires à 41 navires, de 29 556 toneladas, en 1615-1616, à 13 099 toneladas, en 1649-1650, la contraction a été respectivement de 50,6 % sur le mouvement unitaire moyen et de 55,6 % sur le mouvement en tonnage, avec glissement du tonnage unitaire de 356,1 à 319 toneladas. Pour les Allers et retours, la contraction est de 189 unités (de 1615 à 1616), 194 unités (de 1616 à 1617) à 110 unités, de 61 370 toneladas (1615-1616) à 32 691 toneladas, aux alentours respectifs de 41,8 % sur le mouvement unitaire et de 46,7 % en tonnage, avec tassement du tonnage unitaire de 324,7 toneladas à 297,2 toneladas.
16Pour bien apprécier ce que signifie cette contraction, entre le creux cyclique de 1618-1619 et 1619-1650, d’une part et la zone d’expansion cyclique de 1615-1616 et de 1646-1617, il faut se rendre près de dix ans en arrière et rappeler les contractions relatives du mouvement, dans ses diverses formes, du sommet de 1635-1636 et 1636-1637 au creux des années 40, 1640-1641 et 1641-16424. En Allers, les contractions étaient, respectivement, sur le mouvement unitaire et en tonnage, de 61,4 % et 67 % dans les mêmes conditions, lors du cycle précédent, elles sont, ici, de 59,5 et 58 %... En Retours, elles étaient, à la fin du cycle précédent, de 60,7 % et 62,2 %, contre 50,6 % et 55,6 % à la fin du présent cycle. En Allers et retours, 58 % et 54,5 % lors du cycle précédent, 41,8 % et 46,7 %, cette fois. Les deux zones déprimées encadrantes du cycle se trouvent, donc, dans des situations extrêmement voisines. On peut parler même d’une certaine symétrie. Deux dépressions profondément creusées, donc, entre lesquelles les similitudes l’emportent sur les dissemblances, malgré la supériorité très sensible de l’accident cyclique, de 1641-1642 sur celui de 1649-1650.
17Entre des bornes aussi énergiquement plantées, l’existence d’une fluctuation cyclique ne saurait faire de doute.
II. — CYCLE OU FLUCTUATIONS
18Aussitôt ces limites marquées, on se trouve placé devant la même problématique que lors de la période précédente5 : celle de la hiérarchie des fluctuations qui constituent la trame de ces neuf ans.
19Si on s’en tenait, en effet, à une application un peu étroite de la méthode des points de rebroussement, on serait amené à diviser le temps du cycle en trois fluctuations primaires.
LA PREMIÈRE FLUCTUATION
20Une première fluctuation part du creux de 1641, culmine en Allers6 en 1644, après une pente ascendante continue qui part de 19 unités et7 423 toneladas, en 1641 et atteint 54 unités et 19 375 toneladas, après avoir gravi les échelons de 1642 et 1643, soit 37 navires et 48 navires, 8 312 toneladas et 13 093 toneladas. En Retour, elle part de 1640, culmine en 1643 et descend dans le creux de la vague de 1643, à condition, on a vu longuement pourquoi 3 de considérer les Retours de 1640 et de 1641, globalement, les Retours de 1641 n’étant pas, pratiquement, autre chose que les Retours différés et étalés de 16408. Pour les Allers et retours9 le dessin de cette première fluctuation constitue une espèce de moyen terme, de compromis entre les dessins des Allers et des Retours. La fluctuation part du creux de 1641 comme les Allers, culmine en 1643 comme les Retours et s’arrête, à nouveau, comme les Retours, sur le creux de 1644.
21Cette première fluctuation peut, grossièrement, se définir, en ces termes. Fluctuation de très nette reprise, par rapport au creux de la dernière fluctuation du cycle précédent, mais d’une reprise qui est localisée uniquement sur les Allers. La moyenne des Allers avait été de 38,66 navires et 11 759,6 toneladas, de 1639 à 1641 ; la voilà, de 1642 à 1644, remontée à 46,3 unités et 13 593,3 toneladas, soit un niveau à mi-pente, environ, entre le niveau de 1639-1641 et celui des deux premières fluctuations du cycle précédent, de 1632 à 1638, soit 65,1 unités et 16 859 toneladas.
22Sur les Retours, par contre, en retrait (ils ne représentent plus que 41,2 % des totaux de 1642 à 1644, contre 46,8 % de 1639 à 1641), proportionnelle ment à l’ensemble du mouvement, le tassement continue, de 30,6 unités et 10 3-12 toneladas de 1639 à 1611, on passe à la moyenne de 2*1,3 navires et 9 471,6 toneladas de 1612 à 1614. Si bien qu’en Allers et retours, les deux tendances s’éliminent pratiquement, et on se trouve sur un plateau virtuel : 69,3 unités, 22 101,6 toneladas en moyenne, de 1639 à 1611, 70,6 navires et 23 061,9 toneladas en moyenne, de 1612 à 1644, le mouvement de reprise commandé par les Allers subsiste mais très fortement atténué.
LA SECONDE FLUCTUATION
23Au-delà du creux des Allers de 1615 et du creux des Retours et des Allers et retours de 1644, une seconde fluctuation commence. En Allers et retours, son dessin est ferme, montée rapide en Allers de 1615 à 1616, montée rapide en Allers et retours, de 1644 à 1615, descente lente mais régulière, ensuite, de 1646 à 1648, en Allers, de 1645 à 1648, en Allers et retours. En Retours, par contre, le mouvement est plus irrégulier, fluctuation de 1614 à 1616, fluctuation de 1646 à 1648. Compte tenu, toutefois, du creux accidentel de 1644, on pourrait parler, en alignant le mouvement Retours sur celui des Allers et des globaux Allers et retours, d’une fluctuation qui partirait de 1644, culminerait en 1647 et descendrait sur le creux de 1648.
24On peut définir cette seconde fluctuation qui va, l’un dans l’autre, de 1645 à 1648, par les coordonnées suivantes : accentuation générale de la croissance, montée, surtout, des Retours. Sur trois ans, on observe, en effet, une anomalie positive des Retours, en tonnage, soit 51,4 % de l’ensemble contre 41,2 % seulement, au cours de la première fluctuation. Cette anomalie positive est telle qu’elle commande, si on envisage globalement les sept premières années du cycle 1642-1648, une anomalie positive des Retours sur sept ans (soit 47,4 % pour les Retours, 52,6 % pour les Allers).
25Cette seconde fluctuation peut se caractériser, en outre, par une poussée assez considérable des volumes. Les Allers se maintiennent, assez difficilement, sans plus — l'impetus a été donné au cours de la première fluctuation. La moyenne annuelle du mouvement Allers est passée de 46,3 navires à *15,25 navires et de 13 593,3 toneladas à 13 259,2 toneladas, soit en position intermédiaire entre les niveaux respectifs des deux premières fluctuations du présent cycle et de la dernière fluctuation du cycle précédent. Les Retours sont, par contre, en pleine expansion et entraînent, dans leur marche en avant, l’ensemble du mouvement, de 24,3 unités à 42 unités, de 9 471,6 toneladas à 14 004,2 toneladas, soit un niveau supérieur à celui de toutes les fluctuations primaires du cycle précédent (11 840 toneladas de 1642 à 1634, 12 652,5 toneladas de 1635 à 1638, 10 342 toneladas de 1639 à 1641). Pour trouver un niveau supérieur à celui des Retours de 1645-1616, il faut remonter jusqu’aux fluctuations primaires 1629-1631 ou 1623-1625 du cycle 1623-1631, soit 15 192,6 toneladas et 19 884,3 toneladas.
26La montée des Retours commande celle des Allers et retours, soit une moyenne annuelle de 87,25 unités et de 27 263,4 toneladas. Cette moyenne dépasse non seulement celle aussi, en tonnage, du moins, de tout le cycle précédent, 1632-1641 (soit 94,1 navires, certes, mais 27 044,8 toneladas seulement). Dans l’ensemble, on notera, également, d’une fluctuation sur l’autre, une sensible diminution du tonnage unitaire des Retours, de 389,2 toneladas à 333,4 toneladas, répercutée sur les globaux dont le tonnage unitaire passe de 326,5 toneladas à 312,4 toneladas, d’une fluctuation sur l’autre.
LA TROISIÈME FLUCTUATION
27On peut considérer, toutefois, qu’une troisième fluctuation primaire apparaît sur les Retours et sur les Allers et retours, en tonnage, du moins, de 1648 à 1650. Quoi qu’il en soit, les deux années 1649-1650 considérées, globalement, constituent un point bas. A l’Aller, la moyenne annuelle tombe à 34,5 unités et 9 796 toneladas, au lieu de 45,25 toneladas et 13 259,2 toneladas, au cours de la fluctuation précédente. Au Retour, la chute est plus considérable, encore avec une moyenne annuelle de 20,5 navires, 6 549,5 toneladas au lieu de 42 navires et 14 004,2 toneladas, 40,1 % de l’ensemble au lieu de 51,4 % lors de la fluctuation précédente. Et en Allers et retours, bien entendu, la contraction n’est pas moins forte avec un mouvement annuel moyen de 55 unités et 16 345,5 toneladas, soit finalement, le niveau le plus bas observé jamais, à l’intérieur d’une fluctuation primaire.
28Si la première et la seconde fluctuation ont, malgré médiocrités, imperfections et dissonances entre Allers et Retours, une certaine consistance en tant que fluctuations, il est certain que la troisième et dernière, celle de 1648-1650, est purement illusoire. On est frappé, par contre, comme dans le cas de la fluctuation cyclique précédente, par de profondes dissymétries. En Allers et retours, du moins, la fluctuation 1645-1648 se dresse vigoureusement entre 1642-1644, d’une part, 1649-1650, d’autre part. Ceci implique que si le dessin des fluctuations primaires est médiocre et inconsistant, le dessin d’une seule et puissante fluctuation cyclique décennale couvrant le tout est particulièrement vigoureux.
29Le cycle 1642-1650, qui nous reste à étudier, corrobore, par conséquent, cette double loi que l’on voit se dégager, peu à peu, depuis le renversement, entre 1608 et 1613, de la tendance majeure du trafic.
30Au cours de la phase B du trafic, dans la partie recensée, de 1613 à 1650, on note d’une part, un effacement progressif de la fluctuation primaire, au profit de la seule fluctuation cyclique décennale, et d’autre part, tandis que son dessin s’affermit, un raccourcissement de la fluctuation décennale, de onze ans en moyenne et davantage, au cours de la phase A du xvie siècle à moins de dix ans, soit exactement 9 ans et trois mois de 1613 à 1650. Aussi, non seulement la fluctuation cyclique s’affermit et devient de plus en plus dominante, mais, en se racourcissant, en évoluant vers un laps de temps de neuf ans, seulement, elle s’approche de plus en plus des conditions du xixe siècle. On assiste donc, en quelque sorte, à la modernisation de la fluctuation cyclique.
LE PRIMAT DU CYCLE
31Il est facile d’établir, entre 1642 et 1650, le primat d’une fluctuation cyclique proprement dominante qui efface aisément les hasards désormais d’un mouvement, à plus court terme.
32Le primat d’une fluctuation de neuf ans apparaît, même à l’œil nu, sur un simple graphique du découpage annuel10. Puisque, au vrai, on chercherait, vainement en Allers11, entre 1643 et 1647, des points aussi bas que ceux observés en tonnage, en 1641 et 1642, d’une part, 1648-1650, d’autre part. On assiste donc à une espèce de triage naturel du mouvement, les éléments forts sont au centre, les parties faibles sur les bords. Pour les Retours12, même constatation, à peu de choses près : les points les plus bas sont au début et à la fin, 1642, 1644 et 1650. Pour les Allers et retours13, entre 1643 et 1644, rien de comparable aux niveaux de 1641, 1642 et 1650. A priori, donc, sur les deux grands axes du trafic et sur leur combinaison des Allers et retours, une ventilation évidente, au sein même du découpage annuel.
33La démonstration est plus probante, quand on fait intervenir un blocage deux ans par deux ans, selon des modalités déjà prévues et fixées14. Le système a le gros avantage de mettre sûrement à l’abri des caprices du découpage annuel, de protéger contre l’intrusion souvent décisive encore, à cette époque, de l’accidentel de guerre et de mer. Le simple fait, donc, de grouper le mouvement non plus sur un an mais sur deux ans, permet de dégager, d’une seule venue, pratiquement un cycle de neuf ans d’une amplitude voisine de 100 %.
34En Allers, par exemple, on part du sommet cyclique 1636-1637 (145 navires, 35 098 toneladas), pour descendre, d’une manière continue, jusqu’au creux cyclique de 1644-1642 (56 navires, 11 485 toneladas), avec des contractions respectives de 61,4 % et 57 % des mouvements unitaires et en tonnage. De là, on s’élève à nouveau et aussi d’une manière, pratiquement, continue, jusqu’au sommet d’expansion cyclique des années 1646-1647 (116 navires, 33 809 toneladas), avec des accroissements respectifs de 107 % et 194,5 %. Puis on descend régulièrement jusqu’au creux de contraction maximale de 1648-1649 (47 navires, 14 133 toneladas) — le creux est avancé, d’un an, ici, par l’interférence des événements politiques, l’interférence, sans doute, de la conclusion désastreuse des guerres dans l’Empire, avant que la Fronde ne vienne apporter espoirs et réconforts de courte durée — avec des contractions respectives de 59,5 % et 58 %. Le cycle est parfait, il se déroule, presque sans rebroussements secondaires, sur huit ans, d’une seule venue, avec des marges d’expansion, puis de contraction extrêmement considérables.
35En Retours, on découvre, par le même procédé, un mouvement analogue, à peu de choses près, synchrone. Le mouvement est, tout au plus, un peu plus étalé. On part du point haut d’expansion maximale de 1635-1636 (107 navires, 36 384 toneladas), pour descendre régulièrement, sur le creux de 1640-1641, avec 42 navires et 13 646 toneladas, avec des contractions respectives de 60,7 % et 62,2 %. De là on s’élève, à nouveau, d’une manière régulière et à peu près parfaitement symétrique, jusqu’à la zone d’expansion cyclique maximale du présent cycle centré sur les années 1645-1646, soit, comme les points de départs précédents, en avance d’un an, sur le mouvement Allers. De 42 navires et 13 646 toneladas, à 83 navires et 29 556 toneladas, soit des marges d’expansion de 97,6 % sur le mouvement unitaire et de 116 % en tonnage. Puis on redescend régulièrement de cette position haute jusqu’au creux cyclique maximal de 1649-1650, par une pente descendante régulière, à très peu de choses près, de deux ans plus longue que celle des Allers, avec des coefficients respectifs de contraction de 50,6 % sur le mouvement unitaire et de 55,6 % en tonnage, de 83 à 41 navires, de 29 556 toneladas à 13 099 toneladas. Comme le cycle des Allers, le cycle des Retours est parfait, il se déroule, presque sans rebroussements secondaires, sur neuf années, au lieu de huit, d’une seule venue, pratiquement, avec des marges d’expansion et de contraction extrêmement considérables.
36En Allers et retours, on aura, avec une amplitude un peu moindre, sur neuf ans, comme pour les Retours, le dessin d’un cycle plus uniformément dessiné, si possible encore. De 251 navires à 105 navires, de 71 184 toneladas à 31 331 toneladas, on est passé d’une manière continue de la zone d’expansion cyclique des années 1635-1636 au cours du cycle précédent jusqu’au creux cyclique de contraction maximale de 1641-1642, avec des pourcentages de contraction de 58 % sur le mouvement unitaire et de 54,5 % sur le mouvement en tonnage.
37Du creux médian de 1641-1642, on s’élève régulièrement au sommet cyclique de 1645-1646, 189 unités et 61 470 toneladas — le couple 1646-1647 totaliserait 194 navires mais pour un tonnage moindre, 59 417 toneladas, avec des coefficients respectifs d’expansion de 80 % sur le mouvement unitaire et de 96 % pratiquement en tonnage — à peu de choses près, un doublement. De 1645-1646, le mouvement descend lentement, ensuite, jusqu’au creux cyclique maximal des Allers et retours, avec des pourcentages de contraction respectifs de 41,8 % sur le mouvement unitaire et de 46,7 % sur le mouvement en tonnage.
38Toutes les conditions d’un cycle de neuf ans sont donc réalisées. Il apparaît sans hésitation possible, avec un simple rabotage sur deux ans. Une moyenne mobile de deux ans et à plus forte raison de trois ans donnerait le même dessin.
39C’est également ce que confirment les moyennes mobiles de cinq ans15. On observera qu’elles dégagent16 presque sans hésitation, un cycle de huit ans sur les Allers, à quelques hésitations près, de neuf ans sur les Retours et sur les Allers et retours.
40On pourrait multiplier, presque à l’infini, les démonstrations. Toutes aboutiraient à placer au premier plan de l’étude conjoncturelle un cycle de neuf ans, homogène, vigoureusement dessiné, qui efface presque complètement de timides, imprécises, incohérentes fluctuations triennales. Entre 1642-1650 comme jadis, une fois déjà, au moins, de 1544 à 1554, le cycle finit par masquer complètement la fluctuation.
III. — DÉCROISSANCE ET PALIER DANS LA DÉCROISSANCE
41Toutes les définitions qu’on s’est efforcé de donner, jusqu’ici, à ces quelques années sont restées étroitement limitées, dans le cadre même des neuf ans du cycle. Il importe, toutefois, avant d’aller plus avant, de rappeler la situation de ces neuf années dans le cadre d’ensemble du mouvement.
42L’opération n’est pas commode et il faut pour y parvenir faire preuve d’une certaine prudence. Parce qu’en raison de sa position au sein de notre étude, le cycle 1642-1650, retrouvant une ambiguïté qui avait été celle des toutes premières années, manque de termes de comparaison précis aux deux extrémités. L’absence provisoire d’un prolongement précis des séries, au-delà de 1650 n’est qu’un handicap partiel. On en sait suffisamment, dès maintenant, pour pouvoir prolonger au-delà de 1650 la marche idéale du mouvement. On peut affirmer que le mouvement se maintient presque jusqu’à la fin du xviie siècle sur un niveau comparable à celui du cycle 1642-1650 avec une certaine lourdeur, peut-être, un certain tassement qui continue encore. Mais à trop vouloir prolonger au-delà de 1650 sans accepter une indispensable solution de continuité, à un moment donné, on s’exposerait, comme on l’a déjà dit, à comparer des termes qui ne sont plus comparables, à mettre dans le prolongement du plus vieil Atlantique de Séville une réalité économique qui n’a plus ni les mêmes structures ni la même portée. L’absence de références au-delà de 1650 constitue, donc, une difficulté que l’on peut dépasser en pensée mais qu’on ne peut pas espérer complètement dépasser.
43Le cycle 1642-1650 se trouve, naturellement, sur l’axe de la phase longue de décroissance, à laquelle, sans conteste, il participe pleinement. Toutefois, 1640 marque un tournant. Et si on a pu observer, à la fin du cycle précédent 1632-1641, une accélération du rythme de la décroissance, il n’est pas moins certain qu’au-delà de 1640, tout au long du cycle 1642-1650, on assiste à un ralentissement du rythme de la décroissance, on passe d’un intercycle d’effondrement et de rupture à un intercycle d’un imperceptible tassement.
44Le premier argument que l’on peut invoquer en faveur de cette représentation, c’est la trop parfaite symétrie du cycle 1642-1650. Il faudrait même parler, dans une certaine mesure, d’une double symétrie : symétrie des sommets d’expansion cyclique des cycles 1632-1641 et 1642-1650, autour de la zone déprimée de 1640-1642, symétrie surtout des zones de contraction cyclique de 1640-1642 et de 1648-1650, autour de la zone d’expansion cyclique maximale de 1645-1647.
45Il y a, somme toute, on l’a vu déjà, peu de différence entre les sommets d’expansion cyclique maximale du cycle 1642-1650 et celui du cycle précédent 1632-1641, calculé par la méthode du couple, deux ans par deux ans. En Allers, par exemple, 1636-1637 totalisent 145 navires et 35 098 toneladas, 1646-1647, 116 navires et 33 809 toneladas, en Retours, la dénivellation est plus forte entre 1635-1636, 107 navires et 36 384 toneladas, 1645-1646, 83 navires, 29 556 toneladas, en Allers et retours, 251 navires, 71184 toneladas, de 1635 à 1636, 189 navires et 61 370 toneladas de 1645 à 1646.
46On trouverait, par le même procédé, une dénivellation beaucoup plus considérable entre le cycle 1632-1641 et celui qui le précède, 1623-1631. Pour se borner aux Allers et retours, on aura noté, entre 1645-1646 et 1635-1636 un recul de 62 navires et 9 814 toneladas, soit respectivement un tassement relatif de 29,7 % sur le mouvement unitaire et de 13,78 % sur le mouvement en tonnage. Entre la zone biennale d’expansion cyclique maximale du cycle 1632-1641 et du cycle précédent 1623-1631, soit entre 1623-1624 d’une part, 1635-1636, d’autre part, le recul du mouvement était de 94 navires et de 15 876 toneladas, soit un tassement relatif de 27,24 % seulement sur le mouvement unitaire mais de 18,2 %, c’est ce qui compte, sur le mouvement en tonnage. Autrement dit, il y a ralentissement absolu et relatif de la tendance à la décroissance mesurée par la comparaison des pointes d’expansion cyclique maximale.
47Mais le ralentissement est beaucoup plus sensible encore, si on compare non les sommets mais les creux cycliques entre eux. En effet, si les sommets cycliques de 1642-1650 n’atteignent pas à 14 % près, environ, les sommets du cycle précédent, le creux cyclique de 1618-1650 met en cause des volumes, au moins égaux, voire légèrement supérieurs, à ceux du creux cyclique précédent. En Allers, en tonnage, du moins, le niveau de 1618-1649 l’emporte, substantiellement, sur 1641-1642, avec 47 unités, 14 133 toneladas au lieu de 56 navires et 11 485 toneladas. En Retours, 41 unités, 13 099 toneladas de 1649 à 1650, contre 42 unités et 13 616 toneladas, de 1640 à 1641, on peut parler d’une presque égalité. En Allers et retours, par contre, le couple 1649-1650 se place avec 110 navires, 32 691 toneladas à un niveau sensiblement inférieur au terme de référence de 1641-1642, 105 navires, 31 331 toneladas, seulement.
48Le ralentissement du rythme de la décroissance est certain. Il est dû à la résistance des creux de contraction cyclique. La contraction cyclique semble avoir atteint, en effet, de 1640 à 1642, sous l’action combinée d’un complexe causal unique, un degré tel qu’il lui est, pratiquement, physiquement impossible de descendre en dessous. En dessous de ce niveau d’échanges officiels, on peut estimer que l’administration des Indes serait impossible et que l’Amérique cesserait d’être espagnole. Plus exactement, si la décroissance continue, c’est grâce, uniquement, à la poursuite de la décroissance des pointes d’expansion cyclique17. L’analyse attentive des moyennes mobiles, de préférence moyennes arrière, permettrait de prouver d’une manière si possible plus sûre encore18, cette vérité. Le ralentissement radical du rythme de la décroissance, se situe à l’intérieur même du cycle 1642-1650. Malgré leur médiocrité par rapport aux années d’expansion cyclique des cycles précédents — soulignée tout à l’heure19 — les années 1645-1647 comparées au creux cyclique qui les précède récupèrent au-delà de toute espérance.
49Tout cela parce que, derrière l’illusion d’un rythme égal de décroissance, créée par les rabotages trop poussés des moyennes mobiles longues20, la vérité est celle d’une faille, d’un effondrement, d’un plan de discontinuité entre 1637 et 1642-1643, entre deux plateaux, l’un faiblement descendant, celui qui se prolonge un peu au-delà, peut-être, de la crise de 1630-1632 et l’autre très faiblement descendant celui qui se prolonge à partir de 1643-1614, bien au-delà de 1650, très profondément à l’intérieur de l’Atlantique dominé de Cádiz. Pour les trafics comme pour les prix, pour tous les aspects de la vie économique comme pour toute la création, les continuités ne sont jamais que de minces écrans protecteurs qui cachent, en profondeur, des discontinuités vraies.
50Ou si on veut encore une précision plus grande, on observera que, derrière la fausse unité de la phase descendante B du trafic, mais à un niveau différent, toutefois, des fluctuations conjoncturelles majeures, triennale accessoirement, décennale, surtout, se situent toute une série d’inter-cycles. Intercycle insensiblement descendant de 1608-1613 à 1629-1631 ; plus rapidement descendant de 1625 à 1635 environ ; intercycle de la mutation quantitative majeure de 1637 à 1643. Intercycle de marasme stabilisé au-delà. L’intercycle qui commence avec les années 1643-1645 se poursuit bien au-delà du cadre de cette étude à travers les années 60 et 7021. Il en résulte, pour apprécier la transformation qui s’opère au cours des années de reprise du présent cycle, le recul indispensable que seul peut offrir le prolongement, par ailleurs, dangereux des séries. Nous en savons assez, toutefois, dès maintenant, pour en admettre la réalité.
51Une nouvelle et importante mutation s’opère, donc, dans le trafic, sous la forme d’une modification radicale du rythme de décroissance, à l’intérieur même du cycle des années 1642-1650 et plus particulièrement au cours dela période d’expansion des années 1645-1647.
IV. — LES CARACTÉRISTIQUES LES PLUS IMPORTANTES DU MOUVEMENT
52Cette modification du rythme profond de la décroissance du mouvement constitue, sans conteste, la caractéristique la plus profonde de cette période. Mais il y a d’autres éléments qui méritent d’être retenus.
LES RETOURS
53Le plus important, peut-être, est la porportion respective des Allers et des Retours. On peut parler, à l’intérieur du cycle 1642-1650, si on se réfère aux normes de la Carrière des Indes, d’une anomalie positive des Retours.
54Les Retours représentent 46,3 % du mouvement total en tonnage, au cours du cycle 1642-1650 (ils atteignent même, 51,7 %22 au cours de la demi-décade 1643-1615) : un tel pourcentage correspond, face à la normale structurelle d’un siècle et demi d’histoire, 42 %/43 %, à une anomalie positive sensible. Il suffit de rapprocher cette proportion (46,3 %) des pourcentages quantitatifs des Retours calculés dans le cadre des cycles précédents : 43,4 % de 1632 à 1611, 43,6 % de 1623 à 1631, 43,4 % de 1614 à 1622, 46,5 % de 1605 à 1613 et 38,83 % de 1593 à 1604. L’anomalie est vraie par rapport à tous les cycles précédents, à l’exception du cycle du renversement de la tendance majeure de 1605 à 1613 (46,3 % d’une part, 46,5 % d’autre part23.
55Ces anomalies positives des Retours appellent, d’ailleurs, des explications24 différentes. Entre 1605 et 1613, le décalage du rythme de croissance des Retours sur celui des Allers, est le signe même du renversement de la tendance majeure. L’accumulation, au cours du cycle 1593-1604, d’une importante réserve de navires, d’hommes et de marchandises aux Indes (moyennes annuelles respectives des Retours et des Allers, sur douze ans, 62,3 navires et 14 863,68 toneladas d’une part, 116,2 navires et 23 417,9 toneladas d’autre part) a formé volant. Ce volant explique le prolongement sur sa lancée, au-delà de ses limites strictes, d’un mouvement descendant qui n’est plus entraîné.
56De 1642 à 1650, par contre, l’anomalie des Retours s’explique, plutôt, par l’émergence de structures nouvelles. La supériorité structurelle des Allers sur les Retours était la conséquence du déséquilibre volumétrique des échanges — les exportations d’Europe étaient, relativement, plus pondéreuses que les importations. Elle s’expliquait encore par le primat de l’Europe dans la construction navale. Au-delà de 1640, ces deux conditions achèvent de se dissoudre. L’exportation vers l’Amérique des vins, huile, blé, la trilogie méditerranéenne du vieux commerce andalou, n’est plus guère qu’un souvenir, malgré des récurrences comme celle de 164025. Ni l’adaptation du monde créole à son cadre géographique, ni l’affaiblissement démographique de l’Espagne, ni l’effondrement de l’économie minière créatrice de déséquilibre moteur ne [permettent plus guère le maintien de semblables paradoxes. Enfin et surtout, peut-être, l’Espagne a perdu son primat dans la construction navale. Nous le savons, d’une manière sûre, désormais, très exactement chiffrable : au cours de la décade des années 40 du xviie siècle, les constructions navales26 des Indes et plus particulièrement aux Iles, finissent par équilibrer celles-là même de l’Espagne du Nord.
57Il suffit, pour s’en convaincre, de suivre l’évolution dans les tableaux du tome (12 D, p. 165 et 12 E, p. 167) des catégories A, d’une part, I et J d’autre part. En raison de la méthode27 qu’il a bien fallu adopter, à cause du caractère hétérogène et discontinu de la documentation concernant les chantiers navals, les chiffres de la catégorie A (navires en provenance des chantiers du Nord de l’Espagne) sont nécessairement supérieurs à la réalité, toutes les autres et tout particulièrement les chiffres des catégories I et J (navires créoles, en provenance des chantiers des îles, en provenance des chantiers du Continent américain) sont nécessairement inférieurs à la réalité.
58Or, l’évolution de ce qu’on peut appeler le couple construction navale espagnole et construction navale américaine évolue, apparemment, dans le rapport suivant : 1631-1635 : 209 d’un côté, 33 de l’autre, 1636-1640 : 132 pour l’Espagne, 72 pour l’Amérique, 1641-1645 : 139 pour l’Espagne, 74 pour l’Amérique, 1646-1650 : 96, chiffre grossi pour l’Espagne, 101, chiffre inférieur à la réalité pour l’Amérique. En raison de la double correction qu’il faut apporter pour lire ces rapports, on peut estimer que la construction créole est arrivée à équilibrer, pratiquement, la construction biscayno-cantabrique dans la Carrera à partir de la demi-décade 1636-1640. De 1646 à 1650, elle surclasse, vraisemblablement, dans un rapport proche du double au simple, la zone des vieux chantiers, par excellence, du Nord de la péninsule ibérique. On comprend, dans ces conditions, les deux extrémités de l’Atlantique s’équilibrant sensiblement sous l’angle de la construction navale, que l’une d’entre elles n’a plus les mêmes raisons de constituer, par rapport à l’autre, le refuge presque exclusif des vieux navires hors d’usage.
59Ces deux modifications de caractéristiques anciennes de la Carrera sont, peut-être, à mettre en relation avec la tendance qui apparaît, au cours du cycle 1642-1650, exprimée avec une particulière vigueur, au cours de la fluctuation centrale 1645-1648, d’un accroissement relatif du tonnage des Retours dans l’ensemble du mouvement (46,3 % de 1642 à 1650, 47,4 % de 1642 à 1648, 51,4 % de 1645 à 1648).
L’ÉQUILIBRE ALLERS-RETOURS ET LA DYNAMIQUE DU MOUVEMENT
60Mais la constatation de cette anomalie est loin d’épuiser les constatations qu’il importe de tirer de l’équilibre Allers-Retours.
61Tout d’abord, on retiendra le passage d’une zone de déséquilibre à une zone d’équilibre relatif28. De 1609 à 1637, à la courte exception près de la zone légèrement perturbée 1628-1631, mouvement des Allers et mouvement des Retours ont marché, sans déséquilibre grave, d’une manière grossièrement synchrone.
62La zone perturbée, de 1628 à 1631, correspondait, le fait vaut d’être retenu, au passage d’un cycle à un autre et à une accentuation très sensible du rythme de la décroissance. Le déphasage des Allers et des Retours, ou si l’on veut, dans une certaine mesure, la biennalité du flux des Retours, avec ses conséquences sur les Allers, correspond, bien sur, à des périodes d’extrême tension militaire, mais elles impliquent, le plus souvent, des modifications importantes de l’orientation ou du moins du gradient de la tendance. On les mesure aisément sur le graphique « annuel » Déficit des Retours29 Elles sont un peu comme les séracs des glaciers de montagnes, signe de l’accroissement d’un rythme, en l’occurrence, celui de la décroissance.
63Une nouvelle zone perturbée commence en 1638. Elle est, avec celle qui va de 1588 à 1604, la plus importante de toute l’histoire de la Carrière des Indes. Elle dure, en gros, jusqu’en 1644-1645, après être passée par un paroxysme, entre 1638 et 1640. Au-delà, commence une zone calme d’anomalie positive des Retours. Le passage d’une zone de forte perturbation de l’équilibre Allers-Retours, de 1638 à 1614, à une période de relative stabilité réciproque des mouvements, représente, sans conteste, une caractéristique importante de cette période, lourde de signification. En effet, la zone de déphasage des Allers et des Retours et de déséquilibre maximal du rapport interne du mouvement correspond, en gros — les faits corroborent, pleinement, l’hypothèse avancée sous forme de règle — à une poussée de l’impact politico-militaire, d’une part, à une zone de rupture, et d’accroissement du rythme de la décroissance, d’autre part. Elle se traduit par ces à-coups caractérisés par le tracé en dents de scie de la courbe du déficit des Retours. Elle résulte, en partie, aussi, de la réduction telle du niveau des échanges, dans le cadre du commerce officiel, que l’écoulement d’un flux continu de navigation en convoi à l’intérieur des mailles, pourtant, très lâches du découpage annuel, devient pratiquement impossible.
64A partir de 1645, le retour à un rythme plus régulier — on hésite à écrire normal, puisque ce qui est normal, c’est l’alternance de phases longues de synchronisation relative des mouvements et de phases courtes de désynchronisation totale des mouvements — marque non seulement la détente provisoire du conflit, au fur et à mesure de l’ébauche du règlement hispano-hollandais de Münster, mais, plus sûrement, encore, l’ébauche d’un nouvel équilibre en creux du mouvement. La phase de synchronisation relative des Allers et des Retours renforce, par conséquent, l’hypothèse avancée30 du passage, à l’intérieur du cycle 1642-1650, d’un intercycle d’effondrement et de rupture au commencement d’un long intercycle de large plateau, faiblement incliné du trafic.
65On sera sensible, également, à la manière dont se succèdent, par groupes de deux ou trois ans, à l’intérieur du cycle, les équilibres Allers et Retours31.
66On peut opposer, dans une certaine mesure, le groupe des années 1638-1643 au groupe de six ans de 1614 à 1619. Les années de 1638-1643 constituent une zone de dépression cyclique, par opposition à la zone d’expansion cyclique des années qui suivent. D’une part, 436 navires et 133 312 toneladas, d’autre part 466 unités et 149 151 toneladas. D’un tonnage unitaire de 305,7 toneladas, de 1638 à 1643, on passe à un tonnage unitaire moyen un peu plus fort, de 1644 à 1649, soit 320,6 toneladas 32.
67En très gros, la zone de contraction est une zone de niveau plus faible des Retours (44,1 % seulement de l’ensemble Allers et retours), la zone d’expansion une zone de niveau relatif plus fort du mouvement Retours (46,4 % de 1644 à 1649 contre 53,6 % seulement pour les Allers). Mais c’est à l’intérieur même de ces grandes masses qu’une curieuse alternance et qu’une parfaite symétrie seront notées. La crise, tout d’abord s’articule en deux périodes de trois ans, entre lesquelles il y a aggravation : 231 navires de 1638 à 1640, et 69 931 toneladas, plus que 205 navires de 1641 à 1643 et 63 381 toneladas.
68L’aggravation, en réalité, est beaucoup plus sensible, encore, qu’il n’apparaît, de prime abord, sur le mouvement Allers et retours. En effet, la grande crise de structure a débuté par une puissante anomalie négative des Retours. On aura noté sur le tableau33 que le niveau triennal des Retours (62 navires, 20 020 toneladas), de 1638 à 1640, est le plus bas et de beaucoup de toute une période de douze ans qui va de 1638 à 1649. Comme on l’a déjà noté34, la grande crise de rupture des années 40 se marque, d’abord, sur trois ans, par une paralysie à peu près complète du mouvement Retours. Cette paralysie des seuls Retours s’explique, naturellement, par la pression militaire hollandaise au plus fort de l’intervention néerlandaise dans le domaine luso-brésilien, mais elle traduit, peut-être, aussi, un réflexe de méfiance devant des périls que l’on sent venir, une certaine méfiance à l’égard de l’Europe, un manque d’empressement certain à rapatrier des capitaux jugés mieux en sécurité en Amérique.
69En complète opposition avec cette première phase triennale de la grande crise de rupture, la seconde phase triennale, qui va de 1641 à 1643. Tout d’abord, elle marque une accentuation de la crise : 205 navires, seulement, 63 381 toneladas, au lieu de 231 unités et 69 931 toneladas, au cours de la période précédente. Mais surtout, la nature du mouvement et l’œil de la crise changent du tout au tout. On va retrouver, de 1641 à 1643, sur les Allers, le creux de la vague des Retours, de 1638 à 1640. 62 navires, 20 020 toneladas sont partis, seulement, de 1641 à 1643, contre un niveau quantitativement double, 49 911 toneladas et qualitativement meilleur, de 1638 à 1640. La chute du tonnage unitaire moyen des Allers, de 295,3 toneladas de 1638 à 1640 à 236,3 toneladas, seulement, de 1641 à 1643, implique une chute qualitative certaine du matériel à la disposition du mouvement. 1641-1643 portent, donc, en Allers, l’accomplissement des germes contenus dans le mouvement de 1638-1640, le contrecoup, aussi, de l’anomalie qui anticipe et réalise en quelque sorte la grave crise structurelle des années 40. Elle est porteuse de déséquilibres qui vont constituer, douze ans durant, la dynamique profonde du mouvement.
70En effet, une énorme anomalie positive des Retours (101 navires, 38 803 toneladas, contre 104 navires et 24 578 toneladas à l’Aller, 61,25 % des Allers et retours en tonnage) constitue, de 1641 à 1643, le symétrique de l’anomalie positive des Allers, de 1638 à 1640. Elle découle, tout entière, de l’anomalie négative motrice de 1638 à 1640, elle est la simple détente des navires, des hommes, des richesses, anormalement retenus aux Indes, au cours des trois années 1638-1640. Que l’anomalie négative de 1638-1640 constitue bien le primum mobile de la dynamique cyclique ultérieure, ce n’est pas douteux, puisqu’elle s’oppose à une période de relatif équilibre, sur six ans. C’est donc l’anomalie de 1638-1640 qui a, seule, droit au titre d’anomalie motrice, puisqu’elle est rupture d’un équilibre, et qu’elle se répercute, nous le verrons, sur une longue série d’au moins douze ans.
71Le creux dépressif du mouvement passe, donc, beaucoup plus profondément, qu’on ne pourrait le croire, a priori entre 1641 et 1643.
72Mais les répercussions de l’anomalie ne s’arrêtent pas là, malgré le rétablissement, à partir de 1645, d’un rythme annuel35 des Retours. En effet, l’anomalie positive des Retours de 1641 à 1643 aura été, sans conteste, un élément de reprise majeure pour toute la période 1644-1649. L’anomalie positive des Retours de 1641-1643 (38 803 toneladas, 61,25 % de l’ensemble) aura constitué un élément explicatif majeur de la belle poussée d’expansion de 1644 à 1646 (Allers et retours, 247 navires, 81 573 toneladas, contre 69 931 toneladas seulement de 1638 à 1640, 67 577 toneladas de 1647 à 1649, 63 381 toneladas de 1641 à 1643), particulièrement sensible en Allers (160 navires, 51 239 toneladas, plus que de 1638 à 1640, 169 unités mais 49 911 toneladas seulement, 28 647 toneladas de 1647 à 1649, moins encore, 24 578 toneladas de 1641 à 1643).
73La position respective des Allers et des Retours, au cours de la première phase (1644-1646), la phase d’expansion maximale cyclique, de 1614 à 1649, rappelle, très exactement, celle de 1638-1640, au commencement de la grande crise de rupture de structures des années 40. 62,8 % pour les Allers, 37,2 % pour les Retours. Un certain volant indispensable de navires, d’hommes, de marchandises, de capitaux se reconstituent aux Indes, sans exagération, d’ailleurs, et suivant le schéma habituel. La première phase, la phase décisive de l’expansion est, donc, une phase d’anomalie positive des Allers, tout comme six ans plus tôt, la phase initiale de la contraction cyclique. De même que dans le cas précédent des six années de la contraction, l’anomalie négative des Retours engendre ici de 1647 à 1649, dans une période de ralentissement de l’expansion — et suivant les normes du schéma précédent — une phase d’anomalie négative des Allers : 98 navires, 28 647 toneladas à l’Aller de 1647 à 1649, 121 navires, 38 930 toneladas au Retour, dans le même temps, soit respectivement 57 % pour les Retours, 43 % seulement pour les Allers.
74La symétrie est donc parfaite : entre la période de contraction relative de six ans 1638-1643 et la période d’expansion relative de six ans, de 1644 à 1649, toutes deux commencent par une phase plus lourde de trois ans, suivie d’une phase plus légère, 69 931 toneladas (Allers et retours, 1638-1610) et 63 381 (1641-1643), 81 573 toneladas (Allers et retours, 1644-1646) et 67 577 (1647-1649), entre une période d’anomalie négative des Retours (28,6 % de 1638 à 1640) suivie d’une période d’anomalie positive des Retours (61,25 % de 1641-1643) et d’une période d’anomalie négative des Retours (37,2 % de 1644 à 1646, 38,75 % et 61,25 % de 1641 à 1643, 43 et 57 % de 1647 à 1649).
75Il n’en demeure, pas moins, que cette parfaite alternance sur un rythme triennal d’anomalie négative suivie de phases d’anomalie positive des Retours constitue une des caractéristiques les plus profondes du cycle 1642-1650.
ATTÉNUATION OU ACCENTUATION DES CARACTÉRISTIQUES DE LA PHASE B
76Pour achever de préciser les caractéristiques profondes du mouvement de 1642 à 1650, il suffit de rappeler qu’elles sont celles de la phase B qui commence, à certains égards, à partir de la crise de 1622.
1. Les grands axes du trafic au départ du complexe36
77Une chute proportionnellement plus forte des secteurs économiquement moteurs du complexe portuaire nous était apparue constituer une des caractéristiques majeures de la phase longue de décroissance37 Cette caractéristique tend à s’atténuer après être passée par un paroxysme au cours du cycle précédent.
78La part des navires marchands de Séville, de 52,5 % en tonnage de 1614 à 1622, de 47,2 % de 1623 à 1631, de 40,2 % seulement de 1632 à 1641, se redresse à 50,4 % de 1642 à 1650. La part des navires marchands de Séville était passée par un minimum dans la première partie du cycle de la rupture (1632-1641), soit 39,9 % de 1632 à 1634 et 38,4 % seulement de 1635 à 1638, elle se redresse progressivement depuis et tend à retrouver les 50 %, entendez par là ce qui fut la normale du trafic, soixante-quinze ans durant, environ. De 38,4 % de 1635 à 1638, la part des navires marchands de Séville, en tonnage, s’élève à 44,1 % de 1639 à 1641, 44,9 % de 1642 à 1644, 53,3 % de 1645 à 1648, 51,1 % de 1649 à 1650. On voit donc, sous cet angle, une des caractéristiques de la phase B de décroissance qui s’estompe. Parallèlement à ce mouvement, et s’exerçant dans le même sens, la remontée des navires marchands de Cádiz, 9,2 % de 1632 à 1641, 12,8 % de 1642 à 1650, suivant un chemin ainsi jalonné, 8,3 % en tonnage de 1632 à 1634, 8,5 % de 1635 à 1638, 11,6 % de 1639 à 1641, 11,7 % de 1642 à 1644, 13 % de 1645 à 1648, 15,2 % de 1649 à 1650.
79Par compensation, on assiste à un certain repli des positions, un moment dominante des armadas. Le mouvement d'armada, en tonnage, au départ, avait représenté 37,7 % de l’ensemhle de 1632 à 1641, il ne représente plus que 36,3 % de 1642 à 1650. Le départ, fluctuation par fluctuation, permet de suivre plus commodément le très léger repli relatif du mouvement d’armada. Lors de la fluctuation primaire 1632-1634, en tonnage, les armadas (41,1 %) surclassaient les navires de Séville (39,9 %), après un fléchissement de 1635 à 1638, 32,6 % contre 38,4 % pour les navires marchands de Séville, les armadas remontaient à un niveau très élevé, lors de la fluctuation primaire 1639-1641, soit 42,7 % pour les navires d’armada contre 44,1 % pour les navires marchands de Séville. A la fin du cycle précédent, les deux catégories maîtresses du complexe portuaire s’équilibraient, encore, à très peu de choses près. Il en va sensiblement de même, lors de la première fluctuation primaire du présent cycle. En tonnage, avec 17 315 toneladas contre 18 325 toneladas, les navires d’armada équilibrent sensiblement encore les navires marchands de Séville (42,4 % et 44,9 % du total) au cours de la première fluctuation primaire 1642-1644, avec, il est vrai, un matériel tout à fait différent, beaucoup plus différent que jamais. 31 navires d’armada seulement (22,3 % du mouvement unitaire total) contre 88 navires marchands de Séville (63,3 % du mouvement unitaire total) et des tonnages unitaires plus dissemblables que jamais, 558,5 toneladas, d’un côté, 208,2 toneladas de l’autre.
80Au cours des fluctuations qui viennent, l’écart du tonnage unitaire reste énorme, en volume, par contre, les navires d'armada cèdent le pas de plus en plus à nouveau devant les navires marchands de Séville. De 1645 à 1648, pour les armadas, 35 navires, 17 880 toneladas, 19,7 % du mouvement unitaire, 33,7 % du mouvement en tonnage, contre 124 unités, 28 277 toneladas, 68,5 % et 53,3 % du total (mouvement unitaire, respectivement, et en tonnage). L’évolution est plus sensible encore, au cours de la dernière fluctuation primaire du cycle, de 1649 à 1650. Les navires d’armada, avec 12 unités et 6 000 toneladas ne font plus que 17,3 % du mouvement unitaire d’ensemble et 30,7 % du mouvement d’ensemble en tonnage, contre 46 navires, 10 958 toneladas et respectivement 66,6 % et 54,1 % pour les navires marchands de Séville.
81Que déduire de cette évolution ? Certes, par la ventilation des grandes masses, au départ, entre les principaux secteurs du complexe portuaire, le cycle 1642-1650 participe aux structures de l’ensemble de la phase B. Toutefois, une nuance s’introduit sous la forme d’une atténuation et une évolution s’esquisse. Cette évolution tend vers un nouvel équilibre qui, dans l’ensemble, fera la meilleure part, à nouveau, aux navires marchands au détriment de la catégorie des navires de guerre. En outre, l’écart qualitatif qui oppose les deux matériels a tendance à s’accentuer. Le tonnage unitaire des navires marchands de Séville passe d’un cycle à l’autre, de 1632-1641 à 1642-1650, de 223,6 toneladas à 221,7 toneladas. Le tonnage unitaire des navires d'armada, dans le même temps, de 520,6 toneladas à 528,4 toneladas. L’opposition s’est donc creusée, encore davantage.
82Quelles conclusions tirer de ces constatations ? Tout en conservant les mêmes traits que les périodes précédentes, le cycle 1641-1650 marquerait, peut-être, l’ébauche d’une évolution en direction d’un relâchement de l’effort militaire. Les conflits s’épuisent. Sur mer, Hollandais et Espagnols tendent, à grands pas, vers le modus vivendi de Münster (janvier 1648) qui entérine un état de fait antérieur. L’Espagne a dû lâcher davantage de lest que lors de la Trêve en 1609, la Hollande renonce, pourtant, à son éviction de l’axe de la Carrera. Et ce sera la conclusion de tous les conflits en cours ou à venir, avec la France et l’Angleterre, notamment. L’Espagne a désarmé, au xviie siècle, tous les adversaires de sa puissance maritime et coloniale, par l’immensité des concessions que, tacitement, insensiblement, à chaque semonce, elle a su consentir, par l’immensité des concessions que son indolence l’a amenée à consentir et plus encore, par l’extraordinaire courage qu’elle a toujours déployé, par l’extrême solidité des lignes de repli qu’elle a jugé bon de conserver.
83C’est ainsi que l’Atlantique de Séville et ce qu’il tient par derrière l’Amérique nous offre un exemple curieux d’une puissance dominante qui, quoiqu’on en ait dit, a su jouer, ses splendeurs éteintes, un rôle considérable, encore dans un ensemble plus vaste qu’elle a cessé de dominer et où elle n’est plus qu’un élément entre plusieurs. Dans la mesure, en outre, où l’Atlantique de Séville et de Cádiz n’est plus après la crise de rupture des années 40 du xviie siècle qu’un élément entre plusieurs d’une machine plus complexe et un élément, toujours prêt, à céder sur le fond pourvu qu’on lui laisse quelques apparences, la pression militaire qui s’exerce sur elle, très lentement, imperceptiblement en raison, de part et d’autre, des vitesses acquises, tend à se relâcher. Cet allégement n’est pas dû uniquement d’ailleurs, à un facteur positif extérieur, le relâchement des pressions externes. Il est dû, également, à l’affaiblissement interne de la puissance militaire de l’Espagne et à l’effondrement de la richesse de la Carrera.
84Le nouvel équilibre qui se cherche prouve, en outre, qu’on est, de plus en plus, en présence, après la rupture, de nouvelles structures qui se cherchent. Ces structures d’un Atlantique espagnol plus modeste ne pouvaient entériner l’anomalie d’un trafic assumé, pour 40 % par des navires de guerre. 1642-1650, c’est après la catastrophe, une évolution vers de nouveaux et modestes équilibres.
2. Les grands axes américains38
85Si on abandonne le complexe pour les destinations américaines, on sera conduit à des constatations très différentes. Non seulement, 1642-1650 participent pleinement, sous cet angle, aux structures de la phase B du trafic, telles qu’elles nous étaient apparues39 précédemment, mais, non contents de les conserver, elles les accentuent.
86Jamais, en effet, dans le mouvement Allers, la part de la Terre Ferme n’a été relativement, aussi importante, et celle des îles, aussi totalement, laminée. A tel point que cette situation apparaîtra comme une des caractéristiques majeures, dans ce domaine, de la phase B de la décroissance du trafic. Élimination faite des indéterminés et des directions multiples, on était passé de la répartition suivante, en tonnage, à l’Aller au cours du cycle 1614-1622 : Nouvelle Espagne, 52,5 %, Terre Ferme, 38,5 % et les îles 10 % (on peut considérer cette ventilation comme le standard du sommet du trafic) à des ventilations qui substituaient la Terre Ferme à la Nouvelle Espagne en position dominante, non seulement en valeur comme elle n’avait jamais cessé de l’être mais en volume, aussi. Soit, élimination faite, toujours, des indéterminés et directions multiples, de 1623 à 1631, Terre Ferme, 49 % ; Nouvelle Espagne, 38 % ; îles, 13 % ; de 1632 à 1641 : Terre Ferme, 53 % ; Nouvelle Espagne, 35 % ; îles, 12 %.
87Au cours du cycle 1642-1650, ces caractéristiques sont, non seulement conservées, mais renforcées, encore. La Terre Ferme, avec 197 navires et 51402 toneladas, totalise à l’Aller 50,8 % du mouvement unitaire et 56,5 % du mouvement en tonnage, la Nouvelle Espagne avec 140 navires et 43 350 toneladas, 39,9 % du mouvement unitaire et 38,2 % du mouvement en tonnage, les îles, 52 navires, 8 657 toneladas soit, respectivement, 13,3 et 7,6 %.
88Deux séries méritent d’être suivies avec une particulière attention à travers les cycles du plateau descendant et de la décroissance. Pour les îles, c’est la ligne des 10 % (1614-1622), 13 % (1623-1631), 12 % (1632-1641) et 7,6 % (1642-1650). Pour la Terre Ferme, une ligne uniformément ascendante, 38,5 % (1614-1622), 49 % (1623-1631), 53 % (1632-1641), 56,5 % (1642-1650).
89Ces éléments appellent deux constatations. Les îles, après une légère reprise — elles font un peu volant de 1623 à 1641 — disparaissent, pratiquement, du champ d’action de Séville. 1642-1650 préparent les renoncements officiels de 1659 et de 1697. Le repli du commerce officiel espagnol de la Méditerranée américaine a donc précédé et préparé les occupations étrangères. La montée relative de la Terre Ferme est, apparemment, un événement de longue durée logique, finalement. Le rapport Nouvelle Espagne/Terre Ferme dans le commerce officiel tend à se rapprocher du rapport vrai des surfaces colonisées respectives. On notera, en outre, combien cette montée relative de la Terre Ferme — il vaudrait mieux parler, sans doute, d’une décadence moins rapide40 — cadre assez bien avec ce qu’on peut entrevoir du rythme de l’économie minière dominante41 à travers les importations officielles dans le Guadalquivir. De 1636 à 1640, la Terre Ferme avait fourni 60 % des importations et la Nouvelle Espagne 40 %. De 1641 à 1645 et de 1646 à 1650, la part relative de la Terre Ferme s’accroît sensiblement, 76 % au lieu de 60 % de 1641 à 1645, 78 % de 1646 à 1650, tandis que la part de la Nouvelle Espagne s’abaisse dans le même temps de 40 % à 24 et 22 % seulement. Cela signifie, en réalité, que les importations métalliques de la Terre Ferme réussissent à se maintenir au même niveau, tandis que celles de la Nouvelle Espagne s’effondrent et sont responsables du mouvement de rapide décrue qui marque cette période. Il faudra attendre plus d’un siècle, la seconde moitié du xviiie siècle, pour que la Nouvelle Espagne surclasse, à nouveau, la Terre Ferme.
90Au cœur même de ces années, on peut suivre, d’ailleurs, le mouvement qui va s’affermissant à un rythme accéléré. Au cours de l’ensemble du cycle 1632-1641, les proportions étaient respectivement en Allers, en tonnage de 53 % pour la Terre Ferme, 35 % pour la Nouvelle Espagne et 12 % pour les îles. Au cours de la fluctuation primaire, 1639-1641, la Terre ; Ferme représente déjà 56 %, les îles 17 % et la Nouvelle Espagne 27 %. De 1642 à 1648, les proportions sont respectivement de 51,3 %, 7,3 % et 41,4 % de 1642 à 1644, de 49,9 %, 8,2 % et 41,9 %, de 1645 à 1648, 52,6 %, 6,5 % et 40,2 % et de 1649 à 1650, de 67,9 %, de 9,2 % et de 22,9 %. La tendance au primat de la Terre Ferme s’accentue donc rapidement et régulièrement.
91Par rapport à l’ensemble de la période qui commence au-delà de la crise des années 1619-1622, la solidarité du cycle 1642-1650 est donc totale. Toutes les évolutions commencées se poursuivent et se précisent dans la ligne antérieurement fixée.
PRÉCISION DE LA CONNAISSANCE ET MATÉRIEL NAVAL
92Pour mesurer dans le détail la dynamique du mouvement, quelles sont nos armes ? Elles sont, à la fois, meilleures et moins bonnes que par le passé.
93Jamais, tout ce qui a trait au navire, n’aura été connu avec autant de précision. En ce qui concerne le volume utile du navire, on approche de la perfection. Pour l’ensemble du cycle, la répartition des tonnages42 n’a jamais été aussi bonne. A l’Aller, les connus directement s’élèvent à 88,1 %, les connus indirectement à 5,24 %, l’ensemble des connus à 93,34 % et les évalués à 6,66 %. Pour les Retours, 85,6 % pour les connus directement, 5,2 % pour les connus indirectement et 90,8 % pour l’ensemble des connus et 9,2 % pour les évalués. Pour les Allers et retours, 86,9 % pour les connus directement, 5,2 % pour les connus indirectement, 92,1 % pour l’ensemble des connus et 7,9 % pour les évalués. On peut considérer que de tels résultats atteignent la perfection compatible avec le genre43. Au cours de la fluctuation 1642-1644, les proportions sont, si possible, meilleures, encore. A l’Aller, connus directement, connus indirectement, ensemble des connus et évalués, s’alignent de la manière suivante : 94,4 % pour les connus directement, 3,7 % pour les connus indirectement, 98,1 % pour l’ensemble des connus et 1,9 % pour les évalués ; en Retours, 85,8 % pour les connus directement, 5,8 % pour les connus indirectement, 91,6 % pour l’ensemble des connus et 8,4 % pour les évalués, en Allers et retours, 92,1 % pour les connus directement, 5,2 % pour les connus indirectement, 97,3 % pour l’ensemble des connus et 2,7 % pour les évalués. On peut donc considérer, sans exagération, qu’on est arrivé à retrouver exactement, au cours de ce cycle, d’une manière à peu près parfaite, ce que fut la mesure des contemporains sur leurs propres navires.
94Quasi perfection également, en ce qui concerne la provenance et le type du bateau44. La proportion des navires sur lesquels on possède, désormais, des renseignements est de l’ordre, en moyenne, de 80 %. On peut donc, dans ce domaine, juger à coup sûr.
95On est moins bien pourvu, par contre, en ce qui concerne l’âge des navires utilisés45 et la vitesse de rotation des convois46. Pour l’âge du matériel naval, on descend presque en dessous du seuil de sécurité. On pourrait, du moins, le craindre si la masse des renseignements recueillis sur le type et la provenance, d’une part, et la brutalité du rythme de transformation ne venaient à l’appui des renseignements obtenus directement.
96Un faisceau de faits semble certain. On assiste à un renouvellement à peu près complet de la masse navale de la Carrera. En raison de l’épuisement du vieux stock insuffisamment entretenu et renouvelé pendant la phase de contraction. Après être passé par ce maximum de 9 ans et 9 mois de 1631 à 1635, la tendance au rajeunissement n’a cessé de se préciser et son rythme de se précipiter : 8 ans 8 mois, 7 ans 3 mois, 3 ans de 1636-1640, à 1641-1645 et 1646-1650 (49 navires d’âge connu sur 494, de 1631 à 1635, proportion suffisante, mais 17 seulement sur 477, 15 sur 356 et 6 sur 366, de 1636 à 1640, 1641 à 1645 et 1646 à 1650, soit des proportions insuffisantes), si l’invasion de la Carrera, dont nous sommes sûrs, par des navires de provenances et de types nouveaux47 ne venait pleinement nous rassurer. Les navires espagnols ne représentent plus guère qu’un tiers, au terme de cette évolution, du matériel employé et les navires créoles, entendez américains, surtout des îles48 la Havane et Cuba, arrivent, très largement, au premier chef.
97Le renouvellement auquel on assiste est le type même de renouvellement, par modification après phase longue de désinvestissement, tel qu’on peut l’observer, aujourd’hui encore, dans nos économies modernes.
98Il représente une lourde charge pour l’économie de l’Atlantique de Séville après les lâches complaisances et les pernicieuses facilités du désinvestissement. La reconstruction ne se fait pas sur le même pied, mais sur un pied plus modeste et avec un matériel étranger. Avec, essentiellement, la collaboration désormais dominante de l’Amérique espagnole. De cet ensemble de données, on peut tirer les conclusions suivantes.
99Transformation profonde de la Carrera. La part de l’Espagne recule, dans un domaine, qu’elle avait, à la différence du négoce proprement dit, su, jusqu’ici, préserver : l’armement. La perte de l’armement pour l’Espagne constitue, peut-être, une des caractéristiques majeures de ces nouvelles structures.
100Cette perte est moins grave, pourtant qu’on ne pourrait le craindre, sous l’angle du monde espagnol, puisque, moins qu’une perte sèche, il s’agit, une fois de plus, d’un transfert, d’un glissement, à l’intérieur de l’Atlantique espagnol, de la rive européenne vers la rive créole, américaine. Après le négoce « perulero », l’armement et le navire « créole ». Moins que jamais le schéma banal, colonisant, colonisé, dominant, dominé n’est simplement valable. Une ventilation plus équitable est en cours à l’intérieur d’un monde espagnol, malheureusement, en perte de vitesse.
101Même sur un modèle différent, même sur un modèle réduit, faut-il prendre au sérieux les plaintes qui reviennent à propos d’un matériel naval moins bon. Sans doute, malgré l’optique sévillane de ceux qui écrivent, la construction navale créole n’a pu, d’entrée de jeu, atteindre à la perfection longuement affirmée de l’antique Biscaye. Même si elle s’opère sur un modèle de moindre qualité, cette reconstruction aura nécessité un effort considérable. Quand on appréciera les chiffre du palier descendant, faiblement descendant d’après 1642, il faudra tenir compte des nécessités et des handicaps de cette reconstruction. Il n’est pas négligeable qu’ils aient été aisément dépassés.
102Le rythme de rotation des convois, malgré la réduction des données disponibles49, permet quelques présomptions. Si on considère l’ensemble des données disponibles les plus valables50, on observe, quelque peu paradoxalement, d’abord, une tendance assez accusée à l’accélération du rythme des convois. Paradoxalement, en raison de la conjoncture générale, mais paradoxalement, d’abord, seulement. Cette tendance à une sensible accélération permet de nuancer, peut-être, les réticences que l’on sera susceptible de relever de ci de là, dans les textes de la Casa de la Contratación sur la médiocrité du matériel nouveau, pour l’essentiel, un matériel créole. Empressons nous d’ajouter que beaucoup trop de facteurs, autres que la vitesse même des navires interviennent pour qu’il y ait, entre ces données, une contradiction insurmontable.
103Mais cette tendance sûre à l’accélération des vitesses après la vague de lenteur des années 1615-1640 s’explique, très facilement, par deux aspects de la réalité du cycle 1642-1650. La réduction massive du volume global du matériel naval et le renouvellement de fond en comble dudit matériel.
104Matériel jeune, matériel renouvelé, matériel étranger, alors que le comportement des prix espagnols ruine le change..., donc matériel coûteux. Matériel réduit, plutôt en-dessous des besoins qu’au-dessus comme ce fut le cas jadis au cours de l’intercycle de désinvestissement massif du capital naval de 1616 à 1630, surtout, donc matériel qu’il faut mieux utiliser. Les tables des vitesses de rotation des convois51 laissent apparaître une forte présomption de très nette accélération de 1641-1645 à 1646-1650. Covariation révélatrice, les tables de l’âge du stock des navires52 révèlent d’une demi-décade à l’autre un rajeunissement radical, en portant l’âge moyen des navires de 7 ans trois mois à trois ans, il implique un renouvellement de fond en comble du stock des navires.
105L’accélération de plus en plus sensible du rythme de rotation des convois au cours du cycle 1642-1650, n’est pas une accélération par pléthore de la demande du négoce (accélération d’expansion) mais une accélération par insuffisance et trop haut prix de l’armement (accélération de pénurie). Ce ne sera pas la première fois qu’on aura observé pénurie et excès d’abondance engendrer les mêmes signes cliniques.
106Face à cette richesse ou relative richesse, on aura à déplorer, par contre, quelques graves défaillances. Après la disparition du détail des marchandises53, la syncope des valeurs54. Ces défaillances sont elles-mêmes conséquence de la désorganisation de la fiscalité et de la perte progressive sinon de la notion, du moins, de la pratique de l'ad valorem55. On ne dispose plus guère et pour peu de temps, que de données médiocres et sporadiques56. Ceci, en gros, compense cela.
V. — HYPOTHÈSES
107Telles sont, en se bornant à l’essentiel, quelques-unes des caractéristiques les plus importantes de la réalité du trafic de 1642 à 1650. Il faut, pour finir, les replacer dans un cadre plus large, d’histoire économique espagnole, d’histoire économique globale et d’histoire tout court.
108Pour chercher à éclairer cette histoire, il importe, sans conteste, de recourir aux principes d’analyse précédemment retenus. On peut être sensible, surtout, à tel aspect ou à tel autre, de la conjoncture de ces années. Ou bien, le cycle, voire la fluctuation, ou bien l’intercycle. L’éclairage des conditions de la formation du cycle et de la fluctuation ne peut être le fait que d’une étude détaillée — on s’y efforcera dans les pages qui viennent — pour le moment, tout au plus, peut-on se borner aux très grandes lignes.
109Dès le début du cycle, malgré les apparences, s’esquissait l’ébauche d’un intercycle de ralentissement de la décroissance et de consolidation, dans une certaine mesure, du trafic. On passerait donc de la chute a une certaine stabilité du drame à une installation dans la catastrophe.
110On retrouve, dans le cheminement des prix espagnols, quelque chose d’analogue. Et notamment, si on se tourne, par exemple, vers les prix espagnols les plus généraux, les indices des prix-argent56.
111Vu de très loin, en effet, il y a depuis 1601, dans une certaine mesure, depuis 1605, sûrement, une tendance en très gros, faiblement déclinante jusqu’en 1642, puisqu’on va de l’indice 143,55 en 1602 ou de l’indice 142,20 en 1605 jusqu’à l’indice 101,45 de 1642. Au-delà, il y a reprise et consolidation du plateau antérieur, — mis à part même, la flambée de 16-13 et 1644 (indices 140,55 et 138,63) qui est une conséquence de l’effet déflationniste, contre coup de la poussée billonniste de 1612 — plateau ascendant de 1645à 1617, (indices 132,91, 133,06 et 134,97, puis nette montée de 1618 à 1650, indices 138,93, 139,87 et 143,22. 1613-1650 ne signifie pas — il s’en faut de beaucoup57 — une reprise d’un mouvement ascensionnel qui ne se manifeste pas avant les premières décades du xviiie siècle, mais, tout au plus, un coup de frein, un sérieux temps d’arrêt. Après la débâcle des années 1637-1642, on assiste sur les prix à un intercycle de consolidation, qui, certes, n’égale pas les points hauts du sommet de la courbe des prix-argent de 1601 à 1605, mais qui nous ramène à des niveaux beaucoup plus proches que ces derniers. Il y a donc, identité du schéma général du mouvement des prix-argent et du schéma général des volumes du mouvement dans l’Atlantique à l’intérieur d’un cadre assez grossièrement décennal. Le redressement des prix-argent espagnols précédant et exagérant, en quelque sorte, la tendance qui est plus légèrement esquissée, sur le trafic. Vraisemblablement parce qu’il y a eu pour le trafic perte de substance et mutation de structures telles que la pente ne peut plus désormais être remontée. A une reprise, effective du prix à long terme, le trafic se contente de répondre par une simple modification de l’accélération. L’identité est trop évidente, pourtant, trop conforme à ce qu’on était en droit d’en attendre, a priori, pour qu’on n’y soit pas sensible.
112Cette corrélation est vraie pour les prix espagnols. Elle ne s’appliquerait pas à des séries plus lointaines, bien que reflet meilleur de ce qui se passe sur un marché plus ouvert, plus éveillé à tous les échos d’Europe, Amsterdam par exemple. Mais il ne faut pas oublier le caractère moteur des faits espagnols et hispano Atlantique dans la première partie, encore, du xviie siècle. Le renversement des prix espagnols précède de plus de trente ans celui des prix hollandais. Ce qu’il y a d’économie mondiale d’échanges se trouve dans les années qui suivent 1640, sous le coup du vide creusé par la disparition de l’Atlantique dominant de Séville. Les équilibres qui s’établissent à l’intérieur du cadre géographique de la Carrera et des prix espagnols, sont des équilibres locaux..., qui ne sont plus susceptibles d’influencer, durablement, les marchés européens. Il en va ainsi, désormais, après la plongée dans le néant, à Séville, de l’Atlantique hispano-américain des années 1637-1642.
113Identité prix-trafic, donc, dans le cadre de l’intercycle. On pourrait être frappé, par contre, d’une certaine difficulté à faire cadrer, le rythme cyclique général du mouvement avec l’allure globale des prix.
114Mais la difficulté reste en surface. Si on se tourne vers les prix, on cherche, en effet, en accord avec les trafics, au-delà de 16-17 et 1648, une plongée. On trouve, au contraire, une accentuation du rythme ascensionnel des prix58. C’est surtout en Andalousie qu’on assiste à une véritable montée en flèche sur deux ans, indice 126,44 en 1648, indice 136,00 en 1649, indice 157,53 en 1650.
115Cette apparente contradiction se résout facilement, si on tient compte du facteur monétaire. La flambée des prix nominaux, andalous, surtout, de 1649 et 1650, semble avoir été, d’abord, un fait monétaire, une nouvelle poussée d’inflation que la suite corrobore. L’inflation commande la montée des prix nominaux, avant d’agir d’une manière dépressive sur les prix-argent.
116On peut, donc, concevoir qu’au-delà de 1648, l’inflation59 vient, à nouveau, inverser les rapports. La montée de prix, loin d’être un tonique, se mue en handicap, en empêchement à la croissance.
117En gros, on peut imaginer, à condition de faire intervenir le facteur inflationniste perturbant des années 1649-1650, une ébauche de corrélation positive prix-trafic, assez étroite, valable, grossièrement, pour l’ensemble de la fluctuation cyclique.
118C’est ce qui nous reste à voir, désormais, plus en détail.
Annexe
ANNEXE. MOUVEMENTS ALLERS, RETOURS ET ÉQUILIBRE ALLERS ET RETOURS DANS LE CADRE DES TROIS ANS
Notes de bas de page
1 Cf. ci-dessus p. 1836-1851.
2 Cf. t. VI1, table 132, p. 330 et table 142, p. 340 ; t. VII, p. 43-47 et p. 52-53.
3 Cf. t. VI1, tables 152, 155 et 158, p. 349, 352, 355 et t. VI, p. 44-47, 50-51.
4 Cf. ci-dessus p. 1814-1834,.. 1837-1846,.. 1885-1896.
5 Cf. ci-dessus p. 1685-1704.
6 Cf. t. VI1, table 132, p. 330 et table 142, p. 340 ; t. VII, p. 44-47.
7 Cf. ci-dessus p. 1819-1821, 1840-1841.
8 Cf. t. VI1, table 135, p. 333 et table 142, p. 340 ; t. VII, p. 44-47.
9 Cf. t. VI1, table 138, p. 336 et table 142, p. 340.
10 Cf. t. VII, p. 51.
11 Cf. t. VI1, table 132, p. 330 ; t. VII, p. 44-47.
12 Cf. t. VI1, table 135, p. 333 ; t. VII, p. 44-47.
13 Cf. t. VI1, table 138, p. 336 ; t. VII, p. 44-47.
14 Cf. ci-dessus p. 1797-1799.
15 Cf. t. VI1, tables 152, 155 et 158, p. 349, 352 et 335 et t. VII, p. 44-47 et 50-51.
16 Dans la mesure où on se trouve en fin de série, on a intérêt à utiliser, plutôt que les moyennes médianes publiées dans le tome VI et graphiquées dans le tome VII, des moyennes arrière. Pour obtenir une moyenne arrière en partant de la moyenne médiane, il suffit de faire subir à la série, en l’occurrence, une translation sur deux ans et d’attribuer à 1650 la moyenne de 1648, à 1649, celle de 1647, etc.
17 On peut établir ce ralentissement du rythme de la décroissance par toute une série de méthodes voisines. En comparant, par exemple, les niveaux cycliques du mouvement d’un cycle sur l’autre. D’un cycle sur l’autre, la descente des moyennes en Allers et retours s’est faite de la manière suivante :
Le mouvement annuel moyen des Allers et retours au cours du cycle 1614-1622 était de 11,7 navires et de 4 093,3 toneladas inférieur à celui du cycle 1605-1613. De 1614-1622 à 1623-1631, le décrochage était dans les mêmes conditions de 41,6 unités et 2 948 toneladas, de 1623-1631 à 1632-1641, de 31,6 navires et de 7 140 toneladas, il n’est plus de 1632-1641 à 1642-1650 que de 5 723,5 toneladas et 19,7 unités. Manifestement même, si en tonnage, le pourcentage de recul 20 % reste le même entre 1632-1641 et 1642-1650 qu’entre 1623-1631 et 1632-1641, sur le mouvement unitaire il n’est plus que de 21 % au lieu de 25,5 % dans le cas précédent. On vient de passer par un maximum, d’autant plus que les trois dernières années du cycle 1632-1641, soit 1639-1641 étaient avec 69,3 unités et 22 101,6 toneladas parfaitement assimilables au niveau annuel cyclique du mouvement global de 1642 à 1650, soit 74,5 navires et 23 437,7 toneladas.
La rupture dans la décroissance est plus sensible encore sur les seuls Allers, puisque, de 1623-1631 à 1632-1641, la déroute du mouvement annuel est de 5 218 toneladas, de 2 728 toneladas, seulement, de 1632-1641 à 1612-1650, soit 22 % d’un côté, contre seulement un peu plus de 17 % de l’autre.
18 En se plaçant, notamment, sur les moyennes mobiles de cinq ans (cf. t. VI1, tables 152, 155 et 158, p. 349, 352 et 355 ; cf. t. VII, p. 52-53) le procédé aurait un avantage certain, celui de prouver que si la tendance décroissante se poursuit tout au travers du cycle 1642-1650, c’est grâce uniquement à l’aplatissement des zones d’expansion cyclique. On observe aisément, en effet, que sur les moyennes mobiles médianes ou arrière de cinq ans, en Allers, Retours et Allers et retours, les parties hautes du cycle 1642-1650 sont très inférieures à celles du cycle 1632-1641, mais que, par contre, les parties basses qui terminent le cycle 1632-1641 sont plus élevées que la partie basse finale du cycle 1642-1650.
En Allers, par exemple (cf. t. VI1, table 152, p. 349) 1648, 1649 et 1650 se situent respectivement à 19 930,64 tonneaux, 13 312,42 tonneaux et 13 211 tonneaux (1646, 1647, 1648 sur la moyenne médiane de la page 349 du tome VI1), 1643, 1644 et 1645 par contre, respectivement à 12 791,40 tonneaux, 14 263 tonneaux et 12 437 tonneaux (1641, 1642, 1643 sur la moyenne médiane de la page 349 du tome VI1).
En Retours (cf. t. VI1, table 155, p. 352), les niveaux de 1648, 1649, 1650, 12 494,9 tonneaux, 15 066,92 tonneaux et 11 506 tonneaux (1646, 1647, 1648 sur la moyenne médiane de la page 352 du tome VI1) surclassent nettement ceux de 1642, 1643 et 1644, soit 8 970,72 tonneaux, 13 104,46 tonneaux et 9 278,22 tonneaux (1640, 1641, 1642 sur la moyenne médiane de la page 352 du tome VI1).
En Allers et retours (cf. t. VI1, table 152, p. 355), les niveaux de 1648, 1649, 1650, 28 425,54 tonneaux, 28 379,34 tonneaux et 24 261,1 tonneaux surclassent nettement ceux de 1642, 1643, 1644, 22 876,95 tonneaux, 25 896 tonneaux, 23 641,26 tonneaux (soit les chiffres correspondant respectivement, aux années 1646, 1647, 1648 et 1640, 1641, 1642 sur les moyennes mobiles médianes de cinq ans de la page 355 du tome VI1).
19 Cf. ci-dessus p. 1860-1862.
20 Onze et treize ans, surtout ; cf. t. VI1, tables 144-158, p. 342, 358.
21 Cádiz et l’Atlantique (1651-1783), suite à paraître au Centre de Recherches historiques de la VIe Section de l’École pratique des Hautes Études.
22 Cf. t. VI1, table 160, p. 357.
23 Cf. ci-dessus p. 1595,.. 1581-1582,.. 1414,.. 1199,.. 940.
24 Cf. ci-dessus p. 1171-1173.
25 Cf. ci-dessus p. 1823-1826.
26 Cf. t. VI1, table 12d, 12e, p. 164-167 et t. VII, p. 36-37.
27 Cf. t. VI1, p. 10 à 14.
28 Cf. t. VI1, table 159, p. 356 et t. VII, p. 52-53, Déficit des Retours.
29 Cf. t. VII, p. 52-53.
30 Cf. ci-dessus p. 1865-1866.
31 Voir Annexe p. 1883.
32 Cette vague à très long rayon corrobore l’hypothèse qu’on a présentée de modification importante du gradient de la tendance majeure à l’intérieur même de la fluctuation cyclique 1642-1650.
33 Cf. ci-dessous p. 1883, Annexe.
34 Cf. ci-dessus p. 1819-1820,.. 1840-1841,.. 1881.
35 Cf. t. VI1, table 152, p. 356 et t. VII, p. 44-47 et 51.
36 Cf. t. VI1, table 183, p. 388-391 et table 184. 392, 395 et t. VII, p. 64-65.
37 Cf. ci-dessus p. 1546-1553.
38 Cf. t. VI1, table 167, p. 366 et t. VII, p. 66-67.
39 Cf. ci-dessus p. 1553-1561.
40 Cf. t. VI1, table 174, p. 373 ; t. VII, p. 75.
41 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 43.
42 Cf. t. I, p. 300.
43 Cf. t. VII, p. 1243 et t. VI1, tables 132, 135 et 133, p. 330-333 et 336.
44 Cf. t. VI1, table 12, p. 154-157, 12D, p. 166-167 et t. VII, p. 34-36.
45 Cf. t. VI1, table 17, p. 176-177.
46 Cf. t. VI1, tables 13 à 123, p. 178 à 319.
47 Cf. ci-dessus p. 258 et t. VI1, tables 12, 12d, 12e, p. 154-157,164-165 et 166-167 ; t. VII. p. 34-35, 36-37.
48 Cf. ci-dessus t. VIII1, p. 566, note 3,...
49 Cf. t. VI1, tables 18 à 128, p. 178 à 319.
50 Cf. t. VI1, tables 19, 21, p. 178, 182, tables 87, p. 256, tables 125, 126, p. 312, tables 127, 128, p. 316.
51 Cf. ci-dessus p. 1879, note 2.
52 Cf. t. VI1, table 17, p. 176-177.
53 Cf. t. VI1, tables 669 à 759, p. 980 à 1034.
54 Cf. t. VI1, tables 198-229, p. 414 à 474.
55 Cf. t. I, p. 88 à 124.
56 Cf. t. VI1, table 216, p. 458-461, table 217, p. 462-165, table 232, p. 469.
57 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 403 et t. VI1, table 164, p. 363 et t. VII, p. 54-55.
58 E. J. Hamilton, War and Prices, 1651-1800, op. cit. E. J. Hamilton, 1501-1650, p. 215-216, p. 403 et t. VI1, table 164, p. 363.
59 Ibid., p. 96-97.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Meurtre au palais épiscopal
Histoire et mémoire d'un crime d'ecclésiastique dans le Nordeste brésilien (de 1957 au début du XXIe siècle)
Richard Marin
2010
Les collégiens des favelas
Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro
Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992