Chapitre VIII. Le cycle des ruptures (1632-1641). La fausse fluctuation de l’effondrement (1639-1641)
p. 1793-1851
Texte intégral
1C’est ici, et dès 1639, que la dernière grande mutation de la décroissance se produit. La dernière marche est descendue. Elle amène le trafic sur un niveau, pratiquement incompressible, tant il est bas.
2Quelques chiffres suffiront à le démontrer.
3Le niveau du mouvement Allers (mouvement annuel moyen) se situe (moyenne annuelle), au cours du cycle 1632-1641, à 15 329,2 toneladas et 57,2 navires, 16 859 toneladas et 65,1 navires, au cours de la première partie du cycle de 1632 à 1638. Le volume de la dernière fluctuation (1639-1641) est, évidemment, beaucoup plus proche du cycle 1642-1650 qu’il ne l’est de la première partie, voire même de la totalité du cycle auquel il appartient, soit 38,66 navires, 11 759,6 toneladas pour la dernière fluctuation (1639-1641) du cycle 1632-1641, contre 43,2 unités et 12 601 toneladas (moyenne annuelle du cycle 1642-1650). On voit, tout de suite, pour le mouvement moteur des Allers, où se situe la rupture. On ne trouverait, nulle part ailleurs, un dénivellement négatif aussi brutal, puisqu’il est exactement d’un tiers d’une fluctuation à l’autre1. Désormais, à l’Aller, du moins, le trafic n’aura plus rien à perdre. Le voilà descendu au niveau-limite à peine compatible avec le maintien des indispensables liaisons impériales.
4Pour les Retours, la situation est à peu près identique. Le niveau annuel moyen de la dernière fluctuation, 30,6 unités, 10 342 toneladas est peut-être moins creusé, par rapport aux niveaux précédents de 1632-1638, voire même de l’ensemble du cycle 1632-1641 (soit 42,3 unités et 12 304,2 toneladas et 36,9 navires et 11 715,6 toneladas) que ne l’étaient les Allers, dans le même cadre chronologique. Il est toutefois beaucoup plus éloigné de ces niveaux qu’il ne l’est de la moyenne du cycle suivant, 31,3 unités, 10 836,7 toneladas.
5En fait, le contraste n’est pas aussi sensible pour les Retours qu’il ne l’est pour les Allers, c’est, tout simplement, parce que le découpage chronologique de la fluctuation valable pour les Allers et les globaux Allers et retours ne vaut plus pour les Retours. En effet, la coupure des Retours, on l’a vu2, se situe plus tôt, entre 1637 et 1638, que pour les Allers. Si on annexe, comme il faudrait le faire, 1638 à la dernière fluctuation des Retours, soit qu’on la délimite de 1638 à 1640, voire de 1638 à 1641, on aura restitué à l’accident toute son ampleur et replacé à sa vraie place la mutation quantitative décisive.
6En effet, il suffit de comparer, non plus 1639-1641 mais 1638-1640, ou 1638-1641, aux niveaux encadrants, soit, les niveaux moyens de 23,5 navires et 7 798,5 toneladas (Retours de 1638 à 1641) aux niveaux moyens des deux cycles, 57,2 unités et 15 329,2 toneladas (1632-1641), 65,5 navires, 16 859 toneladas., de 1632 à 1638, 31,3 navires et 10 836,7 toneladas, avons-nous dit, de 1642 à 1650.
7Le creux serait beaucoup plus marqué, encore, si on choisissait une autre définition — et beaucoup plus significatif — de 1638 à 1640, soit 20,6 unités et 6 673,3 toneladas, contre 15 329,2 toneladas et 10 836,7 toneladas. Le décrochement, dans ce cas, est de l’ordre de 60 %. Le changement de niveau est marqué moins par une marche d’escalier que par une véritable fondrière. Enfin et surtout, le creux des Retours ne suit pas, mais il précède la rupture politique de 1640. Au lendemain, au contraire, il y a reprise, très tôt, puisque de 1642 à 1644, la moyenne annuelle des Retours remonte à 24,3 navires et 9 471,6 toneladas, à 34,5 unités et 12 061,7 toneladas, de 1642 à 1648, voire même 42 unités, 14 00-1,2 toneladas, de 1615 à 1618. Or les Retours d’Amérique sur Séville, qu’est-ce ? Le canal que doivent, nécessairement, emprunter les bénéfices réalisés dans les transactions du grand trafic transatlantique — on est bien obligé de constater que la panne des Retours, est, entre autres, une panne d’argent — a précédé et non suivi la rupture portugaise.
8Ce n’est pas seulement dans le cadre d’une conjoncture à long terme que la rupture se produit — le renversement de la tendance majeure du trafic précède, d’une manière trop évidente, la cassure politique de 1610, pour qu’il soit utile d’insister — mais dans le cadre, également, le plus conventionnel de la conjoncture cyclique. La rupture politique de 1640 se situe donc, une fois engagée la phase B du trafic, au terme d’une contraction cyclique extraordinaire. Il n’existe dans le cadre du cycle décennal, aucune contraction aussi profonde que celle observable ici. Contraction de 33 %, à l’Aller, de 60 % au Retour, entre les deux premières fluctuations primaires et la dernière fluctuation primaire du cycle.
9La date politique de 1640 arrive, donc, au terme d’un double accident de la conjoncture économique : superposition de la plus forte contraction décennale d’un siècle et demi d’histoire, d’un trafic « dominant » et d’une phase longue depuis vingt ans, de contraction séculaire.
10Ce schéma rappelle, à plus d’un égard, le schéma célèbre d’Ernest Labrousse qui explique, d’une manière si satisfaisante, la chronologie de la Révolution française. Celui que l’on propose, ici, est seulement plus grossier. En raison, quoi qu’on fasse, de l’infériorité statistique du premier xviie siècle par rapport à la richesse du xviiie siècle finissant. Tout comme le modèle d’Ernest Labrousse, notre schéma plus sommaire prétend moins à expliquer qu’à localiser. La conjoncture économique n’est, ici, à l’origine de la révolution ibérique de 1640, comme, plus tard, à l’origine de la révolution française de 1789, qu’un facteur entre plusieurs facteurs, une cause, pas nécessairement la plus profonde et la plus importante entre beaucoup d’autres causes. La conjoncture économique, par contre, est le fixateur clef de la chronologie. C’est elle en 1789 — Ernest Labrousse l’a démontré d’une manière définitive — qui fixe la chronologie. C’est elle qui, en dernier ressort, a mis en place, sous la forme et dans l’ordre que nous lui connaissons, l’enchaînement concret des événements. La conjoncture économique ne crée pas, du moins, facilement, visiblement, elle parachève, accentue, précipite des évolutions, ébranle des structures, pousse d’autres structures à l’émergence. Elle est le grand ordonnateur, plus démiurge que vraiment créateur.
11Pour les globaux, Allers et retours, on retrouve, naturellement, la même ordonnance, entendez une solidarité du trafic, de 1639 à 1641, avec le cycle 1642-1650 et non pas avec le passé récent de la fluctuation décennale 1632-1641. La moyenne annuelle du trafic global, au cours de la fluctuation 1639-1641, 69,3 unités, 22 101,6 toneladas, apparaît nettement en retrait des moyennes annuelles du cycle (1632-1641), 94,1 unités, 27 044,8 toneladas et, à plus forte raison, de l’ensemble 1632-1638 des deux premières fluctuations, 104,7 unités, 29 163,2 toneladas. Elle est toutefois légèrement en contrebas de la moyenne du cycle suivant, 74,5 unités, 23 437,7 toneladas, de 1642 à 1650, 80,2 unités, 25 464,1 toneladas, pour l’ensemble des deux fluctuations 1642-1648. Seule, la dernière fluctuation du cycle suivant (1649-1650) se place à un niveau inférieur (55 navires, 16 345,5 toneladas). Ici, pourtant, comme pour les Allers3, on peut douter que les termes 1639-1641, d’une part, 1649-1650, d’autre part, soient exactement comparables. A certains égards, les couples, 1611-1612, d’un côté, 1619-1650, de l’autre seraient plus valablement comparables (52,5 unités, moyenne annuelle de 1641 à 1612, et 15 630,5 toneladas. contre 55 unités et 16 345,5 toneladas, de 1619 à 1650 à l’autre terme du cycle). Une fois de plus, la supériorité de l’anomalie négative des années 40 serait restituée.
12Quantitativement, la mutation du trafic, la dernière grande mutation descendante du trafic de la Carrera traditionnelle, se situe bien, au cours de la dernière fluctuation primaire du cycle 1632-1641. Le dernier cycle, le dernier palier n’est pas autre chose qu’une consolidation du niveau de la catastrophe, qu’un alignement sur le niveau de la catastrophe. Cette règle est, en quelque sorte, la règle de la phase longue de la décroissance. Mais elle s’applique, ici avec une étonnante simplicité, avec une évidence exceptionnelle.
13Mais ce n’est pas, quantitativement, seulement, que la dernière fluctuation (1639-1611) du cycle 1632-1611 s’aligne sur le dernier palier, ce n’est pas, quantitativement, seulement, que les derniers moments d’avant la grande cassure, d’avant l’irrémédiable brisure de la péninsule, de l’empire, de l'Atlantique et du Pacifique des Ibériques, participent, déjà, à la vie diminuée d’après le drame, mais c’est dans toute une série de phénomènes d’un ordre différent.
14Si on fait le rapport, par exemple, dans le stock des navires utilisés par la Carrière des Indes, des navires biscayens4 et des navires étrangers créoles, notamment, on constate que le seuil de la dernière dégradation, que le seuil de l’expulsion à peu près totale du matériel naval espagnol se place, non pas à la charnière du cycle 1632-1641 et du cycle 1612-1650, mais un peu avant, en gros, entre la seconde et la troisième fluctuation du cycle 1632-1611, entre 1638 et 1639. Le graphique le montre bien. L’expulsion quasi radicale des navires du Nord de l’Espagne se place entre 1637 et 1638.
15Ce seuil s’accompagne, la chose va presque de soi — les navires étrangers ou créoles qui font leur entrée dans la Carrera sont nécessairement plus jeunes que les navires usés du stock existant — d’une première accélération encore bien timide — il faut presque la solliciter à la loupe — de la tendance5 au rajeunissement, un rajeunissement en contraction, sur les mécanismes duquel il n’y a plus à revenir6.
16Mais il est inutile de multiplier les exemples, puisque la cause est plaidée et bien plaidée. La grande cassure qui achève de tout pulvériser des anciennes splendeurs de l’Atlantique de Séville se place au moment de la contraction cyclique terminale du cycle 1632-1641. Elle précède, dans une large mesure, un événement politique dont elle était grosse.
I. — 1639 : LA CRISE SE PRÉCISE
171639, à s’en tenir aux apparences plus fictives que jamais des Allers et retours, serait en reprise, par rapport à 1638. C’est un peu sur des apparences, dans l’ensemble, à peine meilleures que ne l’est celle-ci, que s’appuie la notion d’une fluctuation primaire, de 1638 à 1641. Avant de distinguer à l’intérieur de ces années dont l’homogénéité est si évidente, il importe, tout d’abord, de bien mesurer la commune disgrâce qui les unit.
LA LEÇON DES CHIFFRES
18L’illusion procède, essentiellement, du mouvement des Retours.
1. L’équilibre Allers-Retours
19De 1638, inclusivement, jusqu’en 1645, exclusivement — on pourrait presque pousser le raisonnement au-delà, jusqu’en 1650 — le mouvement saisi dans son rapport Allers/Retours, a perdu le bel équilibre qui avait été le sien de 1609 à 1627 et de 1632 à 1637, — on pourrait presque dire, en négligeant un peu vite des accidents, quand même, seconds, qu’il a perdu ce bel équilibre qui avait été le sien de 1609 à 1637.
201639 nous enfonce un peu plus avant dans une des trois grandes périodes de perturbation maximale de l’équilibre interne du mouvement. Ces trois grandes périodes apparaissent du premier coup d’œil sur le graphique déficit des Retours7 (t. VII, p. 52-53, en haut) : c’est, accessoirement, la décade des années 50, la grande récession intercyclique8 du demi-xvie siècle, la grande crise de la guerre hispano-anglaise de 1586 à 1597-1598, la sombre période, noire entre toutes, qui encadre les années 40. Dans l’ensemble, le dérèglement du rythme Allers et retours n’est jamais un signe de facilité et on serait presque tenté d’écrire de prospérité : la période 1551-1559 correspond, on l’a vu, à la grande récession intercyclique du demi-xvie siècle, 1586-1595, c’est le cas le plus douteux des trois, celui où le facteur militaire est le plus présent, où le facteur économique est le plus difficile à dégager, il n’en correspond pas moins à une large et puissante encoche, dans le rythme ascensionnel des volumes 9 — les moyennes mobiles de cinq ans le montrent avec beaucoup de vigueur10. Quant à la période 1638-1642, ne vient-on pas de voir qu’elle correspond à la rupture de pente négative la plus spectaculaire de toute l’histoire de la Carrera11 ?
21Les violents à-coups qui vont secouer pendant quelques années l’équilibre des Allers et des Retours constituent, donc, un aspect très important de la crise de structure qui s’ouvre pour la Carrière des Indes. Après l’anomalie négative record de toute l’histoire de la Carrera en 163812, on passe à une anomalie positive des Retours, considérable, 59,77 %, en tonnage13. Cette anomalie n’est pas la plus forte de l’histoire de la Carrera, puisqu’elle ne vient qu’au douzième rang, pour 145 ans exactement recensés, elle n’en est pas moins très marquante. En soi, pourtant, elle signifie peu de chose, malgré les déséquilibres qu’elle implique : dans le découpage chronologique arbitraire de l’année 1639, 36 navires partent, représentant 11 700 toneladas (soit 13 455 tonneaux), 50 unités reviennent qui totalisent 17 380 toneladas et 19 987 tonneaux soit déficit des Allers de 14 navires et 5 680 toneladas. La différence des tonnages unitaires, 325 toneladas à l’Aller, 377,6 toneladas au Retour, accentue l’écart en tonnage, par rapport à l’écart tel qu’il se présente sur le mouvement unitaire. Cette distorsion positive des Retours, toutefois, ne signifie pas grand chose, puisqu’elle est commandée par l’irrégularité du flux des Retours. C’est bien ce que prouverait la substitution aux chiffres vrais, dans le découpage annuel du mouvement, des chiffres obtenus par une moyenne mobile arrière de deux ans. On serait en présence, alors, d’une anomalie positive des Allers, qui ferait disparaître les sautes invraisemblables de la série : Déficit des Retours. Un procédé plus simple, encore, suffit à dégager, dépouillé de l’accidentel des Retours, le véritable équilibre Allers et Retours, que les caprices du découpage annuel risquent, une fois de plus, de masquer : de simples comparaisons trois ans par trois ans.
221635-1637 : la période d’expansion cyclique forme une zone d’anomalie positive maximale des Retours. Fait exceptionnel le tonnage des Retours n’arrive-t-il pas à équilibrer pratiquement, sur trois années consécutives, le tonnage des Allers, 50 450 toneladas pour 154 unités seulement, il est vrai, au Retour, contre 50 803 toneladas pour 207 navires à l’Aller. En tonnage, le pourcentage des Retours, au total, se tient entre 49,8 % et 49,9 %. 1641-1642 et 1613 constituent ensemble une anomalie positive plus extraordinaire encore (Allers : 104 navires et 24 578 toneladas ; Retours ; 101 navires mais 38 803 toneladas), entre ces deux anomalies une fantastique dépression des Retours. C’est cette dépression des Retours (62 navires, 20 020 toneladas au Retour, de 1638 à 1640, contre 169 navires et 49 906 toneladas à l’Aller) — dépression d’autant plus fatale qu’elle se situe en contraction — qui casse les ressorts de la Carrière des Indes et précipite la crise portugaise. On sait avec quelle impatience le négoce de Lisbonne attendait les arrivées d’argent américain.
23Mais en réalité, le découpage 1638-1640 gonfle artificiellement l’anomalie positive des Retours (en tonnage, les Retours ne représentent, au cours de ces trois ans, que 28,9 % de l’ensemble Allers et retours). En effet, ce qu’il faut considérer au cours de ces années, où il y a bien, au vrai, biennalité du flux Retours, c’est l’ensemble de deux ans qui comporte un creux des Retours et un nœud de Retours différés. Deux ensembles analogues sont constitués par les années 1638-1639, d’une part, 1640-1641, d’autre part. C’est dans ces cadres chronologiques qu’il faut étudier, le couple Allers-Retours.
24Ce procédé — mais on hésite à parler de procédé, puisqu’il rend au trafic la réalité vivante de son déroulement objectif — nous place en présence d’une réalité, qui n’a plus rien à voir avec l’anomalie positive des Retours, du découpage annuel. Cette réalité, c’est, sur deux ans, extraordinairement constante, une longue et puissante anomalie négative des Retours. Et non pas anomalie positive des Allers, comme on pouvait être tenté, superficiellement, de l’écrire. L’anomalie, en effet, est due, uniquement, à une dérobade, proportionnellement, beaucoup plus forte encore des Retours que des Allers, lors de cette grande catastrophe, où les Retours14 semblent avoir pris, délibérément, un rôle moteur. L’anomalie négative est claire : de 1638 à 1639, face à des Allers qui totalisent 108 navires et 29 500 toneladas, les Retours arrivent péniblement à avancer 52 unités et 17 540 toneladas, seulement. Aussi, en tonnage, les Retours ne représentent, au cours de ces deux années, que 37,3 % de l’ensemble et 32,5 % seulement, du mouvement unitaire. De 1640 à 1641, la situation s’aggrave, encore, dans une certaine mesure : face à 80 départs, totalisant 23 573 toneladas, les Retours ne comptent plus guère que 42 unités et 13 646 toneladas, 36,6 % seulement du tonnage global, 34,4 % du mouvement unitaire. Tout bien pesé, c’est exactement, compte tenu de la ventilation nécessaire des Retours sur deux ans, en 1641, que l’effet cumulatif de la défaillance des Retours se sera exercé au maximum, dans la vie de la Carrera. La grande et spectaculaire rupture, au seuil de laquelle 1639, malgré certaines apparences, nous conduit, est presque commandée et précédée par une énorme anomalie négative du mouvement Retours. Cette anomalie, le découpage annuel risquait, en 1639, de la masquer, il fallait, d’abord, lui restituer la plénitude de son exceptionnelle importance.
2. Allers
25La leçon des chiffres est directement utilisable ici. Elle indique, d’abord, un énorme décrochement. Le décrochement qui sépare le niveau de 1638, à l’Aller, du niveau de 1639, c’est un peu celui qui oppose le niveau du cyd-1632-1641, au niveau de la fluctuation décennale 1612-1650. Il suffira au mouvement, dans les années qui viennent, de confirmer cette défaite.
26De 72 à 36 unités, le recul du mouvement unitaire est exactement de 50, de 17 800 toneladas à 11 700 toneladas, de 20 475,75 tonneaux à 13 155 tonneaux, le recul du mouvement volumétrique moyen est d’un peu moins de 34,3 %. Par rapport à la moyenne mobile, la distance est prise d’une manière presque aussi décisive : après les écarts positifs des années 1636, 1637 et 1638.. soit 124,41 %, 108,92 % et 120,45 % on passe brusquement, à 79,67 %, soit le creux le plus considérable depuis 163215.
27On aura remarqué la distorsion tonnage-mouvement unitaire, qui s'ajoute aux autres distorsions, au seuil des deux périodes. Elle explique l’extrèm disparité de décrochements. On assiste, en effet, à une brutale remontée du tonnage unitaire16 d’un palier situé aux alentours de 240 toneladas, à un niveau de 80 à 90 toneladas supérieur (1636,238,75 toneladas, 1637,216,12 toneladas, 1638, 247,22 toneladas, puis brusquement, 325 toneladas en 1639). On sera d’autant plus tenté de prendre au sérieux ce mouvement en marche d’escalier, qu’il semble moins imputable à un hasard sans lendemain. Le passage de 247,22 toneladas à 325 toneladas, c’est un peu, en effet, le passage du niveau unitaire moyen des Allers de la fluctuation primaire 1635-1638 à celui de 1639-1641, soit de 245,9 toneladas à 304,1 toneladas. Dans l’ensemble, une fois de plus, le cycle 1612-1650 consolidera, pour l’essentiel, dans ce domaine, une mutation acquise, lors de la dernière fluctuation du cycle précédent, puisque le tonnage unitaire moyen des Allers, au cours du cycle 1612-1650, diffère peu du tonnage de la dernière fluctuation 1639-1641 du cycle 1632-1641, soit 292 toneladas (de 1612 à 1650) contre 301,1 toneladas de 1639 à 1611. Cette mutation, dans le cadre de 1639, notamment, est due à la réduction, puis, au-delà, à l’anéantissement du trafic négrier, à un certain accroissement relatif du nombre des navires d'armada et encore, mais dans le cadre, surtout, de l’année 1639, à l’apparition de monstres incommodes, comme cette nao napolitaine, la Nuestra Señora de la Concepción de Juan de Casanueva17 sur laquelle il y aurait, incontestablement, beaucoup à dire18.
3. Retours
28On se gardera bien, en ce qui concerne les Retours, par contre, de prendre au sérieux le découpage annuel du mouvement, puisque ce qui seul compte, c’est la ventilation sur deux ans. Avec son double, voire son triple convoi, au Retour19, 1639 cumule les retours qui auraient dû, normalement, avoir lieu en 1638 et ceux de 1639. Le contraste que fait le niveau des Retours de 1639 avec celui de 1638 ne prouve, donc, pas grand-chose20. De 2 à 50 unités, un saut en avant de 2 500 %, de 160 à 17 380 toneladas de près de 11 100 %. Avec, par rapport au trend, une mutation une fausse mutation de 1,44 % à 152,1 %. Il en va de même du tonnage unitaire. La comparaison avec 1638 n’aurait, par définition, aucun sens : on ne peut comparer entre eux, des éléments absolument incomparables. Encore qu’elle soit un peu moins marquée, qu’elle ne l’est pour les Allers, on sera sensible entre 1635, 1636 et 1637, d’une part et 1639, d’autre part, à une très nette reprise du tonnage unitaire des Retours (353,48 toneladas en 1635, 346,5 toneladas en 1636, 299,3 toneladas en 1637, 377,6 toneladas, par contre, en 1639).
29Mais la vraie comparaison doit se faire entre le niveau moyen des Retours de 1635 à 1637, soit 51,3 navires et 16 816,6 toneladas et celui des deux années parfaitement solidaires, on a vu pourquoi, de 1638 et 1639, 26 unités et 8 770 toneladas. Tel est le véritable mouvement des Retours, à la hauteur de 1639. On voit combien il s’écarte de l’aspect que lui confère le découpage annuel. De 1635-1637 à 1638-1639 et c’est cela seul qui compte, il y a eu recul de l’ordre de près de 50 % sur le mouvement unitaire et de plus de 47 % en tonnage. Une réduction de près de moitié du volume des Retours, sans grande mutation du tonnage unitaire de 334,1 toneladas à 337,3 toneladas. Cette constance au Retour du tonnage unitaire contraste avec les fluctuations du tonnage unitaire à l’Aller. Elle révèle une moindre souplesse et une présomption d’utilisation du matériel au maximum de ses possibilités dans ce sens du trafic.
4. Allers et retours
30Pour avoir une vue, conjoncturellement, plus objective du mouvement global Allers et retours, il faudrait, comme on l’a fait souvent, en d’autres circonstances, substituer dans la mesure du global aux chiffres vrais du découpage annuel, les chiffres tout aussi vrais, des moyennes sur deux ans21. En effet, le décrochement positif22 de 74 navires à 86 unités (15,2 %), de 16 965 toneladas à 29 080 toneladas (de 20 639,75 tonneaux à 33 442 tonneaux), soit 38 % ne fait pas autre chose que conserver scrupuleusement, en l’atténuant et le ventilant, le décrochement purement fictif des Retours dans le cadre artificiel du découpage annuel. Le redressement par rapport au trend de 69,77 % à 111,44 % n’a pas plus de signification.
31Une approche bien meilleure de l’évolution conjoncturelle d’une année sur l’autre, par les chiffres des Allers de 1638 et 1639, auxquels on aurait ajouté non plus les Retours correspondants, mais la moyenne des Retours sur deux ans. La contraction vraie des Allers serait ainsi pleinement conservée, avec un volume global qui évoluerait de 98 à 62 unités, de 26 570 à 20 470 toneladas.
32Le procédé a, en outre, le mérite d’atténuer une forte variation purement accidentelle23 du tonnage unitaire de 282,16, 259,5 et 247,7 toneladas en 1636, 1637, 1638 à 338,1 toneladas en 1639. Le décrochement est dû, simplement (entre 1638 et 1639, du moins) à une ventilation différente des Retours d’une année sur l’autre. Si on procédait, par contre, au calcul de tonnage unitaire sur les chiffres pondérés proposés ci-dessus, 98 unités et 26 570 toneladas pour 1638, 62 unités et 20 470 toneladas pour 1639, on serait en présence d’un mouvement qui se développerait dans le même sens, mais à un rythme atténué, puisqu’on aurait la série suivante : 282,16 toneladas en 1636, 259,5 toneladas en 1637 (chiffres non pondérés), 280,5 toneladas en 1638 (chiffre pondéré) et 330,16 toneladas en 1639 (chiffre pondéré).
33Le procédé proposé de ventilation sur deux ans des Retours présente, donc, sans conteste, un double avantage. D’abord il permet de saisir, directement, sur des chiffres volumétriques à peine corrigés, la véritable tendance du trafic, c’est-à-dire une tendance à la baisse, avec des décrochements considérables, on a vu comment24, de 36,7 % sur le mouvement unitaire et de 23 % sur le mouvement exprimé en tonnage.
34Le procédé a, en outre, l’avantage de dégager la réalité de la croissance du tonnage unitaire. De 280,5 toneladas à 330,16 toneladas, le progrès est certain, il nous place en présence de la dernière grande mutation objective du tonnage unitaire dans l’espace recensé.
35Tendance à la décroissance et mutation positive du tonnage en décroissance.
36Le tourbillon de la grande catastrophe va tout emporter.
CONFIRMATIONS PARALLÈLE
37On s’est efforcé de démontrer que, contrairement à certaines apparences, la débandade du trafic commence au seuil de l’année 1639, il vaudrait mieux dire, d’ailleurs, au cours du second semestre de 163825 ; à l’appui de cette hypothèse, les indices ne manquent pas.
1. Les valeurs
38La série du maravedí al millar est, de toutes celles que nous ayons à notre disposition, la plus difficile à faire entrer dans le cadre de notre hypothèse. La défaillance de l’avería26, le caractère extrêmement sporadique des almojarifazgos des Indes27 nous obligent à avoir recours à cette source28 dont la médiocrité n’est plus à dire29.
39A en croire le découpage du maravedí al millar perçu à Séville, 1639 serait par rapport à 1638 une année de haut niveau-valeur, puisqu’on passe sur la série, pour les seuls départs de Séville, de 219,3 millions à 799,8 millions de maravedís. Pour expliquer cette poussée que le contexte supporte difficilement, il faut admettre un report de valeurs de 1638 sur 163930 Le heurt de 1638 et 1639 sur la série du maravedí al millar prolonge les doutes que le heurt de 1637 et 1638 avait suscités sur la série de l'avería31. Ces doutes sont renforcés par ce que la Casa de la Contratación nous dit de la totale désorganisation de la fiscalité au cours de ces années32. Cette totale désorganisation doit se marquer, entre autres, par des reports insolites d’une année sur l’autre.
40Au cours de ces années où les minces présomptions sur le mouvement valeur que nous ayons sont d’une interprétation particulièrement délicate, il importe, plus que jamais, renonçant aux facilités factices du découpage annuel, de se borner à des ventilations sur deux et trois ans. On s’aperçoit alors qu’avec une moyenne annuelle présumable du maravedí al millar de Séville, de 444,3 millions de maravedís, pour l’ensemble des années 1639-1640-1641, on est en présence d’une légère anomalie négative des valeurs. présumables de la même série33, par rapport à 1631-1635, à 1641-1645 et 1631-1645, à plus forte raison, pour l’ensemble des vingt années qui vont de 1626 à 1645. Le procédé est grossier, nous le savons, il n’en est pas moins intéressant de constater que l’ensemble des années 1639-1641 obéit sur cette série dans le sens qu’on était en droit de présumer a priori.
41Les leçons à tirer des séries du maravedí al millar dans le cadre du découpage annuel sont suspectes, mais on ne peut écarter totalement le décrochement positif de 219,3 à 799,8 millions de maravedís, de 1638 à 1639. Ce décrochement, en effet, est trop considérable et trop conforme à ce que l’on a souvent observé pour qu’on puisse le porter totalement à l’actif des transferts de comptes d’une année sur l’autre. En effet, la réduction du tonnage en 1639 est, en partie, conséquence du « raté » du mouvement Retours en 1638. Dans une certaine mesure, on peut parler en 1639 d’un goulot d’étranglement extérieur au négoce. Il n’est pas exclu, par conséquent, que l’on puisse parler entre 1638 et 1639 d’une certaine ventilation des marchandises selon le schéma classique volume-valeur qui s’est appliqué si souvent au cours de la longue histoire de la Carrera. Étant entendu que le dénivellement indiqué par le maravedí al millar excède, très vraisemblablement, de beaucoup, la réalité, on peut tout en acceptant l’authenticité du triage suivant les grandes lignes du schéma habituel, placer entre 1638 et 1639, le déclenchement des mécanismes de la contraction à l’exponentiel.
42Mieux, le comportement, de prime abord, choquant de la série du maravedí al millar de Séville confirme l’hypothèse précédemment émise d’un passage de l’expansion à la contraction au cours même de l’année 1638. La contraction se sera exprimée, d’abord, au tout début de 1638, quand elle s’esquisse à peine au milieu d’une masse de caractéristiques léguées de la toute-puissante vague d’expansion cyclique des deux années précédentes, sous une forme essentiellement qualitative, puis en 1639, sous une forme essentiellement quantitative.
43Le mouvement-valeur tel qu’on peut le lire à travers le maravedí al millar invite donc à faire remonter un peu plus haut en direction de 1638 les origines de la grande vague de contraction cyclique qui marque la frontière entre deux modalités différentes du trafic, au cours de la grande vague de la contraction.
2. La ventilation des départs
44Les difficultés que semblait présenter, donc, le mouvement-valeur ne sont pas insurmontables. Tous les autres indices sont, beaucoup plus facilement, les indices d’une grave contraction cyclique.
45Au tout premier chef de ces signes de catastrophe, il faudra porter la répartition des départs entre les grandes articulations du complexe portuaire34. On peut difficilement imaginer, en effet, situation plus mauvaise que celle, sous cet angle, de 1639.
46Il y a, tout d’abord, une énorme poussée absolue et plus encore relative, du mouvement d'armada. De 1638 à 1639, le niveau passe de 8 unités à 13 unités, de 4 640 toneladas à 6 480 toneladas, soit 36,1 % seulement, du mouvement unitaire — 36,1 % il n’est, toutefois, que de 19,2 % pour l’ensemble du cycle 1632-1641 et 20 % de 1642 à 1650 — mais 55,38 % du mouvement en tonnage. Si l’on veut apprécier le caractère anormal de ces 55,38 %, il suffit de rappeler le pourcentage du tonnage d'armada au cours du cycle 1632-1641, d’une part, soit 37,7 % au cours du cycle suivant, 1642-1650, d’autre part, soit 36,3 %. L’anomalie relative est donc de 60 % environ. Circonstance aggravante, la nature des armadas. On peut très difficilement accorder, par exemple, aux huit hourques, qui vont sous le commandement de Don Carlos de Ybarra, au secours de Don Francisco Rodriguez de Le-desma35, la même signification qu’à une Armada de la Guardia normale. Si on admet que l’Armada de Don Carlos de Ybarra a bien été chargée, essentiellement, de vivres et de matériel d’entretien et de réparation des flottes, on peut presque soustraire 4 000 toneladas du volume économiquement utile des navires allant aux Indes. Le volume global des Allers serait réduit ainsi, à 7 700 toneladas seulement, bien peu éloigné, peut-être, du volume économiquement véritablement utile. Corollaire, enfin, de cette proposition, le gonflement du tonnage unitaire36 qui paraît imputable, pour l’essentiel, à une forte injection d’un matériel d'armada comme étranger au corps normal de la Carrera.
47Le contre-coup de cette présence cancéreuse du mouvement d’armada, c’est un amenuisement extraordinaire de la partie sûrement utile. On assiste à un véritable laminage, en effet, des navires marchands de Séville et de Cádiz, avec une détérioration qualitative certaine. La catégorie navires marchands partant de Séville passe de 29 à 20 unités, de 7 190 à 3 980 toneladas, celle des navires marchands de Cádiz de 4 à 1 navires, de 1 925 à 1 000 toneladas, soit pour l’ensemble Séville-Cádiz, de 33 à 21 navires, de 9 115 toneladas à 4 980 toneladas, la récession est, on le voit, de l’ordre de près de 50 %. Mieux on peut se demander dans quelle mesure, par exemple, cinq ravitailleurs des galions du Brésil37 participent vraiment au trafic de la Carrera. A la limite, on pourrait soustraire les 600 toneladas qu’ils représentent des chiffres globaux qui se trouveraient ainsi ramenés à quelques 7 000 toneladas, seulement.
48Plus qu’un long discours, un rapide coup d’œil sur la composition de l’unique flotte de 163938, celle qui va en Terre Ferme, en compagnie de l'Armada de la Guardia, sous le commandement de Don Luis Fernandez de Córdoba prouvera les infériorités et les difficultés de l’année : l’hétéro généité et la médiocrité du matériel auquel il a fallu recourir est frappante. A côté d’une biscayenne de 600 toneladas, la Nuestra Señora de Aranzazu39, on trouve de petites naves, telle la Nuestra Scnora de Altagracia (y Santa Cruz)40, petit navire créole de 180 toneladas. On assiste donc, entre 1638 et 1639, à une véritable dégradation qualitative du matériel naval employé. Deux chiffres permettent de mesurer cette dégradation : la diminution du tonnage unitaire des navires marchands de Séville, de 247,9 toneladas en 1638 à 199 toneladas en 1639 et la poussée vers le gigantisme que l’on observe à Câdiz. L’emploi par Câdiz, à l’usage de la Carrera, de l’énorme nan napolitaine, Nuestra Señora de la Concepción, Martin Juan Casanueva41 peut être également considérée comme un signe de grave dégradation qualitative. En effet, d’une part, les navires napolitains ont, dans l’ensemble, mauvaise presse, dans la Carrera, d’autre part, on peut considérer que l’usage d’une unité dépassant aussi ostensiblement la norme de son temps n’était ni pratique ni vraiment économique.
49L’effondrement et, bientôt, la disparition des négriers (de 31 navires à 2 navires, de 4 050 toneladas à 240 toneladas) — corollaire des précédentes disgrâces — constituent un gros facteur négatif, également. Même s’ils n’impliquent pas, nécessairement, une décroissance exactement comparable de l’ensemble du trafic négrier dans la Carrière des Indes. La fraude, sur ce point où elle est particulièrement sensible, aura pu, assez rapidement, compenser la disparition, pour un long temps, du trafic officiellement reconnu comme une articulation vitale, à l’intérieur de la Carrière des Indes. On ne peut négliger, toutefois, la signification de la disparition brutale du trafic négrier officiel. Reste valable la décision qui est prise et le fléchissement de l’approvisionnement en nègres qui ne peut, dans l’immédiat, manquer de se produire en Amérique. L’interruption d’une des sources, sans conteste, encore la plus importante, la source officielle de l’approvisionnement des Indes en ce bien d’investissement clef de l’économie coloniale, à la hauteur des années 1639 et 1640, doit être retenue. Elle prouve la gravité d’une crise qu’on ne risque pas de surestimer.
50La panne du « nègre » officiel précède de moins de deux ans la cassure politique de l’empire des Ibériques. Il y a là, certainement, une cause entre beaucoup d’autres, un élément important d’un complexe causal décisif.
51Cette disparition du trafic négrier du comput officiel ne doit être perdue de vue, enfin, pour interpréter correctement le tonnage unitaire des navires après cette date, au cours, notamment, de la décade des années 40. Cette disparition des négriers vient après celle des Canariens. Il s’agit de deux catégories composées, structurellement, de tout petits navires, pour les Canariens surtout, plus petits encore que la moyenne, pour les négriers. Leur expulsion peut donner l’impression d’un gonflement du tonnage unitaire des navires employés dans la Carrera. En fait, il n’en est rien et la dernière décade des années 40 du xviie siècle se borne à défendre péniblement des positions qui ne sont plus à sa mesure.
3. Chronologie et directions fondamentales du trafic
52Une étude plus détaillée du trafic en 1639 nous montrerait l’histoire d’un échec qui n’en finit pas. Toute l’histoire de 1639 à Séville est celle d’une flotte qui n’en finit pas de se préparer et qui, finalement, bien entendu, n’arrive pas à partir.
53a. Hésitations et déceptions. — La comparaison avec 1638 s’impose. Il suffit de comparer attentivement le tableau du mouvement des deux années pour apprécier tout ce qui les sépare42. En 1638, la flotte de Nouvelle Espagne ouvre le feu — elle part sous le commandement de Don Martin de Orbea de San Lúcar, entre le 17 et 19 mars, — elle est suivie, bientôt, par les galions de l’Armada de la Guardia et la petite flotte qui la flanque, — le 29 avril, de Cádiz.
54En 1639, l’ordre est différent. Il pourrait apparaître comme un retour à la normale, puisque, théoriquement, la flotte de Terre Ferme précédera, comme il est naturel, la flotte ou la velléité de flotte de Nouvelle Espagne43. On peut, toutefois, douter, malgré la place que ces préparatifs tiennent dans la correspondance de la Casa de la Contratación44, qu’ils aient jamais dépassé le stade des vœux pieux, et que le négoce ait jamais eu vraiment le désir de faire partir une flotte en direction de la Nouvelle Espagne.
55Plusieurs éléments, permettent, en effet, de douter de la réalité du désir de faire partir un convoi en direction de la Nouvelle Espagne. Or, conjoncturellement, l’échec honteux de la flotte de Nouvelle Espagne, en 1639, n’a rien à voir avec la volonté ferme, la stratégie contestable mais savante et fermement conduite décidée fin 1636 et menée à bien, on a vu comment, en 163745 Alors que la savante stratégie de 1636-1637 pouvait être considérée comme facteur positif d’une conjoncture haute, les interminables hésitations et finalement l'échec de la flotte de Nouvelle Espagne de 1639 doivent être considérés, au contraire, comme le type même du facteur conjoncturellement négatif.
56On peut, objectivement, douter, en effet, sinon du désir, du moins du désir suivi d’effet, du désir conduit jusqu’à sa réalisation, — faut-il dire du désir efficace ? — d’une flotte de Nouvelle Espagne en 1639. Deux ou trois indices, au moins, en font douter. Tout d’abord, la date du départ du convoi de Terre Ferme. L'Armada de la Guardia46 de Don Gerónimo Gomez de Sandoval et la flotte47 de Terre Ferme de Don Luis Fernandez de Córdoba partent de Cádiz le 20 mai 1639. La date n’exclut pas totalement — c’eût été, à la rigueur, possible, l’expérience l’a prouvé, en période de conjoncture haute — le départ d’un deuxième convoi. Elle le rend, toutefois, malaisé et en diminue, a priori, singulièrement les chances.
57A cet égard, il convient de placer dans le même ordre d’idées le choix qui est fait en 1639, pour le premier départ de la flotte de Terre Ferme. Certes, ce premier départ est conforme à la loi et à la coutume la plus ancienne de la Carrera. Toutefois, l’ordre de 1638 — il faisait passer, on a vu pourquoi48, la flotte de Nouvelle Espagne avant celle de la Terre Ferme, — aurait pu se répercuter sur 1639. S’il n’en est rien, c’est bien parce que, sans oser, cette fois, se l’avouer vraiment, on a décidé de n’envoyer en 1639 qu'un seul grand convoi marchand. Vingt ou vingt-cinq ans, plus tôt —mais à une époque ou Armada de la Guardia et flotte de Terre Ferme constituaient encore deux entités bien vivantes, douées, chacune, d’une réalité objective — ç’eût été la flotte de Terre Ferme qui eût été sacrifiée. En 1639, puisqu’on ne peut plus guère sacrifier la flotte de Terre Ferme sans sacrifier, aussi, l’indispensable Armada de la Guardia et qu’en outre, depuis le spectaculaire effondrement de la Nouvelle Espagne, l’axe Terre Ferme/Espagne joue un peu paradoxalement le rôle de secteur dominant à l’intérieur du vieux trafic de Séville, — pour peu de temps, encore virtuellement dominant, — si un sacrifice doit être fait, qu’il soit méthodiquement et savamment préparé comme en 1637 ou, tout simplement, lâchement consenti, par bribes successives comme en 1639, c’est sur la Nouvelle Espagne qu’il doit nécessairement porter. Le simple fait de revenir en 1639 à l’ordre, Terre Ferme, d’abord, ordre traditionnel, certes, légal, certes, mais en rupture avec la réalité toute proche de 1638, impliquait qu’au départ même, la [conjoncture n’apparaissait guère favorable à un deuxième convoi.
58Le sacrifice allait être d’autant plus tentant, qu’il y avait eu, deux mois plus tôt49, de San Lucar, le 22 mars 1639, le départ des huit navires de renfort envoyés à Don Carlos de Ybarra sous le commandement de Don Francisco Rodriguez de Ledesma. Or ces navires sont, théoriquement, d’abord — ils le sont, bien en fait aussi — des navires de renfort destinés à la Havane, mais ils sont susceptibles d’assurer, en outre, quelques liaisons essentielles avec la Nouvelle Espagne. Raison de plus, par conséquent, pour sacrifier après hésitations en surface et beaucoup de faux-semblants un départ peu désiré en direction de la Nouvelle Espagne.
59Tous ces indices laissent à penser qu’il ne fut jamais vraiment question dans l’esprit du plus grand nombre des négociants responsables de Séville de faire partir un second convoi marchand. Les débuts de préparatifs, toutefois50, puis le non-départ final prouvent bien que ce fut par impuissance que le départ ne se fit pas.
60Ce non-départ est d’autant plus grave — toujours sous l’angle de la conjoncture de l’année — qu’on ne peut même pas faire intervenir, pour l’excuser et le justifier, la défaillance des Retours de 1638. Ces derniers arrivent à temps, encore, en effet, sous le commandement de Don Carlos de Ybarra et de Don Martin de Orbea, entendez à Cádiz le 17 juillet 163951, pour ressusciter et rendre possible alors, si on avait bien voulu, la flotte de Nouvelle Espagne ; or, c’est pratiquement52 au moment du retour des galions de Don Carlos de Ybarra, que le renoncement au départ, virtuellement possible, est officialisé.
61La flotte de Nouvelle Espagne de 1639 partira et tard, en 1640, le 21 avril53 seulement dans l’ordre inversé qui tend de plus en plus à prévaloir à cette époque54 L’exemple de 1640 prouve qu’un second départ en septembre n’était pas, techniquement, a priori, exclu, à condition, seulement, que la conjoncture ou plus simplement que la psychologie collective du négoce le rendît possible. Ce ne sera pas le cas, toutefois, en 1639 et c’est pourquoi, on est autorisé au jugement pessimiste sur ce qu’il faut bien appeler la conjoncture de l’année.
62b. Directions fondamentales. — La conjoncture ainsi comprise est responsable d’une répartition spécifique des départs entre les trois grandes directions fondamentales55 Soit la disparition à peu près totale de la rubrique Nouvelle Espagne qui passe « officiellement » de 23 navires à 5 unités, de 7 620 toneladas à 510 toneladas... pour le meilleur, des avisos, une poussière56. En fait, cette chute est peut-être supérieure à la réalité objective. En effet, le gonflement concomitant des îles, de 6 à 9 navires mais de 1 079 toneladas à 4 580 toneladas, est ambigu, 4 000 toneladas pourraient, à la rigueur, être retranchées, les 4 000 toneladas de l’expédition de secours. Il est vraisemblable qu’une partie du contenu de ces navires aura atteint la Nouvelle Espagne. Entre la Nouvelle Espagne sacrifiée (le niveau est le plus bas depuis 1629) et les îles quelque peu artificiellement gonflées (le niveau de 1639 est, en chiffre absolu, le plus élevé depuis 1608 ; en valeur relative, pour retrouver une part aussi considérable à l’Aller des îles, il faudrait remonter plus d’un siècle en arrière, aux toutes premières décades du xvie siècle), la ventilation des marchandises n’est pas absolument sûre. Une chose, par contre, est certaine, la stabilité et la forte part relative de la Terre Ferme (29 unités, 8 360 toneladas en 1637, 12 unités, 5 060 toneladas en 1638, 20 unités, 6 370 toneladas en 1639). Sur ce point, on aura observé combien la structure du trafic de 1639 est proche de la structure de l’ensemble de la fluctuation primaire 1639-1641, avec en tonnage, les proportions suivantes, 26,5 % pour la Nouvelle Espagne à l’Aller, 16,9 % pour les îles, 55 % pour la Terre Ferme, contre, à l’intérieur du cycle 1632-1611, 30,7 %, 9,8 % et 46,8 %. La fluctuation primaire définit donc, au sein du cycle et l’année au sein de la fluctuation, par le renforcement caractéristique d’une anomalie négative de la Nouvelle Espagne positive de la Terre Ferme.
63Cette caractéristique appelle quelques réflexions. Dans le cadre le plus étroit, celui du découpage annuel, elle rend compte de quelques contradictions du couple volume-valeur57. Le sacrifice de la Nouvelle Espagne au profit de la seule Terre Ferme implique, toujours, un renforcement de la valeur unitaire du mouvement. Cette définition presque structurelle interdit de tirer des conclusions hâtives de l’anomalie positive des valeurs unitaires.
64Dans le cadre de la fluctuation triennale, on notera l’accentuation de l’anomalie négative des Allers en direction de la Nouvelle Espagne. Cette accentuation de l’anomalie négative de la Nouvelle Espagne s’accompagne, en outre, on vient de le voir, d’une accentuation de l’anomalie positive de la Terre Ferme. Mais ce qu’il faut retenir, c’est le premier aspect et non le second. En effet, l’accentuation de l’anomalie positive des Allers vers la Terre Ferme est purement relative. Elle est tout simplement une diminution un peu moins brutale dans cette direction que dans l’ensemble du trafic et plus encore, dans les autres directions. La moyenne annuelle cyclique (de 1632 à 1641) des départs en direction de la Terre Ferme était de 7 185 toneladas, la moyenne annuelle des départs en direction de la Terre Ferme de 1639 à 1611 n’est plus que de 6 469,7 toneladas, soit inférieure de plus de 700 toneladas alors que proportionnellement à l’ensemble du mouvement la part de la Terre Ferme s’élevait de 46,8 % à 55 %. S’il en va ainsi, c’est parce que dans le même temps, le laminage des départs vers la Nouvelle Espagne est beaucoup plus fort encore. La moyenne annuelle cyclique de 1632 à 1641 était de 4 715,6 toneladas, elle n’est plus de 1639 à 1641 que de 3 120 toneladas. La réduction absolue est donc infiniment plus spectaculaire que le tassement relatif de 32 à 26,5 %.
65Le véritable test conjoncturel est contenu dans ces quelques chiffres. On ne peut considérer comme un test de conjoncture positive, un accroissement relatif du trafic dominant, en l’occurrence, de la Terre Ferme, si cet accroissement — c’est le cas, ici — masque, en réalité, une diminution du niveau absolu. On doit considérer, par contre, la double diminution du trafic vers la Nouvelle Espagne, en chiffres relatifs et plus encore en valeurs absolues, comme un test non douteux de conjoncture négative. On a vu comment, en 1639, puisque la réduction du volume, dicté par la conjoncture se fait par élimination du point faible, en l’occurrence, la flotte de Nouvelle Espagne.
4. Autres signes de marasme
66Ils abondent. A la limite, il n’y a plus que cela dans la correspondance de la Casa de la Contratación de l’année.
67L’impossibilité, selon toute apparence58 de satisfaire les besoins les plus élémentaires en mercure de l’espace nouvel espagnol, en état, sous cet angle, de famine endémique59. Il semble bien, en effet, qu’on n’a pas trouvé le moyen de faire passer les indispensables 1 666 quintales sans lesquels on risquait de paralyser la production argentifère des mines mexicaines.
68L’extrême pénurie qui entrave les départs et revient comme un leit-motiv lancinant tout au long de l’année60. L’avortement de la flotte de Nouvelle Espagne, sur lequel on a déjà trop insisté61, en est comme l’aboutissement logique. La totale désorganisation du fisc62. Entre 1638 et 1639, on suit, à travers la correspondance de la Casa, un peu comme l’allure exponentielle du processus de désorganisation.
69Mais la grande panne d’argent63 surtout, est responsable, au premier chef, de cette situation. Elle paralyse, elle inhibe, elle fait tout avorter, tout échouer Elle est cause directe, comme physique, de la conjoncture basse de l’année. Mieux, elle est cause indirecte, psychologique. Mieux encore, elle est un prétexte, la bonne raison que l’on objecte au Roi et à ses représentants pour ne rien faire, la bonne conscience que l’on se donne à soi-même pour ne plus agir. La preuve de cette ambiguïté pleine de faux-semblants nous est fournie par la chronologie même. On a dit, déjà, que c’est à peu de choses près, au moment précis où l’argent de 163864 fait son entrée à Cádiz, le 17 juillet 1639, que la décision s’avoue de ne pas faire partir, en 1639, de flotte de Nouvelle Espagne.
70On pourrait tirer argument, encore, de la profonde désorganisation qui affecte la vie de la Carrera, de l’organisation en 1639, du petit convoi exceptionnel des « sueltos » de Saint-Domingue65 Cette formation exceptionnelle — elle part de Saint-Domingue le 6 avril et arrive à San Lúcar le 17 juin — cette formation tout à fait insolite prouve l’extrême désorganisation du système des convois et des échanges, puisqu’il faut avoir recours à ce procédé insolite, pour assurer entre Saint-Domingue et l’Espagne le minimum d’échange jugé indispensable à l’existence même des Indes.
HYPOTHÈSES
71Il est donc bien légitime de placer en 1639 le début de la grande cassure, la cassure majeure du trafic, dont on a dit, déjà, les conséquences multiples. Il importe donc d’en éclairer le contexte.
1. Prix-argent et prix réels
72Avec les prix espagnols, la covariation positive, prix-trafic, si souvent observée s’applique parfaitement. On a vu l’ébauche du mouvement de repli en 1638, il s’affermit en 1639. Sur la série globale des prix-argent par exemple, le décrochement négatif, qui oppose 1639 à 1638, est de 7,46 points et de l’ordre de 6 %66. C’est un des plus considérables de toute l’histoire de la Carrera, un des plus considérables et un des plus valables, puisque, à la différence du décrochement négatif qui oppose, par exemple, 1642 à 1641, il n’est pas imputable à un phénomène monétaire purement extérieur67. Par rapport à la moyenne, on mesure mieux l’ampleur du tournant, puisqu’il y a changement de position des indices vrais par rapport à la tendance, — de 106,49 % à 103,76 % de 1637 à 1638 déjà, il y avait eu contraction notable mais c’est plus tard de 103,76 % en 1638 à 98,38 %68 que s’opère, vraisemblablement, le tournant le plus considérable.
73La modification des prix espagnols est d’autant moins contestable qu’elle affecte, simultanément, les prix nominaux dans leurs quatre grandes articulations géographiques69. En Andalousie, par exemple, l’accélération de la pente décroissante est moindre que l’année précédente, de l’indice 107,29 en 1638 à 104,92 en 1639 — elle allait de 1637 à 1638 de l’indice 118,20 à l’indice 107,29. Mais à la différence de ce qui se passait, l’année précédente, les prix nominaux andalous entraînent, cette fois, dans leur chute l’ensemble des autres secteurs géographiques de la péninsule : de l’indice 112,82 en 1638 à l’indice 108,23 en 1639 pour la Nouvelle Castille, de l’indice 109,53 à l’indice 106,38 pour l’espace valencien, de l’indice 116,01 en 1638 à l’indice 105,43 en 1639, surtout en Vieille Castille Léon. L’accident qui affecte la Vieille Castille Léon de 1638 à 1639 (recul de 10,58 points et de 10 %) rappelle par son ampleur l’accident qui affectait, un an plus tôt, l’espace andalou. Il en est un peu comme la répercussion. Il a son importance, dans la mesure où la Vieille Castille reste l’espace des foires, mêmes déchues, de Medina del Campo.
74Le contexte du trafic de 1639 est, donc, particulièrement éclairé par la confirmation du tassement des prix nominaux andalous de 1638 à 1639 et le grave décrochement des prix nominaux dans l’espace vieux castillan, dans le même temps. En application de tout ce qui a été observé, déjà, et conformément aux schémas proposés, on observe bien, dans le sens prévu et presque dans un rapport prévisible, la corrélation prix-trafic attendu.
2. Inflation. — Déflation
75La période 1634-1639 — est-il besoin de le rappeler70 ? — s’est présentée, en gros, dans le Royaume de Castille, sous l’angle de l’histoire monétaire, comme une période de relative stabilité. 1639 se place au terme d’un plateau à peine ascendant de la prime de l’argent sur le billon, au cours duquel il semble que l’inflation a été pratiquement jugulée. On peut raisonner, au cours de ces cinq ans (1634 : prime annuelle en Andalousie de 27,38 %, 1639 : prime annuelle de 31,90 %), sur les prix nominaux ou sur les prix-argent, presque indifféremment, compte non tenu d’une inflation virtuellement stabilisée. Vérité, en gros, quand on observe les phénomènes en prenant, à leur égard, un certain recul.
76Si on regarde les choses de plus près, on observera, au contraire, toute une série de vibrations très courtes, dont l’action, sur une conjoncture moins grossière, est, certainement, considérable. Entre les trois derniers mois de 1638 (octobre-décembre, 42,50 % en Andalousie, 36,00 % en Nouvelle Castille, 40,00 % en Vieille Castille-Léon) et le premier ou le deuxième trimestre de 1639, on observe un court moment déflationniste d’une extraordinaire amplitude. De 42,50 % à 26,50 % d’avril à juin 1639 en Andalousie, de 40,00 % à 31,00 % d’avril à juin, aussi, en Vieille Castille-Léon — mouvements parfaitement synchrones, la Vieille Castille calquant en l’atténuant la réalité andalouse, de 36,00 % à 25,00 % dans le même laps de temps en Nouvelle Castille. Ce court moment de déflation cruelle après un faux départ d’incendie inflationniste constituera pour le trafic en vertu de tout ce qui a été observé, un moment difficile. Un moment difficile qui se situe très exactement entre novembre-décembre 1638 et mai-juin 1639, c’est-à-dire, structurellement, le temps des préparatifs les plus intenses et de départ des convois du complexe portuaire. Les départs de 1639 se placent donc, en plein cœur d’un moment de déflation brutale.
3. Prix de la main-d’œuvre
77Une dernière difficulté sera venue s’ajouter au tableau assez sombre du complexe ibérique du trafic de l’année, le coût relatif de la main-d’œuvre71. Sous l’angle d’une série aux variations de laquelle le trafic est particulièrement sensible, 1639 voit se réintroduire une difficulté supplémentaire, un dernier sursaut du prix de la main-d’œuvre, avant l'effondrement final, de 105,83 % en 1637, 105,86 % en 1638 à 110,81 % en 1639. C’est la dernière anomalie positive sûre, de longtemps, de la rémunération de la main-d’œuvre dans la péninsule ibérique.
78Le faible niveau relatif de la rémunération de la main-d’œuvre au cours de la décade des années 40 (100,81 % de 1641 à 1650) participe à autre chose. Elle n’est plus que l’expression, entre autres, d’une ruine générale qui affecte la main-d’œuvre salariée comme elle affecte, dans tous ses aspects, l’économie espagnole, comme elle touche, à la limite toutes les classes de la Société.
79Entre 1639 et 1640, aucune modification sensible ne se produira, mais il y aura, tout simplement, aggravation des facteurs dépressifs, même si la répercussion n’apparaît pas immédiatement sur le trafic dont la dynamique profonde risque d’être masquée par un concours extérieur de circonstances.
II — 1640 : LES PLANS DE LA CRISE
80La conjoncture du trafic, au cours de l’année tragique, par excellence, 1640, n’est pas une conjoncture simple. Elle se déroule sur plusieurs plans. En profondeur, la grande vague de contraction se poursuit, malgré les apparences du découpage annuel des Allers, très à fleur de peau. Pourtant, on ne peut dénier aux sept ou huit premiers mois de 1640, quelques signes tangibles de résistance à la contraction. Mais s’il fallait faire un bilan de tous ces signes contradictoires — et c’est ce à quoi, finalement, il faut bien se soumettre — le négatif l’emporterait, très certainement, sur le positif.
LA LEÇON DES CHIFFRES
81Comme toujours c’est par la leçon des chiffres à l’intérieur du découpage annuel qu’il faut commencer, tout en corrigeant, comme il convient, les illusions qui pourraient résulter d’une observation trop rapide.
1. L’équilibre Allers-Retours
821640, pour des raisons sur lesquelles il n’y a plus à revenir, se trouve au cœur de cette zone chaotique où Allers et Retours, surtout, obéissent à des rythmes quasi biennaux, totalement déphasés. Il en va ainsi depuis 1638. Après l’anomalie positive des Retours de 163972 — Retours de deux ans, ceux de 1638 bloqués et ceux de 1639, tandis qu’une partie des Allers, la flotte de Nouvelle Espagne ne part qu’en 1640 — l’anomalie négative de 1640 fait, pour des raisons analogues le pendant de 1639, un pendant quelque peu atténué (10,84 % pour les Retours, 89,16 % pour les Allers en 1640, 0,90 % seulement, pour les Retours et 99,10 % pour les Allers, en 163873. Le déséquilibre s’explique, donc aisément, accessoirement, par l’insuffisance des Allers de 1639 et les reports qui en résultent au bénéfice de 1640 d’une part, essentiellement par le blocage, d’autre part, du mécanisme des Retours en 1640. La situation de 1640 rappelle donc, sous cet angle, une situation qui s’est produite un certain nombre de fois dans l’histoire recensée de la Carrera, avec, toutefois, une modalité propre qui explique le 10,84 % de 1640 en place et lieu du 0,90 % de 1638. Cette disparité est explicable par l’existence en 1640, sur le même modèle qu’en 163974 d’un petit convoi exceptionnel venant de l’île de Saint-Domingue et Maracaybo75.
2. Allers
83Ce n’est pas seulement pour l’équilibre dans le cadre annuel des Allers et des Retours que la situation de 1640 rappelle celle de 1638, mais c’est également par le rapport beaucoup plus important des Allers de l’année aux Retours de l’année précédente.
84On a vu l’extrême médiocrité des Allers de 1639 et les arguments que l’on pouvait en tirer76. En 1639, toutefois, il fallait tenir compte dans une mesure non négligeable de la défaillance des Retours de 1638. Par rapport au néant des Retours de 1638, 1639 se trouvait dans une certaine mesure et sous un angle très particulier, en expansion, 1 800 % sur le mouvement unitaire, 7 212 % sur le mouvement en tonnage. C’est vrai, mais partiellement vrai, pour le convoi de Terre Ferme seulement et non pas pour celui avorté en direction de la Nouvelle Espagne : on a vu pourquoi et comment77. Quoi qu’il en soit, la défaillance des Retours de 1638 constituait pour les Allers de 1639 un handicap non négligeable. Elle contribuait à créer un goulot d’étranglement du tonnage et l’existence de ce goulot d’étranglement, l’existence de ce défi extérieur à la dynamique propre du négoce, est dépassée et résolue, en partie, par la sensible anomalie positive des valeurs unitaires du trafic dont la médiocrité de la série utilisée, faute de mieux78, ne permet, quand même, pas d’écarter l’hypothèse.
85En 1640, par contre, comme en 1638, la situation est fort différente. Les Allers de 1640 ont eu à leur disposition, pour se constituer, un peu mais un peu seulement, comme en 1638, un fort matelas de Retours. Les Allers de 1638 n’excédaient les Retours de 1637 que de 25 navires et de 3 734 toneladas. Le niveau des Allers de 1639 dépassait de 53 % et de 26 % (mouvement unitaire et en tonnage) celui des Retours des années précédentes. Les Allers de 1640 dépassent les Retours de 1639 de 11 unités et de 3 026 toneladas, soit respectivement de 22 % et de 18 %.
86Malgré les apparences, les Allers de 1640 sont, quand même, moins épaulés par un fort matelas de Retours que ne le sont ceux de 1638. Pour apprécier exactement le coefficient des Retours aux Allers, il faut faire intervenir, comme on l’a fait déjà79, non pas une année seulement, mais toute une série de plusieurs années. De 1635 à 1637, les Retours avec 151 unités et 50 450 toneladas ont sensiblement équilibré les Allers en tonnage avec 207 navires et 50 803 toneladas. Si on tient compte de l’équilibre Allers-Retours, sur trois ans, on constatera, par exemple, que de 1637 à 1639, les Retours, avec 99 unités et 31 606 toneladas, contre 173 unités et 45 498 toneladas à l’Aller dans le même temps, ont laissé un découvert considérable de 74 navires et 13 892 toneladas. Ce découvert doit être pris en considération pour apprécier les situations respectives de 1610 et de 1638. 1640 est donc, par rapport aux Retours qui précèdent les Allers de l’année, dans une situation assez grossièrement analogue, mais assez grossièrement analogue seulement, à celle de 1638. Pourtant, si on envisage les choses, à plus court terme, il est certain que — 1638 se trouvant, d’une part, au terme d’une anomalie positive des Retours, 1640 au cœur d’une grave anomalie négative des Retours — 1640 et 1638 se trouvent dans une situation analogue. Et ce qui importe, peut-être, davantage dans une situation différente de celle de 1639 et de 1642, sûrement, et, dans une certaine mesure, de la situation de 1641.
87Avant de chercher à apprécier en soi, ce que peut signifier, conjoncturellement, le niveau des Allers de 1640, il ne faudra pas perdre de vue cette considération, entendez celle d’une certaine facilité amenée, dans l’immédiat, par l’arrivée, en 1639, d’une masse considérable de Retours constituée par des Retours différés sur deux ans.
88Cette précaution n’est pas inutile, car le niveau des Allers de 1640 pourrait prêter à illusion. En raison, tout d’abord, de l’important décrochement qui oppose 1640 à 163880. De 36 à 61 unités, de 11 700 toneladas (13 455 tonneaux) à 20 400 toneladas (23 466,9 tonneaux), soit respectivement 69,4 %, pour le mouvement unitaire et 74,6 % pour le mouvement en tonnage, avec passage du tonnage unitaire de 325 toneladas en 1639 à 334,4 toneladas en 1640. Il y a donc bien sous cet angle une consolidation de la mutation du tonnage unitaire dont on parlait précédemment81. Il en résulte une grosse modification par rapport à la tendance majeure représentée par la moyenne mobile de treize ans, de 79,67 % à 138,93 %. Pris en soi et séparé de son contexte immédiat, le niveau des Allers de 1640 pourrait paraître très considérable82, il est le plus élevé de tout le cycle en tonnage, sinon en unités — nous sommes, en effet, on vient de le voir, en pleine période de mutation positive du tonnage unitaire. Il faut, en effet, remonter jusqu’en 1628 pour trouver en tonnage un chiffre faiblement supérieur, c’est-à-dire jusqu’à la zone d’expansion maximale du cycle précédent. J’ajoute qu’il ne sera jamais plus égalé au cours de la période recensée du mouvement, en niveau absolu, du moins. En niveau relatif, l’écart de 1640 en Allers est le plus considérable de toute la période qui va de 1608 à 1644. En tonnage, à l’Aller, 1640 présente donc l’écart positif le plus élevé d’un laps de près de quarante ans83.
89Il importe, maintenant, de bien comprendre comment cet écart, apparemment si impressionnant, a été obtenu. Évidemment et au tout premier chef, par suite du concours très particulier de circonstances exceptionnelles qui ont provoqué en 163984 l’échec et le rejet en 1640 de la flotte de Nouvelle Espagne, entendez bien la flotte qui va partir de Cádiz, le 21 avril 164085, sous le commandement du capitaine général Roque Centeno y Ordonez. L’importante flotte Roque Centeno y Ordonez appartient, donc, de ce fait, au moins autant à la conjoncture de 1639 qu’à celle de 1640, car il s’agit d’une masse considérable de l’ordre d’un peu plus de 8 000 toneladas. Il importe de bien comprendre, enfin, quelles facilités et quelles incitations, quelque peu extérieures, ont apporté à la conjoncture des Allers, le niveau relativement élevé des Retours de 163986.
90Si bien qu’à certains égards, il serait beaucoup plus juste de substituer pour une appréciation plus exacte du poids en conjoncture des Allers de 1640, au chiffre vrai des Allers à l’intérieur du découpage annuel, la moyenne annuelle sur deux ans des années 1639 et 1640, soit 48,5 unités et 16 053 toneladas. On aurait ainsi un dégradé qui serait, peut-être, plus proche de la réalité conjoncturelle, puisqu’il conduirait du plateau élevé de 1635-1636-1637, soit 19 100 toneladas, 15 908 toneladas et 17 805 toneladas à une moyenne annuelle de 69,6 unités et 17 634,3 toneladas, au creux de 1641-1642,19 unités et 3 173 toneladas, 37 unités et 8 312 toneladas, soit 28 navires et 5 742,5 toneladas, par un niveau intermédiaire de 48,5 unités et 16 053 toneladas de 1639 à 164087. Au prix de cette correction, on obtiendrait une notion plus vraie, celle d’une pente lentement puis exponentiellement décroissante : 69,6 unités, 48,5 unités et 28 unités, 17 634,3 toneladas, 16 053 toneladas et 5 792,5 toneladas. Cette correction est nécessaire. Elle a le mérite de conserver seulement le mouvement cyclique décennal en sacrifiant la fluctuation la plus courte, en grande partie exogène, en grande partie imputable à l’accidentel de mer, seulement, mais qui n’en est pas moins vraie. Elle illustre la règle que nous posions en tête de l’étude de l’année 1640, celle d’une conjoncture sur plusieurs plans. Le couplement des années 1635-1638, 1639-1640, 1641-1642 donne une conjoncture moins superficielle, celle d’une puissante vague de contraction où cycle, intercycle et tendance additionnent leurs effets.
91Le découpage annuel, pourtant, à la hauteur de la fluctuation primaire, laisse apparaître, au stade de la fluctuation la plus courte, de la fluctuation, en gros, triennale ou quadriennale, une poussée très sensible. Cette poussée — on ne saurait la négliger totalement — n’est pas, cependant, au cours de cette période, ce qui constitue, il s’en faut de beaucoup, la composante majeure de la dynamique du mouvement. On la retiendra par souci d’exhaustivité. On sera frappé, par contre, de voir, au-delà de 1620, la fluctuation décennale qui, conjoncturellement, devient le fait majeur, reléguant de plus en plus au second plan une fluctuation primaire, en gros triennale ou quadriennale, qui, à d’autres époques, écrasait d’un trait tellement appuyé les autres aspects de la dynamique du mouvement qu’elle semblait presque les effacer. La grande récession a été, aussi, on le voit, très bien, en 1610, une époque de fluctuation décennale dominante.
3. Retours
92Telles sont les premières conclusions que l’on peut hâtivement tirer de l’étude des Allers, la partie du mouvement qui se trouve, par la force des choses, relativement la plus abritée contre l’accidentel et l’imprévisible de guerre et de mer.
93Les Retours constituent, par contre, en 1610, l’élément discordant88 avec un creux qui rappelle, superficiellement, du moins, celui de 1638. De 1639 à 1610, la chute est considérable de 50 à 10 unités, soit un recul de 80 %, de 17 380 à 2 480 toneladas (19 987 et 2 852 tonneaux), soit un recul de l’ordre de 85,7 %89. Cette défaillance aura, cela va sans dire, de très grosses conséquences sur les Allers des deux années qui viennent, 1611 et 161290. On a vu le mouvement très particulier qu’elle conférait à l’évolution de l’équilibre interne des Allers et des Retours à l’intérieur du mouvement global au sein d’un découpage annuel91. Par rapport à une moyenne rapidement décroissante, pourtant92, cette brutale rupture se note avec une parfaite éloquence de 152,1 % à 22,27 %93.
94En présence d’une telle réalité, on peut être tenté — et c’est évidemment l’explication qui renferme la plus grande part de vérité — de ne voir là qu’un accident analogue aux accidents de 1638, tout proche, ou de 1644 et 1650, bientôt, voire aux accidents plus lointains de 1604, 1594, 1592, 1590, c’est-à-dire le simple blocage des convois à la Havane, sur le chemin du retour. Certes, 1640, en Retours, c’est essentiellement cela et c’est la raison pour laquelle il ne convient pas d’attacher à la défaillance du mouvement une part excessive dans l’explication « conjoncturelle » de l’année même où elle se produit.
95Les Retours présentent pourtant deux grosses particularités qu’il est impossible de négliger. Quelle que soit la manière dont on le calcule, on est en présence, bien au-delà de la défaillance de 1640, d’une pente rapidement et profondément décroissante des Retours94. Divers procédés permettent de dégager cette vérité. Le plus simple, le moins contestable consiste encore à coupler l’année défaillante avec l’année suivante, celle qui, manifestement, bénéficie du trafic différé de l’année précédente. Il importe donc d’accoupler deux ans par deux ans, les trafics Retours — ils sont complémentaires et parfaitement indissociables dans la réalité objective du mouvement et, pas seulement, en vertu d’un découpage arbitraire. La série que l’on pourrait qualifier la série des couples réels du trafic Retour donne les résultats suivants95 :
96Ce procédé incontestable permet de situer le point bas du mouvement Retours à sa place véritable, c’est-à-dire entre 1640 et 1641. C’est bien donc entre 1639 et 1610 que se place un dernier décrochement négatif du mouvement des Retours de l’ordre de 25 %. Le découpage arbitraire dans le cadre annuel ne doit pas dissimuler cette mutation essentielle. Tout n’est donc pas illusion dans le recul considérable du niveau des Retours de 1639 à 1610.
97Deux autres éléments doivent être pris en considération encore. L’existence en 1610, comme en 163996 d’un convoi en provenance des îles, et, étroitement lié à cet aspect, la résistance inattendue du tonnage unitaire. Une chute radicale du tonnage unitaire nous était apparue, jusqu’ici, comme une caractéristique entre autres de ces années où le mécanisme des Retours est bloqué par l’obligation d’un hivernage à la Havane97 — entre 1637 et 1638, par exemple, on passait brusquement de 299,3 toneladas (tonnage unitaire des Retours en 1637, 346,5 toneladas en 1636 et 353,48 toneladas en 1635) à 80 toneladas seulement. Cette rupture s’expliquait dans ce cas comme dans tous les autres cas analogues par le fait du seul passage en ces années anormales d’avisos, voire de quelques navires « sueltos » perce-blocus.
98En 1640, la situation, par contre, est sensiblement différente, il y a fléchissement du tonnage unitaire mais un fléchissement très faible de 337,3 toneladas à 248 toneladas, seulement, un fléchissement de moins de 27 % qui n’a rien à voir avec les 72 % de 1637 à 1638. La chute du tonnage implique, ici, une composition un peu différente du trafic mais pas un véritable changement de nature comme celui observé entre 1637 et 1638.
99Cette différence s’explique par l’existence en 1640, comme en 1638, d’une petite flotte en provenance des « parents pauvres », îles et côtes traditionnellement abandonnées du continent. L’existence de ce petit convoi des îles (petit convoi, fait curieux, de gros navires) arrivé le 18 octobre 1640 à Cádiz, après le petit convoi très proche qui venait, lui aussi, de Saint-Domingue, avec un chargement de « frutos de la tierra », et arrivait à San Lúcar, le 17 mai 163998, pose des problèmes. Il marque, peut-être, une baisse de confiance à l’égard du système traditionnel des convois, une réaction contre l’abandon systématique, au cours de la période antérieure, des îles et côtes un peu excentriques.
100On peut se demander dans quelle mesure, le phénomène ne traduit pas au moment du reflux maximal, de la rupture, par excellence du trafic, une espèce de valorisation relative des îles. Cette valorisation relative sera, d’ailleurs, de courte durée. Elle est bien une caractéristique de la dernière fluctuation primaire du cycle. La part des îles en tonnage en Allers et retours, de 1639 à 1641 est de 17,7 %, elle était de 13,4 % pour l’ensemble de la fluctuation cyclique décennale de 1632 à 1641, elle sera de 8,2 % seulement lors du cycle suivant de 1642 à 1650. Il faut voir, par conséquent, dans cette ultime poussée des petits convois en provenance des îles, une ultime tentative de substitution. Un suprême effort pour rattraper sur les îles premières abandonnées ce qu’on a perdu, successivement, sur l’axe de Terre Ferme puis sur l’axe nouvel espagnol, ensuite, sur l’axe de Terre Ferme reconstitué depuis peu enfin. Résistance paradoxale du tonnage unitaire des Retours lors du creux de 1640, petite flotte de Saint-Domingue doivent donc être considérés comme les deux aspects indissociables du même phénomène.
4. Allers et retours
101L’interprétation directe de la conjoncture à travers les chiffres globaux Allers et retours se trouve compliquée en 1640, comme dans toute la période 16381644 par les discordances des Allers et des Retours. L'insuffisance des Retours en 1640 est, quand même, trop importante pour que les Allers et les Retours n’en soient pas considérablement affectés.
102Étant donné que, tout compte fait, quelles qu’en soient les origines, la contraction des Retours l’emporte sur l’expansion des Allers, de 1639 à 164099 on se trouve en présence de 86 navires à 71 navires, de 29 080 toneladas (33 442 tonneaux) à 22 886 toneladas (26 318,9 tonneaux), des replis respectifs de 17,4 % sur le mouvement unitaire et de 28 % en tonnage et léger fléchissement du tonnage unitaire de 338,1 toneladas en 1639 à 322,3 toneladas. Il faut considérer cette très faible modification (d’autant plus méritoire qu’il y a aplatissement des Retours, d’une année sur l’autre, domaine structurellement des plus hauts tonnages) du tonnage unitaire, non comme un recul mais, bien au contraire, comme une confirmation de la mutation positive du tonnage unitaire qui marque les dernières années du présent cycle.
103Par rapport à une moyenne100 pourtant rapidement décroissante, le passage de 1639 à 1640 représente une mutation très importante101. On passe, en effet, de 111,44 % en 1639 à 88,68 % en 1610. 1639, en Allers et retours, malgré l’interruption de 1638 se trouve, en effet, au terme d’une longue anomalie positive qui commence pratiquement en 1635 et se termine en 1639. L’anomalie positive fait place à une importante anomalie négative sur trois, voire sur cinq ans102 d’où exceptionnelle valeur du tournant de 1610. Le creux ira en s’accentuant non seulement en 1611 mais, dans une certaine mesure encore, en 1642.
104L’impression très ferme qui se dégage de ces différents tests, c’est derrière une vibration courte positive des Allers que l’on peut attribuer au dessin hésitant d’une fluctuation primaire assez extérieure à la dynamique propre au mouvement, une pente descendante qui extraordinaire rapidité qui va de 1638 jusqu’en 1642. 1640 est à mi-pente de cette dégringolade catastrophique. Elle n’est pas sans responsabilité sur la formation des profondes crevasses qui sillonnent, irréversiblement, à partir de 1640, le vieil édifice vermoulu de la domination révolue des Ibériques.
LES CONFIRMATIONS PARALLÈLES
105Il importe d’étayer semblable hypothèse que le seul mouvement des globaux ne suffit pas à justifier.
1. Les valeurs
106Les séries, même très imparfaites, du maravedí al millar103 seront très précieuses. Le grand problème qu’il faut trancher est celui de la hiérarchie qu’il convient d’attribuer aux fluctuations. Ou bien on sera sensible, surtout, à la poussée quantitative des Allers dans le cadre du découpage annuel et on insistera, par conséquent, sur la poussée de la fluctuation la plus courte, ou bien on sera sensible, avant tout, à la tendance descendante de la fluctuation décennale dans cette partie du mouvement dominante, dans la mesure où elle va dans le sens du phénomène intercyclique et de la tendance séculaire. C’est évidemment, cette hiérarchie-là que nous proposons au lecteur.
107Si médiocre qu’elle soit, c’est vers cette interprétation que tend à proposer la série du maravedí al millar dont il faut bien, faute de mieux, se contenter. Le mouvement-valeur entre 1639 et 1640 s’effectue à contre-courant du mouvement volumétrique. De 1639 à 1640, le volume global des années dans le découpage annuel passe, en effet, de 11 700 toneladas à 20 400 toneladas, mieux encore, les navires marchands de Séville104 ceux, par conséquent, dont le mouvement correspond le mieux à ce que permet d’étreindre la série du maravedí al millar, passent dans le même temps de 3 980 à 10 350 toneladas. Face à ces décrochements positifs de l’ordre de 11 700 toneladas à 20 400 toneladas, de l’ordre de 3 980 toneladas à 10 350 toneladas, d’un côté, se place un décrochement négatif, exactement inverse sur des valeurs fiscales très approximatives dans la proportion de 799,85 millions de maravedís en 1639 à 346,38 millions de maravedís en 1640105. Voilà qui, pris exactement au pied de la lettre, tendrait à impliquer entre 1639 et 1640 une diminution dans l’ordre de 4 à 1 de la valeur unitaire moyenne des marchandises exportées en direction de l’Amérique, entendez, très exactement, le négatif du mouvement de quadruplement de la valeur unitaire des marchandises exportées que nous avions cru observer, en partant de la même série de 1638 à 1639. Cette symétrie inverse des mouvements de 1638 à 1639 et de 1639 à 1640 renforce la créance que l’on peut accorder aux renseignements contenus dans cette série contestable.
108En réalité, on ne saurait écarter, d’une part, le sens de l’évolution du mouvement valeur tel qu’on en entrevoit un quelconque reflet à travers la médiocre série du maravedí al millar. Il n’est pas douteux, d’autre part, que l’amplitude du dénivellement du mouvement-valeur est très exagérée par la série du maravedí.
109Même exagérée, la chute du mouvement est d’autant plus significative qu’elle va à l’encontre des volumes. Elle prouve, entre autres choses, que le trafic s’était bien trouvé enfermé, en 1639, dans un goulot d’étranglement106, pour l’essentiel, imputable à une grave défaillance de l’armement. Ce goulot d’étranglement s’explique par la défaillance totale des Retours de 1638 et par le passage d’une anomalie positive à une très profonde anomalie négative des Retours107. Ce goulot d’étranglement, enfin, tend à exagérer la tendance décroissante du trafic en 1639 par rapport à 1638. Certes, tout compte fait, la tendance est bien décroissante, fortement décroissante dès 1639, mais c’est, surtout, entre 1639 et 1640 que la catastrophe se précise.
110En effet, la forte reprise des Retours de 1639 desserre le goulot de l’armement en 1640 et dans la mesure où il se desserre, il permet de mieux apprécier, de saisir avec une plus grande certitude, la véritable limite du négoce. Le négoce ne peut remplir en 1640 le volume que l’armement met à sa disposition qu’au prix d’un fort gonflement, d’un retour offensif, en quelque sorte, de marchandises de moindre prix. L’inflation quantitative fort relative, au vrai, sur laquelle se fonde l’impression d’expansion que l’on peut avoir, dans le cadre de la fluctuation primaire tri ou quadriennale, n’enlève rien, par conséquent, à la réalité sous-jacente d’une vague de fond de contraction qui s’accentue encore de 1639 à 1640. Cette inflation quantitative, on peut le penser, a dû s’exprimer par une assez forte exportation de denrées agricoles. On aura noté, en outre, que cette inflation quantitative et cette forte dépréciation qualitative correspond, comme toujours, plus particulièrement, au cours de cette phase longue de contraction, à une poussée relative de la Nouvelle Espagne108 porteuse par rapport à la Terre Ferme des matériaux encombrants de faible prix. Tout cela revient à supposer une forte récurrence très vraisemblable d’exportations agricoles.
111L’hypothèse — ce ne peut être, faute d’une connaissance détaillée de la nature des marchandises et denrées exportées au cours de ces années, qu’une hypothèse — est très vraisemblable, en raison de ce que nous avons, grâce à E. J. Hamilton109, des prix, en 16-10, des deux principales denrées exportables, le vin et le blé, en Andalousie. On pourrait ajouter le prix de l’huile d’olive en 1639, ce qui revient exactement au même.
112Le vin passe par un prix très bas en 16-10, le plus bas depuis 1632 (157,3 maravedís l’arrobe contre 213,0 maravedís en 1639, 323,0 maravedís l’arrobe en 1641 et en 1634). On peut se demander si ces prix bas s’appliquent vraiment aux départs de 16-10 ? Presque sans conteste, même si l’observation s’applique aux fruits de la vendange de 1640 disponibles un peu après, seulement, le départ des flottes, la perspective d’une bonne, voire d’une très bonne récolte aura pesé sur les possibilités de chargement de 1640. On ne saurait, d’ailleurs, surestimer l’importance de cette dépression des prix du vin en 1640, puisqu’elle s’exprime en une monnaie rapidement dépréciée110 (en Andalousie, par exemple, la prime de l’argent sur le billon, de l’étalon monétaire plus ou moins idéal sur la réalité monétaire, passe de 26,5 % d’avril à juin 1639 à 50 % de juillet à septembre 1640, quinze mois plus tard). Le fléchissement du prix du vin dans des conditions, a priori, aussi peu favorables à une baisse importante des prix d’une valeur réelle, rend vraisemblable le fonctionnement d’un vieux réflexe depuis longtemps sinon perdu, du moins aboli, la sortie en direction du Nouveau-Monde d’une certaine quantité de vin andalou excédentaire.
113Le même mécanisme est également applicable au blé111 et plus sûrement encore à l’ensemble des grains. 1640 est au cœur d’une véritable fondrière du prix des grains en Andalousie plus sûrement que partout ailleurs : indice 128,16 en 1639, indice 107,27 en 1640 contre l’indice 283,24 de 1636 et l’indice 272,30 en 1642112. Les prix de 1640 sont ceux d’une récolte qui se place fin mai début juin ; ils s’appliquent donc sans hésitation au chargement du convoi en direction de la Terre Ferme dont la date de départ se place le 25 septembre113 très tardivement, par conséquent, exactement sous le coup de la récolte céréalière d’une année d’extrême, de catastrophique abondance.
114Analogie profonde, également, pour l’huile d’olive114. La récolte, ici, est très tardive, on peut donc légitimement penser que les prix de 1639 influent plus directement sur les départs de 1640 que ceux de 1640. Or, le prix de l’huile en Andalousie en 1639 tombe à 357,0 maravedís contre 786,0 maravedís l’arrobe en 1628 et 841,5 maravedís en 1642. C’est le point le plus bas atteint depuis les 345,0 maravedís de 1625, les 314,5 maravedís de 1616 et les 293,3 maravedís de 1612, le point le plus bas jamais atteint jusqu’en 1650. Là encore on se trouve placé en présence d’une série de circonstances exceptionnelles.
115En conclusion, de la confrontation de la médiocre série-valeur du maravedí al millar, des volumes à l’Aller et des prix des trois principales denrées agricoles andalouses susceptibles d’être, exceptionnellement, encore, exportées vers l’Amérique, se dégage non une certitude mais une très grande vraisemblance. Un concours exceptionnel de circonstances a permis en 1640 à la Carrera de retrouver une voie ancienne. Pour la dernière fois, peut-être, une faible proportion de surplus agricole andalou aura pris la route des Indes vers l’Ouest, sans apporter, pour autant, une grave modification à l’équilibre intérieur des prix de l’Espagne du Sud. La route des Indes, à l’Ouest, si tant est qu’elle ait jamais joué ce rôle, n’a pas été capable de faire un contrepoids décisif aux tendances formidablement dépressives des prix agricoles andalous fin 1639 début 1640.
116Si l’incidence est nulle sur les profondeurs de l’Andalousie agricole, elle est énorme pour le trafic de Séville même décadent. Puisqu’elle a permis, pour la dernière fois, sans doute, une poussée conjoncturelle uniquement quantitative, qui arrive, presque paradoxalement, à ne pas contredire, l’énorme dépression qui se poursuit, en profondeur, dans l’ordre capital des valeurs seules. Cette confrontation confirme, s’il en était besoin, cette certitude qui n’a pas à être appuyée, tant elle est, mille fois, étayée ; en 1640, au début de la phase B d’un xviie siècle rétracté, refermé sur lui-même, le secteur agricole pèse d’un poids sans commune mesure possible avec le secteur du grand négoce. Il est susceptible d’influer le négoce ; le négoce, quelle que soit sa force, ne pèse guère sur lui. Tout cela est trop évident pour mériter, ici. plus amples développements.
117Le facteur valeur, même imparfaitement saisi, nous a permis d’appuyer les traits d’un portrait triste de la conjoncture de 1640 : il nous a rendu, justement, plus sensible, au phénomène de la fluctuation décennale qu’à l’effet quelque peu aberrant, ici, de la fluctuation primaire. Une analyse plus poussée retrouvera, c’est fatal, les deux strates de la dynamique la plus courte du mouvement, et l’on pourra être sensible ainsi, tantôt à un aspect, tantôt à un autre aspect d’une vérité complexe et multiforme.
2. Les éléments positifs et positivo-négatifs de la conjoncture
118Malgré les arguments décisifs que l’on peut aligner en faveur de la poursuite à travers 1640 d’une conjoncture basse à l’échelon de la fluctuation cyclique décennale, les aspects d’une poussée conjoncturelle limitée, d’une forme particulière, un peu extérieure, archaïque, en quelque sorte, d’expansion partielle, sont, pourtant, bien visibles. En fait, rien n’est clair, rien n’est simple, tout dépend, finalement, du champ que l’on prend face aux phénomènes étudies.
119a. Le mercure. — Le mercure transporté ne prête pas à équivoque : 6 440 quintales en direction de la Terre Ferme115 viennent après, véritable tour de force, les 4 575 quintales de la Nouvelle Espagne116. Cette masse énorme représente un effort considérable et elle se doit d’être porteuse de graves conséquences. Si on admet, ce qui semble raisonnable, que les effets, dans ce domaine, ne se font pas sentir tout de suite, mais par l’intermédiaire du coup de fouet donné à la production minière, quatre, cinq ou six ans, plus tard, on peut supposer un lien entre ce nœud mercuriel de l’année 1640 et la poussée cyclique des années 45, 46, 47. Quoiqu’il en soit, cette flambée de plus de 11 000 quintales de mercure constitue un facteur hautement positif. Le transport de ces 500 tonnes en gros, 600 tonnes environ, au minimum, avec l’emballage, aura mobilisé une fraction non négligeable, 1/25 environ des possibilités porteuses en poids, des navires, allant du complexe en direction de l’Amérique.
120b. Ventilation au sein du complexe. — La répartition des navires à l’intérieur du complexe portuaire117 constitue un facteur que l’on peut invoquer en faveur d’une conjoncture quantitativement favorable.
121D’une manière générale, on sera sensible, surtout, au gonflement des deux secteurs, a priori, présumables les plus importants du trafic à l’Aller, c’est-à-dire, les navires marchands de Séville et, plus encore, peut-être, ceux de Càdiz. Non seulement, il y a presque triplement en tonnage, de 1639 à 1640, sur l’axe des navires marchands de Séville, de 3 980 toneladas à 10 350 toneladas, mais ce triplement s’accompagne d’une poussée particulièrement encourageante du tonnage unitaire moyen, de 199 toneladas en 1639 (3 980 toneladas pour 20 navires) à 304,4 toneladas en 1640 (10 350 toneladas pour 34 navires). Surtout le niveau de 1640 est quelque peu paradoxalement le plus élevé de 1630 à 1650. Il en va de même, plus ostensiblement encore pour Cádiz, de 1 à 11 navires, de 1 000 à 3 120 tonaledas, puisque le chiffre de 1640 est le plus élevé de toute la période 1627-1650. La part énorme de l’ensemble Séville-Cádiz, comme aux meilleurs jours d’un passé déjà lointain ne peut que frapper, de 20 navires et 4 980 toneladas à 45 navires et 14 470 toneladas, soit en tonnage, le niveau de beaucoup le plus important, de 1630 à 1650.
122Il y a, à part cela au départ de 1640, stabilisation du niveau d'armada à un échelon élevé, 13 navires contre 13 navires, 6 726 toneladas contre 6 480 toneladas en 1639, et ce niveau, pratiquement, nul des négriers et canariens. Le fait dominant reste donc, pour l’essentiel, la part, à nouveau, très forte, des éléments justement considérés comme les plus riches du trafic.
123Avant de porter ce fait totalement à l’actif de la conjoncture de l’année, il importe de ne pas perdre de vue l’origine de cette poussée, c’est-à-dire, pour le meilleur, un report de 1639 sur 1640 de la flotte avortée de Nouvelle Espagne. Or, cette flotte ambiguë de Nouvelle Espagne, sous le commandement de Roque Centeño y Ordonez, représente 60 % des départs des « marchands de Séville » et pratiquement, les deux tiers des marchands caditains. La plus grande partie, donc, des éléments réputés les plus lourds au départ du complexe portuaire, appartiennent autant à la conjoncture de 1639, dont les effets se prolongent à travers le premier semestre de 1640, qu’ils ne sont imputables à 1640. Il est tout aussi légitime, par conséquent, de ventiler les « marchands » de Séville et Cádiz, entre 1639 et 1640 et de substituer, même sous cet angle particulier, à la notion d’une poussée dans le cadre du découpage annuel, celle d’une pente lentement et uniformément décroissante.
124c. La taille des navires. — Parmi les éléments qui traduisent, à la hauteur de 1648, une présomption de santé, on pourra classer, encore, la taille des navires de la flotte de Nouvelle Espagne118.
125Il y avait longtemps, vingt ans, au moins, que le trafic en direction de la Nouvelle Espagne n’avait joui, à certains égards, de semblables commodités. Depuis quinze ans, exactement119, on n’avait vu, alignant 18 navires et 7 730 toneladas, en direction de la Vera Cruz, une telle capacité de transport naviguant en flotte, et une telle capacité de transport constituée par des navires de cette qualité. Le tonnage unitaire moyen du convoi est particulièrement élevé : 429,4 toneladas pour l’ensemble des navires de Séville et de Cádiz (498,2 toneladas pour les navires de Séville, 321,4 toneladas pour les navires de Cádiz) et surtout, il est constitué par un matériel exceptionnellement homogène, à deux exceptions près120, la Nuestra Señora de la Yniestra de Francisco Ramirez et la Nuestra Señora del Rosario y el Carmen de Mateo de Monteverde. Mais, là encore, il s’agit de facteurs, en quelque sorte extérieurs au négoce, une facilité qu’un jeu externe de circonstances a, pour un temps, fournie au trafic.
126d. Commerce malgré l’ennemi. — Le dernier facteur que l’on peut invoquer en faveur d’une conjoncture relativement bonne du trafic, est donné par le poids même de l’attaque hollandaise121. Malgré l’opposition d’un ennemi qui cherche à bloquer la navigation espagnole à la sortie du bas Guadalquivir, le deuxième convoi de l’année, celui de Terre Ferme, quitte le Guadalquivir à une date tardive, certes, le 25 septembre 1640122, mais réussit à partir, quand même. L’ampleur du défi, heureusement surmonté, n’en constitue pas moins un facteur hautement favorable.
3. Les éléments négatifs et négativo-positifs
127Les autres éléments que l’on pourrait retrouver, à travers la correspondance de la Casa de la Contratación, sont des éléments plutôt négatifs à porter, dans l’ensemble, au dossier de la médiocrité, quand même, de la conjoncture de l’année, au dossier, donc, des contractions cyclique, intercyclique et tendancielle qui s’additionnent en 1640.
128a. Les grands axes du trafic. — Tout d’abord, la répartition du trafic entre les grands axes123. Certes, le niveau des départs en direction de la Terre Ferme (20 unités — 6 370 toneladas) est important, il constitue même, paradoxalement, le niveau le plus considérable de toute la fluctuation primaire, le plus considérable, de toute la fluctuation cyclique, le plus considérable, de 1629 à 1643.
129Toutefois, c’est vraisemblablement ce qu’il faut retenir, le niveau de la Nouvelle Espagne est relativement très fort, relativement, beaucoup plus fort que celui de la Terre Ferme dominante, malgré une légère supériorité de cette dernière (le niveau des départs vers la Nouvelle Espagne s’élève à 25 unités, 8 800 toneladas contre 31 unités et 10 346 toneladas seulement pour la Terre Ferme). Mais si on s’en tient aux chiffres relatifs, on aura noté que la part de la Nouvelle Espagne s’est élevée, en 1640, à 43,1 % du total des départs en tonnage, soit près du double de la moyenne, 26,5 % du niveau des départs vers la Nouvelle Espagne, en tonnage, au cours de la dernière fluctuation primaire du cycle 1639-1641.
130En raison du rôle respectif de la Nouvelle Espagne et de la Terre Ferme, au cours de cette phase longue de contraction du trafic, on peut considérer le gonflement de la part de la Nouvelle Espagne — parfaitement en relation avec le tassement des valeurs — comme un phénomène essentiellement négatif, d’autant plus volontiers que la flotte de Nouvelle Espagne est davantage imputable à la conjoncture de 1639 qu’elle ne l’est à celle de 1640.
131b. La chronologie. — Le second élément que l’on peut invoquer en faveur d’une certaine lourdeur conjoncturelle, c’est la chronologie elle-même des départs. Certes, la flotte de Nouvelle Espagne constitue, on l’a vu, un événement de première importance124, mais il ne faut pas oublier que son départ était prévu, d’abord pour le deuxième semestre de 1639125 et qu’il n’a pas lieu de Cádiz avant le 21 avril 1640126.
132Ce 21 avril peut sembler, superficiellement, pour une flotte de Nouvelle Espagne, une date précoce, si on se reporte aux tableaux des dates de départ des flottes de Nouvelle Espagne127. Superficiellement, seulement, parce qu’en réalité, les flottes de Nouvelle Espagne ont été le plus souvent, soit les uniques flottes de l’année, soit plus simplement les premières de l’année. Le meilleur terme de comparaison nous sera fourni, paradoxalement, moins par le tableau des départs en direction de la Nouvelle Espagne que par celui des départs en direction de la Terre Ferme128, parce que ce sont, en général, les premiers départs de l’année. On y lit que, tout compte fait, le départ le 21 avril se situe dans une moyenne assez terne. Une moyenne d’autant plus terne qu’aucun convoi n’aura quitté le complexe portuaire depuis onze mois très exactement — entendez depuis le départ, le 20 mai 1639129, de l'Armada de la Guardia de Don Gerónimo Gomez de Sandoval et de la flotte de Don Luis Fernandez de Córdoba.
133Dans ces conditions — et malgré la taille très considérable de la flotte de Nouvelle Espagne de Roque Centeno y Ordonez — la pression conjoncturelle, la hâte, si l’on préfère, d’investir des capitaux dans de fructueux circuits d’échanges, n’a pas été telle qu’elle permît le départ rapide d’un convoi différé depuis neuf mois, au moins. La taille de la flotte de Nouvelle Espagne perd même, dans ces conditions, une partie de sa valeur en tant qu’indication conjoncturelle positive, mais, cette valeur, en tant que signe de conjoncture positive, on est bien obligé, quand même, de la lui reconnaître130 jusqu’à un certain point.
134Après quoi, on serait tenté d’invoquer — mais avec moins bonne conscience, peut-être — la date de départ du convoi vers la Terre Ferme131, le 25 septembre 1640. Quelque soit le terme de référence choisi, sur l’éventail des départs réels132, le départ est des plus tardifs. On pourrait invoquer, ici, une certaine pesanteur conjoncturelle133, si des circonstances extérieures, la présence hollandaise, notamment, n’expliquait assez facilement un départ tardif. Tardif, toutefois, le départ ne l’est pas moins et c’est cet aspect seul qu’on retiendra ici.
135c. Les difficultés de l’« avería ». — On serait tenté d’invoquer encore — d’autant plus volontiers que le renseignement cadre parfaitement avec une incontestable lourdeur du mouvement valeur134 — malgré le caractère quasi rituel de telles plaintes à cette époque, les difficultés de l'avería. Parce que ces difficultés paraissent bien avoir atteint, au cours de l’année 1640, un niveau, véritablement, tout à fait exceptionnel135. Ce sont des contrats, périmés, aussitôt signés, c’est l’incapacité du Consulado à faire face à ses engagements et aux besoins de la défense. Tout cela n’est pas neuf, mais semble bien revêtir, en 1640, un caractère quasi caricatural, tant le trait coutumier est, ici, appuyé. Abandon du contrat, quelques mois à peine après sa conclusion, croissance du taux de l'avería, impossibilité de fournir plus de 50 % du minimum de galions jugé indispensable pour la défense de la Carrière des Indes. Tous ces traits se retrouvent en 1640. Il est impossible de ne pas les porter au passif de l’année.
136d. Archaïsme de la construction navale. —-C’est la première fois, également, que l’on trouve une prise de conscience non équivoque d’une caractéristique structurelle de la phase décroissante du trafic : l’archaïsme136 de la construction navale espagnole. Au terme d’une longue époque, au cours de laquelle il a fallu, de plus en plus, recourir aux navires étrangers, on finit par préférer, dans la Carrera même, les navires étrangers, si longtemps simplement tolérés. C’est, sans conteste, une grande défaite. De telles prises de conscience, fatalement douloureuses, sont des faits de crise et de contraction et c’est pourquoi on peut, sans doute, porter cette brusque sincérité au passif d’une conjoncture défaillante.
4. Carrera. — Catalogne. — Portugal
137Il peut sembler paradoxal de ne pas avoir vu intervenir, encore, dans l’analyse des événements de 1640, dont la trame a nom conjoncture, les deux grands événements politiques de l’année — ils sont ibériques, mais dépassent amplement le cadre de la péninsule — la descente des segadores de la montagne sur Barcelone, le 7 juin, jour de la fête-Dieu, 1640 et l’appel de la Catalogne sécessionniste au Roi de France, proclamé le 16 septembre comte de Barcelone, d’une part, le début de la sécession portugaise, le 1er décembre de la même année, d’autre part.
138Sécession de la Catalogne, sécession du Portugal... c’est, en fait, qu’elles interviennent d’une manière très inégale dans l’histoire de l’Atlantique hispano-américain. 1640, d’ailleurs, c’est bien l’année de la révolte et de la sécession de l’Espagne méditerranéenne, mais les événements qui aboutissent à la sécession du Portugal ne commencent pas avant le début de décembre 1640. La sécession du Portugal appartient à l’année 1641.
139D’où un contraste frappant. La descente des segadores sur Barcelone, la rupture qui, rapidement, se consume entre la Castille et la Catalogne, la marche méditerranéenne, par excellence, tous ces événements, combien spectaculaires, combien lourds de conséquences multiples, se sont déroulés à sept cents kilomètres de Séville, sans que l’on n’en trouve mention dans la correspondance de la Casa de la Contratación, si réceptive, pourtant, aux moindres événements qui ont pu se produire aux Indes, sur l’autre rive de l’Atlantique, dix mille kilomètres, plus loin, voire même aux Philippines, à plus de vingt mille kilomètres par mer des rivages du Guadalquivir. Semblable silence est particulièrement révélateur. Il a plus de poids que n’en auraient de longs discours. Il fournit une preuve supplémentaire d’une vérité, dont on a des preuves multiples, la profonde cassure qui sépare l’Espagne méditerranéenne de la vie Atlantique.
140La loi des Indes n’a pas eu à tenir à l’écart du Monopole les sujets des Royaumes ibéro-méditerranéens, ils s’en sont tenus à l’écart eux-mêmes. Le relief y a contribué. D’autres facteurs, sans doute encore, qui en partie nous échappent. Ce schisme est une cause de disgrâce majeure et de décadence. La séparation, la non-implication de l’Espagne méditerranéenne, jusqu’en 1650, dans la trame des événements de l’Atlantique et des Indes de Castille est beaucoup plus complète qu’elle ne l’est pour d’autres régions plus lointaines, pourtant, Gênes, par exemple.
141Gênes participe infiniment plus à la vie de Séville — en raison de son capital de technique bancaire — que Barcelone ou Valence. La grande indépendance de courbes du trafic à Séville par rapport aux indices des prix dans le royaume de Valence conduit à la même conclusion. Mais le silence parfait de la correspondance de la Casa de la Contratación en face d’un événement de cette importance, la sortie qui n’en est en rien affectée le 25 septembre 1640 du fort convoi destiné à la Terre Ferme, constitue, peut-être, la meilleure preuve dont on puisse disposer.
142D’autant plus que le contraste est frappant avec les événements du Portugal. Malgré un certain effort de la part du pouvoir central, pour minimiser et tenir secret les événements du 1er décembre et des jours suivants137, les gens de Séville s’en emparent et la correspondance de la Casa de la Contratación les mentionne pour la première fois, trois semaines plus tard, seulement, le 22 décembre. Elle y reviendra très souvent, après.
143Contraste frappant avec le silence de Séville en face de la sécession catalane. Contraste frappant surtout, si on se tourne vers le trafic. 1640, l’année de la révolte de la Catalogne, reste, malgré les limites de ses réussites, une année d’expansion quantitative limitée, mais incontestable. 1641, l’année de la révolte du Portugal nous place au cœur d’une catastrophe pratiquement sans précédent. La révolte du Portugal n’est ici, qu’un facteur entre plusieurs. Aussi bien a-t-on vu que la grande rupture du trafic précédait amplement l’événement politique et militaire de la récession. Même si la grande dépression de 1641 n’est que partiellement en relation avec la révolte du Portugal, elle n’en est pas indépendante. L’opposition qu’on aura l’occasion de souligner longuement de 1640 à 1641 entre l’anéantissement aux deux tiers réalisé et l’anéantissement complet, c’est l’opposition, entre un événement qui se déroule en dehors de la Carrera, la révolte de la Catalogne, et un événement qui l’affecte, au premier chef, la révolte du Portugal.
144Accentuation de la dépression par suite d’un sentiment d’incertitude, de l’imprévisibilité des conséquences d’une rupture dont on ne sait encore jusqu’où elle mènera. Telles sont, de notre point de vue, les premières conséquences de premier plan d’un très grand événement. Elles nous montrent, ce qui n’avait pas, au demeurant, à être prouvé, combien étroitement liée est Lisbonne à la vie de l’Atlantique espagnol et hispano-américain. Rien de ce qui affecte le Portugal maritime n’est étranger à Séville, — on vient d’en avoir une preuve supplémentaire — de même que rien de ce qui affecte Séville n’est étranger au Portugal maritime et plus particulièrement à Lisbonne, comme José Gentil da Silva l’a heureusement et abondamment prouvé récemment138.
145Ces liens étroits d’interdépendance ne signifient pas, pour autant, que Séville — entendez la Séville marchande de l’Atlantique hispano-américain de la Carrera — ait déploré la rupture qui était en train de se consommer. La rupture a été rendue possible, sans doute, au Portugal, quand, entre autres, l’affaiblissement de Séville avait réduit les avantages que certains secteurs puissants de l’économie tiraient de la symbiose politique. On sait avec quelle impatience, du côté espagnol, Sévillans et Créoles avaient supporté les transferts et les replis opérés du Portugal en direction des Indes de Castille. Dans l’ensemble, si on suit le reflet des événements à travers la correspondance de la Casa de la Contratación et du Consulado, on a l’impression que, dans les milieux les plus proches, du moins, de la Casa de la Contrataciôn et du Consulado, la satisfaction l’a, de beaucoup, emporté sur les regrets qu’on en a pu avoir. Il suffit de retenir l’espèce de bâte joyeuse avec laquelle ont été, pour une fois, exécutées les mesures à l’encontre des Portugais139, l’empressement mis à affréter les avisos, l’empressement, partout, aux Indes, dans l’exécution des mesures d’expulsion.
146Dans la mesure où les éléments, quand même sporadiques, que nous possédons, permettent de porter un jugement, on peut supposer que, pris dans leur ensemble, les milieux d’affaires de Séville et des Indes se sont consolés assez bien de la rupture hispano-portugaise, parce qu’elle leur a permis, dans certains cas, l’assouvissement de vieilles vengeances recuites.
147Pour l’essentiel, on retiendra, à la fois, l’importance et la médiocrité sous l’angle du grand trafic si longtemps dominant de Séville, de la rupture avec le Portugal. Importance, certes, il suffit de comparer le trafic de 16-11 à celui de 16-10 et de comparer, vue de Séville, l’incidence inégale des événements, objectivement, pourtant, à peu près comparables de Catalogne et de Portugal pour vérifier ce qui était, a priori, évident, la bien plus grande importance pour la Carrera, des événements du Portugal Atlantique que de la Catalogne méditerranéenne.
148Médiocrité, pourtant, si on veut bien admettre que la grande et dernière rupture qui coupe le trafic de la Carrera précède le schisme hispano-portugais dont il est bien plus cause que conséquence. On finit, donc, par penser qu’en 1616, ce qui est de Carrera est beaucoup moins sensible aux plus grands événements politiques qu’elle ne l’est à une première ébauche de conjoncture économique mondiale dont elle constitue une composante de toute première importance.
HYPOTHÈSES
149Relative insensibilité, donc, de la Carrera, à l’environnement politico-militaire, sensibilité, par contre, comme toujours, aux prix ibériques.
150On ne trouvera pas sur les séries des prix, de correspondance au niveau de l’expansion très courte à la hauteur de la fluctuation triennale. Cette expansion uniquement quantitative, d’ailleurs, qui ne met pas en cause des produits de qualité, reste très limitée et il ne faudrait pas en exagérer l’importance. Elle est due très simplement à une série de causes très particulières, inhérentes à l’écoulement même du flux du trafic. La fluctuation la plus courte nous apparaît ici, un peu comme extérieure à toute esquisse de conjoncture mondiale. Elle reste très particulière, très localisée, peu susceptible d’une portée générale.
151Il en va tout autrement de la fluctuation décennale. Cette fluctuation décennale qui est en passe de devenir au XVIIe siècle la fluctuation dominante. Nous retrouvons, à ce niveau, entre le flux économique du trafic et les mouvements des prix dans la péninsule ibérique les covariations habituelles.
152Débarrassée de l’accidentel, l’année 1610 nous est apparue sur le trafic au strate plus profond de la fluctuation décennale, comme une année de contraction continue. Entre cette contraction continue et la conjoncture des prix, on retrouvera les corrélations habituelles.
153La corrélation habituelle, c’est-à-dire, la covariation positive prix-trafic. Détérioration continue, en profondeur, des conditions du trafic, d’une part, accentuation, d’autre part, de la baisse des prix dans la péninsule ibérique, accentuation, aussi, de la baisse des prix des produits coloniaux, sur le marché particulièrement révélateur de la grande place d’Amsterdam.
1. Baisse des prix-argent espagnols140
154En 1637 et en 1642, c’est-à-dire très exactement entre les bornes de la grande rupture de pente du trafic, les prix-argent pour l’ensemble de l’espace géographique espagnol baissent de l’indice 136,93 à l’indice 101,45, c’est-à-dire, répétons-le, la contraction la plus considérable de toutes celles jamais observées141. Entre 1639 et 1640, la contraction se poursuit, à un rythme identique, très légèrement ralenti, par rapport au rythme de la décroissance de 1638 et 1639, sur une route jalonnée par les indices, 133,70 en 1638, 126,24 en 1639, 121,46 en 1640. Par rapport à la moyenne mobile, il faut entendre des écarts de 103,76 %, 98,38 % et 94,65 % de 1638 à 1640. Continuation de la contraction mais léger ralentissement du rythme de la contraction, ce que l’on observe sur les prix, c’est bien, aussi ce que l’on a observé déjà sur le trafic.
2. Prix nominaux et Inflation
155Le caractère très particulier de l’arrière-plan — prix de la conjoncture du trafic est mieux donné, encore, par l’examen attentif des courbes des prix andalous et de l’inflation142. Beaucoup plus nettement que sur l’indice rigide des prix globaux argent, on observera, ici, une conjoncture conforme à celle du trafic, c’est-à-dire, poursuite de la contraction, certes, mais palier sur une ligne de dégradation. En effet, si de 1630 à 1643, la contraction des prix nominaux continue bien que ralentie (de l’indice 108,23 à l’indice 106,05 pour la Nouvelle Castille, de l’indice 105,43 à l’indice 103,35 pour la Vieille Castille-Léon) : elle est virtuellement stoppée dans l’espace le plus important celui d’Andalousie, de l’indice 104,92 à l’indice 104,76. Il y a même flambée des prix nominaux en 1641 et 1642.
156Mais cette montée, et déjà en 1640, le palier virtuel est intégralement imputable à l’effet inflationniste. C’est au cours vraisemblablement de l’année 1640 que le seuil du niveau supportable d’inflation a été franchi : de 26,50 %, 34,00 %, 39,11 % au cours des trois derniers trimestres de 1639 la plus-value de l’argent en terme de billon passe à 46,00 % au cours du premier semestre de 1640 et 50,00 % au cours du second semestre. Cette plus-value suffit à expliquer le coup de frein à la baisse des indices en 1640 et leur gonflement malsain en 1641 et 1642. Mais 1640 se trouve vraisemblablement à un point de divergence. L’inflation cesse d’y être bénéfique mais elle n’est pas encore, positivement, néfaste. D’où hésitations, confluence d’effets divers et différence notable avec la situation des années suivantes, 1641 et 1642.
3. Le coût de la main-d’œuvre
1571640, enfin, reste une année de coût élevé de la main-d’œuvre143. On se risquerait à écrire la dernière année, dans le laps de temps d’un siècle et demi que l’on a prospecté, la dernière année de forte anomalie positive de la main-d’œuvre (de 110,81 % en 1639, on passe à 111,59 % en 1640).
158C’est aussi la dernière année d’une période de plus d’un siècle, au cours de laquelle on aura noté, à l’intérieur des relations qui ne sont pas simples, une corrélation assez grossièrement négative, coût de la main-d’œuvre-trafic.
159La grande crise 1640-1642, l’énorme montée inflationniste, qui scande ces années, constituent un plan important de diffraction. Au-delà, l’antique relation entre le trafic et le coût de la main-d’œuvre se brouille. On note à l’intérieur de la péninsule ibérique ruinée, un effondrement qui atteint tous les secteurs de la vie, jusque et y compris la rémunération du travail. La fin de l’anomalie positive de la rémunération de la main-d’œuvre nous invite après combien d’autres indices concordants, à placer autour de 1640, la ruine définitive de l’Espagne.
1601640, la conjoncture déprimée est générale, les prix des denrées coloniales à Amsterdam le prouvent144, mais si la vague est partout profondément creusée, les collectivités marchandes réagissent fort différemment suivant le cas. Le dynamisme de la jeune Hollande et sa hâte à panser ses plaies contraste avec l’irréversible lourdeur du vieux corps épuisé de l’Espagne.
1611638,1639, 1640 ont marqué à Séville la première phase de la grande catastrophe, 1641 et 1642, la rupture avec le Portugal effective, achèvent l’évolution et dressent le bilan. La faillite est consommée.
III. — 1641 : AU FOND DE LA CRISE
162Un instant freinée, mais non stoppée, la contraction se poursuit en 1641. Tout un concours de circonstances contribue à renforcer l’accident négatif de 1641 : certaines de ces circonstances, la révolte et le schisme portugais, par exemple, découlent, en partie, de la conjoncture économique, mais en partie, seulement. Le creux de 1641 résulte, donc, pour l’essentiel, de la conjoncture économique. C’est en 1642, seulement, que l’on pourra, toutefois, mesurer à son paroxysme l’effet de la contraction. Les réalités de 1641 et de 1642, au vrai, sont indissociables. Elles permettent, considérées globalement, d’apprécier l’ampleur d’une catastrophe qui marque le terme définitif de la grandeur de Séville.
LA LEÇON DES CHIFFRES
163Toute une série de circonstances contribue à la rendre particulièrement éloquente. Pour une fois, pourtant, il faut bien reconnaître que les indications tirées du découpage annuel ne trahissent pas trop le fond même de la réalité conjoncturelle.
1. L’équilibre Allers-Retours145
1641641 appartient encore à cette longue période de la crise, totalement déboussolée, où le flux des Allers et celui des Retours n’arrive pas à coïncider. 1641 voit revenir dans le Guadalquivir une partie des Retours retenus aux Indes en 1640. Malgré la médiocrité intrinsèque des Retours de 1641 (32 navires, 11166 toneladas, 12 286,2 tonneaux), 91,9 % seulement de la moyenne correspondante146, le mouvement des Retours constitue la meilleure part du mouvement de Tannée, soit 77,87 % du total.
165Pour apprécier exactement ce que signifie cette anomalie, il suffit de rappeler qu’elle n’a jamais été égalée en un siècle et demi d’histoire recensée de l’Atlantique de Séville. Pour retrouver des situations grossièrement, mais grossièrement seulement, analogues, il faut remonter jusqu’aux 74,96 % de 1591 et 76,50 % de 1556. Ces références ne diminuent pas la portée de l’écart positif des Retours en 1641.
166Au-delà de cette anomalie et de ces distorsions en chaîne, il faut tenir compte d’une anomalie qui se développe à plus long terme. Après l’énorme anomalie négative des Retours sur trois ans de 1638 à 1640147 (Retours, 62 navires, 20 020 toneladas, Allers, 169 navires, 49 9C6 toneladas, soit par rapport au total, en tonnage une proportion de 28,6 % seulement), on va voir se développer sur trois ans, à titre de compensation, une anomalie positive plus importante, encore, de 1641 à 1643, en effet, en face d’un niveau des Allers de 104 navires et de 24 578 toneladas — on aura noté, au passage l’ampleur de l’aggravation par rapport aux niveaux des trois année précédentes, soit une réduction de plus de 50 % en tonnage, et une réduction presque aussi considérable du tonnage unitaire, de 295,6 toneladas, tonnage unitaire moyen des Allers de 1638 à 1640 à 236,3 toneladas, dans les mêmes conditions de 1641 à 1643 — un niveau des Retours, très supérieur au tonnage des Allers, soit 101 navires et 38 803 toneladas.
1671641 se trouve, donc, à l’entrée, non seulement d’un dénivellement quantitatif, mais aussi d’un dénivellement, qualitatif. En effet, non seulement, les Retours atteignent, en tonnage, sur trois ans, une participation record jamais égalée de plus de 61,2 % — pour trouver une anomalie sur trois ans, quelque peu comparable, il faut aller de 1647 à 1649 (94 navires, 28 567 toneladas, 121 navires, 38 670 toneladas, niveau des Retours, 57,5 % du total) — mais cette dénivellation procède uniquement d’une différence grave du tonnage unitaire, un tonnage unitaire, très faible à l’Aller, 236,3 toneladas et considérable au Retour, 384,2 toneladas. L’anomalie est telle qu’elle se retrouve sur le découpage semi-décadaire148. 1641-1645 est la seule demi-décade des cent quarante-cinq années d’histoire recensée de l’Atlantique qui présente, avec 1511-1515, mais beaucoup plus nettement encore, une anomalie positive des Retours, avec un excédent réel des Retours de 1 935 toneladas, unique dans toute l’histoire de la Carrera, contre 380 toneladas, seulement, de 1511 à 1515 ; une participation relative de 51,7 % aux totaux, unique, de 1641 à 1645, contre 50,6 % de 1511 à 1515.
168L’anomalie positive des Retours de 1641 dépasse, donc, de beaucoup le cadre annuel. Elle constitue l’ébauche d’un grave accident sur plusieurs années. La grande crise de rupture des années 1638-1642-1643 s’est donc présentée sous l’angle de l’équilibre Allers et Retours sous la forme d’une grave distorsion. Au cours d’une première phase, anomalie positive des Allers, c’est le trafic Retours qui apparaît bloqué — il en va ainsi, de 1638 à 1640, inclusivement, indépendamment d’un rythme court dû à la nature même du flux des Retours perturbé, en ces années de guerre.
169Au cours d’une seconde phase, anomalie des Retours, ou plutôt anomalie négative des Allers, ce sont les Allers qui ne se forment plus dans le Guadalquivir, en raison, précisément, du grave déficit des Retours au cours des trois années précédentes. Cette seconde phase de la crise est la plus grave, hâtons nous de le dire, mais elle a été préparée au cours des trois ans qui vont de 1638 à 1640. Puisque c’est, à la limite, la paralysie des Retours, sur trois ans, qui aura creusé dans la chair même de la Carrera des plaies incicatrisables. Anomalie à très court terme, anomalie, encore, à court ou moyen terme, si on délimite dans le flux économique du mouvement des définitions chronologiques de trois années consécutives. Mais à long terme, voire même dans un cadre de six années seulement de 1638 à 1643, par exemple, l’anomalie disparaît. Seul subsiste béant, le trou immense de la grande cassure, avec 273 unités à l’Aller, 74 484 toneladas et un tonnage unitaire moyen de 272,8 toneladas, 163 navires, 58 823 toneladas au Retour et un tonnage unitaire moyen de 368,7 toneladas, soit pour les Retours, en tonnage, un pourcentage de 44,1 % seulement par rapport au total Allers et retours.
170Seule subsiste, la défaillance unitaire du mouvement, l’anomalie s’élimine, comme on pouvait, d’ailleurs, s’y attendre, a priori. Ces considérations ne doivent pas nous éloigner de la réalité conjoncturelle concrète de 1641, l’année de la consommation irréversible de la séparation luso-espagnole.
2. Allers
171L’accident du mouvement Allers en 1641 est de toute première importance. Si on exclut les premières années difficilement comparables du trafic, on s’aperçoit149 qu’en quelque cent trente ans, un tonnage aussi faible, à l’Aller, s’est présenté, deux fois, seulement, en 1587 à la veille du départ de l’Invincible Armada et en 1554, au cours de l’intercycle de baisse du demi-xvie siècle, l’intercycle qui correspond au paroxysme de la guerre française. Sur le mouvement unitaire, le creux de 1641, à l’Aller, n’a été égalé ou dépassé, qu’une fois, en 1556, dans le même laps de temps, trois fois seulement, même en faisant intervenir les toutes premières années recensées du trafic.
172Mais c’est en 1642150, qu’on pourra apprécier, seulement, l’ampleur de l’anomalie. On ne trouverait pas un ensemble (à condition de considérer, à la fois, le mouvement unitaire et le niveau des tonnages) comparable à l’ensemble 1641-1642, soit à l’Aller, 36 navires seulement et 11 485 toneladas151. Quoi qu’il en soit, dès 1641, quelle que soit la pression des événements politiques et militaires extérieurs à la dynamique même de la Carrera, l’accident négatif du mouvement est extrêmement important. Même compte tenu du niveau très faible des Retours en 1641 (10 navires, 2 480 toneladas). Il montre un négoce sévillan atone et comme frappé de stupeur, sans réaction devant l’événement qui « le frappe ».
173La gravité de l’accident est affirmée, encore, par la comparaison du chiffre vrai du tonnage à la moyenne mobile correspondante : le niveau de 1641 ne représente plus que 21,08 % de la moyenne. La dépression relative de 1641 n’a été dépassée que deux fois, seulement, en 1587, 15,24 % et en 155-1, 18,56 %. Quelles qu’en soient les raisons — elles sont complexes — nous sommes, donc, bien en présence d’un accident de toute première importance.
174Par rapport au niveau précédent de 1640, le repli a été de 68,8 % sur le mouvement unitaire, soit 19 navires au lieu de 61, de 81,5 % en tonnage (de 20 406 toneladas, 23 466,9 tonneaux à 3 173 toneladas et 3 490,3 tonneaux). Le repli, comme toujours, en pareil cas, quand il atteint une telle dénivellation, s’accompagne d’une modification qualitative du tonnage unitaire152 de 325 toneladas en 1639, de 334,4 toneladas en 1610 à 167 toneladas en 1611. Cette anomalie s’explique par l’élimination complète des flottes.
3. Retours
175Cette impression de catastrophe n’est que très médiocrement atténuée par le comportement des Retours. La reprise s’effectue de 1610 à 1611, de 10 navires à 32 navires, de 2 480 toneladas à 11 166 toneladas, de 2 852 tonneaux à 12 282,6 tonneaux, elle est respectivement de 220 % sur le mouvement unitaire et de 350,24 % sur le mouvement en tonnage, avec reprise aussi du tonnage unitaire moyen de 248 toneladas à 348,9 toneladas.
176Mais cette poussée ne doit pas masquer la réalité conjoncturelle profonde. Elle ne compense que très imparfaitement le déficit énorme des Retours de 1640153. La quasi-totalité des Retours de 1611, le convoi ramené sous la protection de l'Armada du capitaine général Don Gerónimo Gomez de Sandoval154 ne sont pas autre chose que des Retours différés de 1640. Leur retour s’est fait, sans encombre, en raison de l’hivernage à La Havane. Quant aux vrais retours de 1611, par contre, — la flotte de Nouvelle Espagne commandée au Retour, par l’amiral Juan de Campos155, — ils vont payer, à un excès très relatif de hâte, un tribut énorme. Pour n’avoir pas respecté la règle du 20 août, le convoi est disloqué, en grande partie, détruit par un hurricane156 dans le canal de Bahama.
177L’extrême médiocrité des Retours, en dépit de l’effet de récupération dont ils bénéficient est prouvée par la comparaison classique avec la moyenne mobile correspondante157 : contrairement à tous les précédents, le niveau de 1611 n’arrive même pas à égaler celui de la moyenne mobile correspondante, avec 91,9 % seulement.
178Elle est prouvée, presque plus sûrement encore, par le couplage sur deux ans des Retours tel qu’on l’a proposé déjà158. 1641, à la charnière du passage de l’anomalie relative négative des Retours et de l’anomalie positive, est au fond du creux du mouvement Retours, au point intrinsèquement le plus bas de toute la série recensée, avec une moyenne, sur deux ans, de 21 navires et 6 823 toneladas. La réalité conjoncturelle intrinsèque du mouvement Retours est fournie, non par le mouvement à l’intérieur du découpage annuel, mais par le rabotage sur deux ans, dans le cadre vrai de la ventilation du mouvement.
4. Allers et retours
179Les totaux Allers et retours, dans le cadre annuel, donnent assez bien l’ampleur de la catastrophe, en raison des corrections contradictoires qu’on pourrait être tenté d’exercer sur les deux branches fondamentales du trafic159. Les systèmes de pondération que l’on pourrait adopter donneraient des chiffres peu différents de ceux obtenus par la simple addition des Allers et des Retours, à l’intérieur du découpage annuel. Ils ont, en outre, pour un avantage médiocre, l’inconvénient de la complication et de l’arbitraire. Reconnaissons, toutefois, qu’ils renforcent heureusement, par les concordances qu’ils établissent la signification des chiffres vrais. On peut, donc, sans crainte, en suivre la leçon.
180De 71 navires à 51 navires, de 22 886 toneladas à 14 339 toneladas, de 26 318,9 tonneaux à 15 772,9 tonneaux160, le recul, par rapport à un niveau pourtant médiocre est, encore, respectivement de 28,17 % et de 37,35 %, avec réduction considérable du tonnage unitaire moyen entraîné par le glissement des Allers, de 338,1 toneladas en 1639, 322,3 toneladas en 1640161 à 281,16 toneladas en 1611. Le creux de 1641 ne peut se comparer qu’à celui de 1650, qui, en tonnage, le dépasse même très légèrement (51 navires, mais 12 748 toneladas, seulement). Pour trouver des niveaux comparables à ceux de ces deux années noires, entre toutes, il faudrait en tonnage, remonter de quatre-vingt-dix ans en arrière, au cours de la récession intercyclique du demi xvie siècle, remonter sur le mouvement unitaire, jusqu’aux premières années de l’histoire de la Carrière des Indes, très exactement, jusqu’en 1511, cent trente ans plus tôt. Voilà en valeur absolue. Par rapport au trend, en valeur relative, l’accident est tout aussi considérable, la dépression relative des Allers et retours, en 1641, est égalée et dépassée, deux fois seulement, en 1592 et en 1554, soit 52,74 % en 1641 43,22 % et 34,10 % au cours des deux termes précédents de référence.
CONFIRMATIONS PARALLÈLES
181Une analyse plus poussée corroborera cette première impression, elle souligne le caractère véritablement unique du creux de 1611.
1. Valeurs
182Quelle que soit sa réelle médiocrité, la série du maravedí al millar162 donne sur 1611 un élément parfaitement concordant. La série du maravedí al millar de Séville, telle que nous la restituons, est médiocre et incomplète : elle renferme vingt-neuf années, seulement, réparties sur une période de trente-quatre années consécutives, de 1610 à 1643. Or, ce n’est, sans doute, pas sans signification et par hasard, que le niveau qu’elle attribue à 1611, 186 millions 359 mille maravedís, est le plus bas de toute la série, soit la moitié environ du niveau présumé de 1640 et le cinquième du niveau présumé dans les mêmes conditions de 1642. Voilà qui confirme ce que l’on pouvait supposer, a priori, le creux de 1641 n’est pas seulement quantitatif, il est aussi un creux qualitatif, l’analyse plus détaillée de la composition des départs le confirme pleinement.
2. Ventilation des départs163
183En 1641 le Guadalquivir est comme frappé de mort. On peut estimer à la limite, qu’entre le départ, le 25 septembre 1640, du convoi armada et flotte de Terre Ferme, de Don Geronimo Gomez de Sandoval et Don Luis Hernandez de Córdoba164 et le départ, près de deux ans plus tard, de Cádiz, aussi, le 18 juillet 1642165 de la flotte de Nouvelle Espagne de Pedro de Ursua y Arismendi, il n’y a eu, au départ du complexe portuaire, en deux années pleines, aucune activité économique véritable.
184Le détail des départs de 1611 est, sous cet angle, extraordinairement instructif, au-delà même du découpage classique, en navires marchands de Séville, armada, navires marchands de Cádiz, Canariens et négriers166, avec la disparition des Caditains, la chute des « armadas » et l'effarant laminage de la partie motrice de 45 unités et 13 470 toneladas en 1640 (marchands de Séville et Cádiz) à 14 unités et 1 233 toneladas, seulement en 1641.
185Or, la réalité, dans tous ses détails, est plus noire encore. Elle révèle167 qu’aucune des catégories classiques n’a conservé sa signification habituelle. Il faudrait, en réalité, constater qu’en un an, plus exactement en vingt-deux mois, de septembre 1640 à juillet 1642, il ne s’est, sur le plan économique, au départ, rien passé dans la Carrera. La passivité des milieux d’affaires a été totale. Un peu comme s’ils avaient suspendu toute vie, toute activité, dans l’attente de quelque mystérieux et impossible dénouement.
186En effet, le mouvement de 1641 se définit, d’ailleurs, par une multiplication étonnante des avisos, six sont certains, huit, très probables, soit, pratiquement, 50 % au total des départs — mouvement unitaire — de l’année. Ce sont les avisos chargés de porter aux Indes, la mauvaise nouvelle de la révolte du Portugal et les ordres d’expulsion168 qui seront exécutés avec l’enthousiasme que l’on sait. Or, ces huit avisos ne peuvent être comptés vraiment comme valeur économique digne d’être notée.
187A l’intérieur de la catégorie d'armada, un distinguo s’impose. Non seulement le volume est réduit presque des trois quarts, de 13 unités à 4 unités, de 6 726 toneladas à 1 860 toneladas, mais la nature du mouvement d'armada, elle aussi, est modifiée : l'Armada de la Guardia classique a disparu. Cette disparition est, d’ailleurs, le meilleur signe clinique que l’on puisse arguer, en faveur d’une catastrophe de première importance qui frapperait la Carrera. On sait, en effet, le rôle de l'Armada de la Guardia, non seulement dans la défense mais encore dans la vie économique de l’Atlantique de Séville. Elle est devenue, peu à peu, la charpente, la cheville ouvrière de tout le système. Or, voici qu’elle se dérobe, non seulement en 1641, mais infiniment plus significatif encore, en 1642. Entre le départ le 25 septembre 1640 de l’Armada de la Guardia de Don Gerónimo Gomez de Sandoval169 et celui, près de trois ans plus tard, le 4 juin 1643, de Cádiz, de Francisco Diaz Pimienta, on chercherait en vain dans la liste des départs du complexe portuaire l’existence de la pièce maîtresse pratiquement depuis un siècle de la vie de la Carrera. Le poids et la signification d’une telle absence sont incalculables. Par ce que cela implique comme diminution du trafic. Plus encore, par ce que cela suppose comme renoncement, comme absence complète de réaction, devant un danger et des besoins extérieurs jamais aussi nombreux.
188Bien que l’on manque, pour le moment, de documents décisifs, on peut supposer que cette brutale disparition de l’Armada de la Guardia est la conséquence des énormes prélèvements consécutifs aux charges nouvelles de la révolte du Portugal. Dans la mesure où la Carrera et plus particulièrement, encore, au sein de la Carrera, l’Armada de la Guardia ont toujours constitué une masse de manœuvre de prédilection où puiser pour les urgences. De même que l’argent et l’or du commerce des Indes est de l’argent et de l’or beaucoup plus politique et militaire qu’économique encore, de même l’armement et le matériel naval de la Carrera contituent une masse stratégique de première grandeur, une masse militaire virtuelle, au moins, autant qu’économique.
1891641-1642 nous apparaissent, donc, comme le moment de cet ultime transfert, de cet ultime détournement de la quasi totalité des forces vives qui restaient à la disposition de la Carrera, en direction de fins politiques et stratégiques. Rentable, à très court terme, un tel prélèvement est, à moins de deux ans d’échéance, particulièrement destructeur. C’est très exactement ce à quoi on assiste en 1641 et en 1642, une ponction à près de 100 %. Devant laquelle, la Carrera inhibée est passive et comme résignée et complice.
190A la place de l'Armada de la Guardia, un petit convoi de secours de quatre unités (trois galions, une patache et 1 860 toneladas)170, tout au plus destinée en faisant l’appoint à permettre le retour de l'Armada enlisée de Francisco Diaz Pimienta171. Il ne s’agit pas, en fait, d’un investissement nouveau. Tout au plus d’un investissement destiné à récupérer un investissement ancien déjà engagé et qui risquerait de se perdre, sans cette nouvelle mise de fond. Mais pour l’avenir, la Carrera en 1641, pas plus qu’en 1642, ne fait de nouvelles mises de fond. Elle se contentera, pratiquement, trois ans durant, de tirer sur les médiocres réserves qu’elle a encore aux Indes : d’où l’énorme anomalie positive des Retours des années 1641-1643172 La Carrera ne maintiendra un semblant de vie, au cours de ces années, dans son corps débilité, qu’aux prix d’un prélèvement jusqu’à épuisement de ses réserves aux Indes.
191On ne peut dans ces conditions attribuer qu’un rôle économique extrêmement médiocre aux quatre unités et 1 860 toneladas de la petite armada de secours de l’amiral Juan de Urbina. Le simple fait qu’un almirante en assure le commandement est assez symptomatique. Cela prouve qu’on ne la considère que comme secours, qu’elle ne dépasse pas Carthagène des Indes et n’atteint pas l’isthme qui sera, pendant deux années consécutives, privé de sa feria habituelle. Le transport d’un secours exceptionnel de 3 300 quintales de mercure ne change pas grand chose à ce caractère. La petite Armada de Juan de Urbina n’aura pas été totalement dépourvue de signification économique : ce serait trop contraire à tout ce que nous savons des mœurs de l’Atlantique de Séville. Ce rôle n’aura rien eu de comparable avec celui d’une Armada de la Guardia normale, il aura été inférieur, très certainement, même, à ce qu’on aurait pu attendre en temps normal d’un volume aussi réduit.
192Tout cela ramène à un niveau paradoxalement dérisoire la part authentique du trafic : six navires partant de Séville en compagnie de l'armada173, soit au total, 803 toneladas, plus les 80 toneladas d’un Canarien en direction de ports secondaires. Ce sont à la limite, ces 883 toneladas là qu’il faudrait rapprocher des vingt mille toneladas de l’année précédente pour avoir un authentique rapport des forces.
3. Ventilation aux Indes
193La répartition du tonnage entre les masses fondamentales de la géographie des Indes174 n’apprend pas grand chose. Quasi disparition de la Nouvelle Espagne(1 unité, 50 toneladas, un aviso), six navires, 430 toneladas en direction des îles, 12 unités 2 693 toneladas. Mais par delà ces 2 693 toneladas globales, il importe de distinguer. Le mouvement avec la Terre Ferme en 1641, c’est de la Terre Ferme de second plan. L’isthme — c’est ce qui compte seul — a été complètement négligé175, 2 unités, 100 toneladas, de simples avisos, une liaison postale, à peu de choses près. Cette défaillance fondamentale n’est pas compensée par la poussée de Carthagène des Indes176, qui joue le rôle, ici, d’un simple port secondaire.
4. La « Casa » en difficulté
194Deux autres faits pourront encore être retenus, les difficultés de la Casa et la catastrophe des Retours. Les difficultés de la Casa dépassent le cadre de la conjoncture annuelle. Le recul relatif de la Casa de la Contratación devant le Consejo de Indias est une des caractéristiques, selon nous, des années 40 du xviie siècle. Ce recul exprime, en structures, sous l’angle de l’histoire administrative, une réalité importante : la décadence relative de Séville. En 1641177, toute une série de licences ont été adressées, directement, au Conseil des Indes. La coutume se généralisera. Il n’est pas sans intérêt, qu’elle apparaisse se consolider au cours de cette année de crise par excellence, qu’est l’année 1641. L’affleurement de nouvelles structures apparaît, donc, avoir été même dans le domaine de l’histoire administrative la plus traditionnelle, une caractéristique de ces années 40.
5. La catastrophe au Retour
195Le drame que marquent les Retours de 1641 doit être porté au compte, aussi, de l'accumulation des vannes de dépression.
196On a vu comment le renvoi de Roque Centeno y Ordonez est déchiqueté sur le chemin du Retour, après sa sortie de la Havane, au sortir du canal de Rahama178. le 29 septembre 1611 et les jours suivants.
197Or, on ne saurait attribuer l’événement, uniquement, au hasard Les navires étaient, tous les documents nous le disent, dans un état piyotable. La flotte Roque Centeno y Ordonez était restée trop longtemps immobilisée plus d’un au durant et exposée à la broma dans les mers chaudes des Tropiques179. Elle aurait nécessité, pour le moins, un gros effort de radoub, que par négligence, lassitude, impuissance ou manque de ressource, on avait négligé de lui faire subir180. Ce sont donc des navires fatigués, en mauvais état, sans parler de la fatigue des hommes après d’interminables attentes dans ces escales aussi pernicieuses aux hommes qu'elles le sont aux coques et aux cordages.
198Enfin. — et c’est peut-être, le facteur décisif. — il faudrait faire intervenir également la date de départ tardive, tard, certainement vers la mi-septembre, vingt-cinq jours au moins, après cette date du 20 août, qu’une observation intelligente des conditions météorologiques — notre science des hurricanes ne contredit pas cette sagesse — avait imposé comme limite à ne pas dépasser pour la navigation. Or. la chronologie, le retard, la date insolite de départ de la Havane, beaucoup plus sûrement, peut-être, si possible encore, que le mauvais état du matériel naval est imputable à une conjoncture de dépression.
199Si bien que la grande catastrophe de 1641 — elle est insuffisamment marquée sur nos statistiques des pertes181 : on s'est borné, en effet, à compter les navires dont on connaissait nominativement la perte, on peut estimer l'ensemble de ce que la tempête a détruit à plus de dix navires, 3 000 toneladas, au moins, environ — e-t le type même de la catastrophe de conjoncture. A la limite beaucoup plus directement imputable, à la faute des hommes qu’aux éléments. En 1641, après un siècle et demi d’une expérience chèrement acquise, les hommes qui quittaient La Havane, leurs chefs, du moins, à une date aussi tardive, avec un matériel aussi médiocre, ne pouvaient ignore les risques qu'ils couraient. La mer qui les attend ne les aura pas, tout à fait surpris. On peut l’espérer, du moins.
200L'événement sera. à son tour, porteur de lourdes conséquences, pour l'avenir. Il ne faudra pas oublier, pour comprendre ce qui se passe en 1642, d’ajouter à toutes les pertes déjà subies, les pertes immenses de la tempête qui devait engloutir au large du canal de Bahama, quelque part entre le chenal et l’archipel des Bermudes, la flotte de Roque Centeno Ordonez, ses navires, ses marins, ses richesses et les espoirs qu’elle portait.
HYPOTHÈSES
1. Le schisme portugais
201Il ne faut pas un gros effort d’imagination pour comprendre ce qui se passe en 1641. Tout n’est pas imputable à la conjoncture économique, une conjoncture économique qu’il serait assez vain d’ailleurs, de vouloir totalement couper du contexte politique. Il est des événements politiques qui s’incorporent automatiquement à la conjoncture économique, dans la mesure où ils forment un élément capital de l’horizon psychologique de la collectivité motrice de l’économique. La rupture portugaise appartient à cet ordre d’événements. Trop de liens s’étaient noués, trop d’habitudes s’étaient créées, pour que — quels que fussent les sentiments qu’on portait, obscurément, au fond du collectif — une brusque rupture ne constituât pas un événement capital. C’est lui qui, sans conteste, domine tout le psychisme collectif des milieux d’affaires en 1641 et encore, sans doute, en 1642.
2. L’inflation
202Les événements du Portugal agissent sur la conjoncture économique de l’Atlantique de Séville — après avoir été, dans une large part, agis par elle — directement, d’abord, dans la mesure où ils assombrissent l’horizon psychologique des marchands du Guadalquivir, indirectement dans la mesure où ils sont, en grande partie, responsables avec, dans une moindre mesure, les événements de Catalogne, de la désorganisation monétaire des années 1641-1642.
203La plus grande flambée inflationniste182 de la première moitié du xviie siècle se situe très exactement entre le deuxième trimestre de 1641 et le troisième trimestre 1642.
204Si on suit, par exemple, la prime de l’argent en terme de billon, à travers l’espace andalou, on aura noté un palier sur plus d’un an, après la flambée de l’hiver 1639-1640. Le niveau de la prime de janvier à mars 1641 ne dépasse pas le niveau des six premiers mois de 1640 (46,00 % et 46,00 %). Le niveau d’avril à juin 1641 (49,50 %) reste légèrement inférieur à celui des six derniers mois de 1640 (50,00 %). Le premier semestre de 1611 venait donc se placer sous le signe d’une légère déflation. On sait qu’il s’agit là, toujours, d’un élément défavorable pour le trafic.
205Beaucoup plus défavorable, encore, la flambée de vraie inflation qui commence avec l’été 1641. Elle dépend directement du contexte politico-maritime de l’Atlantique, elle résulte et d’un surcroît de charges et d’un fléchissement des ressources. La défaillance de la principale source d’argent politique de l’empire espagnol aura obligé le Roi à avoir recours sur une échelle jamais égalée au troisième métal, un cuivre promu, quelque peu paradoxalement, au rang de nerf de la guerre. Une fois déclenchée, l’inflation du métal pauvre aura, à son tour, soit directement, soit indirectement par une incidence sur les prix, l’influence que l’on pense.
206La poussée inflationniste sans précédent relaye, dans son action dépressive, la courte frange de déflation, dès les premiers mois de l’été 1641. Partie de 49,50 %, en Andalousie, d’avril à juin 1641, la prime de l’argent sur le billon s’élève à 68,25 %, puis 87,00 % de juillet à septembre et d’octobre à décembre, elle s’élève encore à 104,22 %, 172,00 % et 181,25 %, au cours des trois premiers trimestres de 1642.
3. Prix globaux
207L’inflation exerce sur les prix une influence dont les deux faces sont indissociables : elle provoque la chute des prix-argent183 et le gonflement des prix nominaux184.
208Chute des prix-argent : en valeur absolue, l’indice passe de 121,46 % à 116,53 % et relative, par rapport à la moyenne de treize ans, le pourcentage de l’indice vrai passe de 94,65 % à 90,44 %.
209Montée des prix nominaux, mais purement inflationniste, donc sans action tonique, du palier creux des indices 104,92 et 104,76 en 1639 et 1640 jusqu’à l’indice 110,40 en 1641.
210Mais en fait, si on cherche, derrière l’inflation, à retrouver la vraie tendance des prix, il est bien certain que, comme l’indiquent les prix-argent et plus, peut-être, encore, elle tend vers la baisse. L’accroissement relativement faible de l’indice andalou, de l’indice 104,76 à l’indice 110,40 ne correspond pas à la montée de l’inflation (moyenne annuelle de la prime de l’argent, 48,00 % en 1640, 62,69 % en 1611). Si on voulait une preuve incontestable et non subjective de cette tendance profonde des prix au reflux, au cours de ces années de la grande rupture du trafic, un simple rapprochement y suffirait. L’indice andalou de 1641, 110,40 est inférieur à celui 118,30 de 1637, or en 1637 la prime de l’argent dans le même cadre géographique était de 29,39 %, elle est de 62,69 % en 1641. Malgré une prime qui a plus que doublé, un indice qui reste de 7 % inférieur au précédent record.
211Entre ces deux dates, il y a eu un véritable effondrement des prix, qui n’est pas sans rappeler ce que l’on observe en Hollande, sur le marché d’Amsterdam, preuve, s’il en était besoin, d’une bien plus grande identité des respirations des prix, de l’existence, déjà, d’une première esquisse de marché européen, sinon mondial, pour les grandes spéculations coloniales surtout.
4. Main-d’œuvre et niveaux différentiels des prix
212C’est à partir de 1641, enfin, que l’on est en droit de situer le point de départ de cette mutation capitale de structure qui permet d’opposer les années avant et les années après cette période tournante 1640-1642.
213Avant 1640185, on peut considérer que dans le cadre d’une période très courte — on en a eu souvent la preuve — toute diminution du coût relatif de la main-d’œuvre était un facteur favorable, pour le trafic, toute augmentation, un facteur défavorable.
214C’est entre 1640 et 1642 que cette relation cesse de jouer par suite d’un affaissement général de la rémunération de la main-d’œuvre. Cet affaissement, en contraction, nous est apparu constituer le signe clinique de la ruine en profondeur de l’Espagne. Il n’est pas sans intérêt que ce tournant capital soit pris, comme beaucoup d’autres tournants, entre 1640 et 1642.
215Cette révolution ne prend toute sa signification qu’à la condition d’être rapprochée d’une autre courbe très intéressante, la courbe des prix agricoles et des prix non agricoles telle que E.J. Hamilton l’a établie.
216On s’aperçoit, alors, d’un double paradoxe. La grande anomalie positive de la rémunération de la main-d’œuvre, de 1600 à 1620, correspondait à une période, paradoxalement, de relatif bon marché du secteur industriel exprimé en termes de production agricole. Le renversement de la tendance de la rémunération de la main-d’œuvre, ou, si l’on préfère, l’anomalie négative de la rémunération de la main-d’œuvre espagnole, au cours des années 1640-1650, correspond à une extrême cherté en Espagne du secteur industriel exprimé en valeurs agricoles.
217On ne peut traduire d’une manière plus brutale le passage des structures de la prospérité à celles de la décadence. L’Espagne riche et dominante encore des années 1600-1620 se paye le paradoxe d’une forte rémunération du travail et d’un relatif bon marché, encore, du secteur industriel. Non pas en raison, certes, d’une avance technique qui ne correspond guère à la situation du temps, mais parce que, entre autres, les profits de la puissance politique et de la domination coloniale de l’Atlantique et de l’Amérique permettent de payer à bon compte un gros niveau d’importations. Tout autre, la situation du demi xviie siècle. L’économie espagnole ruinée ne peut plus rémunérer la main-d’œuvre au taux de ses antiques splendeurs, son industrie est ruinée et le change défavorable la condamne à un niveau élevé des prix du secteur industriel d’importation.
218Si on veut bien considérer que, dans leur quasi totalité, les exportations en direction de l’Amérique sont constituées par le secteur « non-agricultural » de Hamilton186, on comprend l’incidence présumable de l’anomalie positive des prix de ce secteur. C’est un handicap sérieux pour le négoce de Séville et de Cádiz.
219Or, fait extraordinairement significatif, la distorsion passe par un maximum entre 1637 et 1645, c’est-à-dire, très exactement, au cours de ces années de toutes les ruptures et de toutes les détériorations de la vie traditionnelle de l’Océan.
220Le raisonnement est d’autant plus valable, au cours de ces années, que les relations-indices des prix des produits « agricultural », « non-agricultural », d’une part, et trafics dans l’Atlantique de Séville, d’autre part, sont bien ce qu’on en pouvait attendre, a priori. En gros, de 1505 à 1570, anomalie négative du secteur agricole, de 1571 à 1625, anomalie négative du secteur industriel, au-delà, anomalie positive du secteur industriel avec passage par un paroxysme, de 1637 à 1645.
221Jusqu’en 1570, le secteur agricole tient une place importante dans l’exportation en direction de l’Amérique, au-delà, son rôle est de plus en plus réduit. On peut en déduire une période de facilité par suite du bon marché relatif du secteur agricole important jusqu’en 1570, suivie d’une seconde période de facilité jusque vers 1620-1625 par suite du bon marché relatif du secteur industriel dominant aux exportations. Période de difficultés, ensuite, par suite de la cherté relative du secteur dominant des exportations, c’est-à-dire, le « non-agricultural ». 1625-1650 s’oppose globalement, sous cet angle, à la période 1505-1625. La relation a l’avantage d’être celle qu’on attendait. 1640-1642 constituent le paroxysme de difficultés à l’intérieur d’un paroxysme 1637-1645 au cours d’une période longue de difficultés, qui commence en 1625 et se prolonge, certainement, au-delà de 1650.
222Cette anomalie positive des prix du secteur industriel achève de peindre sous un jour sombre la conjoncture économique de cette année 1641, qui sonne le glas non pas des splendeurs depuis longtemps révolues de l’Atlantique de Séville, mais de l’existence de cet Atlantique, en tant qu’espace économique dominant de la première modernité.
223La fluctuation cyclique de neuf ans qui part du creux des années 1641-1642 jusqu’à la crise cyclique des années des lendemains des traités de Westphalie et de la Fronde commençante, 1649-1650, fait transition entre un passé de splendeur et un futur beaucoup plus modeste.
224Certes, elle est encore éclairée par des habitudes et des vitesses acquises d’un passé encore présent, mais elle est déjà tout autre chose.
225L’Atlantique qui vient, s’installe désormais, sur un niveau où il restera plusieurs décades durant, avant d’être emporté, à nouveau, dans une vague ascensionnelle d’un xviiie siècle, partout, sur les bords de l’Atlantique, plein de fougue et souvent d’utopiques ardeurs.
226Mais au cours de cette grande dépression du xviie siècle qui est ici, une dépression et qui n’est, souvent ailleurs, lorsqu’on se tourne vers les grands indices d’activité, qu’un plateau encore ascendant, qu’un progrès moins rapide, l’Atlantique espagnol se sera laissé de plus en plus reléguer au rang d’une activité encore importante, certes, mais au rôle d’une composante entre plusieurs autres activités. La grande phase d’expansion du xviiie siècle, l’Atlantique de Cádiz, prolongement naturel de l’Atlantique de Séville, la subit, il ne la crée spas.
Notes de bas de page
1 Pour trouver une fluctuation plus creusée que celle de la grande catastrophe, il faudra aller jusqu’à la dernière fluctuation primaire du cycle suivant, 1649-1650 (à l’Aller, 34,5 unités et 9 796 toneladas, moyennes annuelles respectives). Or c’est, en fait, un mauvais terme de comparaison, puisque, beaucoup plus que 1639-1641, 1649-1650 est une fausse fluctuation, sans consistance et sans véritable contour. On ne peut donc établir entre elle et 1639-1641 des comparaisons absolument valables.
En fait, si on voulait comparer les deux cycles avec des termes vraiment comparables, ce sont les dépressions 1648-1649 (23 navires, moyenne annuelle, et 7 021,5 toneladas d’une part et 1641-1642, d’autre part (28 navires et 5 742,5 toneladas), qu’il faudrait rapprocher. On pourrait constater que le point le plus bas appartient aux années 1641-1642, entendez aux frontières de la dernière fluctuation (1639-1641) du cycle 1632-1641 et du cycle suivant (1642-1650), le cycle d’après la crise et de l’installation dans la médiocrité.
2 Cf. ci-dessus p. 1777-1778.
3 Cf. ci-dessus p. 1793, note 1.
4 Cf. t. VI1, table 12d, p. 164-165 et t. VII, p. 36-37.
5 Cf. t. VI1, table 17, p. 176-177.
6 Cf. ci-dessus p. 1757-1758,.. 1729-1739.
7 Cf. t. VI1, table 159, p. 356 et t. VII, p. 52-53.
8 Cf. ci-dessus, p. 297 sq. 259-352
9 Cf. ci-dessus p. 735-840,.. 940-992.
10 Cf. t. VI1, tables 151, 154 et 157, p. 348, 351 et 364 et t. VII, p. 50-51.
11 Cf. ci-dessus p. 1793-1797.
12 Cf. ci-dessus p. 1775-1776,.. 1777-1778.
13 Cf. t. VI1, table 159, p. 456 ; t. VII, p. 52-53.
14 Cf. ci-dessus p. 1798-1799.
15 Cf. VI1, table 132, p. 330, table 142, p. 340 et table 164, p. 363 ; t. VII, p. 59-51. 32-53.
16 Cf. t. VI1. p. 46-47 ; cf. ci-dessus p. 1706-1703.
17 Cf. t. V, p. 346, n° 21.
18 Cf. ci-dessous p. 1805-1806.
19 Cf. t. V, p. 350 et 353.
20 Cf. t. VI1, table 135, p. 333, table 142, p. 340 et table 164 p.363 ; t. VII, p. 44-47 et 52-53.
21 On pourrait, encore, remplacer les chiffres vrais des Retours par ceux d’une moyenne mobile arrière sur deux ans. Le procédé est plus souple mais plus « sophistiqué ».
22 Cf. t. VI1, table 138, p. 336, table 342, p. 340 et table 164, p. 363 ; t. VII, p. 50-53.
23 Cf. ci-dessus p. 1477-1479... 1801.
24 Cf. ci-dessus p. 1800.
25 Cf. ci-dessus p. 1475-1788.., 1797-1801.
26 Cf. t. VI1, table 227, p. 473.
27 Ibid.
28 Cf. t. VI1, table 222, p. 469.
29 Cf. ci-dessus p. 1779-1780..,17681769 ; t. VI1, p. 49 à 51.
30 Cf. ci-dessus p. 1779-1780.
31 Cf. ci-dessus p. 187-188, 178-179 et p. 167-168 et t. VI1, table 227, p. 473
32 Cf. t. V, p. 330-331 et p. 355-356.
33 Cf. t. VI1, table 223, p. 469.
34 Cf. t. VI1, table 183, p. 388-391 ; t. VII, p. 72-73.
35 Cf. t. V, p. 342.
36 Cf. ci-dessus p. 1776-1778 et 1800-1802.
37 Cf. t. V, p. 342-345.
38 Cf. t. V, p. 344-345, nos 14, 15.
39 Cf. t. V, p. n° 342-343, n° 6.
40 Cf. t. V, p. 342-343, n° 9.
41 Cf. t. V. p. n° 21.
42 Cf. t. V, p. 324-327 et 342-345.
43 Un simple coup d’œil sur les tableaux 18, 19, d’une part, pour la Nouvelle Espagne, 20, 21 d’autre part, pour la Terre Ferme (t. VI1, p. 180 et 184) montre qu’il est, non pas seulement légal, mais « structurellement » et objectivement vrai, que le départ de la flotte de Terre Ferme précède le départ de la flotte de Nouvelle Espagne. Le point des plus grandes fréquences des départs se place, pour la Terre Ferme entre la fin avril et le début mai, pour la Vera Cruz, entre la fin juin et le début de juillet.
44 Cf. t. V, p. 347-348.
45 Cf. ci-dessus p. 1754-1756 et p. 1769-1770 et 1772.
46 Cf. t. V, p. 342.
47 Ibid.
48 En raison du sacrifice volontaire, en 1637, du convoi destiné à la Nouvelle Espagne.
49 Cf. t. V, p. 342.
50 Cf. t. V, p. 347-348.
51 Cf. t. V, p. 350-353.
52 Cf. t. V, p. 347-348.
53 Cf. t. V, p. 360.
54 Cf. t. V, p. 362. L'Armada de la Guardia de Don Gerónimo Gomez de Sandoval et la flotte de Terre Ferme de Don Luis Hernandez de Córdoba, partent de Cádiz le 25 septembre 1640.
55 Cf. t. VI1, table 167, p. 366 ; t. VII, p. 76-77.
56 Cf. t. V, p. 342-343, nos 1, 3 et 4.
57 Cf. ci-dessus p. 1800-1804.
58 Cf. t. V, p. 341, 346.
59 Parce qu’elle n’a pas de ressources propres et que la courbe des exportations a beaucoup fléchi depuis les points hauts de 1626-1630. Cf. ci-dessus p. 1624-1671.
60 Cf. t. V, p. 346-347.
61 Cf. ci-dessus p. 1809-1811.
62 Cf. t. V, p. 355-356.
63 Cf. t. V, p. 344-345.
64 Cf. t. V. p. 347-348 et p. 305.
65 Cf. t. V, p. 350.
66 Cf. t. VI1, table 164, p. 363 ; t. VII, p. 32-53. E. J. Hamilton, 1501-1050, op. cit., p.403.
67 Ibid., p. 96-97.
68 Cf. t. VI1, table 164, col. IV, p. 363 et t. VII, p. 52-53.
69 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 215-216.
70 Ibid., p. 96-97 et cf. ci-dessus, p. 1732,.. 1747-1748,.. 1761-1763,.. 1772-1774,.. 1791-1792.
71 E. J. Hamilton, 1501-1050, op. cit., p. 278-279.
72 Cf. ci-dessus p. 1797, 1799 et 1801.
73 Cf. t. VI1, table 159, p. 356 et t. VII, p. 52-53.
74 Cf. ci-dessus p. 1810.
75 Cf. t. V, p. 374-375.
76 Cf. ci-dessus p. 1800.
77 Cf. ci-dessus p. 1809-1811.
78 Cf. t. VI1, table 222, p. 469 et cf. ci-dessus p. 1803-1804.
79 Cf. ci-dessus p. 1797-1799.
80 Cf. t. VI1, table 132, p. 330, table 142, p. 340 et table 164, p. 363 ; t. VII, p. 44-47, p. 62-63.
81 Cf. ci-dessus p. 1800.
82 Cf. t. VII, p. 50-51 et 52-53.
83 Cf. t. VI1, table 164, p. 363 ; t. VII, p. 52-53.
84 Cf. ci-dessus p. 1804-1812.
85 Cf. t. V, p. 360-363.
86 Cf. ci-dessus p. 1801... et 1797-1799.
87 Cf. ci-dessus p. 1800.
88 Cf. ci-dessus p. 1766-1777-1778,.. 1801.
89 Cf. t. VI1, table 135, p. 333, table 142, p. 342, table 161, p. 363 ; t. VII, p. 50-53.
90 Cf. ci-dessous p. 1837-1840,.. 1885-1887.
91 Cf. t. VI1, table 159, p. 356 et ci-dessus p. 1797-1800,.. 1815.
92 Cf. t. VI1, table 155, p. 352 ; t. VII, p. 50-51.
93 Cf. t. VI1, table 164, p. 363 et t. VII, p. 52-53.
94 Cf. ci-dessus p. 1777... 1801,.. 1840,.. 1887,.. 1897,.. 1907.
95 Chiffres selon le découpage annuel à gauche, unités et tonnage, pondérés suivant le procédé de l’accouplement vrai de l'unité à droite.
96 Cf. t. V, p. 374-375 et p. 350-351.
97 Cf. ci-dessus p. 1766-1767,.. 1777-1778,.. 1801.
98 Cf. t. V, p. 350-351.
99 Cf. t. VI1, table 330, p. 336, table 342, p. 340, table 164, p. 363 ; t. VII, p. 53-53.
100 Cf. t. VI, table 155, p. 353 ; t. VII, p. 50-51.
101 Cf. t. VI„ table 164, p. 363 ; t. VII, p. 52-53.
102 Au-delà de 1644, terme de la moyenne mobile médiane de treize ans, le graphique prolongé d’une manière idéale, permet aisément de juger ; cf. t. VII, p. 51.
103 Cf. t. VI1, table 222, p. 469.
104 Cf. t. VI1, table 188, p. 388-391 ; t. VII, p. 72-73.
105 Cf. t. VI1, table 222, p. 469.
106 Cf. ci-dessus p. 1797-1814.
107 Cf. ci-dessus p. 1777-1778,.. 1801,.. 1819.
108 Cf. t. VI1, table 167, p. 366.
109 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit.. Appendice V, p. 367 et Appendice VI, p. 392.
110 Ibid., p. 96-97.
111 Ibid., p. 367-369.
112 Ibid., p. 392.
113 Cf. t. V, p. 362.
114 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 365-367-369.
115 Cf. t. V, p. 362 et ci-dessous Appendice, p. 1958-1978.
116 Cf. t. V, p. 360 et ci-dessous Appendice, p. 1958-1978.
117 Cf. t. VI1, table 184, p. 388-391.
118 Cf. t. V, p. 360-361.
119 Cf. t. VI1, table 332, p. 560 montre que le total des arrivées marchands à la Vera Cruz, en flotte et sueltos, de 1640 n’avait pas été égalée depuis 1625 et ne le sera pas plus d’ici la fin des séries recensées.
120 Cf. t. V, p. 360-367, navires nos 13 et 14.
121 Cf. t. V, p. 371.
122 Cf. t. V, p. 362 et suiv. et t. VI1, tables 20 et 21, p. 184.
123 Cf. t. VI1, table 167, p. 366 ; t. VII, p. 76-77.
124 Cf. ci-dessus p. 1827-1823.
125 Cf. ci-dessus p. 1807-1809.
126 Cf. t. V, p. 360.
127 Cf. t. VI1, tables 18 et 19 p. 180.
128 Cf. t. VI1, tables 20 et 21, p. 184.
129 Cf. t. V, p. 342.
130 Cf. ci-dessus p. 1827-1829.
131 Cf. t. V, p. 362.
132 Cf. t. VI1, tables 19-19, 20, 21, p. 180-184.
133 Cf. ci-dessus p. 1827 et t. V, p. 371.
134 Cf. ci-dessus p. 1823-1826 et t. VI1, table 222, p. 469.
135 Cf. t. V, p. 367-368.
136 Cf. t. V, p. 369.
137 Cf. t. V, p. 369-370, note 4.
138 José Gentil Da Silva, Stratégie des Affaires à Lisbonne entre 1595 et 1607. Lettres marchandes des Rodrigues d’Evora et Veiga. Paris 1956, gr. in-8°, Centre de Recherches historiques, « Affaires et gens d’affaires », n° 9, XI, 445 pages, planche et cartes hors texte.
139 Cf. t. V, p. 470.
140 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 403 et t. VI1, table 164, p.363 ; t. VII, p. 52-53.
141 Apparaît très bien graphiquement, cf. t. VII, p. 54-55, graphique Prix-argent en Espagne.
142 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 96-97 et 215-216.
143 J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 278-279.
144 N W. Posthumus, Prices in Holland, op. cit.
145 Cf. t. VI1, table 159, p. 356 ; t. VII, p. 52-53 et cf. ci-dessus p. 1797-1799,.. 1815.. et p. 1881,.. 1897..
146 Cf. t. VI1, table 135, p. 333, table 142, p. 340, table 164, p. 363 ;. VII, p. 44-47, 52-53.
147 Cf. ci-dessus p. 1797-1799.
148 Cf. t. table 160, p. 357.
149 Cf. t. VI1, tables 130-132, p. 328-330, tables 140-142, p. 338-340, tables 162-164, p. 361-363.
150 Cf. ci-dessous p. 1884-1896.
151 Le couple 1553-1554, par exemple, aligne 12 075 toneladas — mouvement constitué, il est vrai, de navires de moindre taille, sans doute — et 81 navires. Pour trouver un creux comparable, en tonnage, il faudrait aller cent dix ans plus tôt, jusqu’au tout début des années 30 du xvie siècle et sur le mouvement unitaire jusqu’en 1521-1522 et jusqu’en 1510-1511 ou jusqu’en 1509-1510.
152 Cf. ci-dessus p. 1777-1778,.. 1146-1147..
153 Cf. ci-dessus p. 1819-1821.
154 Cf. t. V, p. 280 et suiv.
155 Cf. t. V p. 382 et suiv.
156 Cf. t. V. p. 382 et t. VII, p. 18-18.
157 Cf. t. VI1, table 164. p. 363 ; t. VII, p. 52-53.
158 Cf. ci-dessus p. 1777-1778,.. 1797-1799.
159 La correction la plus plausible consisterait à substituer au chiffre vrai des Retours, la moyenne sur deux ans, 1640-1641 qui tient compte, on vient de le voir, du report sur 1641 des Retours immobilisés de 1640, à substituer, au chiffre vrai des Allers, la moyenne sur deux ans, 1641-1642. On obtiendrait par ce double rabotage, un niveau balancé de 49 navires et 12 565,5 toneladas. Arbitraire et, pourtant, très proche du chiffre vrai, soit 51 unités et 14 339 toneladas.
160 Cf. t. VI1, tables 138, 142 et 164, p. 336, 340, 363 ; t. VII, p. 44-47 et 52-53.
161 Cf. ci-dessus p. 1821-1822.
162 Cf. t. VI1, table 222, p. 469.
163 Cf. t. VI1, table 183, p. 383-391 ; t. VII, p. 72-73.
164 Cf. t. V, p. 362.
165 Cf. t. V, p. 388.
166 Cf. t. VI1, table 183, p. 388-391.
167 Cf. t. V, p. 376-377.
168 Cf. t. V, p. 370.
169 Cf. t. V, p. 362.
170 Cf. t. V, p. 376-377, navires e, d, e, f.
171 Cf. t. V, p. 376 et p. 398.
172 Cf. ci-dessus p. 1797-1799,.. 1815,.. 1837-1839,.. 1837-1839.
173 Cf. t. V, p. 376-377, navires nos 7, 8, 9, 10, 10 (deux fois, sic) et 11.
174 Cf. t. VI1, table 167, p. 367.
175 Cf. t. VI2, table 364, p. 585.
176 Cf. t. VI2, tables 385, 387, p. 597.
177 Cf. t. V, p. 379, note 16.
178 Cf. t. V. p. 332
179 Vera Cruz, depuis le 23 juin 1640 ; cf. t. V. p. 241
180 Cf. t. V. p. 11.
181 Cf. t. V1, tables, p. 397
182 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 96-97.
183 Cf. t. VI1, table 164, p. 363 ; t. VII, p. 52-53. E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 403.
184 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 215-216.
185 Cf. ci-dessus p. 1261-1263,.. 1364-1367,.. 1836.
186 Cf. ci-dessus p. 244-250,.. 887-916..
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