Chapitre XI. Le cycle du renversement de la tendance majeure (1605-1613). Caractères généraux. Et début de la seconde fluctuation primaire (1608-1613). L’année 1608
p. 1252-1296
Texte intégral
1C’est en 1608, en effet, de 1608 à 1610, plus exactement, que l’on trouve les échos, sur le trafic, de la poussée des prix des premières années du xviie siècle, en vertu de la règle de corrélation positive, tout au long vérifiée. Le passage de la guerre à la paix, la banqueroute de 1607 ont empêché, en 1606 et 1607, le trafic de répondre à l’incitation de la poussée des prix de 1602 à 1605..., la réponse s’est fait attendre, mais pour avoir été plus longuement différée, au départ, elle n’en est que plus vigoureuse en 1608, surtout, voire même, dans une certaine mesure, de 1608 à 1610.
2Le trafic atteint en 1608 et — fait beaucoup plus probant encore — au cours de la fluctuation 1608-1611, et, a fortiori, au cours du plateau médian, 1603-1610, un niveau qui ne sera jamais ni atteint ni approché. Nous sommes à l’apogée fragile de la Carrière des Indes. Nous le savons, est-il besoin de le dire, les contemporains, eux, l’ignoraient.
3La fluctuation 1608-1611 est le pilier du cycle, elle est, aussi, le pilier central de tout un siècle et demi d’histoire. C’est autour de ces années, que la grandeur de l’Espagne aura basculé, sans que personne n’en ait eu, sur le coup, parfaitement conscience. 1608-1611 sont des dates espagnoles, en outre, n’est-ce pas en 1609-1610, que prend fin, on sait comment, la dramatique histoire des Morisques longtemps tolérés, jamais acceptés. Ces Morisques, dont la passion s’est emparée pour en brouiller l’histoire et dont le rôle aura été, alternativement, exagéré, puis minimisé. A la lumière des études dont ils viennent d’être l’objet1, à la lueur de la connaissance chiffrée dont on dispose, maintenant, des trafics dans l’Atlantique hispano-américain, il convient de redonner à la grande crise politique et religieuse de 1609 un tout premier plan dans l’histoire espagnole.
I. — CARACTÈRES GÉNÉRAUX : LA FLUCTUATION TRIOMPHANTE (1608-1611). — LE RENVERSEMENT DE LA TENDANCE MAJEURE. — LES MORISQUES ET LE DRAME ESPAGNOL
4Mais s’il est enfin possible d’espérer apporter quelques lueurs nouvelles, sur cette histoire des premières années capitales du xviie siècle ibérique, c’est grâce à des données statistiques nouvelles, au premier chef celles que Henri Lapeyre nous fournit et plus directement impliquées, les séries nouvelles du trafic Atlantique hispano-américain. C’est pourquoi, une fois encore, on commencera par elles, en procédant, avant toute critique, à l’examen naïf des chiffres.
DÉFINITIONS QUANTITATIVES
5Et puisque, de toutes les données quantitatives, les plus objectives sont celles du trafic volumétrique, ce sont, évidemment, elles, qu’une fois de plus, on mettra d’abord en cause.
1. Les volumes
6La première caractéristique majeure de ces années est, évidemment, l’énormité des volumes mis en cause. Particulièrement éloquents, les niveaux annuels moyens, soit de l’ensemble de la fluctuation 1608-1611, soit plus forts encore, de 1608 à 1610 seulement, entendez des trois années maxima de toute la Carrera. Les chiffres de la période prennent leur vraie valeur, face aux niveaux des fluctuations encadrantes.
7En Allers, la moyenne annuelle (1608-1611) est de 132,5 bateaux et 29 252,25 toneladas, de 148,6 unités et 33 214 toneladas de 1608 à 1610, combien nettement détachée des fluctuations encadrantes (17 506,6 toneladas, 72 unités, de 1605 à 1607 ; 19 604 toneladas, 82 bateaux de 1612 à 1613), combien supérieure à la fluctuation qui s’en approche le plus, après, entendez, à l’Aller, les 103 navires, 22 835,8 toneladas de 1614-1618, par exemple, combien supérieure, même, à la fluctuation antérieure, la plus proche de ce niveau record, les 140,2 unités et 25 612,4 toneladas de 1593-1597.
8En Retours, ce sont les 81,25 unités et 20 594,5 toneladas (de 1608-1611), les 83,4 unités et 21 669,33 toneladas de 1608-1610, entre les niveaux nettement plus faibles de 1605-1607 (71,3 navires, 19 994,3 toneladas) et de 16121613 (81,5 navires, 19 519,5 toneladas). Leur niveau se détache, a fortiori, des niveaux les plus élevés des cycles encadrants, soit 16 478,2 toneladas (fluctuation 1600-1604, pour le cycle 1593-1604) et 17 778,7 toneladas (fluctuation 1614-1618, pour le cycle 1614-1622)2.
9En Allers et retours, la fluctuation centrale se détache, à nouveau, avec une vigueur comparable à celle des Allers. Au centre les 213,75 unités et les 49 846,75 toneladas (niveau annuel moyen pour la période 1608-1611), les 232 navires et 54 883,33 toneladas (niveau annuel moyen pour la période 1608-1610), se détachent, avec une extrême netteté des niveaux encadrants (37 501 toneladas et 143,3 navires de 1605 à 1607 ; 163,5 et 39 123,5 toneladas de 1612 à 1613) et a fortiori, des autres fluctuations records des cycles encadrants ; 158,4 navires et 39 106,4 toneladas (de 1600 à 1604, au cours du cycle 1593-1604), 171,6 navires et 40 394,5 toneladas (de 1614 à 1618, au cours du cycle 1614-1622), 163 navires et 40 847,375 toneladas (de 1584 à 1587, au cours du cycle 1579-1592).
10En volume, donc, sinon, peut-être aussi, sûrement en valeur (encore qu’en Allers3, il existe une incontestable présomption de niveau record des exportations en direction de l’Amérique), la fluctuation centrale du cycle et plus particulièrement, au sein de cette fluctuation, les trois premières années de l’expansion en 1608-1610 constituent le toit du mouvement de toute l’histoire de la Carrera. Pour les Retours (en valeur)4, le triomphe de 1608-1610 est moins sûr — ces années ne s’en placent pas moins, au tout sommet du mouvement.
2. L’équilibre Allers et Retours
11Il est un point, pour lequel la fluctuation 1608-1611 se distingue grandement du reste du cycle : le rapport des Allers et des Retours à l’ensemble du mouvement5.
12L’équilibre redevient, au cours de ces années, un équilibre normal. La proportion du mouvement Retours par rapport à l’ensemble est même légèrement inférieure à la moyenne séculaire et doublement séculaire (part du tonnage des Retours, par rapport à l’ensemble, de 1608 à 1611, 41,2 % contre 58,8 % à l’Aller — avec respectivement, 117 009 toneladas, pour les Allers et 82 378 toneladas pour les Retours). Sur le mouvement unitaire, comme il est normal, le déséquilibre est encore plus sensible avec respectivement 530 navires et 325 navires, soit respectivement 62 % pour les Allers et 38 % pour les Retours. La proportion des Allers est plus forte, encore de 1608 à 1610, au cours des trois années records. En tonnage, les Allers en tonnage montent alors jusqu’à 60,5 % du total Allers et retours, tandis que les Retours s’abaissent à 39,5 %. Sur le mouvement unitaire où la même tendance au gonflement du tonnage unitaire moyen des Retours est conservée, les proportions sont respectivement de 61,1 et 35,9 %.
13Un tel déséquilibre dans le sens normal, en faveur des Allers, est toujours, on l’a vu, un signe d’expansion6. On a l’impression qu’au cours de ces périodes, le trafic s’alimente de ses propres réserves, utilise à fond le volant constitué au cours des périodes de dépression. Le volant, en l’occurrence, est formé par l’anomalie positive des trois années, 1605-1606-1607, de la première fluctuation, avec un excédent, en trois ans, des Retours sur les Allers de près de 2 500 toneladas7 Les proportions respectives des Allers et retours à l'ensemble du mouvement de 1605 à 1607, sont, en tonnage, de 46,6 % et 53,4 %.
14La dernière fluctuation 1612-1613 s’oppose à la fluctuation médiane, avec des pourcentages respectifs d’Allers et de Retours de 50,1 % et 49,9 %. Sur une période plus longue, de 1611 à 1613, l’écart entre Allers et Retours s'amenuise encore8, au point de s’annuler pratiquement (50 % pour les Allers et 50 % pour les Retours).
15Le grand coup de buttoir du mouvement, au cours de ces années décisives, est donc dû, essentiellement, à une accélération momentanée des Allers par rapport aux Retours, à une utilisation maximale des navires rentrés en surnombre des Indes, au cours des années précédentes.
3. Les directions fondamentales
16Sous l’angle des grandes directions et provenances fondamentales du mouvement, le trafic affirme, également, de 1608 à 1611, sa personnalité.
17On a vu combien tout le cycle était placé sous le signe d’une Nouvelle Espagne dominante (en Aller, du moins, car il y a un important décalage entre les Allers et les Retours sur ce point, comme en beaucoup d’autres, en raison du rôle des îles sur le chemin des Retours). Or, à l’intérieur d’un cycle à dominante nouvelle espagnole, la fluctuation 1608-1611 est marquée par un renforcement de ce caractère nouvel espagnol, par un renforcement, aussi, des îles, mais par un laminage relatif de la Terre Ferme9.
18Renforcement des îles, à l’Aller (117 navires, au départ, 14 290 toneladas, soit 21,1 % du mouvement unitaire global et 12,2 % du mouvement en tonnage, contre 33 unités, 3 580 toneladas, seulement, de 1605 à 1607, 15,5 % du mouvement unitaire et 6,84 % du mouvement en tonnage). Il ne faut pas lui attribuer une signification excessive. Tout au plus, le mouvement de renforcement des îles efface-t-il l’anomalie négative de la période précédente — on a vu comment et pourquoi10 — et traduit-il un retour à une situation normale. Non, certes, que les « parents pauvres » de la Carrière des Indes s’estiment, du jour au lendemain, suffisamment pourvus. Du moins, leurs plaintes ont-elles trouvé un écho et la totale quarantaine des années de la fluctuation, 1605-1607, est-elle, désormais, dépassée. Dans ces conditions, la fin de l’anomalie négative des îles doit être considérée comme un facteur favorable. Elle prouve qu’une meilleure ventilation est, désormais, possible..., somme toute, une plus grande aisance11.
19La légère diminution relative de la Terre-Ferme (36,2 % de 1608 à 1611, contre 37 % en tonnage de 1605 à 1607), largement compensée par une forte augmentation des niveaux en valeur absolue (7 575,3 toneladas, moyenne annuelle de 1605 à 1607, 10 602,25 toneladas, moyenne annuelle de 1603 à 1611), est la conséquence inévitable de la poussée décisive de la Nouvelle Espagne jouant le rôle, au cours de ces vingt ans, de secteur d’économie dominante. De 1605-1607 à 1608-1611, la part des exportations en direction de la Nouvelle-Espagne est passée d’une moyenne annuelle de 8 671,3 toneladas à 15 077,5 toneladas, de 49,7 % à 51,5 % du trafic total en tonnage.
20Il importe peu que la ventilation des Retours ne se compute pas de la même manière, en raison du décalage du mouvement des Retours par rapport aux Allers.
4. L’équilibre des forces au sein du complexe
21L’analyse de la ventilation des départs à l’intérieur du complexe portuaire prouve que la poussée des Allers n’est pas seulement quantitative, mais qu’elle est aussi, qualitative. Il y a, en gros, entre la première fluctuation primaire, celle du creux (1605-1607) et la seconde fluctuation, celle du sommet (1603-1611), renforcement relatif, des éléments les plus denses, au détriment des éléments les plus légers.
22La partie se joue, essentiellement, entre la rubrique des navires marchands de Séville et celle des armadas12.
23En tonnage, les navires marchands de Séville sont passés de la moyenne annuelle de 8 027,6 toneladas (1605-1607) à 15 042,5 toneladas (1608-1611), l’accroissement n’est pas seulement absolu, il est, aussi, relatif, de 45,8 à 51,8 % du total des départs. Dans le même laps de temps, les armadas se maintiennent en tonnage absolu, de 4 672,3 toneladas (tonnage annuel moyen de 1605 à 1607) à 5 227,6 toneladas (1608-1611), progressent même un peu encore, mais reculent, en pourcentages, de 26,6 à 17,8 %.
24En gros, si on oppose un groupe des départs de forte densité économique (marchands de Séville et de Cádiz d’une part), au groupe des départs supposés de plus faible densité (armada, Canariens, Négriers), on aboutit au rapport suivant :
25D’une part, dans la catégorie du trafic supposé économiquement le plus important, entre la première fluctuation et la fluctuation médiane, l’accroissement est plus rapide encore en valeur relative qu’en chiffres absolus, puisque de 29 953 toneladas et 113 navires, représentant 56,9 % du trafic Aller, de 1605 à 1607, on passe à 260 unités, 71 950 toneladas, soit 61,8 % du trafic global de 1608 à 1611, entendez un accroissement de la moyenne annuelle des départs de 9 984,3 toneladas (1605-1607) à 17 987,5 toneladas (1608-1611) pour la catégorie la plus importante des navires marchands de Séville et de Cádiz.
26En face, dans la catégorie présumée la moins bonne du mouvement (armada, Canariens-Négriers), il y a encore, certes, la place pour un bel accroissement des volumes, de 133 unités, 22 567 toneladas de 1605 à 1607, à 267 unités, 45 059 toneladas de 1608 à 1611, soit une moyenne annuelle qui passe de 7 522,33 toneladas (moyenne annuelle du tonnage des départs pour cette catégorie de 1605 à 1607) à 11 264,75 toneladas (moyenne annuelle de 1608 à 1611). Accroissement quantitatif appréciable, certes, mais recul relatif de 43,1 % à 38,2 % par rapport à l’ensemble des Allers.
INTERPRÉTATIONS ET HYPOTHÈSES
27Telles sont, en gros, les dimensions d’une fluctuation qui domine largement — on Ta vu — toute l’histoire de la Carrière des Indes. Reste à tâcher de la comprendre.
28Il convient, pour y parvenir, de sérier les difficultés et de faire le départ entre deux ordres de problèmes : la situation en 1608, sommet du mouvement, voire même, de la situation de 1608 à 1610, à l’apogée du mouvement, d’une part, le déclin au-delà, soit après 1610, sûrement, et même au-delà de 1603 et de 1609, dans une large mesure.
29L’analyse de ces situations est particulièrement difficile, en raison du tissu exceptionnellement dense des facteurs qui se mêlent. On ne peut les dégager de la réalité vivante et confuse du trafic qu’au prix d’une certaine simplification. Tout au plus, peut-on risquer un schéma dont les éléments constitutifs seront repris ultérieurement au fur et à mesure de leur apparition dans la réalité concrète du déroulement du mouvement.
1. Facteurs de l’expansion
30L’expansion caractérise, sans conteste, 1608, par rapport à 1607. On peut, si on tient compte de ce qu’il y a de récupération, de mouvement différé, dans le niveau de 1608, considérer que l’expansion continue, sinon jusqu’en 1610, du moins, dans une large mesure, à travers 1609. C’est cette expansion qu’il faut, d’abord, s’efforcer de comprendre.
31a. Les prix. — Les discordances qu’on observera, dans ce domaine, sont superficielles.
32Depuis 1605, les prix-argent pour l’ensemble de l’Espagne baissent. Il en ira ainsi, jusqu’en 1612. Certes, par rapport à 1607, l’indice global dessine, en 1608, un léger crochet (de 133,59 en 1607 à 134,07 en 1608), plus sensible, encore, par rapport à une tendance majeure qui, depuis 1605, cède lentement du terrain (de 99,56 % en 1607 à 100,63 % en 1608). Mais cet incident peut être, de notre point de vue, d’autant plus facilement négligé, qu’il est dû, uniquement, à une attitude propre à Valence.
33Tous les autres indices géographiques13 sont en décrue depuis 160-1, pour l’Andalousie, jusqu’en 1611 (de l’indice 99,23 à l’indice 80,67), depuis 1605 jusqu’en 1612 pour la Nouvelle Castille (de l’indice 86,69 à l’indice 78,22, en dépit de la petite contre-pente de 1610), depuis 1605 jusqu’en 1613 pour la Vieille Castille/Léon (de l’indice 96,76 à l’indice 79,50, en dépit d’une petite contrepente aussi à la hauteur de 1610).
34En réalité, la conjoncture des trafics de 1608 à 1609 est tout simplement le résultat des prix hauts des années 1603, 1604, 1605.
35Cette forte pression des prix, on l’a vu, a déclenché, en 1605, une forte montée des trafics, elle est, du moins, en corrélation étroite avec elle. On aurait pu s’attendre, à partir de cette date, normalement, à une montée échelonnée sur trois ans, de 1605 à 1607, en décalage normal de deux ans sur la poussée des prix.
36Des événements extérieurs à la dynamique économique, la faillite de l’État espagnol, l’attente d’un règlement politique avec la Hollande, ont empêché la corrélation prix-trafic de jouer suivant le schéma habituel. Ils ont rapproché, en quelque sorte, sans transition, d’abord, la courbe des trafics sur celle des prix, sans le décalage normal, dans le temps, entre les deux ordres de phénomènes. Mais l’expansion du trafic n’a pas été frustrée, elle est simplement différée. On la retrouve, deux années plus tard, en 1608 et en 1609.
37Outre la poussée frustrée des années précédentes, d’autres facteurs interviennent, qui ne sont autres, précisément, que la cessation des facteurs inhibants des années 1606 et 1607.
38b. L’assainissement des finances publiques. — On peut parler d’un assainissement des finances publiques après l’événement de 1607, quel que soit le prix dont il aura fallu le payer.
39Ce sont, peut-être, plus les lourds embargos de 1606 que la banqueroute même de 1607 qui auront affecté le négoce de Séville. Les négociants, victimes des prélèvements massifs de 1606, ne pouvaient se faire beaucoup d’illusions, trop éclairés par l’expérience, sur la manière dont ils seraient remboursés. De toute manière, le manque à gagner, l’impossibilité de réinvestir où les marchands se trouvaient placés devait porter beaucoup plus immédiatement sur le trafic de 1607 que sur celui de 1606.
40On aura, ainsi, la clef de cette apparente contradiction. Les grandes opérations de liquidation des finances publiques ont, à l’ordinaire, une action dépressive, d’abord, tonique, ensuite, à court terme, même si elles sont destructives à la longue. Mais plus, semble-t-il, on descend le cours des temps, plus le négoce, dans les limites spatiales et temporelles du premier Atlantique hispano-américain, tend à réagir, davantage, à la saisie de l’argent, qu’à son non-remboursement ou, ce qui revient au même, à son remboursement fictif en juros, sans valeur. C’est pourquoi l’action dépressive de l’opération « finances publiques » terminée en 1607, a atteint son point culminant plus tôt que de coutume, disons, en gros, dans la seconde moitié de 1606, peut-être.
41Elle a épuisé, en 1607, son action nocive. Elle acquiert, par contre, en 1608, par contre coup, une action tonique. On sait, à Séville, désormais, qu’il faut faire son deuil, bien sûr, des sommes confisquées. On le savait, au vrai, depuis 1606, d’où la réaction du négoce dès 1606 et plus encore en 1607. On se sait, par contre à l’abri, pour un temps des exigences anarchiques de la Couronne. C’est pourquoi, on peut, sans paradoxe, parler en 1608, d’une action tonique des finances publiques, dans la mesure où de l’excès même du mal un bien est sorti, sous la forme de la certitude d’une espèce d’immunité à brève échéance. Dans l’immédiat, en 1608, 1609, 1610, action tonique, non exclusive de l’action cumulative destructrice que les prélèvements de la Couronne sur le grand axe commercial Espagne-Amérique, auront provoqué, à la longue, composante décisive dans le complexe causal qui est à la base de la grande dépression du premier xviie siècle.
42Mais il n’y aura pas contradiction à évoquer, trois ans, plus tard, le même facteur, pour lui faire dire exactement le contraire. Une amélioration des finances publiques, acquise à ce prix, agira, donc, comme une ingestion d’alcool, tonique sur le coup, dévastatrice à la longue.
43c. La paix
44La paix est conclue pour douze ans, en 1609, avec les Provinces Unies. La Trêve de Douze Ans va ouvrir, pour une décennie pleine, jusqu’à la Montagne Blanche (1618) et l’ouverture de la guerre de Trente Ans, que l’Espagne fatiguée portera à bout de bras, une période exceptionnelle de paix. Paix de mauvais aloi, au vrai, puisqu’elle semble bien motivée plus par la fatigue, la contraction commençante, les insolubles difficultés qu’elle apporte aux trop vastes empires, une certaine rétraction des échanges à trop large rayon d’action, que par la vraie solution des problèmes pendants. Cette paix n’est pas une paix mais une simple trêve. Elle est plus impossibilité à faire la guerre que paix véritable. Elle ne modifie pas comme le feront, quarante ou cinquante ans plus tard, les grands règlements de Westphalie et des Pyrénées, l’équilibre profond des forces.
45Pourtant, dans l’immédiat, la Trêve de 1609 venant après Vervins (1598) et Londres (1604) est un acte décisif, d’une portée considérable, non seulement parce que la guerre, qui opposa l’Espagne aux sept provinces rebelles, avait été la plus longue, la plus destructive, mais surtout, parce que la Trêve venait en dernière position. On avait désiré intensivement cette paix, dans la mesure où les Hollandais avaient porté de rudes coups — et tout récemment, depuis 1600, dans l’océan Indien, dont les échos feutrés étaient parvenus jusqu'à Séville, assez peu émue, somme toute — dans la mesure, surtout, où il n’apparaît pas que la guerre barbaresque et la course flibustière qui prend racine aux Antilles puissent être influencées par les tractations de cette grande politique.
46En 1606 et en 1607, l’attente de la paix est un facteur négatif. A partir de 1608 — la guerre hollandaise, comme, plus tôt, la guerre anglaise est morte de sa belle mort, elle s’est éteinte peu à peu, faute de combattants — la quasi réalisation de la paix devient un facteur positif. Dès 1608, en effet, on peut considérer la paix comme virtuellement conclue. Les années 1608, 1609, 1610 sont celles d’une paix depuis longtemps désirée, enfin, obtenue. Atmosphère propice, dans l’immédiat, à une flamblée conjoncturelle, ou plus exactement à une récupération de prospérité frustrée, on a vu comment14, celle des années 1606, 1607.
2. Les facteurs dépressifs
47Il faut donc examiner les facteurs dépressifs qui vont porter la responsabilité de l’étonnant retournement des années de 1610 et des années qui suivent. On a vu déjà, quelles sont les raisons que l’on peut s’efforcer d’évoquer pour expliquer à très long terme15 le renversement de la tendance majeure. Il va sans dire qu’elles sont toujours valables. Mais on se bornera à rappeler, ici, les facteurs qui ont plus particulièrement leur place dans le cadre étroit de la fluctuation médiane, voire du cycle finissant.
48Deux facteurs nous semblent déterminants. Sur le plan de l’économie pure, les disparités des prix ibériques qui atteignent autour de 1610 une amplitude maximale, sur le plan de l’histoire politique et démographique, la grosse question, totalement renouvelée grâce à Henri Lapeyre, des Morisques.
49a. Disparités des prix.
50C’est, en général, autour de 1610, que les disparités des principales séries des prix atteignent leur ampleur maximale. La plus importante, la plus lourde de conséquences pour l’avenir de l’économie espagnole et pour la solidité de l’empire, c’est, incontestablement, la disparité qui se creuse entre les prix des marchandises et ceux des services16.
51Prix et services. — Dans la mesure où, dans une économie capitaliste de type ancien, la quasi-totalité des investissements dérive du profit, toute situation susceptible de réduire le profit est, évidemment, à très brève échéance, destructrice de toute possibilité de progrès. L’Espagne a été stoppée entre 1600 et 1625, par une anomalie des salaires par rapport aux prix. Cette disparité aura entraîné, à peu près fatalement, un non-renouvellement des investissements, pouvant aller jusqu’au « désinvestissement » des économistes nos contemporains17. C’est, du moins, la présomption qui se dégage fortement d’une situation qui découle des chiffres de Hamilton18.
52L’anomalie positive maximale des salaires, ou si l’on veut, de la rémunération des services et du travail est atteinte en 1611 : c’est le record d’un siècle et demi d’histoire. On a vu déjà19 que, pour apprécier à sa juste valeur, l’effet d’un tel phénomène, il fallait faire entrer en ligne de compte, le niveau absolu de l’écart des courbes prix et salaires (ce qui est évident), mais aussi la rapidité de la variation de l’écart (la dérivée, dans une certaine mesure, de la fonction).
53Il y avait eu gros accroissement du pourcentage de l’écart positif des salaires, de 1605 à 1607 :
54Ce dernier (le rapport de l’indice des salaires à celui des prix des marchandises) était passé de 112,80 % (en 1603), 111,94 % (en 1604) et 112 % (en 1605), soit d’un plateau, où l’on pouvait penser qu’après une première poussée destructrice l’écart s’était stabilisé, à un point haut en 1607 (1605 : 112,10 %, 1606 : 116,80 %, 1607 : 119,20 %).
551608, par contre, amorce un essai de stabilisation à 121,35 %. 1609 emporte cet espoir (127,83 %), 1610 se repent (125,49 %). Mais 1611, se classe à un point jamais égalé, véritable aberration économique, en portant brusquement l’écart de 125,49 % à 130,56 %. Au-delà, les salaires se maintiennent à un niveau très élevé, par rapport aux prix qui décroissent plus rapidement, à 127,96 % en 1612, 128,09 % en 1613. Cette accélération et ce niveau démentiel, sur trois ans, auront contribué d’une manière décisive au retournement des années qui suivent 1610.
56Une telle anomalie, dont il ne paraît pas qu’il ait eu l’exact équivalent en Europe20 est, évidemment, porteuse des plus grosses transformations, puisqu’elle aura rendu extrêmement difficile, dans le domaine de la Carrera, comme ailleurs, non seulement la formation du capital nouveau nécessaire à la poursuite de l’expansion, mais, encore, sans doute, le simple entretien, le simple maintien des positions anciennes. Semblable gaspillage implique nécessairement, la renonciation à long terme à toute position de puissance. Mais, plus que tout, cette anomalie laisse présumer dans le domaine démographique, d’importantes transformations que notre connaissance toute récente21 de l’histoire morisque corrobore pleinement22.
57Si la disparité prix-salaires est la plus importante, parce que la plus destructive, la plus susceptible d’exprimer des déséquilibres graves en profondeur, dans le substratum humain, même, de l’édifice économique, cette période fertile en déséquilibres est pleine, si on croit les calculs de Hamilton, d’autres anomalies.
58Leur rencontre, leur concentration en un court laps de temps, dénote la gravité de la crise de structure de ces années.
59Cherté des biens d’investissement. — Les anomalies qui se dégagent, en gros, de l’étude de Hamilton23 peuvent se grouper en deux catégories : cherté des biens d’investissement et présomption d’effondrement des cours de produits coloniaux.
60Sur la cherté des biens d’investissement — il ne peut s’agir, étant donné la relative faiblesse des matériaux mis en cause, là comme ailleurs, que de présomptions... — il y a, quand même, sérieuse convergence des sources.
61C’est, tout d’abord, la poussée des produits forestiers24, dont l’incidence fâcheuse sur la construction navale est évidente25 (d’autant plus fâcheuse, que son action va dans le sens du prix de la main-d’œuvre). Tout au plus, peut-on évoquer que l’anomalie la plus importante anticipe un peu notre renversement des trafics. Pour l’Andalousie, l’anomalie culmine, en effet, en 1607.
62Pour Valence, par contre (on manque d’éléments pour les autres espaces géographiques ibériques), la position de l’anomalie maximale, entre 1610 et 1612, correspond parfaitement à la rupture du trafic.
63Dans le même ordre d’idée et à titre d’indication, le matériel de construction26. Une série valable encore pour notre propos, celle de la Nouvelle Castille. L’anomalie est, ici, particulièrement importante (en ce qui concerne, du moins, le royaume de Castille), elle est, durable, puisqu’elle commence un peu avant 1585 et se prolonge jusqu’en 1650. Elle passe par un maximum un peu avant 1645 et en 1616. Elle est particulièrement importante de 1610 à 1613.
64De cette série concordante de données, on peut induire qu’il y a, sinon une preuve formelle, du moins, forte présomption, en faveur de la thèse précédemment formulée, à savoir le prix relatif excessif des biens d’investissement. Il est possible qu’une telle situation ait eu, rapidement, une influence défavorable sur le trafic, en alourdissant démesurément le poids des charges pesant sur l’armement, partant, assez rapidement, par ricochet, par le lien du prix du fret, sur le négoce.
65Dans une certaine mesure, également, le graphique27, peut-être, bien hardi28 que E. J. Hamilton donne des indices de prix agricoles et non agricoles confirme ce point de vue. Au-delà de 1608, alors que les prix agricoles plongent, les prix « non agricoles » se maintiennent à un niveau élevé, la distorsion est maximale entre 1610 et 1611, très forte, encore, en 1612. La masse documentaire est suffisante, à cette époque, pour donner à l’affirmation une solide apparence de vérité. Voilà qui va placer le négoce, à l’exportation, dans une situation difficile, dans la mesure où les biens industriels l’emportent, désormais, très largement sur les denrées agricoles en direction de l’Amérique. La constatation a du poids29.
66En effet, dans la deuxième moitié de la période envisagée (de 1575 à 1650), les anomalies positives des prix « non agricoles » par rapport aux prix agricoles, correspondent à des moments de difficultés de freinage du trafic. Anomalie positive, au moment du renversement de la tendance majeure de 1608 à 1614, anomalie, surtout, lors de la grande débandade de 1630 à 1650. Antérieurement à 1575, il n’en va plus de même.
67Il n’en va plus de même, peut-être, dans une large mesure, parce que les données chiffrées sur lesquelles s’établit la comparaison, « agricultural/non-agricultural » est plus fragile. Il n’en va plus de même, surtout, parce que la structure du trafic s’est modifiée. On est passé de la phase des exportations encore largement alimentaires à la phase des exportations à dominante industrielle30.
68L’effondrement des prix coloniaux (?) — Il est une dernière distorsion, à vrai dire hypothétique, en raison des faibles bases sur lesquelles elle s’appuie, que l’on peut invoquer encore, l’effondrement apparent, du moins, des prix coloniaux.
69Il s’agit des épices31. Elles représentent, assez bien, la catégorie des denrées coloniales. L’hypothèse est tentante mais elle n’est pas suffisamment étayée. On la risquera, pourtant, dans la mesure même où elle sort renforcée des corrélations qui seront signalées.
70Par rapport à la courbe générale des prix espagnols, les épices (représentants supposés des denrées coloniales) dessinent deux anomalies majeures, voire trois. Une fantastique anomalie positive de 1559-1560 à 1567-1568, une prodigieuse anomalie négative de 1600 à 1625. Au-delà de 1625, jusqu’en 1650, une période difficile, caractérisée par une très forte anomalie positive des prix des épices, d’une part, par une grande indépendance des secteurs géographiques des prix des épices, d’autre part.
71Pour le moment, c’est la seconde anomalie, l’anomalie négative de 16001625 qui nous intéresse. Malgré les difficultés que présente la grande dispersion entre Andalousie et Nouvelle Castille, notamment, il semble que cet effondrement — tant de documents littéraires de la correspondance de la Casa de la Contratación32 prouvent l’ampleur de la débâcle des prix des produits des Indes et les effets psychologiques d’une telle aventure — a été un élément dépressif capital, à l’époque, lato sensu, du renversement de la tendance majeure.
72On est d’autant plus habilité à formuler une telle hypothèse, qu’on en possède, par ailleurs, en quelque sorte, la contre-épreuve, la prodigieuse cherté de la période 1559-1560,1567-1568 qui a, on s’en souvient33, déclenché l’expédition de Legazpi-Urdaneta, correspond à un gros effort de démarrage qui a caractérisé le passage34 de la dépression intercyclique du demi- xvie siècle à la seconde phase longue d’expansion du siècle. En conclusion, il semblerait qu’une anomalie négative des prix des épices (dans la mesure où ils ont été représentatifs, sans doute, du volume global des prix coloniaux) ait agi comme un facteur dépressif, tandis qu’une anomalie fortement positive avait agi, à la charnière de la récession et de l’expansion de longue durée, exactement, dans l’autre sens, comme un facteur délibérément expansif.
73Après 1625, il semble qu’il faille interpréter la dispersion des courbes et l’énorme anomalie positive des épices en Andalousie, comme le signe de la profonde désorganisation des marchés espagnols dans le domaine des produits coloniaux. Un cap a été doublé : on est entré dans un domaine de décadence et de désorganisation.
74De toutes ces disparités, la plus importante est celle du prix de la main-d’œuvre, entendez la fantastique anomalie positive de la rémunération de la main-d’œuvre entre 1602 et 1625, avec l’apogée en 1611. La plus importante, car elle traduit quelque chose de profond a priori, avant même toute confirmation des faits (ces confirmations ne manqueront pas).
75Entre 1609 et 1613, en effet, quand se produit cette anomalie positive, jamais égalée, semble-t-il, en deux siècles d’histoire des prix en Europe, un accident capital, on le sait, depuis peu, d’une manière irrécusable35, vient de se produire : l’expulsion des Morisques.
76b. Expulsion des Morisques.
77La grande expulsion des Morisques de 1609 est un événement bien connu, certes, depuis toujours. On se trouvait, toutefois, jusqu’à présent, dans l’incapacité, malgré une littérature surabondante36, d’apprécier à sa juste valeur, l’incidence d’un tel facteur, tant sur l’histoire de l’Espagne que sur l’histoire générale de l’Europe. Problème passionnant, problème passionné, obscurci comme à plaisir, il paraissait impossible d’en rien conclure jusqu’à l’admirable travail statistique d’Henri Lapeyre.
78Devant l’ampleur d’une catastrophe que les contemporains avaient profondément ressentie, les anciens auteurs avaient été amenés à exagérer l’importance des pertes subies par l’Espagne. Le chiffre d’un million, trop évidemment déraisonnable, fut, parfois, avancé. Plus tard, la passion anticatholique aidant — le zèle des lumières venant relayer celui de la Réforme — avec sa variante antiespagnole (ce que l’Espagne entière dénonce sous l’imprécise appellation de « leyenda negra »), les évaluations les plus extravagantes ont été reprises. L’Espagne demeurant, ainsi, par décret supérieur de la Providence, d’abord, de la Raison, ensuite, la victime de choix de sa propre intolérance.
79À tel point que cette unanimité finit par paraître justement suspecte. D’où la réaction de ces années dernières. On arrivait à minimiser un événement que les contemporains avaient ressenti, pourtant, comme de toute première grandeur. Cette tendance aura trouvé son expression parfaite dans l’œuvre de Hamilton37. La thèse revêtue de l’autorité du plus grand historien quantitativiste de la Modernité pouvait paraître inattaquable. Hamilton avait avancé que le chiffre global des expulsions ne dépassait pas sensiblement les cent mille unités. Il n’y avait plus qu’à s’incliner.
80Hamilton étayait son point de vue sur les séries des indices des prix. Celles-ci, à l’en croire, éliminaient l’hypothèse d’une forte ponction humaine38, à la hauteur de l’année 1609. Ce point de vue est d’autant plus curieux que, bien au contraire, les chiffres même de Hamilton semblent, a priori, pour un esprit non prévenu, contredire ce jugement.
81Prix et Morisques. — La formidable anomalie positive des salaires de3 années 1602-162539, sans équivalence selon toute hypothèse, dans l’histoire espagnole de 1501 à 165040 et dans l’histoire européenne de la Modernité, ne peut être justifiable, raisonnablement, d’une seule et même cause.
82E. J. Hamilton, pour en rendre compte, fait intervenir l’épidémie — la peste — de 1599-160041. À moins d’attribuer à la peste de 1599-1600 une importance qu’on n’est pas autorisé à lui conférer, on n’arrive pas à comprendre.
83En raison, tout d’abord, de la lenteur des salaires à réagir. L’épidémie se produit entre 1599 et 1600 (entendez au tréfonds de l’anomalie négative la plus importante de la rénumération du travail, 1598 : 93,02 % ; 1599 : 91,40 % ; 1600 : 91,31 %)42. Il n’est pas médiocrement surprenant de constater la lenteur de la réaction devant l’événement43, d’autant plus — les courbes de l’indice d’activité/trafic le prouvent — que la période 1599-1600, surtout, n’est en rien, une période de dépression. On serait en droit d’attendre, sous l’action convergente d’une dérobade de la main-d’œuvre et d’un maintien à un niveau élevé, voire d’une poussée de l’activité Atlantique, les salaires démarrer beaucoup plus rapidement qu’ils ne l’ont fait. Il n’est pas peu déroutant, en effet, de suivre depuis 1593 jusqu’en 1600, la ligne continue du reflux apparent de la rémunération de la main-d’œuvre. Si la précision du matériel est suffisante, toutefois, pour que l’on puisse s’avancer sur un terrain ferme.
84L’ébranlement positif s’établit sur 1601 et 1602, en gros, entre 1600 et 1603. Il faudra intervenir, pour comprendre ce décalage, une certaine lenteur, peut-être, de l’économie à réagir à la ponction qu’elle aura subie..., un peu comme si de cette ponction d’hommes rayonnaient des ondes de désorganisation et de destruction, dont l’effet irait s’accroissant de sa propre lancée. De toutes façons, on comprend difficilement.
85Ce que l’on ne comprend plus du tout, par contre, avec la seule hypothèse de la peste de 1599-1600, c’est ce qui se passe à partir de 1606-1607 et au-delà. Il y a, manifestement, la prise en relais d’autres facteurs.
86Or, cet autre facteur qui assure, d’abord, la continuation de la montée du coût relatif de la main-d’œuvre, qu’est-ce, sinon, l’expulsion des Morisques ?
87L’importance du facteur morisque, en tant qu’élément explicatif décisif de l’anomalie positive destructive de la rémunération de la main-d’œuvre ibérique, aura été masquée aux yeux de Hamilton, parce qu’il ne vient qu’en deuxième position, pour amplifier et prolonger démesurément dans le temps une anomalie dont la cause première était ailleurs.
88Ampleur des pertes. — L’expulsion des Morisques s’échelonne entre 1609 et 1614. La mesure est exécutée, pour l’essentiel, entre la fin de 1609 et le début de 1610. La tension et les troubles préparatoires, précurseurs de cette grande décision historique, estimera-t-on, commencent à se faire sentir en 1607.
89Or, on conçoit, maintenant, avec une absolue certitude, l’ampleur de la ponction44. Elle est, chiffre minimum, de 275 000 unités sur une population espagnole globale (Portugal non compris) de 8 à 9 millions d’habitants. Le total ne comprend que les départs effectifs, il n’inclut pas, selon toute vraisemblance, tous les enfants en bas âge, il ne tient pas compte des pertes de vies humaines entraînées par de tels déplacements, par les violences et la somme fabuleuse de souffrances qu’un tel déplacement n’a pas manqué d’engendrer. 275 000 départs représentent, donc, dans ces conditions, une ponction de plus de trois cent mille individus. Soit, un minimum de 3,5 % de la population espagnole, un volume de pertes — toute question de qualité étant, pour le moment, exclue — comparable à celui de la France au cours de la guerre 1914-1918.
90Nier la possibilité d’incidence d’une telle ponction, dont on a, par ailleurs, de si nombreuses preuves — procéderait, naturellement, de la plus pure fantaisie.
91Le travail d’Henri Lapeyre fournit, en effet, d’autres indications, qui permettent de mieux serrer l’ampleur des pertes subies.
92Les expulsés ne représentent pas toute la population morisque. Un certain nombre de vieillards et d’enfants en bas âge n’ont pu suivre le mouvement. C’est, peut-être, l’équivalent, par conséquent, d’environ 350 000 personnes qu’il faut compter. La tranche la meilleure d’une population de 350 000 âmes. Loin d’être un gain, ce reliquat, pour le pays qui le garde, constitue un poids mort. 275 000 expulsés, 25 000 morts, peut-être, un reliquat de 50 000 « inexportables » qu’il faudrait pratiquement compter deux fois, puisqu’ils constituent, les vieillards surtout,45 un poids mort, sans contrepartie pour la communauté nationale.
93La prise en considération de ce facteur oblige à modifier le pourcentage à l’ensemble de la population, de 3,5 % à pratiquement 4 %.
94D’autres conclusions se dégagent, encore, du travail de Lapeyre. La ponction est très inégale. Infime pour le royaume de Castille, 50 000 sur 7 000 000 d’habitants, elle est énorme pour les possessions de l’ancienne Couronne d’Aragon, elle s’élève, dans la meilleure part du Royaume de Valence, au tiers de la population totale.
95De cette inégalité, des conclusions contradictoires peuvent être tirées. On a pu y chercher argument, pour minimiser l’incidence de la ponction. En fait, il nous paraît plus juste, tout au contraire, d’affirmer que l’incidence a été d’autant plus grande que les pertes ont été plus localisées.
96L’incidence d’une ponction humaine sur l’économie d’un pays n’est pas exactement proportionnelle au pourcentage des pertes. Très faible, quand la ponction est faible, on peut estimer qu’un seuil une fois franchi, l’incidence sur l’économie s’accroît beaucoup plus rapidement que le pourcentage même des pertes subies. Dans ces conditions, une répartition inégale des pertes paraît devoir accroître, proportionnellement, davantage, l’effet cumulatif global du départ des Morisques.
97Des recherches plus poussées montreront, un jour, comment l’Empire espagnol d’Europe s’est désagrégé. On peut suivre le processus pour la Sicile46. Les possessions extérieures de la Castille ont, d’abord, rapporté. Peu à peu, le solde créditeur de la gestion s’amenuise et la balance se renverse. À partir des premières décades du xviie siècle, tous les royaumes périphériques des Pays-Bas à l’Aragon en passant par Milan, Naples et la Sicile, cessent d’être des entreprises rentables, sur le plan financier, pour le centre fédérateur de la Castille. Ils ne tiennent plus que grâce aux subsides de la Castille, d’une Castille, qui se ruine, d’autant plus, sûrement, à cette folle entreprise que, dans le même temps, le coup d’épaule de l’économie Atlantique et américaine se dérobe.
98Il n’est pas paradoxal de penser, dans ces conditions, que l’incidence destructrice de l’expulsion des Morisques sur l’ensemble de l’économie espagnole, voire castillane, à long terme, aura été, d’autant plus grande, que la ponction aura été plus étroitement localisée. Que la richesse du Royaume de Valence ait été détruite bien au-delà du tiers manquant d’hommes, c’est évident47. Le passage de tout l’ancien Royaume d’Aragon de l’actif au passif de l’Empire, telle est, en simplifiant à l’extrême, la conséquence la plus lourde, peut-être, pour la Castille elle-même, de l’expulsion morisque.
99L’énorme boulet que la Castille aura, désormais, à traîner sur son flanc Est, compromettra, d’une manière décisive, la cause espagnole, partant, durablement, la prospérité de l’Atlantique fusiforme de Séville.
100Prélèvement sélectif. — Tout cela serait déjà vrai, si le prélèvement morisque avait été (nous l’avons implicitement supposé, jusqu’ici, dans nos schémas) un prélèvement purement commandé par le simple hasard. En fait et c’est une des certitudes les plus utiles du livre d’Henri Lapeyre : l’élément morisque occupait dans l’ensemble de ce que l’on appellera improprement l’économie espagnole, un rôle de choix, une place à part. Il suffit, sur ce point comme ailleurs, de se reporter à ses démonstrations et à ses preuves ; elles sont décisives.
101Systématisant à l’extrême, nous dirons que, relativement à la masse globale de la population espagnole, l’élément morisque occupait une place de choix, dans l’ordre des professions que les économistes, nos contemporains, attribueraient au secteur des activités « secondaires ». Tout en concédant à Halperin Donghi un peu moins48, peut-être, qu’il ne le revendique pour le Morisque, un rôle modeste tout en bas de l’échelle sociale49. Il s’ensuivra, une chute vraisemblable, de diverses activités « industrielles », oserons-nous dire, hors de proportions, très certainement, avec la ponction de 4 % de la population globale totalisée par le départ des Morisques.
102Sur ce point le cas « morisque » rappelle superficiellement le cas « huguenot ». Avec cette différence, que l’on évalue, à l’ordinaire, le départ des Huguenots, à moins de 200 000 sur 18 000 000, et qu’il y a, pour les Morisques, 300 000 départs sur 8 à 9 000 000 d’habitants. S’agissant, dans un cas comme dans l’autre, d’un élément de choix, suivant des modalités et dans des directions, d’ailleurs, tout à fait différentes, le départ, dans des conditions radicalement différentes — mais seul compte, ici, le résultat — de la minorité morisque aura représenté, pour l’Espagne de Philippe III, un choc triple, au moins, du choc reçu dans le cas de la France de Louis XIV, par la dispersion des Huguenots. Ici comme là, dans le cas morisque moins dangereusement, peut-être, que pour la France de Louis XIV50, l’appauvrissement de l’une des parties aura amené l’enrichissement, par contre-coup, de la périphérie. Mais la périphérie, ici, ce n’est plus une Europe du Nord, directement concurrente, comme dans le cas français, trois quarts de siècle plus tard, mais un Maghreb et un bassin oriental de la Méditerranée musulmane, dont le processus de décadence relative est trop engagé pour pouvoir être renversé par l’injection du précieux sang morisque. Tout au plus, on en trouve de nombreux échos dans les histoires de l’Afrique du Nord51, constitue-t-il un appoint de choix qui, bien souvent, stoppera des décadences apparemment irréversibles, provoquera même de courtes reprises aberrantes. On appréciera, grâce à cette contre, épreuve, l’ampleur de la perte supportée par l’Espagne.
103Et ce ne sera pas la première fois, qu’un comput attentif, qu’un gros effort d’histoire statistique aura restitué aux « imprécises » évaluations des vieilles chroniques, mieux, aux intuitives impressions des contemporains, une vérité que les savantes histoires hypercritiques, les doutes systématiques, plus prétentieux qu’intelligents d’hier et les conformismes à rebours d’aujourd’hui leur avaient dénié. N’en va-t-il pas de même, dans l’ordre de la démographie indienne, après les beaux travaux de F. S. Cook, L. B. Simpson, C. Sauer..., de toute l’école de Berkeley, face au vieux Père Las Casas, dont ils réhabilitent, par d’autres cheminements et sans colère, les évaluations que les lascasiens les plus déterminés, naguère, n’auraient osé prendre à leur compte52 ?
104Du travail d’Henri Lapeyre, aujourd’hui, comme des travaux de l’école de Berkeley, une impression rassurante se dégage. Les contemporains, quand ils sont de la taille d’un Las Casas, ou d’un Cervantes, ont presque toujours raison, quand ils jugent de leur temps, sur la prudence hésitante d’une critique historique non engagée jusqu’au bout de son enquête.
3. 1608-1613, dates espagnoles
105Si les calculs minutieux d’Henri Lapeyre n’avaient pas réglé définitivement le problème, l’Atlantique de Séville aurait pu apporter au débat un précieux renfort pour le camp « morisque ». Beaucoup plus sûrement, les calculs de Lapeyre aident à comprendre la localisation, somme toute paradoxale, de renversement, dans l’Atlantique espagnole, de la tendance majeure du volume des trafics.
106On ne saurait trop souligner, en effet, combien la compréhension des dates de 1608-1610 reste difficile dans le trafic Atlantique. Les tentatives d’explication par la seule dynamique du trafic que l’on a présenté de l’événement serrent le problème de près sans parvenir à elles seules à rendre compte, tout à fait, de l’ampleur du phénomène53. 1608-1610, au vrai, sont des dates bien espagnoles, même si, en moins d’une dizaine d’années, ces dates espagnoles se transforment, comme c’est normal, puisque ce sont des dates espagnoles, donc, de portée universelle, en dates européennes, dans la mesure où qui dit Espagne dit Europe et Monde, au début du xviie siècle encore.
107La tendance majeure du trafic dans l’Atlantique espagnol et hispano-américain se brise en trois étapes. C’est entre 1588 et 1592 que le mouvement perd son accélération. Après une série d’accidents, sur lesquels il n’y a pas à revenir, la montée se poursuit, mais à un rythme tout autre, beaucoup poins rapide. C’est entre 1619 et 162254 que la rupture se produit, c’est après 1631, qu’elle se transforme en débandade. Toutes ces dates correspondent à des jointures importantes de la conjoncture européenne.
108Seule la période 1608-1610 restait, pratiquement, sans répondant européen. Le drame qui secoue l’Atlantique, après 1610 et un drame typiquement espagnol. Il est commandé par l’affaire morisque. On aurait pu en douter avant les travaux d’Henri Lapeyre. Il n’est plus possible d’hésiter, désormais, puisqu’on connaît, avec une parfaite exactitude, l’ampleur du désastre qui s’est abattu sur l’Espagne, l’ampleur du désastre dont l’Espagne a choisi de se frapper.
109L’importance de l’incidence du départ des Morisques sur le trafic de l’Atlantique de Séville est plus grande, peut-être, que les chiffres ne le laisseraient à penser. En effet, elle est, en partie, masquée — on a tout lieu de le croire — par l’action contrariante du rétablissement de la paix. Que Ton veuille bien considérer, en effet, ce que le comportement des courbes du trafic en volume peut avoir d’irrationnel, quand on fait entrer en ligne de compte la pacification des années 1609 à 1621. N’est-il pas absurde que la récession commence (une récession d’abord, bien spécifiquement espagnole) quand la paix s’installe dans l’Atlantique espagnol ? Il faudrait beaucoup de mauvaise volonté pour ne pas vérifier, à la lueur des sources émanant de la Casa de la Contratación, peu suspectable d’optimisme, (d’un optimisme qui, à tout prendre, se retournerait contre les marchands en justifiant les exigences toujours ouvertes du Roi à leur égard), combien les conditions de la navigation dans l’Atlantique ont été heureusement affectées par le retour à la paix officielle entre États.
110À cette amélioration fondamentale de la navigation, à cet allégement radical des charges qui l’ont brimée pendant plus de vingt ans, le trafic réagit curieusement. Par un retournement de la tendance et par un début de dépression. Économiquement, l’attitude du trafic est d’autant plus significative qu’elle va à contre-courant du contexte de la grande politique extérieure.
111La cause en est, tout simplement, dans les destructions profondes causées dans l’édifice de l’économie espagnole, par la ponction morisque. L’ampleur de la perturbation s’explique par deux ordres de raisons. La première, l’orientation de l’activité morisque, établie par H. Lapeyre, en direction du secteur « secondaire ». La seconde, la place désormais prédominante des produits manufacturés dans la gamme des exportations en direction du Nouveau Monde. La conjugaison de ces deux facteurs conditionne les répercussions de l’expulsion des Morisques sur la rupture de pente du trafic Atlantique.
1121609-1610, date de l’histoire intérieure de l’Espagne, date-clef du trafic Atlantique de Séville, est une date espagnole, qui atteint, parce qu’espagnole, à une portée mondiale.
113La grande expulsion de 1609-1614 marque, en outre, c’est ce qui se dégage des travaux de E. J. Hamilton et d’Henri Lapeyre, le renversement de la tendance majeure démographique de l’Espagne. Hamilton et Lapeyre font observer, d'une manière pertinente, que la première plainte d’une longue série de plaintes sur le dépeuplement des Royaumes date de 1619. L’analyse précédente nous a appris à prendre au sérieux des impressions de contemporains et des sources que l’on avait eu, trop souvent, tendance à négliger. Il faut s’en souvenir, désormais. Il est incontestable, d’autre part, que, dans ce domaine, en raison surtout, de la médiocrité des moyens chiffrés de connaissance dont on disposait, les prises de conscience ne pouvaient être immédiates. Pour que l’on soit pleinement conscient du phénomène en 1619, il fallait qu’il remontât suffisamment loin déjà dans le passé pour que ses effets fussent visibles. Le point de départ, si on est obligé de le chercher, quelques dix ans plus tôt ne peut se trouver, en l’occurrence, ailleurs, que dans l’expulsion des Morisques dont le paroxysme de l’exécution s’établit entre la fin de 1609 et la plus grande partie de l’année 1610. Après l’épidémie de 1599-1600, la ponction morisque aura donné le signal d’une récession dévastatrice, la seule qui ne pardonne pas, celle des hommes55.
114La date de 161956 prouve que la plaie de 1609 n’est pas cicatrisée, dix ans plus tard. En fait, la reprise démographique en Europe ne se manifestera pas avant le xviiie siècle. Pourquoi ? L’examen de cette grave question dépasse notre but et nos possibilités. La Castille, prématurément fortement peuplée comme la France, était, sans doute, proche, à la fin du xvie siècle, de l’équilibre démographique. Il est incontestable, d’autre part, que la poussée démographique a été contrariée par l’ampleur des tâches impériales, besoins de la guerre en Europe, besoins de l’Amérique, besoins spirituels de la ContreRéforme et de la mission.
115Or toute population voisine de son point d’équilibre démographique est une population menacée. Seule, une marge importante de croissance peut assurer une population d’une protection suffisante contre la catastrophe de la décroissance (d’une décroissance démographique dont nous commençons57, à peine, à soupçonner la théorie inépuisable des destructions dont elle est, toujours, porteuse). Pour toutes sortes de raisons, l’Espagne de la fin du xvie et du début du xviie siècle manquait de cette marge de sécurité, parce que trop sollicitée par des tâches démesurées qui l’éloignaient des fonctions élémentaires de la vie.
116Elle se trouvait, de ce fait, incapable « démographiquement » de supporter une expulsion d’un élément irréductible de sa population, une expulsion qu’elle n’en avait pas moins intensément désirée et bien que cette expulsion fût. en tous points, politiquement souhaitable.
117Or, selon toute apparence, l’affaire morisque ne va pas reconduire à un niveau légèrement inférieur le presque équilibre légèrement croissant de la période antérieure, mais déclencher un processus de baisse.
118Un peu comme si un plafond inférieur de sécurité s’était trouvé crevé dans la malencontreuse expulsion qui suit, de moins de dix ans, la non moins malencontreuse et fatale peste. En fait, la désorganisation économique provoquée, bien au-delà des pertes subies, nous avons vu pourquoi58, par la ponction de 4 % subie par la population globale de l’Espagne, va suffire à renverser la tendance. L’équilibre est perdu. Mais une fois amorcés, de semblables processus sont difficilement arrêtables. En fait, la chute de la population ne cesse de paralyser de nouveaux circuits économiques, bien au-delà — en période de techniques stables — des pertes subies par la population. La décroissance de la richesse ira, nécessairement, plus vite, par conséquent, que la décroissance des hommes. Elle s’accompagnera, par conséquent, d’une chute de la richesse unitaire des individus composant le corps social, beaucoup plus rapide, encore, que la chute globale de la population ne risquerait de l’entraîner. Dans le cadre d’une société où la richesse des plus petits est toute proche d’un authentique minimum vital biologique, une telle chute de la richesse unitaire entraînera une chute plus rapide encore de la population. Baisse de richesse et baisse de la population, une fois le cycle amorcé, ne constituent plus que les deux éléments du même complexe qui agissent et réagissent, constamment, les uns sur les autres, en accélération constante les uns par rapport aux autres.
119Il en ira, ainsi, jusqu’au moment où la disparition d’une partie importante de la population créera des conditions nouvelles, permettant un nouveau départ. Mais on sera à la fin du xviie siècle et près de la moitié de la population de l’Espagne aura été engloutie dans l’aventure. La conjoncture européenne ne tardera pas à prêter son concours. Au début du xviie siècle, toutefois, la conjoncture espagnole a précédé, dans une large mesure, en la commandant, la conjoncture du reste de l’Europe. En 1700, par contre, l’espace espagnol a cessé, depuis longtemps déjà, de commander ; il est commandé.
120Il faudra, une fois de plus, se borner à constater, combien entre 1608-1610 et 1700, les deux phénomènes trafic dans l’Atlantique et population de l’Espagne obéissent à un rythme identique. Chute plus rapide, plus profonde du trafic... Le niveau de 1680 n’est plus guère que le quart du trafic de 1600-1610.
121Quoi qu’il en soit, il serait imprudent de minimiser l’importance de l’expulsion des Morisques. N’a-t-elle pas compromis des structures fragiles et hâté en Espagne et dans l’Atlantique des mouvements de reflux dont les conditions mûrissaient, sans doute, en profondeur, mais dont l’émergence ne se serait pas réalisée, de sitôt, vraisemblablement, sans le drame ibérique de 1609-1610..., pas avant, selon toute vraisemblance, la crise européenne de 1619-1622, avec ses montées belliqueuses et son action dépressive évidente sur la Carrera.
II. — 1608. L’ANNÉE DE TOUS LES RECORDS
122L’année 1608 est, en tous points, une année exceptionnelle. Les volumes que Séville a alignés, en ce moment, ne seront jamais plus retrouvés. 1608 constitue, de ce fait, un très mauvais terme de référence. La lecture de la correspondance de la Casa de la Contratación surprend, d’ailleurs, quelque peu. On ne trouve pas, tout à fait, le ton qu’on attendait, a priori. Des difficultés, des plaintes... en soi, rien de surprenant, car un effort aussi anormal n’a pu s’accomplir sans perturbation, pertes d’équilibre et déchirures profondes. Les récriminations, non plus — elles ne font pas défaut — ne sont pas tellement hors de saison. Nous savons la gent de Séville par nature trop portée à la récrimination pour nous en étonner. Ne convient-il pas, quand le sort se fait meilleur, de détourner la malchance en redoublant de plaintes ?
123Pourtant, ces grands rapports — d’une prodigieuse clairvoyance malgré la passion, l’injustice et les haines qui les animent — surprennent. On ne les attend pas, au milieu de l’effort d’une telle année. La Carrera nous est apparue, plus agissante et moins raisonneuse, à l’ordinaire, en période d’expansion. La dissonance entre l’ampleur du mouvement et le ton des rapports de la Casa suffirait à nous mettre en garde contre une appréciation excessive, des résultats de l’année, si bien d’autres facteurs n’y avaient pas pourvu déjà. Cette précaution, au départ, pourtant, n’est pas surperflue, car la leçon des chiffres est particulièrement impressionnante.
LA LEÇON DES CHIFFRES
124L’opposition 1607-1608 est une des plus importantes, sinon la plus importante de toute la Carrera.
125On a vu comment, en Allers, surtout59, le mouvement, après une longue période de marasme et d’activité décroissante, finissait par former un des points bas de tout un siècle. 1607 et 1608 constituent, sans conteste, de mauvais termes de référence, l’un pour l’autre.
1. Allers
126On passe, en effet, de 37 navires à 202 navires, de 8 153 toneladas (9 783,6 tonneaux) à 45 078 toneladas (54 093,6 tonneaux) soit des augmentations respectives de 445,9 % sur l’expression unitaire du mouvement et de 452,9 % en tonnage. Par rapport à la moyenne, on est passé de 35,88 % à 207,10 %. L’accroissement, sensible sur toute la ligne, est dû, presque uniquement, à l’accroissement de 445,9 % du mouvement unitaire. Le tonnage unitaire reste, par contre, singulièrement constant (la variation est trop faible pour qu’on puisse rien préjuger) : de 220,35 toneladas en 1607 à 223,16 toneladas en 1608. Après les positions aberrantes du tonnage unitaire des années 1605 et 1606, 1607 et 1608 marquent un retour ferme à une moyenne. Le tonnage unitaire moyen de 223,16 toneladas est, en effet, très proche du tonnage unitaire moyen du cycle (229,16 toneladas à l’Aller) et de la fluctuation médiane (220,77 toneladas), plus encore des trois années fortes 1608-1609-1610 (le tonnage unitaire moyen, pour 446 navires totalisant 99 642 toneladas s’élève alors à 223,4 toneladas), 223,4 toneladas contre 223,16 toneladas. L’indication est à retenir. Elle montre à quelle stabilité, à quelle maîtrise et à quel équilibre, la Carrera est parvenue, au cours de ces trois ans. Cet équilibre procède, entre autres, d’une ventilation homogène, sur trois ans, entre les différents axes du complexe, au départ, Sévillans-Caditains, d’une part, Canariens-négriers, d’autre part.
127Il suffit, si on veut apprécier la signification des 202 navires et 45 078 toneladas (54 093,6 tonneaux) de 1608, de se rappeler qu’ils n’ont jamais été et ne seront jamais plus égalés60. 1608 dépasse encore de presque 50 % (soit, mouvement unitaire, soit, a fortiori, en tonnage) les départs des années les plus favorisées, qui se sont le plus rapprochées du niveau record : 1596, record jusqu’à cette date pour le mouvement unitaire dans le cadre du découpage de l’année civile, qui comptait 151 navires, au lieu de 202, mais un tonnage dérisoire de 28 825 toneladas au lieu des 45 078 toneladas de 1608 (31 707,8 tonneaux en 1596 au lieu de 54 093,6 tonneaux en 1608), 1586, 1588,1601 encore avec leurs 33 270 toneladas, 31 507 toneladas, 32 032 toneladas.
128Après 1610, plus rien de comparable — même d’assez loin — aux précédents records de 1586, 1588, 1596 et 1601. Les niveaux les plus proches de 1608 — cette particularité qui vaut vraiment d’être notée — sont les deux années accolées voisines de 1609 et 1610, avec ou sans la pondération. Non seulement il n’y aura plus après 1610, une année qui alignera des départs même de très loin comparables à 1608. Mais ni 1609, ni 1610 ne sont plus jamais égalés. Aucune crainte d’illusion, aucun danger de subjectivité, face à des données aussi sûres.
129Ce qui est vrai en niveaux absolus, l’est bien plus encore par rapport à la moyenne. L’écart de 1608 : 207,10 % ne se retrouvera jamais plus, même du très loin, un peu comme si les écarts cycliques allaient s’atténuant dans la phase descendante du marasme dominant. Même avant, il n’avait jamais été égalé, ni vraiment approché. Avant les 207,10 % de 1608, à l’Aller, il y avait eu les 164,27 % de 1550, les 160,26 % de 1572, les 180,43 % de 1586... Rien, sauf 1586, peut-être, et d’assez loin, de vraiment comparable.
2. Retours
1301608 est l’année des Allers, les Retours sont médiocres. Avec 81 navires, mais 15 589 toneladas seulement (18 716,8 tonneaux). Il ne faut pas, d’ailleurs, s’en étonner. Les Retours de 1608 subissent un double contre-coup.
131Tout d’abord, le contre-coup de l’extraordinaire poussée relative des Retours, lors de la fluctuation précédente 1605-1607, au cours de laquelle on a vu, de plus en plus61 paradoxalement, les Retours prendre le pas sur les Allers et préparer, ainsi, quelques-unes des conditions de la flambée de 1608. Plus simplement encore, le contre-coup de l’extraordinaire dépression des Allers, le creux de 1606 et, plus encore, de 1607. Si on met en relations les Retours de 1608 avec les Allers correspondants de 1607 (Allers de 1607, 37 bateaux représentant 8 153 toneladas, Retours de 1608, totalisant 81 bateaux et 15 589 toneladas), on notera qu’ils sont loin de former une quantité négligeable, soit, près du double, pratiquement, des Allers qui les épaulent. Et pourtant, une partie des Retours de 1608, une petite partie, il est vrai62, est formée par des éléments de l'Armada y flota de Juan de Salas y Valdes dont le rythme de rotation a été, cette année, particulièrement rapide.
132La médiocrité des Retours de 1608 est donc, une simple apparence. Tout dépend du terme de référence qui a été choisi. Par rapport aux Allers extra-ordinairement gonflés de l’année, ils représentent peu de choses, 25,70 % seulement du mouvement total Allers et retours contre 74,30 % pour le-Allers. Ce déséquilibre ne signifie pas autre chose qu’un retour à la normale. Il éponge l’accumulation aberrante des navires dans le Guadalquivir lors de la période de grande paralysie conjoncturelle des années de la première fluctuation du cycle.
133Cette médiocrité est tellement une simple apparence qu’elle cesse, quand on compare les Retours de 1608 à ceux de 1607. 81 navires en 1608 au lieu de 59 navires en 1607, 15 589 toneladas (18 716,8 tonneaux) en 1608 au lieu de 13 724 toneladas (16 468,8 tonneaux), l’année précédente. Il y a même décrochement positif sensible de 39 % sur le mouvement unitaire, de 13,9 % sur le mouvement volumétrique. Que le niveau des Retours de 1608 ne soit, en rien, aberrant, nous en avons la preuve dans sa comparaison à la moyenne, 90,66 % en 1608 contre 82,64 % en 1607. Le niveau en tonnage ne s’éloigne pas tellement de la moyenne annuelle des Retours de la première fluctuation, soit 19 998,3 toneladas.
134En fait, les Retours sont nettement en retard sur les Allers, dont ils suivent avec lenteur la ligne plus sensible aux sollicitations d’une conjoncture qui reste encore dominée de Séville. Les Retours de 1608, leur niveau le prouve, appartiennent encore à la conjoncture de la première fluctuation à laquelle leur niveau s’apparente. 1608 joue le rôle de raccord, les Retours, on l’a déjà vu, éliminent une anomalie ancienne et ouvrent la voie aux sommets des Retours qui sont, de 1609 à 1611, décalés d’un an sur les Allers.
135Cette appartenance des Retours de 1608 à la vie attardée de la première fluctuation, nous en avons la preuve dans le tonnage unitaire lui-même. Le tonnage unitaire des Retours de 1608 constitue, en tous points, un cas aberrant.
136Non seulement il est nettement le plus faible de tout le cycle, mais il est inférieur au tonnage unitaire des Allers, ce qui est tout à fait anormal. Le tonnage unitaire moyen des Retours tombe, en effet, de 1607 à 1608, de 232,6 toneladas à 192,4 toneladas, seulement. Si on veut apprécier l’ampleur du recul, ce n’est pas à 1607 qu’il faut se reporter (le tonnage unitaire moyen des Retours de 1607 était déjà63 très en contrebas par rapport au tonnage unitaire du cycle, mais à toute une série plus longue qui a vu le tonnage unitaire moyen refluer, en Retours, de 302,8 toneladas en 1605 à 192,4 toneladas en 1608, en passant par les niveaux de 293,8 toneladas et 232,6 toneladas en 1606 et 1607.
137192,4 toneladas, le chiffre est paradoxal, par rapport, surtout, aux 223,16 toneladas des Allers. On sait pourquoi et comment le tonnage unitaire moyen des Retours était presque nécessairement supérieur à celui des Allers. La position du tonnage unitaire moyen de 1608 (mouvement des Retours) est paradoxale par rapport aux moyennes du cycle et de la fluctuation (258,4 toneladas de 1605 à 1613, 253,4 toneladas de 1608 à 1611, 260,03 toneladas de 1608 à 1610). 1608 liquide, en fait, le nœud des petits bateaux partis en 1606 sans possibilité de tri au terme de l’importante anomalie positive des Retours que l’on sait. Les 192,4 toneladas (tonnage unitaire moyen des Retours) de 1608 correspondent très exactement aux 198 toneladas (tonnage unitaire moyen des Allers) de 1606. Le faible tonnage unitaire est dû, également, à l’imposante proportion des sueltos. C’était là, également, une caractéristique des Allers de 1607, avec un tonnage unitaire moyen de 220,35 toneladas, résultante quelque peu artificielle de la simple juxtaposition de deux corps étrangers64, bien distincts, incapables de se mêler tant leurs pesanteurs respectives s’opposent, d’une part, le corps particulièrement lourd d’une armada de gros navires, d’autre part, la pluie insolite de l’escadrille bouche-trou des mauvais jours. Ce sont ces petits navires de 1607 et de 1608 qui forment le corps des Retours de 1608. D’où l’anomalie négative du tonnage unitaire moyen des Allers de 1606 et 1607 répercutée, ici, sur les Retours de 1608.
3. Allers et retours
138C’est, évidemment, la masse énorme des Allers qui commande, ici. C’est à cause d’elle que le mouvement global se redresse d’une année sur l’autre, presque au même titre que les Allers. De 96 unités à 283 navires, de 21 877 toneladas (26 252,4 tonneaux) en 1607 à 60 667 toneladas (72 800,4 tonneaux) en 1608, le décrochement est respectivement de 194,8 % sur l’expression unitaire du mouvement et de 176 % en tonnage. Par rapport à la moyenne mobile médiane de treize ans, les chiffres vrais du mouvement passent de 53,01 % à 147,26 %.
139Comme pour les Allers et entraîné par eux, le niveau des globaux Allers et retours de 1608, est inégalé dans toute l’histoire de la Carrera65. En toneladas, par exemple, le niveau de 1608 surclasse de 10 à 15 000 toneladas, de 20 à 25 % les termes de référence les plus élevés que l’on pourrait aligner, contre lui, soit avant, soit après dans l’histoire du mouvement (1586, 1596, 1600, 1602, 1605, 1624). Sur l’expression unitaire, du moins, plus clairement encore, les 200 navires (283 navires en 1608) n’ont été atteints que sept fois avant cette date. Ils le sont, deux fois encore, mais paradoxalement en 1609 et en 1610. On constatera, une fois de plus, non sans surprise, que les deux seules années, qui puissent d’assez loin supporter avec 1608 la comparaison, sont les deux années voisines de 1609 et de 1610. Les 54 761 toneladas de 1610, par exemple (niveau de 10 % inférieur, seulement, à 1608), n’ont jamais été égalés ou dépassés qu’une fois (en 1608, précisément).
140Si 1608 est sans égale, en valeur absolue, il en va, pratiquement, de même, en position relative par rapport au trend. À 147,26 % de la moyenne mobile médiane de treize ans correspondante, 1608 est dépassée — il vaudrait mieux dire, à l’échelle de nos précisions, égalée — deux fois, en 1550 et 1630 (en raison d’une meilleure concordance des Allers et des Retours), 148,98 % en 1550 et 148,37 % en 1630. Il est presque égalé, une fois encore, en 1586, à 147,21 %.
1411550, 1586, 1608 et 1630 occupent tellement bien, par rapport aux cycles respectifs auxquels ils appartiennent, une position exceptionnelle, que l’on chercherait, en vain, des écarts comparables. On tombe, aussitôt après, sur des écarts positifs nettement inférieurs, 143,50 % en 1536, 139,98 % en 1572, 137,80 % en 1636, puis aux 135,97 % en 1551, 134,36 % en 1525, 132,80 % et 132,60 % en 1549 et 1518, 131,86 % et 131,38 % en 1624 et en 1610. On voit, ainsi, tout ce que l’écart de 1608 a d’exceptionnel en Allers et retours. Le cas, toutefois, n’est plus, tout à fait unique, à la différence de ce qui se passait en Allers. À quatre reprises, les chiffres vrais des Allers et retours auront dépassé de près de 50 % le niveau correspondant de la moyenne mobile. Au-delà, on se heurte à un mur, à une impossibilité physique.
142C’est, peut-être, ce qui confère à l’écart réalisé, en 1608, une valeur exceptionnelle. Dans une certaine mesure, il prend la jauge d’une limite. Un semblable écart suppose, pour être obtenu, la réunion de toute une série de conditions difficilement réalisables, entre autres, la formation d’un nœud de navires par la sous-utilisation du matériel au cours des années antérieures (c’est bien ce qui s’est produit, ici, en 1606 et 1607). Quoi qu’il en soit, malgré et en raison même de ces réserves, un écart positif de 47 à 48 % semble mesurer l’élasticité maxima du système, la limite physique au-delà de laquelle il n’est pas possible d’aller, même dans l’hypothèse d’une utilisation forcenée des moyens matériels à la disposition de la Carrière des Indes. Le chiffre de 60 000 toneladas (72 000 tonneaux) totalisées pour les Allers et les Retours des navires allant et venant des Indes en 1608, a donc le double avantage de représenter l’écart cyclique maximal, physiquement réalisable, au sommet des possibilités du système, au moment de sa plus grande ampleur. D’où le double intérêt de ce chiffre, pour apprécier la conjoncture de l’année, pour apprécier comme la limite d’une époque.
143Un autre signe viendra, en quelque sorte, corroborer ce point de vue : le tonnage unitaire. Si notre hypothèse est vérifiée, s’il est vrai qu’on ait atteint en 1608 une véritable limite des possibilités physiques de la Carrera — il est difficile qu’il en soit autrement — le matériel naval aura été utilisé, au maximum, par la mise en service des unités marginales. Or, le matériel marginal est constitué, essentiellement, pour l’heure, par de petites unités. Les gros navires d’une rentabilité meilleure sont utilisés, bon an mal an, d’une manière beaucoup plus constante. Si notre hypothèse est fondée, l’utilisation, au maximum, des petits navires, en beaucoup plus grosse quantité qu’en année normale, doit amener un fléchissement du tonnage unitaire moyen des navires de l’année. C’est bien ce que l’on peut vérifier effectivement.
144Le tonnage unitaire moyen a considérablement baissé, depuis 1605 et considérablement baissé, comme pour souligner la formidable reprise conjoncturelle : 308,2 toneladas en 1605, 239,5 toneladas en 1606, 227,9 toneladas en 1607, le tonnage tombe à 214,3 toneladas. C’est le tonnage unitaire moyen le plus faible du cycle. Il suffit, pour bien l’apprécier, de le reporter à quelques tonnages unitaires moyens, 243,78 toneladas pour l’ensemble du cycle (1605-1613), 259,3 toneladas de 1605 à 1607, le tonnage le plus élevé du cycle correspondant à la fluctuation déprimée, 233,2 toneladas de 1608 à 1611, le tonnage unitaire le plus faible correspondant à la fluctuation de l’expansion cyclique maxima, 239,2 toneladas de 1612 à 1613, 244,3 toneladas, lors de la dernière fluctuation du cycle précédent (de 1600 à 1604).
145La leçon des chiffres ne permet pas de douter de l’ampleur de la fluctuation. Les conditions dans lesquelles elle s’est produite méritent toutefois d’être retenues. Et le bilan est moins uniformément positif sous l’angle de la conjoncture même du négoce qu’on ne pourrait le croire, de prime abord.
PAR DELA LES CHIFFRES GLOBAUX, LA CONJONCTURE DE 1608
146Ces quelques chiffres tirés, uniquement, des mouvements globaux, sont loin, cela va sans dire, d’épuiser la série des faits concrets, dont il faut tenir compte pour appréhender le mouvement de l’année.
1. Les faits
147Ces faits nous mettront peut-être sur le chemin d’une interprétation. On les trouvera, d’abord, dans une analyse attentive, détaillée, du mouvement.
148a. La multiplicité des convois. — L’absence de toute navigation en convois marchands, nous était apparue, en 160766, comme le signe clinique décisif du repli conjoncturel. On peut, jusqu’à un certain point, retourner ici l’argument. 1608 est, en effet, une des rares années où la Carrière des Indes aligne la gamme complète de ses convois.
149Une flotte de Terre Ferme, celle de Juan de Salas y Valdes67, médiocre argument, au vrai, puisqu’elle était depuis plusieurs années différée, prête depuis l’automne 1607 au moins et, de plus, d’assez faible volume.
150Beaucoup plus décisive, par contre, l'Armada de la Guardia, en raison de son volume, (13 unités, 6 340 toneladas) et de sa double direction. Une branche de quatre galions s’en détache pour se rendre68 en Nouvelle Espagne, avec une mission économique évidente, puisque ce convoi insolite doit apporter, en toute hâte, le mercure dont la désorganisation des flottes, en 1607, a provo que une fantastique pénurie69, telle que l’on ne pourra attendre l’énorme flotte de Don Lope Diez de Armendariz70. Et pourtant, le départ de cette flotte, en toute autre circonstance, aurait paru particulièrement précoce, se plaçant à une date vraiment optimale, le 12 juin 1608. La flotte record de Don Lope Diez de Armendariz — elle suit de peu l’escadrille des quatre galions porteurs de mercure — est un élément qui ne trompe pas.
151Il faudra ajouter encore l'armada exceptionnelle de secours à la Havane71, un nombre insolite de sueltos, de Canariens et de négriers. C’est ce très large accès aux marginaux du complexe qui est responsable du fléchissement du tonnage unitaire. Cette poussée correspond, d’ailleurs, à quelque chose : l’utilisation maximale des secteurs marginaux du trafic.
152Tout au cours de l’année, la Carrière des Indes fait preuve, par conséquent, d’une activité intense. Mais cette activité revêt une densité tout à fait exceptionnelle, entre le 7 mars et le 12 juin 1608, puisque, au cours de ces trois mois, la flotte de Terre Ferme, la lourde Armada et la flotte de Nouvelle Espagne prennent leur départ, soit, en fait, plus des quatre cinquièmes du tonnage d’une année, dont on a vu, pourtant, l’exceptionnelle pesanteur72. L’activité de ces trois mois qui voient le départ de près de 40 000 toneladas en direction de l’Amérique est donc, quant aux normes de la Carrera, beaucoup plus exceptionnelle encore que celle de l’ensemble de l’année.
153b. Nouvelle Espagne, Terre Ferme et îles.
154Nouvelle Espagne. — Au départ, la caractéristique majeure de 1608 est fournie par la part de la Nouvelle Espagne : avec 96 navires et 24 510 toneladas sur un total de 202 unités et 45 078 toneladas (45,5 % du mouvement unitaire, 54,38 % du tonnage). Elle représente 40 % de tout ce qui part en direction de la Nouvelle Espagne au cours des quatre années de la fluctuation de 1608 à 1611.
155Que signifie cette participation de la Nouvelle Espagne ?
156Elle excède les moyennes du cycle et de la fluctuation, dont on a vu, pourtant, le caractère exceptionnel (54,38 % pour 1608, contre des moyennes de 52,2 % pour le cycle 1605-1613, 49,7 % pour la fluctuation 1605-1607, 51,5 % de 1608 à 1611, 54 %, de 1612 à 1613).
157En réalité, le trafic en direction de la Nouvelle Espagne a d’autres présomptions en sa faveur. Il est formé par une proportion très supérieure à la moyenne de l’année d’éléments présumés économiquement les plus lourds, soit, mis à part les quatre galions insolites de l’amiral Aparicio de Arteaga, la quasi-totalité des navire qui vont en Nouvelle Espagne est formée par les navires de l’énorme flotte de Don Lope Diez de Armendariz, soit près de vingt mille toneladas, la plus grosse unité qui se soit jamais rendue, d’un seul coup, en une seule direction. Puisque la catégorie des navires marchands allant en convoi est justement considérée comme la catégorie économiquement pilote, la plus importante, la composition du mouvement allant en Nouvelle Espagne constitue une présomption supplémentaire en sa faveur.
158On relèvera, toutefois, quelques éléments, de prime abord, discordants73, Le mouvement en valeur en direction de la Nouvelle Espagne (la présomption, du moins, qui se dégage de la perception de l'almojanfazgo à la Vera Cruz). Le creux qui correspond à la Vera Cruz à l’année 1608 est dû, uniquement, à un artifice de comptabilité. En raison du retard dans l’envoi des registres74 — il s’agit, tout simplement, d’un réflexe de défense face aux exigences fiscales ; de compensation contre les énormes prélèvements de 1605-1607 — les droits des départs de 1608, bien que la flotte de Don Lope Diez de Armendariz arrivât à la Vera Cruz, le 19 août 1608, ne furent pas comptabilisés dans la caisse de la Vera Cruz avant 1609. C’est donc le chiffre de 797 millions de maravedís qui correspond aux départs de 1608, celui-là même que le découpage annuel attribue à 1609 à la Vera Cruz.
159C’est, incontestablement, le niveau record perçu en un an, sur les entrées en Nouvelle Espagne, au cours du xviie siècle. Il a pourtant été dépassé, à plusieurs reprises75, en 1599, en 1590 et compte tenu de la chute du pouvoir d’achat de l’argent, très vraisemblablement, au cours de la période 1588-1589 et 1561-1563. On s’attendait, par conséquent, en raison du formidable accroissement du volume, par rapport aux années précédentes, à un chiffre proportionnellement plus élevé. Proportionnellement plus élevé à court terme, par rapport aux années précédentes de 1605, 1606 et 1607, proportionnellement plus élevé, surtout, par rapport aux décades de la seconde moitié du xvie siècle. Faut-il en déduire qu’il y a eu décroissance de la valeur unitaire moyenne des exportations en direction de la Nouvelle Espagne ? Ce serait une erreur. En réalité, comme le prouve bien, d’ailleurs, une lecture attentive de la correspondance de la Casa de la Contratación, cette décroissance est purement apparente, elle est imputable, tout simplement, au relâchement des pressions fiscales, à une détérioration de l'ad valorem.
160La place de la Nouvelle Espagne dans les exportations de cette année tout à fait exceptionnelle, se trouve donc située à sa vraie valeur. Il est bien naturel que, pendant ce quart de siècle au cours duquel on a vu l’espace nouvel-espagnol en position dominante, le sommet du mouvement soit constitué par la Nouvelle Espagne. Autrement dit, la situation du mouvement en direction de la Nouvelle Espagne, en 160876, corrobore, à la fois, le rôle de la Nouvelle Espagne au cours de ces années et la position de 1608 en conjoncture, à l’intérieur du cycle et à l’intersection de deux tendances. 1608 constitue, plus encore que le sommet de l’ensemble du mouvement, le sommet du mouvement en direction de la Nouvelle Espagne. Les niveaux, qui se rapprochent le plus des 24 510 toneladas de 1608, se tiennent très loin derrière ; ce sont, par ordre d’importance, les 18 858 toneladas de 1597, les 17 185 toneladas Je 1585, les 16 220 toneladas de 1588, les 16 080 toneladas de 1609, puis, plus loin encore derrière, les 14 855 toneladas, 14 755 toneladas et 14 870 toneladas de 1600, 1599 et 1590, ou les 14 235,5 toneladas et 14 125 toneladas de 1619 et 1605. L’écart entre le niveau volumétrique des Allers vers la Nouvelle Espagne de 1608 et le niveau qui s’en rapproche le plus, 1597, reste de l’ordre de 30 %. Il est encore du même ordre, avec le niveau record des exportations vers la Terre Ferme (20 230 toneladas en 1590), soit plus de 21 %.
161C’est donc en 1608 que se situe, sinon sûrement en valeur, du moins, en volume, l’apogée des exportations en direction de la Nouvelle Espagne. La cassure du mouvement avec la Nouvelle Espagne — elle est plus visible sur les mouvements, cinq ans par cinq ans77 — se situe bien autour de 1608, à la fin de la demi-décade 1606-1610, entre 1606-1610 et 1611-1615, conformément au dessin des globaux que la Nouvelle Espagne entraîne.
162La Terre Ferme. — Elle est, à tous égards, en retrait, par rapport à la Nouvelle Espagne. Elle apparaît moins sensible à la fluctuation : comparé à l’ensemble du mouvement et, surtout, à la Nouvelle Espagne, le trafic avec la Terre Ferme forme un peu volant. Par rapport à 1607 et à 1606-1607, son mouvement est fortement atténué. Entre 1607 et 1608, le décrochement du mouvement en direction de la Nouvelle Espagne était de l’ordre de 1671 % (très supérieur au décrochement global, 452,9 %) ; en direction de la Terre Ferme, il n’est plus que de 165,2 % dans le même laps de temps. La comparaison n’est pas dépourvue de signification, parce qu’on passe d’une année sans flotte (1607) à une année pourvue de ses deux flottes réglementaires (1608). On voit à quel point les deux décrochements sont dissemblables, puisque celui de la Nouvelle Espagne est dix fois supérieur à celui de la Terre Ferme.
163La comparaison révèle assez bien la différence de comportement, au cours de cette période, des deux axes fondamentaux de l’Atlantique. Dans la mesure où les ennuis et le marasme ont débuté sur une grande échelle, plus tôt en Terre Ferme qu’en Nouvelle Espagne, le trafic de la Terre Ferme a été assumé, pour l’essentiel, par ce quasi service public qu’est l'Armada de la Guardia de la Carrera de las Indias. D’où cette rigidité, d’où ce rôle de volant qu’on lui voit assumer. Une partie du volume de ce qui sera envoyé en Terre Ferme échappe, semble-t-il, à la décision des entrepreneurs du négoce... La Terre Ferme n’est plus susceptible, donc, de répondre aux sollicitations de la conjoncture avec la vigueur dont elle pouvait faire preuve en d’autres circonstances. Elle est devenue l’élément calme, l’élément mort, le lourd volant du trafic.
164La situation de 1608 révèle, un peu, la dégradation du rôle de la Terre Ferme. Par la relative médiocrité de la flotte de Juan de Salas. Une flotte de l’ordre de 6 000 toneladas, après deux années sans flotte, alors que, depuis 1601, la Terre Ferme n’a pas bénéficié d’un vrai convoi marchand à place entière, — entendez, de l’ordre de grandeur des convois marchands que la Nouvelle Espagne reçoit, chaque année — prouve que, la flotte de Terre Ferme est entrée, sans qu’on le sache, dans la voie d’un processus de décomposition, beaucoup plus avancé qu’on aurait pu le croire de prime abord. Il n’est pas peu significatif, en effet, que la masse considérable des navires allant en Terre Ferme en 1608 (il ne s’agit plus comme pour la Nouvelle Espagne, d’un niveau record) soit constituée pour la meilleure part par des navires d’armada, des Canariens ou des négriers, en gros, par autre chose que par la flotte. Sur ce point, quand même essentiel, on notera combien les deux trafics s’opposent. Plus encore que par leur niveau, assez différent (54,38 % du tonnage global d’un côté, pour la Nouvelle Espagne, 34 % de l’autre, pour la Terre Ferme), ils diffèrent par leur structure interne et par le rôle respectif très différent du convoi de navires marchands. En 1608, année décisive, les volumes des flottes respectives de Terre Ferme et de Nouvelle Espagne sont dans le rapport de un à trois, de l’une à l’autre.
165Cette différence de structure entre les deux axes fondamentaux apparaît également dans les tonnages unitaires moyens : 255,3 toneladas pour ce qui va à la Nouvelle Espagne, 220,1 toneladas seulement, pour ce qui va en Terre Ferme, malgré le poids énorme et sans exact équivalent en Nouvelle Espagne de l'Armada de la Guardia de la Carrera de las Indias. Cette différence est due, à la part relativement plus grande des sueltos. Canariens et négriers, en direction de la Terre Ferme. À tous égards, la part de la Terre Ferme à la prospérité de 1608 apparaît, donc, comme une part de second plan, quantitativement78 et qualitativement.
166Les îles. — Les îles, un peu comme la Terre Ferme mais à un degré moindre, en raison de leur plus faible volume, jouent un rôle de volant. Avec 35 navires, 4 938 toneladas, le progrès est très sensible. Elles participent à la prospérité générale de l’année, elles marquent le terme d’une anomalie négative. Leur proportion en tonnage à l’ensemble, 11,6 %, doit être interprétée comme un retour à la normale. 11,6 % rompt avec l’anomalie négative de 1605-1607 (5,84 %) et embraye sur la normale (10,8 % pour le cycle 1605-1613, 12,2 % pour la fluctuation 1608-1611).
167c. Ventilation des navires au départ.
168Cet autre moyen court que l’on a d’apprécier la signification du trafic d’une année corrobore, mais il ne pouvait en être autrement, le poids de 1608.
169Par rapport au creux de 1607 et 1606, ce sont les secteurs les plus forts du trafic qui sont en progrès le plus sensible : les marchands de Séville et de Cádiz.
170Séville. — Avec 94 navires et 23 385 toneladas, 1608 marque l’apogée de la catégorie des départs marchands (négriers exclus) de Séville79, l’apogée pour toute la période. 1608 marque, de la même manière, l’apogée des départs des navires marchands en convoi. Les niveaux des départs des navires marchands de Séville n’atteindront jamais plus un chiffre comparable80.
171Par rapport à 1607 et 1606, le saut en avant est particulièrement considérable. De 1 100 %, pratiquement, par rapport au creux de 1607 (sur l’ensemble du mouvement le décrochement est de l’ordre de 452,9 %). Une telle distorsion crée, cela va sans dire, une présomption très favorable en faveur de 1608. Par rapport à la moyenne du creux de 1636-1607, le décrochement du mouvement purement sévillan est encore de près de 606 % (pour l’ensemble du mouvement, il n’est plus dans les mêmes conditions, que de 350 %81). Il y a donc en 1608, une part plus grande des navires marchands de Séville (52,18 % contre 45,8 % seulement de 1605 à 1607), qu’au cours des années précédentes du creux cyclique, soit un niveau relatif comparable à celui de 1608-1611, 51,8 % voire un niveau comparable à celui du cycle 51,6 %.
172Cádiz. — Mais il y a une forte participation, aussi, des Caditains, 14 navires, 4 970 toneladas, contre rien en 1607 et 7 navires, 2 390 toneladas, seulement, en 1696. En fait, c’est ensemble qu’il faut envisager les navires marchands de Séville et de Cádiz et les comparer globalement aux trois autres catégories. Au total, on alignera, avec 108 navires et 28 355 toneladas, un niveau qui n’a jamais été et qui ne sera jamais plus égalé sur l’axe économiquement essentiel des navires marchands de Séville et de Cádiz. Le niveau caditain lui-même est très fort, il ne sera jamais plus approché au xviie siècle (avant le transfert du centre de gravité du Monopole de Séville à Cádiz après 1680), il n’a été dépassé qu’à deux reprises tout au long de cette longue histoire, en 1588 et en 159682.
173Rien de surprenant, dans ces conditions, que l’ensemble optimum du trafic (navires marchands de Séville et navires marchands de Cádiz) ait atteint, en 1608, le niveau record de toute la Carrera. Par rapport à 1607, le décrochement est, pour l’ensemble (navires marchands de Séville, plus Cádiz), plus grand encore que pour Séville seule, de l’ordre de 1 367 % (contre 1 100 % et 452,9 % pour l’ensemble du complexe) ; par rapport à la moyenne du creux 1606-1607, le décrochement positif du mouvement est encore de 610,5 %, (soit pratiquement un niveau identique aux 606 % de la série des seuls marchands de Séville).
174Face à l’ensemble du mouvement de l’année, 1608 se caractérise, donc, par une proportion très honorable du mouvement le meilleur (celui des navires marchands de Séville et de Cádiz), soit 63,2 % contre 36,8 % pour la masse des marginaux ou semi-marginaux, Canariens, négriers, armada. Cette proportion est légèrement supérieure à celle du cycle (52,5 %) et à celle de la fluctuation médiane record 1608-1611 (61,8 %), elle est très supérieure à celle, médiocre, de la fluctuation initiale déprimée 1605-1607 (56,9 %).
175Enfin, le tonnage unitaire moyen sur les axes essentiels des navires marchands de Séville et de Cádiz, n’a pas été trop sensiblement affecté. Bien sûr, le paradoxe de 1607, sur lequel il n’y a pas à revenir, est effacé83. Le tonnage unitaire moyen des navires marchands de Séville et Cádiz est en retrait pourtant, 262,5 toneladas par rapport à 1606 et 1605 (264,1 toneladas et 297,4 toneladas), tout en restant dans le même ordre de grandeur. Ce tassement corrobore une utilisation plus complète des possibilités du tonnage. Elle est, dans cette situation, un signe de conjoncture très haute.
176Les marginaux. — Dans la catégorie des « marginaux », on retiendra la proportion médiocre et rassurante des Canariens (26 navires, 1 983 toneladas), 4 % environ du tonnage global, soit un pourcentage qui s’apparente plus à celui de la fluctuation précédente (3,12 % de 1605 à 1607) qu’au pourcentage valable pour l’ensemble du cycle (5,37 % pour 1605-1613) et pour la fluctuation (1698-1611), soit 5,3 %. Le recul relatif des armadas, malgré un niveau absolu plus considérable, 16 navires, 7 840 toneladas, contre 11 et 12 unités, 5-160 et 5 080 toneladas en 1607 et 1606. La proportion du tonnage d'armada, 17,35 %, est à peu près du même ordre que pour l’ensemble de la fluctuation médiane 1603-1611, soit 17,8 %. Elle est plus faible, par contre, que pour l’ensemble du cycle et, a fortiori, pour la première fluctuation 1605-1607, soit respectivement 20,1 et 26,6 %.
177Le mouvement négrier, par contre, est en pleine expansion. Le niveau atteint en 1603 n’est dépassé, fait symptomatique, qu’en 1609, soit 52 navires et 6 900 toneladas (57 unités et 7 310 toneladas en 1610), soit un pourcentage, quand même, assez fort de négriers. Un peu moins que pour l’ensemble de la fluctuation 1608-1611 (15,2 %), en raison du pourcentage énorme de 1609 (27 %), plus que pour l’ensemble du cycle 1605-1613 (11,8 %).
178En fait, le pourcentage des négriers, non plus à l’ensemble du mouvement, mais à la seule catégorie des marginaux (armada, Canariens, négriers) donnerait mieux, peut-être, leur vraie place. Il n’est pas douteux qu’elle est très importante. Or, il s’agit, quand même, d’un élément de poids, relativement plus dense, sans doute, que les Canariens. Le pourcentage élevé des négriers contribue, par conséquent, à délimiter les contours de la forte conjoncture de 1608.
179d. Les valeurs.
180L'avería84 confirme, avec quelques modalités particulières, le verdict unanime de conjoncture haute. Le chiffre de 1608 est, en effet, le plus fort de la première moitié du xviie siècle (à l’exception de 1637, en pleine inflation billonniste, et dont la situation particulière sera examinée à son heure85). Les 2 470 millions de 1608 ont été égalés ou dépassés, deux fois, au moins, dans l'histoire de la Carrera (2 479 millions en 1590 et 2 696 millions en 1592).
181Une fois de plus, les séries valeurs, telles que nous les possédons, insuffisamment dégagées de l'ad valorem, nous paraissent utilisables, sans danger, dans le cadre décennal. Au-delà, il faut prendre, à leur égard, les plus grandes précautions. C’est évidemment le cas, ici. Si la comparaison 1608-1590/1592 ne tourne pas, manifestement, à l’avantage de 160886, c’est essentiellement sinon exclusivement, n’en doutons pas, pour des raisons étrangères à la nature des cargaisons.
182N’écartons pas, complètement, toutefois, l’hypothèse d’un certain relâchement dans le refoulement des pondéreux alimentaires (c’est toujours ce qui nous a semblé caractériser, entre autres, les années de volume imposant). Cela d’autant plus que 1607, 1608, 1609 semblent, après l’extrême tension alimentaire de 1603, 1604, 1605, en Andalousie87, marquer une substantielle détente : une heureuse détente également éloignée de la crise de subsistance de 1604-1605 ou de la dépression ruineuse pour l’entreprise de 1602 ou de 1612.
183L’essentiel, pourtant, à la lueur de la correspondance de la Casa de la Contratación, elle-même, c’est un extrême relâchement de l’appareil fiscal entre ces deux dates. 1590 et 1592 étaient apparues88, à leur heure, comme des années de forte pression fiscale. Besoin de récupération de l'averia obligée de reconstituer ses moyens de défense détruits, besoin de protection ressenti par tous les usagers du complexe portuaire. En 1608, tout au contraire, le retour à la paix et, surtout, l’énorme désir, le besoin presque physiologique pour Séville de rentrer dans les prélèvements belliqueux qu’elle a subis, dans les années qui ont précédé la banqueroute de 1607, intervient, nous verrons comment89, dans un sens diamétralement opposé. Ce qu’il faudra admirer, dans ces conditions, c’est la conformité, quand même, du mouvement valeur et l’extrême poussée que le jeu sensible du négoce et des agents du fisc n’a pas réussi à masquer.
2. Hypothèses et interprétations
184Il est impossible de douter, en présence de niveaux aussi importants, de l’ampleur véritablement unique de l’expression conjoncturelle de 1608.
185Et pourtant, si on se tourne vers les sources « littéraires » (celles qui ne sont pas uniquement porteuses de chiffres mais qui traduisent des attitudes individuelles ou collectives face au flux des affaires et si on peut désigner, ainsi, la peu « littéraire » correspondance de la Casa de la Contratación), on sera frappé des éléments dissonants, de ceux qui cadrent mal avec l’euphorie que l’on serait en droit d’attendre d’une pareille réussite matérielle, d’une euphorie par laquelle on ne manquait pas de se laisser gagner, trente ans plus tôt, lors des bonnes années de la deuxième moitié du xvie siècle triomphant90.
186a. Aspects positifs. — Naturellement, la correspondance de la Contratación renferme des signes contradictoires. Tous ne sont pas défavorables, tous ne tournent pas le dos aux leçons des séries chiffrées. C’est à ces signes conformes à ces aspects positifs d’expansion qu’on sera d’abord attentif.
187Tension extrême. — Le premier aspect qui risque de frapper91, c’est, peut-être, le caractère hardi, bousculé, des préparatifs de l’année. On a l’impression, dans des lettres qui se croisent, d’un rythme haletant, angoissé. La flotte de Juan de Salas y Valdes partira-t-elle à temps92 ? Grosse question. Car un nouveau retard eût compromis le reste du mouvement. Il en ira de même, lors des préparatifs de la flotte de Nouvelle Espagne de Lope Diez de Armendariz93 tout au long desquels il est fait état de difficultés de trésorerie qui ne sont, sans doute, pas imaginaires.
188En soi, rien là de surprenant, rien là qui ne puisse être porté à l’actif de l’extraordinaire réussite conjoncturelle de l’année. Il est bien évident que la mise en mouvement d’une pareille masse économique nécessite l’utilisation, au maximum, du matériel existant, une extrême tension des hommes, des capitaux et des choses. Voilà ce qu’expriment, à leur manière, nos sources, quand elles nous montrent un monde agité, fébrile, suant, angoissé de n’arriver pas jusqu’au but trop élevé, peut-être, qu’il se sera fixé.
189Les navires et les marins. — Il en ira également de l’introduction, en proportion plus importante, peut-être, que de coutume, de navires étrangers dans la Carrera94, tout ce qui traduit pareillement une incontestable difficulté à réunir, en nombre suffisant, les gens de mer. Étant entendu, une fois encore, qu’à la crise de structure..., déjà perceptible, qui va priver la Carrera de ses marins — conséquence, entre autres, du renversement à venir de la tendance démographique majeure du pays — vient s’ajouter, ici, le besoin, en gens de mer pressant, immédiat, urgent, en raison de l’extraordinaire expansion de l’année.
190Tolérance aussi à l’égard de l’armement étranger..., tout cela peut entrer, encore, dans les ombres nécessaires — faut-il écrire les ombres lumineuses ? — du tableau classique de la prospérité.
191b. Aspects négatifs. — Il y a, autre chose, pourtant, dans cette atmosphère de l’année 1608 et quelque chose que l’on est en droit d’être surpris de rencontrer.
192Les plaintes des « parents pauvres »95 traduisent, peut-être, simplement, le mécontentement du creux des années précédentes. Il s’agirait de vitesse acquise ou de précautions contre une éventuelle rechute. On est gêné, pourtant, de constater que, même en 1608, la Carrera traditionnelle risque de se révéler impuissante à satisfaire pleinement les besoins des espaces géographiques marginaux. Comment s’étonner, dans ces conditions, qu’elle soit sur le point de les perdre ? Par cette brèche qu’elle aura laissé ouvrir, des corps étrangers pénétreront aux Indes et dont la concurrence, faut-il s’en étonner, ne restera pas timidement, aux portes.
193Le long rapport du Consulado96, plein de récriminations contre les ennemis du Monopole, et notamment, contre la bête noire du trafic d'armada, est beaucoup plus probant encore. Tout cela rappelle, à s’y méprendre, les plus classiques atmosphères de crise. On peut dire, à l’encontre de l’interprétation « catastrophique » que nous serions assez tenté de préconiser, que ces plaintes prolongent, en quelque sorte, une situation antérieure, une crise anormalement longue que les premiers mois de la plus fulgurante des prospérités ne peuvent faire oublier. Elles viennent se greffer sur la question toujours délicate du renouvellement de l’administration de l'avería — dont le bilan, après les années difficiles de la guerre, semble particulièrement catastrophique. Les arguments mis en avant en 1608 ont été élaborés, vraisemblablement, au fond de la crise de 1606-1607.
194Tout cela est certain. Il n’en demeure pas moins que les fulgurantes réussites de 1608 n’ont pas dissipé, ne serait-ce qu’un instant, les lourdes angoisses que le négoce de Séville entretient ou affecte d’entretenir quant à son avenir. Et cela semble décisif.
195La prospérité de 1608 n’est pas tout à fait une prospérité comme les prospérités précédentes. Elle ne parvient pas, tout de suite, à rassurer. On sent confusément, à Séville, comme la prémonition des catastrophes futures et c’est un peu contre elles qu’on cherche à se garer.
196Un dernier aspect négatif est constitué, enfin, par l’extrême tension FiscNégoce que l’on observe, tout au cours de l’année, dans la correspondance, qui culmine dans l’envoi particulièrement différé des flottes, dans la baisse évidente du rendement des impôts. En fin de compte, on a vu que l'averia, lui-même, malgré les niveaux impressionnants atteints, ne correspondait pas, exactement, à ce qu’on eût été en droit d’attendre du niveau exceptionnel des volumes mis en mouvement. Ce décalage est imputable à une densité extrême de la fraude fiscale.
197Ce comportement et ces tensions ne sont pas, à l’ordinaire, accompagnatrices des conjonctures élevées et des moments de facilité. Toutefois, cette attitude traduit, d’abord, dans les milieux d’affaires, une volonté de récupérer une partie des pertes subies en 1606 et 1607 du fait des embargos et de la banqueroute.
198Aucun de ces aspects négatifs n’est, à lui seul, tout à fait décisif : aucun ne permet de trancher d’une manière définitive. Une chose est certaine, pourtant. Il est difficile de ne pas céder devant un ensemble et de noter ce que, face aux chiffres, il présente de dissonances. Ces dissonances révèlent, sans doute, que la crise des années 1606-1607, on dirait presque la crise des années 1602-1607, a présenté une extrême gravité. Même les plus folles réussites longtemps comprimées par elle et qui explosent, en 1608, ne peuvent faire oublier, à Séville, qu’il n’y a quelque chose de grave qui se passe en profondeur. La crise de « structures », comme on l’a suggéré déjà97, est en marche. Et il importe peu, pour une fois, que les contemporains n’aient eu ni le mot, ni le concept. La prospérité de 1608 n’efface pas les inquiétudes qu’elle met en branle. Un très bon point aux gens de Séville pour cette clairvoyance qui fut leur. Ils ont senti venir une catastrophe qu’ils se révélèrent incapables, par contre, de différer, moins encore, d’écarter, parce que, sans doute, ce n’était pas en leur pouvoir.
199c. Défoulement et récupération. — Si la prospérité de 1608 est incapable de dissiper, tout de suite, les angoisses des années difficiles antérieures, c’est, vraisemblablement, qu’elle doit beaucoup à l’accidentel.
200La conjoncture de 1608 — il est inutile, sans doute, de l’expliquer longuement — libère des forces dont le trafic n’a pu, en raison d’une série de circonstances extérieures, bénéficier, en 1606 et en 1607. En corrélation avec les prix, on a vu comment98, après la pointe des prix de 1605, le trafic a été frustré de sa phase normale d’expansion. N’était-on pas en droit d’attendre, sur les trafics, un tronçon ascensionnel comparable à celui des prix de 1602-1603, partant du creux de 1604, pour se prolonger, en gros, jusqu’en 1608 inclusivement ?
201La guerre puis la paix, les embargos et la banqueroute ont fait avorter cette prospérité. C’est elle qu’on retrouve, après une translation de deux ans, de 1608 à 1610, au lieu de 1606 à 1608..., étonnamment conservée. 1609 et 1610 donnent le niveau auquel cette prospérité aurait pu normalement atteindre, 1608, bénéficiant, en outre, d’un effet de récupération consécutif à la frustration totale du trafic lors du creux de 1607.
202Si on arrive à comprendre ainsi la localisation de la phase d’expansion — d’autant plus que la grande débandade des prix, la récession, se produit sur les prix andalous après 1610 seulement99, après un plateau légèrement déprimé de 1606 (indice 91,42) à 1607 (indice 91,28), plus glissant de 1608 à 1610, 1608 (indice 90,29), 1609 (indice 89,29) et 1610 (indice 87,83), on tombe en 1611 à l’indice 80, 67, pour se maintenir au fond du creux jusqu’en 1615 (indice 81,43), — on comprend mal son extraordinaire amplitude.
203Quelques faits peuvent être évoqués.
204La liquidation des hostilités aide à comprendre la dissociation prix-trafic et la translation, sur deux ans, du second phénomène par rapport au premier ; elle contribue aussi, peut-être, à expliquer la flambée d’un trafic, fortement bridé, au cours de la période antérieure, par près de trente années de conflits sur mer presque ininterrompus.
205La reconversion de la guerre à la paix aura, peut-être, au-delà des apparences premières, contribué à cette expansion anormale.
206Elle aura, en diminuant les charges de la défense — le pourcentage des armadas au total le montre — rendu plus facile l’accès du trafic aux marchandises relativement plus lourdes que la dureté des temps avait, en d’autres circonstances, tenues à l’écart.
207Le sensible décalage entre volumes et valeurs100 — qui s’explique, pour l’essentiel, par la contre-offensive de Séville contre les exigences du fisc — entre assez bien dans le cadre de cette hypothèse. La distorsion lui doit, peut-être, sinon l’essentiel, du moins une bonne part.
208Or, il n’est pas exclu, qu’au cours de ces trois années, le trafic ait été entraîné au delà de son point d’équilibre par une certaine détente dans le secteur de l’armement, une abondance relative des navires — malgré l’appel, en 1608, à un fort contingent de navires étrangers, il vaudrait mieux dire, grâce, précisément, à cet appel.
209Au terme d’une phase longue d’expansion, le trafic a, nécessairement, à sa disposition un grand nombre de navires d’un tonnage beaucoup plus considérable qu’à aucun autre moment de son histoire. Si les conditions — en l’occurrence, le brusque passage de la guerre à la paix — permettent, tout à coup, d’utiliser pleinement ses possibilités, un brusque dénivellement du trafic se produira... Le négoce l’aura pallié, en introduisant dans le système des pondéreux en plus grande quantité, par un bref et éphémère retour à un équilibre plus ancien. L’hypothèse trouve, on l’a vu, une présomption supplémentaire, dans la relative détente observée101 sur les marchés agricoles andalous.
210L’ampleur insolite de l’expansion s’explique, peut-être, par l’existence d’un volant de navires que l’amélioration des conditions politiques du trafic permettrait brusquement d’exploiter à plein... Belle et spectaculaire flambee qui risque, ensuite, de compromettre gravement, aux Indes, des équilibres fragiles et donc, prometteuse de déboires futurs. Dangereuse dans la mesure, précisément, où elle est extérieure à la dynamique propre du trafic.
211Le décalage chronologique se trouve ainsi justifié, tout comme se trouvent expliqués, jusqu’à un certain point, l’expansion presque anormale des volumes et le relatif retard des valeurs, moins facilement mues par la reprise.
212d. Les Trésors. — On retiendra, enfin, sans prétendre expliquer et en se bornant à noter une simple corrélation, l’identité de comportement des trésors et de l’ensemble du trafic, au cours de ces années.
213Hamilton102 fait apparaître, entre 1606 et 1610, un fort décrochement des entrées officielles par rapport à 1601-1605, soit de l’ordre de 29 % pour l’ensemble des trésors et sensiblement de la même amplitude pour les trésors des seuls particuliers — la série économiquement la plus importante.
214Certes, les niveaux ainsi présumés, de 1606 à 1610, restent assez en deçà de ceux de 1591-1595 et de 1596-1600103. Il est possible, en effet, qu’ils aient été effectivement en deçà des niveaux de 1591-1600, mais dans une proportion moindre que le comput officiel ne le laisse à penser.
215À l’intérieur de la décade 1601-1610, toutefois, il n y a aucune raison de craindre des distorsions susceptibles de masquer la réalité. Au contraire, la crise de 1606-1607, les embargos, la banqueroute, l’énorme tension Négoce-Fisc104 qui, on l’a vu, en découle, tous ces facteurs obligent à présumer que les mailles du contrôle officiel ont été plus larges, donc moins efficaces en fin qu’en début de période105. Après les embargos et la banqueroute, les gens de Séville auront, sans doute, pris les plus grandes précautions à l’égard d’impôts ad valorem qui les gênaient moins que le prélèvement qu’ils comportaient que par le risque auquel ils exposaient les trésors.
216L’accroissement de 29 % constitue, dans ces conditions, un minimum, entre 1601-1605 et 1606-1610. Tout cela incline à croire qu’il a été plus important encore.
217Il serait imprudent de chercher entre les deux ordres de phénomènes des liens de cause à effet. Il y a simple corrélation. On sera sensible, pourtant, à la parfaite identité du comportement de séries différentes.
2181606-1610, demi-décade de détente relative entre la liquidation des grands conflits — des guerres à long rayon d’action, dirons-nous — et l’expulsion des Morisques. Prospérité décalée, prospérité déplacée, récupérée, peut-être, après l’événement ; prospérité fragile.
219Les importations officielles des trésors de Hamilton sont justificiables, à la limite, du même type d’explication que celui proposé par les courbes du trafic.
Notes de bas de page
1 Henri Lapeyre, Géographie de l’Espagne morisque.
2 Le niveau des Retours de 1608-1610 et a fortiori de 1608-1611 à la différence des Allers, est dépassé, une fois, bien que de peu, lors de la fluctuation primaire centrale (1584-1587) du cycle 1579-1592, avec un niveau annuel moyen sur quatre ans, de 82 3/4 navires, et 21 339,9 toneladas.
3 Cf. t. VI1, tables 226-227, p. 472-473.
4 Cf. t. VI2, tables 218, 219-220, p. 466-467.
5 t. VI1, table 159-160, p. 356-357.
6 Cf. ci-dessus, p. 99-100, 106, 164, 240-241, 425, 553, 940-943.
7 Cf. ci-dessus, p. 1199, 1215-1217, 1237.
8 56 575 toneladas (Allers) et 56 409 toneladas (Retours).
9 Cf. t. VI1, tables 167, 170, 173, p. 366-369-372.
10 Cf. ci-dessus, p. 1239-1240, 1232-1234.
11 On aura considéré une croissance tant absolue que relative de la part des îles, tantôt comme un facteur favorable, tantôt comme un facteur défavorable. Ici, il nous apparaît, pour l’appéciation de la conjoncture, comme un facteur favorable. Il n’y a aucune contradiction dans ces appréciations apparemment contradictoires. Le signe n’a, en effet, de valeur que replacé dans son contexte. Il s’agit, évidemment, ici, non pas d’une croissance, mais, plus simplement, de l’effacement d’une anomalie négative, évidemment, on a vu pourquoi, malsaine. C’est en ce sens et en ce sens, seulement, que la reprise des îles est un bon signe de santé conjoncturelle.
12 Cf. t. VI1, table 164, p. 363, t. VII, p. 53.
13 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 215.
14 Cf. ci-dessus, p. 1176-1187.
15 Cf. ci-dessus, p. 382-395, 587-920.
16 E. J. Hamilton, 1501-1650. op. cit., p. 271-273.
17 Situation que les travaux d’un Samuelson, par exemple, montrent avoir été celle des États-Unis, au fond de la crise de 1932-1933.
18 E. J. Hamilton, 1501-1650. op. cit., p. 278-279.
19 Cf. ci-dessus, p. 1184-1187.
20 On manque, évidemment, de base solide de référence, faute de trouver, ailleurs, pour cette période une étude des prix aussi poussée que celle d’Earl Jefferson Hamilton.
21 Grâce au remarquable travail d’histoire démographique d’Henri Lapeyre. — Géographie de l’Espagne Morisque. Publication du Centre de Recherches Historiques.
22 Cf. ci-dessous, p. 1265-1272.
23 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., chapitre XI, p. 222-261.
24 Ibid., p. 224.
25 Cf. ci-dessus, p. 593, 768.
26 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 235.
27 Ibid., p. 260.
28 En raison de la masse quand même restreinte qui l’étaye au cours de la première moitié du xvie siècle, surtout. Mais cette fragilité disparaît au début du xviie siècle, elle ne compromet pas, par contre, la solidité de notre raisonnement.
29 Elle implique, subsidiairement, le recul des exportations espagnoles de produits industriels au profit de la simple réexportation de produits européens par le canal du Monopole.
30 On notera, en renversant les termes de la proposition, que la comparaison du trafic, d’une part, des écarts entre « index numbers of agricultural and non-agricultural prices » d’autre part, ajoute une nouvelle présomption (entre beaucoup, à tel point qu’elle peut sembler inutile) à l’hypothèse qui nous a guidé à la base, d’une mutation profonde de la nature des exportations vers l’Amérique. Si la preuve est virtuellement inutile, la localisation du plan de clivage autour de 1575, par contre, n’est pas, de notre point de vue, dépourvue d’intérêt.
31 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 232.
32 Cf. t. IV, notes aux tableaux.
33 Cf. ci-dessus, p. 430.
34 Cf. ci-dessus, p. 357-382.
35 Grâce aux admirables travaux d’Henri Lapeyre, op. cit.
36 Il y a des surabondances bibliographiques qui, loin d’être un avantage sont, tout au contraire, un obstacle à une bonne connaissance. C’est la forêt qui masque l’arbre, une fois encore. Pour une mise au point bibliographique du problème morisque, nous renvoyons au travail de Lapeyre.
On pourra se reporter, en outre, bien que cette étude se soit trouvée, presque au moment de sa parution, dépassée par l’ouvrage d’Henri Lapeyre, à l’intéressant essai de Tulio Haliperin Donghi. Les Morisques du Royaume de Valence. Annales E.S.C., 1956 no 2, p. 154-182.
37 The Decline of Spain, in The Economic History Revieiv, vol. VIII, no 2, mai 1933, p. 168-179, repris dans El Florecimiento del Capitalismo y otros ensayos de historia economica Madrid, 1948, in-8 Revista de Occidente, p. 121-135.
38 E. J. Hamilton, ibid., op. cit, p. 125-126 : « La completa inanidad de la expulsion en cuanto a elevaciôn de los salarios en general o de la remuneración de alguna clase particular de trabajadores proporciona la prueba más fuerte utilizable de que el éxodo de los moriscos no fué la causa principal de la decadencia española.
El hecho de que ni precios ni salaries reflejen la expulsion suggiere vehementemente que fueron pocos los moriscos expulsados. La cifra de 101 694, sin contar a los ninos de pecho, compilada por los miembros de la regia comision encargada de la expulsion es al pareccr mucho más completa de lo que han creido los historiadores de la economia. »
39 Cf. ci-dessus, p. 1261-1262, et E. J. hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 278-279.
40 Sans véritable équivalent. La seule période qui présente certaines analogies avec celle de 1602-1625 est, au tout, début du xvie siècle, le laps de temps qui s’écoule de 1509 jusqu’en 1522, sur treize ans, voire — mais avec une très sensible réduction de l’anomalie — jusqu’en 1528.
Rien de comparable, pourtant, à l’anomalie des années 1602-1625. Elle met en cause une période plus courte : treize ans, dans l’hypothèse longue exagérément favorable, dix neuf ans, au lieu de vingt-quatre ans. Elle reste en deçà de l’anomalie (1602-1625) avec des maxima relatifs des services par rapport aux prix de 127,84 % et 126,85 % en 1510 et 1512, au lieu de 130,56 et 128,09 % de 1611 et 1613.
Surtout, la première anomalie est connue d’une manière beaucoup moins certaine que la seconde (il suffit pour s’en convaincre de se reporter aux appendices du livre. Appendice III et suivants, p. 319, suiv.). D’autre part, dans les premières décades du xviie siècle, on n’a plus les mêmes raisons qu’au début du xvie siècle de comprendre semblable distorsion.
Au tout début du xvie siècle, les premières arrivées de métaux précieux, l’annexion d’immenses espaces vierges à l’économie espagnole placent l’Espagne, dans une situation d’économie ouverte. Cette double ouverture peut suppléer, dans une certaine mesure, à la stagnation des techniques et permettre une distribution anormalement forte de richesses.
Entre 1600 et 1625, la situation est fort différente. La conquête est close, l’espace effectivement saisi par l’économie coloniale atlantique espagnole est, pratiquement, bien cerné et délimité, la courbe des arrivées de métaux précieux est décroissante, officiellement, horizontale, dans l’hypothèse la meilleure. De toute manière, on se trouve, pour toutes ces raisons, en situation d’économie stable, dans un monde à nouveau clos, ou, du moins, virtuellement fermé. L’anomalie positive de la rémunération du travail, prend, dans ce contexte, une signification beaucoup plus importante, Elle est, de toute manière, plus difficile à supporter.
41 E. J. Hamilton, Florecimiento y otros ensayos, p. 125.
42 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit,, p. 278-279.
43 Pas peu surprenant... jusqu’à un certain point, du moins. A moins d’imaginer que la peste, pendant qu’elle sévit, entraîne une paralysie générale de l’économie telle qu’elle l’emporte avec elle, une diminution de la rémunération de la main-d’œuvre. On pourra objecter encore qu’il s’agit moins d’un effondrement du taux de rémunération de la main d’œuvre qu’un retard, presque normal, de la main-d’œuvre sur les prix.
Ces trois ans, 1597, 1598, 1599, auront vu, du fait du retard des salaires sur les prix, se constituer d’énormes volants de bénéfices que l’on retrouvera, peut-être, dix ans plus tard, dans la Carrera, lors des niveaux records de 1608 à 1610.
Et pourtant, tout cela n’est guère probant. Le problème reste entier. La chronologie ne permet pas de faire de la peste un argument décisif.
44 H. Lapeyre, Géographie de l’Espagne morisque, op. cit.
45 Les vieillards, il est vrai, déracinés, ne seront pas longtemps à charge. On meurt vite au xviie siècle. Quant aux enfants en bas âge, en raison de l’abondance relative des nouveau-nés (t des chances très faibles qu’ils auront de survivre, chances plus faibles que celles de l’espérance moyenne de vie des enfants en bas âge, en raison du déracinement du milieu familial, ils ne constituent guère une possibilité d’investissement démographique même à long terme. Dans ces conditions, si la charge du reliquat risque de ne pas peser, trop longtemps, elle ne comprend guère d'éléments récupérables pour l’avenir. La perte est, donc, une perte sèche.
Il est à noter, enfin, que les enfants non comptés ont été, pour la plupart, emmenés par leur famille. Peu nombreux auront été ceux véritablement abandonnés par les migrants forcés.
Il s'agit, pour l’Espagne, à plus forte raison encore, d’une vraie perte sèche.
46 Helmut Kœenigsberges, The government of Sicily under Philip II of Spain. A study in the practice of Empire, Staples Press, London, 1951, in-8, 228 pages et notre compte rendu. Annales E.S.C. 1954, no 4, p. 135-136.
47 La production d’une entreprise dont on prélèverait, brusquement, sans possibilité de remplacement, le tiers de la main d’œuvre, baisserait bien au-delà du tiers, dans la mesure où tous ses circuits intérieurs risquent d’être détruits. Dans l’entreprise d’une communauté-État, il en va de même. D’autant plus irrémédiablement qu’on est pri3 dans un cadre de techniques stables, non progressives. Le cadre rigide, de toute manière, s’adapte mal.
48 Annales E.S.C., 1956, no 2, article cité.
49 Ces deux points de vue, d’ailleurs, ne sont pas contradictoires. Les Morisques ont pu jouer un rôle très important dans des secteurs économiques primordiaux pour l’économie de la Carrera (dans la mesure, notamment, où ils devaient lui fournir ses tâcherons du port, son moteur musculaire, si on veut, dockers et charrois) et un rôle social médiocre, dans l’ensemble de la société espagnole. Cela prouverait, si besoin était, que dans l’Ancien Régime économique prestige social et utilité économique ne se recoupent pas nécessairement.
50 Moins dangereusement, peut-être, parce que, ni le Maghreb ni le bassin oriental de la Méditerranée turque, ne constituent plus, au début du xviie siècle, un adversaire et un concurrent de tout premier plan pour l’Espagne chrétienne. Il n’en va pas de même, évidemment, de la Hollande, de la Grande-Bretagne et de la partie Nord-Est de l’Empire, protestants, principaux bénéficiaires de l’émigration française, pour la France catholique de la Révocation.
51 C’est le rôle de choix, à Fès, à Tunis, dans les principales villes du Maghreb, des « Andalous » dont les pauvres expulsés de 1609 ne constituent, sans doute, que la moins brillante des arrière-gardes.
52 Cf. t. VIII1, p. 495-510, 685-688, 802-809.
53 Cf. ci-dessus, p. 1257-1260.
54 Cf. ci-dessous, p. 1481-1525.
55 La récession démographique qui commence est, à cette date, en Europe, spécifique du cas espagnol. Dans la mesure, toutefois, où le xviie siècle européen souffre entre le xvie et le xviiie siècle, d’une certaine lourdeur démographique, l’Espagne, une fois de plus, annonce, anticipe, exagère quelques-uns des traits les plus décisifs du xviie siècle européen.
56 Henri Lapeyre, Géographie de l’Espagne morisque, op. cit., et E. J. Hamilton, El florecimiento y otros ensayos, op. cit., p. 129.
57 Avant le cas français, on manquait d’exemples, à grosse échelle, dans l’orbite des données quantifiables de l’ère de la statistique.
58 Cf. ci-dessus, p. 1270-1271.
59 Cf. ci-dessus, p. 1236.
60 Cf. t. VI1, tables 130-132, p. 328-330 ; tables 140-142, p. 338-340.
61 Cf. ci-dessus, p. 1191-1192, 1199, 1215-1217, 1236-1237.
62 Cf. t. IV, p. 274-275.
63 Cf. ci-dessus, p. 1236-1237.
64 Cf. ci-dessus, p. 1238 et suiv.
65 Cf. t. VI1, tables 136-138, 140-142, p. 334-336 ; 338-340.
66 Cf. ci-dessus, p. 1238-1239.
67 Cf. t. IV, p. 248.
68 Ibid., p. 250.
69 Cette pénurie a été provoquée par l’anomalie négative des exportations de mercure de 1607 (cf. ci-dessous, Appendice, p. 1962) soit 1 700 quintales pour la Nouvelle Espagne. 1608, par contre, totalise pour la Nouvelle Espagne et la Terre Ferme, le niveau record de 7 431 quintales. Le niveau des exportations vers la Nouvelle Espagne a été dépassé, une fois déjà, en 1589, 6 557 quintales, mais il ne le sera plus avant 1653 dans un contexte, d’ailleurs, très différent, qui en fait une fausse égalité. 11 ne le sera plus, disons, avant le xviiie siècle. L’ensemble des exportations de mercure ne sera pas dépassé avant1622.
Par conséquent, même sur l’indice d’activité mercuriel, la situation de 1608 est une situation exceptionnelle.
70 Cf. t. IV, p. 252.
71 Ibid., p. 256.
72 Cf. ci-dessus, p. 1277-1278.
73 Cf ; t. VI1, table 227, p. 473 notamment.
74 Cf. t. IV, p. 264-265.
75 Cf. t. VI1, table 226, p. 471-472 notamment.
76 Cf. t. VI1, tables 165-167, p. 364-366.
77 Cf. t. VI1, tables 174-176, p. 373-375 et t. VII, p. 77.
78 La part en tonnage, 34 % des Allers à la Terre Ferme, en 1608, est légèrement inférieure à la part correspondante du même mouvement dans le cycle et la fluctuation (37 % de 1605 à 1613, 43,4 % de 1605 à 1607, 36,2 % de 1603 à 1611, 36,1 % de 1612 à 1613).
79 Le niveau qui s’en rapproche le plus, celui de 1584, reste, quand même, sensiblement assez loin derrière, avec 71 unités et 21 590 toneladas (cf. t. VI1, table 182, p. 384) ; vient ensuite 1586 avec 99 unités et 20 500 toneladas (ibid). Il est possible que le mouvement unitaire ait été égalé à la fin de la première moitié du xviie siècle, en 1549, vraisemblablement (101 départs, cf. t. VI1, table 181, p. 380), mais avec un matériel beaucoup plus petit (de tonnage unitaire, pratiquement, moitié moindre) et sans que la précision avec laquelle la ventilation est connue, permette de l’affirmer avec une absolue certitude.
80 On tombera, ensuite, à 18 900 toneladas en 1615, 16 710 toneladas en 1610,16 605 toneladas en 1624, 15 081 toneladas en 1612, puis 12 868 toneladas et 12 224 toneladas en 1614 et en 1627.
81 Cf. ci-dessus, p. 1243 sq.
82 Cf. t. VI1, tables 181, 182 et 183, p. 382, 386, 390.
83 Cf. ci-dessus p. 341, 101,7 toneladas, en raison de la disparition des flottes et de la seule représentation des sueltos.
84 Ci. t. VI1, table 223, p. 473 notamment.
85 Cf. ci-dessous p. 1768-1769.
86 Malgré un léger gonflement du plancher des prix, de 10 % environ (indices de 1590 1592 : 113,97, 117,12 ; indice de 1608 : 134,07), malgré, surtout, des niveaux volumétriques tellement dissemblables. 1590, 125 navires, 25 310 toneladas ; 1592, 117 navires, 15 280 toneladas ; 1608, 202 navires, 45 078 toneladas. C’est entre 1592 et 1608 que la distorsion est plus surprenante, puisqu’elle crée une présomption de valeur unitaire triple, des exportations en 1592 par rapport au terme de référence de 1608.
87 C’est, du moins, ce qu’on sera tenté d’extrapoler des « index numbers of grain prices » de E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 390-391-392.
88 Cf. ci-dessus, p. 814, 827, 838.
89 Cf. ci-dessous, p. 1293-1295.
90 Cf. ci-dessus, p. 474 sq., 750 sq..
91 Cf. t. IV, p. 262-269.
92 Ibid., p. 262.
93 Ibid., p. 264.
94 Ibid., p. 262.
95 Ibid., p. 262.
96 Ibid., p. 264-265.
97 Cf. ci-dessus, p. 852-919.
98 Cf. ci-dessus, p. 1208-1210.
99 Cf. E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cité, p. 215-216.
100 Cf. ci-dessus, p. 1289-1290.
101 Cf. ci-dessus, p. 1258-1265.
102 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cité, p. 34 et 35.
103 Cf. ci-dessus, p. 900-919.
104 Cf. ci-dessus, p. 1250, 1289-1290.
105 On peut poser, à peu près, en manière de règle, pour l’interprétation de la série capitale des importations à Séville des métaux précieux (calculée d’après les déclarations officielles, par E. J. Hamilton), qu’à partir des années 1580 et plus sûrement 1590, on est en présence d’une sous-évaluation de la réalité vraisemblablement croissante. En conséquence, tout décrochement négatif risque d’être exagéré, il peut même, à la limite, s’il est très faible, être contesté ; tout décrochement positif, par contre, peut être pris au pied de la lettre et considéré comme représentant une indication minimale.
Cette règle est particulièrement valable entre la première moitié et la seconde moitié de la décade 1601-1610. On voit, de prime abord, qu’elle invite à prendre très au sérieux, l’indicatif n de décrochement positif de 1606-1610 par rapport à 1601-1605 de la série officielle.
Il en serait déjà, même ainsi, si on n’avait pas, par ailleurs, de bonnes raisons de suspecter l'efficacité des contrôles de la seconde demi-décade, plus que ceux de la première.
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