Chapitre X. Le cycle de l’argent (1578-1592). Troisième fluctuation : la fin d’une prospérité prématurée (1588-1592)
p. 767-841
Texte intégral
11587 ouvre la porte sur une longue période exceptionnellement troublée, dont l’analyse va se révéler particulièrement difficile, tant il sera malaisé de faire le départ, dans cette masse, entre les facteurs purement économiques et les facteurs externes d’une conjoncture qui se laisse difficilement réduire.
I. — CARACTÈRES GÉNÉRAUX
2Avant d’entrer dans l’analyse annuelle qui finit toujours par s’imposer, on s’attachera à retrouver, d’abord, les traits les plus généraux de cette longue période de dépression, certes, mais d’une dépression aussi complexe que constructive.
AMPLEUR ET LOCALISATION DE LA RÉCESSION
3Sa première démarche consiste à se montrer fidèle aux leçons approximatives, mais sûres, pourtant, dans leurs limites mêmes, du découpage conventionnel des mouvements dans la chronologie rigide de l’année civile.
1. Ampleur
4Le fait qui s’impose à l’observation la plus superficielle — elle n’est pas, nécessairement, la moins valable — c’est l’étonnante chute des mouvements à laquelle on assiste à la fin de la fluctuation, malgré les forts niveaux, encore, de 1588, en Allers, de 1588 et de 1589, en Allers et retours.
5Cette brutale rupture — elle est de l’ordre d’un tiers — est entraînée, on le verra, par le seul mouvement volumétrique des Retours.
6Sur l’expression la plus globale et la moins contestable du mouvement (les Allers et retours, en tonnage, toneladas ou tonneaux de jauge), on passe du niveau de 40 847 toneladas de la période précédente aux 31 160 toneladas de la troisième et dernière fluctuation primaire (1588-1592). 31160 toneladas, on est encore à 10 % en dessous de la moyenne de toute la fluctuation, soit à peu de choses près, le niveau moyen d’une période très antérieure (31 585 toneladas de 1572 à 1578 ; 32 193,5 toneladas de 1572 à 1575) ; un niveau inférieur donc, à celui que, dans les mêmes conditions, le mouvement avait atteint, quelque quinze à vingt ans plus tôt.
7Mais, avant de tirer la moindre conclusion d’une situation semblable — elle est trop nette pour qu’on soit tenté de l’écarter d’un revers de main, ou de la porter à l’actif d’une quelconque imprécision de la mesure — il importe de localiser parfaitement la position de l’accident.
2. Modification du matériel naval
8Cette récession est purement imputable à une vertigineuse modification du matériel employé : un peu comme si, d’une demi-décade sur l’autre, on était brusquement revenu au matériel des premières décades, à celui qu’on utilisait du moins, à la fin de la première demi-phase longue d’expansion, soit quelque cinquante ans plus tôt. Les seules séries unitaires du mouvement, donneraient même, sur les Allers et retours, l’impression d’un progrès continu : 169,2 unités annuelles moyennes de 1588 à 1592, 163 seulement de 1584 à 1587, 108 2/3 de 1579 à 1585, contre 145,75 encore pour l’ensemble de la fluctuation1
9a. Les pertes
10Ampleur apparente. — La cause d’une telle modification — elle est sensible, pendant trois demi-décades, on s’en souvient2 sur le tonnage unitaire moyen des navires dans la Carrera — est, évidemment, d’ordre politique et militaire : les destructions en gros navires causées, en 1587, par le raid de Drake sur Cádiz, mais, surtout, l’énorme ponction de l'Invincible Armada, 58 000 tonneaux3 pratiquement détruits à 100 %, constitués pour l’essentiel, de gros de très gros navires. Ces géants auront surpris et comme scandalisé les Anglais, ces gens du Nord, accoutumés à un matériel naval, plus maniable, peut-être, mais, en moyenne, quatre fois plus petit que le matériel espagnol. On en connaît l’origine : la Carrera de Indias a fourni, dans sa quasi-totalité, l’équipement naval de la grande expédition. Où puiser ailleurs, une telle masse ? Le caractère insolite, quasi insolent, de la grande expédition de 1588 a été parfaitement senti par les contemporains. Le grand empire Atlantique de l’Espagne pouvait, seul, se payer ce luxe, qui devait se révéler, à l’usage, inutilement coûteux.
11Il est impossible de mesurer exactement ce que fut l’ampleur des pertes par rapport au stock disponible des navires, à la veille de la grande expédition. Étant donné le rythme de rotation des navires et les niveaux mis en cause, lors de la fluctuation primaire du sommet cyclique de 1584 à 1587, on peut raisonnablement estimer à plus de 100 000 tonneaux, le capital navire de l’Atlantique hispano-américain. Le prélèvement et les pertes de 1588 — compte non tenu des pertes dues aux raids de Drake — auront été de l’ordre des 50 %. Avec les raids de Drake et l’incendie de Cádiz, on dépasse, vraisemblablement, les 60 %, en gros, du potentiel total — 60 % au terme d’une vague de puissante prospérité, partant, d’utilisation maximale de la capacité physique de l’armement — on imagine, sans peine, les torsions et les dramatiques réadaptations qu’une opération chirurgicale de cette ampleur allait entraîner.
12Ampleur réelle. — L’évaluation du niveau des pertes globales subies par l’armement traduit mal, d’ailleurs, les pertes réelles. Il faut tenir compte, en effet, de ce caractère essentiel, souvent répété, à savoir que la ponction opérée pour les préparatifs de l’Invincible Armada, à la différence des destructions des raids anglais des années précédentes qui frappèrent le tout venant, a été infiniment plus grave, parce que sélective. Elle aura choisi, à peu près exclusivement, les plus gros et les plus jeunes, les plus solides également ; d’où des pertes qu’il est impossible de surestimer. Les affrètements payés par le Roi, pour les navires réquisitionnés, ne changent rien au problème, ou pas grand-chose4. Si on tient compte d’une vie et d’un prélèvement surtout de navires jeunes, on conçoit que l’invincible Armada ait impliqué, dans l’immédiat, l’obligation d’un renouvellement pratiquement intégral du matériel.
13On ne sait pas ce que représentait, exactement, le matériel naval, dans l’ensemble des capitaux nécessaires pour l’exploitation de l’Atlantique espagnol et hispano-américain. Une fraction certainement très considérable. Même avec un rythme de remplacement normal rapide (dix à quinze ans), une telle charge aura été pénible. Elle arrivait, heureusement, on l’a vu, après une période de haut trafic, donc, de facilités financières. C’est pourquoi l’Espagne, entendez Séville et son Atlantique, ont si rapidement comblé leurs vides, comme le notait, avec une rare intuition, Henri Hauser, il y a plus de vingt ans déjà. Si rapidement, non ; le coup d’arrêt on s’efforcera de le mesurer, aura été sensible, toutes les structures navales de l’Atlantique hispano-américain en sortent perturbées, comme le prouve, notamment, la modification à contrecourant sur quinze ans, du tonnage unitaire des navires5.
14b. Baisse du tonnage unitaire.
15C’est ce que prouve, en effet, le chiffre, surprenant, de 183 toneladas, calculé précédemment pour le tonnage unitaire moyen des navires, tant à l’Aller qu’au Retour, pendant la fluctuation primaire 1588-1592 : qu’est-ce, sinon le signe le plus tangible de l’engloutissement, pour un long temps, des plus grosses et des plus belles unités. Et presque une désaffection, plusieurs années durant, à l’égard de ce matériel exceptionnellement lourd, exceptionnellement coûteux, dont on était si injustement fier et qui a tenu si mal ses promesses.
16Le matériel qui reste nous ramène près d’un demi-siècle en arrière. En fait, c’est le matériel, en gros, des îles et des zones marginales. Les îles et les parents pauvres du continent — à l’écart des deux grands axes nourriciers du trafic orientés en direction de la Vera Cruz/San Juan de Ulúa, de Nombre de Dios/Puerto Belo — les départs de l’archipel canarien auront conservé, on l’a vu6, pendant toute notre période, le même matériel naval, le matériel de la conquête, le matériel qui permet l’accès des ports mal définis, en bravant les hauts fonds. C’est ce matériel qui doit, pratiquement seul —après l’élimination accidentelle pour un temps, des gros navires — assurer tout le trafic. L’insolite moyenne unitaire, de 1588 à 1592, de 183 toneladas pour les Allers et retours, (181,4 pour les Allers, 189 pour les retours), traduit cette réalité ; elle exprime l’impact du plus grave élément accidentel, externe, peut-être, auquel, dans toute son histoire, la Carrera ait eu à faire face.
17c. Age moyen des navires. — Mais on dispose d’autres séries chiffrées pour serrer le problème au plus près. Particulièrement précieuses, à ce propos, malgré leur caractère relativement sporadique, les indications sur l’âge moyen des navires7. De 1576 à 1590, on notera une diminution à peu près régulière de l’âge moyen du matériel utilisé. Au cours de la demi-décade 1576-1580 : 8 ans, avons-nous dit ; 6,9 ans, de 1581 à 1585. Voilà qui traduit bien le passage d’une queue d’assez longue dépression à une période d’extrême pression conjoncturelle. Le rajeunissement est sensible, mais non excessif, on le comprendra sans peine, en raison de l’extrême tension conjoncturelle elle-même.
18Si on construit de nouveaux bateaux, si des navires neufs sont introduits en aussi grand nombre que possible, dans les circuits de la Carrera les vieux navires voient en outre, leur temps de service prolongé. D’où un rajeunissement, par adjonction d’une masse importante de bâtiments neufs, avec maintien, toutefois, en service, du vieux matériel, voire du très vieux matériel légué par une phase relativement longue de contraction, donc, conservatrice déjà, par nature, des très vieux navires.
19De 1586 à 1590, période placée globalement, dans son ensemble, sous le signe de la contraction, le rajeunissement du stock est, « paradoxalement », plus grand encore que dans la période précédente, puisque, toujours selon nos estimations, en gros, l’âge moyen passerait de 6,9 ans, à 4,7 ans — soit une réduction, tant absolue qu’a fortiori proportionnelle, beaucoup plus importante que dans le cas précédent. On serre, en effet, ici, tout simplement, par un procédé nouveau, la réalité et l’ampleur des conséquences de la ponction politique et militaire des années 1587-1588. Il n’y a plus seulement rajeunissement, mais diminution et modification de la flotte par une large destruction de toute manière sans précédent ; ce qui peut même et doit surprendre, ce n’est pas tant la chute verticale attendue de l’âge moyen du stock, mais bien que cette chute prévisible ne soit pas plus importante encore. Outre l’imprécision fatale de nos mesures, cette chute, certaine mais limitée, corrobore le fait déjà souvent signalé, mais, une fois de plus, retrouvé, du caractère sélectif de la ponction de l'Invincible. Elle a fait sortir les plus jeunes, et garder les plus vieux prolongés au-delà du raisonnable. Malgré tout, l’adjonction fatale de nouveaux navires, hâtivement construits, aura entraîné une réduction de l’âge moyen.
20Cette réduction, ce rajeunissement du stock se poursuit, d’ailleurs, au-delà du terme de la fluctuation, on le verra plus tard. De 1591 à 1595, nouvelle chute de 4,7 ans à 4,3 ans8, malgré une conjoncture, dans l’ensemble, plutôt défavorable. Rien de troublant, au contraire, Elle confirme l’hypothèse de la prolongation d’un très vieux matériel dans la période de transition et d’extrême pénurie qui suit l’Invincible... Malgré, une conjoncture, dans l’ensemble médiocre, il aura fallu procéder à l’élimination, d’abord, de ce trop vieux matériel, dont le temps de service avait été anormalement prolongé, au cours d’une période d’expansion, suivie d’une période de destruction sélective. C’est bien de ce processus que la continuation du rajeunissement, de 1591 à 1595, rend compte.
21Au-delà, exactement dans le même ordre d’idée, on reçoit de nouvelles confirmations. De 1596 à 1600, au cours d’une demi-décade qui est plutôt couverte par un temps d’expansion, on passe de 4,3 ans à 3,8 ans, soit encore un rajeunissement — toujours dans nos estimations grossièrement valables. Confirmation du rajeunissement, c’est tout à fait normal. Puisque on est sous l’effet conjugué des destructions précédentes et de la conjoncture d’expansion, en période d’accroissement du volume global du tonnage de la Carrera, sans qu’un stock important de vieux navires (les survivants d’avant l’Invincible sont maintenus définitivement éliminés) puisse encore constituer volant. Les plus vieux sont éliminés et les navires réintroduits après 1588 ont été progressivement remplacés par des éléments plus jeunes.
22Ainsi, l’analyse de l’âge moyen des navires confirme pleinement, en leur conférant l’autorité du chiffre, les hypothèses qualitatives précédemment avancées.
23d. Catégories et origines. — On pourra trouver d’autres appuis du même ordre dans la catégorie et l’origine des navires9. La proportion des petits navires et des navires étrangers s’accroît brusquement après la crise de 1587-1588. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer minutieusement ce que l’on sait du matériel employé et recensé de 1579 à 1587 d’une part et de 1588 à 1592, d’autre part.
24Deux catégories sont particulièrement intéressantes, celles des barques et des felibotes. D’une part sur 134 navires connus avec précision de 1579 à 1587, 8 barques, donc, 8 tout petits bateaux sûrs ; 44, par contre, sur 160 de 1588 à 1592. De 5,8 % de 1579 à 1587, la proportion des tout petits navires passe, donc, à 27,5 % de 1588 à 1592.
25Tout aussi parlante, la catégorie des felibotes. Parce qu’il s’agit, à la fois, d’un navire relativement petit, disons, du moins, relativement plus petit que la moyenne, à la belle époque (180 tonneaux, en moyenne, à cette époque), parce qu’il s’agit, nécessairement, d’un étranger. La catégorie non discernable avant 1590, partant de 1579 à 1587, fait une entrée massive en 1591 et 1592. On dénombre alors 22 voyages en deux ans sur 80 navires connus avec précision, soit plus d’un quart. Comment exprimer, plus éloquemment que par ce procédé statistique détourné mais sûr, la brusque ouverture de l’Atlantique espagnol et hispano-américain, aux navires étrangers, plus particulièrement, aux navires du Nord qui viennent combler les vides, attirés par une zone de fret cher, des perspectives d’ouverture sur de fructueux trafics, alléchés par le relâchement des interdits espagnols, avec le secret espoir, peut-être, non complètement frustré, que les portes, une fois ouvertes, ne seront plus refermées ?
26Autre forme d’approche, exactement sur le même modèle : de 1579 à 1587, on peut dénombrer, avec les restrictions d’usage, 8 navires donnés comme étrangers (il y en a évidemment plus, seuls sont comptés, ici, les explicites comme tels, en raison de hasards documentaires) sur 134 exactement repérés ; de 1588 à 1592, la proportion passe à 34 sur 160, soit de 5,9 à 21,25 %. On peut poser — toutes choses étant égales — que la croissance de la part des étrangers, aura été, dans le même temps, dans l’ordre, au moins, du rapport de 5,9 à 21,25. Brutale intrusion, donc (on en a eu une autre preuve dans le test des felibotes), de l’ordre du quadruplement des navires étrangers.
27Telle est, peut-être, une des conséquences les plus lourdes, les plus irréversibles de la crise du tonnage de l’Invincible. On peut affirmer que le processus aura été irréversible.
28Toujours dans le même ordre d’idées, on sera sensible à la brusque réapparition, dans le mouvement Allers, des Canariens10. Elle influe, cela va sans dire, sur l’évolution du tonnage unitaire ; elle implique, ce qui est plus grave, un brusque relâchement du barrage monopoleur de l’armement continental, l’acceptation d’une défaite11 (ou, du moins, la reconnaissance d’une difficulté momentanée. La part des Canariens était, officiellement, d’une unité, 80 toneladas, pour la période de la première fluctuation primaire de 1579 à 158312, de 15 unités, 1 575 toneladas de 1584 à 158713, (89 unités et 7 260 toneladas de 1588 à 159214. Elle se sera accrue, proportionnellement d’une fluctuation primaire sur l’autre, au cours du même cycle, donc, de 1 pour 1 000 à 2 pour 100 et plus de 7 pour 100, pour finir. Une telle acceptation de la part de Séville, sans trace, dans la correspondance de la Casa de la Contratación, de résistance apparente, comme en d’autres circonstances, voilà l’aveu d’une considérable défaite, pour le moins, d’une lucidité inhabituelle.
3. Le Rapport Allers/Retours
29Cette récession, par élimination des gros navires, consécutive à la ponction de l’Invincible Armada, au tout premier chef, se sera exercé, en outre, d’une manière très inégale, suivant le sens du mouvement.
30Ce sont les Retours et les Retours seuls qui portent la responsabilité de la profonde échancrure observée d’une fluctuation sur l’autre.
31a. Mouvement Allers. — A en croire, en effet, le seul mouvement Allers, encore que son rythme de croissance soit en très sensible perte de vitesse, le trafic continuerait sa marche en avant, avec un décrochement en tonnage de 5 %15, de 40 % sur l’expression unitaire du trafic16.
32Cette situation, pour le moins surprenante, s’explique surtout par les gros départs noués de 1588 — conséquence de la fondrière accidentelle de 1587— et ceux de 1590. Elle découle, en partie, du nœud des Retours qui se sont accumulés, on a vu comment17, sous l’action d’une pression conjoncturelle insolite, au cours, pratiquement, des deux premières fluctuations du cycle... Accumulation de petits navires, de médiocre qualité, qui seront saisis dans les départs des années hautes de 1588, 1589 et 1590. A l’Aller, les trois années hautes des deux fluctuations — élimination faite du creux, toujours plus ou moins accidentel — s’équilibrent en tonnage, 77 899 toneladas (1588-1590) contre 75 055 (1584-1586), sinon en nombre, 377 unités d’une part, de 1588 à 1590, 290 unités de 1584 à 1586. Ces distorsions sont donc bien le fait du reflux massif, en direction des Indes, d’une masse considérable de petits et de médiocres navires qui n’ont pas leur place, normalement, sur la rive européenne de l’Atlantique hispano-américain, dirons-nous qu’il s’agit, des laisser pour compte de l’effort militaire ?
33Il suffit, pour s’en assurer, de suivre attentivement les pourcentages des pertes18 : même incomplets, ils sont parlants. Les pertes maximales de toute la fluctuation se situent en 1589-1590 et 1591, avec, respectivement, 15, 17 et 20 navires recensés, 4 510,3 710, 6 630 toneladas 10,58 %, 13,98 %, 22,66 % du mouvement global. Ces niveaux tout à fait exceptionnels des pertes et jamais alignés sur une aussi longue période réduisent considérablement, d’une part, la signification économique du mouvement des années de la dernière fluctuation primaire, plus en contrebas qu’il n’apparaît, de prime abord, par rapport à la fluctuation primaire pilier de 1584 à 158719. Mais ces pourcentages insolites expriment, surtout, l’insécurité des communications, du fait de la guerre, certes et la fragilité d’un matériel de médiocre qualité.
34Si l’armement à l’Aller semble avoir fait face, au-delà de ce qu’on pouvait, a priori, espérer, s’il n’a pas, en apparence, accusé le coup, cela aura été, à l’aide d’un matériel de rebut. Et à quel prix. Il aura fallu payer une très lourde note en richesses englouties, moins par les coques sans valeur de navires épuisés que par leur contenu. Plus lourde, encore, les pertes en hommes au moment où les gens de mer sortent d’être éprouvés, comme ils ne l’ont jamais été. Encore une séquelle après d’autres, du coup de l’invincible. Elle agit comme un multiplicateur et un écho. Il n’est, décidément, pas commode d’en mesurer tous les effets.
35b. Mouvement Retours. — Le comportement des Retours sera, cela va sans dire, tout à fait différent, puisqu’ils portent seuls la responsabilité du très grave fléchissement bien dessiné sur les globaux. Par rapport à la fluctuation précédente, la chute est vertigineuse, aussi vraie presque en unités, qu’elle ne l’est en tonnage. Cette fois, donc, bien incontestable. De 82 2/3 navires (niveau annuel moyen des Retours de 1584 à 1587) on passe à 55,2 navires (de 1588 à 1592), 21 339,9 toneladas (niveau annuel moyen des Retours en tonnage de 1584 à 1587), à 10 476,8 toneladas seulement (de 1588 à 1592), chute d’un tiers, d’un côté, de plus de moitié, de l’autre. Pour retrouver, en tonnage, un niveau aussi bas, il faudrait revenir très loin en arrière, sortir, au vrai, de la seconde phase longue d’expansion, pour remonter jusqu’à des moyennes de la grande récession du demi-seizième siècle, soit au cours des fluctuations primaires, 1560-1563, 1551-155420. Ces quelques chiffres mesurent clairement le caractère insolite de l’effondrement des Retours sur une période anormalement longue de cinq ans. Il y a, bien sûr, dans cet épisode, le contre-coup de l’anomalie positive du mouvement Retours, au cours des neuf premières années du cycle.
36Si le mouvement Retours a semblé, dans l’ensemble, conjoncturellement, moins important que celui des Allers, on ne saurait minimiser semblable accident. Il n’y a là, certainement, autre chose que le contre-coup du déséquilibre précédent. Usure du matériel naval, nécessité de reconstituer aux Indes le matériel détruit, incapacité, surtout, pour un matériel à bout de souffle, de faire un aller et retour sur l’axe Atlantique transversal Est-Ouest et Ouest-Est, soit parce que les navires utilisés sont définitivement hors de cause et condamnés aux chantiers de démolition, soit, parce qu’ils sont, du moins, incapables de prendre le chemin du retour, avant d’importantes réparations.
37On peut aller plus loin dans l’analyse. C’est, surtout, sur la ligne de la Terre Ferme que se produit cette distorsion. Les départs en direction de la Terre Ferme (52,4 % mouvement unitaire, 52,06 % en tonnage) assurent, par leur brusque mise en mouvement, le maintien des Allers à un taux insolite. Tandis que le repli de la Nouvelle Espagne est conforme à cette impression de recul qui domine toute la période et qu’il inspire, sur l’axe de navigation avec la Terre Ferme, les deux branches des ciseaux du mouvement Allers et retours s’écartent d’une manière presque fantastique : moins d’un navire sur cinq fait, sur la ligne, au cours de ces cinq ans, le voyage de retour, à peu de choses près, le quart du tonnage. Ce qui tend bien à impliquer, en outre, que ce sont les petits navires, employés pour faire face à la difficulté d’un moment, qui ont été sacrifiés et, plus particulièrement, sur l’axe des échanges avec la Terre Ferme, une Terre Ferme, pour un temps, redevenue motrice.
38Mais cet effondrement des Retours sur l’ensemble du mouvement a, vraisemblablement, des causes plus profondes : elle traduirait, au moins, partiellement, un relâchement de la pression conjoncturelle : au départ de Séville, il y a relâchement et la pompe semble, pour un temps, insuffisamment amorcée.
FACTEURS ÉCONOMIQUES ET POLITIQUES
1. Le mouvement en valeur
39Si on interroge le mouvement valeur et, plus particulièrement, malgré leurs lacunes, les séries de l’avería21, on notera une grande indépendance entre le mouvement volumétrique et le mouvement en valeur. Il semblerait que 1588 et 1589 se soient situés sous le signe d’une assez forte dépression, tandis que la reprise aurait été assez nette, dès 1590-1591-1592. Il y aura eu triage, avec, au cours des dernières années de 1590 à 1592, report des exportations de pondéreux en dehors du cadre chronologique de la fluctuation.
40Une première impression se dessine : celle d’une crise économique située sur 1588-1589, qui ne serait pas uniquement imputable à des facteurs physiques, en quelque sorte, extérieurs, comme la disparition des navires, mais bien à une respiration profonde du trafic.
2. Les prix
41Si on se tourne vers les prix, afin de chercher entre les prix et le trafic la corrélation habituelle, on va se heurter à quelques difficultés de lecture. Certes, on est bien en présence d’une profonde rigole, bien dessinée, dans toute la péninsule, puisqu’on retrouve le même fléchissement dans les quatre articulations géographiques découpées par Hamilton dans l’espace de la péninsule ibérique. Cette dépression est centrée sur les années 1587-1588. Elle anticipe un peu, en Andalousie, le reste du pays, suivant un ordre qu’on a souvent observé : elle est plus axée, sur 1587, en Andalousie ; un peu plus sur 1588, ailleurs.
42Suivant un type de corrélation qui a presque force de loi, dans la Carrière des Indes, on peut attendre de cette situation, une dépression sur le trafic, centrée sur les trois ans qui suivent : 1588, 1589 et 1590, quelle que soit, ensuite, la conjoncture des prix.
43Sorti de ce court mais profond marasme, un brusque décrochement ramène les indices, l’indice andalou-moteur, surtout, sur un plateau assez voisin du plateau conjoncturel précédent des années 1582-1583-1584, et ce plateau va se prolonger exactement durant sept années consécutives. Pendant sept ans, donc, un plateau des prix, particulièrement uniforme sur l’Andalousie, plus cahoteux, ailleurs. Ce plateau relatif en période de hausse à long terme doit être considéré, comme formant, en fait, une pente déclive : c’est, d’ailleurs, là ce qu’exprime la courbe22 des positions relatives d’écart à la moyenne de 13 ans, sur les indices globaux des prix-argent. De cette constatation, il découle donc que l’effet dégressif, à moyen terme, du creux des prix des années 1586-1588 n’aura pas été effacé par un décrochement suffisant. La mutation fondamentale se situe plus tard. C’est, très exactement, entre 1595 et 1596 que se produit le prodigieux rush par lequel culmine la révolution des prix dans la péninsule.
44Il n’y a donc pas contradiction entre ces données et le schéma habituel des corrélations prix espagnols/trafics dans l’Atlantique hispano-américain, tel que nous sommes en droit de le dégager à la lueur des expériences du XVIe siècle.
45On verra, par ailleurs, d’autre part23, comment s’établit, à assez long terme, une corrélation grossièrement vraie entre prix et trafics obéissant, en gros, aux normes du modèle classique : au cours du cycle 1593-1604, en effet, on distinguera, deux parties, sommairement, dans la marche des volumes. Une première partie relativement déprimée fait corps avec la dernière fluctuation primaire du cycle précédent de 1588 à 1597, voire à 1599 ; un plateau légèrement déprimé des trafics traduit le plateau légèrement déprimé des prix de 1586 à 1595, avec une translation normale de deux ans, dans le temps. Le déclenchement de la hausse des prix, au-delà de 1595, se retrouve, avec un décalage un peu plus prononcé, peut-être, dans la deuxième moitié du cycle 1593-1604, partie haute, également, sur les expressions volumétriques du trafic comparé à la phase précédente du cycle24.
46Une certaine concordance s’impose donc à l’esprit de tout observateur de bonne foi, suivant l’ordre de liaison bien souvent signalé, entre les prix lourds sans dynamisme tranchant —, sans que l’on n’observe, nulle part, quelques-unes de ces brusques accélérations motrices — de ce long plateau qui déborde largement les frontières du cycle du trafic clos par la dépression de 1592, et le plateau relativement déprimé de la dernière fluctuation primaire 1588-1592.
3. Les trésors
47Les arrivées des trésors en Espagne, vont donner un son de cloche analogue. Par rapport aux demi-décades encadrantes, la période 1586-1590 (23 832 630 pesos 1/2 au lieu de 29 374 612 dans la demi-décade précédente et 34 184 862 pesos 1/2 de 1591 à 1595) représente l’anomalie négative la plus importante qu’on puisse observer sur les arrivées des métaux précieux. Elle est, tout compte fait, un peu plus vigoureusement dessinée, même que la dépression comparable encadrée entre 1596-1600 et 1606-1610 qu’on observera, un peu plus loin, sur la série des importations officielles des trésors d’Amérique de 1601 à 160525.
48La dépression de la demi-décade 1586-1590 est même plus importante qu’on pourrait le penser, a priori. Elle n’affecte pas, en effet, de la même manière, trésors particuliers et trésors royaux. La montée de ces derniers est continue, avec de simples variations dans le rythme de l’accélération, tout au plus, de 1576-1580 à 1596-1600. La récession en sera d’autant plus profondément dessinée sur les trésors des particuliers, ceux-là qui affectent le plus directement, bien sûr, la marche même du trafic : 15 789 418 pesos contre 21 824 008, de 1581 à 1585 et 25 161 514 pesos (à 450 maravedís) de 1591 à 1595. Dans le cas, moteur des trésors d’entreprise26, bien plus encore que dans le cas précédent des trésors globaux, l’anomalie négative encadrée de la demi-décade 1586-1590 est la plus importante de toutes les anomalies négatives analogues observables sur la série des trésors des particuliers (ce décrochement n’est-il pas de l’ordre, presque du tiers, par rapport à la demi-décade antérieure ?).
49Or, ce qui compte pour la santé du trafic sévillan, c’est, très accessoirement, l’argent du Roi, mais c’est surtout fondamentalement celui du négoce. Ne simplifions pas à l’extrême. Les trésors d’État importés d’Amérique ne sont pas différents du trafic de Séville, puisqu’ils contribuent, notamment, bien sûr, mais au milieu de beaucoup d’autres facteurs, à assurer la solvabilité du Roi. Or, il est bien évident que le négoce de Séville est assez directement intéressé à cette solvabilité. La quasi totalité de l’argent du Roi, toutefois, sert à d’autres fins, il est. englouti, immédiatement avec le produit d’autres sources, dans le gouffre, sans fond, d’une grande politique de plus en plus dévoreuse : l’Angleterre, à combattre, la Flandre, à porter à bout de bras, la Ligue, à soutenir.
50Il en va tout autrement de la rubrique, argent des particuliers : ce que l’on saisit, ici, c’est, entre autres et, pour l’essentiel, on vient de le voir, les rentrées des maisons sévillanes. Le fléchissement des trésors des particuliers de 1586 à 1590, c’est, donc, un signe concordant de la plus haute importance, à replacer dans tout un contexte. Comment l’expliquer ?
4. Hypothèses et conjectures
51L’insécurité qui pèse sur les communications transatlantiques aura contribué, vraisemblablement, à commander ce réflexe. Crainte de tomber aux mains de l’ennemi, crainte d’affronter le risque de mer avec des navires insuffisants, crainte d’exposer de précieuses rentrées de bénéfices à une fiscalité accrue par la guerre et les dépenses qu’elle entraîne.
52Il faudrait, donc, admettre, de la part des négociants du plus grand Guadalquivir, maître de ce trafic, une espèce de volonté de retarder leurs rentrées, une opération de mise à l’abri du numéraire aux Indes.
53On est sensible à la parfaite analogie qui s’établit entre les indications fournies par la courbe des trésors et celle des trafics. Face à face, à peu de choses près, dans le même ordre chronologique, se placent l’anomalie négative des Retours et l’anomalie négative des arrivées d’argent à Séville. Cette corrélation trafic/trésors tend à corroborer l’hypothèse d’une immobilisation insolite des capitaux investis dans le commerce, par ralentissement des rythmes de rotation. Le haut niveau des Retours, dans la demi-décade de 1581-1585, par contre, correspond à la phase de grande prospérité des affaires dans l’Atlantique et à l’anomalie positive du mouvement Retours. A la limite, ces concordances donneraient à penser qu’à l’intérieur de ce cycle, au niveau d’une conjoncture intermédiaire le rythme de l’activité globale de l’Atlantique aurait été commandé, soit par une accélération, soit par un ralentissement du rythme de rotation des capitaux engagés ou, si l’on veut, par une aptitude plus ou moins grande des Indes à fixer les capitaux engagés dans le négoce. L’altitude de l’activité du trafic étant inversement proportionnelle, en quelque sorte, à l’aptitude des Indes à retenir, à freiner la fluidité du capital.
54La liaison trafic-trésor se révèle, à l’analyse, d’ailleurs, beaucoup plus étroite encore qu’on ne pourrait le croire, de prime abord : les courbes du trafic en valeur et en volume passent, autour de 1590, par un plan paradoxal de diffraction : en gros, le mouvement valeur, faible de 1588 à 1590, quand les volumes sont encore élevés, se redresse considérablement de 1590 à 1592 pour atteindre, même, des niveaux-records, quand les volumes s’effondrent. Faible niveau des valeurs échangées, marche ascendante, ensuite et reprise, tôt dans la décade des années 90, c’est exactement ce que donne la courbe des trésors de Hamilton. Cette concordance de bon aloi corrobore nos points de vue.
55Elle ne tranche pas, par contre, du difficile problème des causes. Faut-il attribuer à des facteurs politiques et militaires, cette rétention, aux Indes, d’un capital nécessaire au réensemencement des circuits de circulation ?Nul ne contestera que ces facteurs politiques et militaires ont joué à la base du processus un rôle primordial. Faut-il en déduire que la conjoncture de ces années aura été dictée par des facteurs purement externes ? Une telle conception serait impuissante, pourtant, à rendre compte d’une périodicité valable plus d’un siècle durant — et qui ne souffre pas d’exception dans le cadre chronologique du présent cycle. Tout porte à croire, donc, qu’à côté des facteurs d’ordre stratégique, d’autres facteurs ont joué. Leur conjonction, seule, est susceptible d’expliquer l’importance de l’accident qui se situe, on l’a vu, à la hauteur de la troisième fluctuation primaire. Le « politico-militaire », selon l’hypothèse la plus raisonnable, aurait seulement contribué à accuser un rythme qui se serait produit sans lui : responsable, donc, de l’amplitude plus que de la localisation et du fait même de la fluctuation.
56L’accident en creux des volumes (1588-1592) peut, d’une certaine manière, découler presque logiquement de l’anomalie positive 1584-1587. C’est ainsi qu’à la base de toutes les fluctuations économiques, il y aura la répercussion, suivant l’axe de longues chaînes, d’accidents initiaux, d’écarts de base. La texture de la matière économique, qui conduit ces ondes, a la double propriété, sans doute, de les conserver longuement, en ne les atténuant que d’une manière assez faible, d’une part, de leur imposer en quelque sorte son rythme propre, une longueur d’onde, dirions-nous. La conservation, l’accumulation et le renouvellement de chocs multiples est, à l’origine, une des causes essentielles des fluctuations régulières que nous observons sur un grand trafic, aussi ancien que celui-là.
57Dans ces conditions, l’anomalie de 1584-1587 — on s’en est longuement expliqué27 — devait, nécessairement, engendrer, à son terme, une anomalie inverse.
58Pour céder à la poussée conjoncturelle énorme du milieu de la décade des années 1580, à une époque, où, vraisemblablement, toutes les forces physiques ont été mobilisées, pour un temps très court, le plein emploi du potentiel physique de la Carrera aura, peut-être, été réalisé. A tel point, même, qu’il aura fallu procéder au dégarnissage des Indes, à une sorte de translation totale du capital et des navires des Indes en direction de l’Espagne. Cela va, pour faire face, un moment, mais une telle situation ne peut, naturellement, se prolonger, elle appelle un correctif, sous la forme d’un contrecourant qui ramènera l’ensemble du système Atlantique vers une position d’équilibre à la normale : le courant des années 1588, 1589, 1590, entendez une masse considérable d’Allers, non compensée par des Retours28 et, surtout, non accompagnée par une augmentation corrélative du mouvement en valeur, procède, sans doute, de cette recherche d’équilibre. Le mouvement de rétention et de reconstitution de substance aux Indes, logiquement appelé à se dessiner, après la folle tension des années précédentes, devait être facilité par les événements extérieurs, le peu de séduction à affronter un risque certain — grossi, sans doute, encore, par l’effet psychologique, provoqué par l’incendie de Cádiz, dans sa sacrilège hardiesse et l’énorme espoir frustré de l'Invincible.
59Ce ralentissement des Retours des Indes allait, très rapidement, gêner de nouveaux départs..., en raréfiant les disponibilités. Les capitaux qui s’investissent dans le grand négoce colonial sont constitués, pour l’essentiel, par ces Retours, bénéfices, sous forme de numéraire, de transactions antérieures. Et c’est ainsi que les années 1588-1592 vont payer, au prix d’un lourd passif, en quelque sorte, l’avance à l’allumage de la fluctuation antérieure de 1584 à 1587.
5. La crise européenne et française de 1588
60Tout cet échafaudage de conjectures pourrait paraître fragile, s’il ne trouvait pas de puissants secours dans des recherches voisines, étayées sur des séries documentaires totalement indépendantes de celles de la Casa de la Contratación, partant, non suspectes. On sait comment Frank Spooner29 a pu construire, avec les frappes monétaires globales de toute la France, une admirable série d’indices d’activité. S’appuyant sur ces données quantitatives et sur un certain nombre de renseignements littéraires, il souligne, avec une grande vigueur, l’importance de ce qu’il appelle la crise de 1587-1589, construite sur le renversement indiciel de 158830.
611588, si on suit l’auteur dans son raisonnement — et il est impossible de refuser aux données sur lesquelles il s’appuie une très grande autorité — constituerait, en France et hors de France, le point de départ d’une crise dont la signification dépasserait, sans conteste possible, le cadre de la conjoncture la plus courte.
62L’indice d’activité des frappes monétaires en France décroît de 1588 à 1620-1623, à un moment où — en 1589 — l’intervention ouverte de l’Espagne dans le conflit de la Ligue contre Henri IV amène, pourtant, un accroissement des exportations « politiques » de numéraire espagnol vers la France.
63Laissons à Frank Spooner la responsabilité des conclusions très étendues, trop hardies, au gré de certains, qu’il tire de ces données et de quelques autres. Une d’entre elles, au moins, est hors de doute : en dehors même de l’Espagne, en Europe et plus particulièrement en France, 1588 ouvre, pour plusieurs années, une crise sérieuse. Certains la prolongent sur plusieurs décades. Nous n’avons pas autorité pour trancher. L’expérience espagnole nous montre, toutefois, que les effets de l’accident de 1588 se sont dans l’Atlantique, dix ans plus tard, dissipés. Une nouvelle prospérité dans les trafics transatlantiques se situe entre 1597-1598 et 1610, dont les niveaux d’échanges dépassent largement, ceux de la prospérité précédente des années 80.
64Faut-il s’étonner, dans ces conditions, que l’année 1588 si importante dans l’histoire de l’Europe, tout entière, ait été riche, aussi, dans l’Atlantique de Séville, de signification ?
65Un problème subsiste. Expliquer ces concomitances et ces synchronismes des années 1587-1588-1589 et suivantes, en France, en Europe et dans l’Atlantique espagnol et hispano-américain.
66On sera tenté — suivant un schéma très souvent valable — d’attribuer au drame qui secoue, à cette époque, l’Atlantique dans son axe Europe-Amérique, une lourde part des responsabilités dans la crise européenne des années 88. La respiration prévisible du trafic, mais accentuée par les lourds incidents de la guerre anglaise — Cádiz (1587), l’Invincible (1588) — aurait commandé une grave crise européenne. On tiendrait la preuve, une fois de plus, du caractère moteur de la conjoncture Atlantique. Ce schéma doit incorporer, selon toute vraisemblance, une part importante de la réalité.
67Il serait hasardeux, toutefois, de trancher trop vite en sa faveur. Une chose reste gênante : les limites chronologiques du marasme consécutif à la crise de 1588, hors d’Espagne, en France, notamment, si on suit Frank Spooner, dépasseraient assez largement le cadre finalement assez restreint de son homo logue dans l’Atlantique hispano-américain. Il faudrait donc, admettre, sauf révision, du déroulement admis de la conjoncture non espagnole, qu’une crise de moins longue durée ait pu engendrer, hors de l’espace où elle a pris naissance, une crise de plus longue durée. L’hypothèse n’est pas exclue a priori. Il suffit, en effet, que des conditions locales, formant écho, accentuent un mouvement de dépression qui aura trouvé, hors de l’Atlantique de Séville, des conditions meilleures pour se développer précocement. L’hypothèse est très vraisemblable. On pourrait imaginer, aussi — variante de la précédente hypothèse — que des causes communes, en dehors de celles énumérées, aient tendu, dans l’Atlantique et en Europe, à des effets identiques.
6. Importance de la crise de 1588
68Un fait sûr subsiste, toutefois. On peut, raisonnablement, le considérer comme acquis. Tout un faisceau concordant d’indices invitent à conclure à l’importance de l’accident marquant la fin du cycle : 1588 constitue bien le terme d’une prospérité prématurée.
69Le moins paradoxal, ce n’est, certes, pas de trouver dans l’Atlantique espagnol une modalité propre de la crise de 1588. L’originalité de l’Atlantique hispano-américain est ailleurs, dans les proportions relativement modestes, malgré leur ampleur, d’un accident qui ne marque, ici, rien plus qu’un temps d’arrêt.
70Le plus paradoxal, n’est-ce pas tout l’opposé, que l’apparent sommet des années 80 puisse être porté plus haut encore, qu’il soit suivi et dépassé par la prospérité, plus puissante encore, des deux premières décades du xviie siècle ?
71Et pourtant, nous touchons au terme de l’allègre montée. La masse entière va continuer d’avancer, certes, mais sur sa lancée. L’avance à l’allumage n’y est plus. Séville pourra encore progresser d’elle-même, en raison du volant prodigieux que lui confère sa masse anormale. Il lui faudra renoncer, pourtant, une à une, à entraîner plus avant d’autres économies, la française, notamment, si on en croit des données récentes31. Il est certain qu’on approche du terme d’une période, tant il est vrai qu’en économie, comme peut-être, dans toutes les activités humaines, l’accélération des mouvements est plus importante encore que les niveaux absolus des mouvements eux-mêmes.
72La crise de 1588 et des années qui suivent peut donc être choisie légitimement comme point de repère d’une grande division chronologique. Les crises européennes de 1588 et de 1619 encadrent, à très peu de choses près, dans l’Atlantique, le grand plateau bombé au cours duquel s’effectue, en profondeur, le travail du renversement des tendances majeures.
II. — LA FLUCTUATION ABUSIVE DÉGÂTS, MARASME ET DIFFICILE REPRISE (1588-1590)
73S’il est facile de diagnostiquer un long marasme, au cours de la presque décade qui s’étend, mordant au-delà du cycle reconnu, après l’Invincible Armada, l’analyse détaillée de la situation offre, par contre, de sérieuses difficultés. C’est, qu’au vrai, au cours de ces années de conflits maritimes tendus à l’extrême, les facteurs politiques et militaires, jetés au premier plan, rendent particulièrement difficile la lecture des autres phénomènes, qui sont comme effacés et noyés dans la lumière, trop crue, d’un premier plan qui échappe à l’économique pur.
CYCLES COURTS. — APPARENCES ET RÉALITÉS
1. Apparences
74Si on se fiait à l’apparence des totaux dans le découpage de l’année civile, on pourrait être tenté de distinguer, dans les cinq ans qui s’ouvrent de 1588 à 1592, deux fluctuations secondaires accolées : la première, encadrée par le creux du mouvement global de 1587 et de 1590, monte pendant deux ans, jusqu’au point de rebroussement de 1589, puis se termine sur une rapide retombée d’un an. La seconde vague, plus courte, comprend une brève montée d’une année jusqu’au sommet secondaire très relatif de 1591, puis redescend sur le creux de 1592.
75L’existence de ces deux fluctuations sur les volumes globaux, finalement, quand même, très vigoureusement dessinées, risque d’autant plus de surprendre, qu’au cours de ces années, mouvement Allers et mouvement Retours suivent des chemins qui risquent d’apparaître à l’observateur pressé totalement indépendants l’un de l’autre, voire délibérément inversés.
76En soi, il n’y a rien là de tellement surprenant. Le point haut des Retours de 1587 (98 navires, 29 529 toneladas ou tonneaux, 197,74 % par rapport à la moyen e) commande, peut-être, le point haut — il vaudrait mieux dire le faux point haut des Allers de 1588 (135 navires, 31 507 toneladas ou tonneaux, 153,04 % d’écart) Le point bas accidentel des Allers de 1587 (31 navires, 2 975 toneladas ou tonneaux, 15,24 % seulement du niveau correspondant sur la moyenne) se retrouve sur les Retours peu considérables de 1588 (55 navires, 9 890 toneladas ou tonneaux, 70,39 % de la moyenne).
77Puis le décalage se poursuit. Les Retours faibles de 1588 se retrouvent, dans une certaine mesure, sur les Allers un peu essoufflés de 1589 (55 unités, 9 890 toneladas ou tonneaux, 70,39 % d’une part, 117 unités, 21 072 toneladas ou tonneaux, 104,05 % d’autre part), l’essoufflement très relatif du mouvement Allers en 1589 (104,05 %) ne peut se justifier que relativement la chose va sans dire, aux niveaux plus élevés encadrants de 1588 (153,04 %) et 1590 (116,22 %). Les forts Allers de 1588 se retrouvent sur les importants Retours de 1589 (100 unités, 21541 toneladas ou tonneaux, 145,56 %). En 1590, naturellement, le jeu est inversé. Puissant niveau des Allers (125 unités, 25 310 toneladas ou tonneaux, 116,22 %) conséquence des Retours de 1589, faible niveau des Retours, par contre (12 unités, 1 210 toneladas ou tonneaux et 7,39 %), où l’on retrouve l’écho amplifié des Allers déficients de 1589... Le jeu se poursuit très exactement jusqu’en 1593, où, pour la première fois depuis 1586, on retrouve un alignement et une concordance annuelle qui ne s’étaient pas réalisés depuis le commencement de l’ère des difficultés. Raison de plus, pour conférer à 1592-1593 un rôle de frontière. Les événements quantifiables, qui marquent 1593 par rapport à 1592 et aux années qui la précèdent, invitent à situer à cette hauteur le point de départ d’un nouveau cycle.
2. Correctifs
78Mais, à cela, il convient d’apporter, immédiatement, deux correctifs :
791o Ce phénomène du déboîtage chronologique réciproque des Allers et des Retours réapparaît après 1593 et il dure, à quelques ruptures d’alternance près, jusqu’au terme de la période des difficultés. Cette structure granuleuse du trafic — elle réémergera à partir de 1628 — est liée à une caractéristique spécifique profonde du trafic, en période de contraction et de crise, la biennalité des départs et, plus particulièrement, des convois en direction des deux grandes hases continentales de l’Atlantique hispano-américain, la Nouvelle Espagne et, plus encore, la Terre Ferme. Quand la demande ou la propension à exporter, voire à importer (au xviie siècle), se relâche et, a fortiori, quand, en outre, la direction du mouvement cesse d’être exclusivement liée, géographiquement, au rivage européen du Grand Océan, la masse des produits à échanger est trop réduite, pour permettre le bon fonctionnement de deux convois annuels, entendez — à notre échelle — un écoulement continu. Il s’ensuit, dors, ce rythme saccadé, que nous venons de constater, qui est appelé à devenir une caractéristique du xviie siècle.
80Rythme saccadé, grossièrement biennal, c’est bien, d’abord, ce qui caractérise Allers et Retours, étudiés individuellement, dans le cadre chronologique de l’année civile. On voit l’imprudence qu’il y aurait à tirer, trop vite, des conclusions en conjoncture de caractéristiques qui sont, en grande partie, d’ordre technique, structurel, si on veut. On pourra, toutefois, y joindre cette conclusion de conjoncture : l’apparition d’une structure granuleuse des mouvements est, au sein du trafic, un signe de mauvaise santé, de conjoncture difficile32.
812o Le rythme du mouvement global est calqué, non sur les Allers, mais sur les Retours. Cette situation pourra paraître d’autant plus surprenante qu’on aura vu l’insignifiance des Retours dans le mouvement de 1588 à 1592, véritable anomalie d’une exceptionnelle vigueur, puisque le mouvement Retours représente, à très peu de choses près, 50 % seulement du mouvement Allers (50,65 %). Une telle situation n’est, évidemment, pas le fait du hasard. Si, malgré leur faible niveau, les Retours sont capables d’imprimer tout au long de cette période, leur allure aux globaux, c’est en raison de l’extrême accentuation de leur rythme, de l’extraordinaire amplitude de l’onde. Et l’on retrouve, une fois de plus, l’influence considérable de la quasi biennalité des Retours.
82Qu’est-ce à dire ?Faut-il nier au rythme résultant des globaux —ce rythme qui est avec des amplitudes relatives moindres celui des Retours — toute signification ? Non, puisque dans la mesure même de son existence, il aura tendance à se perpétrer. Ne serait-ce qu’en raison, dans un tel régime, de la discontinuité des retours de numéraire en provenance des Indes. Seule, une étude détaillée, plus proche de la réalité, permettra, peut-être, de faire dans le dessin du mouvement, les départs qui s’imposent entre ce qui est important et ce qui l’est moins. On verra s’esquisser, sans doute, un plateau bombé, autour de 1589, mais, plus que ces détails, c’est une impression de lourd, de long marasme qui apparaît fondre le détail annuel sur plus de trois ans, dans une teinte d’uniforme grisaille.
1588. — UNE EXPANSION EN TROMPE L’ŒIL
83Une analyse un peu attentive risque de donner une certaine consistance à l’hypothèse d’un plateau bas, mais légèrement bombé autour de 1589.
1. Apparence et réalité
84Il convient, en effet, tout d’abord, de ne pas se laisser prendre par certaines impressions trompeuses : une de ces impressions est celle qui se dégage du mouvement volumétrique global, tel qu’on le verra calculé dans les tables, les plus sûres, pourtant33. 1588, selon ces données — on les a considérées, pourtant, comme particulièrement objectives — donne l’impression d’un point haut. En Allers, surtout, le deuxième du cycle, très près du niveau record de 1586, avec 135 navires, 31 507 toneladas ou tonneaux (10 à 5 % d’écart, seulement des 148 navires, 33 270 toneladas ou tonneaux de 1586). Exprimé en toneladas, il ne sera dépassé qu’une fois (en 1608) et égalé, une fois, en 1601. Ce qui lui vaut une position très forte, par rapport au trend, approché par la moyenne mobile médiane de treize ans, 153,04 % (jamais plus égalée, dépassée, une fois, seulement, en 1608). Par rapport, surtout, au creux accidentellement exagéré de 158734, le décrochage de 31 à 135 navires, de 2 975 à 31 507 toneladas ou tonneaux, soit de l’ordre de 1 050 % est particulièrement spectaculaire.
85Le niveau des Retours, influencé par l’accident du départ de 1587, est faible, certes, toutefois, il demeure, avec 55 navires et 9 890 toneladas ou tonneaux, raisonnable (70,39 % du trend), non pas virtuellement inexistant, comme il le sera plus tard, en 1592, 1593, 1594, 1597, 1599, 1601 et 1604... Cette conjonction confère, donc, à l’année, sur les globaux Allers et retours, une position assez forte, 190 navires, 41 397 toneladas ou tonneaux, légèrement en dessous de 1589, mais dépassée seulement, dans la première partie du cycle par 1586 et, pratiquement, à égalité avec 1584. La position relative des Allers et retours, par rapport au trend, 119,51 %, accolé au 120 % de 1589, place le mouvement de l’année en position robuste.
86Or, toute cette prospérité, il faut bien le reconnaître, procède, pour l’essentiel, d’une illusion. La répartition des départs, entre 1587 et 1588, est à peu près uniquement commandée par le déroulement des événements politiques et militaires. On pourrait donc, comme on l’a fait en 1587, substituer au chiffre vrai de 1588, la moyenne annuelle des départs sur deux ans de 1587 et 1588, soit 88 navires et 17 241 tonneaux. Ces chiffres substitués aux chiffres vrais des Allers, donneraient aux Allers et retours les niveaux respectifs de 143 navires et 27 131 tonneaux. On aurait, ainsi, au lieu du creux exagéré de 1587, un creux moins profond, mais plus largement étalé sur deux ans.
2. Valeur économique du mouvement et poids réel sur la Carrière des Indes
87Cette première correction n’est pas suffisante. Il importe, en effet, de faire entrer en ligne de compte, lors de cette intrusion massive du fait militaire, la ventilation intérieure du mouvement au départ du complexe portuaire35. En effet, tous les navires qui partent de Séville et de ses avant-ports, au cours de ces années, sont loin d’avoir, pour la vie de l’ensemble de l’Atlantique, une égale signification.
88Une très importante fraction des départs de 1588, en effet, n’a, pratiquement, aucune signification économique : c’est le cas de l’énorme Armada de la Guardia de la Carrera de las Indias, de Diego Flores de Valdés36, destinée, d’abord, à la Terre Ferme (18 navires — 9 207 toneladas)37 et, finalement, détournée en direction de l’Angleterre. Pour une fois, la seule fois, peut-être, pour une telle certitude, la quasi-totalité du trafic inscrit dans la rubrique Armada peut être éliminée38. Les chiffres économiquement imputables à 1588 ne peuvent, donc, en aucun cas, excéder les niveaux respectifs suivants, 117 navires, 22 300 toneladas ou tonneaux. Si on pratique, comme il se doit, une égalisation entre 1587 et 1588, cela nous ramène, à un maximum, de 79 navires et 12 637 tonneaux, avec répercussion éventuelle sur les Allers et retours qui donne, pour 1588, un total économiquement valable, après double pondération, de 134 unités et 22 527 tonneaux. La position de 1588 est dors, celle d’un creux beaucoup plus marqué et elle traduit la réalité économique : une réalité que le mouvement en valeur39, pour une fois moins subjectif que le mouvement en volume, exprime à sa manière.
89Mais, fallait-il, dans ces conditions, incorporer, quand même, au mouvement Allers, la lourde machine de l’Armada de Diego Flores de Valdés, avec les risques de distorsion que semblable agissement allait comporter ? Oui, sous peine de tomber dans un risque plus grand, et pour plusieurs raisons. Tout d’abord, par raison d’homogénéité. L’Armada, d’abord destinée aux Indes, intégralement prélevée, équipée, armée par le personnel de la Carrera aura été détournée, presque au dernier moment, de sa destination première. Elle sort du Guadalquivir. Elle constitue une ponction réalisée sur les forces vives de l’Atlantique espagnol. Elle est loin de représenter le total des ponctions qui furent effectuées. Elle a, du moins, le mérite d’en révéler l’ampleur et le mécanisme.
90Mais, à la différence des autres armadas qui comportent toujours un certain coefficient d’utilisation économique, c’est la raison pour laquelle, on s’en est déjà expliqué, il nous est apparu nécessaire, malgré, les difficultés et les risques qu’impliquait semblable opération, d’incorporer les armadas à notre construction — celle-ci aura glissé, intégralement et uniquement, sans aucun compromis, dans la colonne des charges et des pertes, sans aucun avantage compensateur. Les armadas, par contre, très légères, d’ailleurs, étant donné le matériel qui les compose, d’Alvaro de Flores de Quinones et de Gonzalo Monte Bernardo40 appartiennent, à peu de choses près, à la catégorie des armadas traditionnelles, économiquement, en partie, incorporables.
91Les armadas Alvaro de Flores de Quinones et Gonzalo Monte Bernardo ne peuvent pas, toutefois, être intégrées au mouvement, au même titre que les classiques armadas de la Guardia de la Carrera dé las Indias, rencontrées en années normales. Elles sont, d’ailleurs, par leur présence même, des aveux d’impuissance. On sait que ces deux expéditions, où tout est sacrifié à la vitesse, sont chargées, aux frais et pour le compte du Roi, de rapporter l’argent — support de toute la politique et de toute l’économie d’échange à grand rayon d’action, en Espagne plus qu’ailleurs, — l’une, double41, en direction de la Terre Ferme, l’autre, simple, en direction de la Nouvelle Espagne42 que le système désorganisé des flottes a été incapable, que la libre Carrera s’est trouvée impuissante à assurer. On parierait volontiers d’armadas perce-blocus, s’il y avait réellement un blocus, entendez un blocus externe. Armadas force-blocus, elles le sont bien pourtant, mais il s’agit d’un blocus interne provoqué indirectement par la désorganisation des forces navales de la Carrière des Indes, détournées de leurs activités économiques normales vers des charges stratégiques particulièrement lourdes.
92Tout a été sacrifié, dans ce cas, à la vitesse. On n’a pas cherché à assurer aux transporteurs du précieux métal une puissance de combat qui leur permît, le cas échéant, de briser une attaque de front de l’adversaire. Cette attaque de front est peu vraisemblable, d’ailleurs, puisque le choc que l’on peut croire décisif, l’Espagne l’a voulu et organisé, au large même des côtes britanniques. Tout au plus, pourrait-on craindre quelques corsaires isolés, contre lesquels la meilleure parade réside encore dans la vitesse. Ces armadas de zabras, destinées à transporter sur un seul trajet, celui du retour, la marchandise, par excellence, l’argent, prévues pour échapper à un ennemi éventuel plus que pour le combattre, constituent une solution luxueuse, coûteuse, par excellence. La capacité de chargement, à l’Aller, de ces navires, relativement plus encombrés en hommes et en vivres qu’en produits utiles, est, véritablement, minimale. La rapidité du départ, le temps de rotation minimum prévu, tout cela tend à en faire un appareil transporteur, des plus médiocres, sur le chemin de l’Aller. Le cas en est différent, donc, de celui de l’armada de Diego Flores de Valdés, simple poids mort. Il n’en demeure, par moins, qu’on aurait pu, à la rigueur, les omettre sans trop de risques, à l’Aller43.
93Finalement, on s’apercevra, si on se reporte aux tableaux44, que la capacité de transport, mise au service de l’Atlantique, se confond, à peu de choses près, avec l'armada y flota de Nouvelle Espagne du capitaine général Martin Pérez de Olozábal. Elle quitte Cádiz, le 14 juillet 1588. Le précédent convoi, digne de ce nom, avait été, la flotte lourdement chargée de Don Miguel de Eraso y Aguilar45 destinée à la Terre Ferme : elle quittait, on s’en souvient — San Lúcar, voici vingt-deux mois, peu s’en faut, le 22 octobre 1586. Le précédent départ, en direction de la Nouvelle Espagne, avait été celui de la flotte de Novoa Feijo et de Rodrigo de Rada46, sortie de San Lúcar, il y avait deux ans presque jour pour jour, le 18 juillet 1586. On mesure, ainsi, l’ampleur du hiatus. Quant à la Terre Ferme qui paraît, de prime abord, si bien servie, elle doit, en réalité, se contenter de quelques sueltos des négriers, de tout petits navires47.
94On est bien en présence de signes parfaitement concordants : impuissance de la Carrera à acheminer les Retours d’argent, par les voies économiques normales ; déroutement d’une partie des forces vives les meilleures, pour des fins militaires, en dehors de l’espace de l’Atlantique hispano-américain ; unique présence, malgré le complet silence, pourtant, de 1587, sur l’axe si important de l’argent du Potosí, de quelques petits navires isolés, naviguant à leurs risques et périls, hormis les deux zabres du Roi. Entre la flotte normale de Terre Ferme de Miguel de Eraso y Aguilar, partie de San Lucar, le 22 octobre 1586 et la flotte de Terre Ferme de Diego de la Riviera, partie de Cádiz, le 13 mars 1589, deux ans et demi se sont écoulés48. Dans l’intervalle, aucune jonction normale, entendez, susceptible d’être grosse porteuse de marchandises, n’a eu lieu, entre l’Europe et l’isthme, partant, l’Amérique du Sud. Il est facile d’imaginer ce qu’une désorganisation aussi totale a pu apporter de troubles aux Indes, en Terre Ferme, plus particulièrement.
95Séville, donc, mieux, l’Espagne, manque, sous la pression de circonstances qu’elle ne sait pas dominer, à sa mission d’approvisionnement de ses possessions d’Amérique. Il semble que ce soit la Terre Ferme, pour des raisons qu’il n’est pas facile de découvrir, qui ait eu plus particulièrement à souffrir. Quelques années, plus tard, les Hollandais vont faire de la presqu’île d’Araya49 la grande carrière à sel que l’on sait, d’où rayonnera une importante contrebande. Dès la première décade50 du xviie siècle, la contrebande étrangère, à composante hollandaise, sera dénoncée, de Séville, sur toute la côte de la Terre Ferme.
96Il est exact que les premiers signes du reflux de la tendance majeure seront sensibles, d’abord, sur le trafic de la Terre Ferme. La prospérité prolongée des deux premières décennies du xviie siècle est à composante nouvelle espagnole. On peut affirmer, sans crainte, que c’est là, précisément, lors du creux consécutif à la ponction consécutive au raid dévastateur sur Cádiz, l’incendie de la flotte dans la baie et à la destruction de l’Invincible, que s’est produite, minime, insidieuse, insignifiante, d’abord, la première lézarde, dans le Monopole espagnol, de fait, sur les Indes. En cessant, pendant quelques années, de ravitailler, pratiquement, la Terre Ferme, les gens de Séville ne se doutaient, certes, pas qu’ils préparaient, pour le demi-siècle à venir, les pièces des mécanismes qui, peu à peu montées, allaient provoquer la translation fondamentale en direction du Nord de l’axe essentiel du premier Atlantique transversal sans passé, l’Atlantique des Ibériques.
3. Autres signes du marasme
97a. Le leçon des chiffres. — Les signes du marasme, si lourdement sensible, au cours de ces années, ne manquent pas.
98L’un, déjà saisi par la bande, ne doit pas être négligé, en raison de sa rigueur même quasi mathématique. C’est celui du rapport, dans le mouvement Allers, des départs en flotte des navires marchands de Séville à l’ensemble des départs du complexe.
99L’indice51 n’a pas une valeur absolument identique à toutes les époques et dans toutes les circonstances. Dans l’ensemble, de 1550 à 1650 — on le sait —, la proportion des départs de navires marchands en flotte de Séville — on peut considérer ces départs comme l’élément de poids relatif et unitaire maximal — tend structurellement à décroître.
100Par rapport à cette ligne tendancielle, la diminution des « hors Séville en flotte » peut être considérée comme un signe de gêne, d’insuffisance relative de fret dans une période de tonnage abondant. C’est un peu le cas, au cours de la première fluctuation primaire du cycle, 1579-158352 : Séville renforce alors ses contrôles et élimine le plus possible ses adjuvants concurrents éventuels que les marginaux du compléxe, à commencer par les Caditains, voire même, le Suelto, plus ou moins, a priori, suspect de fraude et, a fortiori, le marginal, par excellence, lé Canarien, dont l’élimination est plus un vœu qu’un fait objectif.
101En période, d’expansion, quand les disponibilités en tonnage suivent difficilement la demande du négoce, Séville est obligée de nuancer ses refus, face aux marginaux du complexe, en qui elle voit presque des collaborateurs. C’est la situation, en gros, de la deuxième fluctuation primaire, celle de la grande expansion de 1584 à 158753. On observe, d’une période sur l’autre, un léger recul des navires marchands partant du Guadalquivir, puisque leur proportion face à l’ensemble passe, d’une fluctuation à l’autre, de 79,9 à 76,5 %.
102Il en va tout autrement de la période 1588 à 1592 : ici, ce n’est plus une légère plus-value des marginaux du complexe, mais une véritable vague de fond, ce n’est plus un léger fléchissement des « marchands du Guadalquivir » de la lourde infanterie des « en flotte, de Séville », mais une véritable débandade. Avec 305 navires, 59 342 toneladas sur 570 navires et 103 419 toneladas, les départs normaux, les départs économiquement les plus lourds, mettant en cause les produits les plus chers, ne représentent plus que 57 %, au lieu de 76,5 % de 1584 à 1587, 79,9 % de 1579 à 1583, 70 % encore en moyenne pour l’ensemble du cycle 1579-1592. Comment exprimer, d’une manière plus parfaite et plus sûre, une situation au cours de laquelle le négoce de Séville, brusquement, impuissant à faire face aux exigences des Indes, a dû largement abandonner la place à tous les marginaux de la Carrera, qui accourent vaille que vaille, en bouche-trou ?
103Un brusque décrochage de cette importance, de cette force et dans ce sens, ne peut qu’exprimer l’apparition d’une très grave crise, une crise qui allie à un relâchement, peut-être, assez provisoire de la demande du négoce, un énorme effondrement des possibilités physiques de transport de Séville et du complexe central du bas Guadalquivir, moteur du Monopole. D’où la nécessité, bien sûr, de faire flèche de tout bois.
104Mais, au sein d’une telle situation — elle traduit nécessairement, on vient de le voir, de graves difficultés — la position des départs de 1588 semble démarquer une crise plus aigue encore. La catégorie des marchands partant du Guadalquivir, — les départs les plus normaux — ne représente plus que 59 navires, 12 240 tonneaux, sur 135 navires et 31 507 toneladas ou tonneaux, respectivement, 43,6 % du mouvement unitaire global et 38 % seulement du tonnage total. Si les 57 % de la période 1588-1592 expriment une ère de difficultés, il est bien évident qu’au milieu de cette ère de difficultés, les 38 % de 1588 traduisent une prédilection dans la difficulté, une exaspération de toutes les tensions. Une telle situation, une distorsion aussi nette se sera très rarement présentée dans l’histoire de la Carrera.
105b. Dans la correspondance de la « Casa de la Contratacion ».
106La correspondance de la Casa de la Contratación illustre abondamment le marasme qui découle logiquement des chiffres.
107Lenteur des préparatifs.— C’est l’année, par excellence, des préparatifs sans fin, des préparatifs qui n’aboutissent pas ou qui n’en finissent pas d’aboutir54. On invoque, successivement, manque d’hommes, manque de navires, manque d’argent. C’est l’année des préparatifs qu’on est bien décidé, tout compte fait, à ne pas mener à bien. C’est l’impression majeure qui se dégage de tous ces textes... Pourquoi ? On se garde bien de le dire. D’autres qui s’expriment, ailleurs55, en dehors de la contrainte d’une correspondance officielle ou para-officielle, le diront plus librement : on espère, grâce à la victoire de l'Invincible — comment en aurait-on douté, à Séville, moins encore qu’ailleurs — la levée prochaine d’une hypothèque anglaise qui ne sera pas levée. Voilà pourquoi, outre des obstacles qui ne sont pas imaginaires, tout sera prétexte à obstacle. Voilà pourquoi, à la limite, la connaissance de la catastrophe, en 1589, sera — toute chose étant égale — dans le cadre d’une période intercyclique de difficultés presque bénéfiques.
108On invoque, aussi et, sur ce point, les chiffres ont été, on l’a vu, trop éloquents pour qu’on puisse faire passer la plainte au compte des mauvaises fois coutumières le manque de navire, la qualité désastreuse, la petitesse et partant, le coût d’exploitation élevé des navires disponibles56.
109Embargo de l’argent. — La guerre, en outre, aura été largement payée par Séville, puisque l’embargo vient s’ajouter aux autres difficultés, entendez la réquisition, par le Roi, des arrivages d’argent appartenant aux particuliers. De ce fait, on aura médiocrement profité, à Séville, des gros Retours de 1587 et du niveau pas trop catastrophique des Retours de 1588. La politique des armadas de zabras s’éclaire même parfaitement, dans cette optique. L’argent, qui aura emprunté ce moyen de transport insolite et royal, sera particulièrement bien préparé pour tomber dans l’escarcelle du Roi, prête toujours à transformer le métal blanc en papiers, sur la valeur marchande desquels on ne se fait pas trop illusion.
110L’embargo et la crainte d’embargo éclairent, en outre, l’anomalie négative des Retours de la dernière fluctuation primaire du cycle, avec son piètre correctif que sont les armadas de zabras. Outre toutes les raisons que l’argent des mines d’Amérique peut avoir à s’investir aux Indes, après la phase de désinvestissement indien de la période de folle expansion des années 1584-1586, il conviendrait de prendre en compte également les bonnes raisons qu’il a de ne pas rentrer en Espagne. Conserver le plus de capitaux aux Indes, ce peut être, pour les négociants de Séville, en certaines circonstances de guerre, un excellent moyen de couper aux contributions forcées que, par le biais de l’embargo, le Roi est toujours disposé à lever sur eux.
111Transport du mercure.— Bien d’autres signes de vraies difficultés apparaîtront, encore. Les conflits, les luttes acharnées57 à qui ne transportera pas le mercure, à l’Aller. Le mercure n’est pas une marchandise désirable et désirée. Il y a beaucoup de bonnes raisons pour cela et on les a trop longuement exposées déjà58. Mais, à son endroit, l’attitude des armateurs, ces vendeurs de fret, est assez variable. Pas trop mal, voire assez bien accepté, en période de récession conjoncturelle normale — en raison du fléchissement relatif de l'offre du négoce — il est alors, pour l’armement, un médiocre substitut aux vraies bonnes affaires — le mercure sera assez peu souhaité en phase d’expansion, quand les armateurs sont en position de choix, mais, à la rigueur, toléré. Il apparaîtra, toutes choses étant égales, comme la catastrophe à éviter à tout prix, quand, c’est le cas dans les années qui viennent, la crise du tonnage est due, essentiellement, à la destruction, en l’occurrence, de la plus grosse part du tonnage existant. Quand aux taux exorbitants du fret avantageux et aux belles perspectives de gain qu’ils offrent aux armateurs miraculeusement abrités, s’ajoute la médiocre qualité du tonnage disponible.
112On sait quelle épreuve cette redoutable marchandise constitue pour la coque de vieux bateaux. Les navires d'armada — aveu symptomatique — condamnés à charger 150 quintales de mercure, reçoivent, en. échange, un droit à transporter avec du vin, un fret plus avantageux. Droit, mieux, troc, longuement discuté59.
113Manque de navires — Les hourques. — L’invasion, qualitativement confirmée60 de la Carrière des Indes par des navires étrangers est encore un autre signe. Ce sont des hourques, surtout, provenant des confiscations aux Hollandais. Elles ont encore mauvaise presse dans l’Atlantique. Navires à fond plat, inaptes, de ce fait, à la bouline61, les hourques retardent les convois et leur inadaptation provisoire — inadaptation du matériel et plus, peut-être encore, des hommes peu rompus à l’utiliser — contribuent, vraisemblablement, à expliquer entre beaucoup d’autres, la prochaine flambée des pertes, celles des années 1589, 1590, 159162.
114Autre signe, aussi, de cette mauvaise santé, le retard général des convois qui se présentent aux ports63 tel le lourd convoi de Martin Pérez de Olozábal qui va affronter la Vera Cruz, en septembre, à l’époque des redoutables nortes. On en craint d’autant plus l’approche que le matériel est vieux, mal dominé, mal adapté.
115Manque d’hommes. — Mais, à Séville, on se plaint infiniment plus encore du manque d’hommes. L’année 1588 paraît désespérément vide en gens de mer. C’est là une des conséquences les plus graves de l’énorme ponction de l’invincible64, d’une ponction que l’on pourra espérer, jusqu’à la fin de l’année, provisoire. A la longue, ce sera le plus lourd handicap.
116L’Espagne n’a pas pléthore d’hommes pour faire face à la multiplicité de ses charges impériales. Outre le gros problème démographique de l’Espagne moderne, sur lequel on n’est jamais parvenu, jusqu’à ce jour, à se mettre d’accord, dans le cas particulier des gens de mer, il convient d’observer qu’il faut beaucoup plus de temps pour faire un bon marin que pour construire un navire de bois. Or, il n’est pas douteux que la Carrera ait fourni, soit directement, soit indirectement, l’essentiel du matériel humain entraîné destiné à la lutte contre l’Angleterre, soit directement, par prélèvement dans les ports du Guadalquivir, ce fut le cas, entre autres, de l’Armada Diego Flores de Valdés, soit indirectement, par prélèvement sur les réserves de Biscaye, dans le Nord de l’Espagne, cette pépinière en gens de mer de l’Atlantique hispano-américain, d’où provient la meilleure part des marins que Séville met à la disposition de la Carrière des Indes. La situation est d’autant plus tendue que le système des armadas bouche-trou65 de zabras d’Alvaro Flores de Quinones et de Gonzalo Monte Bernardo, auxquelles il a fallu recourir, entraînent une dépense insolite de marins. Les zabras, petits navires rapides, sont, proportionnellement, plus fortement armés que les convois ordinaires.
117Les gens de mer, encore disponibles, conscients de cette situation, collectivement conscients de leur force, travaillent à faire monter au maximum le prix de la main-d’œuvre navale ; ils n’acceptent de s’embaucher qu’au moment même du départ66, c’est une manœuvre que Francisco de Tello dénonce, comme d’autres responsables le font, parmi d’autres manœuvres analogues à la Casa de la Contratación.
118L’État, de son côté, on l’a vu67, est obligé de faire pression sur les armateurs pour obtenir la main-d’œuvre nécessaire aux Armadas. Il s’agit, en substance, d’obliger les armateurs à conserver leurs marins à leur charge, jusqu’au moment où les agents du Roi viendront les « cueillir » pour le travail d'armada, il s’agit, au vrai, de contraindre les armateurs privés à prêter la main à la « presse », d’une « presse » qui va, à l’encontre, bien sûr, de leurs intérêts de les contraindre à prêter main-forte à une demande concurrente de la leur sous la menace — peut-être assez platonique — d’une énorme amende de 1 000 ducats.
119La répétition des mêmes plaintes, avec des modalités plus ou moins différentes, prouvent assez la vanité de ces grossiers palliatifs. Que l’augmentation du prix de la main-d’œuvre « de mer » ait été un facteur de gêne décisif, au cours de ces années, le plus grave, peut-être, à la limite, la chose n’est guère douteuse.
4. Marasme et coût de la main-d’œuvre
1201588, — Earl J. Hamilton vient, ici, très à propos au secours de nos points de vue68 — est une année de salaire élevé. On notera, en effet, sur les passionnants « composite index numbers of real wages »69 que l’écart de 1588 n’avait pas été atteint depuis 1585, il ne le sera plus avant 1603. Tout au plus a-t-il été presque égalé en 1559, cette autre année de crise.
121Ainsi, la poussée exceptionnelle du prix de la main-d’œuvre dans la catégorie des gens de mer, dont on retrouve les échos à travers la correspondance de la Casa de la Contratación, se situe sur une poussée courte, mais brutale, du prix de la main-d’œuvre global dans tout l’espace et dans toute l’économie espagnole. Des causes particulières — elles ont été suffisamment analysées pour qu’il soit inutile d’y revenir — viennent s’ajouter, ici, à des causes générales. On n’en comprendra que mieux l’extraordinaire brutalité, pour une période de plusieurs années du coup de frein provoqué par le coût, désormais, excessif des gens de mer.
122On ne saurait trop insister, à ce propos, sur l’importance du couple en Espagne niveau général des prix/niveau du prix de la main-d’œuvre, pour la compréhension de la dynamique de l’Atlantique hispano-américain.
123De ce fait, on peut donner une justification, a priori et une justification, a posteriori.
124La main-d’œuvre constitue, a priori, dans le coût du transport de la marchandise européenne rendue en Amérique, dans celui de la marchandise américaine rendue en Europe, un élément décisif du prix de revient. Et ce sera d’autant plus vrai que la marchandise transportée sera plus lourde, plus encombrante et moins précieuse. L’or, l’argent, les perles traversent la mer, sans trop sentir le coût du transport ; les autres marchandises, par contre, peuvent être grevées, parfois, au double, au triple..., voire davantage. Ainsi, plus la distance aura été grande, plus pondéreuse, la marchandise transportée et plus son prix transatlantique, dans un sens ou dans l’autre, aura incorporé une proportion importante de main-d’œuvre. Cette règle générale vaut, cela va sans dire, dans le cadre d’une technique de transport, qui fait à la main d’œuvre maritime une part relative, sans rapport avec celle qui lui incombe, dans le cadre de nos techniques des cargos d’acier à moteur diesel.
125En raison de l’énorme demande qui s’exerce dans ce secteur en expansion qui exige, circonstance aggravante, une assez forte préparation technique des hommes, le prix de la main-d’œuvre maritime est un prix très élevé, en flèche par rapport aux niveaux généraux des coûts respectifs de la main-d’œuvre, le transport maritime transatlantique sera, donc, au premier chef, sensible à la main-d’œuvre, à la main-d’œuvre « maritime », plus, peut-être, encore, qu’à aucune autre composante des prix.
126Justification, a posteriori, la mise en parallèle des courbes du trafic et des prix de la main-d’œuvre en Espagne, plus particulièrement, les composite index numbers of real wages70.
127En raison d’une certaine rigidité du prix de la main-d’œuvre, les périodes d’expansion cyclique — à la hauteur de la conjoncture la plus courte — sont des périodes de relatif bon marché du travail. Cette règle est, en gros, vérifiable dans le cadre historique de l’espace Atlantique hispano-américain, avec l’appareil statistique médiocre, dont on dispose, pourtant. On connaît la nature de la relation qui lie, le plus souvent, à la hauteur de la conjoncture la plus courte, le trafic Atlantique aux prix espagnols. Cette paradoxale corrélation positive, entre volume des marchandises exportées et prix des marchandises exportées, s’explique d’autant mieux, qu’elle se double, presque toujours, d’une corrélation négative, immédiatement intelligible, entre volume des marchandises transportées et prix de la main-d’œuvre transporteuse. La position du point optimal, un peu après, on l’a vu souvent, la poussée maxima des prix des biens, au commencement de leur retombée, s’explique, d’autant mieux, en plus de toutes les raisons invoquées, que l’on est, ici, au terme, à peu près, de la rigidité du prix salarial, au moment, donc, où, disposant de capitaux secrétés dans la période d’écart maximal, le négoce jouit d’une main d’œuvre, pour peu de temps encore à bon compte et d’un produit exportable d’une valeur à l’achat en légère perte de vitesse, avec perspective de prix hauts, encore, à l’arrivée.
128Les prix du salaire réel et la courbe du trafic confirment ce schéma, pour peu qu’on sache observer et interpréter.
129Les deux grandes périodes de puissante accélération des trafics transatlantiques de 1530 à 1550, de 1560 à 1586, sont des périodes de salaire réel les plus bas. La crise intercyclique 1561-1560, comme de juste, puisqu’elle correspond à un léger coup de frein de la pente ascensionnelle des prix des marchandises, est caractérisée au sein d’une large période de bas salaire par l’écart positif maximal des salaires espagnols par rapport aux prix (écart décennal71, 105,43, le plus élevé entre 1521-1530, 104,96, seulement et 1601-1610, 115,75). A titre de contre-épreuve, la période 1541-1550 qui est, pour les trafics, la période d’accélération maximale, est celle, par contre, de l’anomalie-salaire la plus élevée (indice décennal, 99,02, le plus bas d’un siècle et demi, avec en 1549, date d’un monstrueux trafic, un indice négatif presque record, de 93,61)72. Et c’est, peut-être, entre autres facteurs, dans cette discordance, apte à prolonger, au-delà de son primum mobile, l’inflation du trafic, que réside l’apparente discordance entre cette prospérité hispano-américano-atlantique prolongée et les marasmes commençant (d’après Spooner, notamment) dans toute l’économie européenne.
130Avant d’être à même d’éclairer la position particulière de 1588, date, une fois de plus décisive, il importe d’éclairer les deux extrémités de la courbe des composite index numbers of real wages, avant 1530 et, mieux encore, avant 1520 et au delà de 1602, puisqu’elle semble faire mentir cette règle un peu rapidement formulée.
131La première anomalie positive du salaire espagnol, 1500-1530 correspond exactement au « cycle de l’or » cher, à juste titre, à Fernand Braudel et Frank C. Spooner. L’anomalie très faible, de 1520 à 1530, est beaucoup plus prononcée avant 1520, de 1500 à 1520. 1500-1520, plus encore que 1500-1530, cycle de l’or pur.
132L’or, on l’a souligné longuement déjà73, présente cette particularité qu’il a été capable de sous-tendre au maximum une puissante économie d’échanges, d’étendre, d’une manière presque insensée, la surface embrassée par l’économie mondiale. Il faut mettre à l’actif de l’or ce paradoxe de pondéreux transportés à travers l’Atlantique, en période de main-d’œuvre, donc de transports chers. Ajoutons qu’on était, ici, au démarrage du mouvement, en période nécessairement de force ascensionnelle maximale. L’or et l’Amérique naissante auront fait sauter, sans peine, ce premier handicap à la croissance.
133La seule véritable anomalie est celle de 1602 à 1625. 1630-1645 s’expliquant parfaitement, au contraire, avec le marasme chronique d’une phase longue B, descendante. Elle entre, au premier chef, dans notre compréhension du renversement de la tendance majeure. Disons-le simplement, ici et sans anticiper sur ce qui trouve sa place, ailleurs, elle a constitué le frein, le tampon, elle a absorbé la vitesse acquise énorme du mouvement, elle a contribué, au premier chef, aux translations qui s’effectueront au profit des Atlantiques du Nord, au détriment de l’Atlantique Sud des Ibériques.
134Quelle est, dans ces conditions, l’exacte position, sous cet angle, de 1588 et des années qui suivent ? On est au terme de ce que l’on pourrait appeler l’anomalie négative des salaires. De 1588 à 1595, les salaires espagnols vont, pratiquement, se maintenir (exception pour 1592, qui atteint l’indice 104,12) très largement au-dessus de l’indice 105. On assiste ici, à une espèce de répétition générale des graves difficultés qui accompagneront, deux décades plus tard, les années du renversement des diverses tendances. L’anomalie va durer aussi longtemps pratiquement, que la longue demi-récession observée au-delà de 1586. La crise, dont la Carrera souffre pour son approvisionnement en gens de mer, aura été d’autant plus difficile, donc, à surmonter qu’elle sera venue se poser sur le plateau de base de hauts salaires réels. La main-d’œuvre « maritime » constituant, en l’occurrence, un secteur plus particulièrement touché.
135Il est à noter, encore, pour finir, que semblable situation affecte davantage les pondéreux que les marchandises plus chères. Il suffit, pour s’en convaincre, de suivre de 1588 à 1592, la distorsion qui s’accentue entre une courbe Allers volumétrique déclinante et une courbe en valeur ascendante. On peut ajouter qu’une telle situation affectera d’autant plus les secteurs les plus lointains, les plus difficiles à atteindre. Tel est, peut-être, le secret en profondeur, de l’élimination, bientôt, au-delà de 1600, de la Terre Ferme, au profit de la Nouvelle Espagne, plus proche dans la géographie subjective de la voile. Telle est, peut-être, en 1588, une raison, entre plusieurs, de l’élimination de la Terre Ferme, au profit de la Nouvelle Espagne.
136Tous ces traits, plus quelques autres que l’on pourrait déterrer encore, de la correspondance de la Casa de la Contratación, tendent à faire brosser un tableau sombre de cette année de faux espoirs et de réelles angoisses..., si bien qu’à son terme, l’annonce d’une catastrophe plus parfaite, pourtant, qu’on ne pouvait la craindre, moins redoutable qu’une imprécise menace, pourra apparaître, finalement, comme un moindre mal.
1589 : MARASME ET MIEUX RELATIF
137Entre 1588 et 1589, aucun changement physique notable n’est survenu. Psychologiquement même, comment ne pas croire, a priori, à une détérioration ? Nos documents sont d’une rare pudeur. On sait très bien, par ailleurs, toutefois, que la déception fut, au moins, aussi immense, en Espagne, qu’en Angleterre, la joie agressive74. Le comportement de la Carrera, en 1589, pourra, devra même surprendre : 1589, constitue bien finalement, dans une fluctuation anémiée, un sommet relatif possible.
138S’il fallait tenter de retrouver l’effet « psychologique » présumé de la grande affaire dans les milieux moteurs de l’Atlantique hispano-apéricain, on proposerait volontiers, le schéma suivant :
139Pendant l’année 1588, l’attente du dénouement aura exercé une action inhibitrice, d’autant plus grande que les espoirs mis dans le succès de l’entreprise auront été plus grands. Ces espoirs, ils étaient, d’ailleurs, en saine raison, bien fondés. Comment ne pas succomber à la tentation, alors que tout est si bien engagé, d’en finir d’un coup avec l’insécurité anglaise, une insécurité anglaise qu’une récente expérience engageait à confondre avec l’insécurité tout court ? Sans ce mirage, on peut se demander, d’ailleurs, si l’énorme effort eût été accepté. De l’opération que la Carrera a portée, elle était en droit d’attendre d’en être le principal bénéficiaire.
140Aussitôt après, en 1589, on est comme délivré d’une attente qui s’était faite, assez vite, de plus en plus anxieuse et dans la mesure où l’on aura retenu dans la phase antérieure, au-delà de ce que commandait la situation physique de la Carrera, par compensation, 1589 bénéficiera d’une sorte de choc en retour. On attend un effet de dépression catastrophique et on ne le trouve pas.
141Mais c’est dans les années qui suivront que se fera sentir, peut-être, sur le plan l’effet de la catastrophe. On tend le dos, on s’attend au pire75.
142Et comme le pire ne vient pas, les nuages se dissipent et l’espoir renaît.
143Telles nous apparaîtraient, volontiers, quatre phases psychologiques successives de l’événement, la monnaie de l’Armada.
1. Position apparente
144Si on se bornait à l’apparence des découpages globaux, avantages et inconvénients, par rapport à l’année précédente, s’équilibreraient sensiblement.
145A se limiter aux totaux, dont on a vu, pour 1588, la signification très particulière, les Allers de 1589 sont en retrait de plus de 10 000 tonneaux et de 18 navires, avec 117 bateaux, 21 072 toneladas ou tonneaux au lieu de 135 unités et 31 507 toneladas ou tonneaux, respectivement, pour l’année précédente. Le niveau ainsi accusé est suffisant, toutefois, pour se maintenir un peu au-dessus de la moyenne mobile indicatrice du trend, avec 104,05 %. Il est à noter, par ailleurs, que par rapport à 1588, la caractéristique reconnue à la période, du primat du tout petit navire, s’est accentuée encore. Faible repli, malgré tout, du mouvement unitaire, considérable réduction du tonnage unitaire, par contre. Il ne faut pas omettre, en effet, le prélèvement définitif de l’Armada de Diego Flores de Valdés : les gros bâtiments brisés sur les côtes britanniques ne gonfleront plus les rangs de la Carrera. Au départ du Guadalquivir, le tonnage moyen de 178 toneladas traduit une réduction de près de 50 % par rapport à des niveaux atteints, quelques dix ans. plus tôt.
146Cette réduction, purement apparente, empressons-nous d’ajouter, est très largement compensée par une reprise des Retours. De 55 à 100 unités, de 9 890 à 21 541 tonneaux, soit plus de 100 %. Peut-être ne faudrait-il pas se laisser impressionner par un fait qui risque de ne pas traduire autre chose que l’installation — signe, au demeurant, de mauvaise santé — d’un rythme biennal des Retours sur lequel on s’est déjà trop longuement expliqué. On peut juger de l’importance de ce niveau — il dépasse très légèrement celui des Allers (50,55 % du tonnage des totaux)76 par rapport à la moyenne mobile médiane de base correspondante des Retours soit 145,54 %. C’est lui, d’ailleurs, ce niveau particulièrement élevé des Retours, qui confère à l’année 1589 sa position sur les globaux. De 190 unités en 1588 à 217 unités en 1589, de 41 397 à 42 513 toneladas ou tonneaux, il y a consolidation d’autant plus curieuse que 1588 bénéficiait, en bonne part, on l’a vu77, espèce d’illusion d’optique. La consolidation n’est pas seulement absolue mais encore relative, puisqu’on passe, par rapport à l’approche traditionnelle du trend, de 119,51 à 120 %78.
2. Position réelle
147On est loin, à tous égards, du terme de difficultés, en partie, consécutives79 aux graves événements militaires en cours. Elles iront, tout au contraire, en s’accentuant. On ne peut qu’être frappé, toutefois, de la manière dont elles seront surmontées. L’élasticité de la reprise de 1589, n’est-ce pas, entre autres, une preuve de la vigueur et du dynamisme que conserve, au cours de ces années, le puissant Atlantique de Séville ?
148L’analyse détaillée du mouvement Allers permettra de mieux juger, sans doute, de la position de 1589.
149a. Perturbation dans le rythme des départs. — Au cours de ces années, le rythme saisonnier des deux gros départs annuels, du gros retour d’automne, avec, en dehors, assurant les liaisons secondaires, maintenant les contacts indispensables, la pluie fine des sueltos et des avisos, est rompu. Établi pour une utilisation optimale des possibilités techniques et géographiques de l’Atlantique, il suppose une sécurité relative et une parfaite santé économique. Les reports d’une année sur l’autre sont nombreux. On a, de ce fait, l’impression — elle n’est pas purement illusoire — malgré une densité et un rythme moindre de départs, d’une plus grande continuité du flux économique qui s’écoule du complexe sévillan.
1501588 s’expliquait, en grande partie, par la rétention accidentelle des départs de 1587. 1589 n’a plus le même avantage, puisque les départs de 1588 ont été presque excessifs face à ce qu’on pouvait en attendre. Et pourtant, l’important convoi de Diego de la Riviera80 destiné à la Terre Ferme ne lui appartient qu’en partie. Son départ précoce le prouve, presque insolite, à force de cadrer avec le temps légal, il quitte le 1 mars, San Lúcar et le 13, Cádiz. C’est qu’au vrai, la préparation échelonnée sur toute l’année 1588, particulièrement étirée, ne devait aboutir qu’au début de 1589.
151Malgré cette situation — mais elle est extrêmement fréquente—, l’armada y flota de Diego de la Riviera appartient bien à 1589, puisque personne n’avait vraiment pensé, malgré les formules rituelles..., que le départ en aurait lieu, l’année précédente : marchands et armateurs, certes pas, les officiers de la Casa de la Contratación non plus, on n’aurait pas, sans cela, eu recours au procédé coûteux des armadas de zabras.
152Loin donc de dénier au gros convoi de Diego de la Riviera son appartenance au temps économique de 1589, malgré ses puissantes racines dans l’automne 1588, il faudrait presque s’étonner de son départ, finalement, précoce, dans le temps prescrit... et le porter à l’actif d’une remontée, très relative, bien sûr, du tonus conjoncturel de 1589. A l’appui de cette hâte, on notera combien elle suit brusquement et savamment une habile lenteur antérieure.
153Elle vient s’appuyer, sans doute, sur les mauvaises nouvelles de l’Invincible. Délivré, à la fois, d’un faux espoir dans l’immédiat, incité à profiter d’une protection relative qui risque de faire place, après regroupement des forces ennemies libérées, à un accroissement de la pression anglaise sur l’Atlantique de Séville, on peut craindre une nouvelle attaque sur l’embouchure du Guadalquivir— l’expérience de ces dernières années aura révélé que la pression de l’ennemi s’exerce, désormais, avec le plus de violence, sur le versant européen de l’Océan Atlantique — on serait en présence d’un réflexe de fuite en avant, d’une mise à l’abri d’un capital précieux du côté Amérique, momentanément, le mieux protégé. Elle s’appuie, également, sur les retours, finalement, à bon port de 1588 et plus particulièrement, sur ceux, à l’automne, de la petite armada de zabras d’Alvaro Flores de Quiñones81. Outre certaines disponibilités en numéraire, Alvaro Flores et ses hommes auront pu apporter, sur l’état des marchés à l’isthme, des nouvelles susceptibles de hâter le mouvement.
154Et c’est alors qu’intervient le troisième élément, déjà rapporté, l’isthme et ses puissants arrière-plans Pacifique n’ont pas été irrigués, depuis plus de deux ans.
155b. Trafics comparés de la Terre Ferme et de la Espagne. — La seconde constatation qui s’impose, c’est le rôle respectif, dans les départs de l’année, de la Nouvelle Espagne et de la Terre Ferme. Au cours des dix années précédentes, la Terre Ferme avait été un peu systématiquement sacrifiée au détriment de la Nouvelle Espagne. N’est-ce pas la Terre Ferme qui avait, le plus souvent, fait les frais de la biennalité, cette rupture du convoi annuel remplacé, une année sur deux, par des solutions de fortune ? Parce que plus lointain, moins accessible, le Pérou paraissait à Séville moins exposé à lui échapper. On sait combien ce raisonnement se retournera, finalement, contre ceux qui le firent. Parce que, — la mise en présence des courbes en valeur et en volume le montre82 — en raison de la distance, des portages plus nombreux et plus difficiles, des conditions climatiques de la côte péruvienne, le trafic avec la Terre Ferme a, plus délibérément que l’autre, sacrifié une fraction beaucoup plus grande de pondéreux alimentaires. La Terre Ferme, animée, depuis quelques années, par une active poussée minière, a pu assurer en valeur, 60 % au moins du trafic, une part, sans proportion avec son rôle dans l’échelle des volumes.
156En 1589, on assiste, pour quelques années, à la brusque rupture de cet équilibre ancien. Pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’en présence d’une réduction profonde de la capacité de transport global de la Carrera, il était fatal que le trafic « archaïque » de la Nouvelle Espagne fût plus particulièrement affecté, parce qu’il était, en quelque sorte, plus commodément compressible. On manque, certes, pour étayer l’hypothèse, de documents contemporains — ceux des décades qui viennent, toutefois, sont éclairants de maux dont les racines sont anciennes — pourtant, il n’est pas impossible qu’on se soit rendu compte à Séville, assez tôt, du danger qui pesait sinon, indirectement, sur le Pérou, du moins, sur la frange des îles de la Terre Ferme83.
157En 1589, c’est, fort curieusement, au tour de la Nouvelle Espagne d’être sacrifiée (lacune en 1589, lacune encore en 1592). 13 navires, 1 333 tonneaux. A part quelques sueltos et négriers84 au nombre de 7 navires, le mouvement avec la Nouvelle Espagne se limite à la petite expédition (6 navires, 730 tonneaux) qui accompagne le Vice Roi Don Luis de Velasco et le gouverneur des Philippines, Pedro de las Marinas85. C’est au tour de la Nouvelle Espagne — dont on admirait, depuis trente ans, la régularité du trafic — de se contenter de ce médiocre substitut qui rappelle un peu les petites armadas de zabras de l’année précédente.
158c. Départs du Guadalquivir et mouvement en valeur. —1589 n’a pas réussi à assurer une liaison normale avec tous les points des Indes. On sera frappé, pourtant, par le grand nombre, sinon la masse des substituts : grand nombre de sueltos (trente)86, deux petits convois officiels de navires légers et rapides, l'armada du Vice Roi, l’armada extraordinaire d’Alvaro Flores de Quinones, qui, il est vrai, circonstance tout à fait extraordinaire sur laquelle il faudra revenir, se forme, dans le Nord, à Santander.
159Autre circonstance favorable87 — elle constitue comme le négatif, en quelque sorte, de l’année précédente et place 1589 en position moins privilégiée — on notera le fort rapport des départs normaux de Séville, face aux marginaux du complexe, 83 %, pratiquement, 40 %, en gros, en 1588. Les départs qu’on a su mettre sur pied, dans le Guadalquivir, en 1589, sont, dans leur grosse majorité, des départs de densité économique normale, de densité pleine88.
160Le mouvement valeur confirme pleinement cette impression : entre 1588 et 1589, l’avería supposerait une progression de près de 50 % (valeur représentée passant de 1149 236 325 à 1 599 075 928 maravedís)..., alors que le mouvement volumétrique global laisse apparaître une apparente réduction, de l’ordre de 50 %89.
161On ne peut imaginer plus parfaite évolution en ciseaux. Cette constatation corrobore, d’une part, les corrections proposées90 pour une meilleure lecture du mouvement en 1588. L’évolution du mouvement valeur91 colle parfaitement, d’autre part, avec celle entre 1588 et 1589, des navires marchands partant du Guadalquivir92. Il y a donc, fondement à préférer, en période de grave crise, extérieure, c’est le cas, dans une large mesure, à la hauteur des ces années, la série plus restreinte des navires marchands partant de Séville, à celle des totaux.
3. Marasme persistant
162Tout cela, pourtant, ne peut faire illusion. Le jeu des oppositions ne porte qu’en surface. Tous les signes de marasme — d’un marasme qui a pu être secoué, un moment, subsistent en 1589, comme en 1588.
163Pénurie d’argent, sous l’effet de l’embargo93, pénurie d’hommes, prodigieuse pénurie de navires. Toute l’année 1588, pendant les préparatifs du convoi de Diego de la Riviera qui est inextricablement mêlé à l’histoire des deux ans, on aura attendu, à Séville, des arrivées de naves biscayennes. L’attente94 en aura été, en grande partie, frustrée. La Biscaye, sollicitée par des tâches multiples, ne peut faire face.
164Quelques indices sont particulièrement probants. Il y a, par rapport même à 1588, un fléchissement du tonnage unitaire des navires (178 tonneaux au lieu de 233, à l’Aller, 196 au lieu de 217 en Allers et retours), une nette élévation de la proportion des étrangers certains95, une brusque et insolite montée des pertes96.
165Mais la correspondance de la Casa est pleine d’anecdotes édifiantes, largement corroborantes. Telle, la constitution, pour le moins surprenante, de l’armada de galizabras et pataches, placée sous le commandement d’Alvaro Flores de Quinones et Juan de Uribe Apallua97 : deux galizabras partant directement de Santander, rejointes, au large des côtes d’Espagne, par deux pataches. Cette procédure, à peu près unique, montrant le Roi en train de violer la loi des Indes, traduit l’extraordinaire pression des circonstances. Pour gagner du temps et faute d’avoir pu trouver dans le Guadalquivir l’équivalent de ces deux médiocres navires, entendez le San Agustin et la Santa Catalina98, Séville a dû consentir à un procédé, techniquement difficile à mettre sur pied, dangereux, à la limite, puisqu’il consistait à faire sortir une escadre déjà insuffisante en ordre dispersé. Elle aurait pu être lourde de conséquences. Pour l’Andalousie, toujours si jalouse, à l’ordinaire, de son Monopole, elle est une capitulation implicite.
166La composition et la nature de l’armada est un autre indice. Elle procède du même principe que les armadas antérieures de Quinones et de Monte Bernardo99. Il s’agit, non pas d’opposer la masse et la puissance de feu aux tentations de l’ennemi, mais de lui échapper par la rapidité et la vitesse. L’armada de Quinones est le substitut, à très peu de chose près, de l’Armada de la Guardia100 médiocre substitut de 420 tonneaux, à la place d’un instrument de défense et de transport qui fait, en moyenne, de 5 à 6 000 tonneaux. Ses fonctions sont les mêmes, ramener l’argent et les textes, justifient pleinement l’assimilation qu’on est bien en droit de faire. Remplacé, en cette heure dramatique, par un instrument, qui représente moins d’un dizième de sa masse habituelle, l’Armada de la Guardia, ce pilier classique de la Carrera traditionnelle, la misérable, minuscule armada, ne peut même pas être levée, intégralement, sur Séville. Singulier aveu d’un étonnant désarroi.
167Deux épisodes feront mieux saisir, si possible encore, 1’ampleur des tensions auxquelles la Carrera est soumise. Tel, l’« arqueamiento » du San Barnabe101. En temps ordinaire, le registre attribue à ce petit bateau fait pour aller suelto 80 toneladas ; aujourd’hui, il en confesse 103. Pour les besoins d’une législation qui interdit, dans certaines conditions, aux convois l’accès des unités qui ne font pas 100 tonneaux, on lui accordera, exceptionnellement et pour cette fois seulement, 103 tonneaux qui lui permettent de franchir, de justesse, le cap réglementaire. On a vu, en d’autres circonstances102, qu’une telle souplesse dans l’appréciation du tonnage des navires était presque normale, on en a tiré les conclusions qui s’imposent pour l’éclairage de mesures qui n’ont pas la précision à laquelle notre temps nous a convié. Ce qui importe, ici, c’est le sens d’une distorsion, l’usage qu’on en tire103.
168En 1589, le petit San Barnabe est promu au rang des plus de 100 toneladas. Sans doute, est-on, alors, au plus profond de la crise du tonnage, au plus fort de la pénurie des grands navires. Il le faut, pour qu’on arrive à de telles tolérances.
169Second épisode104. Un mois, à peine, avant le départ du grand convoi de Terre Ferme, du capitaine général Diego de la Riviera, le 4 février 1589105 — et le convoi quittera San Lúcar, le 1er mars — il faut vider, d’autorité, quatre navires pour les faire servir à la défense. La Casa se fait l’écho des protestations des Prieur et Consuls. Ceux-ci arguent d’une surcharge telle, déjà, qu’on ne saura où mettre les cargaisons qu’il va falloir déplacer. Les pertes, qui découlent, pour tous, de semblables fausses manœuvres, sont assez évidentes. Inutile, sans doute, d’insister.
170L’indication vaut, pourtant, d’être retenue : l’impression, qui se dégage de l’année 1589, est plus celle, en effet, d’une énorme catastrophe physique, que celle d’un marasme d’ordre économique. On reconnaîtra, du moins, honnêtement, que le premier terme prend une telle ampleur qu’on ne peut juger du second. On a l’impression, malgré tout, que le trafic est bien saisi par le goulot physique du tonnage. Bien sûr, ailleurs, en Europe, 1589 sera encore une année de crise, — une crise qui n’aura pas, nécessairement, les mêmes causes extérieures.
171Si on osait se permettre une analyse poussée, très certainement, bien au-delà de ce que l’on est en droit d’attendre de nos modestes moyens, on dirait que, dans le cadre d’une période de difficultés étalées sur près de 10 ans106, 1589 marque un léger mieux. Entre 1588 et 1589, les prix ont dessiné un coude, avec variation des indices, de 3,64 points en Andalousie, de 8,51 points en Nouvelle Castille, de 5,13 en Vieille-Castille-Léon, de 4,67 points dans le Royaume de Valence), au-delà duquel ils sont installés jusqu’au pied de 1596, sur un plateau plongeant107. C’est bien ce que traduisent, aussi, les pourcentages relatifs au trend des prix argent globaux108, puisqu’on passe de 96,69 à 101,08 %, tandis qu’au-delà, l’écart au trend change de signe et que le creux s’accentue jusqu’aux 93,6 % et 94 % de 1595 et 1596.
172Quoiqu’il en soit, l’amélioration, que 1589 représente, peut-être n’est qu’une amélioration très passagère. Elle s’ouvre sur de grosses difficultés qui, d’un côté, vont s’alourdissant et s’aggravant, tandis qu’à d’autres points de vue, des modifications en profondeur s’opèrent. La Carrera panse ses plaies, s’adapte, au seuil, après une longue crise, de sa dernière, de sa plus paradoxale prospérité.
1590. — DANS LE MARASME DE LA GRANDE CRISE DU TONNAGE, SIGNES CONTRADICTOIRES ET TRANSFORMATIONS
1731590 marque le terme d’une fluctuation purement apparente, celle que semblent esquisser les globaux Allers et retours, entre 1587 et 1590.
1741590 reste, incontestablement, sous le coup, encore, des grandes catastrophes de 1587 et 1588. Plus, même, à certains égards, que les années précédentes. Son interprétation présente de graves difficultés, en raison des signes contradictoires en présence desquels on se trouve placé.
1. Un facteur important : le nœud des Retours de 1589
175Les Retours de 1589 constituent, peut-être, la clef de la plupart des apparentes contradictions offertes, en 1590, par les différentes séries représentatives du mouvement.
176On ne saurait trop, en effet, en souligner l’importance : 100 unités, 21 541 toneladas ou tonneaux. Un peu moins, compte tenu du tonnage, que lors des Retours records de 1587 — car la réduction du tonnage unitaire s’est déjà fait sentir—le plus fort niveau, toutefois, atteint avant 1595. Qui mieux est, 1589 marque, pour un long temps, le terme d’un cycle de Retours élevés109, le plus forte, au vrai, de toutes les anomalies positives des Retours, jamais observées dans toute l’histoire une fois et demie séculaire de la première carrière des Indes. C’est, pour près de 20 ans, le dernier niveau très haut du mouvement Retours qui ne soit pas imputable à un rythme biennal. 1589 marque donc, en ce sens, une limite essentielle : la fin des forts Retours. Au-delà, on l’a vu110, un gros déséquilibre va s’inscrire entre Allers et Retours, un peu comme si une fuite s’organisait en direction des Indes. L’importance en est bien soulignée par les pourcentages à la moyenne111 : 145,56 %, au bout d’une série d’écarts positifs importants, depuis 1583 : 110,15 %, 131,99 %, 121,24 %, 104,43 %, 197,74 %, 70,39 %.
177La masse des Retours de 1589 ne s’en sera pas moins écoulée au prix d’un maximum de difficultés : en raison, entre autres facteurs, d’une chronologie insolite. En fait, on n’est pas en présence d’une seule masse des Retours, mais de deux paquets parfaitement autonomes. Cette structure, hâtons-nous de le dire, est parfaitement insolite. Les Retours s’effectuent, à l’ordinaire — outre quelques sueltos chargés de cargaisons de médiocre valeur — en une seule masse automnale, dont l’action ne peut se faire sentir qu’assez tard dans le cours de l’année suivante.
178Ici, la masse importante des Retours de 1589 est due à l’accolement de deux flux, tout à fait distincts. Un premier convoi, autour des zabras de Gonzalo Monte Bernardo112, arrive, assez éprouvé, le 1er avril 1589 à San Lúcar. Il s’agit d’un retour différé, prévu pour 1588. L’escadrille de Gonzalo Monte Bemardo destinée à faire la liaison, en 1588, avec la Nouvelle Espagne, à rapporter l’argent, n’a pu rejoindre à temps, à La Havane, l’escadre d’Alvaro Flores de Quiñones, chargée de la même mission en direction de la Terre Ferme. Peut-être, entre autres facteurs, parce qu’elle est encombrée de 9 navires marchands, dont elle doit protéger le retour, tandis que Flores de Quinones a eu à veiller sur ses seules zabras. La nature des exportations de la Nouvelle Espagne, moins uniquement centrées sur l’argent que celles de la Terre Ferme/Pérou, explique que la ligne de Nouvelle Espagne soit toujours, relativement plus encombrée, sur l’axe des Retours, peu chargé, en moyenne, pourtant.
179On aura donc hiverné à la Havane. On aura, sous la pression de gros besoins de numéraire en Espagne et faute d’une technique du retour après hivernage qui s’affirmera au XVIIe siècle, seulement, effectué un retour trop précoce, donc, coûteux113, avec en outre, situation toujours suspecte, un abordage de la zabra, Nuestra Señora de Guia, au Portugal.
180Néanmoins, ce premier lot de Retours, qui n’a pu, sensiblement, agir sur les départs de 1589, — il aura, tout au plus, favorisé le financement de la poussière tardive qui suit le gros départ de la flotte Diego de la Riviera, — facilitera la tâche aux exportateurs en 1590.
181Mais l’écoulement du flot de l’année faisant un curieux pendant à ces Retours différés de 1588, anormalement précoces en 1589, va être anormalement tardif, cette fois, sous la forme du gros convoi combiné114 constitué par les flottes de Martin Pérez de Olozábal (Nouvelle Espagne), d’une petite partie de la flotte de Riviera115 (Terre Ferme) et l’armada de Alvaro Flores de Quiñones (substitut à l’Armada de la Guardia de la Carrera de las Indias de Terre Ferme). On a fait ailleurs le récit mouvementé de ces Retours dramatiques. Le bilan en sera, entre autres, un pourcentage énorme des pertes, dépassant 10 %. La cause réside dans la faute qui a été commise d’un départ beaucoup trop tardif de la Havane, du 9 au 12 septembre..., en pleine ère des tempêtes, quand la procession des hurricanes bat son plein. Plus tard, par suite de l’expérience amèrement acquise en 1589, la règle très rigide s’établira, de l’hivernage obligatoire, quand la sortie de la Havane n’a pu se faire avant le 20 août, dernier délai.
182Le forçage malencontreux de 1589 aura été effectué sous la pression, en partie, des besoins d’argent du Roi (le deuxième semestre de l’année ouvre l’ère des interventions massives, en France, de l’Espagne de Philippe II). Il procède aussi, du désir d’utiliser, au maximum, le potentiel tonnage réduit dans les proportions radicales qu’on a vues. D’où un rythme de rotation, tout à fait exceptionnel, presque insolite, depuis l’ère de la navigation en convois, l’Aller et retour, en sept à huit mois, d’une masse aussi énorme.
183Mais le prix de la vitesse est très lourd : tempête à la hauteur des Bahamas et des Bermudes, tempête à la hauteur des Açores, l’arrivée en ordre dispersé sur les côtes d’Espagne et du Portugal, l’abordage à Lisbonne, l’acheminement, coûteux, profitable aux fraudeurs, des trésors par terre, l’immobilisation, pendant cinq mois, d’une partie de l’argent aux Açores. Ce lourd coefficient de pertes est la conséquence d’un rythme excessif d’utilisation du matériel, on peut l’additionner, donc, dans la colonne du passif de l’incendie de Cadiz de 1587 et, plus encore, de l’effort insensé de l’Invincible. Quelles que soient les conséquences, à plus long terme, d’un pareil forçage, dans l’immédiat, il aura eu, du moins, l’intérêt de mettre entre les mains du négoce, d’abord, de l’armement, accessoirement, ensuite, des moyens qui vont faciliter certaines réussites ultérieures, a priori, paradoxales.
2. Les apparences
184Ces réussites, il est vrai, n’apparaissent guère, de prime abord.
185a. Les Retours. — Le nœud des Retours malencontreux de 1589, n’a-t-il pas eu comme conséquence, — c’est, du moins, l’apparence — l’anéantissement à peu près total du mouvement Retours en 1590 ? Conséquence, la chose n’est pas certaine, d’ailleurs. Disons, du moins, succession. Les Indes ont été, pourtant, décongestionnées, en 1589, des navires qui y étaient partis en mars. Les trois-quarts, au moins, des Allers de 1589 sont paradoxalement rentrés, l’année même. Le volant de navires qui, à l’ordinaire, séjournaient dans les eaux de la Méditerranée américaine, n’existe plus. Il a servi, on s’en souvient, à alimenter les besoins en tonnage de la prodigieuse vague d’expansion des années 80, à couvrir une partie des besoins militaires de la guerre hispano-anglaise, puis à combler une fraction des pertes occasionnées, directement ou indirectement, par cette dernière. Grâce à quoi, il s’est vidé. Le court-circuit des Retours anormalement précoces en 1589 va laisser les Indes nues en 1590 ; d’où l’impossibilité d’organiser le retour normal d’un convoi charpenté. Et puisque le tour de force de 1589 n’aura été possible qu’une fois, les départs de 1590 alimenteront normalement les Retours de 1591, creusant, ainsi, un vide dans les Retours de 1590.
186Cette grave anomalie du trafic Retours a trouvé sa cause occasionnelle dans l’excès de rapidité de rotation d’une petite partie de l’armada y flota de Diego de la Riviera116. Mais, beaucoup plus, dans la timidité de Diego de la Riviera, l’année suivante. L’arythmie des années 90 se prolongera, en vertu de cette règle déjà posée, qu’une anomalie, surtout négative, engendre une onde de choc qui ne s’atténue que lentement. D’autant plus que l’amenuisement du volume des Retours, dicté par d’autres facteurs, est particulièrement propice à une longueur d’onde plus grande des départs et arrivées.
187A la limite, donc, s’il n’y a, pratiquement, pas de Retours à attendre en 1590117, hormis quelques sueltos, sans importance, en provenance des îles un aviso de Nouvelle Espagne et les deux galizabras de Pedro Menéndez Mârquez, elles ne trouvent même pas le moyen d’aborder normalement, contraintes, soi-disant, d’aborder à Viana, au Nord du Portugal. C’est un fait grave qui risque de se répercuter longtemps. Pour bien mesurer le caractère insolite — insolite en 1590, il ne le sera plus quinze ans ou cinquante ans plus tard — de semblable événement, il suffit de rappeler ces chiffres : 12 unités, 1210 tonneaux-toneladas. Trois précédents, seulement, de pareilles déroutes, en chiffres absolus et au tout début du mouvement (1509, 1517, 1524). En chiffres relatifs, par contre (7,39 % de la moyenne), il est et de très loin, sans précédent. Les équivalents ultérieurs, eux-mêmes, seront rares — ils auront, en général, des causes différentes — (1592,1638,1643). Par rapport au niveau précédent des Retours (100 unités, 21 541 toneladas ou tonneaux, 145,56 % de la moyenne)118, la chute est d’autant plus importante que le point bas de 1590 découle, en partie, on l’a vu, du point haut qui le précède..., 1590 est de l’ordre de l/19e du niveau de l’année précédente.
188Cette particularité du mouvement Retours est d’autant plus à retenir, qu’elle traduit une modification non négligeable de la vie dans l’Atlantique. Jusqu’à cette date, très exactement, le mouvement Retours constituait, toutes choses étant égales, le volant modérateur, les Allers, au contraire, la courbe de nervosité maximale119. A partir de 1590, il en ira tout autrement : les rôles sont intervertis entre les deux versants du mouvement, aux Retours, la nervosité, aux Allers, une certaine régularité. Cette modification traduit, sans doute, deux modifications profondes, au moins, un sentiment accru de l’insécurité des transports dans l’Atlantique espagnol, une plus grande autonomie des Indes, dont les respirations prennent, désormais, une certaine indépendance, par rapport à celles d’une Europe moins exclusivement dominante.
189b. Les Allers. — L’anomalie qui a pris naissance, on a vu comment, sur le mouvement volumétrique des Retours entre 1589 et 1590, a eu des incidences sur les Allers, heureuses, peut-être, sur 1590, fatalement fâcheuses sur 1591. A plusieurs égards, les départs de 1590 traduisent un niveau presque inattendu d’activité. Par rapport à 1589, les globaux dénotent un certain saut en avant, un peu plus sensible en tonnage qu’en unités, de 117 à 125 navires, d’une part, de 21 072 à 25 310 toneladas ou tonneaux, d’autre part. Le tonnage unitaire moyen de 202 toneladas (contre 233 en 1582 et 178 en 1589) exprime la rentrée en jeu d’une partie des unités de 1588. Il va tomber, bientôt, à 134,9 et 130,6 toneladas ou tonneaux, lors des départs des deux années suivantes, 1591 et 1592. L’écart à la tendance est largement positif, 16,22 %, pourcentage à la moyenne de 116,22 %. Sur le mouvement Allers global, 1590 semble occuper une position intermédiaire, entre 1588 et 1589. Tout cela, bien sûr, point de départ indispensable d’une analyse moins superficielle, ne va pas, pour autant, très loin.
190c. Allers et retours. — Les Allers et retours ne peuvent être, dans ces conditions, ni très originaux, ce qui va de soi, ni, en raison de la distorsion qui écartèle les deux versants du trafic, très représentatifs. D’où une impression de déroute, avec 137 unités, 26 520 tonneaux-toneladas. Le chiffre total des unités mises en cause est raisonnable — en raison, de l’effondrement brutal du tonnage unitaire —, le chiffre du tonnage est faible : le plus faible, à l’intérieur du cycle, dépassé seulement en valeur absolue par les creux encadrants de 1578 et 1592, dépassé, seulement, en valeur relative (71,49 %) par le seul creux encadrant de 1592 (43,32 %, 1578, par rapport à la moyenne, était mieux placé, 78,03 %) Mais il serait douteux de tirer des conclusions hâtives d’une situation qui résulte uniquement du comportement très particulier des seuls Retours.
3. Au-delà des apparences
191Pour se faire une idée exacte du contenu économique de ces chiffres, à une époque où les facteurs militaires continuent à jouer un rôle prépondérant, il importe de regarder, d’un peu plus près, la composition du mouvement Allers de l’année.
192a. Analyse du mouvement Allers. — Le mouvement comprend toute une série de petites armadas qui constituent comme le prolongement des expédients des années précédentes120, elles prouvent que le rythme normal des communications n’est pas rétabli et que les traces de l’Invincible ne sont pas effacées.
193Un énorme effort, toutefois, vient d’être accompli dans ce sens, une marche en direction d’une situation plus normale. Les gros retours des trésors de 1589 l’auront, peut-être, favorisé, en en fournissant le moyen financier : c’est, pratiquement, sous la direction du Général Juan Uribe Apallua121 et de l’Amiral Alonso Chaves Galindo, la reconstitution d’une Armada de la Guardia de la Carrera de las Indias. On ne saurait trop souligner l’importance de cet événement. Si les petites armadas « perce blocus » n’étaient guère aptes au transport des marchandises à l’Aller, surtout, l’Armada de la Guardia de la Carrera de las Indias, au contraire, puissante masse de combat, est aussi un efficace moyen de transport qu’on utilise en bouche-trou. Il arrivera, un moment, au xviie siècle, où elle sera cela, d’abord. Sur les 4 940 toneladas et 14 unités du mouvement armada122, six navires, 3 000 toneladas peuvent être annexés, sans crainte, aux éléments du trafic, économiquement, les plus denses. Ils tiennent lieu, cette année même, de médiocre substitut à une flotte de Terre Ferme, pour deux ans (1590 et 1591), inexistante. On pourrait presque les annexer aux navires marchands quittant le Guadalquivir. A ces navires, il convient d’ajouter, aussi, un fort contingent de Caditains (15 unités, 4 500 toneladas ou tonneaux), dont le poids est certain.
194C’est pourquoi, la simple comparaison des résultats contenus dans la colonne « navires marchands de Séville » risquerait de désavantager 1590. De 1589 à 1590, on passe de 82 à 71 unités, de 17 412 à 13 730 toneladas ou tonneaux. Si on annexe, comme il est prudent de le faire, l’Armada de la Guardia de la Carrera de las Indias aux chiffres précédents, on sera amené sur des niveaux à peu près comparables aux niveaux de 1589, à savoir, 77 imités au lieu de 82, 16 730 toneladas ou tonneaux, au lieu de 17 412.
195Autre élément qui semble indiquer une authentique plus-value des Allers, le mouvement des Caditains, dont l’accroissement est autant qualitatif que quantitatif, puisqu’on passe de 8 à 15 unités, mais en raison d’un brusque gonflement du tonnage unitaire, de 1150 seulement à 4 500 toneladas ou tonneaux. Si on additionne navires marchands de Séville d’une part et Caditains, d’autre part, on constatera de 1589 à 1590, un progrès sensible, quand même, au départ des éléments économiquement les plus lourds, dans la proportion de 90 à 92 navires et de 18 562 à 21 230 toneladas ou tonneaux. Progrès par rapport à 1589 et, à plus forte raison, par rapport à 1588, dont on a vu, à son heure, la faible signification économique du mouvement. En 1590 comme en 1589, la proportion de volume économiquement utile, par rapport à l’ensemble du volume disponible revient à un ordre plus raisonnable de grandeur.
196b. Mouvement en valeur. — Ces indices fermes de santé, quand même, sont corroborés par la position extraordinaire de l’année sur le mouvement en valeur123, si on en croit, du moins, les indications tirées de l’avería. 1590 accuse, avec 1592, un des plus forts niveaux de valeur fiscale présumable d’une très longue période : 2 479 087 313 maravedís, soit plus que 1582, plus que 1584, plus que tous les niveaux même les plus élevés du cycle suivant.
197Convient-il de prendre tout à fait au pied de la lettre ces derniers chiffres ? Comme toujours, il ne faut pas perdre de vue le principe de critique constant des séries les unes par les autres. 1590 est l’année de la reconstitution d’une Armada de la Guardia de la Carrera de las Indias, à une époque où plusieurs facteurs ont pu favoriser le bon rendement des forces contributives de la Carrera. Au tout premier chef, le danger extérieur, corroboré par des expériences récentes, le désir d’une protection meilleure qui permettra de renouer à travers l’Atlantique les réguliers et fructueux trafics d’antan. Les besoins d’argent du Roi, au plus coûteux de sa grande politique française et la puissance encore d’un Monarque qui sait se faire obéir. Tous ces facteurs auront assuré, en 1590 comme en 1592, un rendement maximal, — il ne sera, peut-être, plus jamais approché — à un système fiscal124 qui traverse la phase de sa plus grande efficacité. Suffisamment rodé, il ne s’est pas encore usé, comme il le fera plus tard. Il est sous-tendu, encore, par une large richesse.
198Quelle qu’ait pu être l’incidence d’un meilleur rendement — aucune mesure n’en est possible, il est seulement vraisemblable — elle ne nous dispense pas de prendre, au tout premier chef, en considération ce que le mouvement valeur fait apparaître.
199Il confirme ce qu’on a pu observer, déjà, en pareille circonstance, à propos de l’extrême vitalité de l’Atlantique de Séville125. Moins de deux ans après la terrible crise des années 1587 et 1588, les exportations en valeur de Séville et de ses annexes égalent, au moins, les niveaux atteints au milieu de la fluctuation médiane. Entre 1589 et 1590, la progression est de l’ordre de 55 %, pour des volumes utiles, à peu près du même ordre, en progrès tout au plus de 10 %. Entre 1588 et 1590, le décrochement cumulatif est de 110 % pour une progression du volume utile à peu près nulle.
200Un problème subsiste : n’y a-t-il pas eu, en 1588, une tolérance plus large, en raison même du coup qui venait de frapper le commerce ? Même, en tenant compte du jeu, peut-être, inverse des marges fiscales aux deux extrémités de cette courte série, — sur deux ans, les distorsions ont, fatalement, pour se développer, un champ restreint —, la différence est telle, le trend, si clairement indiqué, qu’il n’y a pas de doute possible. Entre 1588 et 1590, toutes choses étant égales, il y aura eu doublement, au moins, de la valeur unitaire des marchandises transportées.
201Le mouvement en valeur laisse apparaître aussi ce qu’on a pu déjà noter, à propos du caractère progressif des périodes de plus grandes difficultés.
202Une fois de plus, on observe, en effet, ce qu’on avait déjà cru voir, lors de la récession intercyclique du demi-siècle de 1550 à 1559, au cours de la récession beaucoup plus relative des aimées 70, un décalage très net entre les rythmes des volumes et ceux des valeurs. C’est pendant les périodes de récession, de difficultés et de contraction des volumes, — surtout quand ces difficultés sont des difficultés extérieures, c’est le cas, ici, ce fut celui des années 50 —, que se situent les plus grandes transformations du trafic. Entre 1588 et 1590, mieux, entre 1588 et 1592, le chemin des pondéreux alimentaires aura été un peu plus condamné, encore, que par le passé. Un tel archaïsme ne pouvait, la chose va sans dire, que se résorber, lors de la conjoncture difficile de ces années. Il a fallu faire un choix : on aura donc renoncé à exporter les produits les moins précieux. Les exportateurs de pondéreux relatifs n’auront pu supporter l’augmentation brutale du prix du fret, commandée par le jeu de l’offre et de la demande, pour couvrir les gros investissements nécessaires à la reconstruction des stocks détruits des navires.
203Cette transformation, par élimination d’une plus grande proportion de pondéraux agricoles, aura trouvé un terrain favorable dans une circonstance défavorable supplémentaire : la famine andalouse de 1589-1590. La Casa de la Contratación insiste beaucoup sur un accident météorologico-agricole qui semble avoir infiniment frappé les contemporains126 : on ne trouve pas le précieux biscocho sur place, il faut recourir à de grosses importations de blé breton127. Ce jugement est pleinement corroboré par les séries de Hamilton. L’indice des grains128 (197,3) en 1589 n’a jamais été atteint, nulle part, depuis 1501 : il sera dépassé, quelquefois, plus tard, en pleine inflation du billon, notamment, mais très rarement. Comment exporter des farines quand on est à peine capable de fournir l’approvisionnement du bord avec des grains d’importation129 ?
204Il n’est pas certain que la structure des échanges acquise au cours de ces années (1589 et, surtout, 1590), consolidée en 1592, sera intégralement conservée par la suite. Les deux milliards et demi, pratiquement, des exportations reconnues de 1590 n’en constituent pas moins une indication de poids. Ils tendent à conférer son entière signification au schéma que l’on peut faire de la période 1588-1592. Sous la pression de la réduction massive du tonnage disponible, il y aura un triage des exportations ; au début, encore, écoulement de pondéraux, par vitesse acquise, en 1588, surtout, où personne, dans l’insécurité du lendemain, ne désire compromettre de grosses sommes ; par la suite, de plus en plus, triage, par élimination des « économiquement faibles » de la liste des exportations.
205Ainsi, donc, si on s’en tenait à la seule leçon du mouvement valeur, il faudrait raccourcir considérablement la queue déprimée du présent cycle et faire commencer plus tôt l’accélération du second. Une fois de plus, il résulte de ces considérations qu’il y a bien lieu, comme on l’a préconisé, de faire de l’année 1590 une charnière secondaire, à l’intérieur de la fluctuation primaire 1588-1592.
4. Et pourtant, les difficultés continuent
2061590 ne marque pas le terme des difficultés. D’autant plus qu’elles sont, certains égards, on l’a vu, la source de modifications et de progrès. Elles contribuent toutes à façonner ce goulot physique des transports que le commerce s’efforce d’accommoder..., en cette année, surtout, où il bénéficie de l’élan que le sursaut des prix de 1589 lui a conféré.
207a. Pertes, défaillances et perturbation du trafic. — Ces difficultés, ce sont, d’abord, des pertes exorbitantes : 17 navires, 3 710 tonneaux-toneladas (reconnues), 13,98 % (entre les 10,58 % de 1589 et les 22,66 % de 1591). Des pertes qui, fait significatif, ne sont pas pertes de guerre130, mais, essentiellement des pertes de mer, entendez, dans ce cas, des pertes dues au mauvais état du matériel ou au non-respect dans la navigation des règles de prudence, en ce qui concerne, notamment, la chronologie optimale des départs.
208Le massacre mémorable par les nortes sur les côtes de la Nouvelle Espagne, au large de la Vera Cruz, de 16 navires de l’énorme convoi Antonio Navarro de Prado/Aparicio de Arteaga131 illustre les conséquences fâcheuses de tensions excessives. Elle est à mettre au passif d’un départ trop tardif, partant, d’une arrivée en novembre sur les côtes mexicaines. Elle est due, aussi, à la mauvaise qualité des navires qui résistèrent plus mal, peut-être, que de coutume : les résultats le prouvent.
209Mais le grand responsable de cet insolite massacre, reste bien le non-respect d’une chronologie prudente. Départ trop tardif, d’abord, une certaine lenteur dans la marche, ensuite ; cette lenteur mortelle est imputable, au premier chef, aux dimensions insolites d’un convoi géant de quatre-vingt navires, si on ajoute à la Nouvelle Espagne toutes les directions secondaires qui viennent s’y greffer.
210De telles dimensions, de l’ordre de 17 000 tonneaux, crèvent, manifestement, un optimum d’efficacité dans l’utilisation de l’équipement physique de la Carrera. Mais, un convoi de 17 000 tonneaux se justifie ou, du moins, s’explique, quand un convoi optimum de dix à douze mille tonneaux n’a pu suffire et que deux convois de cette dimension dépassent les possibilités, soit économiques, soit techniques (il s’agit plus spécialement de cette dernière limite en l’occurrence) de l’Atlantique sévillan. Or le grand et le premier responsable de cet excessif gonflement, c’est, évidemment, l’absence en 1589 d’une flotte régulière de Nouvelle Espagne, ou, si on veut, la biennalité qui finit par affecter ce trafic jusqu’ici stable, par excellence, pourtant. La Nouvelle Espagne, en effet, de 1586 à 1592, sous la pression d’une conjoncture de crise du tonnage, manque à sa fonction stabilisatrice des échanges, dans la mesure où elle est affectée, finalement, dans ses rapports avec la péninsule, par le rythme biennal caractéristique depuis longtemps du trafic de Terre Ferme.
211Le non-ravitaillement de la Nouvelle Espagne, en 1589, aura été durement senti. La Nouvelle Espagne — c’est elle qui compte le plus grand nombre de colons, mal détachés, encore, parce que plus proches, plus nombreux, moins dépaysés que les lointains pionniers de l’Amérique andine, de leurs origines et de leurs habitudes de vie méditerranéenne — n’était guère accoutumée aux défaillances de ses approvisionnements sévillans. Frappé, tout récemment, — pour des motifs purement extérieurs, il est vrai — par la défaillance de sa flotte, lors de l’incendie de Cádiz en 1587, normalement approvisionnée en 1588, mais insuffisamment, selon toute vraisemblance, pour combler les besoins laissés insatisfaits, par l’accident de 1587, le marché «méditerranéen » de la Nouvelle Espagne devait connaître, en 1589, une nouvelle défaillance, d’autant plus grave, qu’elle venait s’ajouter aux malheurs mal effacés de l’accident consécutif à l’incendie de Cádiz. Il y aura eu, sur le marché de la Nouvelle Espagne, effet cumulatif dans la pénurie. Circonstance aggravante, enfin, pour la Nouvelle Espagne, le non-ravitaillement de 1589 ne procédait pas d’un événement accidentel, mais d’un choix en faveur de la Terre Ferme, face, sans doute, à une pénurie plus grande encore, dans ce domaine, face aussi, plus vraisemblablement, à des perspectives meilleures en Terre Ferme.
212L’énorme pression de la demande, en 1590 et les perspectives qu’on en pouvait attendre sont responsables de ce convoi géant, donc, des retards de la préparation, de la lenteur de l’acheminement..., partant, de ces perte anormales dont l’effet est d’aggraver la crise du tonnage, de renforcer les causes qui sont à l’origine de ces malheurs. Nous sommes au commencement d’une véritable réaction en chaîne, particulièrement dangereuse, à partir du moment, si l’on veut, où la crise alimente la crise.
213A son tour, donc, le trop lourd convoi nouvel espagnol de 1590 aura été géniteur de nouvelles perturbations. Ses exigences sont à l’origine de la non mise sur pied d’une flotte de Terre Ferme. La Terre Ferme, il est vrai, grâce à l’Armada de la Guardia refaite, aura reçu, quand même, 18 navires et 5 480 toneladas ou tonneaux. Depuis qu’à Séville, on a mieux saisi la gravité du péril que faisait encourir à l’intégrité de l’Atlantique espagnol le non approvisionnement systématique du Sud du continent, on va veiller, un peu mieux, aux besoins de la Terre Ferme132. C’est ce que traduisent, à leur manière, les pourcentages de répartition entre les trois directions et provenances fondamentales. Aussi, — double conclusion — la Terre Ferme a été moins sacrifiée qu’elle le fut, parfois, un peu délibérément en période de plus grande facilité, mais c’est au prix d’une énorme perte infligée à la Nouvelle Espagne. Quel que soit l’effort fait en sa faveur, la Terre Ferme doit se contenter, à nouveau, en 1590, de moyens de fortune, tant l’urgence mexicaine a été dominante. Le goulot d’étranglement de « la mer » est tel, au cours de ces années, qu’on ne fait, plus face, chaotiquement, qu’à des urgences.
214La correspondance de la Casa est pleine, comme de coutume, d’épisodes qui illustreront les insuffisances dont souffre, plus que jamais, l’Atlantique de Séville, sollicité, malgré ses réserves de puissance, au-dessus de ses forces.
215En 1590, par exemple, la nécessité d’envoyer des secours au gros de la flotte de la Riviera133 désorganise et retarde134 les préparatifs de la flotte normale de Nouvelle Espagne, l’énorme convoi, précisément, d’Antonio Navarro Prado : si on manque de navires, au cours de ces années, on manque surtout de gros navires, en assez bon état, pour fournir, le cas échéant, des armadas.
216Le départ des deux galions de Diego Hurtado de la Fuente, épisode combien minime, montre à quelle tension est soumise la Carrera, au cours de ces années. Puisqu’il a fallu prendre les navires qui avaient été prévus et préparés pour la Nouvelle Espagne, comme capitana et almiranta de la flotte de Terre Ferme d’Antonio Navarro de Prado. Admettons même, c’est plus que vraisemblable, que l’épisode ait été grossi par des gens toujours enclins à rendre le Roi et ses services responsables de leurs propres insuffisances, il a, du moins, le mérite de prouver qu’il eût été, techniquement, très difficile, sinon impossible, d’envoyer deux convois, du type armada y flota classique, aux Indes. Il suffit, pour s’en persuader, de suivre, dans la correspondance de la Casa les difficultés que suscite le remplacement des deux navires d’armada à la tête de ce convoi135.
217b. Crise de main-d’œuvre et crise de subsistances. — Deux facteurs, surtout, semblent avoir joué un rôle considérable dans la persistance des difficultés et dans l’atmosphère tendue qui marque ces années.
218L’extrême gravité de la crise de cette main-d’œuvre spécialisée des gens de mer, a joué, au premier chef.
219Que l’Invincible soit en cause, la demande de licence d’un Aufrán Boquín viendrait nous le remettre en mémoire136. On peut, vraisemblablement, placer en 1590 le point d’acuité maxima de la crise. L’incidence semble particulièrement lourde sur le coût des gens de mer. Les marins espagnols exigent, dit-on137 le payement de quatre mois de gages à l’avance. La prétention semble exorbitante aux armateurs ; ils sont obligés, quand même, de s’y soumettre.
220Le recours massif à un recrutement étranger permettra de faire face à semblable péril. Cette mesure n’a pas été prise de gaieté de cœur, certes, en raison du danger politique qu’il pouvait présenter et, en général, d’une moindre qualification du personnel engagé, pour le moins, d’un moindre entraînement à la navigation spécifique de la Carrera. Les agents du fisc préconisent le retour — ils l’ont déjà fait en 1588138 — à une solution d’autorité, aussi coûteuse pour les armateurs qu’avantageuse, le cas échéant, pour le Roi : ne pas licencier les marins, à l’arrivée d’une flotte, afin d’avoir un personnel prêt à repartir, une masse de manœuvre, où le Roi puisse réquisitionner, à sa guise, pour les besoins de la défense. Seul, pourtant, l’appel, dangereux mais efficace, à la main-d’œuvre étrangère, permettra à Séville de sortir de cette crise.
221La crise est d’autant plus grave, que l’Espagne — on s’en est expliqué139, les travaux de Earl J. Hamilton le montrent140 — traverse, depuis 1586, une période de grande cherté de la main-d’œuvre. Le recrutement sur place, la formation rapide d’un personnel non qualifié se heurtait donc à de grosses difficultés. Elle revêt une acuité toute particulière, dans la mesure où elle est comme surajoutée, surimposée, à une crise plus générale, à une insuffisance accentuée, à cette époque, de la main-d’œuvre espagnole141.
222Le second facteur aura été la crise des subsistances andalouses. Il a déjà été mentionné, sous l’angle particulier d’un accélérateur possible de transformations structurelles, on risquerait presque de dire, de progrès techniques142.
223La correspondance de la Casa de la Contratación permet de compléter sur ce point une lacune de la série des prix de Hamilton143. Les prix des grains ont dû être aussi excessifs en 1590 qu’en 1589. Il est vrai que les préparatifs de la flotte de Navarro Prado se seront effectués davantage sous le signe de la récolte de 1589 que sous celui de 1590, de toute manière, sous le signe, quant au ravitaillement, de difficultés maximales. Cette extrême cherté du grain, donc du biscuit, aura joué de deux manières au moins.
224Action de frein, d’abord. Il faut attendre l’arrivée des armadas de secours porteuses de blé breton. Le départ tardif du 1er août, dont on a vu d’ailleurs144, les conséquences fâcheuses en a été influencé. Le coût du fret, aussi, sérieusement affecté. Il aura dû incorporer, entre autres facteurs de hausse, le prix d’une nourriture d’un coût double, presque, d’une année normale. Raison de plus, pour écarter des pondéreux indésirables, et favoriser le triage des exportations en faveur des seuls produits de grand prix, que la juxtaposition des courbes, en volume et en valeur, nous a montré. Il ne restera plus, aux Indes, qu’à s’adapter..., et quand Séville voudra renouer, plus tard, des circuits d’échanges marginaux, qu’elle eût aimé reprendre en période de conjoncture favorable, elle s’étonnera de ne plus retrouver ses marchés... ; ou le besoin, qui les animait, se sera tari, ou d’autres seront venus.
225Toutes ces particularités invitaient à conférer à 1590 le rôle d’un plan de clivage. Le trafic de 1590 ouvre la porte à une période de deux ans qui va consolider et affirmer ses caractères, tout en tournant résolument le dos à 1588 et 1589.
III. — AU CREUX CYCLIQUE DES VOLUMES : LE DIVORCE VOLUMES/VALEUR
226C’est la caractéristique essentielle des deux années qui font charnière, on a vu pourquoi, entre la longue fluctuation 1578-1592 et le cycle qui se dessine, dans les douze ans qui viennent, de 1592 à 1604. Creux volumétrique, on peut difficilement le rêver mieux dessiné, avec un synchronisme plus parfait, sur l’ensemble des grands axes du mouvement, il est doublé de niveaux remarquablement élevés sur les séries des valeurs. A tel point que ces deux dernières années de la fluctuation constituent un peu comme le négatif des deux premières années 1588 et 1589. Entre ces deux pôles catégoriquement opposés, 1590, avec les caractéristiques de l’une et de l’autre période, jette un pont et assure des transitions rapides.
227On peut affirmer, sans paradoxe, que c’est au cours de ces deux années du creux apparent de 1591 et 1592, que se font sentir au maximum, les effets cumulés des grandes destructions de 1587 et 1588, auxquelles s’est ajouté l’effet cumulatif des pertes conséquentes des années suivantes, 1589 et 1590. D’où cette réduction accessoire du nombre des unités mises en causé (moyenne annuelle de 151 navires par an, au fieu d’une moyenne annuelle de 163 navires de 1584 à 1587, de 169,2 de 1588 à 1592 et de 181,3 de 1588 à 1590), mais, bien plus encore, réduction des tonnages correspondants.
228On est, ici, au creux du tonnage unitaire des navires, après la grande ponction sélective des années précédentes : 22 636,5 toneladas du trafic annuel, Allers et retours, contre 34 597 1/2 toneladas pour l’ensemble du cycle 1579-1592, 30 234,6 toneladas de 1579 à 1583, 40 847,37 toneladas de 1584 à 1587, 31160,6 toneladas de 1588 à 1592 et 36 843,3, encore, de 1588 à 1590.
229La cause de l’ampleur exceptionnelle de ce repli réside, presque uniquement, dans la modification passagère du matériel naval, dans la résurgence, pour un temps bref, du petit matériel du début de la conquête. Le tonnage unitaire moyen du mouvement des deux années 1591 et 1592 n’a jamais été aussi bas depuis cinquante ans (149 tonaeaux-toneladas145, il ne le sera jamais plus, a fortiori. Le matériel reconstruit pour effacer les traces de la catastrophe sera un matériel lourd, excluant, peut-être, les monstres non rentables, pour quelques décades, du moins, (les plus de 1000 tonneaux), mais plus homogènes, plus uniformément lourd que celui qu’il était appelé à remplacer. Cette particularité explique, en partie, la discordance frappante entre les volumes et les valeurs transportées, caractéristiques d’une période bien moins importante, dans la Carrera, où l’on va assister à la reconstruction courageuse d’une nouvelle prospérité, prolongée et, à certains égards, même, un peu à contrecourant.
230Le creux qui se dessine, sur deux ans, de 1591 à 1592, comprend deux aspects différents.
2311591, point bas du mouvement Allers, mais haut niveau du mouvement Retours, a pour pendant 1592, avec un mouvement Allers en reprise, mais, par contre, une absence spectaculaire des Retours. Faisant toile de fond, un mouvement valeur d’une grande indépendance, avec des niveaux véritablement étonnants, source vraisemblable de gros profits, qui auront contribué à faciliter la reconstitution rapidement menée, dans les premières années du cycle suivant, du matériel naval de l’entreprise.
1591-1592. — SCHÉMA : APPARENCES ET RÉALITÉS
232Si on se limite aux leçons du mouvement volumétrique, — on a vu déjà, avec quelle prudence, il convient de les entendre, au cours de ces années, — on concluera à l’existence d’une fluctuation très courte sur trois ans.
1. Volumes
2331590 en serait le creux initial, avec, sur les Allers et retours, 137 unités et 26 520 tonneaux-toneladas.
234Le creux relatif est confirmé par la référence à la tendance majeure (71,49 %) et par comparaison avec le niveau précédent (repli de 35,5 % en volume, de 36,5 % en imités), de 10 %, en volume, par rapport à l’année suivante, de 20 % en unités. Le creux de 1590, peu sensible sur le mouvement volumétrique en tonnage, est beaucoup plus vigoureusement dessiné sur l’expression du seul nombre des navires.
235Au milieu, un sommet très relatif correspond au découpage de l’année 1591. De 71,49 %, en 1590, on passe à 80,16 % par rapport à la tendance par un décrochement inverse, de l’ordre de 10 % en tonnage, d’un peu plus de 20 % sur l’expression unitaire du mouvement.
236Ce sommet médian est peu sensible, par contre, si on le définit par rapport au creux de 1592 : ce creux volumétrique de 1592, qu’en raison de sa profondeur on a choisi pour faire passer une importante frontière intercyclique. Par rapport au précédent point haut, le décrochement en tonnage est supérieur à 45 %, à 28 % encore sur la série unitaire. Par rapport au trend, le creux se marque avec une vigueur plus grande encore en passant du niveau relatif, 80,16 % à 43,22 %.
2371592 doit sa position aussi vigoureusement affirmée en contrebas à l’évolution catastrophique du tonnage unitaire. N’est-ce pas, très exactement, à cette hauteur que se trouve marqué le terme, le point de rebroussement du cycle court du petit navire. Le tonnage unitaire moyen est descendu en 1592, jusqu’au niveau incroyablement bas de 127 toneladas, contre 149 toneladas pour la moyenne annuelle des deux années du creux volumétrique (1591 et 1592), 235 toneladas pour l’ensemble du cycle 1579-1592 et 214,3 toneladas, pour le cycle suivant de 1593 à 1604. Pour mieux comprendre la signification, à court terme de ce chiffre de 127 toneladas, il suffit, d’ailleurs, de le comparer aux chiffres encadrants, soit respectivement, pour 1591 et 1593, 166 et 206 toneladas.
238Plusieurs faits, toutefois, induisent à mettre en doute la portée de ce schéma. La totale indépendance que revêtent, d’abord, l’une par rapport à l’autre, les courbes volumétriques des Allers et des Retours. Avec cette circonstance aggravante que les Retours, ne représentent au cours des trois ans de la fluctuation qu’une partie très faible de l’ensemble146 du mouvement, 27,3 % du nombre total des navires contre 72,7 % pour les Allers, 29 % du tonnage global pour les Retours contre 71 % — et que ce ne sont pas moins les Retours qui imposent sa démarche au mouvement global pour la seule raison de l’extrême amplitude de leur fluctuation.
239Les Retours dessinent, en effet, une pointe limitée par les creux extrêmes de 1590 (12 bateaux, 1 210 tonneaux, 7,39 % du trend) et de 1592 (9 bateaux, 740 tonneaux, 5,09 % du trend) et charpenté sur le sommet de 1591 (100 bateaux, 19 003 tonneaux, 134,53 % du trend). A tel point que les Retours de l’année 1591 constituent, à eux seuls, 82,65 % du nombre total des navires, 90,7 % du tonnage total des Retours, sur les trois ans de la fluctuation éventuelle 1590-1592. Mais trop de facteurs purement accidentels pèsent, nous l’avons vu et nous aurons l’occasion de le voir encore147, cette répartition pour qu’on puisse lui attribuer une grande signification, comme expression d’une conjoncture économique profonde. Elle agit, certes, mais plutôt par ricochet, par l’influence que possèdent les nœuds et les trous du flot des Retours sur la conjoncture postérieure des départs.
240Totalement différent, voire très exactement à l’opposé — à l’opposé ne signifie pas indépendant — le mouvement Allers. Ici, deux points hauts encadrent un creux relatif, 1590 et 1592 respectivement à 1591. En cette période d’extrême pénurie de tonnage, les points hauts de 1590 et 1592 auront été, en grande partie, conditionnés par les hauts niveaux des Retours en 1589 et en 1591. Les points hauts sont fort inégaux, d’ailleurs, sur les globaux, du moins, et, à première vue, d’une texture différente. 1590, nous l’avons déjà dit, atteint avec 125 unités, le tonnage respectable de 25 310 toneladas ou tonneaux, il met, donc, en cause, encore, une certaine proportion de navires de moyens et gros tonnages, avec un volume unitaire moyen de 201 tonneaux. Il est encadré, d’autre part, par deux points qui lui sont en contrebas. Peu détaché de 1589, décrochement infime sur le mouvement unitaire, moins de 20 % compte tenu d’une légère réduction de la taille moyenne des bateaux d’une année sur l’autre, il est à bonne distance de la dépression encadrée de 1591, le décrochement est, entre les deux niveaux, de 39,2 % sur le mouvement unitaire, de 59,3 % sur les tonnages.
241La position en creux de 1591, vis-à-vis de 1590, toujours sur les récapitula tifs Allers est bien marquée sur les pourcentages à la tendance majeure, soit 45,73 % entre les 116,22 % de 1590 et les 67,814 % de 1592. A noter, au départ comme au Retour, le décalage observable sur les tonnages unitaires moyens du mouvement. La chute du tonnage unitaire moyen des navires à l’Aller se précipite entre 1590 avec son niveau presque normal encore de 201 tonneaux et 1591 avec 134,9 tonneaux seulement (soit sensiblement le même niveau qu’au cours du creux record de 1592, 130,5 tonneaux). Sur des Allers, aussi, le dessin de la dépression — tant absolue quand il s’agit de 1591, que relative pour 1592 ou 1591-1592 — est assumée pour beaucoup, exagérée, du moins, par un brusque lâchage du tonnage unitaire des navires.
242La constance du tonnage unitaire sur deux ans, sa profonde originalité par rapport à l’encadrement, avant, de l’ancien matériel, après du nouveau matériel reconstitué, nous prouve bien que c’est, ici, à la hauteur des deux années 1591 et 1592, qu’il faut voir le véritable contrecoup maximal de l’Invincible. Pour faire face aux urgences, on a dû faire appel à un matériel du dehors, à un matériel étranger148.
243Ce qui forme l’armature passagère de la Carrera au cours de ces années, c’est, joint aux rescapés des précédents massacres des petits navires, le matériel étranger, importé en bouche-trou, un matériel de petite taille, lui aussi. Ce brusque fléchissement du tonnage unitaire des navires employés dans la Carrera constitue donc, une preuve supplémentaire de cette règle que l’on peut poser, à partir du milieu du xvie siècle, entendez de la supériorité quant à la taille, du gigantisme si on préfère, du matériel naval espagnol de l’Atlantique hispano-américain un siècle durant.
244La position de 1592, le deuxième élément encadrant du sommet très relatif de 1591, est fort différente de celle de 1590. L’écart est moindre, de 10 250 à 15 280 toneladas ou tonneaux, il n’est plus que de 5 030 toneladas ou tonneaux, de l’ordre de 32 % au lieu de 59,3 %, dans l’autre sens. Fait d’autant plus notable que le nombre des navires, en partance en 1592 est sensiblement égal à celui de 1590, 117 navires, 8 de moins seulement qu’en 1590, un recul relatif de 7 % ; en face de 15 280 tonneaux au lieu de 25 310 tonneaux. Un décrochement de 39 % au lieu de 7 %, discordance, une fois de plus imputable au lâchage du tonnage unitaire. Par rapport à la moyenne, on retrouve entre 1590 et 1592, le même écart, 116,32 %, d’un côté, 67,814 % de l’autre. Enfin, circonstance beaucoup plus importante, encore, 1592, à la différence de 1590 n’est pas au point de rebroussement, mais une première étape, simplement, sur une pente ascendante régulière qui va de 1591, point bas à 1599, point haut de la ligne des Allers. 1592, par conséquent, s’il est une bonne limite du cycle, à plusieurs égards, convient médiocrement pour les Allers, à moins, solution sage, de considérer qu’il forme, conjointement avec 1591, un point bas pour deux ans sur l’expression volumétrique du mouvement.
245L’importance de ce rythme propre aux Allers est malheureusement masquée sur les Allers et retours par l’action contrariante des Retours. C’est lui, pourtant, qui risque de traduire le plus fidèlement, les démarches de la vie de Séville et de son Atlantique.
2. Valeurs
246Les discordances — déjà particulièrement fortes quand on oppose aux Allers et retours et aux Retours en volumes, le mouvement Allers, exprimé en tonnage de manière analogue, apparaissent particulièrement criantes, si on fait entrer en ligne de compte une quelconque approche du mouvement en valeur : celle tirée de l’avería Aller, par exemple149. On y trouvera le même tracé concave que sur les Allers en volume : 1591 formant dépression entre deux points hauts 1590 et 1592 négatif à peu de choses près des Retours et des Allers et retours. Jusqu’ici, rien de surprenant. Il est tout à fait normal qu’il en soit ainsi, et que valeurs et volumes à l’Aller soient liés par des liens de dépendance.
247Mais ce qui surprend, finalement, c’est que ces liens de dépendance ne soient pas plus étroits ; c’est, une fois de plus, la grande autonomie du mouvement valeur, tout au long de la frontière conjoncturelle des années 1591-1592.
248On constatera — première surprise — qu’à la différence de ce qui se passe pour les mouvements unitaires ou, a fortiori, en tonnage, l’année 1592 ne constitue pas ici un point de rebroussement. 1592, bien au contraire, est un extraordinaire point haut, rarement égalé dans toute l’histoire apparente, du mouvement-valeur ou, si on préfère, de l’approche fiscale du mouvement valeur donc, un point de rebroussement. A suivre cette leçon, loin de n’être qu’un premier échelon sur une pente ascendante, 1592 marquerait, au contraire, un sommet rarement atteint par les exportations, le gonflement ultérieur purement quantitatif étant acquis au prix d’une chute sensible des valeurs. De cette anomalie et des éclairages qu’on en peut tirer, nous tâcherons de nous expliquer ultérieurement150, il suffit pour l’heure de la constater.
249On sera surpris aussi par l’étonnante altitude du mouvement. On a évoqué déjà quelques-uns des problèmes151 que pose cette situation. Une analyse de la série, tant avant qu’après ces années de baisse, permet de constater dans quelle mesure les lacunes et la subjectivité des bases de l’averia permettent de tirer des conclusions fermes de cette constatation. On ne peut, évidemment trancher d’une manière absolue. Un fait demeure, quoiqu’on fasse, il n’y a, pratiquement, pas de groupes de trois ans, qui forment sur le mouvement des exportations en valeur, une masse aussi importante que celle des exportations de 1590 à 1592. Même compte tenu d’un meilleur rendement fiscal au cours de ces années — nous nous sommes efforcés d’en étayer l’hypothèse152, tout en limitant, par ailleurs153, la portée — il n’est pas peu surprenant qu’une telle altitude des valeurs corresponde à un niveau aussi réduit des volumes154, cette anomalie positive est trop forte pour être attribuée à des distorsions de la mesure. Elle demeure un des gros problèmes essentiels et, partant, une des clefs les plus sûres de la problématique de la période.
250Enfin — troisième surprise —, il est vrai, dans la ligne d’un paradoxe qu’elle en fait que renforcer, — l’inégalité des points hauts de 1590 et de 1592, en sens inverse, cela va presque sans dire, du mouvement unitaire et volumétrique. 1592, avec un mouvement unitaire un peu moindre (117 bateaux au global, au lieu de 125), avec un mouvement volumétrique très inférieur, compte tenu de la réduction du tonnage unitaire, très considérable, 15 280 tonneaux au lieu de 25 310 tonneaux, accuse, d’après l’avería, un niveau d’exportation supérieur, 2 696 233 977 contre 2 479 087 313 maravedís, à une époque, on l’a vu derrière Hamilton155, de relative stabilité des prix. On peut en déduire, quelles que soient les marges d’imprécision et les corrections, qu’on peut être tenté d’introduire, qu’avec un niveau très inférieur, la valeur des exportations de 1592 aura, au moins, égalé celle pourtant déjà si élevée de 1590. De 1590 à 1592, a fortiori, de 1588 à 1592, la valeur unitaire des marchandises exportées d’Espagne en direction de l’Amérique, se sera, toutes choses étant égales, d’une manière presque continue, fabuleusement accrue.
251Telles sont les quelques remarques qui s’imposaient, tout d’abord, avant une analyse plus minutieuse de ces deux années si lourdes de significations multiples et contradictoires.
1591 : CREUX DES ALLERS, HAUT NIVEAU DES RETOURS
252Le mouvement de 1591 est placé sous le signe d’un déséquilibre entre les Allers et les Retours. Le rapport des Retours à l’ensemble du trafic, exprimé en volume, n’atteint-il pas le niveau insolite de 74,96 %156 ? Niveau d’autant plus insolite que l’on se trouve placé, depuis 1588, dans une période, on l’a dit longuement157, d’anomalie négative régulière du mouvement Retours.
1. Position maîtresse des Retours
253La situation de l’ensemble du trafic est incontestablement commandée par le comportement des Retours et tout d’abord — clef du système, on s’en souvient — par le fiasco des Retours de 1590 : 10 sueltos, deux galizabras transporteuses d’argent et contraintes de toucher la côte portugaise158.
254Ce fiasco tient à plusieurs causes — sans parler de la série de hasards et des impondérables —, il suffit de les rappeler :
- la réduction massive du stock des navires qui rend difficile un écoulement plus régulier ;
- l’atmosphère générale de crainte qui pèse sur les communications dans l’Atlantique des ibériques ;
- la reconstitution après l’assèchement des réserves des Indes en tonnage dans la période précédente de 1579 à 1586, d’un volant de navires sur le versant américain, on s’est suffisamment expliqué sur ce point159 pour ne pas avoir à y revenir.
255Dans l’ordre de l’accidentel, enfin, ou du presque accidentel, les aventures du convoi, de l’énorme armada y flota partie pour la Terre Ferme, tôt dans l’année 1589, le 1er mars de San Lúcar, le 13 mars, de Cádiz, commandée par Diego de Riviera..., portent une lourde part de responsabilités.
256Le convoi aurait dû, pour l’essentiel, rentré en 1590. En fait, il se scindera, aux prises avec de lourdes difficultés dues au mauvais état du matériel, lui-même conséquence de sa vétusté et de l’effort excessif qui lui a été demandé. Une escadrille revient en 1589, grossissant les Retours de l’année, pour demander du secours160. Une faute de manœuvre et la fatigue excessive du matériel et des hommes malmenés par l’effort insensé qui leur a été demandé, sont, en partie, responsables du lourd tribut des pertes payé au Retour de cette sinistre année 1589.
257Cette lourde expérience aura, probablement, pesé, d’une manière décisive sur l’attitude de Diego de la Riviera en 1590. Le départ de 1589 de l’énorme convoi de la Havane, le 12 septembre, témoignait d’une excessive confiance dans les possibilités physiques des navires et des marins, peut-être aussi, d’une trop grande âpreté devant les perspectives de gains qu’elle ouvrait. La décision d’hivernage de Diego de la Riviera à la Havane, en 1590, par contre, généralement très mal accueillie161, aura péché dans l’autre sens. Il faut, à l’origine de cet excès de prudence, placer l’expérience malheureuse de 1589. La destruction d’une partie du convoi. Diego Hurtado de La Fuente et ses hommes avaient pu porter, à cet égard, des nouvelles peu engageantes — aura exercé une action d’autant plus paralysante, que les hommes de mer avaient merveilleusement conscience, en août 1590, de la médiocrité d’un matériel usé, grossièrement rafistolé mais profondément affaibli par un trop long séjour dans l’immobilité des mers chaudes dévoreuses des coques et pourrisseuses d’agrès.
258L’attitude doublement contradictoire de Diego de la Riviera aura donc contribué à creuser entre les Retours excessifs et lourdement éprouvés de 1589 et les Retours non moins excessifs et non moins lourdement éprouvés de 1591, le vide béant de 1590.
259Quelles purent être les conséquences d’une telle situation sur la conjoncture sévillane et sur l’ensemble de l’histoire de l’Atlantique en 1591 ?
260Elle a affecté gravement l’équilibre financier de la Carrière des Indes, irrémédiablement limité encore les possibilités de l’armement en 1591.
261Des précautions, pourtant, avaient été prises pour parer au premier danger : tel le retour très tôt, dès que les conditions météorologiques le permettent, de l’escadrille légère et rapide162 commandée par Juan de Uribe Apallua et Alonso de Chaves Galindo qui devait assurer, en 1591, le ravitaillement du trésor et du négoce en métal blanc. Mesure sage et rendue nécessaire par les énormes besoins financiers de l’État et des particuliers, malgré son prix excessif163. On n’était pas à l’abri d’un incident — est-il dû au simple hasard de mer, on ne le saura jamais164 : sur les quatre frégates, une seule arrive directement à San Lúcar, le 19 mars 1591, entendez le quart, seulement, du retour escomptable des trésors. Le détour par Lisbonne des trois-quarts165 de ces trésors, l’acheminement par terre, dangereux, favorable à la fraude, excessivement coûteux et surtout lent et tardif, va jeter à terre les prudents calculs qu’on avait pu échafauder. Livré fin mai, l’argent détourné n’arrivera pas à temps pour appuyer d’éventuels départs en 1591. L’escadrille de Juan de Uribe Apallua n’aura pu remplir complètement, par conséquent, le rôle qu’on en attendait. Son secours, pour les trois quarts, sera venu trop tard.
262Après ce premier secours manqué, à part quelques sueltos dont les arrivées s’échelonnèrent de mars à novembre et dont la valeur des cargaisons est toujours très limitée, un épais silence jusqu’en octobre. Pourquoi ? Parce que malgré ses nombreux et interminables retards, en raison, peut-être, même de ces retards, Diego de la Riviera et son état-major, à la tête de l'armada y flota de Terre Ferme, décident d’attendre l’armada y flota de Nouvelle Espagne d’Antonio Navarre de Prado. Voilà qui confirme le fait qu’il n’y a plus, pratiquement, qu’un seul départ par an et que manquer le coche à la Havane, c’est immobiliser pendant un an, cinquante, parfois quatre-vingts navires et plusieurs milliards de maravedís, c’est mettre en panne, en Espagne, et à plusieurs mois d’échéance hors de la péninsule ibérique, dans toute l’Europe, de vastes secteurs de l’économie d’échanges d’une Europe, si étroitement dépendante de la vie des grands axes du trafic transocéanique. Malgré un départ de la Havane, à une date raisonnable, le 27 juillet 1591166, le convoi va payer à la mer un tribut énorme.
263Ce tribut est — dans une large mesure — le juste prix de l’usure du matériel et d’un séjour de deux ans dans les mers chaudes (rendu plus dangereux par l’immobilité) — 20 navires, 6 630 tonneaux, 22,66 %167, tel s’établit le bilan record de l’année, point culminant au terme d’une série noire, s’il en fut.
264Ainsi donc, en l’espace de deux ans, de novembre 1589 à octobre 1591, Séville et le complexe portuaire du Guadalquivir n’ont pratiquement bénéficié d’aucun retour important. Les navires récupérés du convoi de 1589, comme bientôt ceux du convoi de 1591, seront, circonstance aggravante, dans un état tel que leur réutilisation ne sera pas immédiatement possible, sans parler de la perte irréversible, en trois ans, d’au moins168 52 navires, représentant 12 580 tonneaux. Les pertes dues au surmenage des navires, Conséquence de la ponction de l’invincible et de la guerre, venant après Une période longue de conjoncture haute, auront été pratiquement aussi lourds (de l’ordre de plus de 50 % au moins) pour la Carrera, que les pertes directement imputables à la guerre.
265A ces disgrâces, faut-il en ajouter une autre ? Les exportations d’argent du Pérou169 en 1590, auraient été particulièrement déficientes, selon des sources qui ne sont guère suspectes. Cette défaillance — purement passagère, à très court terme— de l’argent péruvien aura affecté les arrivées mouvementées de l’escadrille de Juan de Uribe Apallua, en mars 1591. Raison de plus pour mettre le commerce dans une situation difficile.
266Les quelques départs de 1591 se seront placés au terme de cette longue famine des Retours qui domine tout.
2. Les Allers
267Le moindre paradoxe n’est pas, devant une telle situation, tant le faible niveau des Allers que leur existence même.
268On a vu quelle était la position, sur le mouvement global Allers, du creux de 1591 : 76 navires, 10 250 tonneaux, beaucoup de petits navires, 45,73 % seulement de la moyenne mobile longue correspondante ; c’est peu, certes. Toutefois, on sera frappé de l’homogénéité tout à coup retrouvée du mouvement Allers. 1591 apparaît un peu, malgré tout, comme un modèle réduit d’année normale.
269Une proportion correcte des Allers marchands de Séville, qui s’établit très près, un peu au-dessus même de la part de ces derniers au cours de la fluctuation primaire 1588-1592, soit, avec 35 navires sur 76,6010 tonneaux sur 10 250, 38,9 % du total (contre 57 % moyenne de 1588 à 1592 et 70 % de 1579 à 1592), une proportion voisine de la normale, aussi, de canariens, de négriers, de caditains, de faible tonnage, une très faible proportion de navires d’armada.
270Les navires d'armada, au nombre de sept, ont constitué deux escadrilles légères, respectivement de 390 et de 460 tonneaux, qui auront assumé les indispensables liaisons, plus stratégiques qu’économiques avec la Terre Ferme. Quant au négoce, il n’assumera, pour sa part, qu’un seul convoi et un convoi léger, quant au nombre des navires qui y participent et plus, peut-être, encore, par la taille des navires qui le composent170, c’est la toute petite flotte de Nouvelle Espagne de Martin Pérez de Olozábal : 22 sévillans, 8 caditains, beaucoup d’une taille telle qu’on les eût exclus, en année normale, de la navigation en convoi. La solution, sans doute, était sage, car, partie à une date, quand même, pas trop tardive, le 3 juillet 1591171, elle devait naviguer rapidement et sans encombre.
271La Nouvelle-Espagne retrouve, tout à coup, son rôle de volant. Le sort malencontreux et les scandaleuses lenteurs du convoi de Diego de la Riviera souvent évoquées172 (auront contribué très vraisemblablement à ce choix. La situation, en 1589, du négoce placé devant l’impossibilité matérielle de faire face à l’exigence des deux convois, faisant son choix en faveur de la Terre Ferme, ne se reproduira plus. En 1591 comme en 1590, le négoce choisit la Nouvelle Espagne. Découragé par l’issue médiocre du convoi de Diego de la Riviera, le négoce sévillan abandonne au Roi, le soin d’organiser les liaisons avec la Terre Ferme. Cela ne l’empêche pas, bien sûr, de se joindre à l’entreprise, pour assumer la seule armada y flota de Nouvelle Espagne, quand, c’est le cas au cours de ces années, il ne lui sera pas possible de faire face à tous les besoins de l’Amérique, il choisira toujours la Nouvelle Espagne.
272De cet échec relatif de la Terre Ferme, sur deux ans, une série de circonstances porte la responsabilité, au cœur desquelles il convient de placer l’échec de l’expédition de Diego de la Riviera. Elle dépassait très vraisemblablement les dimensions que l’usure du matériel et sa rareté conseillaient de ne pas excéder. Elle a été compromise, en outre, par un accident imprévisible, a priori, la panne d’argent péruvien de 1590173. Seules, des arrivées importantes de précieux métal — arrivées qu’il était légitime d’escompter — auraient pu sous-tendre cette trop ambitieuse entreprise dans la conjoncture de difficultés, de goulot et d’étranglement techniques de ces années. La désaffection qui devait découler, après cet échec, à l’égard des entreprises de Terre Ferme, allait profiter à la Nouvelle Espagne. Au cours de ces années, une fois de plus, Terre Ferme et Nouvelle Espagne seront apparues, respectivement, dans leurs situations les plus fréquentes : la Terre Ferme, comme la grosse aventure où il y a beaucoup à gagner et où l’on peut perdre beaucoup — ce négoce qu’à Séville affectionnent les ambitieux—et la Nouvelle Espagne, comme le placement sûr, le placement de père de famille, toutes choses égales, au vrai, à l’abri des brillants coups de pocker comme des disgrâces extrêmes.
273Cette très modeste année 1591 — à l’abri des grandes catastrophes, en ce qui concerne les Allers, du moins, car les Retours auront été aussi mouvementés et. catastrophiques que possible — n’aura pas été, pourtant, aussi disgraciée que le seul niveau des Allers ne tendrait à le faire croire. Il suffit pour s’en convaincre, de se reporter aux valeurs. Comme en 1590 et comme en 1592, tout laisse à penser que seules les exportations de poids ont été retenues. 55 % en valeur du niveau extraordinairement élevé de 1590, 51 % encore du niveau retour, de 1592, autant finalement, que 1588 et 1589 qui ont déplacé deux fois plus, au moins de marchandises. Ces chiffres auront d’autant plus d’intérêt qu’ils ont été atteints avec des exportations dirigées pour la quasi totalité, vers la Nouvelle Espagne qui s’accommode, à l’ordinaire, on l’a observé, de marchandises de moindre prix. Cette perspective (même légèrement réduite, par des variations possibles des marges de tolérance) restitue à la période de 1591, sa juste valeur : année de rajustement en profondeur qui reconstitue des richesses et prépare, peut-être, de nouveaux essors.
1592. DIVORCES ET CONTRADICTIONS
274Cette année 1592, que l’on choisit pour marquer le terme de la grande fluctuation de l’argent du Potosí et de l’invincible est celle qui, certainement, accumule le maximum de contradictions et dont, l’interprétation, partant, est des plus difficiles.
1. Position maîtresse des Retours
275Il semble bien qu’en 1592, comme en 1591, ce soient les Retours de l’année précédente qui exercent sur le mouvement de l’année une action déterminante. Et c’est vraisemblablement là, essentiellement, que réside le point de différenciation des deux années.
276Rien, en effet, dans le comportement des prix, par exemple, ne permettrait d’expliquer les différences — pourtant notables — entre le mouvement Allers des deux années. Il est, en quelque sorte et uniquement, auto-engendré par ses Retours. Les prix andalous, les plus importants, sont, depuis 1591 jusqu’en 1595 inclusivement, sur un palier plutôt légèrement plongeant en valeurs absolues et, par conséquent, sur une pente régulièrement descendante en valeurs relatives au trend. Entre l’indice 113,06 de 1591 et l’indice 114,75 de 1592, rien ne laisse prévoir une incidence sensiblement différente.
277Les oppositions, par contre, naissent, tout naturellement, spontanément, des avatars des Retours. L’élément dominant, à la base même des événements de l’année, est, cela va sans dire, l’énorme nœud des Retours de 1591. Malgré le poids fabuleux des pertes subies au Retour : 20 navires, 6 630 tonneaux174, 36 % du tonnage parti d’Amérique en direction de l’Espagne, ce qui arrive, même éprouvé 80 bateaux, 14 000 tonneaux, l’argent accumulé du trafic des deux années, le retour même écorné des bénéfices des deux énormes convois expéditions de 1589 vers la Terre Ferme (l’armada y flota Diego de la Riviera) et de 1590 vers la Nouvelle Espagne (L’armada y flota Antonio Navarro de Prado),la mise à la disposition de la Carrière des Indes d’un matériel même, en partie, éreinté, tout cela devait constituer, par rapport au proche passé, un singulier progrès. Qu’il y ait libation presque directe entre les Retours de 1591 et les Allers de 1592, on en aura une présomption utile par simple juxtaposition du chiffre des Retours arrivés de 1591 (12 373 tonneaux) et celui des départs effectifs de 1592 (15 280 tonneaux, dont 9 950 tonneaux de Séville, 540 d’armada, 830 tonneaux de Cádiz, 2 560 tonneaux des Canaries, et 1400 tonneaux négriers). Compte tenu de l’anomalie positive des pertes inévitable au terme d’un aussi long et difficile périple, la concordance des chiffres ne peut être de pur hasard.
278On se souvient comment s’est constitué le nœud des Retours de 1591, comparable un peu à celui de 1589 : tout d’abord, les Retours d’urgence de l’escadrille de Juan de Uribe Apallua et de Chaves Galindo, 29 sueltos, et clef de la situation, la jonction de deux énormes convois — le convoi dé Nouvelle Espagne de 1590, qui a parcouru, normalement, son périple sous le commandement d’Antonio Navarro de Prado, et celui de la flotte de Terre Ferme de Diego de la Riviera — qui ne s’est pas produite en raison de l’indécision, des retards et des malheurs du fameux convoi de Terre Ferme.
279Ce nœud de circonstances va mettre à la disposition du trafic Allers de 1591 — on est, par ailleurs, au comble, certainement, des difficultés quant à l’approvisionnement en tonnage — des moyens dont il va profiter pour mettre sur pied ce niveau honorable des départs de 1592.
2. Le niveau des départs de 1592
280Numériquement, avec 117 navires, le niveau des départs, s’établit à un terme honorable au-dessus même, de la moyenne annuelle du mouvement numérique175 au cours de ces dernières années. Ce niveau, par contre, est uniquement imputable à l’affaiblissement maximal, en 1592, du tonnage unitaire moyen des navires, tombé, à l'Aller, on s’en souvient, à 130,6 toneladas ou tonneaux seulement. Le tonnage est en progrès de 50 %, avec 5 030 tonneaux en plus, que 1591 n’en alignait. Mais il reste loin derrière celui de 1593, il faudrait une augmentation de 12 535 tonneaux, soit un décrochement de 80 %, pour passer du niveau de 1592 à celui de 1593.
281Sur ces 117 navires, 15 280 tonneaux, les navires marchands du Guadalquivir représentent — c’est important, en raison de leur signification économique — 58 unités, 9 950 tonneaux, soit 65 %, une proportion relativement forte, légèrement inférieure, certes, à celle de l’ensemble du cycle (70 %), mais très supérieure à celle de la dernière fluctuation (57 %), peu de choses en armada (7 unités, 540 tonneaux), six caditains, mais particularité de ce temps176, de petits tonnages également (830 tonneaux). Le tonnage moyen des caditains n’est que 138 1/3 tonneaux, au lieu de 171 1/2 tonneaux pour les navires marchands partant du Guadalquivir, c’est un rapport anormal, quatorze négriers (1 400 tonneaux) mais, par contre, un grand nombre de canariens (32 bateaux, 2 560 tonneaux).
282Il ne pouvait être question, cette année encore, en. dépit des conditions relativement favorables — favorables dans un contexte commun d’extrême difficulté — amenés par le nœud des Retours de 1591, d’assurer les deux convois normaux. Une seule vraie flotte partira, cette année, le convoi de Don Francisco Martinez de Leyba177. C’est une flotte de Terre Ferme et comme on peut s’y attendre, son départ sera exclusif du départ d’une flotte de Nouvelle Espagne. Un convoi normal — mis à part quelques navires d’armada de secours — n’est pas parti pour la Terre Ferme, depuis, mars 1589, quand il a fallu choisir, la Terre Ferme a été sacrifiée à la Nouvelle Espagne. Cette exclusion en faveur de la Nouvelle Espagne, au détriment de la Terre Ferme, joue d’une manière particulièrement sensible en 1591, sans ambiguïté aucune, quand le Consejo donne l’ordre, par l’intermédiaire de la Casa de la Contratación, de disposer pour la flotte de la Nouvelle Espagne des navires prévus pour celle de Terre Ferme.
283Plusieurs leçons se dégagent de cet épisode et des commentaires de la Casa de la Contratación. La première, jusqu’à l’évidence : le goulot d’étranglement au coins de ces années, vient, uniquement, de l’armement et non pas du négoce. La capacité de transport de la Carrera n’est pas encore reconstituée en 1592, elle reste, certainement, très en dessous de ce que négociants et Casa de la Contratación, gens du commerce et gens du Roi, considèrent comme possibles et opportuns. Pourtant, c’est, au tout premier chef, l’effet cumulatif des énormes pertes subies par l’appareil de transport de la Carrera qui situe, en 1591 et 1592, le creux cyclique volumétrique majeur et la ligne de démarcation entre deux grandes fluctuations en gros décennales.
284L’ordre de choisir la Nouvelle Espagne et de lui destiner, de préférence, à la Terre Ferme, la flotte de 1591 venait du Consejo178. Il avait, à n’en pas douter, l’accord de la Casa de la Contratación. Pour des raisons simples : la Terre Ferme bénéficie, de toute manière, d’une liaison impériale assurée par le Roi. L’appui de la Casa de la Contratación aux solutions adoptées est connu, sinon directement, du moins, indirectement. Tout d’abord, par la manière dont elle a transmis les ordres du Consejo en 1591, tendant à détourner au profit du convoi de Nouvelle Espagne les navires qu’une première velléité destinait à la Terre Ferme. On connaît trop la Casa de la Contratación pour savoir qu’elle n’a pas coutume de transmettre, efficacement et sans protester, des ordres qu’elle n’approuverait pas et à l’élaboration desquels elle n’aurait pas participé. Ceci est un premier garant. On en a un second, dans les représentations179 que la Casa transmet au Consejo à propos du départ le 19 mars de la flotte de Francisco Martinez de Leyba. Elle expose longuement, avec force arguments à l’appui, ses préférences pour un système qui consisterait en la suppression de la flotte de Terre Ferme et son remplacement par l’adjonction de quelques navires, renforçant les possibilités de transport des petites armadas, en 1592, celle de Don Luis Alfonso de Flores180, puisque les besoins pressants181 qui poussent au transport rapide de l’argent sont tels qu’on ne peut, de toute manière, pour ce travail, se confier aux trop lourds et trop lents convois du type flotte de Diego de la Riviera, hier, de Don Francisco Martinez de Leyba, aujourd’hui.
285La Casa de la Contratación se montre donc favorable au système empirique qui avait prévalu, les années précédentes. Contre les armadas y flotas de Terre Ferme, elle argue de leur lenteur — elle a, à l’appui de sa dialectique, l’exemple fâcheux du convoi de Don Diego de la Riviera — et surtout des hivernages par les destructions qu’ils infligent aux coques et aux gréements des navires. R ne rentrera que bien peu de choses de la flotte de Leyba, presque tous les navires iront al traves pour dédommager les armateurs. On a ainsi, confirmation littéraire de ce que la confrontation des séries chiffrées avait enseigné, l’énorme décalage de rapport Aller/Retour, au détriment des Retours. Un matériel à bout de souffle, épuisé, d’exploitation follement coûteuse, ne peut plus, la plupart du temps, effectuer qu’un seul voyage à l’Aller, aux Indes ; si peu qu’un hivernage s’en mêle, il n’est bon que pour les chantiers de démolition. A en croire les officiers de la Casa de la Contratación, une des raisons de la brusque défaillance des Retours, que les chiffres ont fait apparaître, résiderait dans cette extrême usure d’un matériel, capable au prix d’un tour de force d’aller mourir aux Indes, mais incapable de revenir, une fois de plus.
286Mais la Casa de la Contratación nous apprend, par ricochet, autre chose encore. La solution qu’elle défend a, selon toute vraisemblance, l’appui des négociants et des armateurs de Séville. Ne consiste-t-elle pas, en effet, à faire assumer par le Roi une partie des frais — particulièrement lourds, en ces époques de pénurie de tonnage et de matériel délabré — des jonctions avec la Terre Ferme ? Se faufiler à très bon compte, sur une armada supplémentaire ou dans son sillage... à la limite, obtenir une place sur des navires dont le Roi aura payé le fret, voilà une solution qui risque de rallier beaucoup de gens à Séville. Il n’est pas surprenant qu’elle ait trouvé dans la Casa de la Contratación un avocat enthousiaste. N’est-elle pas, depuis longtemps, toujours prête à assumer la défense des intérêts dominants du Guadalquivir ? Autrement dit, ces points de vue et le préjugé contre les lourds convois en direction de la Terre Ferme, récemment condamnés par l’exemple tragique du convoi de Diego de la Riviera, ce n’est pas seulement un point de vue de la Casa, mais c’est, aussi, un point de vue dominant à Séville. Autrement et contrairement, à certaines apparences, c’est bien au négoce et à l’armement de Séville qu’ont incombé les choix qui ont été faits en faveur de la Nouvelle Espagne. Ils tendent essentiellement à faire assumer au Roi une part plus grande des liaisons nécessaires avec la Terre Ferme.
287En 1592, pourtant, de tergiversations en tergiversations, il a fallu se résoudre à faire partir un convoi, une armada y flota classique en direction de la Terre Ferme. Il était difficile qu’il en fût, autrement, Le projet, en effet, tramait depuis plus d’un an, il se posait avec de plus en plus d’acuité. On avait déjà entrevu, d’une manière assez obscure, certes, la nécessité de ne pas trop exposer la Terre Ferme à une concurrence qui atteint, volontiers, cette partie plus accessible du continent. Les Retours de 1591, enfin, malgré les malheurs endurés et les pertes subies par la flotte de Diego de la Riviera, en octobre 1591, constitue, pour le départ de 1592, un élément positif.
288La précocité du départ, le 19 mars 1592 de Cádiz, n’empêche pas une rude épreuve par la tempête entre Espagne et Canaries. Elle n’empêchera pas, non plus, le sacrifice de la Nouvelle Espagne. Puisque le futur convoi de Marcos de Aramburu, sorti de San Lúcar autour du 7 mai et de Cádiz autour du 10 mai 1593182, d’avatars en avatars, de velléités en velléités et théoriquement, sur le chantier depuis avril 1592, ne devait partir que treize mois plus tard. Il devait butter contre le même goulot que la flotte de Leyba en 1591. Mais a-t-on jamais pensé, vraiment, le faire partir en 1592 ? On peut en douter et ce que la Casa de la Contratación regrettait après le départ du lourd convoi de Don Francisco Martínez de Leyba183 n’était-ce pas, précisément, ce sacrifice qu’elle aurait su, déjà inévitable de la flotte de Nouvelle Espagne ? On peut se le demander.
289Casa, armateurs et marchands n’ont pas réussi à mettre sur pied, comme prévu, le second convoi ; ils ont dû, plus ou moins de gaieté de cœur184, sacrifier la Nouvelle Espagne. La Nouvelle Espagne ne recevra que 9 unités 650 tonneaux, plus, sans doute, quelques Canariens. Ces derniers affectionnent, surtout, les espaces négligés, dans l’année, par la navigation régulière en conconvoi ; il est possible, par conséquent, qu’une forte proportion de Canariens donnés comme allant aux Indes, sans plus185 se soient dirigés vers la Nouvelle Espagne où l’on pouvait espérer du fait de la défaillance de Séville des affaires fructueuses et faciles.
290La constitution d’un lourd convoi pour la seule Terre Ferme n’a pas dispensé la petite escadrille de Don Luis Alfonso de Flores186 de se joindre à la fête et de rattraper Don Francisco Martinez de Leyba. On a vu l’argument qu’en tiraient les officiers de la Casa, contre le système des convois du type Martinez de Leyba. Les frégates seront de retour l’année même187 Ainsi on ne manquera pas d’argent. Ajoutez à cela une proportion insolite de « sueltos » et négriers qui compensent, en quelque sorte, les défaillances du système des convois.
291Le trafic de l’année 1592, au départ, malgré l’échec prévisible de la flotte de Nouvelle Espagne de Marcos de Aramburu188 n’a pas manqué de vigueur et de dynamisme. La qualité des exportations aura largement compensé la quantité : on se souvient, du niveau extraordinaire, jamais atteint, de la valeur fiscale présumée de l’ensemble, d’après l’avería189. Cette impression est confirmée par ce qu’on sait de la flotte190, particulièrement chargée, cette année, au dire de la Casa de la Contratación qui, pourtant, en a vu d’autre. Cette extraordinaire densité est la conséquence logique d’un effort de rétention sur trois ans. Le primat au cours de cette année de la Terre Ferme peut éclairer aussi les 2 milliards sept cents millions du mouvement valeur. On a vu déjà quel schéma expliquait191 cette plus grande valeur unitaire, toujours, des exportations en direction de la Terre Ferme, qu’une simple mise en regard des almojarifazgos permet de vérifier. Le comportement du mouvement en valeur tel que le donne l’avería-Aller, corrobore ce point de vue192.
292Quant à la défaillance des Retours de 1592, elle s’explique, parfaitement, sans faire intervenir une quelconque défaillance conjoncturelle du négoce, par le jeu des difficultés techniques déjà analysées, elle est la conservation d’une anomalie née en 1589-1590, répercutée naturellement dans la texture grenue d’une Carrera étranglée.
293La défaillance quantitative, là encore, n’implique pas nécessairement une défaillance qualitative. Certes, la Carrera ne récupère pas ses bateaux. Le fait que, pour la première fois depuis plusieurs années, cette défaillance n’ait pas d’incidence sur le niveau des départs de 1593 est extraordinairement symptomatique, il indique bien qu’entre 1592 et 1593, quelque chose s’est produit... quelque chose qui justifie la frontière que l’on a tracée.
294Mais la petite armada de Pedro Menéndez Márquez et Alfonso de Flores, en bouclant son périple en six mois, aura sauvé la mise193, en rendant disponible à Séville pour 1593, les bénéfices énormes, nécessairement réalisés par la grosse expédition de Martinez de Leyba, grâce à quoi, grâce à la puissante injection d’argent du Potosi, la pompe réamorcée du commerce retrouvera son rythme normal. Le Retour rapide de l’argent assuré par le convoi dérisoire de Pedro Menéndez Márquez Alfonso de Flores : 9 bateaux, 740 tonneaux, solution coûteuse, peut-être, n’en aura pas moins compensé la faillite du tonnage. Sans doute, parce qu’en 1593, l’argent suffit à trouver des navires. La crise vient de dépasser sa phase d’acuité maximale.
295Le choix de 1592 pour marquer le terme, non seulement de la dernière fluctuation primaire du cycle, mais, partant, du cycle lui-même n’était, donc pas, si mauvais. Une analyse plus poussée aura confirmé leur valeur aux premières apparences.
2961592, même associé à 1591, ne constitue certes pas un creux conjoncturel d’essoufflement du négoce, au sens traditionnel. Le prodigieux coup de buttoir du mouvement en valeur le prouve clairement. C’est essentiellement le col le plus étroit du goulot d’étranglement du tonnage. C’est là, seulement, que se paye toute la note des effets engendrés par l'Invincible Armada. Commencé sous le signe royal de l’argent vainqueur du Potosi, le cycle, justifiant le titre que l’on a proposé, se termine sous la marque des effets non immédiats de l’Invincible.
297C’est au cours de ces deux, voire de ces trois ans, en associant à 1591 et 1592, l’année 1590, que s’est préparée la reprise qui va éclater au début de la prochaine fluctuation. Au-delà de 1592, estimera-t-on, la crise du tonnage, si elle gêne, angoisse et entrave encore, a cessé de tout dominer. On tient la preuve, la certitude d’un changement radical dans l’opposition des trafics de 1592 et 1593. L’anéantissement des Retours de 1592 n’a pas eu les effets des Retours de 1588 sur 1589, de 1590, surtout sur 1591. Avec 146 unités en partance, 27 315 tonneaux, le mouvement a repris, quand même, son rythme normal. Certes, on ne voit pas encore les deux convois marchands, mais la réapparition d’une Armada de Guardia de la Carrera de las Indias normale, montre que la Carrière des Indes est bien en train de se réinstaller, tant bien que mal, sur son rythme ancien. C’est, d’ailleurs, l’impression la plus profonde qui se dégagera, en dernière analyse, de l’étude des deux, voire même des trois cycles qui viennent :une impression de restauration, non de restauration glorieuse. certes, de restauration sans plus. La splendide machine de la Carrera continue à tourner, à un rythme non exclusif de petites trouvailles, mais l’ère des grandes inventions est bien close.
298Apprécier ce qu’il y a d’original, et ce qu’il y a de tari, déjà, dans cette paradoxale prospérité en surfusion, constituera un des objets, entre autres, des recherches prochaines.
Notes de bas de page
1 Il suffit de rappeler, à titre d’exemple, les niveaux unitaires annuels moyens des fluctuations primaires du cycle antérieur : 105 de 1576 à 1578, 135 de 1572 à 1575, 119,5 de 1572 à 1578..., Avec 60 % seulement du nombre de navires employés quinze ans, plus tard, le même tonnage. Cf. le dessin du creux dans t. VII, p. 72-73.
2 Cf. t. VI1, table 139, p. 169.
3 Henri Hauser, La prépondérance espagnole, op. cit., p. 147.
4 Dans la mesure, qui reste à préciser, où ils ont été payés, ils n’auront représenté, de toute manière, même la perte finale exclue, qu’une part radicalement faible de manque à gagner réel.
5 T. VII, p. 72-73.
6 Cf. t. VIII1, p. 384-430.
7 Cf. t. VI1, table 14, p. 170. On notera l’amélioration constante, dans le cadre chronologique analysé, de la proportion du matériel naval d’âge connu : de 1576 à 1580, 49 bateaux sur 512, 9,4 % ; de 1581 à 1585,92 sur 655, soit 14 % ; de 1586 à 1590,116 sur 886, soit 13,1 %.
8 Cf. t. VI1, table 15, p. 172, et ci-dessus p. 77.
9 T. VI1 tables 6 et 7, p. 130-137 ; table 12 C, p. 162-163.
10 Cf. t, VI1, table 182, p. 384.
11 On a noté, bien souvent, en effet, que Séville ne se résignait facilement à l’existence officielle, ouverte, d’un important trafic canarien que si elle se trouvait dans l’impossibilité d’assumer seule la vie des Indes.
12 Pour 267 unités et 79 197 toneladas ; au total, au départ d’Europe, soit une proportion de 1 pour 1 000, ce qui n’exclut pas — on l’a vu — en ce qui concerne les Canariens, une possibilité de départs en fraude, d’autant plus denses que le trafic officiel est plus brimé, donc plus faible. Ils sont, toutefois, insuffisants pour distordre, au point de le rendre caduc, les raisonnements qu’on peut échafauder sur les chiffres officiels.
13 Pour 321 départs représentant 78 030 toneladas, soit 2 %.
14 Pour 570 départs représentant 103 419 toneladas, soit un peu plus de 7 %
15 De 19 507,5 toneladas, niveau annuel moyen des départs de 1584 à 1587 à 20 683,8 de 1588 à 1592.
16 De 80,75 départs (moyenne de 1584 à 1587) à 114 (moyenne de 1588 à 1592).
17 Cf. ci-dessus, p. 609-766.
18 Cf. t. VI2, table 610, p. 860, plus spécialement.
19 Convient-il de rappeler, en effet, que toutes les tables du mouvement les plus générales, du moins, celles sur lesquelles nous raisonnons, sont établies sur les séries des navires au départ, pertes non comprises. La donnée est moins sujette à erreur : elle fournit, en outre, la mesure de l’effort et non du résultat.
20 Avec, respectivement, 10 160 toneladas (1560-1563) et 9 414 toneladas (1551-1554 ; moyenne annuelle des Retours en toneladas). 1555-1559 et 1564-1571, par contre, avec 10 602 et 11 483 toneladas, sont encore mieux placés. On trouverait même des niveaux Retours supérieurs exprimés en toneladas, à la fin de la première phase longue d’expansion, au cours des années 40 du xvie siècle.
21 Cf. t. VI1, table 226, p. 471.
22 Cf. t. VI1, table 163, p. 362, et t. VII, p. 52-53.
23 Cf. ci-dessous, p. 920-1157.
24 En réalité, et sans vouloir anticiper l’analyse ultérieure, la véritable répercussion de l’énorme bombement des prix qui culmine en 1601, se retrouve sur les trafics, sept, huit ans plus loin, entre 1608 et 1610.
25 Cf. EJ. Hamilton, 1501-1650, op. cité, p. 34-35 et ci-dessous, p. 1070-1151.
26 On peut, évidemment, jusqu’à un certain point, parier, à propos des trésors des particuliers, de trésors d’entreprise. Ils ne sont, pratiquement, que cela ; beaucoup de biens de défunts rapatriés, beaucoup de biens de fonctionnaires, aussi... Mais, pour l’essentiel, les trésors particuliers procèdent des bénéfices des entreprises import-export et de la contre-valeur américaine des exportations européennes.
27 Cf. ci-dessus, p. 702-766.
28 A noter, toutefois, que les tableaux (t. III, p. 412-467) tendent, peut-être, à exagérer l’écart entre Allers et Retours, en raison des nombreuses adjonctions militaires... ; non pas assez, pourtant, pour effacer un déséquilibre certain.
29 Frank C. Spooner, L'Économie mondiale et les Frappes monétaires en France, 1493-1680 (Paris, A. Colin, 1956, in-8, 545 pages (Cartes, planches et graphiques). Publication du Centre de Recherches Historiques de la VIe section de l’École Pratique des Hautes Études. Collection Monnaie-Prix-Conjoncture, no 4), p. 324 sq. Cf. aussi graphique, p. 322-323, Frappes monétaires. Totaux annuels en France (or, argent et billon d’argent).
30 Le renversement de la tendance des prix (prix du froment à Parts, H. Hauser, d’après F.C. Spooner, op. cit., p. 300), précédant l’Espagne, suit, d’assez près, cet incident en 1595.
31 F.C. Spooner, op. rit. et ci-dessus, p. 783-784.
32 Un coup d’œil sur les graphiques (t. VII, p. 50-51, 54-55) permet une localisation immédiate du phénomène... en gros, trois zones : la récession du demi-siècle 1550-1560, la décade qui suit la crise de 1588, les années au-delà de 1630. Cette chronologie a en elle-même, pouvoir de démonstration.
33 Cf. t. VI1, tables 131, 134 et 137, p. 329, 332, 335.
34 Cf. ci-dessus, p. 753-766.
35 Cf. t. VI1, table 182, p. 384.
36 Cf. t. III, p. 412413.
37 Ce qui contribue à grossir, un peu en trompe-l’œil, dans la ventilation des mouvements entre grandes directions fondamentales (cf. t. VI1, tables 166, p. 365 et 172, p. 371), la part de la Terre Ferme, manifestement excessive. Il s’agit de navires destinés à la Terre Ferme, mais non arrivés à destination, puisque détournés en cours de route.
38 Éliminée de l’appréciation de la masse économique du mouvement, mais maintenue, quand même, avec raison, dans les tables du t. VI, en tant que l’effort en est imputable à la Carrera, au cours de ces années chargées. On reviendra sur ce point.
39 Cf. t. VI2, table 610, p. 870.
40 Cf. t. III, p. 412413.
41 Dix navires.
42 Cinq navires.
43 Avec toujours la même restriction, entendez, dans l’appréciation de la signification économique du mouvement. Pour l’appréciation de l’effort exigé de la Carrera, tout au contraire, la prise en charge est essentielle.
44 Cf. t. III, p. 414-419.
45 Cf. t. III, p. 382-383.
46 Cf. t. III, p. 378-383.
47 Cf. t. III, p. 414-415.
48 Cf. t. III, p. 428 sq.
49 Cf. t. VIII1, p. 604-610.
50 Cf. ci-dessus, p. 1286-1288,1313-1317,1326-1332 et t. IV, notes aux tableaux.
51 Pour une vision graphique du rapport, Séville dans le complexe, cf. t. VII, p. 72-73.
52 De 1579 à 1583, sur 267 navires et 79 197 toneladas au départ, les « Guadalquivir marchands » représentent 213 unités, 63 151 toneladas, soit 79,9 % du total. Nous sommes très au-dessus de la position médiane du cycle, 769 unités sur 1158, 182 048 toneladas sur 260 040 toneladas, soit, respectivement, 66,4 % du mouvement unitaire, et 70 % du tonnage.
53 251 navires, 59 555 toneladas pour les marchands partant de Séville, sur un total de 321 unités et 78 030 toneladas, soit 76,5 %.
54 Cf. t. III, p. 420, note 10.
55 Cf. H. Lapeyre, Les Ruiz, op. cité, p. 429 so.
56 Cf. t. III, p. 420, note 30.
57 Cf. t. III, notes des pages 420 et 421.
58 Cf. t. I, p. 306.
59 Cf. t. III, p. 421, note 25.
60 Cf. t. III, p. 420, note 22.
61 Entendez que le handicap de leur présence se manifeste, surtout, dans les moments difficiles. Elles, courent assez bien avec les autres dans l’alizé, mais que le vent soit contraire (dans les tronçons lents du voyage, cf. t. VII, p. 30-31), et elles deviennent, pour le convoi, une cause constante de retard.
62 Cf. t. VI2, table 610, p. 870.
63 Cf. t. III, p. 420, note 24.
64 Cf. t. III, p. 240, note 2.
65 En 1588, d’ailleurs, il ne faut rien anticiper, la grande crise de renversement de la tendance démographique n’est pas encore là (cf. VIIIl, p. 242-248). Elle se situe, plus tard, entre 1609 et 1618. Et pourtant, avant même que la catastrophe ne soit sensible, aux yeux de tous, il n’est pas moins vrai que la Castille n’a pas assez d’hommes pour faire, même en ce xvie s., pour elle, de tous les bonheurs, face aux charges infiniment lourdes de sa domination planétaire.
66 Ct. 5108. San Lúcar, 1er décembre 1588, Tello à C.C., et Ct. 5169, lib. VII, fo 292 vto, 293, 280 et t. III, p. 420, note 2.
67 Série de documents cités, t. III, p. 420, note 2.
68 EJ. Hamilton, 1501-1650, op. cité, p. 271, 273, 278, 279.
69 Ibid., p. 278, table 29.
70 Ibid., p. 279, graphique 19.
71 Ibid., p. 279, table 30.
72 Ibid., p. 278, table 29.
73 Cf. ci-dessus, p. 386-388.
74 Sur la déception, les preuves abondent, cf. entre autres, H. Lapeyre, Les Ruiz, op. cité, p. 429 sq.
75 En outre, le poids de la guerre et de la grande politique ne diminue pas. Guerre et grande politique continuent à dérouler vers le Nord une force que l’Espagne tire, en grande partie, de son Atlantique hispano-américain, au Sud. L’assassinat, le 2 août 1589, d’Henri III, va pousser à son paroxysme les luttes civiles françaises et jeter, pour deux ans, au maximum, toutes les forces de l’Espagne, dans ce conflit dont l’enjeu est clair. Et, une fois encore, plus en pure perte certainement, que contre l’Angleterre, traditionnellement, contre les « gueux », Séville et l’Atlantique font les frais de cette extraversion forcée. La ponction, la translation funeste est plus valable encore en 1589 et au-delà qu’elle ne l’avait été, peut-être, en la redoutable année de l’Armada.
76 Dans le rapport A + R ; cf. t. VI1, table 159, p. 356.
77 Cf. ci-dessus, p. 781-800.
78 T. VI1, table 163, p. 362.
79 Cf. ci-dessous, p. 768-770.
80 Cf. t. III, p. 428.
81 Cf. t. III, p. 424.
82 Cf. t. VI1, table 166, p. 365, table 226, p. 471 et t. VII, p. 58-59. Ce rapprochement laisse supposer une valeur unitaire double des exportations en direction de la Terre Ferme, par rapport à celles destinées à la Nouvelle Espagne. On a vu déjà qu’il s’agissait là, à quelques nuances près, d’une presque constante.
83 Archaïque, dans ses modalités présentes, par la part qu’y occupent les pondéreux.
84 Cf. t. VIII1, p. 587-679.
85 Cf. t. III, p. 432-435, les numéros 89, 90, 99, 101, 110, 111, 112.
86 Cf. t. III, p. 432-433.
87 Cf. t. III, p. 432-433, no 78 à 101, p. 434-435, no 108 à 113.
88 Cf. t. VI1, table 182, p. 384.
89 Cf. t. VI, table 226, p. 477.
90 Cf. ci-dessus, p. 786-793.
91 Ce comportement, en outre (l’évolution respective des volumes et des valeurs entre 1588 et 1589) fournit une pièce supplémentaire au dossier, en structure, du primat, au sein du complexe, du trafic marchand de l’ensemble Séville-Bas Guadalquivir.
92 De 59 unités à 82 ; de 12 240 tonneaux-toneladas à 17 412.
93 Cf. t. III, p. 434, note 1. Il s’agit de 1588, mais c’est encore vrai, en 1589. Le manque à gagner d’un argent gelé jusqu’en septembre 1588, ne peut pas se faire sentir encore sur 1589.
94 Les listes (t. III, p. 429 et 431) le laisseraient à penser.
95 Cf. t. VI,, table 6 et 7, p. 130-134, 12 C, p. 162. Les séries ne sont pas assez nourries pour permettre une certitude à aussi court terme. Elles laisseraient à supposer un triplement des étrangers d’une année sur l’autre. C’est évidemment exagéré. La comparaison entre 1589-1592 et les armées entre 1579 et 1586 est pleinement légitime, par contre. Elle est, au demeurant, parfois probante, on l’a vu.
96 Cf. t. VI2, table 610, p. 870 sq.
97 Cf. t. III, p. 434.
98 Ibid., p. 434-435, nos 106 et 107.
99 Ibid., p. 437, note 59.
100 Ibid., p. 412.
101 Ibid.,p. 432-433, navire, no 79 et p. 436, note 35.
102 Cf. t. I, 125 sq.
103 Nous avons été accoutumés, en effet, à des variations dans l’autre sens. Le tonnage reconnu d’un navire, quand il varie, varie plutôt dans le sens d’une réduction du chiffre, c’est-à-dire, fiscalement, d’une plus grande générosité.
104 Cf. t. III, p. 434-435, note 40.
105 I.G. 2661, C.C. au Roi, 4 février 1589 ; ibid., p. 435, note 4.
106 C’est exactement ce que traduisent, rappelons-le, les indices des prix espagnols de Hamilton. Les indices andalous, les plus importants pour l’Atlantique, étaient, en pointe cyclique, à 112,68 en 1584, ce niveau, plus égalé que dépassé entre 1591 et 1592 (113,06 ; 114,75), une fois encore en 1594 (113,55) n’est vraiment relégué dans le passé qu’en 1596, avec 123,70, douze ans plus tard.
107 E.J. Hamilton, 1501-1650, op. cité, p. 198.
108 Cf. t. VI1, table 163, p. 362.
109 Les moyennes mobiles font bien ressortir l’importance du fléchissement des Retours : l’énorme creux ouvert, notamment, sur une moyenne mobile médiane de onze ans, en unités non pondérées (cf. t. VI1, table 148, p. 345). Le niveau de 1584 n’est pas retrouvé avant 1610. Même résultat, peu s’en faut, avec une moyenne mobile médiane de cinq ans sur unités pondérées, cette fois. Le niveau de 1585, égalé deux fois, en 1600 et en 1604, n’est pas dépassé vraiment avant 1607-1608.
110 Cf. ci-dessus, p. 773-776.
111 T. VI1, table 141, p. 339.
112 Cf. t. III, p. 440.
113 Cf. t. VI1, table 202, p. 422.
114 Cf. t. III, p. 442.
115 On notera, fait extrêmement rare et signe de l’extrême tension qui s’exerce dans le domaine de la demande de tonnage, le rythme de rotation record, en sept à huit mois, au lieu des treize et quatorze mois au minimum, en moyenne.
116 Une partie, car le gros, bloqué, ne rentrera que beaucoup plus tard, en 1590. Il s’agit de l’escadrille détachée, pour chercher des secours sous le commandement de Diego Hurtado de la Fuente.
117 Cf. t. III, p. 464-467.
118 Cf. t. VI1, tables 134, 141, p. 332, 339 ; table 163, p. 362.
119 Cette affirmation, mieux encore que sur les chiffres absolus, car les niveaux respectifs des deux versants du mouvement ne sont pas exactement comparables, se vérifie sur les pourcentages des chiffres vrais à la moyenne. (Cf. t. VI l, tables 162-164, p. 361-363, t. VII, p. 52-53.) Jusqu’en 1590 (exclusivement), cinq ans en Allers sont nettement en dessous de 50 %, trois, en Retours. Au-delà de 1590, trois en Allers, dix en Retours. Jusqu’en 1590 (exclusivement), 15 ans en Allers sont en dessous de 75 %, onze en Retours. Au-delà de 1590 (inclusivement), neuf en Allers, seize en Retours.
Comme il est facile de le constater, les Retours, à partir de 1590, prennent en l’exagérant, le caractère saccadé — par anomalies négatives — que la courbe des Allers avait, jusque là, avec toutes les conséquences que ce comportement implique pour l’ensemble du mouvement.
120 Cf. t. III, p. 450-451. Galions du capitaine Diego Hurtado de la Fuente, galizabras de Pedro Menéndez Marquez, pataches de Gonzalo Monte Bernardo et Rodrigo de Rada.
121 Cf. t. III, p. 450-451, Add.
122 Cf. t. VI1, table 182, p. 384.
123 Cf. t. VI1, table 226, p. 471.
124 Cf. t. I. On en a vu, à son heure, quelques-uns des mécanismes, p. 169-203.
125 Cf. ci-dessus, p. 225-259, 445 sq.
126 Cf. t. III, p. 460, note 19.
127 Sur le rôle très important des importations de blé breton, cf., entre autres, H. Lapeyre et Frank C. Spooner, op. cit.
128 E. J. Hamilton, 1501-1650, op. cit, p. 391.
129 Il n’est pas exclu, non plus — mais c’est là simple hypothèse — que les gros bénéfices réalisés, selon le schéma d’Ernest Labrousse, par les grands propriétaires andalous, lors de la crise de pénurie, aient fourni des capitaux, comme on l’a souvent supposé, au grand commerce, dans cette période de reconstruction. Double raison, donc, pour attribuer une grande importance, dans les événements de ces années, à la grave crise de subsistance andalouse.
130 Cf. t. VI2, tables 602, 606, 610, p. 862, 866, 870.
131 Cf. t. III, p. 450 sq.
132 La thèse de la prise de conscience impériale, voire de la prise de conscience collective de l’intérêt profond du commerce du Monopole, très largement entendu, est séduisante, dans l’état de nos connaissances. Une connaissance meilleure des prix américains nous amènerait, peut-être, à des explications plus mécaniques et, pour certains, plus convaincantes. De toutes manières, l’un n’exclut pas l’autre.
133 Une partie revient très vite en 1589, vidant, on l’a vu, les Indes de leur tonnage disponible. Une autre partie s’éternise, au contraire, aux prises avec les difficultés sans nombre, d’un matériel défaillant.
134 Cf. t. III, p. 458, no 3.
135 A l’intérieur de la pénurie globale du matériel naval, dont souffre la Carrera, on commence à percevoir quelques goulots d’étranglement de plus particulière prédilection : manque de mâts, manque d’artilleurs (cf. t. III, p. 460, no 16). Quand on sait le rôle des pays du Nord dans cet approvisionnement, on peut se demander dans quelle mesure la guerre hispano-anglaise, jointe au conflit hollandais, n’a pas, en rendant très difficile les communications suivant l’axe côtier Nord-Sud constitué un facteur décisif, à l’origine de ces pénuries.
136 Cf. t. III, p. 463, note 104,
137 Cf. t. III, p. 463, note 18.
138 Cf. ci-dessus, p. 793-796.
139 Cf. ci-dessus, p. 796-800.
140 EJ. Hamilton, 1501-1650, op. cit, p. 278.
141 Depuis 1586, on assiste, on l’a vu, à une espèce de répétition générale de ce que sera quinze ans plus tard, la crise de la grande distorsion dévastatrice des prix des denrées et de la main-d’œuvre.
142 Cf. ci-dessus, p. 817-820.
143 E.J. hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 391. Des indications fournies par la correspondance (t. III, p. 460, note 19) et le comportement des deux séries géographiques complètes (Vieille Castille-Léon, Valence) permettent de supposer que les indices des grains laissés en blanc en 1590 sur les séries andalouse et nouvelle-castillane étaient, au moins, comparables au point haut précédent. Malgré la date précoce de la moisson (fin mai, début juin, au plus tard, en Andalousie), il faut tenir compte, ici, comme en France, du temps, plus long que nos jours, nécessité par le battage et la meunerie. Le biscuit embarqué, nécessairement, un certain temps, avant le départ le 1er août, appartenait, forcément, à la récolte de 1589. Tout le laisse à penser, du moins. La récolte de 1590 toutefois n’avait pas offert la promesse d’une amélioration sérieuse de la situation.
144 Cf. ci-dessus, p. 818.
145 Face à ces chiffres, pour donner aux 149 toneladas de 1591-1592, leur pleine valeur. On invoquera à titre de comparaison, les moyennes annuelles des fluctuations précédentes, 235 toneladas (moyenne de 1579 à 1592), 279 (1579-1583), 250,5 (1584-1587), 183 (1588-1592), 264,14 (1572-1578), 246,7 (1572-1575), 293 même de 1576 à 1578. Il s’agit bien, à la limite d’une chute de l’ordre de 40 %. On voit, par cet exemple encore, à quelles erreurs, entre autres, se serait exposée une méthode d’analyse qui ne se serait pas astreinte à la reconnaissance individuelle du tonnage des navires.
146 Soit 121 navires en Retours, 20 953 tonneaux-toneladas1 contre 318 navires en Allers, soit 50 840 tonneaux-toneladas.
147 Cf. ci-dessus, p. 810-812, et ci-dessous, p. 828-831.
148 Cf. ci-dessous, p. 946-947
149 Cf. t. VI1, table 226, p. 471.
150 Cf. ci-dessous, p. 952-953-1052.
151 Cf. ci-dessus, p. 814-816.
152 Cf. ci-dessus, p. 814-816.
153 Cf. ci-dessus, p. 815-816.
154 Niveau réduit, de toute manière, même si on ne tenait compte que du nombre des bateaux mis en cause.
155 Cf. ci-dessus, p. 776-778.
156 Cf. t. VI1, table 159, p. 356.
157 Cf. ci-dessous, p. 773-776.
158 Cf. t. III, p. 464-465.
159 Cf. ci-dessus, p. 762-765.
160 Secours que, sous forme de gréements et de vivres, notamment, Diego Hurtado de la Fuente, rapportent en 1590, t. III, p. 450-451.
161 Cf. t. III, p. 465, no 1.
162 Cf. t. III, p. 476 et p. 482, notes 2 à 7.
163 Ces transports rapides, en dehors du jeu naturel des flottes et de l’Armada de la Guardia, rendus nécessaires, au cours de la phase aiguë du conflit hispano-anglais, auront grevé, dans des proportions qu’il n’est pas malheureusement possible de calculer, l’exploitation de l’Atlantique espagnol et hispano-américain.
164 Un doute pèse toujours, lorsque se produisent ces arrivées hors Rio et, plus particulièrement, au Portugal et à Lisbonne, comme c’est le cas, présentement. Ce doute n’est pas seulement un doute de l’historien mais, d’abord, le doute des administrations contemporaines. Non certes, que, techniquement, l’abordage hors Rio ne soit parfaitement plausible, mais il se prête toujours, malheureusement, à de telles fraudes et entraîne de telles pertes pour le fisc, qu’un doute persiste. Il est impossible de le dissiper, de même qu’il était, alors, techniquement impossible de trancher. Raison de plus, pour rester sur une réserve prudente.
165 Cf. t. III, p. 482, note 7.
166 Cf. t. III, p. 478.
167 Cf. t. VI2, table 610, p. 870.
168 Ces chiffres ne représentent qu’une approche, selon toute vraisemblance, assez largement, inférieure à la réalité.
169 Cf. t. III, p. 458, note 6.
170 Cf. t. III, p. 468471.
171 On peut penser qu’elle a attendu les arrivées d’argent de Juan de Uribe Apallua, via la voie terrestre à travers Portugal et Sud de l’Espagne ; cf. ci-dessous, p. 833.
172 Cf. ci-dessous, p. 828-829.
173 Cf. t. III, p. 458, note 7.
174 Cf. t. VI2, table 606, p. 866.
175 De la moyenne annuelle numérique du cycle 1579-1592, soit 82,75 navires, de la moyenne de la fluctuation, 1588-1592, soit 114 navires, et, a fortiori, de la moyenne de toutes les autres fluctuations du cycle.
176 Il adviendra, un jour, où il en ira tout autrement et où les navires de Cádiz (au xviie siècle) seront, en moyenne, d’un tonnage supérieur à celui des bateaux du Guadalquivir. Ce qui, en soi, est logique, quand ils réussiront à se faire dispenser du retour jusqu’à Séville et qu’ils ne seront plus soumis à la servitude de la barre, grande limitatrice du tonnage unitaire et de l’approfondissement de la quille.
177 Cf. t. III, p. 488.
178 Cf. t. III, p. 496, note 1.
179 Cf. t. III, p. 496, note 1.
180 Cf. t. III, p. 490.
181 Nous sommes au plus fort de l’intervention espagnole dans la solution du grave problème dynastique français.
182 Cf. t. III, p. 504.
183 Il est, on nous le dit, extrêmement chargé. Cf. t. III, p. 496, note I ; on n’en doute pas, après une interruption de trois ans.
184 Il y a, toujours, chez quelques-uns — la correspondance de la Casa de la Contratación, peu suspecte, quand elle critique les attitudes du cher négoce de Séville se répand, parfois, en plaintes, contre cette attitude dès la première décade du xviie siècle ; on peut donc, anticiper de quelque dix ans, sans trop de crainte — le secret désir, en organisant la pénurie sur les marchés indiens, d’y faire monter les prix.
Que l’espacement des flottes réponde, pour l’essentiel, à un empêchement physique, c’est évident. Que la difficulté physique ait été exclusive de toute arrière pensée de spéculation « malthusienne », osera-t-on écrire, cela n’est pas si sûr. Il y a des contraintes, les contraintes restrictives auxquelles beaucoup de marchands de Séville se sont prêtés avec délectation.
185 Cf. t. III, p. 494-495.
186 Cf. t. III, p. 490-491.
187 Cf. t. III, p. 500-501.
188 Cf. t. III, p. 504 sq.
189 Cf. t. VI, table 226, p. 471.
190 Cf. t. III, p. 496, note 1.
191 Cf. ci-dessus, p. 832.
192 Cf. t. VI1, p. 484 sq. et, plus particulièrement, table 226, p. 471.
193 Cf. t. III, p. 500-503.
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