Chapitre IX. Le cycle royal de l’argent (1578-1592). Seconde fluctuation. Les premiers niveaux records (1584-1587). Étude annuelle
p. 702-766
Texte intégral
1Au seuil d’une étude annuelle de cette seconde fluctuation courte du cycle de l’Argent, dont on vient d’examiner caractères et facteurs, on pourrait être tenté, se bornant à prendre du mouvement une vue superficielle et rapide, de diviser la période en deux sous-fluctuations, l’une, de 1583 à 1585, l’autre, celle du vrai sommet, de 1585 à 1587. Convenait-il de recourir à ce plan dans l’exposé plus détaillé qui va suivre ?
2Il ne semble pas. Certes, on le verra, il serait dangereux de dénier à l’ensellement de 1585 toute réalité objective. Il y a eu, sans doute — c’est particulièrement sensible sur le mouvement moteur des Allers — un temps d’arrêt non négligeable. Mais un rapide coup d’œil sur la chronologie des départs1 par exemple, montrera avant même qu’une analyse plus poussée ne vienne corroborer solidement ce point de vue que le creux de 1585 est, en bonne partie, imputable au découpage chronologique annuel... et, plus particulièrement, à la répartition tout à fait anormale des départs au cours de l’année 1584. Construire, dans ces conditions, toute l’histoire de la fluctuation autour d’une date qui n’en est pas tout à fait une autour d’une date qui résulte largement de l’accumulation un peu au hasard de facteurs externes, paradoxalement concordants, constituerait, vraisemblablement, une grave erreur. Mieux vaut donc se contenter d’un découpage plus modeste, plus étroitement soumis encore à la réalité.
I. — DU CREUX DE 1583 AU SOMMET DE 1584 : LA REPRISE
3Un simple regard sur les graphiques2 permet de mesurer l’ampleur du décrochement qui oppose 1583 à 1584.
DANS LE CADRE DU DÉCOUPAGE ANNUEL
4Ce décrochement paraîtra d’autant plus sérieux que la position de 1583 n’est en rien celle d’un creux, mais bien plutôt, le terme normal d’un long plateau légèrement ascendant qui n’a plus besoin d’être présenté ou justifié3
5Entre 1583 et 1584, les chiffres se heurtent et se heurtent tellement, qu’on ne peut hésiter à situer à cette hauteur une frontière conjoncturelle majeure.
1. Mouvement volumétrique
6A l’Aller, par exemple, de 51 navires, on passe brusquement à 73 navires, de 52 2/3 navires, moyenne du mouvement unitaire annuel des départs, lors de la première fluctuation primaire, à 73 navires pour 1584, soit un chiffre encore un peu inférieur à la moyenne unitaire annuelle des départs, lors de la seconde fluctuation primaire, 80 1/4 navires. Le décrochement est, ici, de l’ordre de 43,1 %. La frontière est bien marquée.
7Elle est marquée, plus vigoureusement encore, pour l’expression volumétrique du mouvement puisqu’on passera brusquement de 12 490 à 22 840 toneladas, soit un décrochement de 80 %, ce qui, compte tenu de la position légèrement en retrait de 1583, donnerait encore, en comparant, cette fois la moyenne volumétrique annuelle à l’Aller de la première fluctuation, 15 839,4 toneladas au chiffre vrai de 1584, un décrochement de toute première importance, de l’ordre de 45 %4.
8Des comparaisons analogues sont possibles, avec des résultats sensiblement identiques, sur les autres axes fondamentaux du mouvement. Elles feraient saillir, sans hésiration, la position avantageuse de 1584 à l’entrée, d’un niveau beaucoup plus élevé du trafic. En Retours, par exemple, le rebord de faille est atténué par la masse considérable des Retours tardifs de 1583 (à partir du 13 septembre 1583, dans la deuxième quinzaine de septembre et au-delà), si bien que l’opposition des chiffres, dans le découpage annuel, masque, peut-être, en grande partie, l’exacte ampleur du phénomène. Cette anomalie dans le détail de la chronologie des Retours n’empêche pas, quand même, de passer de 74 à 86 navires, et de 18 580 à 20 722,5 toneladas, soit, l’un dans l’autre, un décrochement de l’ordre de 15 %. Mais, il sera avisé, une fois de plus, d’établir la comparaison entre le niveau annuel moyen de la première fluctuation (soit, aux Retours, 55 navires et 14 395,2 toneladas) et le niveau vrai de 1584, 86 unités représentant 20 722,5 toneladas5 On retrouvera, à peu près comme pour les Allers, avec une significative constance, ce décrochement de quelque 45 % qui semble bien traduire l’ampleur de la dénivellation, non seulement entre les niveaux respectifs de 1583 et de 1584, mais aussi, ce qui est beaucoup plus significatif, entre les niveaux annuels moyens de la première fluctuation du plateau déprimé et celui de l’année 1584, l’année, incontestablement, de la reprise et du dénivellement le plus important des mouvements.
9La situation est analogue sur les globaux Allers et retours6. Entre 1583 et 1584, on passe, en effet, d’un mouvement de 125 navires à un mouvement de 161 unités, de 31 070 toneladas à 43 563 1/2 toneladas. Si on préfère établir la comparaison du niveau de 1584, avec la moyenne annuelle de la première fluctuation7, on obtiendra un écart très proche et de la comparaison précédente et de la comparaison obtenue par le rapprochement des niveaux moyens respectifs de la première et de la seconde fluctuation, soit 30 234,6 toneladas et 108 2/3 unités (moyenne annuelle pour la fluctuation 1579-1583) et 161 navires, 43 562 1/2 toneladas pour 1584. Calculé par un procédé ou par un autre, le décrochement excède encore largement, même dans les conditions les moins favorables à la dénivellation, l’ordre de grandeur des 40 %.
2. Mouvement en valeur
10On manque, malheureusement, de renseignements abondants pour les valeurs8. Ceux dont on dispose, pour limités et ténus qu’ils soient, n’en permettent pas moins de saisir l’importance du décrochement : les valeurs officiellement déclarées pour l’avería passent de 932270344 maravedís à 1909 996 342 maravedís. Le décrochement, de plus de 100 %, dépasse, à court terme, du moins, dans le cadre du découpage annuel celui des volumes pris dans les mêmes conditions (12 490 à 22 840 toneladas).
11Faut-il en déduire que l’année 1584 vient s’inscrire en faux contre l’observation faite précédemment9, d’un affaiblissement relatif de la valeur uni taire des marchandises exportées d’Espagne vers l’Amérique, au cours de cette seconde fluctuation primaire de 1584 à 1587 par opposition, à la première fluctuation de 1579 à 1583 ? Vraisemblablement non, bien que sur ce point, 1584, donne, sans doute, le ton à l’ensemble de la fluctuation. Les creux de 1583 était dû, en effet, entre autres facteurs, à la disparition partiellement accidentelle des départs vers la Terre Ferme... or, on a observé, couramment déjà, la plus grande valeur unitaire, à l’ordinaire, des exportations destinées à la Terre Ferme par rapport à celles qui sont destinées à la Nouvelle Espagne. Il est, donc, prudent, dans ces conditions, de considérer que le décrochement du mouvement valeur n’excède pas celui à la même hauteur du mouvement en volume10.
12On aura donc noté sur toutes les expressions du trafic, tant en volume qu’en valeur, avec un synchronisme parfait un décrochement d’égale amplitude. On peut se demander, toutefois — on s’est déjà posé la question et on avait trouvé la voie d’une solution négative — si le découpage annuel ne risque pas, ici, d’être créateur d’illusion.
PAS DE SOLUTION DE CONTINUITÉ : UNE ACCÉLÉRATION INSENSIBLE DU MOUVEMENT
13En effet, si on ne dépassait pas les indications que donnent les séries établies d’après les normes du découpage annuel, il faudrait bien constater et, partant, chercher à expliquer une aussi brusque rupture dans le rythme d’expansion du mouvement.
14En fait, il n’en est rien. Rien, d’ailleurs, dans l’analyse qu’on a tentée, des causes de l’expansion dans la seconde fluctuation primaire, du cycle, ne permettrait de comprendre un aussi brutal changement du rythme de croissance.
15Les causes, tant internes qu’externes, laisseraient à penser qu’il y a eu une lente et imperceptible modification de l’équilibre des forces : fin du matlazahualt en Nouvelle Espagne, reprise de l’accélération des prix en Espagne... tous les facteurs qui aboutissent, sans parler même de la dynamique interne du mouvement, à modifier les équilibres et favoriser la reprise... n’ont aucune raison d’obéir, brusquement, à un fatidique rendez-vous donné par le calendrier, pour provoquer, sans raison apparente, une mutation quantitative, en quelques mois, à peine, de l’ordre de 40 à 50 %.
16En fait, tout cela s’explique aisément, puisque, au vrai, l’heur tout relatif de 1584 est indissociable on l’a vu déjà11, du malheur non moins relatif de 1588. De même que la conjoncture de 1583 est moins mauvaise qu’on ne pourrait le penser, a priori, la conjoncture de 1584 est moins bonne qu’elle ne le paraît, d’abord.
1. Rectificatif au mouvement : l’amorce d’une reprise en 1583
17Après avoir recueilli les leçons utiles du découpage annuel, il importe de s’en dégager, pour retrouver une conjoncture dépouillée déjà des incidences externes les plus évidentes.
18a. L’onde de perturbation de 1581. Répercussion sur les Allers de 1583. — Il importe, tout d’abord, de ne pas perdre de vue ce que l’on peut appeler la conservation des anomalies par le jeu des trains d’ondes atténuées. Tout cela s’explique facilement : c’est la difficulté des convois à reprendre un rythme annuel régulier après les puissantes perturbations causées, en grande partie, par la ponction perturbante de la vaste expédition aux terres magellaniques de Diego Flores de Valdés12. Et ceci doit être pris un peu sous forme de règle. Si mince est l’immense Atlantique du xvie siècle, si médiocres ses possibilités techniques, tant difficultés à mobiliser en un point particulier de grandes masses de richesses qu’à les embarquer sur des navires qui sont toujours en nombre limité, qu’une perturbation, soit gros temps, soit effort exorbitant d’une expédition trop lourde (ce fut le cas en 1580 et 1581), entendez plus simplement l’intrusion trop brutale du facteur « politique et militaire » dans la vie économique intime de l’Atlantique de Séville ouvert sur le vaste monde, qu’une perturbation apparaisse et la perturbation se prolongera suivant les lignes directrices d’une onde de choc amortie. Ce que l’on voit ici même.
19Le creux des Allers en direction de la Terre Ferme de 1583 est peut-être, essentiellement encore la conséquence de l’onde de perturbation causée par la trop lourde expédition Valdés de 1581. Toujours est-il que la flotte de Terre Ferme prévue pour 1583 n’a pas pu partir, cette année, malgré le départ précoce, l’année précédente, le 7 avril 1582, de San Lúcar, du convoi normal de Terre Ferme13.
20La conséquence la plus claire de l’écrasante expédition d’exploration et de mise en défense des terres magellaniques, aura été le passage d’un rythme annuel à cet autre rythme classique aussi des départs pour la Terre Ferme, il vaudrait mieux dire le retour du rythme annuel au rythme biennal qui prévaut, pratiquement, de 1580 à 1588. Propos délibéré, résolument et consciemment adopté ? Non. Ce rythme dépend surtout du hasard et de l’impossibilité technique — plus encore qu’économique — d’assurer les départs.
21b. La crise du tonnage : signe d’expansion. — Ainsi, l’absence d’un départ de flotte de Terre Ferme en 1583 n’a pas résulté le moins du monde, d’une volonté arrêtée, mais bien d’une série de difficultés techniques qui ne purent être surmontées. On parie déjà de la flotte de Francisco de Novoa Feijo et Francisco de Valverde14, en juin 1583. Mais on ne sait comment la mettre en œuvre, par manque de tonnage. Cette pénurie, dont on se plaint amèrement, aura constitué la pierre d’achoppement.
22Il faudra, pour la réalisation de ces virtualités nombreuses, lisibles à travers la correspondance de la Casa de la Contratación, la mise en disponibilité de la masse énorme des Retours de 1583. 74 navires vont arriver dans le Guadalquivir, représentant 18 580 toneladas, soit près de 50 % de plus que ce qui était parti en juin (51 navires, 12 490 toneladas seulement), mais les premiers éléments du convoi ne font pas leur entrée avant le 13 septembre, les arrivées s’échelonnent tout au long de la seconde moitié de septembre et les premières semaines d’octobre15. Ces navires pourront être disponibles pour un nouveau voyage avant le début de 1584, au prix, encore, d’un rythme d’enfer, de déchargement et de rechargement, à condition aussi de sacrifier toutes réfections sérieuses.
23Dans cette crise du tonnage, dont la correspondance de la Casa fait état et que l’analyse détaillée de la chronologie du mouvement confirme pleinement, n’est-on pas accoutumé de voir, à juste titre, un signe de reprise de l’expansion ? Or la crise de l’insuffisance du tonnage, si on suit les leçons de la correspondance de la Casa de la Contratación16 deviendrait particulièrement sensible, dès juin 1583. Aussitôt après le départ, le 13 juin17 du grand convoi de Don Antonio Manrique, vers la Nouvelle Espagne, dont la masse, 38 navires, 10 690 toneladas 18 était particulièrement imposante, le problème de trouver du tonnage disponible pour la Terre Ferme s’était posé.
24En fait, on peut placer, presque toute l’année 1583, et certainement même, malgré l’énormité des retours de l’automne, le début de 1584 sous le signe d’une crise d’insuffisance du tonnage disponible face aux besoins du négoce ; cette crise n’est pas résolue encore au début de janvier 1584.
25La flotte différée, vers la Terre Ferme, de 1583 et qui part entre le 16 et 18 janvier 1584 sous le commandement de Francisco de Novoa Feijo et Francisco de Valverde19, nous amène, sans doute, au paroxysme de ce déséquilibre. La flotte de Novoa Feijo est une flotte squelettique, une vingtaine de bateaux, quelque 6 000 tonnes20, elle contraste avec le luxe déployé en direction de la Nouvelle Espagne, sept mois plus tôt. Elle est le signe d’une mauvaise coordination des mouvements. Anticipant des Retours plus précoces, le négoce et la Casa ont, peut-être, misé du côté de l’armement sur un accroissement de l’offre que l’expérience n’a pas vérifié. D’où ce déséquilibre, d’une Terre Ferme doublement sacrifiée par l’insuffisance du volume exporté et le retard des convois. En effet, la flotte de Francisco de Novoa Feijo aura très indirectement bénéficié des retours importants de l’automne 1583.
26Une étude attentive des tableaux (tome III, p. 332 à 337 et 340-341) corroborée par ce qu’on voit à travers la correspondance de la Casa, montre, sans peine, que la flotte de Feijo s’est constituée en dehors des retours providentiels de l’automne 1583. De ceci, on peut tirer plusieurs conclusions, dont une, au moins, de poids. C’est que, quelle que soit la pression du négoce — elle fut rarement plus forte que tout au long de ces préparatifs de la flotte Francisco de Novoa Feijo — une rotation générale sur trois mois et demi, quatre mois est impossible. Réalisable, exceptionnellement, pour quelques bâtiments, elle ne l’est pas pour tout un convoi. Et cette constatation, en confirmant les limites techniques d’une époque, éclaire le problème des seuils des rythmes de rotation des navires. Il ne faut jamais les perdre de vue pour comprendre enchaînements et interréactions des mouvements.
27D’où provient le matériel de la flotte de Novoa Feijo ? Vieux matériel, sans doute, ou, du moins, assez hétéroclite, laissé pour compte et non immédiatement récupérable. D’où le faible volume et des lenteurs, qu’il serait, absolument, insensé d’interpréter comme on le ferait, en d’autres circonstances, comme des signes de difficultés conjoncturelles ou de contraction. Ils sont, tout au contraire, la preuve d’une excessive prospérité, ou, si on préfère, des exigences trop brutalement émergeantes du négoce, pour que l’armement puisse immédiatement y répondre convenablement.
28Est-ce à dire que les Retours de 1583 ont été sans influence sur le départ du 16 ou 18 janvier 1584 de la première flotte de Terre Ferme de l’année (cette fausse première flotte qui n’est, en fait, que la flotte de 1583 retardée) ? Certainement pas. L’arrivée massive des navires venant des Indes aura, vraisemblablement, accru la bonne volonté des armateurs hésitants... en laissant poindre les perspectives, peut-être, d’une année moins bonne. Alors qu’une des principales difficultés auxquelles les négociants et leurs alliés de la Casa durent se heurter pendant les préparatifs de la flotte de Novoa Feijo fut, de toute évidence, outre le manque de navires disponibles, le peu d’enthousiasme de ceux qui possédaient ces navires à les mettre à la disposition du négoce dans l’attente, pour l’offre des navires d’une position toujours plus forte. C’est pourquoi, on peut être à peu près certain que l’arrivée massive des Retours de 1583 aura plutôt hâté la deuxième phase des préparatifs de cet interminable et difficile convoi, dans la mesure où on allait pouvoir en augurer une position un peu moins exceptionnelle pour l’armement et un peu plus facile pour les négociants.
29c. Volume Valeur. — Tout ceci, loin d’être pure construction de l’esprit, semble assez bien corroboré par la mise en parallèle des séries volume et valeur. On a déjà vu21 comment, par rapport au long creux plateau, la valeur unitaire du mouvement en 1584 a plutôt sensiblement fléchi. Ce fléchissement à contre courant de la valeur unitaire des exportations en direction des Indes, sensible en 1584, montre, d’une autre manière, après le départ de la flotte Feijo et la récupération pour de nouveaux voyages des grosses venues de l’automne 1583, que la tension exercée par le négoce sur l’armement se sera sensiblement relâchée, puisque des marchandises relativement plus pondéreuses qui n’avaient plus trouvé la possibilité, depuis plusieurs années, de se faire accepter, ont réussi à se faire embarquer, infléchissant ainsi, sensiblement la valeur unitaire des exportations.
2. Conclusions
30De cette analyse, plusieurs leçons peuvent être tirées. La première est une leçon de prudence sur les positions respectives de 1583 et 1584 ; 1583 n’est pas aussi creusée qu’elle apparaît, d’abord, ni 1584, aussi bombée qu’elle ne le semble, sur la ligne du mouvement Allers. On l’avait déjà vu22. Il serait vain, en réalité, pour tenter d’éliminer ces risques de distorsions, de proposer un rectificatif trop précis au mouvement. Mais une chose, du moins, est certaine, à la faille qui semble séparer 1583, terme du long plateau déprimé et 1584 point de départ d’un étage supérieur, il vaut mieux préférer la conception plus nuancée et plus conforme à la réalité profonde, d’une puissante reprise commencée tôt en 1583 et continuée, en pente plus douce, mais sans solution de continuité.
31On a vu, notamment, combien tôt, au cours de l’année 1583, se manifestaient d’incontestables signes de reprise, sous forme de cette pression que, seules, des conditions techniques dans une certaine mesure et jusqu’à un certain point extra-conjoncturelles — on parlerait aujourd’hui de goulot d’étranglement — avaient empêché de se concrétiser plus tôt, d’une manière plus simple et plus sensible, par un accroissement considérable des volumes en partance vers l’Amérique.
32Il serait excessif, par contre, ne tenant pas compte de la date effective des départs, de placer le maximum de la pression conjoncturelle en 1583 et non pas en 1584. La non-réalisation, l’impossibilité objective et concrète de faire sauter le goulot d’étranglement technique compte aussi. L’analyse attentive de la chronologie et de la correspondance de la Casa de la Contratación invite à atténuer les leçons du découpage chronologique annuel, certes, mais non pas à l’abolir ou à le renverser. Elle invite à placer le maximum de la pression conjoncturelle au cours du deuxième semestre de 1583 et dans le premier semestre de l’année suivante, c’est-à-dire beaucoup plus proche du mouvement des prix andalous, tel qu’on l’entrevoit sur les nombres indiciels de Earl J. Hamilton.
33Le décrochement majeur des prix qui se situe entre la fin de 1581 et le début de 1582 communique, quelque dix-huit mois plus tard, un ébranlement comparable au mouvement Allers. Or dix-huit mois constituent pour la corrélation conjoncture des prix — conjoncture des trafics ce que l’on peut considérer comme le seuil optimum. Seuil optimum, d’autant plus que les prix andalous, autant qu’on en puisse juger23 anticipent assez sensiblement ceux des autres séries géographiques, les séries les moins profondément engagées dans la vie de l’Atlantique hispano-américain. Le principal décrochement des prix nouveaux-castillans se trouve placé entre 1583 et 1584, soit exactement, à la même hauteur que cette brusque accélération localisée sur le mouvement Allers, entre le deuxième semestre de 1583 et le premier semestre de 1584.
34Tout cela cadre, finalement, assez bien : la reprise un peu plus précoce qu’on aurait pu le croire à la vue des seules séries annuelles, précédée de celle des prix andalous, à la même hauteur que le décrochement équivalent des prix nouveaux castillans et venant parfaitement s’insérer au terme d’une période de détente24 politico-militaire dont bénéficie, au premier chef, la Carrera. Dernier argument, enfin, en faveur d’une anticipation considérable de la reprise sur 1583, l’énormité même des Retours de l’automne 1583. De telles masses, au Retour, ne pouvaient être commandées — on le sait — par le seul besoin en moyens de transport des exportations des Indes vers l’Europe. Ces besoins sont, en raison de l’importance relative des retours sous forme de métaux précieux et de numéraire, presque toujours, sauf exceptionnellement, peut-être, en cas d’absence presque entière sur plusieurs années de tout mouvement d’Ouest en Est, très inférieurs aux possibilités offertes par le volume des navires disponibles. Ils n’ont pu être commandés, selon toute vraisemblance que par la connaissance qu’on a eu très tôt aux Indes, et plus tôt encore en Europe d’où l’ordre en aura été, vraisemblablement, donné, des besoins attendus pour le début de 1584 d’une importante capacité de transport dans le sens Est-Ouest..., et, bien sûr, des conditions avantageuses que ne manquerait pas d’apporter à l’armement disponible dans le Guadalquivir semblable situation.
35Il n’y a plus vraiment de solution de continuité, mais une tension conjoncturelle qui s’exerce depuis longtemps pendant la période du plateau déprimé, depuis 1583, certainement, depuis 1582, sans doute, et qui finit par faire sauter le goulot d’étranglement du tonnage, d’abord en ne laissant filtrer que les cargaisons les plus chères, ensuite en faisant basculer de l’Amérique sur l’Europe, un important volant de tonnage disponible. Et ceci corrobore, bien finalement, le fond de l’explication proposée pour l’ensemble du cycle25 : ce qu’il faut expliquer c’est moins, avions-nous dit, l’expansion que le retard à l’expansion. Le dessin général du mouvement de l’ensemble de la fluctuation s’éclaire de lui-même.
36Des facteurs extérieurs sont responsables des détails du mouvement et — particularité d’une exceptionnelle importance — du plateau initial. Cette thèse se trouve solidement étayée, dans la mesure où une analyse de plus en plus poussée aura permis de substituer à l’impression d’un brusque dénivellement, la notion plus proche de la rivalité d’une poussée conjoncturelle longuement préparée et puissante, qui finit, un certain seuil crevé, à la fin de 1583 et au début de 1584, par se concrétiser sur le mouvement volumétrique lui-même sous la forme triomphante du plateau en haute altitude des années 1584-1585-1586.
II. — DE 1584 A 1585. UN CERTAIN RALENTISSEMENT DANS L’EXPANSION
37On peut se demander dans quelle mesure, l’extraordinaire pression qui s’est exercée dans le sens de l’expansion à la charnière décisive des années 1583 et 1584, se maintient vraiment tout au long du plateau élevé qui dure, on l’a vu, jusqu’à la fin de 1586. En fait, il est fatal que le gradient de l’expansion ne puisse se maintenir toujours au même niveau.
38De même qu’une analyse plus serrée, allant au-delà du simple découpage annuel a permis de fixer à cheval sur la plus grande partie de 1583 et sur les premiers mois de 1584, une zone de poussée conjoncturelle particulièrement rapide et puissante, de même, elle permettra, peut-être, de délimiter, à cheval entre 1584 et 1585, une zone de relâchement relatif.
39En fait, au fur et à mesure que la documentation issue de la Casa de la Contratación s’enrichit et que la chronologie du mouvement se fait plus dense, plus abondante et plus précise, on peut espérer distinguer, à l’intérieur même de la fluctuation primaire, tri, quadri ou quinquennal, des tranches chronologiques de l’ordre du semestre ou de l’année. On aura retrouvé, ainsi, avec les variations des accélérations conjoncturelles à l’intérieur même de la fluctuation la plus courte, une des caractéristiques bien connues des études économiques contemporaines consacrées à la conjoncture. Cette possibilité manquait, jusqu’ici, dans notre transposition. On n’avait pas, du moins, suffisamment précisé encore les possibilités de ce transfert de concepts dans l’économie de ce plus vieil Atlantique. L’analogie peut donc être poussée très loin.
RECHERCHE D’UN POINT DE DÉPART
40Dans le cas concret qui nous intéresse, on pourra, sans doute, préciser au cours de l’année 1584 un certain changement dans le rythme de croissance — toute donnée qui tendrait à mettre en cause la conjoncture haute de l’ensemble de la période étant fatalement écartée.
41D’après la correspondance de la Casa de la Contratación, on a l’impression que quelque chose se passe, au cours du premier semestre de 1584, en direction de la Terre Ferme. A court terme, les perspectives sur lesquelles les négociants avaient étayé les préparatifs de la flotte plutôt modeste de Francisco de Novoa Feijo semblent ne pas avoir été démenties. En mars-avril dans l’isthme les conditions semblent bonnes ; on recueille l’écho, à Séville, d’abondance d’argent et d’un écoulement facile à bon prix des marchandises de la flotte. N’y a-t-il pas, comme l’Almirante Francisco de Valverde l’écrit, le 3 avril, « necessidad de ropa en la tierra » ? Autrement dit, l’extrême pression du négoce qu’on avait observée dans les mois précédents sur les bords du Guadalquivir, cette hâte finalement victorieuse à briser le goulot d’étranglement de l’insuffisance du tonnage disponible... procédait d’une sûre appréciation des besoins à Nombre de Dios26.
42Et voici qui fait, une fois de plus, toucher du doigt cette faible élasticité des marchés dans ces économies anciennes, même quand il s’agit, comme c’est le cas, ici, d’une de ces économies coloniales motrices de toute l’économie internationale d’échanges. Simultanément, en effet, des échos singulière ment différents parviennent de Lima, apportés par l’armadilla qui arrive du Callao, le 15 avril, à Panama. Il y aurait pléthore, nous dit-on, sur le marché de Lima27 confondu, en l’occurrence, avec l’ensemble du marché péruvien. Confondu, avec raison, sans doute. Lima n’est-il pas, en effet, pour Séville, le fidèle reflet de tout le Pérou ouvert, dans la mesure où il s’ouvre, sur l’économie internationale d’échanges ? Que s’est-il donc passé ? Le général transmet à la Casa une explication partielle mais utile. Quatorze navires de Saint Domingue venus avant le convoi sont mis en cause. Autrement dit, la flotte destinée à la Terre Ferme, pour avoir trop tardé28, s’est vue couper l’herbe sous pied.
43Quels sont ces navires devanciers ? Pour une bonne part, sans doute, des navires déroutés d’un convoi de Don Antonio Manrique29 parti de San Lúcar en direction de la Nouvelle Espagne, le 13 juin 1583, des navires destinés à Saint Domingue et aux parents pauvres du golfe du Mexique et de la Mer des Antilles. Les îles sont de moins en moins desservies autrement qu’à l’intérieur d’un cabotage, relais souvent secondaire, voire même simple prétexte pour obtenir plus commodément licence et, en fait, aller plus loin30. On peut, en comptant les navires déclarés comme allant à Honduras, Campêche, Cuba ou Porto Rico et les négriers desservant ces mêmes points — les gens de la Carrera n’en sont pas à une approximation près —, trouver amplement dans le mouvement du convoi de Don Antonio Manrique les quatorze accusés. Peut-être y avait-il aussi de purs contrebandiers venus du dehors de la Carrera. L’hypothèse, pourtant, dans son contexte, semble assez invraisemblable. L’auteur du rapport, tout intéressé à charger le tableau, eût été trop heureux d’en faire état.
44La réalité est, finalement, assez simple. Au cours de l’année 1583, la Terre Ferme ayant joué le rôle de zone d’attirance maximale, une partie du convoi destiné à la Nouvelle Espagne, à ses annexes et aux îles, aura été attirée par elle. En avril 1584, ces marchandises, vraisemblablement, en quantité assez limitée, sont déjà passées au Pérou. Cette situation explique la discordance signalée entre l’état du marché dans l’isthme et l’état du marché au Pérou. A l’arrivée de la flotte relativement limitée et tardive de Francisco de Novoa Feijo à l’isthme, dans le port de Nombre de Dios, le 17 mars 1584, les perspectives du marché auront été, sans doute, des meilleures. Mais l’arrivée de l’Arma dilla, le 15 avril, signalant que la fermeture du marché avait été moins hermétique qu’on ne l’avait espéré au départ du Guadalquivir, aura provoqué une certaine déception, dont le général se sera fait l’écho, en prévision d’éventuelles revendications fiscales d’un proche futur, contre lesquelles il est toujours bon de se prémunir, tout en donnant un coup de patte à la concurrence déloyale de la flotte précédente dans le domaine, chasse gardée, des convois de Terre Ferme.
45Tout cela, naturellement, dans le style conventionnel que l’on sait, aura été singulièrement exagéré. La source est suspecte, quand elle parie de l’excellence du marché, au début des foires de l’isthme, elle l’est infiniment plus encore, quand elle pleure à très grands cris, les malheurs du Pérou.
46De tout ceci, trois leçons, au moins, semblent se dégager. Tout d’abord, l’extrême sensibilité des marchés de ces économies coloniales, l’extraordinaire minceur de leurs marges d’absorption. Le danger aussi, qu’il y a, de plus en plus, désormais, pour l’économie espagnole du Guadalquivir, à faiblir, ne serait-ce qu’un moment, dans sa mission d’approvisionnement des marchés des Indes, car des concurrences virtuelles toutes prêtes à se concrétiser à la moindre défaillance de Séville les guettent. On approche, donc, des limites dans le temps du Monopole presque absolu des ibériques dans l’Atlantique : la présence d’une contrebande, fragmentaire et marginale — elle ne représente, encore, qu’une part infime de l’ensemble — commence à poindre sur les bords, à la limite extrême du système. Le choc de cette déception, enfin, et c’est là l’essentiel de ce que nous retiendrons pour notre propos, dont on peut très précisément fixer le point de départ à la mi-avril sur les marchés de l’isthme, semble devoir marquer le commencement pour un laps de temps variable, suivant les facteurs et les espaces, d’une sorte de plateau de ralentissement de l’expansion, à l’intérieur, sans la contredire — cela va sans dire — d’une phase moyenne d’expansion de plus de trois ans qui va de la mi-1583 à la fin de 1586.
QUELQUES SIGNES TÉNUS D’UN IMPERCEPTIBLE MALAISE
47La possibilité étant posée, à l’intérieur de la période de la pleine expansion médiane, elle-même, tout entière, de croissance maximale, d’un temps bref de moindre facilité, il importe, pour une analyse plus minutieuse, d’en rechercher les signes.
1. Dans la correspondance de la « Casa de la Contratación »
48La correspondance de la Casa de la Contratación laisse apparaître, dès le deuxième trimestre de 1584, des signes qui prouveront, du moins, que la prospérité et l’euphorie n’y suivaient pas une ligne toute droite et sans histoire. D’avril à mai31, elle marque un curieux cheminement, elle conduit, en effet, du banc du procureur, ce que l’on pourrait appeler le procès des fauteurs de déception. Elle poursuit la fraude, responsable des déceptions de Séville aux Indes en Terre Ferme, surtout, pour finir, en mai, par concentrer ses efforts sur ce bouc émissaire de choix, l’archipel caparien. Faut-il s’en étonner ?
49Le Guadalquivir paye, apparemment, les conséquences, enfin, de l’exclusion officielle à peu près totale des Canaries32, du commerce des Indes. Cette exclusion officielle aura finalement duré dix ans, c’est-à-dire tout le temps du palier, du trafic, de ce long temps d’arrêt à l’expansion si souvent rappelé33, décalé dans le temps de deux, trois ou quatre ans, par rapport à la contraction, ce qui est normal, ne faut-il pas laisser le temps aux hommes de trouver la riposte après l’attaque ? De même que le Guadalquivir frappé dix ou douze ans plus tôt quand le grand palier à l’expansion s’est dessiné, a trouvé une réponse facile, dans l’exclusion de l’archipel canarien du commerce des Indes34 — bonne réponse à court terme mais, à long terme, combien périlleuse. Les Canaries frappées, auront trouvé dans cette contrebande que la Casa découvre et dénonce, en mai 1584, une réponse, peut-être pas immédiate, mais efficace.
50L’apparition de ces plaintes exprimées avec une force et une insistance exceptionnelle — l’explosion des manifestations tangibles de phobie anti-canarienne dirons-nous — est extrêmement importante..., d’autant plus, peut-être, que de l’aveu même de la Casa, le fait dénoncé n’est pas neuf. Ainsi la forme particulière du plateau déprimé du début du cycle se trouve, une fois de plus, éclairé, a posteriori. C’est, suivant toute vraisemblance, au cours de ce goulot d’étranglement du tonnage, au cours d’un fléchissement dû pour l’essentiel, non à un affaiblissement de la demande aux Indes, mais à une incapacité technique navale du Guadalquivir dans l’ordre de l’armement à satisfaire ces besoins, que l’archipel canarien aura, par une poussée de contrebande, pris sa revanche. Cette poussée, bien venue en bouche-trou, a été supportée — il est difficile de penser que le négoce de Séville l’ignorait — sans trop susciter de difficultés et de protestations de la part des marchands et de la Casa de la Contratación. Séville et ses annexes immédiates se trouvaient, de toute manière, dans l’impossibilité de riposter sur le champ. Les groupes marchands du Monopole n’avaient pas alors, au cours de la défaillance de l’armement, à en souffrir, directement et ce secours médiocre et bien placé contribuait, tout au contraire, à rendre leur insuffisance moins évidente, d’où silence.
51Mais en 1584, la situation se renverse : le goulot d’étranglement du ton nage est sur le point d’être franchi. Séville est donc plus ou moins encline à pousser en avant, ses vieilles revendications anti-canariennes. Faut-il, pour autant, parler de malaise ? On n’hésiterait pas à le faire dans un autre contexte. Tout est question de nuances. La plainte contre les Canaries peut être interprétée. Elle signifie d’abord qu’une étape décisive vers la solution du problème tonnage a été franchie. Il y a un peu plus, toutefois. Ce qui frappe en effet, c’est sa position chronologique, en liaison étroite avec la petite crise du 15 avril, avec l’ouverture d’une phase un peu moins bonne dans la deuxième moitié de l’année à la hauteur des marchés de l’isthme.
52La réapparition à cette date, de la plainte anticanarienne, tue depuis de nombreuses années, ne peut être l’effet du hasard. Elle exprime, aussi, entre autres, la désillusion née d’une accommodation, peut-être pas très heureuse, à la réalité nouvelle. En effet, au cours des années du goulot d’étranglement, des tonnages, Séville se sera habituée à des marges bénéficiaires plus élevées et à un trafic uniquement de « ropa menuda » la plus chère. Les conditions se modifient en 1584. On aura, plus ou moins, prévu, l’expansion avec le postulat erroné d’une valeur unitaire constante, d’un volume de 50 % plus élevé qui n’excluerait pas des écarts de prix identiques à ceux des années précédentes, la dénivellation des prix de la crise du tonnage. Le léger malaise à mi-pente dans l’ascension, cette légère déception de lendemain de Noce, osera-t-on dire, qu’est-ce sinon, entre autres, le résultat d’une confrontation avec une réalité un peu moins belle que celle entrevue, qu’une insuffisante adaptation à des difficultés bien connues puisque d’avant-hier avec quelques modalités propres, mais différentes de celles d’hier en fonction desquelles le cristallin était accommodé.
53La crise anticanarienne de mai 1584, quoi qu’il en soit, est un symptôme non négligeable, partie intégrante, en l’espèce, de la sémiologie proposée de l’essoufflement à mi-pente.
2. Dans les séries chiffrées
54L’ensemble des documents sériels fournit nombre d’indices qui contribueront à donner la même impression.
55a. Mouvement volumétrique. — Le volume des départs de l’année en cours — mis à part la flotte Francisco de Novoa Feijo qu’on a pu légitimement placer en facteur commun entre 1583 et 1584, plus imputable à 1583, sans conteste, qu’elle ne le fut à 1584 — s’établit sur un niveau correct, de quelque 17 000 toneladas, légèrement supérieur aux niveaux du premier cycle primaire en plateau de 1579 à 1583.
56Ainsi, — premier facteur à évoquer —, une fois le premier convoi de Terre Ferme écarté, une fois, du moins, son volume ventilé entre 1583 et 1584, on se trouve en présence d’une masse de 17 000, voire quelque 20 000 toneladas35, suivant l’hypothèse retenue, qui surclasse, certes, le niveau précédemment atteint, mais non plus d’une manière qui permette de parler de faille ou de dénivellement radical.
57b. Chronologie des départs. — Un second indice peut être tiré, une fois de plus, de la chronologie des départs. Ce sont des départs tardifs, il vaudrait mieux dire, dangereusement tardifs36. Dans l’ensemble ils sont retardés de deux (pour le premier, celui de Nouvelle Espagne) à trois mois (pour le second destiné à la Terre Ferme), par rapport à ce que la loi et la statistique37 font apparaître comme la bonne moyenne. Ceci traduit combien le départ tardif, anormal, du convoi Francisco de Novoa Feijo a jeté une perturbation profonde dans le système. Il est évident qu’une telle perturbation n’a pu être résorbée en l’espace d’un an. Les départs de 1584 — c’est le résultat le plus clair — s’en sont trouvés profondément perturbés et décalés.
58Un tel phénomène est susceptible, lui aussi, de diverses interprétations. Il exprime, tout d’abord, ce grand fait souligné, comme il se doit en structures38 la faiblesse des équipements portuaires. Il est matériellement presque impossible de préparer plus d’un convoi, à la fois, il est impossible, tout près pourtant de ce qu’il faut considérer comme l’optimum de puissance de la Carrera, de mettre sur pied un convoi, en moins, de quatre, cinq ou six mois, suivant les circonstances et suivant l’ampleur du convoi, suivant aussi les pressions de la conjoncture.
59Et ces dernières circonstances nous amènent précisément à ne pas exagérer les pressions conjoncturelles qui se seront exercées au cours de cette année, fin 1584, début 1585. Pressions conjoncturelles suffisantes, certes, pour que, malgré le départ anormalement tardif du convoi de Francisco de Novoa Feijo, les deux convois normaux aient pu trouver place en cours d’année — on dira que le plus gros du retard antérieurement accumulé a été épongé — mais elles n’ont pas été suffisantes, toutefois, ces pressions, pour que, comme cela a pu se produire en des circonstances meilleures39, il puisse être à peu près totalement rattrapé en cours d’année.
60Or le rattrapage, dans la mesure même où il aura été difficile et incomplet, ne s’en sera pas moins soldé finalement par un assez gros handicap, celui des lourdes pertes40 du convoi de Don Antonio Osorio et Alonso de Chaves Galindo qu’il faut, évidemment, attribuer à l’action cumulative d’un matériel fatigué et d’un départ trop tardif, le 30 novembre, d’abord, de San Lúcar, pour le fort du convoi, le 2, puis, finalement, après une fausse sortie, le 8 décembre41. (C’était non seulement s’exposer à des risques de gros temps, mais c’était aussi se condamner à aller chercher loin et péniblement vers le Sud, le chemin tranquille de l’alizé.
61Tout cela traduit donc une conjoncture favorable, certes, mais hésitante ; favorable, quand même, puisqu’on aura pris délibérément à Séville le risque de partir, en dépit du handicap d’une saison trop tardive. Il n’est pas invraisemblable, d’ailleurs, que ce départ ait été acquis, in extremis, dans les mêmes conditions que celui de la flotte Francisco de Novoa Feijo42, au début de l’année, sous la pression, non pas immédiate, mais indirecte, médiate, des énormes retours de 1584. Beaucoup plus exorbitants encore que ceux, déjà exorbitants, de l’année précédente 43, puisqu’on passe de 74 unités, 18 580 toneladas, en 1583, à 86 unités et 20 722 1/2 toneladas 44, en 1584.
62Or, tous ces retours, à l’exception, sans doute, de quelques avisos (extra-économiques), et les quatre rescapés rentrés comme tels de feu la grande armada de Diego Flores de Valdés aux terres magellaniques45 (il reste encore 81 unités et 18 722,5 toneladas) se sont produits en deux arrivées massives, dont la plus considérable se place le 28 août46, (52 voiles sous le commandement du général de la flotte de Nouvelle Espagne, Don Antonio Manrique et pour le reste, un peu après le 11 septembre 1584, avec Novoa Feijo, Valverde et Juan Martinez de Recalde47.
63Le laps de temps qui sépare ces arrivées massives est trop bref — et, d’ailleurs, une étude comparative des tableaux correspondants le prouverait 48 (— pour que les Retours de 1584 aient pu alimenter physiquement le convoi en partance vers la Terre Ferme. Les bases, en fait, en étaient jetées, bien plus tôt, dès le départ du convoi de Nouvelle Espagne, le 11 juin 158449. Mais la perspective d’une possibilité de départs élevés dans les dix-huit ou vingt mois à venir a pu exercer cette action en coup de fouet qu’on avait cru observer, précédemment, onze mois plus tôt déjà50. Mieux vaut se hâter, puisque, devant l’événement, on peut prévoir à court terme la perspective d’une période moins favorable, de bénéfices moindres, pour les affaires déjà engagées dans l’armement, voire même, à plus long terme, dans le négoce lui-même.
64c. Difficultés de l’armement. — Un troisième facteur, enfin, mieux un faisceau d’indices, témoignent en faveur d’une conjoncture, favorable, en gros, certes, dans ses grandes lignes, mais plus nuancée, quand même, en faveur de cette période d’essoufflement à mi-pente.
65Lors des préparatifs de la flotte de Diego de Alcega destinée à la Nouvelle Espagne, quelques plaintes reviennent, avec une certaine insistance. La Casa, par l’intermédiaire de son agent à San Lúcar, Arias Maldonado, se fait écho des difficultés qu’il y a à trouver sinon toujours des navires, du moins des navires de qualité, pour assumer, par exemple, les lourdes obligations de navire contre-amiral, tandis que le Consulado se plaint véhémentement des restrictions de tonnage, dont les marchands de Séville avaient été les victimes l’année précédente, lors des préparatifs de la flotte de Francisco de Novoa Feijo, demandant qu’il n’en soit pas de même, cette année, pour la Nouvelle Espagne51.
66Quelle leçon en tirer ? On pourrait l’interpréter à la rigueur, comme un facteur favorable, entendant que la pression du négoce continuait à l’emporter sur les possibilités de l’armement. En fait, il vaux mieux interpréter cette gêne, simplement, d’une part, un peu comme la revendication d’une vitesse acquise (le Consulado remâche longuement des rancœurs du passé). Elle prouve plus exactement, que l’armement — sans doute, avec tout son arsenal de vieux bateaux récupérés des Indes, a du mal à s’adapter et que des déceptions subsistent. L’euphorie n’est ni simple, ni linéairement exprimée52.
67Autre signe de difficultés analogues, difficultés d’une adaptation péniblement acquise, qui peut, suivant le contexte, être interprétée, à bien ou à mal, l’abondance dénoncée des marins étrangers. La réalité est plus nuancée. En fait, et selon toutes vraisemblances, la réadaptation de l’armement — il vaudrait mieux dire l’adaptation de l’armement à ce niveau insolite de volumes déplacés — ne se fait pas sans gros à-coups. Ces difficultés jointes à d’autres désillusions contribueront, peut-être, à ce ralentissement d’accélération incontestable puisque sensible dans la série même des chiffres.
68Du même ordre, mais plus graves, les pertes de la flotte de Terre Ferme53 expriment — elles aussi — la difficulté de l’armement, la difficulté du matériel naval à s’adapter à de nouvelles et insolites exigences..., et que l’on peut résumer, en ces quelques mots, partir avec des navires fatigués, parfois, peut-être, hors de course, insuffisamment refaits, avec des équipages insuffisamment reposés et moins homogènes que jamais, à une époque de l’année insolite, qui obligera à affronter plus de mauvais temps que de raison, à naviguer plus longtemps que de raison, en tirant plus de bordées que de raison... Or ces pertes, l’armement les subit moins, peut-être, que le négoce, puisque la conjoncture forte l’a obligé à utiliser un matériel vraisemblablement, pour l’essentiel, dans sa meilleure part, depuis longtemps amorti.
69Le négoce lui, aura été affecté plus directement par un matériel hors de course, le jeu imparfait de l’assurance aboutissant finalement à une ventilation assez élémentaire entre maisons et négociants voisins et, le plus souvent, alliés.
70Tout ceci serait sans importance, dans l’euphorie d’une expansion toute neuve, celle, par exemple, de la fin de l’année 1583, mais il en va tout autrement neuf à dix mois plus tard. Ayant pris naissance dans l’isthme au milieu d’avril 1584 — on a vu comment54 — le malaise de l’essoufflement à mi-pente va se répercutant dans tout l’espace atlantique, comme une onde de choc qui se déplace à la vitesse des navires naviguant en convois. On l’a vu, peu après à Séville55 s’exprimant dans une crise de phobie anticanarienne, on la verra un peu plus tard, sur le marché de la Nouvelle Espagne, suivant un parallélisme tout à fait troublant.
71La flotte de Diego de Alcega quitte San Lúcar, le 11 juin. Les premiers rapports sont optimistes56, les prévisions heureuses qui avaient présidé à la mise en place du convoi au départ, au cours de ce premier semestre de 1584 sous le signe encore d’une conjoncture hésitante, sont confirmées... Puis, brusquement, comme pour la Terre Ferme en avril, neuf mois plus tôt, retournement. Ici, ce sont les navires des Philippines qui sont mis en cause57 Même la part très largement faite, comme toujours, à la clause de style, aux besoins et aux prudences d’un genre, il y a là trop brusque et trop profond changement de ton, pour qu’on nie à ce signe, toute portée.
72D’autant qu’un peu plus tard, trois mois, après ce retournement perçu du marché de la Nouvelle Espagne, à un an, très précisément, de l’incident d’avril 1584, en avril 1585, on recueille les échos de nouvelles assez troublantes par leur concordance. Alonso de Chaves Galindo58, l’Amiral de la flotte Don Antonio Osorio, partie le 8 décembre 1584, du Guadalquivir et de retour à San Lúcar, le 18 octobre 1585, écrit de Carthagène, à propos du marché de Nombre de Dios, quelques lignes du plus grand intérêt. La catastrophe redoutée — cette première assertion n’est pas douteuse — ne s’est pas produite. Voilà qui prouve, du moins, après coup, l’importance des craintes provoquées par la nouvelle du retournement du marché en date du 15 avril 1584... d’autant que ces nouvelles parvinrent, trop tard, sans doute, pour empêcher le départ du convoi du 8 décembre. Elles l’auraient peut-être, stoppé et conduit à se défaire sans l’action forcément décisive des énormes retours de l’automne. Il y a eu, une grosse alerte, mais une alerte sans trop de suites.
73D’autres informations donnent même un son de cloche assez favorable : les produits manufacturés, les produits durs, les produits chers, semblent s’être écoulés facilement et à bon prix, entendez à un prix rémunérateur. Mais ce sont les pondéreux — Alonso de Chaves précise : vins, savons, cires et huiles — et curieusement et très suggestivement désignés sous le terme de cargazones pequeñas, qui ont été frappés59.
74Ce renseignement capital donne, peut être, la clef du problème. Une fois de plus, structures et conjoncture s’épaulent... ou plus exactement, les difficultés conjoncturelles auront précipité le rythme de lentes modifications en profondeur, qui, après avoir longtemps cheminé dans l’ombre, apparaissent brusquement au grand jour. La lente élimination des pondéreux du secteur de production « primaire », on l’a déjà dit60, constitue une des caractéristiques majeures de l’évolution des échanges transatlantiques Europe-Amérique pendant ce siècle et demi d’histoire. Mais ce processus est particulièrement rapide pendant les périodes creuses de contraction — surtout, pendant ces périodes de contraction purement volumétrique du type goulot de l’armement, par insuffisance du matériel porteur — c’est alors qu’un choix doit s’exercer et un choix particulièrement sévère. La sélection ne peut s’exercer que dans le sens d’un retour à la norme des transports à longue distance dans les conditions techniques de l’Ancien Régime, cette norme d’exclusion des pondéreux à laquelle les soixante-dix premières années de l’Atlantique transversal constitue le plus grave et le plus décisif des démentis. On a vu ce qu’il en advient au cours du creux61. Avec le retour à l’expansion — il vaudrait mieux dire avec le relâchement de ce facteur heureusement contraignant, le manque de tonnage — Séville, pour très peu de temps62, aura tenté de retrouver ses anciennes positions d’exportatrice de pondéreux. Sans grand succès, d’ailleurs.
75Et c’est, vraisemblablement, de cette tentative que bien des difficultés ultérieures découlent. Il est toujours très difficile de prévoir les besoins du marché. On imagine facilement un retour à la prospérité, comme la réédition d’une prospérité antérieure. D’où difficultés, d’où. adaptations délicates... La crise relative de l’essoufflement à mi-pente de la prospérité de la seconde fluctuation courte du cycle est due, vraisemblablement, pour la meilleure part, à cette insuffisante adaptation à une réalité déjà ancienne, mais affirmée avec une vigueur nouvelle, la difficulté toujours plus grande du paradoxal passage des pondéreux à travers l’Atlantique.
III. — 1585. LES DIFFICULTÉS A L'EXPANSION. LE CREUX DE 1585
76Nous venons de parler, beaucoup trop longuement, sans doute, des signes d’une conjoncture contradictoire qui commencent à poindre, tôt au cours de l’année 1584, puis s’affermissent au cours du second semestre. Quoi qu’il en soit, les chiffres sont, pourtant, des témoins irréfutables. A l’intérieur d’une époque moins exceptionnellement favorable, 1584 aurait rendu certainement un tout autre son de cloche.
77Il en ira, autrement, en 1585, l’ensellement s’y précise. Un peu, comme si 1585 réalisait quelques-unes des craintes obscures du dernier semestre de 1584. Il est vrai que 1585 apporte en outre, beaucoup d’autres menaces plus réelles.
LE CREUX
78Avant d’aller plus avant, il importe, tout d’abord de bien apprécier, le plus exactement possible, la position de 1585 dans le cadre du découpage annuel. Ce découpage annuel dont on a dit assez les dangers —ils ne sont que trop évidents — certes, mais dont, ne serait-ce que pour des raisons d’homogénéité, il faut toujours partir.
1. Ampleur et réalité
79Même dans le cadre superstitieusement respecté du découpage chronologique, le creux de 1585 est un creux très relatif.
80a. Allers. — En Allers, par exemple, 67 navires, 18 935 toneladas constituent un niveau élevé, le repli par rapport au global des Allers crûment accepté de 1584 n’est que de l’ordre modeste de 18 %. Il est inutile de rappeler, sans doute, combien le niveau de l’année précédente qui sert, provisoirement, de terme de référence, était surestimé. Si on refusait à 1584, en tout ou partie, le bénéfice de la première flotte de Terre Ferme, le convoi Francisco de Novoa Feijo qu’on peut, à combien justes titres, on l’a vu, lui contester63 1585 cesserait même de paraître en retrait par rapport à 1584. Et tout ceci, compte tenu non des particularités du mouvement de 1585, dont l’unique convoi au départ64 n’est pas uniquement imputable à la seule dynamique économique.
81Même tel qu’il s’offre avec tous ses handicaps, le mouvement Allers reste appréciable, à 98,38 % du trend approché par la moyenne mobile de treize ans65 Et le chiffre reste supérieur à tous ceux jamais atteints au cours du long plateau précédent66 Quant au pourcentage de 98,38 %, on en appréciera mieux l’importance compte tenu, précisément, des facteurs extérieurs qui handicapent au cours de cette année 1585, le mouvement des Allers d’Espagne en direction de l’Amérique, il assure, en dehors de toute autre prise de position et avant toute analyse du caractère strictement limité de l’accident conjoncturel du mouvement de 158567 Accident, certes, mais partiel, beaucoup plus même que les chiffres ne le laisseraient à penser et, peut-être, pas exactement, dans le cadre chronologique du découpage du temps civil.
82b. Retours. — En Retours, par contre, l’accident négatif, même contestable, même limité, n’apparaît pas. Tout au cours de l’année 1585 comme en 1583 et, en 1584, dans le prolongement d’un mouvement depuis longtemps commencé, un énorme appel de tonnage des Indes se produit. Il vient au secours des besoins d’une conjoncture en gros, ascendante du négoce et des trafics pour être finalement happé par les gros besoins militaires exigés par l’entrée tumultueuse en guerre des Anglais, et les raids dévastateurs de Drake. 82 navires en 1585 au lieu de 86 navires en 1586, 19 823 toneladas au lieu de 20 722,5 toneladas, l’année précédente. Le repli de 4 % à peine, est à peu près négligeable par rapport à nos possibilités de précision. Repli d’autant plus négligeable voire suspect, que, 1584 avait bénéficié du retour tout à fait exceptionnel de cinq navires, de portée économique négligeable, et un peu hors série, les vestiges de feu la grande Armada que Diego Flores de Valdés avait conduite aux terres magellaniques68. Cette correction, la mise hors de jeu des navires de l’expédition Flores de Valdés — il est certainement au moins aussi légitime de les éliminer que de les maintenir — renverserait pratiquement les positions respectives des deux années et on pourrait même parler d’une légère avance, dans l’ordre du mouvement des Retours, économiquement significatifs de 1585 par rapport à 1584.
83Que l’on s’y prenne d’une manière ou d’une autre, il apparaît clairement que 1585 reste en Retours, sans atténuation aucune, une année d’expansion69. Tout au plus, les dates des arrivées sont-elles plus tardives, d’un bon mois, par rapport à 1584, elles s’effectuent, par contre, comme l’année précédente et à la différence de ce qui s’était produit en 1583, en deux temps, très rapprochés, le 27 septembre pour le convoi de Nouvelle Espagne, commandé par Diego de Alcega70, pour l’armada y flota de Terre Ferme, commandée par Don Antonio Osorio71, vint et un jours plus tard, le 18 octobre 1585. D’ailleurs, par rapport à la moyenne mobile, l’excellence du mouvement Retours de 1585, apparaît clairement puisque la confrontation des chiffres à la tendance donne 121,24 (en assez sensible repli relatif, il est vrai, sur l’année précédente qui atteignait te pourcentage très élevé de 131,99 % ; d’autant plus élevé qu’il était exceptionnellement encadré par toute une série d’écarts eux-mêmes très largement positifs).
84c. Allers et Retours. — Il n’est pas surprenant, par contre, sous l’action cumulative de ces indices individuellement assez faibles, mais concordants, que l’ensellement en chiffres bruts dans le découpage civil annuel de 1585, soit assez nettement perceptible, sur le mouvement Allers et retours. A tel point qu’il pourrait risquer, un moment même, de faire illusion sur l’ampleur véritable d’une récession, au demeurant, très relative. De 161 unités (en 1584) à 149 unités (en 1585), de 43 565,5 toneladas à 38 768 toneladas72, de 41 384,37 à 36 829,60 tonneaux73, le recul de 10 à 11 % est sensible, un peu plus net, même encore, par rapport au trend approché par la moyenne mobile médiane de treize ans74, puisque de 124,74 % (position de 1584) on passe à 109,16 % seulement (position de 1585). Il est à remarquer, pourtant, qu’en aucun cas, la courbe du mouvement ne s’approche de la moyenne mobile, elle reste au-dessus et bien au-dessus.
85De toutes ces constatations — on ne peut malheureusement les doubler en présence des graves défectuosités des séries en valeur à la hauteur de ces années d’une analyse analogue des valeurs mises en cause, correspondant aux volumes affectés — il découle nettement que le ralentissement noté sur l’ensemble des mouvements est, de toute manière, de caractère réduit.
2. De l’endogène à l’exogène
86Il n’est, sans doute, pas paradoxal d’écrire, que presque toute l’année 1585, peut être placée sous le signe d’une reprise de la poussée expansionniste économique interne, mais qui ne parvient pas à se manifester immédiatement d’une manière concrète et efficace sous l’action de causes contrariantes purement externes. Autrement dit, on est en mesure d’apprécier, de plus en plus précisément et sûrement, ce décalage et cette anticipation qui existent entre ce qu’il faut bien se résigner à appeler les poussées expansionnistes économiques internes (poussées, paliers, respirations ou contractions...) et leur concrétisation dans le découpage annuel du mouvement.
87Il y a tout lieu de penser que la poussée expansionniste qui se manifestera d’une manière tellement inéluctable en 1586 — on verra comment75, dans cette année qui approche et, à certains égards, s’égale aux années records de la fin de la première décade du xviie siècle, clef de voûte de toute la Carrera — plonge ses racines, de longs mois avant sa concrétisation, en vertu de l’inévitable vitesse acquise du social et de l’économique, en vertu de l’inévitable décalage qui sépare toujours la conception, le désir, de sa réalisation, de sa concrétisation.
88Ainsi, grâce à l’enrichissement de la documentation il est possible d’introduire dans l’analyse un élément supplémentaire, partant, d’approcher, de serrer davantage la réalité.
LES SIGNES D’UNE POUSSÉE ÉCONOMIQUE INTERNE
89Quels sont les signes qui, malgré les apparences, permettent de parler, au fur et à mesure que l’on avance dans l’année, de reprise de l’expansion — d’une expansion qui, au demeurant n’avait jamais cédé le pas, mais avait été, tout au plus, contrainte à quelques accommodements ?
90Le principal argument que l’on puisse faire valoir, en faveur d’une bonne reprise, ce sont, sans conteste, ces empêchements et ces difficultés, ces facteurs exogènes, extérieurs à la seule dynamique économique et que l’on étudiera, plus loin, à leur heure..., ces facteurs extérieurs, freinant, dans la mesure même où ils sont promptement dépassés, où ils peuvent être dépassés. On se bornera, tout d’abord, aux facteurs positifs.
1. Facteurs positifs
91L’opposition est, sans doute, superficielle et en partie verbale, entendons, d’abord, les succès effectivement remportés par le trafic de l’Atlantique espagnol et hispano-américain en 1585.
92a. Le convoi de 1585. — 1585 compte un seul départ en convoi. Un second a été prévu mais les éléments contrariants de l’année auront empêché sa réalisation76 Le convoi sortant, par contre, est énorme : il s’agit de cette gigantesque armada y flota de Juan de Guzman et de Martin Pérez de Olozabal77.
93Elle comprend 51 unités, 17 000 toneladas. Une telle masse mise en branle d’un seul coup, constitue, à peu de choses près, un des records de la Carrière des Indes, elle se situe très près de la limite physique supérieure possible des convois. Il serait vain d’en minimiser la portée. Deux circonstances, au moins, en réhaussent encore l’éclat. Une première : l’importance des navires allant en Nouvelle Espagne.
94Il importe, pour comprendre la signification de ce fait, de ne pas perdre de vue qu’une flotte était partie, sept mois plus tôt, en direction de la Terre Ferme et qu’une autre flotte, la flotte normale de l’année, avait été prévue pour 1585 en direction de la Terre Ferme. A l’origine — même si, en fait, elle a constitué la quasi-totalité des départs de l’année, l’énorme masse qui gagne presque tout d’un seul bloc, la Vera Cruz et les autres ports de la Nouvelle Espagne78 — 53 unités, au moins, 17 145 toneladas — ne devait en constituer qu’une moitié. Or, si on peut apprécier à sa juste valeur l’énormité d’un tel chiffre, il importe de noter qu’il ne sera jamais égalé de toute la fluctuation, qu’il n’a jamais été égalé depuis l’origine du mouvement et qu’il ne sera presque jamais atteint ou dépassé, après cette date79. Il y avait donc, par ce qu’on entrevoit de la Nouvelle Espagne, toutes les perspectives d’un mouvement exceptionnel, d’un mouvement record en direction des Indes, au cours de cette année. Tout ce qu’il fallait et qui se réalisera plus tard, en 1586, sous la pression, peut-être, de facteurs particuliers.
95b. Mise en route du convoi. — La mise en place, d’autre part, d’un convoi d’une telle importance, dans le désordre d’obligations militaires contradictoires et sous la menace d’entreprises anglaises de plus en plus précise80, ne constitue pas le succès le moins extraordinaire.
96Depuis la fin avril, date vraisemblable de l’arrivée, dans le Guadalquivir, de cette lettre d’Irlande81, datée du 6, on ne peut plus ignorer les préparatifs de Drake au nom redouté : l’incertitude ajoute à l’angoisse. Les appels de la Terre Ferme datés d’avril82, n’ont guère pu être connus avant juin. Mais en d’autres circonstances il n’en avait pas fallu davantage et plusieurs fois, il n’en faudra pas plus, pour fournir des prétextes à ne pas partir, des raisons de ne pas agir. Tout au plus peut-on arguer que les préparatifs étaient fort avancés, trop avancés pour que ces nouvelles aient pu avoir une action paralysante ? L’argument est, au demeurant, de médiocre valeur, l’argument est possible à concevoir, pour certains éléments, —-les données parvenues de Terre Ferme, à la rigueur — mais impensable pour les nouvelles sur Drake, les plus importantes, puisque le bruit d’une grande attaque courait depuis, au plus tard, la deuxième quinzaine d’avril. Or, il y avait, matériellement, le temps en avril, voire au début mai, d’arrêter les préparatifs. En période de moindre engagement, on n’aurait pas manqué de le faire.
97Après cela, les petits accrochages que relate la note annuelle83 — ils sont assez courants et pourraient entrer dans le tableau le plus classique des péripéties d’une sortie de flotte — paraîtront assez anodins. Difficultés entre le fisc et les marchands, à propos du montant et des modalités des cautionnements à verser, tension fiscale mais qui n’a rien de commun avec ces grands couplets traditionnels scandés par quelques vigoureux refus de charger. On a, tout au plus, ici, l’impression d’un marchandage classique, avec quelques escarmouches, chantage au retard, plus que organisation délibérée de retard, contestations notamment à propos du taux de l’avería... Au fait, quelle pût être l’action cumulative retardatrice de ces divers facteurs ? Il n’est pas facile de le bien savoir..., quelques semaines..., et encore, ce n’est pas sûr.
98C’est tellement vrai, que le 10 juin 158584, la flotte, prête, commence à sortir de San Lúcar. Une série d’événement extérieurs — action simultanée, sinon combinée du Maure moghrébin et de l’Anglais — ont obligé alors les navires à se regrouper à l’abri de la barre et retarder d’un bon mois le départ du convoi-goliath de Juan de Guzman... Galeotes, puis mauvais temps. Mais peu importe ici. D’un point de vue conjoncturel, c’est la date du 10 juin qui compte. Le convoi de Nouvelle Espagne aura été mis sur pied en six mois. Et ce délai relativement faible, si l’on tient compte et des difficultés de l’hiver et, surtout, de l’ampleur tout à fait inaccoutumée de l’armada y flota, ne peut que résulter d’une pression conjoncturelle relativement, voire exceptionnellement forte.
99On dira, donc, en gros, que les difficultés de conjoncture, qu’on avait perçues assez sensibles au cours du second semestre de l’année précédente, se dissipent peu à peu au cours du printemps 1585.
100c. Causes d’une amélioration.
101Les données sont, sans doute, minces et les raisonnements que l’on peut échaffauder sur elles, fragiles. Mais on peut esquisser ainsi, le schéma d’un raisonnement.
102Prix andalous. — Si on accorde à la série des prix andalous de Hamilton85 une confiance suffisante dans ses moindres détails86, malgré ses évidentes faiblesses, que Hamilton, lui-même, n’a pas cherché à dissimuler, on notera — ne parlons pas de causalité — une covariation intéressante entre la série et l’atmosphère que l’on cherche à délimiter. 1582-1584 forment le sommet des prix andalous, la période où, d’après le modèle proposé87 s’accumulent les capitaux qui seront disponibles ensuite pour le compte de la grande entreprise de négoce colonial — étant entendu, toutefois, que le mouvement, en gros, des prix précède toujours, de dix-huit mois à trois ans, le mouvement du trafic, d’une part, et que, d’autre part, à l’intérieur de ce schéma, les pointes extrêmes des prix peuvent avoir un effet contrariant, tandis qu’un léger décrochage négatif facilite l’exportation, entendez qu’il assure une meilleure utilisation du volant de capitaux accumulés dans les périodes de haut niveau des prix. Or, c’est là exactement ce que nous voyons.
103Pointe extrême de la poussée sur la courbe andalouse, 1584, l’indice monte à 112,68..., ce qui est, peut-être, une des causes, entre autres, de la légère gêne de cette perte d’accélération notée dans les huit mois ou neuf derniers mois de l’année88, et se marque quantitativement dans le cadre rigide du découpage annuel, un an après, en 1585 surtout. Entre 1584 et 1585, par contre, sérieux décrochage, de quatre points, de près de 4 %, puisque de l’indice 112,68 on passe brusquement à l’indice 108,75. De 1585 à 1588, les prix andalous sont dans un creux dont le centre déprimé se trouve en 1587, beaucoup plus près, bien sûr, du sommet antérieur que du creux précédent. Toujours dans le cadre du modèle admis et souvent vérifié, une telle situation des prix constitue un optimum. Le tassement des prix vient de se produire, il n’a pu avoir encore d’effets déprimants — il en aura à moyen ou à long terme, seulement, quand il se sera répercuté sur les possibilités d’approvisionnement en capital et par le biais du Collectif sur le tonus psychologique général de l’entreprise — on est juste, au moment, où il facilite la tâche des cargadores en leur fournissant du matériel à meilleur compte pour l’exportation vers l’Amérique. L’énorme convoi prêt au début juin 1585, aura bénéficié de cette circonstance.
104Une situation identique se maintient dans le second semestre de 1585, et pendant toute l’année 1586. C’est alors que partiront les masses records du xviie siècle. 1586 est peut-être plus sûrement encore que 1585 en retrait par rapport à la pointe cyclique précédente. De toute manière, les marchandises exportées dans l'armada de la guardia, d’Alonso Flores de Quinones (elle en transporte, n’en doutons pas), auront été pour une bonne part, mobilisées et, peut-être, payées dès les derniers mois de 1585. L'armada aura recueilli, en effet, ce qui avait été réuni, pour la flotte de Terre Ferme de 1585, cette flotte qui n’a pas eu lieu. Elle ne quitte Cádiz, certes, que le 30 mai 1586, toutefois, l’armada de Quinones a franchi la barre et quitté San Lúcar, le 12 avril89 C’est le 12 avril, donc, qui compte. Tout comme le gigantesque convoi de Juan de Guzman et Martin Perez de Olozabal, l’armada d’Alvaro Flores de Quinones ressortit, donc, pour l’essentiel, à la conjoncture de 1585, ou plus exactement, à la conjoncture du dernier trimestre de 1585.
105Prix et nouvelles des Indes. — Ce n’est pas là, sur la côte andalouse, mais aux Indes, qu’il faut chercher ce qui est, peut-être, l’essentiel. Le facteur qui a joué le plus délibérément, ce sont, sans doute, des échos des foires de l’isthme et de la Nouvelle Espagne90.
106Il est inutile de revenir sur les événements parallèles qui à neuf mois d’intervalle se sont produits, suivant un schéma à peu près identique, aux foires de l’isthme et de la Vera Cruz. On avait pu parler de la crise de la mi-avril 1584 sur le marché de Nombre de Dios, brusque temps d’arrêt, consécutif à un départ trop rapide, à des échanges commencés à un niveau trop élevé. On se souvient qu’en janvier 1585, un coup de barre analogue — moins net et moins sensible, pourtant — avait coupé par le milieu le cycle des transactions. Sont-ce là les éléments encourageants qui auront contribué après un palier de près d’un an, au retour d’une conjoncture haute, responsable à plus ou moins longue échéance des chiffres extraordinairement élevés de 1586 ?
107Sans doute, et il suffit, pour le comprendre, d’interroger, une fois de plus la correspondance de la Casa de la Contratación, moins, cette fois, dans ce qu’elle dit que dans ses silences. Sitôt la crise signalée, tant à Nombre de Dios (avril 1584) qu’à la Vera Cruz (janvier 1585) signalée, certes, parce qu’elle existe, mais aussi parce qu’il ne fait pas bon de taire semblable désillusion qui peut servir sur un plan large de défense à l’endroit du fisc — les sources, à nouveau, font silence. Bien sûr, toutes les difficultés ne sont pas définitivement réglées, en avril 158591 ; les échanges auxquels la flotte du capitaine général Don Antonio Osorio et de l’amiral Alonso de Chaves Galindo, arrivée à Carthagène le 12 février et à Nombre de Dios, le 18 mars, a donné lieu, n’ont pas été également favorables pour toutes les marchandises mises en cause. On peut dire, toutefois, que l’extrême facilité et les hauts prix attestés pour les marchandises de grande valeur sous un faible encombrement la « ropa menuda », compensent, très certainement, et bien au-delà, les ennuis auxquels auront dû faire face les propriétaires de pondéreux agricoles, vin, huile, savon, cire, dont Alonso de Chaves Galindo nous a conté, on s’en souvient, les malheurs.
108Mais après ces incidents rapidement signalés — signalés parce qu’il n’est pas coutume de passer sous silence des éléments de cet ordre — mais rapidement, on peut en croire les sources, parce qu’il n’était pas possible d’insister davantage..., le silence des généraux, l’absence d’autres rapports plus précis parvenus à Séville permet de penser que les rapides alertes ont été sans suite. Les échanges auront repris leur cours à un niveau et à des prix jugés raisonnables.
109Crise d’aménagement. — Que s’est-il donc passé ? Ces petites crises responsables du ralentissement conjoncturel en déboîté, indéfiniment étiré... à travers 1584 et 1585 étaient tout au plus des à-coups d’adaptation. Certes, les marchés, longtemps sous-alimentés, en profondeur, longtemps assoiffés des Indes ne pouvaient être saturés, aussi rapidement, par le retour, une année seulement, du trafic, à un niveau plus élevé, à peine supérieur à ce que fut longtemps la normale. Il faut attribuer cette crise, tout simplement, à une difficile adaptation aux besoins nouveaux. On a vu le drame causé par l’élimination de plus en plus rapide des pondéreux et une trop lente adaptation des milieux d’affaires sévillans à une réalité nouvelle. En fait, les marchés des Indes d’une extraordinaire ténuité, sont toujours menacés de quelques goulots d’étranglement, conséquences d’un espace trop vaste mal saisi, mal dominé par les moyens modestes dont on dispose. Il n’y a pas, donc, contradiction, entre un marché foncièrement sous-approvisionné depuis longtemps, forcément non saturé et quelques points bien limités, dans l’espace, dans le temps, dans un secteur déterminé de saturation passagère. Ce sera finalement à un de ces phénomènes d’adaptation qu’il faudra attribuer les petits goulots d’avril 1584 et de janvier 1585, quant à avril 1585, on ose difficilement parler d’autre chose que d’un incident.
110Dans la mesure où l’annonce de ces incidents avait pu contribuer à alourdir l’atmosphère et conduire à l’essoufflement conjoncturel précédemment dénoncé, l’annonce de leur rapide solution aura eu, vraisemblablement, l’effet exactement inverse. Une double exagération, somme toute, autour d’événements assez minces — sans qu’il y ait contradiction le moins du monde entre deux attitudes apparemment contradictoires, mais successives. C’est précisément, parce que l’incident a été exagéré, d’abord parce qu’il a, peut-être, contribué à freiner un essor normal, que l’on est en présence, ensuite d’une aggravation de la pente conjoncturelle, par simple effet de récupération mécanique. A cette récupération mécanique — un volume global d’échanges étant fonction d’une masse donnée de capital disponible — s’ajoute ce qu’on peut appeler un phénomène de récupération psychologique.
111Tout à fait en dehors de facteurs purement économiques, état de la production, de la monnaie, du capital disponible (ces facteurs sont eux-mêmes fonction de la psychologie des hommes qui les font), le négoce dépend, pour beaucoup, — il vaudrait mieux dire — dépend pour l’essentiel, lui qui demeure entreprise à la grosse aventure, d’une attitude psychologique. Les moyens d’appréciation dont le négociant du grand port européen dispose pour évaluer le bénéfice futur92 de ses opérations commerciales ne sont pas suffisants pour qu’il puisse connaître ses chances de succès et ses marges futures de profit avec une certitude et une précision raisonnable. Dans ces conditions, beaucoup plus certainement peut-être encore que dans nos modernes entreprises où pourtant, déjà, ce facteur est tellement déterminant, le tonus psychologique général de l’entreprise constitue un élément majeur. Périodes où l’optimisme succède au pessimisme, périodes où l’optimisme balaye le pessimisme. Quels éléments souvent irrationnels, partant impondérables sont aux origines de ces atmosphères mystérieusement alternées..., il n’est pas facile de l’apprécier. Les nouvelles qui parviennent des Indes, d’une manière souvent curieusement détournée, sont un ingrédient capital de cette étonnante cuisine.
112On peut se demander comment des mois à cheval entre 1584 et 1585, aux mois à cheval entre 1585 et 1586, on est passé d’un tonus, d’une atmosphère psychologique à une autre, d’un optimisme moindre à un optimisme plus grand... Les nouvelles parvenues des Indes auront certainement, avec les prix espagnols, contribué, au premier chef, à ce changement de climat. Sans quoi, l’énorme flotte de Nouvelle Espagne Juan de Guzmán/Martín Pérez de Olozabal eût été impossible.
113Ses préparatifs, d’abord, son départ, ensuite.
114S’il fallait une preuve de l’insignifiance des accidents de marché des mois précédents, simples aménagements de détail n’allant pas au fond des choses, de la solidité, notamment de la Nouvelle Espagne, justification a posteriori, du changement d’atmosphère psychologique du Collectif des milieux d’affaires dans le Guadalquivir, il suffirait de se reporter aux échos recueillis sur l’accueil en Nouvelle Espagne du convoi-goliath Guzmán-Olozabal, arrivé à la Vera Cruz, le 26 septembre 1585. Justification, a posteriori, qui démontrera Passez remarquable justesse, en l’occurrence, des prévisions économiques de Séville.
115La masse énorme du convoi insolite Guzmán-Olozabal, n’a pas provoqué la débâcle par sursaturation qu’on aurait pu craindre et que d’autres convois analogues auront provoqué en d’autres circonstances93. Il suffit de se reporter aux échos qui parviennent94 de la Vera Cruz, à travers le filtre sévillan de la Casa de la Contratación. Certes, on relève des plaintes, des déceptions, mais rien qui aille jusqu’à la catastrophe qu’on aurait pu redouter après une telle entreprise. Particulièrement symptomatique, surtout, l’analyse que Juan de Guzmán et Martin de Olozabal eux-mêmes donnent de la situation. Bien sûr, on se plaint... et dans les plaintes qui contiennent les lettres du 24 décembre 1585, il n’y a pas qu’imagination et exagération. La masse jetée sur le marché par le convoi géant ne pouvait, a priori, que créer, quelques difficultés. On a l’impression, toutefois, à lire les avis concordants du général et de l’amiral, que ces difficultés demeurent dans les limites de ce que l’on peut considérer comme les limites normales des difficultés inévitables en année bonne ou moyenne.
116Elles se cantonnent, d’ailleurs, toujours d’après ces sources peu suspectes, à certains types de marchandises (soies et lingeries) dont les marchandises amenées d’Extrême-Orient par la ligne nouvelle du galion de Manille sont directement concurrentes. Mais, de ce fait même, les plaintes du Général et de l’Amiral perdent un peu de leur portée conjoncturelle.
117Deux groupes d’explications sont mis en cause — non pas l’imprudence d’un convoi excessif —, mais la concurrence des naos de China95 et les insuffisances d’équipement du port de la Vera Cruz. Elles sont plus significatives en structures qu’en conjoncture. Elles sont valables, en effet, un siècle durant. L’insistance avec laquelle, nos témoins qui sont aussi des acteurs engagés règlent son compte à un vieil adversaire doit nous inciter à la plus grande prudence. Un facteur positif émerge de tout cela : malgré sa masse, le convoi de la Nouvelle Espagne de 1585 s’il a créé des difficultés n’a créé que des difficultés et non pas la débandade qu’on aurait pu redouter. Témoignage s’il en était besoin d’une bonne santé, d’un fort tonus conjoncturel, pleinement recouvré.
2. Les facteurs extérieurs ou facteurs négatifs ; les résistances vaincues
118Mais c’est, surtout, en présence des énormes difficultés entraînées par une forme nouvelle de guerre et une pression exceptionnelle du facteur « politique et militaire » que l’étonnant dynamisme économique interne de la période pourra être justement apprécié.
1191585, qu’est-ce, sinon l’entrée massive de l’Angleterre dans la guerre ? Henri Lapeyre situe, on s’en souvient, au début du second semestre de 1585 ce qu’on peut appeler la véritable lutte sans merci, sur toute la ligne, d’un immense et mouvant front de mer96. La correspondance de la Casa de la Contratación97 montre que la lutte aux Indes est, sinon engagée à fond, du moins attendue et préparée dès le premier semestré, ou du moins, dès le second trimestre de 1585.
120Dès la mi-avril, on s’attend à Séville à un grand raid de Drake. Le malaise est d’autant plus grand qu’on ne sait d’où viendront et où porteront les coups. Tout un réseau exceptionnellement dense et coûteux d'avisos de transport d’aides et de nouvelles a été, semble-t-il, mis sur pied. Voilà pour l’Anglais, les signes des ennuis futurs sont clairs — certes, on n’a pu, d’emblée, les prévoir à leur exacte ampleur98 et, pourtant, on ne manquait ni d’éléments, ni de quelques termes de référence, dans un passé facilement accessible. Or, malgré tous ces signes — il convient de le retenir —, négociants et armateurs de Séville, négligeant des avertissements qu’en d’autres circonstances ils eussent reçus, gonflés, sans doute, et pris comme prétextes à ne rien faire, sont passés outre, ils ont continué les préparatifs et finalement réalisé l’insolite et gigantesque convoi qui va partir sous la direction de Juan de Guzman et Martin Pérez de Olozabàl.
121A peine les navires avaient-ils commencé à franchir la barre de San Lúcar, le 10 juin 158599, qu’une nouvelle menace se précisait, les escadrilles de galeotas barbaresques. On a dit déjà quel émoi cet événement devait susciter, alors qu’on attendait dans le Guadalquivir, avec la plus grande impatience, l’arrivée du grand convoi de Diego de Alcega et l'armada y flota de Don Antonio de Osorio. D’autant plus qu’argent et navires risquent de n’être pas de trop pour faire face à une montée des périls, la plus sérieuse à laquelle on a jamais eu à faire face. Finalement, avec un mois, à peine, de retard, le grand convoi partira, quand même, le 11 juillet.
122Et c’est tout cela, — tout ce complexe, toute cette action inhibitrice dominée et dépassée — qui constitue le plus bel éloge que l’on puisse adresser à la prodigieuse poussée conjoncturelle de cette période. Il fallait que la certitude du gain fût grande et l’optimisme solidement ancré au cœur de chacun, pour que les départs de 1585,—réduits certes —, aient pu se maintenir, quand même, à ce niveau presque insolite.
123Elle ne sera pas suffisante, toutefois, cette poussée conjoncturelle, pour permettre au convoi de Terre Ferme, l’armada d’Alvaro de Flores de Quinones, de partir à la date ordinairement réservée vers l’automne, au deuxième grand départ... Plusieurs facteurs auraient d’ailleurs, à lire la correspondance de la Casa de la Contratación100, contribué à cet échec. Cet échec n’est sans doute pas tout à fait un échec, mais plutôt un report. Ne retrouve-t-on pas, en effet, un convoi de Terre Ferme à son tour, exceptionnellement encombré, un peu comme le convoi de Nouvelle Espagne en 1585, au cours de l’année surchargée de 1586 ? Plusieurs raisons peuvent justifier l’échec du départ en fin de 1585 : l’effort militaire, le manque de navires.
124Si on admettait ce point de vue — et pourquoi l’écarter ? — il faudrait conclure qu’après les deux grands retours massifs de 1583 et de 1584, et le départ du très important convoi de Nouvelle Espagne de Juan de Guzman et Martin Pérez de Olozabal, le goulot d’étranglement, tonnage, armement, subsiste, à moins qu’il ne réapparaisse. En effet, le troisième et, à certains égards, le plus important, peut-être, des convois retours n’est pas encore disponible pour de nouveaux Allers en 1585. En 1585, les dates de retour sont plus tardives que de coutume — et l’insécurité y aura contribué — à partir du 27 septembre pour la Nouvelle Espagne, à partir du 18 octobre pour la Terre Ferme. En raison des temps de déchargement, de rechargement, des nécessités de réparation d’un matériel usé et fatigué par un effort excessif et démesurément prolongé, les navires des convois Diego de Alcega et Don Antonio de Osorio ne peuvent aider à l’expansion des départs avant le printemps 1586. Il est visible qu’ils entrent, alors, c’est une contre-épreuve, en toute première ligne de compte. La réapparition un peu surprenante et pourtant non-suspectable du goulot d’étranglement technique du tonnage et de l’armement au cours du second semestre de 1585, au moment où on ne l’attend plus, indique combien avait été sérieuse cette crise engendrée par la récession relative interdécennale des années 70 et au-delà, puisqu’elle réapparaît encore, d’une manière intermittente, près de cinq ans après la fin de l’événement causant.
125L’échec du convoi de Terre Ferme ou plus exactement son simple report, n’a pas, toutefois, de trop graves conséquences et ne saurait compromettre la nature de nos raisonnements. Il y a une conjonction telle d’empêchements et de freins extérieurs en cette fin d’année 1585, qu’il est évident et tout à fait naturel que la poussée conjoncturelle ait été obligée de composer.
126La réalité du mouvement peut se représenter schématiquement, donc, comme une espèce de composante, dirigée vers le haut, résultant de la combinaison des forces d’expansion de la poussée endogène du cycle, freinées et distordues vers le bas par les multiples freins externes que l’on vient d’évoquer.
127Étant donné le poids énorme de tous ces handicaps, on est obligé d’en déduire une importance exceptionnelle du facteur positif interne longuement analysé en son heure101. L’analyse successive des facteurs positifs et négatifs aboutit, donc, à des résultats concordants sur la précellence et la précocité, très tôt avant dans l’année 1585 de l’accélération des pressions expansionnistes internes du cycle.
IV. — 1586. LA POINTE RECORD DU MOUVEMENT
128Toutes ces caractéristiques se retrouvent pendant la plus grande partie de l’année 1586. Ce qu’on aura voulu montrer, c’est combien, par delà les apparents caprices d’un découpage annuel nécessairement quelque peu fictif, l’accélération de la poussée conjoncturelle précède largement le cadre de l’année 1586. Mais avant d’aller plus loin, il importe de rappeler avec précision, la position du mouvement.
CHIFFRES ET RÉALITÉ
129Si on se borne aux indications du mouvement dans la ligne artificielle du découpage annuel — mais on sait qu’il faut toujours commencer par la, — la position de 1586 apparaîtra bien comme constituant le record incontestable d’expansion du xvie siècle, qui ne sera vraiment dépassé, en toute objectivité, que par les points records de la deuxième demi-décade du xviie siècle.
1. Allers
130En effet, le mouvement de 1586, dans le cadre du découpage annuel, constitue bien un record. D’autant plus que sa position, par rapport à ce qui l’entoure, notamment, aux termes de référence des années précédentes et plus particulièrement de 1585, doit uniquement l’exceptionnelle netteté de son affirmation au mouvement conjoncturellement moteur des Allers.
131Par rapport à 1585, dont on sait que les chiffres bruts du découpage annuel expriment incomplètement l’exacte situation conjoncturelle, la position de 1586 est très fortement redressée. Sur la simple et indiscutable expression du mouvement unitaire Allers, 1586 est à 221 % du niveau de l’année précédente, (148 navires au lieu de 67 navires), soit une expansion de 121 %. L’entrée en ligne de compte du tonnage n’atténue pas sensiblement l’amplitude du décrochement, les relations demeurent, respectivement, par rapport à l’année précédente, de 175 % et 75 %.
132Les mêmes rapports sont maintenus, même si, éliminant le trafic officiellement très réduit des Canaries, on envisage seulement ce qui passe à l’intérieur du complexe portuaire andalou : 66 unités, 18 796 toneladas, d’une part, contre 140 unités et 32 550 toneladas, de l’autre. Même proportion encore, après élimination des navires caditains et la seule prise en compte des navires du Guadalquivir. Dans ce dernier cas, le décrochement, plus significatif, est plus net encore, puisque de 55 unités et 15 146 toneladas au départ de 1585, on passe brusquement à 120 unités et 27 840 toneladas, soit, en tonnage, une expansion d’une année sur l’autre, de 84 % pratiquement.
133Ce progrès, toutefois, est dû à l’adjonction, en 1586, d’une importante armada, l’Armada de la Guardia de la Carrera de las Indias d’Alonso Flores de Quinones et Francisco de Leyba102. Mais cette adjonction n’est pas très dangereuse du point de vue de la valeur de la comparaison. Il est difficile, en effet, de ne pas inclure dans le mouvement global l’armada Quiñones/Leyba, puisqu’elle joue, en fait, le rôle du second convoi de 1585, celui-là même qui n’est pas parti en Terre Ferme, pour les raisons d’ailleurs évidentes qu’on a déjà rappelées. Il faudrait remonter très loin en arrière pour retrouver une situation à peu près analogue et pourtant, quand même, extrêmement différente. S’il est impossible de ne pas inclure dans le mouvement la grande Armada Flores de Quinones, Francisco de Leyba — du moins, de ne pas en tenir très largement compte —, il est, toutefois, sans doute, encore prématuré de l’assimiler, totalement ou presque intégralement, aux autres départs, comme on le fera de plus en plus, au cours du xviie siècle.
134En 1586, la nouveauté de l’institution et la pression sérieuse de l’ennemi invitent à ne pas surestimer la part de la fonction commerciale assumée par ce convoi de l’Armada de la Guardia, au détriment de la fonction défensive primordiale. Nul ne contestera, de ce fait, qu’il faille incorporer à la masse des Allers, les 21 unités et les 7 340 toneladas que l’on a jugé bon de leur ajouter, à condition de ne pas les aligner complètement sur les autres. Peut-être, faudrait-il, commercialement parlant, ne leur attribuer qu’un pouvoir égal à 40 ou 50 % seulement du pouvoir de transport des navires marchands, surtout, ceux qui de Séville s’en vont en convoi aux Indes. Pour la signification économique, un taux de pondération de 0,4 ou 0,5, permettrait, peut-être, d’exprimer assez bien la réalité. Économiquement, pourtant, le rapport des volumes mis à la disposition du négoce entre 1585 et 1586, resterait encore, à l’Aller, dans l’ordre de 19 000 à 30 000 toneladas environ. Ce rapport fait place, de toute manière, à une belle marge de progression.
135Le coefficient de pondération, quelle que soit la valeur, qu’il conviendrait d’adopter — le problème est délicat et on ne disposera jamais de documents assez sûrs et assez précis pour le trancher d’une manière définitive103 — intervient seulement pour le négoce et les volumes mis à sa disposition. Pour l’armement, pour l’effort qui, dans ce domaine, est exigé de la Carrière des Indes, aucune modification, bien sûr, que les navires soient mis à la disposition du commerce ou de la défense. Si ce n’est — mais le facteur jouerait, tout au contraire en sens diamétralement inverse — que la défense est vraisemblablement plus exigeante, quant à la qualité et aux dimensions du matériel fourni, que ne l’est, couramment, le simple trafic. En ces années, où l’État espagnol demeure auréolé de son prestige et de son efficacité, les navires d’armada constituent encore, sans doute, une incontestable élite par rapport à la moyenne du matériel en usage. Il en ira, ainsi, longtemps encore. Le prélèvement que l’armada opère n’est pas indifférent, c’est un prélèvement sélectif, un écrémage, — on en appréciera bientôt d’une manière quantitative l’incidence104, au lendemain de l’Invincible. Sous cet angle, et quant à l’effort demandé dans le domaine plus strictement maritime de l’armement, le navire d’armada (partant les 21 unités et 7 340 toneladas de 1586) compte plus, peut-être, que les autres. Et s’il était possible de les affecter d’un coefficient de pondération, ce coefficient serait, cette fois, sensiblement supérieur à l’unité. Raison de plus, donc, pour incorporer, comme on l’a fait, les navires d’armada aux mouvements.
136Néanmoins, — l’argument a son poids, il joue en faveur de l’importance du décrochement — même si on ne voulait envisager que la seule série des seuls navires marchands allant aux Indes, la moins contestable, au départ de Séville et du Guadalquivir, un net décrochement subsisterait de 35 % en tonnage, de plus de 80 % sur la série unitaire105 : de 55 à 99 navires, de 15 195 à 20 500 toneladas. On aboutirait à des résultats très voisins, par la comparaison, soit des navires marchands du seul complexe andalou (Séville-Guadalquivir Cádiz)106, de 66 unités, 18 796 toneladas, d’une part en 1585, à 119 unités, 25 250 toneladas d’autre part en 1586, voire de l’ensemble des navires marchands107 pour tout le complexe andalou-canarien à la seule exclusion cette fois des navires à fonction défensive dominante (la catégorie d’armada).
137Le décrochement volumétrique n’est pas contestable sur les Allers — on ne l’oubliera pas — conjoncturellement moteurs. On les retrouve à des niveaux plus ou moins accentués, sur tous les axes du mouvement, n’est pas contestable.
138La valeur du décrochement 1585-1586 prend plus de signification encore si on ne se borne pas à comparer les niveaux dans le découpage chronologique de l’année à ceux de 1585, mais qu’on y englobe aussi l’année précédente de 1584. On pourra objecter, en effet, que 1585 constitue un point relativement et quelque peu artificiellement déprimé.
1391586 comparé, soit à 1584, soit encore aux niveaux annuels moyens des années 1584-1585 prend, sans aucune ambiguïté, sa pleine valeur. La comparaison des chiffres globaux de 1586 et 1584 montre l’ampleur encore très large du décrochement qui oppose le second point haut de la fluctuation médiane d’expansion maximale au point haut précédent. En unités, 148 navires au lieu de 75 (lors de la précédente pointe relative de 1584), le décrochement de 98,5 % met le mouvement unitaire des deux aimées dans le rapport presque du simple au double, en tonnage, le décrochement entre le maximum absolu et le maximum relatif, reste substantiel, 45 % hors tout, soit 33 270 toneladas face à 22 840 toneladas. La seule mise en cause du complexe andalou (soit le Guadalquivir, plus les Caditains), ne diminuerait pas d’une manière perceptible l’amplitude du décrochement, de 75 unités et 22 840 toneladas à 140 unités et 32 550 toneladas, la marge demeure à peu près identique. L’exclusion des Caditains et la seule prise en considération des départs de Séville et du Guadalquivir diminuerait, mais sans l’abolir, le décrochement entre le maximum principal et le maximum secondaire des Allers, entre 1586 et 1584 : de 73 navires et 22 190 toneladas en 1584, les départs du seul Guadalquivir (Séville et San Lúcar, à l’exclusion de Cádiz et des Canaries) passent à 120 unités et 27 840 toneladas. Le décrochement des tonnages reste encore, dans ces conditions moins avantageuses, de l’ordre de 25 %.
140Le décrochement est maintenu, mais atténué, si on procède à l’élimination des armadas, de 74 unités et 22 240 toneladas, à 127 navires et 25 930 toneladas (entre les seuls navires marchands du complexe portuaire). Il est maintenu, encore, entre les seuls navires marchands du complexe andalou. La pointe du maximum absolu s’établit à 119 navires et 23 210 toneladas, contre 74 navires et 22 240 toneladas, une belle marge subsiste encore, de 15 % d’accroissement. Il est aboli, pourtant, entre 1584 et 1586, si on établit les comparaisons sur les seuls navires marchands partant du seul port de Séville et du bas Guadalquivir, puisque 1584 totalise 72 navires et 21 590 toneladas, 1586 aligne 99 unités (27 % en plus) et 20 500 toneladas (soit une contraction de quelques 4 %). Devant de telles données, le plus sage est d’ailleurs, de se borner à parler d’égalisation.
141Une dernière solution, enfin, doit être envisagée, celle qui consiste à comparer aux chiffres de 1584 dans les différentes formules, les chiffres de 1586, en affectant, pour le commerce, les navires d’armada d’un coefficient de pondération déjà préconisée de l’ordre de 0,4/0,5 (cf. ci-dessus p.736). Dans ce cas, toutes les combinaisons possibles, voire même les plus désavantageuses conservent, en Allers, à 1586, le bénéfice du maximum absolu. Ces comparaisons — au-delà de toutes hésitations — font ressortir la large supériorité de 1586 sur 1584, dont la position, grâce à l’arbitraire, du découpage annuel, se trouvait, pourtant, on s’en souvient, injustement favorisée.
142Dans l’ordre des Retours, toutefois, la position du mouvement n’est pas comparable.
2. Retours
143a. Chiffres vrais. — 1586, en effet, semble se désolidariser, superficiellement, du plateau extraordinairement élevé qu’on a noté, depuis trois ans, sur le mouvement Retours : 65 unités seulement, 15 285 toneladas contre 82 unités et 19 823 toneladas l’année précédente en 1585 (81 unités, 19 710 toneladas pour les niveaux respectifs moyens des trois années précédentes de 1583 à 1585). Cette comparaison fait apparaître un repli de 23 % en un an.
144On peut se demander quelle signification donner à semblable phénomène. Convient-il, prenant au pied de la lettre la leçon un peu étroite des chiffres, de penser qu’après les importants et tardifs retours de 1585, le goulot d’étranglement des navires au départ vaincu, cette baisse exprime le désordre et le besoin de reconstituer aux Indes le volant de tonnage disponible, dont il semble bien qu’il ait été fait largement appel au cours de ces dernières années ? S’il en est ainsi, le léger tassement du tonnage et du nombre des navires au Retour est chargé d’une importante signification. Il impliquerait, notamment, l’arrivée à son terme de cette longue crise du tonnage, extrêmement lourde de sens et riche de signification.
145En fait, il n’en est rien. Les Retours de 1587 et l’état d’insécurité — on aura l’occasion d’y revenir108 — permettent de comprendre, sans qu’il soit même besoin d’une analyse plus poussée, que l’on est, en fait, en présence d’une rétention purement extérieure au libre jeu des forces économiques des Retours..., à preuve l’anormale amplitude de l’oscillation des Retours de l’année suivante, d’autant plus anormale qu’elle va tout à fait, à l’encontre de l’évolution globale de la conjoncture du mouvement.
146Pour le moment, désireux de se cantonner au seul aspect descriptif, on acceptera telle quelle cette donnée, de toute manière indicative, d’un repli de l’ordre de 20 à 25 % du niveau du mouvement des Retours, par rapport au niveau exceptionnellement élevé des années précédentes.
147On peut remarquer, dès maintenant, toutefois, que, si on considère globalement comme un tout, la masse des Retours de 1586 et de 1587, on arrive à une moyenne annuelle (pour 1586 et 1587) de 81/82 unités et 22 407 toneladas... ce qui, non paradoxalement, renverse, totalement le sens du rapport : d’une contraction de l’ordre de 20 à 25 %, on passe, cette précaution prise, à un prolongement et une accentuation de l’expansion de l’ordre de 15 %. La divergence est extrêmement importante. Le point de vue ainsi dégagé ne devra pas être oublié.
148b. Écarts à la moyenne. — Quoi qu’il en soit, en se limitant à un découpage chronologique annuel rigoureux, les pourcentages d’écarts à la moyenne109 permettent de corroborer et de préciser la position respective des Allers et des Retours de 1586 par rapport aux niveaux des années précédentes. 1586, en Allers, par rapport au trend donné par les moyennes mobiles médianes de treize ans, est à 180,43 % : record absolu du xvie siècle, dépassé, une fois seulement, au-delà, en 1608. Que sont, à côté, les 98,38 % de 1585, notre terme courant de référence et celui-là même de 1584, 117,91 %, maximum secondaire, pourtant, de la fluctuation primaire centrale.
149Sur les pourcentages de la courbe vraie des Retours au trend approché de la même manière la différence qui sépare, entre 1586 et les années précédentes, le comportement des Retours et celui des Allers apparaîtra avec beaucoup de clarté. Le pourcentage, — est-il besoin de le rappeler ? — à 110,15 % en 1583, 131,99 % en 1584, 121,24 % en 1585, tombe à 104,43 % pour 1586. Première constatation, un repli relatif par rapport à la ligne mouvante du trend, de 16,81 % entre 1586 et 1585, de 27,56 % de 1586 à 1584, tandis qu’en Allers on passait dans les mêmes conditions de 117,91 % (1584) et 98,38 % (1585) à 180,43 % (1586), c’est-à-dire une variation positive de 82,05 % d’une année sur l’autre, de 62,52 % d’un maximum à l’autre. Les Retours de 1586 — seconde constatation — ne constituent qu’un creux très relatif au milieu d’une vaste période d’anomalie extraordinairement positive du mouvement Retours, puisque par rapport au trend, avec 104,43 % le mouvement Retours de 1586 est encore très sensiblement positif110. Malgré les facteurs politiques et militaires qui auront contribué à faire baisser le niveau des Retours dans le cadre temporel de l’année civile 1586, ce creux n’est sensible qu’au milieu du dos d’âne des Retours, de 1583 à 1587, ces années qui forment ensemble la plus étonnante de toutes les anomalies positives présentées jamais par le mouvement Retours dans l’histoire une fois et demie séculaire de l’Atlantique espagnol.
150Ces constatations sur l’équilibre respectif des Allers et des Retours, dans l’ensemble du mouvement, sont encore corroborées par l’évolution du pourcentage respectif des Allers et des Retours à l’ensemble du mouvement. Après trois ans, de pourcentage anormal des Retours111 à l’ensemble, 59,80 % en 1583, 47,57 % en 1584, 51,14 % en 1585, 1586 n’est-il pas marqué par un pourcentage de 31,48 %, beaucoup plus proche d’une moyenne une fois et demie séculaire que ne l’étaient les chiffres précédents.
3. Les globaux Allers et retours
151Quant à la résultante, de ces mouvements, les globaux Allers et retours, leur situation, dans le cadre temporel de l’année civile 1586, ne peut être, cela va sans dire, que le reflet des situations particulières des Allers et des Retours.
152Malgré l’importance exceptionnelle du mouvement Retours au cours de ces quelques années, en raison du fléchissement momentané des Retours dont le pourcentage en tonnage ne dépasse pas en 1586, 31,48 % des Allers et retours, une fois de plus, les caractères du mouvement global sont commandés par ceux des Allers. Le mouvement d’ensemble de la courbe continue donc, presque paradoxalement, tout au long de cette seconde fluctuation primaire médiane, clef de voûte du cycle, à calquer, en l’atténuant par le volant adoucissant des Retours indépendants, l’allure extrêmement anguleuse de la marche en volume des départs en direction des Indes.
153Dans ces conditions, on retrouvera, en Allers et retours, l’allure déjà mentionnée en Allers. Très sensible décrochement entre 1585 et 1586, 43 % pour le nombre des navires qui passent de 149 à 213, de 25 % en volume, le tonnage passant de 38 768 à 48 555 toneladas, compte non tenu de l’éventuelle modification lente, certes, mais certaine, des modes d’appréciation du tonnage des navires. Elle joue à cette époque en faveur des années plus proches et au détriment des années plus lointaines112.
154Net décrochement par rapport au fond du précédent ensellement, oui, certes — ce qui va un peu de soi — mais presque plus symptomatique, le décrochement qui persiste entre 1586, maximum principal en Allers et retours, comme en Allers, et le maximum secondaire de 1584. Les écarts s’abaissent mais demeurent sensibles, entre 161 et 213 navires, le déclenchement positif est de 24,5 %, entre 43 562 1/2 et 48 555 toneladas, de près de 12 %. Simple comparaison entre les niveaux les plus élevés, il faudrait la doubler d’autres comparaisons qui tiendraient compte pour les Allers, de toutes les combinaisons qui ont été précédemment énumérées. Il s’en dégagerait la conclusion suivante : sa position exceptionnellement forte à l’égard du creux relatif de l’ensellement de 1585, les globaux Allers et retours de 1586 conserveront, de toute manière, un avantage sensible par rapport à l’autre pointe, celle de 1584, tout pesé même et tout computé.
155En tonnage exprimé en toneladas, au cours d’un siècle et demi d’histoire, le niveau de 1586, jamais égalé auparavant, ne sera égalé ou légèrement dépassé qu’un nombre très restreint de fois, en 1599, 1606, 1608-1609-1610, 1624, 1639. Mais seules finalement les années du sommet conjoncturel maximal et du renversement de la tendance majeure, de 1608 à 1610, se présentent en position comparable, d’ailleurs supérieure, parce qu’étayé par un important contexte de points hauts.
156On comprend, ainsi, l’importance tout à fait exceptionnelle, dans toutes ses acceptations, du mouvement dans l’Atlantique dans le découpage annuel de cette année 1586. Il s’agit, désormais, d’aller plus avant, au-delà du découpage de l’année civile et de voir comment s’articule, la conjoncture, dans ses détails, de l’Atlantique espagnol avant la catastrophe de l’Invincible Armada qui va perturber, plusieurs années durant, l’équilibre interne de ce premier Atlantique transversal sans passé, l’Atlantique des Ibériques.
LA POURSUITE D’UNE CONJONCTURE HAUTE
1571586 paraît absolument indissociable de l’année 1585..., mais les documents originaux manquent pour la bien apprécier. Outre les récits classiques de la guerre hispano-anglaise qui, on le sait, fait rage un peu partout, à cette époque, il faut se borner à l’analyse attentive et minutieuse des séries chiffrées.
158Que permettent-elles d’entrevoir ?
1. Mouvements et conjoncture
159On a pu vérifier combien les pressions conjoncturelles précédaient largement leur concrétisation dans la Carrera sous forme de mouvements effectifs. Il en est allé, ainsi, de la pointe de 1584 commandée avec une large anticipation ; il en est allé, ainsi, de l’ensellement de 1585, il en va maintenant de même pour la masse énorme des départs de 1586.
160Ces départs s’expliquent par la conjoncture très forte du second semestre de 1585. Les conditions restent bonnes ce n’est pas douteux, et la plus grande partie, sans doute, de l’année 1586 est placée encore sous le signe de l’expansion. A des conditions propres favorables, s’ajoute la vitesse acquise. La conjonction de ces deux facteurs, maintien pendant la plus grande partie de l’année 1586 de cette conjoncture haute longuement analysée, au cours des pages précédentes, bénéfice de la vitesse acquise (des décisions prises, des ébauches dessinées, des bases jetées,... des départs différés qui doivent bien finir par se concrétiser),... tout cela explique que, malgré le poids de la guerre, la masse record de 1586 ait pu être mise, quand même, en mouvement.
2. Les Retours
1611586, malgré le danger anglais, bénéficie des pressions conjoncturelles de 1585. Le découpage annuel ne signifie rien ici. On est bien, dans une même coulée de temps de conjoncture113. Une série de circonstances — on s’en souvient114 — la masse énorme, unique, jamais jusqu’ici égalée du convoi de Nouvelle Espagne, de Juan de Guzman et Martin Pérez de Olozábal, parti après plus d’un mois de retard et d’immobilisation du fait de la guerre moghrébine, le vide créé par ces départs, l’imprécision et les menaces qui pèsent sur les communications avec les Indes... avaient rendu impossible le départ d’un second convoi. La Casa de la Contratación avait pour expliquer l’échec du deuxième convoi115, mis en cause le goulot de l’armement, entendez l’impossibilité dans laquelle on s’était trouvé de se procurer des navires. Il y avait, certainement, d’autres raisons116…, mais rien ne permet de dénier à celle-ci un rôle de tout premier plan ; le goulot du tonnage n’est pas encore franchi, ou, plus exactement, il s’est reconstitué. Cet aveu est précieux.
162En effet, qu’à la fin de l’année 1585 et, a fortiori, que dans les premiers mois de 1586, le goulot d’étranglement du tonnage ne soit pas encore dépassé... n’est-ce pas une preuve, puisqu’on ne peut l’imputer encore à l’effort de défense écrasant qui sera exigé dans les années proches de l’exaspération du conflit une preuve à apporter à l’affirmation du maintien, jusque dans la première moitié, au moins, de 1586, d’une conjoncture très forte ?
163L’armement s’est donc essoufflé, aussi longtemps, malgré des efforts d’ingéniosité, à faire face, quand même, aux besoins toujours renouvelés du négoce Atlantique. Autre preuve de la pression qu’exerce le négoce sur l’armement, la poussée antérieurement à la formation de l'Invincible, des petits navires. Le nombre des navires, on l’a vu117 s’est accru, depuis le creux-plateau, à cheval entre les deux grandes fluctuations, plus vite que le tonnage global. Le tonnage moyen des Allers est passé de 305 toneladas en 1584 à un peu moins de 225 toneladas en 1586, soit une diminution en deux ans du tonnage unitaire de l’ordre de 26 %118.
164Il faut, sans conteste, interpréter cette indéniable réduction — d’autant plus certaine qu’elle ne peut être attribuée à une répartition géographique différente du trafic, comme la preuve d’une position de force de l’armement par rapport au négoce. Les gros navires sont dans l’ordre du développement tendanciel majeur de l’armement de la Carrera, ils vont dans le sens des besoins tels qu’ils se manifestent, l’acceptation pour un temps court d’un matériel plus petit, donc moins désirable, ne se comprend bien qu’accompagnant une pression exceptionnellement forte de la conjoncture.
165Ces facteurs concordants poussent à attribuer une importance particulière aux Retours de 1585. Retours tardifs, par rapport à l’année 1584, ils se font comme, c’est en général le cas, dans un temps très ramassé : 27 septembre 1585 pour la Nouvelle Espagne et 18 octobre pour les navires de Terre Ferme, un peu plus d’un mois plus tard, en moyenne, que leurs homologues de l’année précédente. En raison des mois nécessaires aux chargements, déchargement, réfections et radoub d’un matériel fatigué, les énormes Retours de 1585 ne peuvent peser en tant qu’élément favorable, avant le deuxième trimestre, au plus tôt, de 1586. Les Retours de 1585, trop tardifs pour avoir pu permettre les départs un moment envisagés d’un deuxième convoi, au cours de l’année 1585, constituent, très certainement, un facteur essentiel du mouvement exceptionnellement fort de l’année 1586.
166Ces retours ont agi d’une double manière, médiatement et immédiatement. En aidant à dissiper les craintes qu’on avait pu nourrir, pour un temps, sur la sûreté des communications, ils auront exercé une action tonique sur le mord des entrepreneurs. Ils vont, plus simplement et plus directement, fournir capitaux et matériel. Il y aura donc eu crise de tonnage — et crise de tonnage imputable essentiellement à une demande très forte de la part du négoce sur le marché de l’armement — elle ne sera résolue, en apparence, au cours, seulement, de l’année 1586. Mais pas pour longtemps, puisque, prenant la relève de l’expansion économique, le gros effort militaire de l’invincible vient creuser un vide difficilement colmatable dans le stock à nouveau faiblissant des navires disponibles.
3. L’armada de Don Alvaro de Flores
167Il résulte de tout ceci, que le départ d’un convoi en direction de la Terre Ferme, impossible en 1585, est rendu possible au début de 1586, mais sous une forme militaire, — c’est le cas de l’armada de la guardia de Don Alvaro Flores de Quiñones119. Les retours massifs de septembre et octobre 1585 auront permis son départ. On peut donc situer le convoi dans la lignée des velléités et projets avortés de l’automne 1585120.
168Dans une certaine mesure, bien sûr, puisqu’il y a toute autre chose, également, sans conteste, dans la mise en œuvre définitive de cette puissante armada : pour sa constitution, pour son départ, d’autres facteurs auront joué, qui n’étaient pas en place au cours de l’automne 1585, notamment, la montée des périls et la nécessité conséquente d’un effort de sécurité. Que la réalisation de 1’armada se soit heurtée à de grosses difficultés, c’est certain et l’insolite durée du séjour à Cádiz (48 jours)121 avant le départ définitif, entre le franchissement de la barre et l’envoi de Cádiz (12 avril-30 mai), le prouverait sans plus. Peu importe. Un nombre d’indices suffisant laisse à penser qu’il n’y a pas eu de véritable solution de continuité, entre le mouvement de ces deux aimées : 1586 se sera, en partie, appliquée à réaliser le départ de convois que les fortes pressions conjoncturelles de 1585 avaient préparé, sans que les conditions extérieures les eussent toujours rendu immédiatement possibles.
169Pas de solution de continuité. Les causes, en effet, qui ont pu favoriser la poussée conjoncturelle des années précédentes continuent à jouer vraisemblablement tout au long de la plus grande partie de l’année 1586. Il suffit de se reporter à l’analyse qui en a été faite122. Un élément mérite, peut-être, quelques explications supplémentaires : les prix.
4. Les prix
170On s’est expliqué longuement et à plusieurs reprises sur les covariations qui, apparemment, lient entre elles, les séries des prix et celles des mouvements du trafic dans l’Atlantique de Séville.
171Le moment le plus favorable aux poussées maximales de départs en direction des Indes, en ces époques où l’élément moteur du mouvement est en Europe, sur le côté espagnol du grand Océan, est celui du repli court qui suit une pointe cyclique. Un an à deux ans après le précédent point haut ; au-delà, c’est, au contraire, le facteur déprimant des prix inertes qui s’impose..., jusqu’au moment où une nouvelle poussée cyclique des prix met en mouvement l’ensemble complexe des facteurs prix — trafics souvent décrits.
172a. Prix espagnols et trafic transocéanique.
173Prix andalous. — Or, les séries d’indices des prix andalous123 présentent un haut-plateau élevé sur deux ans, qui culmine en 1584, suivi d’un creux relatif, dont le centre est vraisemblablement centré sur l’année 1587. En 1587, on peut estimer que l’action bénéfique du sommet cyclique précédent est abolie, que l’action expansive maximale se place, conformément au modèle proposé, sur le second semestre de 1585 et le premier semestre de 1586. C’est après seulement que la prolongation de la pente déclive, 1585 est à l’indice 108,75, 1587 à l’indice 106,58, tendra à muer en élément dépressif le facteur expansif des mois antérieurs. Sous l’angle, donc, de la conjoncture des prix andalous, les trois premiers trimestres, au moins, de l’année 1586, participent à la même atmosphère que celle de la plus grande partie de l’année 1585.
174Prix nouveaux castillans. — Pour la conjoncture des prix dans l’espace nouveau-castillan, la situation est quelque peu différente, mais plus favorable, si possible, encore. Ce renfort n’est pas négligeable. On peut estimer, en effet, que derrière les prix andalous, très loin derrière, certes, les prix de Nouvelle Castille entrent en ligne de compte, dans la mesure, en effet, où... des marchandises, mieux des capitaux, créés dans cet espace, peuvent être incorporés dans les trafics de l’Atlantique espagnol et hispano-américain.
175Les indices de Nouvelle Castille124 sont, en gros, en retard d’un an, dans leur cheminement sur ceux de l’Andalousie. Plateau ascendant de 1583 à 1585, analogue au plateau des indices andalous de 1582 à 1584, encore que beaucoup plus relevé, au début, entre 1583 et 1584 surtout. Vient ensuite une dépression mouvementée, irrégulière sur trois ans, de 1586 à 1588, avec deux creux, 1586 (indice 109,45) et 1588 surtout (indice 104,20) et une pointe relative, 1587 (indice 113,07). Autrement dit, sous l’angle des prix envisagés en fonction de leur incidence possible sur la conjoncture du trafic transatlantique, la position de la Nouvelle Castille en 1586 cumule, à peu de choses près, les avantages que présentaient sous l’angle du commerce américain de Séville le comportement des indices des prix andalous de l’année 1585 et celui de 1586.
176Les prix du Nord espagnol. — On peut être tenté d’interroger, aussi, les séries géographiques du Nord de l’Espagne (Vieille-Castille-Léon)125 et de l’Espagne méditerranéenne (Valence)126. Le test n’est certes pas sans intérêt. En ce qui concerne, du moins, le Nord du Royaume de Castille, domaine de ces grandes foires de Medina del Campo, Rioseco, Villalón, champ d’action des Ruiz, dont leur remarquable historien Henri Lapeyre127 a dit l’importance des relations avec Séville 128 la corrélation, si elle est établie, ne sera pas de simple curiosité. S’il y a, vraisemblablement, peu de marchandises de cet espace lointain — lointain parce que tributaire dans ses relations avec l’Andalousie de grandes distances terrestres129 — qui sont saisies dans le va-et-vient des échanges transatlantiques, il n’est pas douteux que des capitaux en provenance du vigoureux capitalisme des foires s’engagent dans le grand commerce de Séville. Dans ces conditions, les corrélations qui peuvent exister sont riches de signification.
177Or le comportement des indices des prix du Nord de l’Espagne rappelle étroitement, à quelques modalités particulières près, celui des indices des prix de Nouvelle Castille. Plateau élevé, moins bien dégagé que celui des indices andalous et sud-castillans, dont le rebord se place en 1585 et la chute sur une dépression médiocre et peu creusée, en 1586. Dans la mesure où l’espace Nord-Espagne intervient — on l’a dit — moins par la quantité de marchandises qu’il est susceptible d’engager dans l'import-export avec l’Amérique que par les capitaux qu’il est apte à lui fournir, sous forme d’avances par lettres de change, il importe, peut-être, de modifier légèrement le modèle précédemment proposé pour les relations prixandalous/conjoncture des exportations espagnoles en direction de l’Amérique.
178Dans le cas d’un espace qui fournit, outre les capitaux, la plus grande quantité des marchandises exportées (c’est le cas de l’Andalousie), il est naturel, comme on l’a établi, a priori, et vérifié maintes fois sur la réalité chiffrable et chiffrée, que la conjonction hauts prix — hauts trafics nécessite pour se produire un certain décalage dans le temps. Les hauts prix se répercutent le plus aisément sur les exportations, avec en moyenne, un optimum de dix-huit mois, surtout quand après un haut plateau, les prix marquent un sensible reflux. C’était la situation, précisément, que l’on vient de décrire entre prix andalous et trafics de 1582 à 1586, celle dont la conjoncture des trafics de la mi-année 1585 à la mi-année 1586 a profité, au maximum.
179Dans le cas, par contre, des conjonctions qui, d’une manière beaucoup plus incertaine, marginale, en quelque sorte, sont susceptibles de se produire quand même entre le trafic dans l’Atlantique de Séville et des séries de prix d’espaces plus éloignés, moins directement engagés, Nouvelle Castille, Vieille-Castille-Léon..., les hauts prix risquent d’exercer leur influence, beaucoup plus rapidement peut-être, que dans le cas précédent. Pour paradoxal que cela puisse paraître, étant entendu, d’ailleurs, que l’action exercée sera beaucoup plus incertaine, beaucoup plus fragile et ténue que dans le cas d’un espace, l’andalou, par exemple, plus directement saisi et profondément engagé dans le flux économique de l’Atlantique espagnol et hispano-américain.
180Le délai qui risque de séparer la pointe de ces prix extérieurs, marginaux, de la pointe de répercussion maximale possible sur la conjoncture des exportations d’Espagne en direction de l’Amérique, sera moindre, de l’ordre, par exemple, d’un à deux semestres. Moindre, puisque ces espaces plus lointains sont susceptibles de participer au trafic, non pas tellement par leur propre production130 que par leurs capitaux. Or les capitaux sont plus rapidement disponibles, moins gênés par la pointe d’expansion cyclique des prix. En outre, l’intérêt que présente dans le cadre andalou, l’espace immédiat, l’utilisation de l’ensellement des prix, de la contrepente qui suit, aussitôt, à l’ordinaire, les pointes d’expansion cyclique disparaît dans ce cas.
181Un moindre délai nécessaire à la répercussion maximale, entre l’expansion cyclique des prix d’un espace géographique donné, d’une part, et le trafic transocéanique envisagé d’autre part, est la conséquence d’une participation de l’espace donné au trafic envisagé, proportionnellement très faible en biens exportables, proportionnellement très forte par contre, en capitaux engagés. La participation par capitaux étant, en règle générale, beaucoup moins sensible que la participation physique directe par marchandises exportées, à la distance, des relations prix-trafic presque simultanées peuvent s’établir à cette condition entre espaces relativement éloignés. Tel pourrait être proposé, l’énoncé en forme de règle de cette relation simple. Dans quelle mesure, les corrélations, ici, relevées et plusieurs fois notées... en plus d’un siècle d’histoire, peuvent-elles être considérées comme démonstration suffisante ? La question n’est pas entièrement résolue.
182Prix méditerranéens-valenciens. — On signalera enfin, mais à titre, cette fois, presque essentiellement de curiosité, l’identité qui existe entre les corrélations prix sud-castillans et nord-castillans, d’une part, trafic à l’exportation dans l’Atlantique, d’autre part, et la corrélation qui paraît vraisemblablement s’établir entre les prix de l’Espagne méditerranéenne (Valence) et le trafic de Séville, à l’Aller, surtout. On retrouverait le même plateau de prix élevés de 1582 à 1585, légèrement concave, toutefois, et avec un point haut suivi d’une retombée sous forme de crêt, en 1585. La position des prix dans l’espace méditerranéo-valencien est donc, à la hauteur de 1585 et de 1586, identique à la position dans le même temps des prix, dans l’espace centre-castillan et nord-castillan. Entre la position de la pointe cyclique des indices des prix dans ces trois espaces géographiques respectifs, et la poussée conjoncturelle maximale des trafics à l’Aller, le décalage chronologique, autant qu’on en puisse juger, est inférieur à un an ; entre la position de la pointe cyclique correspondante des indices des prix dans le cadre géographique andalou et la poussée conjoncturelle maximale des trafics à l’Aller, le décalage est, on s’en souvient131, de l’ordre de dix-huit mois, environ.
183Or ce n’est pas la première fois qu’on a pu faire semblable remarque ; ce ne sera pas la dernière fois non plus. De ces corrélations fréquentes..., peut-on, puisque tel est le problème, tirer une conclusion de portée générale ? D’une manière plus précise, est-on en droit d’accorder à ces rencontres une valeur démonstrative ou, si on veut, le sens d’une démonstration susceptible d’étayer le raisonnement a priori présenté tout à l’heure, sous la forme faussement rigoureuse d’une apparence de théorème ?
184b. Conclusions. — Une corrélation est certaine, celle qui unit les prix andalous, les prix espagnols de l’espace le plus proche au trafic dans l’Atlantique. En ce qui concerne la relation un peu moins rigide qui lie le trafic de Séville aux indices des prix d’espaces plus lointains, on pourra hésiter..., mais un instant, seulement.
185Pourquoi hésiter ? La corrélation qui semble unir les prix espagnols d’espaces plus éloignés au trafic, avec une légère anticipation des prix des espaces ibériques non-andalous, susceptible de leur faire attribuer dans la relation un rôle essentiellement causal, n’est pas, en effet, la seule corrélation, donc le seul lien de cause à effet, que l’on puisse raisonnablement présumer.
186Il ressort, en effet, clairement, des séries d’indices géographiques des prix de Hamilton132, que les prix andalous sont moteurs, et que leurs fluctuations anticipent, le plus souvent et précèdent généralement, d’un an, les fluctuations des prix de Nouvelle Castille, Vieille-Castille-Léon et Valence. La corrélation existe, grossièrement, sauf quand d’autres éléments viennent à l’encontre, en masquer le dessin. Cette position motrice des prix andalous par rapport à l’ensemble des autres indices géographiques est parfaitement conforme, aux grandes lignes des théories quantitativistes de Hamilton, ces positions en outre, sont conformes à l’hypothèse souvent émise d’un trafic Espagne-Amérique, moteur, au sens le plus large, d’une première ébauche d’économie mondiale animée par une ébauche plus grossière, sans doute, encore, de conjoncture mondiale.
187Dans ces conditions, le rapprochement que l’on a marqué, pourrait même, à la rigueur, ne pas impliquer autre chose qu’une certaine dépendance des prix espagnols non andalous à l’égard des prix andalous ; les prix andalous commandant, à la fois, dans une certaine mesure les prix ibériques, bien entendu et le mouvement du trafic, Ces deux corrélations sont, l’une et l’autre, objectivement, du domaine de l’évidence, elles entrent, en outre, facilement, dans le cadre de deux modèles satisfaisants. La corrélation prix espagnols non andalous/trafics, peut, à la limite, se déduire, seule, des deux corrélations précédentes. On pourrait, donc, à la rigueur, la considérer comme déjà démontrée.
188Mais tout cela est, en fait, d’une fausse rigueur mathématique. Les liaisons antérieures ne sont que des liaisons entre autres, simplement dérivées, les articulations qu’elles commandent, sont des articulations souples, les lois qu’elles impliquent, simplement probables, simples lois statistiques, n’en traduisent pas moins des liaisons primaires non dérivées.
189Les liaisons prix non-andalous — trafic hispano-américain sont bien des liaisons simples, modestes, certes, mais directes. On peut en déduire la présomption de la médiocre rigueur même des corrélations. Elles émergent, péniblement, en effet ces corrélations, au milieu de tout l’imprévisible, que jette, constamment, dans un monde aux techniques débiles, sans grande prise sur les forces naturelles, le météorologique, sans parler de cet imprévisible, résultant du libre arbitre des hommes — ne place-t-il pas, bien souvent, le facteur politique et militaire, pratiquement en dehors des prises d’un ordre même superficiel et grossier de répétition133 ? — Dans ces conditions le maintien entre les deux extrémités des corrélations antérieures d’un lien simple de répétition, tel qu’on pouvait le prévoir a priori, devient quelque chose de surprenant. Ces deux extrémités s’appellent, ici, le trafic, et les prix ibériques non andalous. Les liaisons médiates, prix andalous-trafic hispano américain, prix andalous-prix ibériques non andalous n’auraient pu, à elles seules, les réunir, vraisemblablement aussi souvent et relativement aussi rigoureusement que l’observation objective des séries permet de le constater.
190Ainsi l’existence d’une corrélation particulière directe entre les deux séries (prix espagnols non andalous et trafic, Allers, surtout d’Espagne, sur l’Amérique), devient presque une nécessité logique. Or le modèle existe, il a été précédemment décrit134, il cadre avec ce que l’histoire descriptive et qualitative peut montrer des relations qui, effectivement, unissent au trafic de l’Atlantique hispano-américain de Séville, les espaces espagnols non andalous. L’existence objective, en outre, d’une corrélation prix non andalous-trafic, s’organisant exactement selon les exigences a priori supposées du modèle ci-dessous évoqué135 sert d’argument et oblige pratiquement à penser que le lien logique a effectivement existé. Si la concordance pourtant troublante de tous ces facteurs ne constitue pas, à proprement parler, la démonstration mathématique du théorème précédemment énoncé136, elle crée, du moins, en sa faveur, une de ces marges de vraisemblance, dont l’histoire doit, faute de mieux, presque toujours se contenter.
191De tout ceci, sous l’angle de l’année 1586, il suffit de retenir que les prix andalous, tout d’abord, et au premier chef, constituent bien un facteur favorable à l’expansion des trafics et que les prix non andalous, eux-mêmes, constituent également au second plan et à un moindre degré mais d’une manière directe, largement autonome un élément favorable137
1925. Les facteurs positivo-négatifs.
193En faveur de la conjoncture haute qui continue à dominer, sans conteste, les résultats sont là, la plus grande partie en ses débuts de l’année 1586, on peut invoquer toute une série d’éléments ambivalents qu’on peut hésiter à placer sûrement dans une des catégories précédentes. C’est le cas, par exemple, de l’insécurité accrue.
194En 1586, on est installé au cœur d’une guerre hispano-anglaise, qui domine sans partage de 1586 à 1589. Si la correspondance de la Casa de la Contratación n’est pas aussi prolixe qu’on l’aimerait — au cœur de l’événement, face aux périls, il arrive qu’on se taise, il est mutile, d’ailleurs, de s’étendre trop longuement sur des contextes trop évidents pour ceux qui les traversent ou des situations que chacun a parfaitement à l’esprit138. C’est pourquoi, la seule correspondance de la Casa pourrait à la rigueur faire illusion. Mais l’histoire en est trop bien connue139 pour qu’il faille s’étendre davantage.
195Pour apprécier ce que dut être, au cours de ces longs mois de périls montants, la pression exercée par les dangers extérieurs, il suffit de se reporter à deux facteurs qui se dégagent clairement des tables140 et tableaux : tout d’abord, la proportion insolite des navires d’armada141, et de navires d’armada dont, pour un bon nombre, on ne peut nier qu’ils sont destinés à une fonction uniquement défensive : c’est le cas, par exemple, des quatre galères destinées à la défense des îles de Barlovent142 ; ( ; des deux galères destinées à la défense de la Terre Ferme143 ; c’est le cas aussi du nombre tout à fait insolite des avisos retenus aux tableaux, treize repérés en Allers144. Ce total est, de toute manière, un minimum l’importance du réseau de transmission des nouvelles et d’informations, croît, en général, proportionnellement aux pressions extérieures. Cinq avisos repérés en Retours145. En raison de la manière dont, en général, les avisos se dissimulent, au Retour, ce chiffre est presque plus significatif encore. C’est le cas naturellement, des pertes très importantes146. Tout ce faisceau concordant montre que l’année 1586 est bien, par rapport aux années qui la précèdent, immédiatement, une année de plus grandes difficultés, de plus lourde pression extérieure.
196Le fait, par contre, que le négoce ait réussi à mettre sur pied, quand même, la masse énorme du trafic de 1586, montre à quel point les pressions conjoncturelles qui se sont exercées à la charnière de 1585 et 1586 ont dû être importantes. Le frein de l’insécurité au cours de cette période, dans la mesure où cette insécurité a été dépassée, peut donc être versé au compte des preuves en faveur d’un dynamisme tout à fait exceptionnel, d’une conjoncture endogène du cycle. Naviguer, quand même, dans ces conditions, prouve l’importance des besoins et des incitations à le faire.
197Il est vrai qu’à l’encontre, on pourra être tenté d’invoquer... sans que ces arguments paraissent suffisants pour compenser, d’une manière très appréciable, l’aspect positif précédent, que la perspective d’une aggravation d’une situation déjà tendue a pu inciter certains armateurs et certains négociants, à hâter le rythme des départs prévus : c’est assez peu vraisemblable147 à l’Aller, du moins.
198Ce facteur aura agi, plutôt, indirectement, en provoquant à la fin de 1585, les énormes masses de Retours déjà signalées. Sans méconnaître par conséquent l’aspect favorable indirect possible, d’un contexte normalement, essentiellement contrecarrant, il n’en reste pas moins, que l’insécurité de cette année, l’énorme effort de défense et de transmission qu’elle a nécessité, ont constitué un lourd handicap. Et il est admirable que la conjoncture économique de 1586 ait pu le dépasser. Réponse efficace à un défi suffisant et, pourtant, non destructeur comme celui auquel 1587, moins bien doué, peut-être, n’a pu faire face.
V. — 1587 : LE RENVERSEMENT DE LA TENDANCE UNE SÉRIE DE GRAVES ACCIDENTS
199Les craintes latentes depuis dix-huit mois, bientôt, vont se concrétiser au-delà de tout ce qu’on pouvait craindre : le poids de la guerre, avec le désastre de Cádiz en avril et les énormes prélèvements en vue de l’invincible, l’année suivante en 1588, forment un seuil qui, une fois franchi, déprime et paralyse. Mais l’ampleur et la portée du désastre qui marque la fin du cycle, ouvrant au-delà de ce fossé une assez longue période de dépression relative qui couvre, notamment, toute la dernière fluctuation primaire, laisse à penser qu’il est dû à des causes multiples et complexes. Devant l’ampleur du coup de barre, devant des conséquences qui s’échelonnent sur sept ou huit ans, il faut bien admettre que le creux frontière de 1587, n’a pas été commandé seulement par des causes purement extérieures, les ravages de la guerre hispano-anglaise, mais par des causes plus profondes, aussi, par l’évolution interne du mouvement.
LE DÉCROCHEMENT : AMPLEUR ET MESURES
200Mais avant de rechercher les causes, au demeurant, pour beaucoup d’entre elles, assez évidentes de la dépression de 1587, il importe d’en préciser, exactement, l’ampleur et les modalités
201L’accident de 1587 est uniquement imputable aux Allers. Aux Allers, c’est-à-dire encore, en ce xvie siècle finissant, à l’élément conjoncturellement moteur. D’où son importance, d’où sa gravité. On peut affirmer qu’il contribue ultérieurement par le train d’ondes de choc qu’un creux de cette dimension pousse devant lui... à perturber le mouvement de la troisième fluctuation primaire : 1588-1592
1. Allers : l’anomalie négative
202De 148 navires, on passe à 31 unités, soit 22 % seulement du chiffre antérieur, et ce qui est plus significatif, parce que non imputable à la position, on l’a vu, quelque peu en flèche de 1586, 32 % seulement du mouvement Allers unitaire moyen des trois années précédentes (soit 96 départs en moyenne par an, de 1584 à 1586)
203Mais, étant donné la nature très particulière du mouvement Allers en 1587 — aucun navire de flotte en convoi, uniquement, des avisos qui joignent à leurs fonctions de liaisons postales impériales, celles de ravitailleurs d’urgence, de dépanneurs de sociétés coloniales mises en péril par l’isolement — les seuls navires qui partent, en 1587, sont de tout petits navires, de 80 toneladas, comme aux premiers jours de la Carrera.. puisque, suivant toute vraisemblance, les 31 unités qui s’alignent au départ de 1587 ne représentent guère plus que 2 975 toneladas, soit 9 % à peine, du chiffre de l’année précédente. Par rapport au niveau moyen des tonnages des années 1583-1586, les trois premières années de la fluctuation centrale, le tonnage de 1587 est à 11,9 %. Or, on sait qu’un tel accident de cette amplitude, de toute manière beaucoup plus rare en Allers qu’en Retours, a, de ce fait, beaucoup plus de signification au départ qu’à l’arrivée
204Même en chiffres absolus, une position aussi basse ne se retrouve jamais jusqu’en 1650, antérieurement même elle n’a été égalée et dépassée qu’une fois, en 1554 (compte tenu des conditions différentes des deux premières décades). En écarts relatifs au trend, par contre, le creux des Allers de 1587 n’a jamais été égalé, il est sans équivalent, à 15,24 % seulement, de la moyenne mobile médiane de treize ans de l’année. On ne peut mieux souligner le caractère insolite d’un accident, à travers lequel on reconnaîtra l’ampleur du coup porté par Drake par de la même la Carrera à tout l’Atlantique espagnol et hispano-américain. Or, le creux de 1587 ne peut être, en aucun cas, imputé, à quelque hasard du découpage chronologique, comme c’est parfois le cas, on l’a vu récemment148. Le dernier convoi de 1586 quitte San Lúcar, le 22 octobre149, le premier grand convoi économiquement utile de 1588, sort le 5 juillet 1588, de San Lúcar et le 14 juillet, seulement, de Cádiz150. Dans l’intervalle une poussière... de quelques 5 000 toneladas, à peine. Au départ du complexe portuaire du Guadalquivir et compte non tenu de l’Armada de Diego de Flores de Valdés151 destinée à se joindre à l’Invincible Armada et de l’armada de pataches de Gonzalo Monte Bernardo, 1587 est au centre d’une frange de temps de silence de 20 mois et 23 jours.
205C’est donc beaucoup plus qu’un simple accident banal. La grande zone de silence de 1587 doit être considérée comme un des grands événements négatifs d’un siècle et demi d’histoire de l’Atlantique des Ibériques, un évènement négatif qu’il faut prendre au sérieux, puisqu’on ne peut l’attribuer à quelque illusion, résultant de conventions utiles.
2. Retours : l’anomalie positive
206La masse des Retours n’en apparaît, de ce fait, que plus surprenante. On ne peut rêver distorsion plus totale, déséquilibre plus insolite152 ; c’est ce que montre, notamment, les pourcentages respectifs des Allers et des Retours par rapport au mouvement global153 : les Allers ne dépassent pas 9,15 %, les Retours se taillent la part énorme de 90,85 %. Les Retours de 1587, représentent au sein d’un découpage annuel, et exprimé en toneladas non pondérées, le record absolu de toute l’histoire de l’Atlantique avec 29 529 toneladas. 1587 pour les seuls Retours joue paradoxalement, le rôle un peu de 1608 sur les séries des Allers et des Allers et retours. 1587 présente, enfin, le pourcentage maximum d’écart au trend, avec 197,74 %154 par rapport à la moyenne, soit l’écart maximal positif record de 97,74 %. Record jamais égalé, même d’assez loin sur le mouvement Retours et, a fortiori, Allers et retours, très faiblement dépassé, une seule fois, en Allers, en 1608.
20798 navires, 29 529 toneladas, 29 529 tonneaux, soit des navires énormes, de 300 tonneaux en moyenne. Plus encore qu’au nombre des navires (il sera, plusieurs fois, égalé), c’est à la taille exceptionnelle des navires, que 1587 doit sa position exceptionnelle. Si on veut l’apprécier, d’une manière plus sûre, il suffit de considérer que sur le mouvement unitaire, l’accroissement d’une année sur l’autre aura été de 50 % en unités mais de 93 % en tonnage. Par rapport à cet autre terme de références commode, la moyenne des trois premières années de la fluctuation primaire, 1584-1586, le décrochement demeure presque aussi considérable. Puisqu’on passe d’un niveau moyen déjà très élevé, pourtant, pour la période 1584-1586 (entendez la plus longue partie de la deuxième fluctuation du cycle), de 77 navires et 18 600 toneladas, environ à 98 unités et 29 529 toneladas. Même sous le seul angle du seul nombre des navires, le progrès demeure appréciable, puisqu’il se situe dans l’ordre de 30 % (30 %, au lieu de 50 % dans le cas précédent), le progrès, en tonnage est pratiquement de 60 % (60 % au lieu de 93 %, précédemment quand la comparaison s’établissait simplement entre les Retours de 1587 et ceux légèrement en retrait de 1586). L’extraordinaire ampleur de la masse des retours de 1587 prend toute sa valeur quand on la compare aux niveaux qui la précèdent et à ceux qui la suivent, et surtout à 1588, point bas avec 55 unités et 9 890 toneladas.
208Or, la signification tout à fait exceptionnelle de 1587 sur la série des Retours résulte du fait que le mouvement Retours présente au-delà de 1587, une vaste et profonde dépression, très sensible sur les moyennes mobiles, elles-mêmes155. 1587 est une date tournante pour le mouvement Retours, elle marque un point qui ne sera plus furtivement égalé qu’une fois, entre 1608 et 1610. On peut se demander même dans quelle mesure 1587 ne doit pas être considérée comme le terme de la phase longue d’expansion des Retours... débouchant sur un plateau légèrement concave et qui se prolonge jusqu’en 1619-1621 date à laquelle commence, sans conteste pour les Retours comme pour le reste de la vie dans l’Atlantique espagnol, une phase longue de contraction.
209La signification particulière de la cassure du mouvement volumétrique des Indes vers l’Espagne est vigoureusement soulignée par l’ampleur de la dépression courte qui occupe la période 1588-1592. De 1584 à 1587, la moyenne annuelle sur quatre ans du mouvement Allers est de 80,25 unités, 19.507,5 toneladas, et celle des Retours dans les mêmes conditions, de 82,75 unités et 21 339,9 toneladas, respectivement, soit la proportion jamais égalée pour un aussi long temps, de 52,23 % pour le tonnage des Retours par rapport à l’ensemble Allers et retours. De 1588 à 1592, les moyennes annuelles sur cinq ans, s’élèvent à 114 navires et 20 683,8 toneladas pour les Allers, soit un progrès léger par rapport à la moyenne annuelle des quatre années précédentes, en Retours, par contre, c’est une chute libre de moitié, puisqu’on passe de 82,75 unités à 55,2 unités de 21 339,9 toneladas à 10 476,8 toneladas. La part des Retours, par rapport aux globaux, enfin, passent de 52,23 %, de 1584 à 1587, à 33,6 % seulement de 1588 à. 1592, soit d’une proportion anormalement supérieure à la moyenne à une proportion presque aussi anormalement inférieure à la moyenne. Le fait le plus frappant demeure la brusque et prodigieuse dénivellation juste au-delà de 1587, qui affecte le mouvement Retours. Ce tassement de l’ordre de 50 % est un des faits les plus importants, explicatifs, sans aucun doute, de la Carrera des années qui viennent.
3. Les globaux : une résultante
210Il va sans dire que devant une telle situation, qui met en opposition, les Allers et les Retours, le mouvement global prend une position intermédiaire moyenne, donc trompeuse. La position des Retours de 1587 record absolu de toute la Carrera n’est pas suffisante pour abolir la dépression des Allers. Le mouvement global dans le cadre chronologique de l’année civile de 1587 se trouve ramené à un point bas, pratiquement équivalent au niveau moyen du long plateau volumétrique déprimé de la première fluctuation primaire du cycle 1579-1583 : la frontière médiane se trouve, de ce fait, vigoureusement marquée.
211Par rapport au niveau très élevé de 1586, avec 129 unités et 32 504 toneladas ou tonneaux156 contre 213 unités et 48 555 toneladas ou tonneaux, soit un substantiel recul de 39,4 %, en expression unitaire et 33 % sur l’expression volumétrique, l’ensellement du mouvement Allers et retours en 1587 se dessine clairement. Par rapport à 1588, le creux moins marqué reste sensible, quand même.
212Le creux reste sensible également, par rapport au plateau moyen des trois premières années de la fluctuation 1584-1586, 126 unités et 32 504 toneladas, au lieu de 174 1/3 unités et 43 628,5 toneladas, d’altitude moyenne pour le haut plateau précédent, soit des contractions respectives de 25,8 % (contraction unitaire) et de 25,5 % (contraction volumétrique). Par rapport au plateau moyen des cinq années 1588-1592 de la dernière fluctuation primaire du cycle, par contre, le dénivellement des Allers et retours de 1587 marqué par rapport à 1588, seulement, n’existe plus. 1587 qui apparaît comme un creux par rapport à ce qui précède, peut même à la rigueur faire l’effet d’un point haut encore, d’ailleurs, tout à fait illusoire, face à ce qui suit, en volume, du moins, avec ses 32 504 toneladas contre les 31160,6 toneladas de la fluctuation 1588-1592157 Ce qui tendrait à montrer combien les caractéristiques de l’année 1587 font déjà clairement transition avec celles des années suivantes, celles du creux relatif du plateau des années 1588-1592, notamment.
213Dernière confirmation, enfin, de cette impression de « non aurea mediocritas », le pourcentage du chiffre vrai au trend158, de 94,58 %, légèrement supérieur en valeur relative aux pourcentages des grands creux de 1578-1583 et de 1590-1592, il s’en détache pas moins, avec une vigueur exceptionnelle, des valeurs encadrantes : 124,74 %, 109,16 %, 147,21 % (1584-1586) et 119,51 % et 120 % (1588-1589). L’accident de 1587 est donc un accident sérieux, même sur les Allers et retours : il ne saurait être comparé en aucun cas au simple fléchissement de 1585159.
LES CAUSES
214Les causes en sont évidentes. Il suffit pratiquement, d’ailleurs, de rendre compte des Allers, pour comprendre l’ensemble du mouvement. Toute l’année 1587 ne saurait s’expliquer uniquement par les facteurs politiques et militaires, mais ces facteurs ne sont pas moins dominants, il vaudrait mieux dire écrasants.
1. Le poids de la guerre anglaise
215On a vu déjà160 combien sous l’action multiplicatrice de l’attaque anglaise — dont on peut placer le secteur chronologique d’effective densité de la mi-1585 à 1589 — un sentiment d’insécurité s’était accentué aux Indes. Pour faire face au danger de pourrissement général des deux rives de l’Atlantique par la course anglaise, l’Espagne avait dû procéder depuis le Guadalquivir, à cet énorme effort en armada et en avisos, que les tableaux161 du mouvement annuel démontrent clairement.
2161587 et 1588 sont au centre de cette menace. Toute la période est dominée par le raid dévastateur de Drake et la destruction du port de la flotte de Nouvelle Espagne. L’année suivante, ce sera l’Invicible Armada. Les deux épisodes sont, sous l’angle de la Carrière des Indes, absolument indissociables, leur effet est cumulatif, puisqu’ils ont tous deux pour conséquence de diminuer les stocks de tonnage disponible dans la Carrera.
217Il n’est pas facile d’apprécier et de chiffrer exactement le volume des pertes subies162. D’autant plus qu’un navire, en l’occurrence, ne vaut pas un navire, il faudrait tenir compte de leur âge respectif, notamment, au moment de la destruction, en fonction d’une durée utile assez limitée du matériel. L’Invincible se distingue, pourtant, de l’action destructrice du raid de Drake. Le raid de Drake détruisant navires et cargaisons a porté un coup, non seulement à l’armement, mais également au négoce.
218L’Invincible, malgré un volume incomparablement plus élevé de tonnage détruit, n’a pas affecté pareillement le négoce. Il n’y avait pas de précieuse pacotille dans les gros galions que commandait le duc de Medina Sidonia Elle aura, par contre, fait subir des pertes en vies humaines, non pas indifférentes, mais utiles et rares — celles des gens de mer, toujours trop peu nombreux. Bien peu reviendront des huit mille marins partis163. D’un côté, des navires et des marchandises, pratiquement, pas de vies humaines. De l’autre, des navires, économiquement vides, mais des hommes qui comptent, ces trop rares techniciens de la mer que sont les marins. Dans un cas, comme dans l’autre, le prélèvement se sera fait intégralement par le raid de Drake, pour beaucoup dans le cas de l’Armada, au détriment du principal centre de la puissance navale de la Péninsule : le complexe portuaire andalou, entendez l’Atlantique de la Carrière des Indes, partant, l’Amérique aussi.
219Psychologiquement, enfin, bien que la quantité globale des richesses détruites soit bien moindre, au cours du raid de Drake, que dans l’Invincible, l’action dépressive du premier incident, à l’intérieur de l’Atlantique hispano-américain, l’aura vraisemblablement emporté sur l’importance du second. Hypothèse hardie, peut-être, mais sans fondement ?
220Dans l’immédiat, l’action de Drake sur Cádiz a, pratiquement, empêché tout départ en convoi, donc tout départ économiquement valable et sérieux du complexe portuaire..., par ce qu’elle détruisait, directement, certes, bien plus, peut-être encore, par le sentiment d’insécurité, de panique, de stupéfaction, qu’elle ne pouvait manquer de répandre parmi les hommes de la Carrera. Jamais, sans aucun doute, les hommes de la Carrera, accoutumés un peu, malgré la présence de furtives attaques, de-ci, de-là, de temps à autre, à considérer l’Atlantique parallélogrammique, limité au Sud par l’alizé, au Nord par le contreflux des latitudes moyennes, à l’Ouest et à l’Est, par les côtes de la Méditerranée américaine et de la péninsule ibérique, leur mare nostrum, comme un champ bien à eux... n’avaient été aussi profondément ébranlés, aux sources mêmes de leur confiance.
221Tout ceci ne procède pas de déductions, a priori, puisque le trafic au départ de 1587 est totalement paralysé, mieux, anéanti. C’est là le facteur essentiel, un peu, comme si, pour la première fois, les hommes de la Carrera, désorientés, s’étaient trouvés sans ressource et sans réaction, en présence d’un événement qui les atteignait au cœur même de leurs raisons d’espérer. Mais, en réalité, quelles que soient, finalement, leurs ampleurs respectives différentes, et leurs secteurs d’attaque, bien différents aussi, il est impossible d’expliquer la conjoncture si particulière des départs de 1587, sans faire intervenir, à côté du raid anglais sur Cádiz, l’invincible Armada qui vient.
222L’Invincible n’est pas seulement une composante majeure dans le complexe causal qui est à la base des situations de 1588 et des années suivantes. Ce n’est que trop évident, finalement, et il est inutile d’insister — mais elle rend compte également, ce qui, apparemment, est plus paradoxal, des situations de 1587. C’est en 1587, tout au moins et plus encore qu’au début de 1588 que s’exerce sur la Carrière des Indes, les gros prélèvements de tonnage. Aux difficultés et aux hésitations que la situation déjà décrite avait pu entraîner, vient s’ajouter la crise de tonnage, mais une crise de tonnage radicalement différente de la crise de tonnage des années précédentes, une crise-catastrophe : non pas, identique à celle que provoque d’ordinaire, le passage de la contraction à la phase ascendante du cycle. Crise de tonnage, d’autant plus sérieuse, que le prélèvement exercé sur le stock de Séville ou sur le stock des navires de Biscaye, normalement destinés à être incorporés au matériel et, d’une manière générale, aux usages de la Carrera, a été un prélèvement hautement sélectif qui s’est exercé au détriment des seuls plus gros navires, ceux-là même qui, de plus en plus, sont demandés pour les trafics les plus rentables du grand commerce transatlantique. Et c’est en cela, également, que l’action de l’Armada se distingue de celle du raid dévastateur de Drake sur Cádiz : son prélèvement ne s’est pas fait uniformément sur le matériel moyen, en quelque sorte, d’une flotte exposée tout entière dans la gamme complète, normale d’un convoi constitué de gros et de moins gros navires. Ce facteur non négligeable, de prélèvement sélectif, entre plusieurs, et qui contribue à renforcer l’importance, pour notre propos, de l’accident incriminé.
223L’Invincible, enfin, aura, au cours de l’année 1587, agi, nous en sommes persuadés, d’une manière différente : par l’excès même de confiance qu’on a mis en elle. Comment aurait-on, raisonnablement, pu douter du succès de la prodigieuse machine conçue et mise sur pied par le général Alvaro de Bazan, le père du gros navire ? Personne n’en doutait. N’a-t-il pas fallu, au vrai, un concours aussi inimaginable qu’imprévisible de circonstances pour que l’entreprise en vînt à échouer : la mer... et la mort de son créateur quelques mois avant l’heure, la mort trop précoce d’Alvaro de Bazan.
224Henri Lapeyre s’est fait, tout récemment, encore, on l’a vu164, l’écho de l’optimisme, des milieux d’affaires, parmi les plus représentatifs de l’Espagne négociante et — risquera-t-on l’anachronisme ? — patriote, au cours de ces longs mois de préparation et d’attente. Cet optimisme bien saisi en un point, mais dont on ne peut généraliser la leçon, exerce une double action dépressive. Avant, dans les mois qui précèdent, tout d’abord. Dans l’expectative d’une destruction totale prochaine de la puissance navale anglaise, un optimisme excessif conseille d’attendre la victoire qui, nul n’en doute, balayera de l’Océan la présence anglaise.
225Il n’est donc pas paradoxal d’avancer qu’au cours de 1587, l’optimisme de l’Armada qui monte sera venu prendre le relais inhibant du choc destructeur du 29 avril... inhibition de motivation exactement inverse, d’ailleurs.
226Optimisme dangereux, pour l’avenir, aussi. La chute de potentiel psychologique, de tonus, face à l’entreprise économique dans la Carrera aura été d’autant plus dévastatrice après l’échec que les espoirs mis dans sa réussite, auront été plus grands. C’est bien là, ce que l’on observera, au cours de la dernière fluctuation, enserrés, d’ailleurs, dans un réseau d’enchaînements plus complexes qu’on ne le croirait, d’abord. Le passage de l’Invincible Armada entraîne donc, pour la Carrera, deux temps morts, celui qui la précède et celui qui la suit. Ajoutons qu’il est plus facile, dans l’état présent de nos documentations, de mesurer l’influence des pertes accumulées du raid de Drake sur Cádiz et de l'Invincible Armada sur la Carrera, que de chiffrer exactement ces pertes elles-mêmes.
2. D’autres facteurs internes
227S’il n’y avait que le creux de 1587 et celui que forme l’ensemble 1587-1588165, on pourrait l’attribuer, intégralement, au facteur extérieur ou, du moins, pour l’essentiel, extérieur à la Carrera, de la guerre hispano-anglaise. En fait, il n’en est rien, et le creux qui s’annonce brutalement, aussitôt après la crête de 1586 et le haut plateau des années 1584-1586, se prolonge en une puissante dépression qui va, au moins, jusqu’en 1592. On s’efforcera de la délimiter et de la définir.
228C’est pourquoi, on sera avisé de ne pas dissocier totalement dans l’analyse que l’on consacrera, le creux essentiellement accidentel, bien sûr, de 1587-1588, de la demi-dépression des années suivantes. Les causes qui s’appliqueront à l’explication d’une dépression relative de quelques années, peuvent avoir joué, tout de suite, masquées, si on veut, par l’accident qui, de toute manière, aurait bien risqué tout emporter. Puisqu’aucune prospérité ne pouvait, pratiquement, résister, dans l’immédiat, à pareil concours.
229Mais le creux profondément dessiné de 1587 ne se limite pas à un an. Dans la mesure où, comme on vient de le voir166, il s’étale au moins sur deux ans — sans qu’on puisse douter de sa vigueur et de la profondeur de la dépression qu’il commande — il est peu vraisemblable donc, en raison même de cette position qu’il soit uniquement imputable à des facteurs extérieurs, politiques et militaires. On a trop vu, en effet, en d’autres circonstances, combien le négoce, lorsqu’il était animé par une conjoncture élevée, savait dépasser des difficultés externes. Il n’y parvient pas, dans ce cas : 1587 et 1588 sont situées dans le même axe, qui plus est, la dernière fluctuation primaire envisagée dans son ensemble est une fluctuation déprimée. La conjoncture de 1587 se prolonge donc à travers toute la dernière fluctuation jusqu’en 1592. 1587 annonce autant qu’il réalise une situation nouvelle. Cela ne peut être purement accidentel. Cela ne peut guère être imputable qu’à une puissante pulsation interne du mouvement.
230a. L’essoufflement naturel. — La réalité, tout jusqu’à ce jour a prouvé, qu’après plusieurs années de haut degré d’activité, le mouvement, de lui-même, tendait, naturellement, à reprendre son souffle. En 1587, le haut degré d’activité — à tel point, même, que les niveaux atteints jamais égalés ne le seront plus guère qu’une fois, peu avant le renversement de la tendance majeure — a duré plusieurs années, déjà. Beaucoup plus, en fait que trois ans. On a vu, en effet, qu’une partie du temps placé vers la fin de la première fluctuation primaire, ressortissait déjà à une conjoncture haute entravée par des facteurs externes, cette conjoncture haute, si elle ne parvenait pas à s’exprimer en volume, s’exprimait, du moins, très bien, en valeur. Après cinq ans, au moins, d’expansion, la contraction est normale, puisque marquée par une certaine anticipation de l’offre, par rapport à la demande — indienne en l’occurrence — elle doit bien provoquer nécessairement, à la longue une certaine réduction des marges bénéficiaires, amenant ainsi un autofreinage du mouvement au départ. Autofreinage sur les départs..., autofreinage, plus encore, peut-être, on le verra, à partir de 1588, sur les Retours et tout au long de la troisième fluctuation primaire du cycle.
231Qu’est-ce à dire, si ce n’est que la masse énorme des Retours, tout au long de la fluctuation primaire, clef de voûte que l’on vient d’étudier, a dû finir par provoquer à son tour, un phénomène d’autofreinage comparable à celui qu’on vient de signaler à l’Aller. Il serait déclenché, selon notre hypothèse, précisément, juste après les Retours anormalement élevés de 1587. Les 30 000 toneladas, ou presque, de 1587, auront fait déborder le vase, ils auront dépassé ce que pouvait raisonnablement absorber le marché espagnol et européen en produits d’Amérique ; après une longue période de suralimentation, 1587 et ses 30 000 tonneaux auront provoqué l’indigestion. A partir de 1588, le niveau des Retours s’amenuise radicalement, en effet, par rapport aux Allers en raison de cette indigestion et par l’épuisement physique des réserves des Indes en tonnage disponible. Beaucoup plus encore que le niveau des Allers, le niveau des Retours est affecté.
232Comment expliquer cette brutale distorsion ? Elle est, sans doute, imputable • à un mécanisme analogue à celui qui anime les Allers, au niveau de ces mêmes années... un excès d’exportation provoquerait l’engorgement après une longue période de prospérité. Et cela, d’autant plus que la masse inaccoutumée des Retours de 1583 à 1587 a été commandée au premier chef, par les exceptionnels besoins en tonnage de l’Espagne, entendez un appel, une mobilisation pour le tonnage et non pour ce que ce tonnage transportait. On peut supposer, en effet — ne serait-ce que pour une raison évidente d’économie ? — que le tonnage inhabituel des Retours au cours de la période 1583-1587 s’est soldé par un niveau inhabituel des marchandises indiennes exportées d’Amérique, en direction d’Europe..., à tel point qu’au-delà de 1587, on peut légitimement déduire, qu’il y a eu, sur le marché espagnol, pléthore et indigestion de produits d’Amérique.
233Le mouvement Retours, comme celui des Allers, après un plateau haut anormalement étalé, se serait donc, en partie, terminé de lui-même, par auto-engorgement..., en Espagne et en Amérique. En ce qui concerne les Retours, on peut se demander même, dans quelle mesure, cette hypothèse de bon sens ne trouve pas dans le comportement des prix, quelques éléments de vérification. Les prix de douanes de Séville167 ne sont pas d’une souplesse suffisante pour permettre, à court terme, une vérification valable, mais la remarquable étude de Earl Jefferson Hamilton168 ; une fois de plus, vient à notre secours. Certes, on ne trouve pas dans ses « group price movements », la catégorie cherchée des produits des Indes, mais on peut, vraisemblablement, leur substituer les « spice prices ».
234Simple hypothèse, bien sûr..., difficilement justifiable, peut-être, que de lier le destin des épices orientales aux produits importés des Indes. Ce serait impliquer une assimilation injustifiée entre des éléments différents. Il y a pourtant, on l’a vu, à côté de l’épicerie orientale dominante, une épicerie occidentale169, qui n’est, le plus souvent, que produits de remplacement de moindre prix. Il y a toute une pharmacopée, notamment..., et les épices orientales, elles-mêmes, ne sont-elles pas un peu pharmacopée aussi utilisées bien souvent, à des fins pharmaceutiques et médicales ? Dans ces conditions, et jusqu’à preuve du contraire, on peut estimer qu’il y a une forte présomption en faveur de l’identité de comportement des « index of spice prices » de Hamilton et des prix des marchandises amérindiennes dans la péninsule. Une vérification s’impose, de toute manière, à titre de simple épreuve. Elle est concluante, et par sa conformité même avec ce qu’on attend a priori, elle crée une présomption favorable en faveur de l’identité de comportement des prix des épices et des prix des produits amérindiens qu’on avant supposé au point de départ.
235A partir de 1588, pour les épices170 en Andalousie, les indices des prix passent en dessous de la courbe générale ; il en va de même à l’intérieur de l’espace Vieille-Castille-Léon, dès 1581-1582, de la Nouvelle Castille dès 1586-1587, et dans ces derniers cas, celui de la Nouvelle Castille, surtout, la dépression relative est prodigieusement dessinée. De tout ceci, une certitude découle, il y a renversement, par rapport à la moyenne générale des prix, dans la péninsule, pour les épices (supposées représentatives de la marche d’ensemble à la demande des produits coloniaux sur les marchés d’Europe) dès la seconde demi-décade des années 1580.
236De cette constatation précieuse, le schéma suivant semble susceptible de bien découler, dans la mesure où il peut servir de pont explicatif : l’anomalie positive du mouvement volumétrique des Retours a été commandée par deux facteurs. Un groupe de facteurs est certain : ce sont les facteurs extérieurs au mouvement des Retours, les besoins en tonnage « politique et militaire » importants, en Espagne, la conjoncture forte des Allers, dans la première moitié de la décade. La conjoncture des Allers, par rapport aux Retours, peut être considérée stricto sensu, comme facteur exogène, d’une manière un peu formelle. Un groupe de facteurs est simplement probable : des prix « coloniaux » particulièrement élevés, en Espagne, semble-t-il, avant 1585171 ont dû attirer à eux, du tonnage d’Amérique.
237Tout cela, jusqu’à un engorgement que deux éléments permettent de supposer laissent penser comme probables : les prix des épices172, l’effondrement des Retours, après 1587173. Cet effondrement et l’engorgement qui le cause, en partie, sont dus à un excès d’exportation d’Amérique en direction de l’Europe : excès d’exportation que l’on peut considérer un peu, comme le sous-produit des besoins anormalement élevés de l’État et de la Carrera, en tonnage de prestige, en tonnage politique prélevé sur les réserves indiennes.
238Un peu partout, donc, tant aux Indes qu’en Espagne, on passe par le jeu interne même des marchés d’une conjoncture haute à une conjoncture basse. Le passage sera, cela va sans dire, d’autant plus spectaculaire que le jeu naturel se trouvera renforcé — comme c’est le cas, ici-— par toute une série concordante de pressions extérieures.
239b. L’action concordante du prix. — Ce passage naturel d’une conjoncture haute à une conjoncture basse est, à l’ordinaire, indissociable, qu’on l’envisage sur le volume des échanges ou sur le mouvement des indices des prix. Une fois de plus, la règle se vérifie. Le mouvement des prix andalous, surtout, dessine, on l’a vu, avec dix-huit mois, environ, d’anticipation sur les volumes des trafics dans l’Atlantique transversal, une courbe identique à cette dernière. 1587 est au point bas174 de la courbe des indices andalous. Une fois de plus — sans plus trancher, on le reconnaît —, les prix viennent épauler le mouvement des trafics. On se souvient, suivant les lignes, en gros, de quels modèles, cette relation peut se concevoir. Des capitaux disponibles pour le grand négoce se forment, pensons-nous, particulièrement en période de hauts prix. Les hauts prix agissent, ainsi, en épaulant le trafic à un an, dix-huit mois, deux ans d’intervalle. En 1587, l’action bénéfique des hauts prix des années 1582-1585 s’est définitivement estompée.
240Ainsi un changement conjoncturel majeur se sera produit entre 1586 et 1587, dû à des causes extérieures, pour l’essentiel, mais pas uniquement externes, à des causes internes aussi. La preuve, du moins, une présomption de preuves se trouve dans la passivité dont semble témoigner le négoce de Séville, à travers la correspondance de la Casa de la Contratación175, en face d’aussi graves difficultés. Le négoce donne à tort, peut-être, l’impression de s’être laissé vaincre sans grande résistance.
241Quand faut-il, d’une manière plus précise, placer ce renversement de tendance ? On manque d’éléments absolument sûrs pour une bonne localisation. On situerait volontiers la crise plus tôt que les apparences du découpage annuel ne le laisseraient à penser, entendez dans le second semestre de 1586, au moment même de la flotte de Terre Ferme de Don Miguel de Eraso176, dont le départ tardif de San Lúcar (le 22 octobre 1586) suscite les inquiétudes de la Casa de la Contratación. Convoi immense, convoi surchargé, dit-on, convoi tardif..., tout cela suffit à créer une présomption en faveur d’une conjoncture très forte entrain de tourner. Le convoi de Don Miguel de Eraso constituera vraisemblablement la masse excessive qui fait basculer une conjoncture parvenue au-delà de son optimum et atteinte de gigantisme... Et puisque le retard des convois — de plus en plus marqué au fur et à mesure qu’on avance dans le cours de l’année 1586 — peut exprimer, entre autres, l’apparition d’une certaine gêne, il est prudent de placer le renversement du tonus conjoncturel dans le Guadalquivir au cours du troisième trimestre de 1586, et cela indépendamment d’événements politiques et militaires, dont nul ne peut songer raisonnablement à diminuer l’importance.
242C’est pourquoi 1587, année frontière à l’intérieur du cycle entre la seconde fluctuation triomphante et la dernière fluctuation déprimée, appartient beaucoup plus, déjà, à cette dernière qu’aux prospérités pour longtemps révolues des années 1584,1585 et 1586.
Notes de bas de page
1 Cf. t. III, p. 324 à 412.
2 Cf. t. VII, p. 42-43 sq.
3 Cf. ci-dessus, p. 659-672.
4 D’autant plus légitime que le chiffre vrai de 1584 correspond assez sensiblement (22 840 toneladas) au chiffre moyen de la deuxième fluctuation du sommet, 19 507,5 toneladas, compte tenu du creux cyclique accidentel de 1587.
5 D’autant plus légitimement que comme pour les Allers et plus encore, le niveau des Retours vrais de 1584 est très proche du niveau annuel moyen de la seconde fluctuation cyclique de 1584 à 1587, soit 82 3/4 unités au lieu de 86 navires, 21339,9 toneladas au lieu de 20 722,5 toneladas.
6 Pour les Allers et retours, également, on notera à quel point le niveau de 1584 est proche d’emblée, du niveau moyen de la seconde fluctuation primaire, soit 161 navires (pour 1584), 163 (pour le niveau annuel moyen de l584 à l587), 43 562,5 toneladas (pour 1584), 40 847,4 toneladas pour le niveau annuel de 1584 à 1587.
7 Cf. ci-dessous, p. 609-672.
8 Les séries almojarifazgo font défaut, quant à l’avería Allers, nos comptes présentent une acune sur trois ans de 1585 à 1587. Cf. notamment t. VI2, table 226, p. 471.
9 Cf. ci-dessus, p. 671-672,691-694.
10 Corrobore parfaitement ce point de vue et justifie, par conséquent, le jugement précédemment porté, une mise en parallèle judicieuse des valeurs et des volumes entre 1584 et 1582. Pour un mouvement à peu près analogue, encore que légèrement inférieur, 1582 (avec 73 navires 20 440 toneladas, dont 9 200 pour la Nouvelle Espagne et 1 490 pour les îles) aligne au départ une valeur fiscale présumable de 2 079 736 000 maravedís, contre un peu moins de 1 909 996 342 maravedís pour un volume un peu supérieur pourtant, en 1584, 75 navires, 22 840 toneladas (dont 10 353 toneladas pour la Nouvelle Espagne, 11 247 toneladas pour la Terre Ferme, 1 240 toneladas pour les îles).
11 Cf. ci-dessus, p. 659-672.
12 Cf. t. III, p. 292-296.
13 Cf. t. III, p. 306, sous le commandement de Don Diego Maldonado.
14 Cf. t. III, p. 330-331, note 1.
15 Cf. t. III, p. 332 et 336, note 1.
16 Cf. t. III, p. 330, lettre du 28 juin 1583, Ct. 5168, lib. V, fo 219.
17 Cf. t. III, p. 324.
18 La Nouvelle Espagne n’avait vraisemblablement jamais bénéficié d’une telle masse (cf. t. VI1, tables 165 et 166, p. 364-365).
19 Cf. t. III, p. 340 et 346, note 1.
20 Cf. t. III, p. 340, 341, no 1 à 21.
21 Cf. ci-dessus, p. 671-672 ; 691-694
22 Cf. ci-dessus, p. 659-672.
23 En raison des lacunes de la série, cf. EJ. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 198.
24 Cf. ci-dessous, p. 694-701.
25 Cf. ci-dessus, p. 609-672.
26 Cf. t. III p. 346, note 1.
27 « La tierra es muy perdida, sin un real y llena de ropa. » Cf. ibid.
28 Le précédent convoi, celui de Don Diego Maldonado (cf. t. III, p. 306 sq.) parti le 7 avril 1582 avait atteint Nombre de Dios après un assez long séjour à Carthagène des Indes, le 24 juillet de la même année.
29 Cf. t. III, p. 324-325 et 326-327.
30 Cf. t. VIII1, p. 480.
31 En suivre le détail dans le texte de la note 1 (t. III, p. 347).
32 Cf. t. VI1, table 182, p. 384.
33 Cf. ci-dessus, p. 493-672.
34 La phobie anticanarienne, forme particulièrement expressive, ici, de la xénophobie sévillane, comme toute forme de xénophobie dans l’hypothèse de structures stables — or, aucune modification grave n’est intervenue, au cours de ces années — constitue un excellent réactif de la conjoncture..., parce que, sensible, à une certaine atmosphère de difficultés.
35 Dans la seconde hypothèse, celle d’une, ventilation sur les deux ans.
36 Que l’on se reporte, par exemple, à la densité d’accidents dus à des causes météorologiques, mais, peut-être, aggravés aussi par la fatigue du matériel, dont le convoi, la deuxième flotte de Terre Ferme de Don Antonio Osorio, parti au début de décembre 1584, a été la victime (cf. t. III, p. 349-350, note 25).
37 Cf. t. III, p. 340 et 344 ; t. VI1, tables 18 à 128, p. 178 à 320.
38 Cf. t. VIII1, p. 290-311.
39 On pense à 1608, par exemple, cf. p. t. IV, p. 248 sq.
40 Cf. t. III, p. 349.
41 Cf. t. III, p. 344.
42 Cf. ci-dessous, p. 717.
43 Cf. t. VI1, table 134, p. 332.
44 Soit, malgré la pointe manifestement due, on l’a vu longuement, à un accident du découpage chronologique annuel, le pourcentage encore extrêmement élevé par rapport à la normale, de 47,57 % du mouvement annuel global.
45 Cf. t. III, p. 352.
46 Cf. t. III, p. 352.
47 Cf. t. III, p. 356.
48 Cf. t. III, p. 344-347 d’une part, et p. 352-357 d’autre part.
49 Cf. t. III, p. 341.
50 Cf ci-dessus, p. 706-707.
51 Cf. t. III, p. 348, note 6.
52 Compte tenu bien entendu, du caractère « fonctionnellement » geignard du ton des marchands dans leurs adresses au Roi en son Conseil, un Consejo, jamais pensé, totalement en dehors d’un lourd contexte fiscal.
53 Cf. t. III, p. 349, note 25.
54 Cf. ci-dessus, p. 712-713.
55 Cf. ci-dessus, p. 716.
56 Cf. t. III, p. 348, note 6.
57 Cf. t. III, p. 349, note 25.
58 Cf. t. III, note 25, p. 349-350.
59 Même le nègre, comme tout produit cher, est affecté (cf. t. III, p. 350, note 25), l’écoulement en est encore assuré et largement assuré à Carthagène, mais les coins ont baissé, et il a suffi pour cela, d’un supplément inopportun — tout, ici, est question de point de vue et d’environnement — de trois navires négriers pour passer de l’extrême facilité à une facilité moindre. Extraordinaire minceur, extraordinaire fragilité de ces prospérités — à la mesure de ces économies — qu’une fragile caravelle, au gré du vent, déplace.
60 Cf. ci-dessus, p. 177-180, 244-250.
61 Tout cela apparaît, parfaitement, corroboré et éclairé par l’étude en superposition, déjà esquissée, des courbes respectives des mouvements volumétriques et en valeur.
62 Cf. ci-dessous, p. 722 sq. ; pour très peu de temps, puisque dès la troisième fluctuation primaire, les courbes valeur et volume s’écartent à nouveau, comme prévisible, a priori, au cours d’un nouveau goulot des tonnages.
63 Cf. ci-dessus, p. 717-718.
64 Cf. t. III, p. 360-361. Une seule flotte de Nouvelle Espagne démesurément gonflée.
65 Cf. t. VI1, table 141, p. 339 ; table 163, p. 362.
66 1582, mis à part, on a vu pourquoi (cf. ci-dessus, p. 651-659).
67 Il importe de noter, toutefois, que le creux serait plus sensible (cf. t. VI1, table 182, p. 384) si on se bornait à envisager la série des navires marchands de Séville (sur laquelle on passe de 72 à 55 navires, de 21 590 toneladas à 15 195 toneladas de 1584 à 1585), cette série que l’on a coutume de considérer comme occupant au départ une position dominante. Comme en 1583, l’année du creux qui sépare la première et la seconde fluctuation primaire..., il y a poussée importante du mouvement caditain..., un peu comme si des départs autonomes de Cádiz étaient d’autant plus facilement admis que les gens de Séville se révèlent plus incapables de faire face aux besoins de l’Amérique. A partir de 1585, Cádiz participera plus régulièrement... L’ampleur brusquement accrue du mouvement — elle répond, elle-même, à la croissance des besoins aux Indes — et l’évolution du trafic ont eu raison de la résistance de Séville (cf. t. VIII1, p. 312-329).
68 Cf. t. III, p. 352-353.
69 Et le décrochage à peu près fatal avec le maintien du niveau des Retours, trois années consécutives à semblable altitude, se situe entre 1585 et 1586 seulement... soulignant mieux encore la position véritable en altitude des Retours de 1585.
70 Cf. t. III, p. 372-373.
71 Cf. t. III, p. 374-375.
72 Cf. t. VI1, table 137, p. 335.
73 Cf. t. VI1, table 141, p. 339.
74 Cf. ci-dessus, p. 703-704, t. VI1, table 157, p. 354 ; table 163, p. 362.
75 Cf. ci-dessus, p. 735-753.
76 Cf. ci-dessus, p. 733-735.
77 Cf. t. III, p. 360-361.
78 Ibid.
79 Cf. t. VI1, table 166 et 167, p. 365 et 366.
80 Cf. t. III, p. 364-365, note 1.
81 Ct. 5107, cf. t. III, p. 364, note 1.
82 T. III, ibid., p. 364.
83 Cf. t. III, p. 365.
84 T. III, ibid., p. 365, note 1.
85 E.J. Hamilton, 1501-1650, op. cité, p. 198.
86 Question de méthode, plus que solution de fait. Tout en conservant le minimum d’humour nécessaire à l’égard de nos hypothèses de travail, on s’efforce ici, de sonder jusqu’à ses extrêmes limites, les possibilités d’une méthode qui, pour l’essentiel, reste à définir et à délimiter..., dans l’espoir qu’une fois arrêtée, elle pourra s’appliquer, ailleurs, dans des circonstances meilleures, partant avec plus de succès.
87 Cf. ci-dessus, p. 682-686.
88 Cf. ci-dessus, p. 711-714. Jouerait, alors, l’effet de freinage dû à la pointe cyclique du prix elle-même.
89 Cf. t. III, p. 378 379.
90 Cf. ci-dessus, p. 713-716.
91 Cf. t. III, p. 349-350, note 25 et cf. ci-dessus, p. 727.
92 Henri Lapeyre dans son grand livre cité, fait, plusieurs fois, la même constatation en ce qui concerne les bénéfices qu’un marchand-cambiste peut attendre d’un transport aller-retour de fonds d’une place à une autre. Cette incertitude qui existe, à la même époque, entre places proches d’une Europe bien balisée et fortement humanisée, comment ne la retrouverait-on pas beaucoup plus grande encore, dans des circuits d’échanges s’étalant sur des années et des dizaines de milliers de kilomètres, avec les incertitudes énormes des transports maritimes à longue distance, la mer et ses périls ?
93 Cf. ci-dessous, p. 1305-1318 : en 1609, notamment.
94 Cf. t. III, p. 366.
95 Cf. t. VIII1, p. 768-798.
96 H. Lapeyre, Les Ruiz, op. cit., p. 421.
97 Cf. t. III, p. 364.
98 Ce serait faire preuve d’une extrême naïveté, la prévision du passé est facile, celle du futur pour les hommes, individus et collectivités, immergés dans le présent, par définition incertaine et chanceuse. Il est rare, enfin, qu’on fasse preuve d’imagination et l’événement tragique prend presque toujours au dépourvu. Mais, c’est plus particulièrement le cas ici. La surprise, en l’occurrence, pourtant, est loin d’être sans intérêt. Ne témoigne-t-elle pas d’un optimisme ambiant, d’un milieu qui n’arrive pas à croire à la nouveauté du péril ?
99 Cf. t. III, p. 365, note 1, d’après Ct. 5107, San Lúcar, Antonio de Velasco, à C.C., 10 juin 1585.
100 Cf. t. III, p. 369, note 1.
101 Cf. ci-dessus, p. 726-732.
102 Cf. t. III, p. 378-379.
103 De toute manière, il ne saurait y avoir de coefficients de conversion valable pour toute une époque même restreinte dans le temps. Chaque armada pose un problème qu’on ne peut espérer résoudre, individuellement, plus ou moins bien, avec plus ou moins de certitude et de rigueur, au prix de beaucoup de tâtonnements, dans le cadre d’un empirisme toujours renouvelé.
Telles sont les servitudes de l’ère préstatistique. Elles expliquent, si elles ne les excusent pas toutes, les lenteurs de notre démarche. Ne faut-il pas pour avancer avec un minimum d’indispensables réajustements.
104 Cf. ci-dessous, p. 768-773.
105 Cf. t. VI1, table 182, p. 384.
106 Cf. t. VI1, table 182, p. 384, deuxième et quatrième colonnes seulement.
107 Ibid., deuxième, quatrième et cinquième colonnes, seulement, à l’exclusion des navires d armada et des négriers qui ne sont pas encore envisagés comme tels à cette époque.
108 Cf. ci-dessous, p. 755-757.
109 Cf. t. VI1, table 161, p. 359.
110 On appréciera la différence substantielle sous cet angle, entre la position de 1586 en Retours, et celle en Allers de 1585. Toutes deux constituent des ensellements, l’ensellement Allers de 1585 se répercutant et engendrant, d’ailleurs, Tensellement Retours de 1586. 1585, avec 18 945 toneladas est, par rapport à la position correspondante du trend, à 98,38 %, 1586 avec 15 285 toneladas, en Retours, est, par rapport à la position correspondante du trend, à 104,43 % Cette différence exprime, à sa manière, le dénivellement considérable des planchers respectif différents du mouvement Allers et du mouvement Retours, entendez l’anomalie positive de Retours, tout au long de la fluctuation médiane.
111 Cf. t. VI1, table 159, p. 356.
112 Cf. t. VI1, table 137, p. 335 ; table 141, p. 339.
113 Cf. ci-dessus, p. 722-735.
114 Cf. ci-dessus, p. 726-728.
115 Cf. t. III, note 1, p. 369.
116 Cf. ci-dessous, p. 744 sq.
117 Cf. ci-dessus, p. 735-742, t. VII, p. 72-73.
118 Cf. t. III, p. 388, note 13.
119 Cf. t. III, p. 378.
120 Cf. t. III, p. 369.
121 A apprécier, en comparant avec les temps moyens des séjours, tels qu’ils se dégagent des tableaux statistiques. Pour les convois allant en Nouvelle Espagne, la comparaison du temps moyen de 91 jours (de San Lúcar à la Vera Cruz, t. VI1, table 18, p. 178) et de 75 jours (de Cádiz à la Vera Cruz, t. VI1, table 19, p. 178). Pour les convois allant en Terre Ferme, de la comparaison, dans les mêmes conditions, du temps moyen de 92 jours (de San Lúcar à Nombre de Dios, Puerto Belo, t. VI1, table 20, p. 182) et de 75 jours (de Cádiz à Nombre de Dios-Puerto Belo, t. VI1, table 21, p. 182). Soit un séjour moyen de 16 joins environ, au lieu de 48 jours en 1586.
122 Cf. ci-dessous, p. 725-735.
123 Cf. EJ. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 198.
124 Ibid., p. 198.
125 Ibid., p. 198.
126 Ibid., p. 198.
127 H. Lapeyre, Les Ruiz, op. cit.
128 Relations dont la correspondance de la Casa de la Contratación nous a, de son côté, fourni mille preuves. T. VIII1, p. 251-253.
129 Que le parcours soit fait uniquement par terre, ou qu’il y ait pour le Léon emploi simultané d’un cabotage Andalousie-Cantabrique.
130 Les produits agricoles pondéreux sont, de toute manière, pratiquement exclus.
131 Cf. ci-dessus, p. 177-180, etc.
132 EJ. Hamilton, op. cité., p. 189, 191, 198, 200, 215, 216.
133 La répétition ne peut découler, plus évidemment, encore, dans ce domaine, le politico-militaire, que dans l’économique, que d’un effet des grands nombres. La minceur des masses humaines mises en cause est un facteur, donc d’irrégularité. La répétition ne joue bien, la loi statistique n’émerge facilement de libres arbitres additionnés, qu’à la condition d’avoir bien affaire à de véritables grands nombres.
134 Cf. ci-dessus, p. 747-748
135 Ibid.
136 Cf. ci-dessus, p. 748.
137 On trouvera, enfin, une espèce de résumé et de confirmation de toutes ces corrélations, dans une comparaison établie entre le mouvement global et les « index composés des prix argent » (cf. EJ. Hamilton, op. cité, p. 403).
Même plateau avec point culminant en 1585, même chute sur 1586, de l’indice 111,35 à l’indice 106,62. La relation sera plus évidente, encore, si on substitue aux indices eux-mêmes, leurs pourcentages d’écart à la moyenne (cf. t. VI1, table 163, p.362). Le plateau de prix hauts va, on s’en souvient, de 1582 à 1585 : 101,54 %. 102,09 %, 102,18 %, puis c’est la chute avec les 97,20 % de 1586.
On sera sensible à la concordance qui existe entre les deux séries. La pointe du trafic, venant exactement s’inscrire dans le creux de relâchement de 1586 qui suit la pointe d’expansion cyclique des prix de 1585.
138 Nous avons dénoncé une fois, au moins déjà, ces silences relatifs par excès de connaissance générale, à propos des techniques des douanes à Séville (cf. t. premier, p. 78).
139 Un résumé incomplet dans les notes aux tableaux du t. III.
140 Cf. t. VI2, tables 602 sq., p. 862 sq.
141 Cf. t. VI1, table 182, p. 384, 21 navires, 7 340 toneladas.
142 Cf. t. III, p. 378-381, nos p, q, r, s.
143 Cf. t. III, p. 382-393, nos t à u.
144 Ibid., p. 378 à 387.
145 Cf. t. III, p. 382-395.
146 Cf. t. VI2, tables 602 sq., p. 862 sq. ; cf. t. III, p. 392-395.
147 Il ne faut pas omettre, en effet, que, submergés dans le flot du présent, ceux qui se sont engagés dans les événements n’ont nécessairement qu’une vision médiocre de l’avenir. Quelles que fussent les craintes nourries en 1586, nul ne pouvait prévoir et nul ne prévoyait l’ampleur des désastres de 1587 et 1588. Bien au contraire, on en a des preuves tangibles. Quant à la réussite de l’Invincible Armada, par exemple, qu’une série de circonstances météorologiques fâcheuses ont contribué à faire échouer, Henri Lapeyre a bien montré combien les milieux d’affaires de l’Espagne en doutaient peu, quels espoirs suscitaient ces préparatifs désirés et presque unanimement acceptés. Il faut toujours faire un effort sur soi-même pour imaginer combien les contemporains du passé, comme nous-mêmes face à l’avenir, ont été sans lueurs vraies possibles sur un futur pour eux, pour nous passé, partant aussi connu qu’il fut réellement ignoré.
148 Cf. ci-dessus, p. 722-723.
149 Cf. t. III, p. 372.
150 Cf. t. III, p. 414.
151 Cf. t. III, p. 412.
152 Ibid., p. 412. On a vu, maintes fois, en effet, que les Retours étaient normalement, structurellement, substantiellement inférieurs aux Allers ; une disparition accidentelle, presque totale, est, en Retours, monnaie beaucoup plus courante et facilement explicable qu’en Allers.
153 Cf. t. VI1, table 159, p. 356 ; t. VII, p. 52-53.
154 Cf. t. VI1, table 163, p. 362.
155 Cf. t. VI1, tables 144 à 158, p. 342 à 355, et t. VII, p. 50-51. Le contreflux est sensible notamment, surtout, sur les moyennes mobiles, de cinq, onze et treize ans en unités non pondérées.
156 Nous arrivons, en effet, à ce moment, de l’histoire de la Carrera, où nous nous croyons autorisés à établir pour dix ans, l’équivalence, tonelada, tonneau. Cf. t. VI1, table 129, p. 327.
157 On retrouve là l’effet de la chute radicale du tonnage unitaire moyen des navires après la saignée en gros navires de l’invincible, puisque face aux 129 navires de 1587, la demi-décade 1588-1592, aligne, en moyenne, 169,2 unités, soit un paradoxal progrès.
158 Cf. t. VI1, table 163, p. 362.
159 Dont il suffit de rappeler ces deux caractéristiques 38 768 toneladas et 109,16 %.
160 Cf. ci-dessus, p. 751-755 et t. III, p. 378 sq.
161 Cf. t. III, p. 378-387.
162 Cf. De simples éléments à critiquer dans les tables (t. VI2, tables 601-668, p. 861-975).
163 Ludwig Pfandl, Philippe II (traduction française de M.E. Lapointe, Paris, Hachette 1942, in-8), p. 426 sq.
164 Cf. ci-dessus, p. 753, note l.
165 Sans vouloir anticiper sur la présentation de 1588, on peut admettre d’emblée — on s’en expliquera avec plus de précision, bientôt — que les départs des deux années sont indissociables : ils sont commandés et animés par une même conjoncture, par les mêmes événements. Ce rapprochement nécessaire étant fait, le creux moins profond mais plus étalé subsiste avec un mouvement annuel moyen, hors tout, de 88 navires et 17 241 toneladas. Chiffre assez faible et chiffre qui, en l’occurrence, ne correspond pas à la réalité économique. La signification économique de ces deux années est beaucoup mieux exprimée encore par le niveau moyen des navires marchands de Séville ou des navires marchands du seul complexe andalou (Séville + Cádiz), qu’il ne l’est par l’ensemble Canaries comprises, soit un niveau moyen de 42 navires et 7 255 toneladas dans le premier cas, de 51 navires et 10 305 toneladas dans le second. Chiffres d’une parfaite éloquence, irrécusables les second surtout, et qui permettent de mieux apprécier la réalité du creux des années du raid sur Cádiz et de l’infructueuse Armada.
166 Cf. ci-dessus, note 1, p. 761.
167 Cf. t. VI2, tables 760-763, p. 1039 à 1055.
168 EJ. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 232.
169 Cf. t. VIII1, p. 574-577.
170 Toujours dans l’hypothèse, vraisemblable, on vient de le voir, mais sans plus, d’une identité, en gros de comportement, entre les arrivées des Indes et les prix des épices.
171 EJ. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 232.
172 Ibid.
173 Cf. ci-dessous, p. 773-776.
174 EJ. Hamilton, 1501-1650, op. cité, p. 198-200.
175 Cf. t. III, p. 400 sq.
176 Cf. t. III, p. 382 et 389.
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