Chapitre VIII. Le cycle royal de l’argent (1578-1592). Seconde fluctuation : les premiers niveaux records (1584-1587). Généralités
p. 673-701
Texte intégral
1Au seuil de la seconde fluctuation courte de ce « cycle de l’argent », les forces économiques qui, longtemps comprimées, travaillent, en profondeur, la Carrière des Indes, depuis bientôt deux ans, vont entraîner l’ensemble des expressions chiffrées du mouvement vers des niveaux jamais égalés au cours des siècles passés et tout proches déjà, des masses records des deux premières décades du xviie siècle. Tout milite en faveur de cette victoire, aussi bien des circonstances politiques exceptionnelles que, bien mieux, d’énormes forces économiques, un peu partout, sur les deux rivages de l’Atlantique. C’est cette réalité là qu’il nous faut, maintenant, suivre d’un peu plus près.
I. — L’EXPANSION : RÉALITÉ, FORME ET CARACTÉRISTIQUES DE LA SECONDE FLUCTUATION PRIMAIRE DU CYCLE
2Avant de l’expliquer, il importe, tout d’abord, de décrire et de mesurer l’exacte ampleur de cette seconde fluctuation primaire qui constitue le pilier central autour duquel tout ce cycle est construit : les niveaux de ces quatre ans sont les plus élevés de tout le cycle ; mieux, les niveaux moyens de ces quatre ans sont, à plus d’un égard, les plus élevés de tout le siècle. Sur les Allers et Retours, en tonnages non pondérés, par exemple, le niveau de la fluctuation primaire 1584-1587 n’est dépassé, et de bien peu, que par la fluctuation primaire 1601-1604, à la fin du cycle suivant, mieux, surtout, par la fluctuation primaire record 1608-1611, au rebroussement de la tendance majeure.
AU CŒUR DE L’EXPANSION
3De ceci, il résulte que tout le dynamisme du cycle — on a vu combien il était grand1 — est ramassé dans le seul temps de ces quatre années. Ce sont elles qui provoquent la rupture, après le long palier de près de dix ans qui précède la fluctuation, largement à cheval sur deux cycles ; elles, seules, sont responsables de la remontée des moyennes mobiles pour un long temps freinées, voire stoppées dans leur mouvement ascendant.
1. Une expansion ramassée
4A tel point même qu’on aurait pu — si on n’avait été soucieux, avant tout, de respecter les indications vraies du découpage annuel — proposer un autre découpage cyclique majeur. En prolongeant le cycle 1571-1578 jusqu’en 1582 ou 1583, après avoir englobé dans sa phase descendante tout le long plateau qui part de 1573 et se poursuit jusqu’en 1583, on aurait eu, après un long cycle de contraction relative, un cycle d’expansion qui, partant de 1583, se serait terminé en 1592.
5Cette solution aurait eu l’avantage, du moins, de donner un découpage chronologique plus homogène. Il aurait, en outre, réduit sensiblement, presque de moitié, le temps d’expansion. Mais, en fait, et c’est ce qui compte, ce déplacement, de 1578 à 1583, de la borne frontière cyclique n’aurait, pratiquement, pas diminué l’amplitude de l’expansion. Amputée de ces cinq premières années, la fluctuation cyclique aurait conservé toute sa vigueur, toute son amplitude... puisque c’est la seconde fluctuation primaire et elle seule qui assume toute l’expansion de cette fluctuation cyclique, par ailleurs si vigoureusement redressée.
2. Niveaux volumétriques
6Les niveaux annuels moyens des mouvements en volume, au cœur de ces quatre ans, prouvent clairement que c’est là que se situe le changement d’altitude : il suffit, en effet, de les comparer avec les niveaux des fluctuations primaires qui les précèdent et qui les suivent, entendez avec les moyennes des fluctuations courtes, soit du plateau, soit du premier tronçon d’expansion demi-séculaire, d’une part, soit de la dépression purement accidentelle, qui suit la lourde ponction effectuée par l’Invincible Armada.
7Pour donner tout son sens à cette comparaison, il conviendra de tenir compte du caractère tout à fait insolite du rapport des Allers et des Retours..., puisque l’expansion aura été, au cours de ces années, rendue possible par un véritable épuisement de tous les stocks des Indes, en armement. Il en va ainsi parce que l’armement n’a pu arriver, pour un temps, à faire face à la sourde et insurmontable pression d’un négoce en plein essor et, en fin de période, à l’entrée dans sa phase la plus aiguë du conflit hispano-anglais.
8Pour mieux le préciser, il importe d’analyser le mouvement, d’abord, dans ses axes fondamentaux.
9a. Allers. — De 1584 à 1587, en Allers (bien que ce soit sur ce mode d’expression que la victoire de la fluctuation cyclique médiane doive, nécessairement, s’exprimer de la manière la moins sensible, sinon la moins probante), la moyenne annuelle du mouvement s’établit à 19 507,5 toneladas, 80,25 navires, contre 18 617,5 pour l’ensemble du cycle, 15 839,4 toneladas, seulement et 53 2/3 unités de 1579 à 1585, lors de la première fluctuation primaire. Et si de 1588 à 1592, le palier annuel moyen du mouvement Allers, 114 navires et 20 683,8 toneladas, paraît un peu plus élevé, malgré un décrochement beaucoup plus faible par rapport au précédent (progrès de 5 % de la seconde à la troisième fluctuation, au lieu de 18 % dans le cas précédent de la première à la seconde fluctuation), cette anomalie est due à la dépression relative des Allers dans l’ensemble du mouvement, lors de cette seconde fluctuation et à un découpage chronologique peu favorable à la fluctuation médiane. Par rapport à tout ce qui précède, le niveau, par contre, n’a jamais été dépassé : 15 901,25 toneladas de 1576 à 1578, 17 894 3/4 de 1572 à 1575, 15 213 toneladas de 1564 à 1571... Mais c’est évidemment, sur les Retours, et a fortiori, sur les Allers et retours, que l’avantage du niveau moyen de la fluctuation centrale apparaîtra le plus clairement.
10b. Retours. — Sur les Retours, le niveau annuel moyen de la fluctuation médiane est de 50 % supérieur au niveau de la fluctuation qui la précède (1579-1583), de plus de 100 % à celle qui la suit (1588-1592), c’est-à-dire, 21 339,875 toneladas et 82 navires 2/3 contre 14 395,2 toneladas et 55 unités pour la fluctuation précédente, 10 476,8 toneladas et 55,2 unités de 1588 à 1592. Le progrès est du même ordre, considéré sur une série plus longue, en face des chiffres moyens des fluctuations précédentes de 1576-1578, 1572-1575, 1564-1571, soit 14 873,14 293,5 et 11441,5 toneladas. On voit ainsi, combien brusquement et combien souverainement, vigoureusement détachée par rapport à tout l’encadrement au sens large, apparaît la fluctuation primaire médiane 1584-1587 sur le mouvement Retours.
11c. Allers et retours. — Sur les Allers et retours, le dessin sera, peut-être, un peu moins brutal, mais d’autant plus significatif qu’il s’agit, cette fois-ci, de globaux. Le niveau annuel moyen de la fluctuation primaire centrale (163 navires, 40 847,375 toneladas) est de 50 % supérieur aux niveaux respectifs des fluctuations encadrantes de 1579-1583 et 1588-1592, soit 30 234,6 toneladas et 31160,6 toneladas. Sur le plateau des 30 000 toneladas s’alignaient encore des fluctuations primaires du cycle précédent 1576-1578, 30 774 1/3 toneladas, 1572-1575, 32 193,5 toneladas, voire même 1564-1571, 26 654,5 toneladas.
12En conclusion, une certitude se dégage de ces confrontations : quel que soit le grand axe volumétrique envisagé, la fluctuation 1584-1587 se détache sur une série de vingt années par un décrochement de l’ordre de 50 % comme un relief volcanique sur une surface d’érosion.
FORME ET MODALITÉ DE L’ACCIDENT
13L’importance de l’accident positif n’étant plus à démontrer, une question demeure, celle de la marche des séries et de leurs contours. Le mouvement volumétrique se présente, entre les creux initiaux et terminaux, sous la forme, en général, d’une double vague, avec un ensellement médian
1. Allers et globaux
14En Allers, et en Allers et retours, après le creux de 1583, creux absolu et creux relatif, on passe au point haut de 1584. Puis il y a rémission en 1585. Ces rémissions, toutefois, dans un cas comme dans l’autre, amènent le mouvement seulement à un point grossièrement intermédiaire entre le point haut de 1584 et le point bas de 1583. Puisque le creux relatif de 1585 a retenu comme dans un volant et consolidé une partie des positions atteintes, lors du premier sommet, il est naturel que le deuxième point haut, celui de 1586, constitue le point haut absolu de la fluctuation. Il est, d’ailleurs, pratiquement, par la même occasion, le point haut absolu de tout un siècle, de tout le xvie siècle, dépassé seulement, au cours de la première décade du xvii e siècle, la décade de tous les records. En 1587, c’est la chute spectaculaire commandée par le raid de Drake sur Cádiz2 par la saignée de l’Invincible3.qui" se prépare : creusée en Allers, surtout, elle entraîne les globaux dans sa disgrâce
15Ce rythme saccadé n’est que partiellement le fait d’une conjoncture économique pure, des exigences du rythme propre du négoce, il est, en partie, externe, exogène, si on préfère, simple reflet de la nouvelle biennalité des départs en direction de la Terre Ferme. Seule, une analyse minutieuse peut essayer d’en rendre compte. Le mouvement vrai apparaîtra, alors, comme le reflet plus ou moins fidèle d’un rythme économique profond ou mieux, comme un compromis résultant de l’impact du négoce sur la réalité de la mer et d’une guerre montante. Le résultat, on le sait, c’est ce rythme en dos de chameau de la fluctuation médiane dans le cadre du découpage annuel, première caractéristique qui s’impose en dehors de toute analyse préalable des Allers et, a fortiori, des globaux Allers et retours
2. Retours
16Le mouvement des Retours se présente sous un angle différent : le rythme en est moins creusé, l’écoulement, paradoxalement, plus étalé et le niveau, non moins paradoxalement, plus élevé. Les deux faits : altitude et relative régularité du flot sont, d’ailleurs, liés
17Dans la mesure où le négoce est gêné dans son développement par l’impuissance de la construction navale et de l’armement, sollicités de toutes parts, au-delà du possible, à répondre à la demande dans le Guadalquivir, le négoce exerce sur les retours des Indes, sur les navires, qui sont dans les ports d’Amérique, une sollicitation constante et irrésistible. Cet appel finit par commander le rythme même des Retours qui tendent à s’écouler, non seulement à un niveau4 dont on a déjà dit le caractère anormalement élevé, mais avec une régularité, une absence paradoxale de ces saccades profondes qui constituent, à l’ordinaire, on le verra plus tard, la réponse du mouvement Retours, à des phases d’insécurité militaire.
18Par rapport aux Allers, enfin, le mouvement des Retours est chronologiquement décalé d’une année environ, avec un hiatus qui va s’accentuant. La première pointe des Retours et celle des Allers coïncident au départ en 1584. Le creux médian de 1585, à l’Aller, se retrouve en 1586, aux Retours, la seconde pointe de 1586 à l’Aller, en 1587 aux Retours et le creux de 1587 à l’Aller se retrouve en 1588, aux Retours mais très atténué. La fluctuation des Retours, d’abord grossièrement synchrone, s’étire, donc, pour présenter, par rapport aux Allers, ce décalage d’un an, qu’on peut considérer comme normal. Ce décalage est d’autant plus symptomatique qu’il fait suite, non seulement à une phase de paradoxal synchronisme des deux mouvements, mais, mieux, à une phase de paradoxale anticipation du rythme des Retours, à la fin, on l’a vu de la première fluctuation primaire du palier de 1579 à 1583. Ce glissement de la vibration des Retours par rapport à la vibration des Allers, ou si on veut d’une position prodigieusement anticipée à sa position normale, annonce, entre autres, un effacement progressif à la charnière de la seconde et la troisième fluctuation primaire du rôle des Retours, paradoxalement, moteur, pour un temps, de l’ensemble des mouvements.
L’AMPLITUDE
19Le rythme, enfin, des variations des mouvements ou, si l’on veut, leur amplitude, sans entrer dans l’analyse plus détaillée qu’une telle affirmation nécessitera ultérieurement, est, sans conteste, d’une vigueur peu commune.
20On s’en convaincra aisément, non seulement, en comparant le niveau des sommets cycliques (1584, 1586 en Allers et en Allers et retours, 1584 et 1587 en Retours) aux creux encadrants de la fluctuation primaire (respectivement 1583 et 1587 pour les Allers et Allers et retours, 1582 et 1588 pour les Retours). Ne trouve-t-on pas alors, sur la série la plus probante, celle des globaux Allers et retours — celle-là, pourtant, où les écarts, parce que balancés, sont moindres — un pourcentage d’accroissement (1586 par rapport à 1583) de l’ordre de 67,2 %. La contraction de 1586 à 1587, du sommet au creux de la fluctuation, reste du même ordre, par rapport au niveau du creux de 50 %. Beaucoup plus marquées, mais beaucoup plus difficiles d’interprétation, expansions et contractions des autres mouvements seront laissées de côté. Celles des Allers et retours suffisent pour la première approche.
21D’autant plus que cette leçon est parfaitement confirmée par une contre épreuve beaucoup plus probante, encore, la contre-épreuve des pourcentages d’écarts à la moyenne mobile de treize ans5 En pourcentages, l’écart n’aura jamais été aussi important sur les Allers qu’en 1586, pendant tout le cours du xvie siècle : il n’est dépassé qu’une fois dans toute l’histoire du mouvement, en 16086 ; il est égalé, mais il n’est jamais vraiment dépassé, trois fois seulement, en Allers et retours (1550,1608 et 1630). En Retours, par contre, l’écart de 1587, soit une position relative 197,74 % constitue bien le vrai, l’incontestable record absolu, jamais dépassé, jamais égalé.
22Ces différentes prises de position sur le mouvement ont le double mérite de révéler l’importance d’un fait d’expansion cyclique tout entier concentré, au cours de cette seconde fluctuation d’avant l’Invincible. Elles révèlent, également, d’autre part, l’incontestable supériorité de l’accident cyclique des Retours par rapport à son corollaire des Allers7. Mais cette dernière constatation nous introduit déjà sur le chemin des explications possibles.
II. LES CAUSES D’EXPANSION
23L’analyse du complexe causal, que l’on peut supposer responsable d’une expansion dont l’ampleur vient d’être rapidement mesurée, n’est pas indépendante de celle qu’on a proposée, pour l’ensemble de la fluctuation8. En fait, on peut dire qu’il n’est plus commode de comprendre les raisons de l’expansion que celles du retard à l’expansion, au cours de la première fluctuation primaire.
24Elles sont valables pour l’ensemble de la période, des circonstances particulières, toutefois, ont freiné la réalisation9, plus tôt, d’un essor, qui pour avoir été plus tardif, n’en a été que plus violent, bénéficiant de l’effet cumulatif de la pression différée, une fois le frein lâché.
25C’est pourquoi la compréhension du dynamisme de cette seconde fluctuation primaire est indissociable des raisons que l’on a exposées au début de ce cycle englobant, exceptionnellement long, de 1578 à 1592, tout comme il est indissociable des raisons du palier de 1578 à 1583. Il suffira donc, maintenant, d’apporter des nuances et de préciser ce qui est propre aux quelques années qui viennent.
26L’analyse, qui va suivre, comporte, nécessairement, une large part d’arbitraire, puisqu’elle consiste à séparer ce qui, dans la réalité, fait corps. Le schéma proposé ne s’applique pas seulement à cette fluctuation. Il s’efforce de distinguer, suivant un procès arbitraire mais classique, entre les facteurs endogènes et exogènes de la reprise.
FACTEURS ENDOGÈNES DE LA FLUCTUATION
27Sans doute, à la base, dans une proportion qu’on sera toujours impuissant à préciser, la fluctuation endogène, en gros décennale qu’engendrent naturellement, spontanément, dans cette économie maritime ancienne, comme vraisemblablement dans toutes les économies d’échanges, mais s’étalant sur un temps variable, le jeu complexe du négoce de l’armement et, dans chaque secteur, le gonflement et le rétrécissement alternatif des marges bénéficiaires, simple expression, ici, des difficiles adaptations d’une production mouvante à des besoins mouvants. Ces mécanismes, on peut le supposer, a priori, se dégagent de l’observation de l’ensemble des courbes. Il est évident que la parfaite périodicité, la répétition, sans faille, sans solution de continuité, d’un rythme grossièrement décennal ne peut être imputable à des faits extérieurs. Ce serait, à la limite, introduire le rationnel au sein de l’irrationnel.
28Mais il est des moments dans notre documentation où le mécanisme de génération endogène du cycle apparaît plus clairement. Ce sont ces moments que nous avons choisis pour le décrire et, au premier chef, la fluctuation 1544-1554 : cette fluctuation parfaite, tellement parfaite même qu’elle est, pratiquement, d’une seule venue et que la fluctuation plus courte de trois ou quatre ans, dont la dynamique est, à l’ordinaire, exogène, semble, ici, totalement effacée.
29Quelle que soit l’ampleur, par contre, de 1578 à 1592, des éléments perturbants venus du dehors — comment en irait-il autrement en ces années si chargées, qui voient les séquelles énormes de la guerre hispano-anglaise, de Drake à la perte de l’Invincible10 (elles viennent, elles-mêmes, s’ajouter aux irréparables outrages du matlazahualt, destructeur, de 1576 à 1579, de la moitié environ des réserves indiennes du plateau mexica) ? — quelle que soit leur importance, ils ne peuvent empêcher le jeu en profondeur de ces mécanismes, qui engendrent spontanément, dans le flot d’un mouvement d’affaires ou dans la vie économique globale de tout un espace géographique, une fluctuation en gros décennale, un peu plus que décennale dans ce morceau d’espace de l’Ancien Régime économique. Même si on suppose, dans l’hypothèse de la génération sui generis d’un cycle, toute influence extérieure pour un temps, exclue, il faut bien admettre que le sommet de l’expansion devait se placer, là, quelque part en 1583 et 1587..., en gros, lors de l’action paroxysmale des forces d’expansion spontanément et librement libérées dans le système.
30En bref, on peut estimer que, cadrant grossièrement, soit avec les limites du cycle vrai, 1578 et 1592, soit avec celles de la décade, le flux maximal d’une vague endogène serait venu, de toute manière, se placer autour de 1586, soit au milieu, soit un peu plus éloigné du point de départ peut-être, de la fluctuation vraie que de son point d’arrivée..., comme il est normal que cela soit en phase longue d’expansion. Sur cette ligne, de toute manière, bombée, des accidents extérieurs, le contrebas de 1578-1583 suffisamment expliqué à son heure, le plateau rétracté de 1587 à 1592, dont on rendra compte sans peine, plus tard11, contribuent à isoler la partie haute du cycle qui eût été, sans ces facteurs négatifs, mieux rattachée, sans doute, aux niveaux encadrants, mais, aussi, moins détachée du reste du mouvement. Mais, outre les facteurs dépressifs qui agissent sur 1579-1583 et 1587-1592, il y a aussi, toute une série de facteurs expansifs extérieurs à la dynamique interne du mouvement qui auront contribué à renforcer l’amplitude possible de la fluctuation du mouvement.
FACTEURS POSITIFS EXTERNES DE L’EXPANSION
31Parmi les facteurs positifs, responsables du caractères exceptionnel de l’expansion médiane, le premier — est-il besoin de le rappeler, bien qu’on hésite, un moment, à en faire un facteur positif — procède du retard, même anormalement provoqué au dehors de l’expansion volumétrique dans les premières années de notre grande division chronologique.
1. Retard de l’expansion volumétrique
32Un tel et incontestable retard comporte, nécessairement, de belles possibilités de récupération pour la période suivante. La seule comparaison des mouvements volumétriques et en valeur montrera, sans difficulté, comment cette récupération se sera faite, très vraisemblablement, en sens inverse du triage précédemment décrit12, par évacuation de marchandises moins chères, relativement plus lourdes, celles-là même qui n’avaient pu trouver place dans la période antérieure.
2. Les prix
33a. Discussion. — Avec les prix, on est, incontestablement, en présence d’un facteur décisif. Semblable affirmation pourrait sembler procéder d’un a priori de parti pris, si la longue et minutieuse observation des phénomènes à laquelle on s’est livré, sur un siècle et demi, n’avait établi que la corrélation entre les deux ordres de phénomènes (prix et trafic) est bien, sans conteste, une des composantes majeures de l’Atlantique espagnol et hispano-américain.
34Un seul point peut être contesté : l’opportunité de placer cet exposé ici, au milieu de facteurs, positifs, sans conteste, de l’expansion, mais exogènes... voire. Dans quelle mesure, en effet, le jeu interne des déséquilibres spontanés qui donnent naissance au rythme de la fluctuation des trafics ne sont-ils pas ceux-là qui donnent naissance, en partie du moins, à la fluctuation des prix ? Mieux, prix et trafics sont indissolublement liés, puisque dans cette économie essentiellement animée déjà par le moteur du profit, c’est le jeu des déséquilibres d’un profit étroitement fonction des divers niveaux des prix qui entraîne par derrière lui, mieux, qui moule, en quelque sorte, sur lui, le rythme essentiel du trafic.
35b. Justification. — Malgré tout et c’est pourquoi, dans une certaine mesure, l’exposé des prix, au milieu des facteurs exogènes, peut se justifier. La manière, finalement extrêmement rudimentaire avec laquelle on les saisit — rudimentaire, relativement à la solidité et à la précision13 avec laquelle la masse du mouvement est connue dans ses divers éléments — ne permet pas de comprendre parfaitement la dynamique profonde des prix espagnols au xvie siècle. La preuve en est, qu’Earl Jefferson Hamilton lui-même, à qui on doit leur acquisition, pour excellent économiste qu’il soit, ne s’est pas risqué à expliquer vraiment la genèse des fluctuations courtes, dont la présence, pourtant, s’impose jusqu’à l’évidence sur ses courbes et s’est borné, pour la phase longue, à cette interprétation quantitativiste un peu étroite qu’on lui aura souvent injustement reprochée.
36Dans ces conditions, il faut se résoudre souvent, pour la compréhension des fluctuations des prix, à faire intervenir des facteurs du dehors, dont le moins que l’on puisse, de toute manière, supposer, a priori, c’est qu’ils ne sont ni uniques ni, peut-être même, dominants. Et comment ne pas virtuellement considérer, par rapport à la dynamique des mouvements quantitatifs dans l’Atlantique, les fluctuations des prix espagnols comme un phénomène partiellement exogène lui-même et jouant — ce qui est presque plus important encore — par rapport aux fluctuations des séries représentatives des échanges, le rôle, dans une large mesure, d’éléments extérieurs ?
37Toutes ces précautions prises, les prix espagnols tels qu’on les aperçoit à travers Hamilton, semblent bien liés, d’une manière indiscutable et suivant les grandes lignes du schéma le plus traditionnel, donc, le plus sûr, puisque le plus fréquemment répété, à l’extraordinaire poussée du trafic.
38c. Contribution des prix à l’étude des trafics.
39Le cycle court des trafics, ce cycle qui occupe une tranche chronologique, de 1584 à 1587, dont trois ans (1584,1585 et 1586) sont des années d’expansion, est précédé d’un accident positif, au sens le plus large, sur les indices les plus globaux même des prix espagnols14. On retrouvera, en effet et sur quatre ans, avec une anticipation de deux années, de 1582 à 1585, un accident positif de la conjoncture courte des prix, situés à 101,54 %, 102,09 %, 102,36 % et 102,18 % les indices vrais des prix sont au-dessus du trend qu’on a dégagé par le procédé d’une moyenne mobile de treize ans.
40Est-il besoin de préciser suivant quel enchaînement le premier ordre de phénomènes, celui des prix, peut influencer le second ? On peut supposer, a priori, sans risque grave de démenti, tant les preuves abondent de cette presque loi, en dehors de notre champ d’investigation — et pour des secteurs plus riches, plus proches, plus accessibles, mieux balayés de lumière — que les périodes de prix hauts sont, pour la masse globale des entreprises, des périodes de marges bénéficiaires plus élevées.
41Cette constatation vaut à l’intérieur d’une fluctuation courte, au maximum décennale. Dans le cadre de la fluctuation courte, ou très courte, il est incontestable que la loi s’applique, dans une économie ancienne, plus particulièrement, où la rigidité du salaire par rapport aux autres facteurs du prix est beaucoup plus grande et plus sûre qu’elle ne l’est généralement, dans des économies de type plus moderne.
42La valeur de cette loi, dans le cadre d’une conjoncture courte, ne dépend pas — heureusement, mais il est bon de le rappeler — d’une prise de position dans cette grande querelle, toujours ouverte, entre ceux qui lient les périodes de gros investissements à la hausse et ceux pour qui, au contraire, les plus grands investissements se font en contraction, les Keynesiens, dont Hamilton, dans le premier camp, le camp de l’expansion, investissements, hausse des prix, Lescure, Schumpeter dans l’autre camp, celui des protagonistes de la contraction, Vitorino Magalhães Godinho et Pierre Vilar le rappelaient récemment encore15. Cette fructueuse querelle d’école n’a pas place, ici, puisqu’elle se meut dans un cadre qui n’est pas le nôtre. Elle vaut, à l’échelle de l’onde puissante de Kondratieff, d’une part, elle porte uniquement sur la nature de la corrélation unissant les tendances majeures respectives des prix et des investissements industriels.
43L’affirmation précédemment énoncée n’implique aucune prise de position, dans le problème précédent. Elle est en dehors de toute querelle d’école, pour appartenir au domaine de la presque évidence. Dans le cadre d’une conjoncture courte, et, a fortiori, dans une économie ancienne qui implique une rigidité relative du coût du travail humain, par rapport au coût des marchandises16, plus grande encore que de nos jours, on peut donner à la proposition suivante son entière valeur : les périodes de hauts prix semblent bien être, dans l’ensemble, des périodes de bénéfices élevés.
44Or — seconde proposition — ce sont les bénéfices d’entreprises qui s’investissent. Cette proposition est particulièrement vraie, dans l’Ancien Régime économique, où la sécrétion des capitaux paraît beaucoup plus circonscrite qu’elle ne l’est dans nos économies contemporaines, infiniment plus puissantes, plus capables de produire des masses importantes de biens d’investissement. On peut donc penser qu’un fort niveau des prix entraîne, dans les entreprises du négoce et de l’armement, mais aussi chez ces grands seigneurs de la terre dont les liens avec le négoce sévillan se lisent à travers la correspondance de la Casa de la Contratación, la formation de grosses disponibilités.
45Formation de grosses disponibilités, en période de conjoncture haute des prix. C’est vrai, si on admet que le schéma classique établi par M. Ernest Labrousse pour la France du xviiie siècle, est valable, à peu de chose près, pour toutes les économies européennes d’Ancien Régime17. On a déjà eu l’occasion de le rappeler18. Mais la question est suffisamment importante pour qu’il nous faille y revenir. Si les petites entreprises agricoles, au demeurant, relativement peu nombreuses dans l’Andalousie du xvie siècle, comme dans l’Andalousie d’aujourd’hui, perdent à la hausse cyclique liée à la mauvaise récolte, en période de cherté catastrophique des prix — elles sont de toute manière hors de cause, puisqu’elles ne sont pas susceptibles de fournir des capitaux au grand commerce de Séville — il en va tout autrement des grandes entreprises, dont on le sait pour le xviie siècle, du moins, la liaison avec l’Atlantique hispano-américain comme pourvoyeurs de capitaux est sûre. Liaison simple, liaison évidente, entre la cherté des prix agricoles et le facile approvisionnement en capitaux du commerce hispano-américain, à condition de donner au modèle de M. Labrousse, la portée générale qu’on ne peut, raisonnablement, guère lui refuser.
46On s’empresse d’ajouter, d’ailleurs, au vu des indices des prix des céréales19, que les hauts prix de 1582 à 1585 ne peuvent être attribués à une de ces mauvaises récoltes catastrophiques20 ou à ces décrochements du simple au double, tels qu’on en trouve plusieurs fois et, notamment, entre 1504 et 1506,1602 et 1605,1634 et 1636,1640 et 1642,1645 et 1647. La vibration est, tout au plus, ici, autant qu’on en puisse juger, de l’ordre de 50 %, insuffisante, de toute manière, pour qu’on puisse lui attribuer l’incidence perturbatrice d’une récolte catastrophique généralisée.
47Sans conteste possible, on peut déduire du bombement [des [indices des prix une très forte présomption d’augmentation, au cours de ces quatre ans, des bénéfices d’entreprises. Une présomption, donc, d’investissements plus faciles pour le négoce engagé dans le grand commerce avec l’Amérique. Des possibilités, sans doute, de crédit meilleur et plus abondant21. Mais il faut un temps pour que la liaison se fasse..., deux ans, en l’occurrence, ne paraissent pas excessifs. Et c’est bien cet écart que l’on retrouve entre prix et mouvements.
48Accumulation de capitaux qui seront disponibles et favoriseront l’expansion, au moment même où les hauts niveaux des prix en Espagne — entendez au lieu même de départ du négoce — créent une atmosphère d’optimisme et font bien augurer, à tort ou à raison, des possibilités d’écoulement aux Indes. Tout laisse à penser, la relation prix-trafic, surtout, qu’au cours de la décade des années 80, on continuait d’établir, à Séville, à tort ou à raison, plus à raison, sans doute, qu’à tort, une relation étroite entre le niveau des prix en Europe et les niveaux correspondants des prix aux Indes.
49Et c’est au moment même où les prix cèdent en Espagne, que l’incitation au départ sera maximale. Cette conjonction du haut niveau du mouvement et du bas niveau des prix, après un plateau des prix anormalement élevé, qui se produit en 1586 (97,23 % pour les prix, 190,43 % pour le mouvement Allers, 147, 31 % pour les Allers et retours), est une conjonction normale. Puisque c’est alors que les capitaux accumulés par le haut niveau supposé des bénéfices d’entreprises dans la période antérieure, le sont, au départ, du moins, avec le plus d’efficacité vraisemblable. A tel point, même, qu’une masse excessive de départs peut fort bien contribuer à renverser, aux Indes, la conjoncture des prix (celle, du moins, des marchandises importées d’Europe) et, partant, provoquer, par ricochets, une catastrophe sur le marché au départ. On en a observé, plusieurs fois, le mécanisme et ce facteur entre, ici, en ligne de compte, pour expliquer le trou brutal des départs en 1587.
50On peut même ajouter au précédent schéma cette suite : une brusque chute des prix, après un plateau élevé au départ d’Europe, commande, à peu près nécessairement, à un an ou à deux ans, un accident en creux du trafic, dans la mesure où elle va inciter le négoce à faire, au cours de cette année particulièrement favorable, des exportations excessives qui dépasseront les possibilités d’absorption du marché aux Indes. Année particulièrement favorable pour le négoce au départ d’Europe, puisqu’elle joint, à un haut niveau présumé de disponibilités financières, de grandes facilités d’exportation, de par le faible niveau du prix des marchandises exportables ; mais, année particulièrement dangereuse, puisqu’elle incite à porter, sur un marché des Indes abondamment pourvu déjà, une quantité exceptionnellement forte de marchandises, plus forte, vraisemblablement, qu’il ne pourra en absorber. Une fois de plus, ce schéma théorique se sera vérifié. Il se vérifiera de nombreuses fois encore.
51Il reste, pour finir, à écarter un dernier scrupule. Si le raisonnement édifié cadre avec les indices les plus généraux, supportera-t-il la confrontation avec un matériel plus précis ? Certainement.
52Seules, les séries Valenciennes, reflet d’une réalité méditerranéenne, indépendante à l’égard de l’ensemble du corps espagnol, de plus en plus Atlantique, présentent, par rapport à la moyenne, une assez large autonomie. La montée en est à peu près régulière, de 1580 à 1585, la pente, plus longue, est moins nerveuse, le contre-creux de 1586, plus réduit, simple accident, dans une certaine mesure, sur une pente presque linéaire de 1580 à 1589. Loin de limiter la portée de l’interprétation proposée, cette indépendance, au contraire, des prix Valenciens, la renforce. Parce que, malgré l’éloignement géographique, elle ne va pas jusqu’à la contradiction, parce qu’elle suppose, surtout, une plus nette accentuation, dans notre sens, des autres séries géographiques, celles de l’Espagne atlantique, celles-là, même, précisément, qui interviennent d’une manière plus décisive et beaucoup plus évidente, dans les trafics de l’Atlantique.
53La conformité au schéma va se révéler, facteur hautement encourageant, d’autant plus grande que le cadre géographique des séries se rapprochera davantage de l’Atlantique hispano-américain. Avec l’espace nord du Royaume de Castille (Vieille Castille-Léon) l’espace des foires de Medina del Campo, Rioseco, Villalón, dont Henri Lapeyre22 (a si bien su montrer les liaisons, désormais évidentes, avec Séville, le schéma devient plus conforme : point de départ d’un plateau moyen en 1581, accentuation de la pente en 1583, sommet en 1585. Le creux de 1586, toutefois, reste faible et une période de trois à quatre ans, assez confuse, de vibrations souvent contradictoires, s’ouvre alors.
54C’est avec les espaces de la Nouvelle Castille et de l’Andalousie que le schéma s’applique de la manière la plus favorable à la compréhension du trafic. Mais tandis que la courbe des prix de l’espace sud-castillan annonce littéralement la démarche, du trafic, avec juste un an d’anticipation — minimum nécessaire pour qu’on puisse concevoir un enchaînement causal — la courbe des prix andalous, autant qu’on puisse en juger23 (, présente la plus parfaite conformité au schéma préétabli, avec deux ans d’anticipation, soit un an de plus que dans le cas de la Nouvelle Castille. La concordance prix andalous-trafic s’établit donc, d’une manière parfaite, avec une anticipation de deux ans, évidemment, motrice, des prix sur le trafic. Et c’est dans ces conditions de décalage chronologique que le schéma du rapport prix-trafic, en conjoncture courte, tel qu’on le propose ici, s’applique de la manière la plus satisfaisante.
55Les prix espagnols — tels, du moins, qu’on peut les lire à travers la belle construction statistique d’Earl J. Hamilton — contribuent donc, fortement, à rendre intelligibles le puisant bombement des trafics d’avant l’Invincible Armada. Mais dans quelle mesure ce mouvement des prix est-il bien indépendant des trafics qu’il paraît ici, commander ? Dans quelle mesure, par conséquent, a-t-il bien droit, à ce classement dans le cadre d’une théorie exogène de la fluctuation cyclique ? Les documents ne permettent pas encore de trancher avec certitude. Et puisque, dans le cas présent, il n’est pas possible d’aller beaucoup au-delà d’une présomption de causalité que l’antériorité du prix rend vraisemblable — quelle que soit l’intuition qu’on puisse avoir d’une explication plus globale — la prudence et l’histoire commandent de se contenter d’une apparence qui peut, difficilement, n’être point expressive d’une réalité plus profonde.
3. Trafics dominants
56En dehors des prix, on trouvera encore des éléments d’explication du bombement des trafics dans les changements d’équilibre, qui affectent, au cours de cette période, les grandes masses géographiques de l’espace Atlantique.
57Sous cet angle, pour la compréhension des facteurs qui auront contribué le plus sûrement au gonflement de la fluctuation courte 1584-1587, clef de voûte de l’ensemble du cycle, on se reportera utilement aux rapports d’équilibre qui marquent dans le mouvement d’ensemble les frontières entre les grands espaces géographiques de la Nouvelle Espagne et du Pérou, entendez, la Terre Ferme24. On se trouve, sans conteste, au creux des îles, mais ce fait de structure ne saurait entrer, ici, en ligne de compte.
58a. Remontée éphémère de la Nouvelle Espagne. — Ce qui importe par contre, c’est la remontée, pour un temps court, de la Nouvelle Espagne.
59La part des Allers en direction de la Nouvelle Espagne, passe en nombre de navires, de 48 % à 50 % de 1579-1583, à 1584-1587 et en tonnage, de 50,9 % à 51,15 %, les proportions presque insolites sont, il est vrai, éphémères. Une analyse parallèle des Retours, le prouverait, puisque les Retours de la Nouvelle Espagne décroissent proportionnellement, d’une manière exactement inverse dans le même temps, soit, respectivement, sur les expressions unitaires et volumétriques du mouvement, de 39,28 % à 31,1 %, et de 50 % à 41,4 %. Ce signe qui ne trompe pas, prépare la débandade de la Nouvelle Espagne, à l’Aller et en Allers et retours, à la fin de la fluctuation décennale de 1588 à 1592.
60Que faut-il en déduire ? Vraisemblablement, le trafic, lors de la clef de voûte du cycle aura bénéficié, venant s’ajouter à la grande lame de fond, à la lente et souvent imperceptible montée du commerce de la Terre Ferme, dont les raisons et les modalités ont été signalées à leur heure25, d’une quelque peu paradoxale, courte et vigoureuse reprise de la Nouvelle Espagne.
61Il faut bien se rendre à l’évidence, la fantastique épidémie de matlazahualt, destructrice, de 1576 à 1579, d’une presque moitié des réserves humaines indiennes des plateaux mexicains, n’a pas eu sur la conjoncture Atlantique, l’influence simple, directe et immédiate qu’on aurait pu imaginer. Elle est paralysante, immédiatement, dans le cadre, on l’a vu26, d’une conjoncture très courte, puisque l’épidémie de matlazahualt aura entraîné un très sensible fléchissement des départs en direction de la Vera Cruz — San Juan de Ulúa, de 1576 à 1579. Elle est paralysante, dans le cadre d’une conjoncture beaucoup plus longue, quelque dix ans plus tard. Elle est, très vraisemblablement, la grande responsable de ce long plateau des trafics avec la Nouvelle Espagne qui commence dès 1587 et dure jusqu’au début du xviie, à une époque où la direction tendancielle des mouvements dans l’Atlantique est assumée, pour l’essentiel, par l’espace de la Terre Ferme. Elle est paralysante, à beaucoup plus longue échéance, encore et entre, vraisemblablement, dans le complexe causal très large explicatif de la grande récession séculaire.
62b. Essai d’interprétation. — Mais, dans l’intervalle, que s’est-il passé ? Comment s’expliquer, entre 1579 et 1587, sur près de dix ans, ce dos d’âne, à contre courant, du commerce avec la Nouvelle Espagne ? Comme si l’économie coloniale n’avait pas été affectée par la dramatique destruction du matelas d’humanité indienne27, sur lequel, pourtant, elle repose. Cette impression, d’ailleurs, est démentie par les deux dépressions — la dépression à court terme qui affecte la Nouvelle Espagne, lors de la crise du matlazahualt et la récession relative qui suit, évidemment, avec dix ans de retard, la catastrophe démographique — comme par le baromètre de l’économie minière et le décrochement28 persistant, entre 1571-1575 et 1576-1580, des entrées de métaux précieux dans le Guadalquivir.
63Pour rendre compte de cette dissonance et dépasser cette apparente contradiction, il faut bien comprendre la nature du lien qui unit les fortunes parfois divergeantes de la démographie indienne et de l’économie coloniale.
64L’économie coloniale superposée et comme plaquée sur l’ensemble indien utilise sa position d’économie dominante, pour prélever sur la masse indienne la plus grosse part de la main-d’œuvre dont elle a besoin. Outre ce prélèvement direct en détournement de main-d’œuvre et en prélèvement de services, l’économie coloniale déroute, du circuit indien, une fraction de sa nourriture, toujours plus importante, puisque, caractéristique majeure, la part des importations alimentaires de l’Europe s’en est allée décroissante. Elle le fait, par le truchement de l’encomienda, soit un simple prélèvement au terme d’un procès de production dans lequel les colons espagnols, simples spectateurs, n’interviennent pas, si ce n’est pour prélever, en fin de compte, une fraction du bénéfice.
65C’est seulement, assez tardivement — on dira, en gros, à partir des dernières décades du xvie siècle —, que, par la part toujours plus grande prise, au Mexique plus précisément, et plus particulièrement, par le grand domaine29, que le colon espagnol est de plus en plus étroitement associé à la production agricole. Mais il ne faut pas confondre les situations du xvie siècle avec celles du xviie ; elles en diffèrent, d’une manière importante. Le grand domaine, en intégrant plus intimement l’économie coloniale à la masse indienne — il ne faut rien exagérer, d’ailleurs, ni confondre les époques et les provinces, Anahuac et Haut Pérou, par exemple, — permettra ultérieurement, peut-être, une plus étroite corrélation entre les grandes pulsations démographiques du peuplement indien et les pulsations correspondantes de l’économie coloniale.
66A l’époque où l’on se place, la corrélation existe, selon toute vraisemblance, mais elle est plus indirecte et plus souple. L’économie coloniale est trop peu imbriquée encore dans les différentes chaînes de la production indigène.
67Le schéma de la corrélation est simple. Quand le matlazahualt éclate, l’économie coloniale est affectée, psychologiquement et directement. La fraction de main d’œuvre indigène, qu’elle inclut dans ses procès d’échanges et de production, est, en partie, détruite. Le fléchissement conjoncturel des échanges entre l’Espagne et la Nouvelle Espagne — il n’y a plus à y revenir— en est la conséquence. Mais l’économie coloniale dont la tête n’a pas été touchée — la population blanche continue à s’accroître30 : elle double en soixante-quinze ans, passant de 63 000 à 119 000 âmes de 1570 à 1646 — réagit, suivant un schéma qu’on a eu déjà l’occasion de proposer, en compensant ses pertes en main-d’œuvre dominée par une nouvelle et lourde ponction sur les populations indiennes non incluses directement dans l’appareil de production et d’échanges de l’économie coloniale, c’est-à-dire, la plus grosse partie encore de la masse indigène, voire en resserrant sur les populations déjà entraînées dans les circuits coloniaux, les rapports anciens de domination.
68Par cette attitude, à la longue destructrice, — il n’est pas douteux qu’elle aura accentué la chute démographique indienne, après la vague même du matlazahualt, — l’économie coloniale mexicaine aura fait face, d’abord. D’autant mieux, peut-être, que l’on est, à partir de la décade des années 80, sur un plateau de prospérité mexicaine orientée vers le Pacifique. A moyen terme, grâce, certainement, entre autres, à l’action compensatrice des nouvelles richesses créées par le trafic avec l’Extrême-Orient, la crise du trafic Atlantique hispano-mexicain est dépassée. Mais elle ne peut être dépassée que pour un temps, au prix de nouvelles destructions d’humanité indienne, jusqu’à la hauteur de 1588, au moment où ces destructions exercent sûrement, — à long terme de neuf à douze ans après l’événement —, l’effet dépressif que l’on pouvait en attendre a priori. Sans doute, parce que, à partir de cette date, l’épuisement des réserves indiennes est tel qu’il affecte, enfin, la prospérité coloniale et parce que cette crise est, désormais, perçue, ressentie, sur le versant andalou du grand Océan. Il n’est plus possible de tricher.
69On sait avec quelle lenteur, partout, les grands faits de l’histoire démographique se font sentir sur la vie économique, dont ils sont, pourtant, à long terme, les plus puissants moteurs..., surtout, quand — c’est le cas ici — l’écran filtrant d’un rapport de dominant à dominé s’intercale entre les deux ordres de phénomènes. Jusqu’au moment où, pour dépasser cette crise, l’économie coloniale devra repenser son exploitation de l’indien, dans le sens, certainement, d’un moindre gaspillage — toutes proportions gardées — de la main-d’œuvre. Mais cette adaptation ne vient qu’après 1600 et elle n’est encore qu’un pis-aller efficace à terme.
70C’est dans cette perspective qu’il faudrait placer également le développement du grand domaine au Mexique, le développement de la hacienda par rapport à 1’encomienda. C’est-à-dire, non seulement une plus totale imbrication des deux économies, la coloniale et l’indienne, une plus complète incorporation, une saisie de l’humanité indienne dans le procès de production de l’économie coloniale, mais aussi une meilleure exploitation, un moindre gaspillage, sous l’angle uniquement du dominant, de la main-d’œuvre indienne. L’accélération de la formation des grands domaines au Mexique signalée par François Chevalier au début du xviie siècle se trouve replacée, ainsi, dans la perspective de l’histoire, à très grands rayons, de la population de la Nouvelle Espagne coloniale, telle qu’elle résulte, aujourd’hui, des travaux de Cook, Simpson, Woodrow Borah et de toute l’école de Berkeley31. Ce schéma est suffisant pour rendre compte, dans ses plus grandes lignes, du comportement spécifique du trafic entre l’Espagne et la Nouvelle Espagne.
71De tout ceci, une grande leçon demeure : pour des raisons qui lui sont propres, en vertu d’une dynamique résultant, en partie, des influences complexes de son histoire démographique, le trafic avec la Nouvelle Espagne, que l’on pourrait s’attendre à trouver, dès 1580, en reflux, se trouve, un peu paradoxalement, en puissance, étayant, solidement encore le trafic de la Terre Ferme, depuis peu, conjoncturellement dominant. Cette heureuse rencontre, quelque peu inattendue, contribue à donner aux trafics de 1584 à 1587, une vigueur tout à fait exceptionnelle.
72Cette vigueur nouvelle espagnole, paradoxalement située, contribue d’autant plus efficacement à un haut niveau du trafic que, lentement mais sûrement, le volume des échanges avec la Terre Ferme n’a cessé de s’accroître... A l’Aller, la moyenne annuelle des départs vers la Terre Ferme passe de 6 849,4 toneladas (moyenne annuelle de 1579 à 1583) à 8 236,75 toneladas (de 1584 à 1587) et 10 406,6 toneladas de 1588 à 1592. En Allers et retours, la progression s’effectue suivant des étapes ainsi jalonnées : 11213,6 toneladas (moyenne de 1579 à 1583) à 15 632, 875 toneladas (de 1584 à 1587), puis un recul explicable32 à 13 363,2 toneladas (moyenne annuelle de 1588 à 1592), soit sur une position intermédiaire.
73A la montée tendancielle, en quelque sorte, normale, d’un trafic avec la Terre Ferme, — entendez le Pérou —, dont on a dit déjà qu’il jouait le rôle depuis peu, à cette époque, d’unité dominante, à l’intérieur du trafic, s’ajoute, donc, l’accidentel positif d’une belle reprise du trafic avec la Nouvelle Espagne..., une récurrence de prospérité, après la grande épidémie mexicaine du matlazahualt. On voit mieux quelle est la part respective des grands axes géographiques de l’Océan, dans l’accident positif de la croissance en volume des trafics d’avant l’Invincible.
4. Volumes et valeurs. — Quantité et qualité
74Mais il importe de regarder de plus près la nature de cet accident positif des années 1584-1587. Il n’est, peut-être, pas, en effet, aussi spectaculaire que la seule référence aux volumes ne le laisserait à penser. Les données recueillies sur les valeurs ne répondent pas, malheureusement — il s’en faut de beaucoup — aux besoins d’une analyse sûre, en raison des grosses lacunes qui existent dans les séries de l’avería de 1585 à 158733. On sait l’importance de l’avería dans la construction des mouvements en valeur34. En raison, plus encore, peut-être, des lacunes dans les séries de l’almojarifazgo des deux grands ports-clefs, la Vera Cruz pour la Nouvelle Espagne, Nombre de Dios pour la côte de Terre Ferme et l’arrière-plan péruvien. En tenant compte, toutefois, des leçons de ces trois séries et en les mettant en corrélation étroite avec les mouvements en volume35, on aboutit à la quasi conviction que le gonflement du mouvement en valeur ne suit pas exactement celui du mouvement en volume.
75Voilà qui n’est pas tellement pour surprendre. On a vu, déjà, en effet et, cette fois, sans aucun doute possible36, combien la récession volumétrique de la période 1579-1583 était loin d’être suivie d’un fléchissement proportionnel des valeurs. Il y a eu, au contraire, pendant la récession volumétrique, gonflement certain de la valeur unitaire du mouvement..., sous l’effet d’une espèce de triage, au départ. La crise du tonnage en est responsable. Faute de navires, — cette pénurie de navires était la conséquence de ce long palier antérieur de la récession relative — les marchandises les plus courantes n’ont pu se frayer un chemin jusqu’en direction du Nouveau Monde. Pour que cela leur soit possible, il faudra que les effets se fassent sentir à plein de cette longue et exceptionnelle anomalie positive relative des Retours par rapport aux Allers, qui s’aggrave à la fin de la première fluctuation du palier de 1579 à 1583, pour atteindre son apogée de 1584 à 1587, au moment précisément de ce sommet du mouvement volumétrique que nous avons déjà signalé.
76Le déséquilibre du volume des Retours par rapport aux globaux, 331 navires en Retours de 1584 à 1587 contre 321 navires à l’Aller, 85 359,5 toneladas contre 78 030 toneladas dans les mêmes conditions et dans le même temps est une indication d’un poids exceptionnel. C’est même le grand fait de la période. On a dit déjà tout l’extraordinaire d’une telle situation. Il faut, pour bien l’apprécier, tenir compte de l’anomalie positive structurelle des Allers, entendez le fait que le mouvement Retours représente, en moyenne, pendant un siècle et demi, pratiquement, sans interruption, 42 %, seulement du mouvement Allers et retours. Tenir compte, d’autre part, du fait que les anomalies positives des Retours sont plus normalement spécifiques des périodes de contraction. Les Retours, au cours de la seconde fluctuation primaire du cycle, cette fluctuation de l’expansion maximale, sont donc à plus de 130 % de ce qu’on peut considérer comme la moyenne des Retours. Cet écart à la moyenne37 est l’écart record, tant par l’amplitude que par la durée et la situation globale de l’anomalie. Ce déséquilibre insolite38 est l’expression d’un grand fait : pour combler la prodigieuse insuffisance du tonnage, au cours de cette période, la Carrera, en plus d’un effort certain de construction navale39, s’est tirée d’un mauvais pas, en ramenant sur la rive européenne, au-delà même du souhaitable et du raisonnable, tout ce qu’il y avait de disponible en tant que tonnage aux Indes et sur une échelle jamais égalée.
771584-1587 bénéficiera peu à peu, sur ce point, de l’organisation d’une réponse qui a été préparée lors de la première phase du cycle, au cours du plateau, de 1579 à 1583. Dès la pression, par conséquent, d’une puissante poussée conjoncturelle qui part, en fait, du fond du creux de 1578 et qui dure, au moins, jusqu’à l’heure de l’Invincible, les réponses de la Carrera, au cours des deux premières fluctuations, celle du creux et celle de la clef de voûte, pour différentes, sont indissociables.
78De 1579 à 1583, les marchandises les plus chères, seules, auront pu passer, pour les autres, ou bien il a fallu renoncer à les exporter, ou bien il a fallu se résoudre à les faire attendre.
79Mais, de 1584 à 1587, grâce à l’arrivée massive, sur la rive européenne, des navires dont on bat, notamment, le rappel des Indes, grâce, peut-être, aussi, aux premiers résultats d’une reprise des constructions navales, grâce à l’appel que la Carrera lance, dans toutes les directions, au tonnage disponible, les marchandises moins chères, qu’elles aient attendu ou non, vont pouvoir, à nouveau, passer. Autrement dit, le passage au sommet du mouvement volumétrique40, ou, du moins, sa remontée relative41, implique, en contre partie, un repli sensible de la valeur unitaire du mouvement, le retour partiel à des positions normales antérieures. Tout ceci, malgré l’insuffisance des séries valeur, est bien ce qui se dégage des chiffres.
80Autrement dit, alors que tous les facteurs précédents tendaient à affirmer le caractère extraordinaire, presque exorbitant, de l’expansion centrale de la fluctuation médiane du cycle, la légère récession de la valeur unitaire du mouvement tend, au contraire, à ramener cette incontestable expansion à de plus justes proportions. Encore qu’on ne puisse tirer d’une seule comparaison, au demeurant délicate à interpréter, des conclusions trop générales, il est extrêmement significatif, par exemple, de rapprocher les chiffres des tonnages des Allers en Terre Ferme (mouvement unitaire et volume) pour le très grand port de Nombre de Dios, dont on a dit le rôle économiquement moteur, depuis la crise longue mexicaine, plus que jamais unité dominante du trafic, et les niveaux des valeurs, entre 1582, année du plateau bas des volumes et 1586, point culminant du plateau élevé du trafic volumétrique.
81D’un côté, 31 navires et 9 750 toneladas, de l’autre, 71 navires et 20 230 toneladas (dont il n’est pas sûr, il est vrai, que tout ait été compris dans les comptes de 1586), et pourtant, une valeur présumée (inférieure à la réalité), puisque simple valeur fiscale de 1442 413 862 maravedís contre 1 304 054 248 maravedís, pour un chiffre en volume apparemment supérieur. La comparaison, il est vrai, n’est pas simple. En 1585, pourtant, il n’y a pas de doute, car les 931 millions et demi de maravedís de valeur fiscale enregistrée aux entrées de Nombre de Dios correspondent bien aux 11 247 toneladas de l’année précédente ; face à cela, 1582 alignait 1 442 millions et demi pour 9 750 toneladas. D’une fluctuation à l’autre, il y a donc eu retour à une normale antérieure quant à la composition des exportations et la valeur unitaire des cargaisons types. La croissance volumétrique aura été achetée au prix d’un certain retour offensif, sous cet angle, de structures archaïques.
82Cette constatation, cette mise en parallèle des volumes avec l’incontestable rupture d’équilibre du tonnage, a l’avantage de rendre à l’ensemble de la fluctuation décennale une unité que le morcellement apparent du mouvement volumétrique risquait de compromettre. Certes, la seconde fluctuation primaire, avec, entre autres facteurs, ses importants dégagements vers l’Amérique de relativement pondéreux, possède une personnalité très forte qu’on ne saurait lui contester, mais beaucoup de ses caractères découlent des caractères mêmes de la fluctuation précédente. Cet enchaînement renforce l’unité du cycle tout organique et fortement charpenté.
83Mais le jeu, au demeurant, difficile, à suivre, des rapports respectifs des volumes et des valeurs, ne saurait, en aucun cas, estomper la réalité d’une expansion volumétrique, le seul aspect de la réalité qui soit véritablement incontestable, totalement à l’abri de toute subjectivité42. Et cette expansion pose suffisamment de problèmes encore pour qu’il ne faille point négliger aucun facteur d’explication, les facteurs politiques ou politico-militaires, pas plus que les autres. Il ne saurait y avoir conflit, moins encore, alternative, pour quiconque prend à l’égard du déroulement des faits, suffisamment de recul, dans le champ des explications, entre ce qu’il est commode de classer sous les étiquettes faciles mais souvent trompeuses, qui ont nom, politique ou économique.
5. Les facteurs politiques et militaires
84En fait, pas plus qu’une véritable histoire politique ne saurait être exclusive du substratum des structures économiques, techniques, géographiques et sociales sur lesquelles elle déroule l’enchaînement des événements qui la constituent, pas plus qu’elle ne peut ignorer, dans la mesure où ces structures en comportent, le dessin de la conjoncture économique, quand, du moins, cette dernière est mesurable, tout aussi bien, une tentative d’explication rationnelle des faits, des séries, des mouvements, de la vie économique globale d’un espace aussi vaste que celui que l’on cherche, ici, à saisir ne saurait être exclusive des facteurs politiques qu’elle explique et qui l’expliquent.
85Or les événements qui précèdent l’Invincible Armada sont, politiquement, — on le sait — lourds de signification. Et l’Union des deux Couronnes, au cours de ces années un des drames les plus graves de la très grande politique. Il n’est donc pas excessif, dans ces conditions, de les évoquer à nouveau, en cherchant à en mesurer l’incidence.
86a. L’Union des deux Couronnes. — En dehors de la documentation chiffrée et des séries du mouvement, les sources littéraires de la Casa de la Contratación, on le reconnaîtra modestement, sont peu explicites.
87Mais le silence partiel des sources n’est pas totalement dépourvu de signification. Étant donné la relative sensibilité, mille fois prouvée, lors de la grande crise du rebroussement de toutes les tendances majeures43 notamment, de la correspondance de la Casa de la Contratación aux problèmes et aux difficultés auxquelles la Carrera doit faire face aux événements qui, d’une manière ou d’une autre, l’affectent — aux malheurs, il est vrai, plus qu’aux bonheurs44 — on peut se demander si le relatif silence des sources non chiffrées aux incidences de la juxtaposition des deux empires Atlantique de l’Espagne et du Portugal, n’est pas dû au moins, autant qu’au hasard ou à la prudence de nos sources, au peu d’incidence d’un phénomène, a priori, pourtant, aussi important, que l’Union des deux empires ibero-atlantiques.
88La première leçon qu’il faudra bien se résoudre à accepter sera, donc, celle d’une assez médiocre incidence des événements de 1580 sur les trafics et les mouvements d’un Atlantique au cœur duquel ils se trouvent, cependant, placés. Et pourtant, l’embouchure du Guadalquivir, n’est-elle pas à plus de cent kilomètres à peine du Guadiana, la traditionnelle frontière, sur les quarante derniers kilomètres de son cours, des deux royaumes ibériques ? Les deux archipels des Canaries et des Açores ne sont-ils pas les piliers de toute la navigation à voile de l’Europe avec l’outre-Atlantique45 : les Canaries à l’Aller, pour quiconque prend l’alizé, les Açores au Retour, balayées, nécessairement, par le contreflux des moyennes latitudes ? Tout cela n’est pas soumis, on l’a vu, aux caprices du temps, dans le cadre très large d’un même univers des techniques maritimes.
89Cette interférence des archipels ibériques dans leurs fonctions impériales et la superficielle imbrication — imbrication, à condition d’ignorer les vides et les immensités quasi interplanétaires d’un monde qui vient d’éclater pour tenter d’embrasser paradoxalement la Terre, avec des moyens qui restent ceux d’un Moyen Age qui se prolonge à travers tout le xvie siècle jusque, plus tard qu’on ne l’a cru, dans la première moitié du xviie siècle — l’imbrication apparente, du moins des deux empires, dans l’Atlantique, en Amérique, en Extrême-Orient, l’interférence des îles, l’interprétation des domaines continentaux inciteraient, a priori, à supposer même sous l’angle étroit des préoccupations de Séville, une grande importance à une union, qui aurait dû faciliter, vraisemblablement, l’exploitation économique des positions acquises.
90Mais, trois facteurs, au moins, tendent à limiter la portée économique du grand acte politique. Tout d’abord, l’immensité des espaces, sur laquelle il est inutile d’insister, tant elle est évidente. La nature, aussi, d’une Union purement dynamique, qui ne fut jamais, beaucoup plus, dans les premières décades, surtout, qu’une juxtaposition, à la limite, plus tard, même, par les complexes qu’elle devait engendrer de part et d’autre, une entrave à la collaboration, ou si l’on veut aux relations d’un bon voisinage mouvementé. En ce sens, l’Union des deux Couronnes ne modifiait radicalement rien à la structure des rapports des deux empires, en leurs points de contact. Le fait, enfin, que les rapports hispano-portugais46, au sein de l’Atlantique de la Carrera, semblent bien avoir suivi — on l’a vu — une ligne propre, très largement indépendante du grand drame politique de l’Union des deux Couronnes. A telle enseigne, qu’à la limite, on serait presque tenté de dire que ces fluctuations ont contribué, d’une manière décisive, à faire puis à défaire de fragiles édifices politiques, porteuses si on veut bien et en forçant beaucoup, de 1580 et de son négatif 1640.
91Mais, l’Union des deux Couronnes, quelle que soit l’importance qu’on lui accorde, n’est pas un fait qu’on escamote. Tout au plus convenait-il, d’entrée de jeu, d’en ramener la portée dans la Carrera à des proportions plus justes que celles qu’on serait, a priori, tenté de lui accorder.
92Comment en apprécier l’incidence, sur le déroulement de la conjoncture ? Là encore, plus peut-être que par le contenu de la correspondance de la Casa de la Contratación, il faudra se laisser guider par la marche des séries chiffrées.
93La réalisation de l’Union et les difficultés qui ne s’aplanissent pas aux Açores avant 1582 — le fait n’est pas indifférent — correspondent au palier des mouvements. Il est difficile de ne pas en déduire que l’Union, d’abord, avec les espoirs futurs et les aléas présents d’une petite guerre non totalement négligeable, a été un facteur déprimant dans l’immédiat ou, plus exactement, un facteur inhibant. Un facteur paralysant au tout départ ne serait-ce qu’en gênant, par l’insécurité aux Açores, la tranquillité des Retours. Cette gêne, sur la route des Retours a, peut-être, retardé le déclenchement de ce réflexe qui va vider les Indes de ses réserves, en tonnage et permettre à l’expansion de s’exprimer par un gonflement des volumes après un simple tri des valeurs.
94Insécurité pour l’immédiat, gros espoirs pour l’avenir..., tout cela aura bien contribué à retarder le départ attendu des mouvements, puisqu’au vrai — on s’est déjà longuement étendu sur ce point — ce qui est difficile à expliquer c’est moins une expansion très naturelle que le retard à l’expansion. A partir de 1583-1584, toutefois, l’Union est chose faite, la libre disposition des Açores assurée et, par conséquent ce qui aura été, de ce fait, entravé, dans la première phase du cycle, sera tout naturellement retrouvé.
95Mais l’Union des deux Couronnes n’a pas été uniquement — l’extraordinaire élasticité des courbes, leur prodigieux bond en avant tendent à le prouver — un facteur négatif, qui aurait agi, simplement, par transfert et report, elle aura constitué également un élément positif d’expansion. Elle aura, vraisemblablement, apporté, à partir de 1583-1584, un sentiment de sécurité, de plus grande tranquillité, sur le chemin des Retours, beaucoup plus encore qu’à l’Aller, en raison de l’indispensable et rassurante base des Açores — d’où l’ennemi sera tenu à l’écart — plus commodément, désormais, du moins, peut-on se plaire à l’imaginer. Il aura fait naître aussi — pourquoi ne pas l’admettre ? — du côté espagnol, une vague d’optimisme collectif favorable à l’entreprise, qu’un tel succès a bien pu provoquer, une fois l’événement assuré et consolidé.
96Dans ces conditions, les mouvements volumétriques dans l’Atlantique de la Carrera, tant par le plateau déprimé 1579/1580-1583 que par la fluctuation de l’expansion 1584-1587, répondent, assez bien, à ce que l’on pouvait imaginer après une analyse attentive des influences sur le trafic de l’Atlantique hispano-américain du grand fait politique de 1580. La richesse et la conformité des mouvements à ce schéma logique, supplée, en quelque sorte, à la médiocre loquacité des textes.
97b. De la paix et de la guerre. — La conformité des mouvements s’étend, en réalité, plus loin. Elle correspond, en fait, à l’évolution, au sens le plus large, au cours du même secteur chronologique, de la sécurité des communications impériales espagnoles dans l’Atlantique.
98On est tenté de se tourner, d’abord, vers les tableaux des pertes47. Ils risquent de paraître décevants, parce qu’on ne peut avoir l’absolue certitude qu’ils aient bien tout englobé, parce qu’il n’est pas toujours possible d’assurer une ventilation parfaite des causes des pertes. Telles sont les raisons pour lesquelles ces tableaux constituent bien une arme satisfaisante à l’égard d’une conjoncture à grands traits, une arme précieuse pour l’étude des structures48 mais ne répondent pas, peut-être, ici, immédiatement, avec toute la sensibilité désirable.
99Les résultats, pourtant, ne sont pas négligeables. Ils ne permettent guère d’individualiser la fluctation de l’expansion par rapport à ce qui précède49, mais ils permettent admirablement de souligner le contraste par rapport à ce qui suit. Au-delà de 1588, un énorme décrochement délimite, sur trois ans, un plateau record des pertes, un plateau très élevé encore sur cinq ans..., Guerres, intrusion de navires usés ou moins bien adaptés à leur tâche en sont responsables, sans doute.
100On notera, toutefois, à l’intérieur de ces limites, combien la méthode statistique, malgré les insuffisances souvent signalées, en l’occurrence et pour cet objet précis des contrôles à la base, permet, toutefois, de saisir, c’est un grand mérite, jusqu’aux articulations moyennes d’une fluctuation décennale.
101Mais il convient de ne pas perdre de vue — et cette constatation est susceptible de dissiper nos dernières inquiétudes — que les pertes n’agissent, ni simplement, ni directement, sur la conjoncture des mouvements. Physiquement, en quelque sorte, elles ne peuvent agir qu’au-dessus d’un certain seuil, rarement atteint, en affectant, par exemple, d’une manière sensible, le niveau général du tonnage disponible ou par de lourdes destructions de capital qui énervent le négoce. Or ce n’est, manifestement, guère le cas dans la première partie du cycle 1579-1592. Par contre, l’action psychologique est extrêmement importante.
102Or, le déroulement des faits politiques et des événements militaires dans l’Atlantique, montre — on est bien obligé de le constater — une très sensible amélioration pour l’Espagne, de 1582 environ à la fin de l’année 1585, soit, avec une bonne année d’anticipation, exactement le dessin des contours chronologiques de la seconde fluctuation vraie d’expansion volumétrique maxima de 1583-1584 à 1586-1587. Henri Lapeyre aura dessiné, avec une extraordinaire vigueur, les caractéristiques de cette courte et bénéfique période pour l’Espagne. Il suffit de se reporter aux pages qu’il lui consacre50 totalement en dehors des préoccupations de conjoncture qui sont les nôtres. Son objectivité ne saurait être mise en cause et son appoint, ici, n’est, pour nous, de ce fait, que plus précieux encore.
1031582 marquerait, en quelque sorte, le terme extrême de la domination du danger français sur les communications maritimes espagnoles. Henri Lapeyre a pu l’établir, avec certitude, pour le cabotage Atlantique de la péninsule en direction du Nord. On peut étendre, sans danger, la leçon à l’ensemble de l’espace Atlantique et, partant, à la Carrière des Indes tout entière. 1573-1580 — Henri Lapeyre le montre à travers une documentation aussi riche que variée, empruntée, pour l’essentiel, à la correspondance d’affaires du fonds Ruiz, une documentation bien à l’abri, par conséquent, de l’optique des gens du Roi et charpentée suivant les lignes de force de préoccupations que nous nous efforçons de retrouver, entendez celles-là, surtout, du négoce et de la mer — aura été la grande période de la course « rochelaise », course protestante, totalement indépendante de la Cour et de l’État, particulièrement vigoureuse, quand les trêves des guerres de religions libèrent, en France, contre l’Espagnol, les forces des petites républiques calvinistes de l’Ouest détournées, pour un temps, du rude combat qu’elles mènent contre la France catholique et notamment, contre Saint-Malo, la République catholique bretonne, principale rivale, en quelque sorte, de La Rochelle réformée.
104A partir de 1580, mieux de 1580 à 1585, la pression va se relâchant, avec la constitution et la mise en place des forces de la Ligue. Ne sont-ce pas elles qui détournent de l’Atlantique vers l’intérieur, les forces du Sud-Ouest huguenot, le seul adversaire français à la limite, de la Carrerai Mais, en réalité, de 1580 à 1582, la pression française, agissant sur sa lancée, reste forte encore contre les points les plus divers de l’Empire espagnol. Ce sont les victoires éclairs, les dernières, du Duc d’Alençon, un instant maître des Pays-Bas, après l’occupation, sans lendemain, d’Anvers, puis de Bruxelles. Au début, de 1582, Catherine de Médicis est étroitement mêlée aux événements des Açores, dans des efforts désordonnés et inutiles pour empêcher que ne se cimente l’union des deux Espagnes atlantiques. Mais au-delà de 1582, la France s’anéantit, quinze ans durant, dans des luttes intestines qui passent par un paroxysme. L’Empire espagnol est soulagé, pour un temps, du poids énorme, au Nord de l’Atlantique de la Carrière des Indes, du corps gigantesque de cette France qui, par sa masse démographique, joue alors, toutes proportions gardées, le rôle d’une Chine de l’Occident. Certes, la course des petites républiques protestantes de l’Ouest français n’est pas définitivement dépassée, on peut estimer, toutefois, qu’à partir de 1580 ou 1582, la France se retire de l’avant-scène.
105On sera, par conséquent, sensible à ces articulations chronologiques. 1573-1580, voire 1573-1582, correspond très exactement au grand plateau constitué par le cycle précédent et de la première fluctuation primaire du plateau initial du cycle de l’invincible, elle correspond aussi à la période de pression maximale, peut-être, de la course française sur l’Atlantique espagnol et hispano-américain.
106L’Espagne a, il est vrai, depuis peu, d’autres adversaires. Les gueux du Nord ne se manifestent guère encore, ailleurs, que sur les routes du cabotage, le long des côtes françaises de la Manche et de l’Océan, en dehors de leur emprise sur la Mer du Nord et sur les chemins qui vont vers la Baltique, mais il en va autrement de l’Anglais... Avec lui, le conflit sourd, hypocrite, est ancien, mais il y a mutation dans la nature comme dans le volume du conflit. Henri Lapeyre n’hésite pas, avec combien de raisons, à placer dans la seconde moitié de l’année 1585, le tournant décisif. Le 17 avril 1585, Farnèse s’empare d’Anvers. C’est une date lourde de signification et pleine d’importance. En réponse, Élizabeth, qui sent l’étreinte se refermer sur la Grande-Bretagne, intervient directement et ouvertement dans le conflit des Flandres.
107Arrivé à ce point, le rythme des événements se précipite. Philippe II riposte par la saisie des navires anglais dans les ports de son domaine. On connaît la suite51. Alvaro de Bazan, le célèbre et redouté marquis de Santa Cruz, l’homme, dans l’Atlantique des ibériques, de la révolution des gros navires, fait adopter son projet d’Invincible Armada, entendez par là qu’on jettera dans la balance tout le poids des géants que l’Espagne utilise, toujours plus nombreux et toujours plus lourds, dans ses communications avec l’Amérique. On savait déjà, mais on sait encore mieux, aujourd’hui52, combien l’expédition qui va lancer la Carrière des Indes et tout ce qui anime l’Atlantique espagnol et hispano-américain à l’assaut de l’archipel, a été populaire, portée, en fait, par le consensus quasi universel de la nation pensante, consciente et, certainement, pour le moins, des classes marchandes sur qui pesait lourdement le poids de la guerre et de la concurrence britannique. 1587, on s’inquiète du départ de Drake en direction des Indes, bientôt, ce sera l’incendie de la flotte à Cádiz, 1588, l’échec paradoxal et injuste de la grande Armada... L’accident, à l’état brut ou presque, s’il en fût jamais.
108Comme souvent, en pareil cas, entre la période du danger français et la grande crise des rapports hispano-anglais, vient s’intercaler, de 1582 à la fin de 1585 — il faudrait même écrire pour la Carrera de 1582 à la mi-1586 — une période de relaxation des dangers, de calme relatif. Et c’est là, exactement que vient s’inscrire, confondue avec cette période de moindre tension, la grande fluctuation des niveaux records d’avant l’Invincible. Quant à la légère anticipation du politique et militaire sur la dynamique économique, rien de plus naturel. On a eu l’occasion de montrer — et, tout récemment encore, à propos de l’influence supposée de l’Union des deux Couronnes53 — qu’il y avait dans ce décalage, comme la caractéristique quasi-structurelle d’une corrélation.
109Si l’économique réagit, face à l’événement politique et militaire, il le fait par le psychisme individuel et plus encore, collectif, des hommes, des mêmes hommes, souvent, qui commandent à l’un comme à l’autre. A ces hommes, il leur faut le temps de percevoir, puis de comprendre, puis de réagir. Or, sur le plan du collectif, une fois de plus, fidèle au rendez-vous, cette lenteur, cette pesanteur, si profondément caractéristique du Social sous toutes ses formes. Le décalage chronologique observé, entre le déroulement politique des faits et la conjoncture économique, loin d’infirmer, de diminuer les chances d’une corrélation, les augmente, au contraire, puisqu’il établit entre deux ordres de phénomènes, juste le laps de temps nécessaire pour qu’on puisse parler de causalité, ou, du moins, d’une présomption de causalité.
110Le calme militaire relatif des années 1582-1585 ne commande pas — cela va sans dire — la grande expansion de la seconde fluctuation primaire. Toutefois, nul ne peut nier qu’il la facilite. Le calme militaire a, vraisemblablement, contribué à lui conférer toute son ampleur et cette vigueur exceptionnelle sur laquelle on a trop longtemps insisté pour qu’il faille y revenir encore.
111Tous ces facteurs auront contribué, suivant une hiérarchie qu’il n’est pas toujours facile de fixer, à faire des quatre ans qui précèdent le gros accident de l’Invincible Armada, un des moments les plus propices — prospérité essentielle pour comprendre, entre autres, le dynamisme même de l’invincible et la facilité avec laquelle, comme l’avait si bien vu déjà Henri Hauser54, l’injuste accident de 1588 a été surmonté — un des grands moments de l’Atlantique espagnol... d’un Atlantique espagnol et hispano-américain, tout proche, déjà, de ses sommets.
112Cette très remarquable réussite, il ne reste plus, désormais, qu’à en serrer, au plus près, la réalité dans le temps.
Notes de bas de page
1 Cf. ci-dessus, p. 565-608.
2 Cf. t. III, p. 398
3 Cf. ci-dessous, p. 759-761
4 Cf. ci-dessus, p. 676, 649-650.
5 Cf. t. VI1, tables 162-164, p. 361-363, t. VII, p. 52-53
6 Il n’en demeure pas moins, pourtant, que, si on ne se borne plus à l’écart d’une seule année, mais si on envisage tout un groupe d’années, on notera qu’autour de 1550 l’écart cyclique ou, si on préfère, l’amplitude relative de l’expansion était un peu plus forte, entre 1548 et 1552 qu’il ne l’est ici. Par l’importance de l’écart cyclique d’un groupe d’années à la moyenne — révélée commodément par la méthode graphique (cf. t. VII, p. 52-53) — on notera donc que, mises à part les toutes premières décades d’interprétation difficile, un semblable écart global n’est atteint et dépassé sur les Allers, qu’une fois, autour de 1608, au point de rebroussement de la tendance majeure et, une autre fois, on l’a vu de 1548 à 1552. Il en va sensiblement de même, sur les Allers et retours, où l’écart global des chiffres vrais à la moyenne n’est réalisé que trois fois, autour de 1560, autour de 1586 et de 1608, sur une même échelle. En Retours, par contre, la construction graphique indique beaucoup plus clairement que l’écart moyen des années du second cycle 1583-1587 à la moyenne mobile correspondante, est le plus fort de tous ceux qu’on peut observer au cours d’un siècle.
7 S’établit par simple comparaison des graphiques (cf. t. VI1, p. 162-164 et t. VII, p. 52-53).
8 Cf. ci-dessus, p. 565-608.
9 Cf. ci-dessus, p. 617-618 sq.
10 Cf. ci-dessous, p. 795 sq.
11 Cf ci-dessous, p. 767-840.
12 Cf. ci-dessus, p. 654-656.
13 Cette distorsion, cette différence dans nos divers moyens d’appréciation de la masse économique et, fonctionnellement, la médiocrité, le retard de la connaissance des prix par rapport à la connaissance des trafics, aura constitué une des plus insurmontables difficultés à la construction de modèles sûrs rendant vraiment compte des phénomènes rencontrés.
14 Cf. t. VI1, table 16, p. 174-175.
15 Vitorino Magalhâes Godinho, Prix et monnaies au Portugal. Paris, A. Colin, 1955-XVI, 372 pages, cartes et graphiques hors texte. Publication du Centre de Recherches Historiques, « Monnaie. Prix. Conjoncture », no 2, et compte rendu lumineux de Pierre Vilar, Annales E.S.C. 1955, no 4, p. 565-568.
16 Dans le cadre de l’économie espagnole du xvie siècle, le travail de Hamilton permet d’apprécier la relative rigidité des salaires, en général, par rapport aux prix (cf. EJ. Hamilton, 1501-1650, op. cité, p. 273). On aura été sensible à la relative rigidité de la courbe des salaires comparativement à la nervosité des prix.
17 On pourrait ajouter, d’ailleurs, en sens contraire que l’existence d’une corrélation positive prix-trafic, dans les conditions, que nous nous efforçons de préciser, constitue une présomption solide en faveur de la portée très générale du schéma classique établi par M. Labrousse.
18 Cf. ci-dessus, p. 177-180.
19 EJ. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 390 à 392.
20 Cette circonstance facilite l’intelligence de la liaison. Elle est plus compréhensible encore dans le cas de hauts prix non liés à une récolte catastrophique.
21 La preuve reste à fournir pour l’étude concrète de quelques entreprises. Nous l’appelons dans la mesure vraisemblable du possible.
22 H. Lapeyre, Une famille de banquiers : les Ruiz, op. cit.
23 En raison des lacunes des tables de Hamilton (1501-1650, op. cité, p. 198), lacunes pour les années 1581, 1583 et 1586 ; mais la marche d’ensemble est assez facilement et sûrement extrapolable, grâce, notamment, aux similitudes toujours constatées avec la Nouvelle Castille.
24 Cf. t. VI1, tables 166, 169, 172, p. 365, 368 et 371.
25 Cf. ci-dessus, p. 615-617.
26 Cf. ci-dessous, p. 560-563 ; 617-620.
27 Cf. Woodrow Borah, New Spain’s Century of Depression, op. cit. ; Sherburne F. Cook and Lesley Byrd Simpson, The Population of Central Mexico in the Sixteenth Century, op. cité.
28 Cf. EJ. Hamilton, 1501-1650, op. cité, p. 43. Est-il besoin de répéter, une fois de plus, qu’il n’entre pas dans notre propos de confondre le secteur minier, pour important et privilégié qu’il soit, avec l’ensemble de l’économie coloniale ? D’autant plus que nous ne saisissons avec quelques certitudes, ici, que les exportations en direction de l’Espagne. Exportations qui, nous empresserons-nous d’ajouter, calquent, moins qu’on ne l’a cru parfois, pour la Nouvelle-Espagne du moins, mais beaucoup plus que partout ailleurs, le volume de la production totale. Pourtant, deux facteurs au moins, doivent être pris en considération : le fait que, seule, entre immédiatement dans notre système de l’Atlantique, une mince couche d’économie coloniale, la seule, pourtant, qui soit décisive, à l’échelle de l’histoire du Monde, le rôle particulier, dans cette économie coloniale, du secteur minier, en raison d’une exceptionnelle et, de prime abord, paradoxale extraversion.
29 F. Chevalier, La formation des grands domaines au Mexique, op. cit.
30 W. Borah, New Spain’s century of depression, op. cit., p. 11-12.
31 Cf. t. VIII1, p. 495-510 ; 528-534 ; 685-688 ; 802-809.
32 Cf. ci-dessous, p. 803 sq.
33 Cf. t. VI1, table 226, p. 472, notamment.
34 Cf. t. I, p. 169 sq.
35 Cf. t. VI1, plus particulièrement, tables 131,134,137,166,169,172, p. 329,332,335,365, 368 et 371.
36 Cf. ci-dessus, p. 609-672.
37 C’est-à-dire par rapport à la position d’équilibre normale, Allers, 58 %, Retours, 42 %. Cf. t. VII, p. 52-53.
38 Parts respectives des Allers et des Retours par rapport au trafic global, au cours des principales articulations conjoncturelles de la fluctuation 1579-1592 cyclique.
39 Cf. t. VI1, tables 14 à 18, p. 170-177.
40 En Allers, par exemple, ne disposent-elles pas, de 1584 à 1587, de 19 507,5 toneladas annuellement, au lieu de 15 839,4 toneladas, de 1579 à 1583.
41 En effet, il y a encore un léger progrès, mais en Allers seulement et largement compensé par le recul des Retours. A l’Aller, moyenne annuelle, 20 683,8 toneladas de 1588 à 1592 contre 19 607,5 toneladas de 1584 à 1587.
42 Cf. t. I, p. 125 sq.
43 Cf. t. IV, p. 112 à 594.
44 Il est vrai, qu’en échange, la Casa, face au Roi en son Conseil, et, a fortiori, gens d’affaires et gens de mer, quand ils s’adressent à elle sont beaucoup plus prêts à faire valoir leurs ennuis et les entraves à la prospérité de leurs affaires, qu’ils ne le sont à se targuer de leurs succès ou de leur chance. Nos sources littéraires, entendez la correspondance de la Casa de la Contratación, sont indissociables — facteur explicatif à ne jamais perdre de vue — de l’interminable dialectique qui associe et oppose au contrôle fiscal de l’État les forces économiques du Guadalquivir et des Indes. On a trop longuement insisté, déjà, sur le caractère impérieux des liens qui unissent la Casa aux marchands, pour qu’il faille rappeler que la Casa, elle-même, se comporte, ici, beaucoup plus comme un organe marchand qu’elle ne le fait comme un organe d’État. Entendons, donc, la correspondance de la Casa, un peu, comme la correspondance d’un contribuable à son contrôleur... Même retenue, mêmes éclairages. Mais la correspondance de la Casa est bien autre chose, encore. Il serait presque aussi dangereux de prendre trop à la lettre ce conseil de prudence que de l’ignorer.
45 Cf. t. VIII1, p. 349-461.
46 Cf. notes aux tableaux des t. III, IV, V et t. VIII1, p.212-222 ; 259-264.
47 Cf. t. VI,4 tables 601 à 668, p. 861 à 975, plus particulièrement table 610, p. 870.
48 Précieuse surtout, la ventilation géographique des pertes. T. VI2, tables 648-668, p. 952-975, t. VII, p. 120-122.
49 La marge d’approximation est trop large, du moins, pour qu’on puisse, de ces données, conclure valablement.
50 H. Lapeyre, Une famille de marchands : les Ruiz. op. cit., p. 419 sq.
51 H. Lapeyre, ibid., p. 422.
52 H. Lapeyre, ibid., p. 422. Cf. lettre que Francisco de Hontaneda écrivait, de Rouen, où il représente assez bien l’opinion de la colonie commerçante espagnole, en juin 1586.
53 Cf. ci-dessus, p. 658-659, 695-697.
54 Henri Hauser, La prépondérance espagnole, op. cit., p. 148-149.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Meurtre au palais épiscopal
Histoire et mémoire d'un crime d'ecclésiastique dans le Nordeste brésilien (de 1957 au début du XXIe siècle)
Richard Marin
2010
Les collégiens des favelas
Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro
Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992