Chapitre VII. Le cycle royal de l’argent (1578-1592). Première fluctuation, transition et plateau (1578-1583)
p. 609-672
Texte intégral
1Une crise exceptionnelle de croissance a paru être le trait majeur de ce cycle royal de l’argent, dont on s’est efforcé, précédemment, de dénombrer et d’analyser les caractères les plus généraux, sans prétendre, pourtant, tout épuiser et tout expliquer.
2Seule, l’étude successive, point par point, des trois fluctuations courtes qu’on a cru pouvoir individualiser, au cours de ce cycle de reprise, particulièrement long, de quatorze années permettra, en posant les problèmes dans leur déroulement chronologique, de faire naître des éclairages nouveaux, de faire apparaître des interférences nouvelles.
3Néanmoins, les caractéristiques majeures de la première fluctuation primaire qu’on a cru pouvoir distinguer, de 1578 à 1583, toute de transitions, et dont la forme s’apparente à celle d’un plateau, ne s’imposeront pas, d’entrée de jeu. L’observateur pressé pourrait même, à la simple vue des constructions graphiques, penser que le palier relatif du cycle précédent se prolonge jusqu’en 1583.
4On ne reviendra pas, pourtant, sur le point de départ de cette première fluctuation — il concorde nécessairement avec celui du cycle — ou sur les raisons qui ont conduit au choix de l’année 1578, comme point d’arrivée de la précédente fluctuation et comme point de départ d’un nouveau cycle. L’accident de 1578 — on a vu1 — tant en chiffres absolus qu’en valeur relative, avec une étonnante concordance de toutes les séries, est parmi les plus importants de toute une période, d’autant plus probant qu’on peut difficilement l’attribuer à quelque deus ex machina, la guerre, le temps ou une quelconque arythmie accidentelle et extérieure du mouvement.
5Certes, l’accident moteur, à l’Aller, est imputable à un fléchissement important du mouvement en direction de l’isthme et, au-delà, du Pérou, mais ni la mer, ni la guerre n’entrent ici en ligne de cause. Et le rythme biennal des départs est chose bien révolue : en 1578, treize navires sont partis en direction de l’isthme, représentant 3 770 toneladas ; des départs ont eu lieu en cette direction en 1577, d’autres auront lieu encore en 15792. Rien, non plus, dans la chronologie des départs ne permet d’attribuer l’accident à quelque artifice du découpage annuel. Le creux de 1578 constituait bien, à la charnière des deux cycles, un accident véritable qu’on ne pouvait imputer à d’autre cause qu’à une conjoncture purement intérieure.
I. — LA CRISE DE 1578.-ESSAI D’INTERPRÉTATION
6L’accident initial de 1578 — sa bonne compréhension est indispensable à toute interprétation valable des séries dans les premières années du cycle 1578-1592 — paraît commandé par des événements qui sont certainement antérieurs et dont l’action se fera longtemps sentir.
7Tout découpage conjoncturel est, nécessairement, subjectif. S’il est, aujourd’hui, dans nos économies, hautement tributaire de la statistique économique, comment ne le serait-il pas infiniment plus encore dans l’Ancien Régime sur les minces bandes réductibles de la masse économique globale, émergeant d’énormes masses d’ombre aussi importantes que perdues sans recours. Tout dépend, pour l’essentiel, de l’angle sous lequel on aborde la série.
8Nous avons opposé — et toute notre interprétation en dépend — à un cycle d’expansion freinée, un cycle d’expansion accélérée qui renoue avec l’expansion séculaire, un instant, contrariée. Il ne s’agit pas, bien sûr, de renier ici, une interprétation qui rend compte, d’une manière satisfaisante, de beaucoup d’aspects de ces vingt ans et l’insère — autre avantage — dans un schéma homogène, valable pour tout un siècle. Mais à ce schéma, on aurait pu en substituer un autre qui se trouverait réalisé, graphiquement, par une moyenne arrière de trois ans, voire même de cinq ans3. Ce découpage consisterait à annexer au cycle d’expansion rapide de 1559-1571 les premières années de 1571-1578 et à former ainsi un creux largement étalé et vigoureusement creusé.
9Entre une violente poussée qui va de 1559 à 1574, à peine ralentie vers la fin et une montée en chandelle de 1583 - 1584 à 1588-1590, un large plateau s’étale sur dix ans environ. Inégalement ventilé entre les deux cycles, ce long palier-plateau explique, en réalité, que 1571-1578 puisse apparaître, globalement, comme un cycle de croissance bloquée, alors que presque toute la force d’expansion de la fluctuation se trouve ramassée de 1584 à 1587. Dans ces conditions, 1578 cesse d’être la charnière de deux cycles, pour n’être plus que le centre déprimé d’un vaste plateau concave, dont les bornes seraient marquées par les années 1574 et 1584 ; et l’on pourra ainsi être tenté d’insister sur l’unité conjoncturelle des périodes qui précèdent et suivent l’année faussement fatidique de 1578.
10Or, une interprétation de cet ordre suppose, c’est effectivement le cas, qu’on trouve dans le creux de 1578 des causes qui lui sont largement antérieures, mais dont les effets ne se limitent pas, par définition, à la seule année de l’accident cyclique.
11Quand on cherche à expliquer l’étonnant relâchement qui affecte le tonus des trafics dans l’Atlantique, au moment du creux charnière qui sépare ces deux fluctuations, on est frappé par cette constatation : le complexe causal qu’on peut essayer de placer à son origine, d’une part, est noué avant 1578, il est loin, d’autre part, d’être dénoué aussitôt après, mais il passerait, peut-être, en 1578, par un paroxysme d’efficacité.
12Il importe donc d’examiner d’abord ces raisons, qu’il faut bien placer à l’arrière-plan, non seulement de la crise de 1578, mais, au même titre, de toute la vaste et large dépression qui va de 1574 à 1584.
LE POIDS DE L’ÉTAT. FINANCES ET ÉCONOMIE
13La longue crise ou, plus exactement, la longue période de récession relative et d’essoufflement, qui va de 1571 à 1583-1584, amène à poser, une fois de plus, mais d’une manière concrète, le problème des rapports de l’État et de la conjoncture économique dans le cadre géographique de l’Atlantique hispano-américain.
1. La banqueroute de 1575 et la faillite de 1576
14Il y a, tout d’abord, la banqueroute de 1575 — elle est, à la fois, effet et cause de la crise du trafic — dont les effets, semble-t-il, n’ont pas été aisément absorbés par le commerce de Séville, à la différence de ce qui s’était passé, lors du précédent de 15574.
15a. La banqueroute et Séville. — Peut-on raisonnablement attribuer à un fait, qui se situe dans un secteur, quand même, assez circonscrit de l’État et qui s’est produit, en gros, à l’échéance normale d’un rythme presque régulier de vingt ans, une influence aussi importante et aussi prolongée ?
16On manque, pour juger des effets sur le trafic de cette nouvelle banqueroute de l’État, de renseignements suffisants sur l’exacte ampleur, sur l’exacte ventilation des pertes. On n’oubliera pas, pourtant, la masse croissante des arrivées d’argent d’Amérique, le rôle croissant de l’argent au cœur de la politique impériale de l’Espagne, l’importance accrue, semble-t-il, des embargos et des prélèvements sur les arrivées des trésors, des conversions forcées en juros rapidement dépréciés. Le détournement de l’effort maritime en direction de la Méditerranée, au moment de Lépante, a dû en accroître encore les effets dépressifs normaux. Ce climat tend à conférer à l’accident de 1575, une importance exceptionnelle.
17b. La faillite de la banque de Morga (1576). — La faillite, en 1576, de la banque de Morga5 renforce ce point de vue. Elle est liée, la chose est certaine, à la banqueroute de l’État espagnol, l’année précédente et cette liaison révèle — c’est un véritable caractère structurel — à quel point l’empire européen et méditerranéen de l’Espagne vit, désormais, en symbiose étroite avec Séville et son Atlantique américain..., dans la mesure où, fait bien connu, depuis longtemps, de l’historiographie traditionnelle, la grande politique de l’Espagne, aux meilleurs jours de la Contre-Réforme, est tributaire, en profondeur, des arrivées de l’argent des Indes.
2. Origines
18a. Essai d’explication traditionnelle : la grande politique méditerranéo-flamande et l’Atlantique. — Si la faillite de Morga exprime l’ampleur et l’étroitesse des liens à l’intérieur d’une symbiose nouvelle — du moins, poussée à ce point — elle constitue l’écho amplificateur de l’accident de 1575. La faillite de la plus grosse banque de Séville aura — nul ne peut s’en étonner —, par une sorte de réaction en chaîne, entraîné une série de difficultés se répercutant sur plusieurs années. En 1579, encore, la Casa de la Contrataciόn, pour expliquer le marasme persistant à Séville, se fait l’écho des plaintes qui en rendent responsables la faillite de la banque de Morga6 et par delà la faillite dont les causes profondes ne font pas de doute, l’État, son véritable promoteur. Et l’on n’a pas le droit, malgré la propension bien connue de la Casa à couvrir le négoce sévillan, d’écarter son explication La double mutation méditerranéenne et flamande de la politique espagnole, au cours des années 70 aura — si on veut bien accepter le schéma sévillan qui rejette sur le krach de Morga et partant, sur le Roi, la responsabilité d’un trop long palier — constitué un facteur décisif de ce long ralentissement, sur dix ans, de la pente ascensionnelle des mouvements.
19Que les opérations de Floride, jadis7, contre les Açores, demain8, que la lutte hispano-anglaise, après-demain, à son paroxysme9 n’aient pas eu le même effet, il n’y a rien de surprenant, dans la mesure où elles se sont déroulées dans les limites de l’espace de l’Atlantique espagnol... les parties prenantes de l’Atlantique de Séville récupérant ainsi une partie des forces qu’elles avaient dû fournir.
20On pourrait établir — sous forme de règle, sinon de loi — qu’un effort militaire est d’autant plus lourd, d’autant plus négatif pour l’unité économique qui doit le fournir, que les opérations, auxquelles, il aboutit, se déroulent dans un espace plus éloigné ou, du moins, en dehors de l’espace géographique dans lequel ces puissances économiques ont coutume d’agir10. C’est ainsi que l’effort politique et militaire de l’Espagne, dont le paroxysme, au cours, des années 70, se place, soit en Méditerranée, soit en Flandre, en dehors, par conséquent, du champ d’action normal de Séville, a pu être plus paralysant, peut-être, pour l’espace Atlantique, condamné à l’alimenter, partiellement du moins, et dont il détournait la force sans possibilité vraie de contrepartie, que les efforts des années 80, malgré de sanglants revers, parce que ceux-ci restaient, pour l’essentiel, dans le cadre Atlantique. C’est par ce biais, en quelque sorte, qu’on pourrait comprendre, comme la Casa elle-même invite à le faire, les répercussions exceptionnellement longues de la banqueroute de l’État en 1575 et de son inévitable corollaire, la faillite de Morga, à Séville.
21b. Le primat conjonctuel. Prix espagnols. — Mais on est, une fois de plus, en présence moins d’un lien simple de causalité, que d’un jeu complexe d’interréactions. Il est, vraisemblablement, plus vrai encore de considérer que ces épisodes (banqueroute et faillite de Morga), ont eu d’autant plus d’importance qu’ils sont venus s’imprimer sur un fond conjoncturel où les tendances récessives l’emportaient naturellement, d’autant moins susceptible donc de les éliminer facilement. La banqueroute de 1557, par exemple, est venue à la fin d’une période malade, dont elle liquide, en quelque sorte, le passif, à une époque où, manifestement, État espagnol et Atlantique de Séville sont beaucoup moins intimement imbriqués qu’ils ne le seront dix-sept ou dix-huit ans plus tard. Celle de 1575 vient à la fin d’une très longue période d’expansion, presque continue, qui donnait, depuis deux ou trois ans, quelques signes normaux d’essoufflement. Prix andalous et prix d’Espagne — autre signe infaillible de cette fatigue — refluent profondément, soit en 1575, soit, ce qui est plus grave, peut-être, encore, au lendemain de 1575. Au lendemain de 1557 et d’une manière, apparemment, tout à fait indépendante de l’événement de politique financière, les prix espagnols étaient repartis, enlevant tout dans un mouvement de vertigineuse euphorie. Les séquelles de la banqueroute, double, mais finalement une, de 1575-1576 sont difficilement résorbables, longuement et lourdement étalées, parce qu’elle se situe, fort mal, à la veille d’un assez grave accident des prix11.
22Ces deux séries pour nous, essentielles, de faits, lourds de conséquences, double banqueroute (dont la cause majeure est à chercher dans une exaspération et une extraversion de la grande politique espagnole) et profonde respiration des prix espagnols en 1576 et dans les années qui suivent, sont relativement, indépendants.
23L’antériorité de la banqueroute de l’État permet, en effet, de trancher le problème en faveur d’une forte présomption d’indépendance.
24Mais l’action cumulative de ces séries de phénomènes largement indépendants, explique 1578 et, au-delà de 1578, la persistance d’un creux. Les effets différents des deux banqueroutes de 1557 et de 1575 sur la Carrière des Indes pourront toujours être portés à l’actif des interréactions des facteurs politiques et économiques. Le facteur politico-militaire pur n’est jamais déterminant, mais son influence est d’autant plus sensible qu’il s’inscrit en frein ou en résonance sur l’onde économique..., un économique qui, pas plus que le politico-militaire, n’est indépendant des hommes.
25Mais si on suppose — comme on vient de le faire — que le primat des responsabilités incombe à un rythme indépendant même des conséquences pourtant si lourdes de l’action d’un État, aussi important pour son siècle, que l’État espagnol, il faudra chercher ailleurs. Et l’on en arrive, une fois de plus, à l’étude des équilibres au sein du mouvement entre les grandes masses géographiques de la Nouvelle Espagne, de l’isthme et des îles.
ÉQUILIBRES INTÉRIEURS
26Le hiatus, en effet, qui se place de part et d’autre du creux de 1578 et qui l’explique, semble avoir des causes précises dans une rupture d’équilibre aux Indes entre, essentiellement, la Nouvelle Espagne et la Terre Ferme entendez le Pérou.
1. Nouvelle Espagne et Terre Ferme
27a. De l’euphorie de la Nouvelle Espagne au relais de la Terre Ferme. — Depuis la grande récession intercyclique — on l’a vu — la Nouvelle Espagne a, par la régularité, l’équilibre et la masse tant absolue que relative de son mouvement, fortement contribué à la grande reprise de la seconde demi-phase longue d’expansion. Le dynamisme de l’économie et de la société coloniale de la Nouvelle Espagne est tel, alors, qu’il se traduit par deux conquêtes, l’une en profondeur, celle, autour de 1560, de l’adaptation de l’amalgame, aux conditions locales, l’autres en surface, l’annexion des Philippines aux Indes de Castille par la Nouvelle Espagne et le détournement, bientôt, sur Séville d’un filet infime, mais appelé à s’accroître, du commerce d’Extrême Orient. On a dit déjà12 le rôle déterminant des conquêtes de nouveaux espaces géographiques à l’origine des pulsations longues de la conjoncture.
28On va assister, en fait, à partir de la crise de 1575-1576, à une remontée absolue et relative de la Terre Ferme, destinée à jouer, pendant plusieurs décades, le rôle d’élément géographique moteur sur le destin de l’Atlantique. Cette substitution n’aura été ni simple, ni immédiate. En règle générale — c’est une caractéristique particulièrement importante — le déficit des Retours par rapport aux Allers est beaucoup plus important sur la ligne de la Terre Ferme que sur celle de la Nouvelle Espagne, en raison, sans doute, de la gamme beaucoup plus riche, beaucoup moins exclusivement métallique et monétaire, des exportations mexicaines sur l’Europe que ne le sont celles des plateaux andins. Le Pérou a, aussi, contre lui, le handicap de la distance et plus, peut-être, encore, de la pénible rupture de charge de l’isthme de Panama. Il n’est pas commode, dans ces conditions, de peser immédiatement le poids respectif de chacun des grand axes du trafic, on ne peut le faire, de toute manière, qu’en faisant intervenir, successivement, Allers, Retours et Allers et retours.
29C’est à partir de la seconde fluctuation primaire (1564-1571) du cycle 1559-1571, que la Nouvelle Espagne, après avoir remonté, puis égalisé le trafic avec la Terre Ferme, l’emporte de peu, mais sûrement. C’est vrai encore et combien plus vrai, au cours du cycle 1571-1578.
30Une différence sensible, toutefois, existe sur ce point entre les deux fluctuations primaires constitutives de la période 1571-1578. De 1575 à 1578, la Nouvelle Espagne perd la première place sur le mouvement, quand même, moteur, des Allers, tandis qu’elle ne le conserve, en Allers et retours, qu’en raison du déséquilibre, en quelque sorte fonctionnel, de ses Retours sur ses Allers.
31Les causes de cette situation — elles ont été analysées ailleurs13 — se lisent essentiellement dans l’atténuation du choc de l’amalgame et dans la terrible catastrophe démographique de 1576. L’adaptation, en outre, au-delà de 1575, des techniques minières de l’amalgame sur les plateaux andins, responsable de la prodigieuse montée absolue et relative14 des arrivages d’argent péruvien à Séville15, jointe à ces éléments, donne une des meilleures clefs d’un phénomène conjoncturel de longue durée.
32b. Les chiffres. — La prise en relais de la Nouvelle Espagne par la Terre Ferme s’opère dans l’Atlantique hispano-américain de Séville de part et d’autre de l’année 1578. Une prise en relais de cet ordre provoque, presque nécessairement, un moment de sous-tension conjoncturelle, dans une économie d’Ancien Régime, surtout, à progrès technique très lent, pratiquement négligeable. Le palier en forme de baquet 1574-1575-1583-1584 serait, donc, au tout premier chef, justiciable de cet accident géopolitique..., à inscrire dans la série des causes qu’on s’est efforcé d’établir. La comparaison de chiffres calculés dans le cadre relativement long de la fluctuation cyclique décennale est tout à fait probante, malgré des variations de pourcentages marginales assez faibles. De 1572 à 1578, en Allers, la Nouvelle Espagne représentait 45.3 % du nombre total de navires, en partance, 49 % du tonnage des départs, de 1579 à 1592, respectivement, 42 % seulement et 46,5 %, soit un recul de 3 % ; la part de la Terre Ferme en face, s’accroît, presque nécessairement, à peu près dans les mêmes proportions, 42,5 % des navires et 45,3 % du tonnage de 1572 à 1578, 45,6 % et 46,7 %, respectivement, par contre, de 1579 à 1592.
33Si on veut donner plus de vigueur et plus de poids à la démonstration, il suffit d’opposer, en les accouplant dans les mêmes conditions, la première fluctuation primaire (1572-1575) du premier cycle (1572-1578) à la troisième fluctuation primaire (1588-1592) du second cycle (1579-1592). Le pourcentage de la Nouvelle Espagne, dans ces conditions, passe respectivement, de 47.3 % du nombre total des navires et 52,4 % du tonnage, respectivement, à 34,2 % et 38,4 % ; celui de la Terre Ferme, de 42,5 et 45,3 % à 52,40 et 52,06 %. La translation, incontestablement déterminante, est donc d’autant plus sensible que l’on écarte davantage les termes de référence du point de flexion de l’année 1578.
34Le mouvement Retours marque le même recul de la Nouvelle Espagne au profit de la Terre Ferme : 34,6 % et 47,3 % représentent de 1572 à 1578, la part de la Nouvelle Espagne, contre 35,3 % (mouvement unitaire) et 44,3 % (tonnage), de 1579 à 1592. L’épreuve sera, là aussi, plus probante, si on éloigne les termes respectifs de comparaison dans les mêmes conditions que précédemment, 48,27 % du tonnage de 1572 à 1575, 41,4 % de 1588 à 1592. Pour les Allers et retours, le recul résultant de la Nouvelle Espagne s’établit dans les limites suivantes : 39,8 % (navires) et 48,8 % (tonnage) de 1572 à 1578, contre 38,7 % et 44,7 %, de 1579 à 1592. En prenant, comme termes respectifs de comparaison, les fluctuations primaires extrêmes des deux cycles, 1572-1575, d’une part, 1588-1592, d’autre part, on aura 39,3 % (navires) et 49,7 % (tonnage) contre 34,3 % et 39,4 % seulement.
35L’accroissement de la Terre Ferme aurait été à peu près symétrique. Pour les Retours, la Terre Ferme ne formait, en effet, de 1572 à 1578, que 20,4 % du mouvement unitaire total des navires et 28 % de leur tonnage, de 1579 à 1592, par contre, 22,7 % et 31,6 %... et en prenant comme termes de comparaison les extrêmes 1572-1575 et 1588-1592, 24,38 % du tonnage contre 28,1 %. Pour les Allers et retours, 31 % et 37,5 % (1er cycle) deviennent 35,7 % (nombre de navires) et 41,2 % (tonnage), de 1579 à 1592 ; entre 1572-1575 et 1588-1592, les mêmes pourcentages seront passés, respectivement, de 29,6 % (navires) et 34,3 % (tonnage) à 40,9 % et 43,8 %.
36On aura établi, ainsi, un mouvement linéaire, vrai, en gros. Il rend bien compte, pour l’essentiel, des variations en profondeur qui opposent les deux cycles. Il éclaire 1578 et la respiration très relative qui marque d’un long trait les mouvements un instant freinés dans leur marche ascendante.
2. Anomalie de la récession de la Nouvelle Espagne
37Mais cette analyse qui vaut, en gros, et explique la tendance générale du phénomène, ne vaut pas pour le détail, notamment, pour la première fluctuation 1579-1583. On pourrait s’attendre, par exemple, à ce que la grande catastrophe démographique se répercute, immédiatement et durablement, sur les rapports commerciaux Espagne-Amérique. Or, il n’en est rien.
38La grande épidémie de 1576 a pu jouer, à court terme, comme facteur d’inhibition.
39a. L’épidémie, facteur psychologique à court terme. — En ce sens, il faut, sans doute, la mettre au centre du complexe causal et explicatif du tassement de la seconde fluctuation primaire du cycle précédent, voire du creux cyclique même de 1578, plus certainement encore, du reflux relatif à l’ensemble du mouvement de la deuxième fluctuation primaire 1576-1578 du cycle 1572-1578, par rapport à la première fluctuation du cycle 1572-1575. On peut penser, en effet, — les textes ne sont guère prolixes, mais les chiffres ont une éloquence qui se passe de tout commentaire —, qu’une catastrophe de cette ampleur16 n’a pas été sans affecter l’humanité coloniale elle-même. Bien sûr, le matlazahualt laisse les blancs en dehors de ses atteintes. Épidémie de l’homme cuivré, il n’affecte donc, directement, que les économies indiennes, et il ne touche, d’abord, qu’assez indirectement l’économie coloniale dominante, la nôtre, celle-là, seule, que nous mesurons et saisissons, dans les pulsations du trafic transatlantique.
40Et pourtant, l’épidémie aura sans doute provoqué, immédiatement, tant qu’elle déploie son œuvre de mort, de 1576 à 1579, un effet extraordinairement déprimant. Les blancs de l’Amérique et de la Carrera étaient-ils aussi sûrs que nous ne le sommes pour eux, maintenant, de leur immunité ? Le matlazahualt, tant qu’il a tué, même à côté, même ces hommes tout proches et si lointains que sont les indiens, aura découragé, en Nouvelle Espagne, d’entreprendre, en Espagne, de nouer des relations dans cette direction. La trop grande proximité de la mort n’est pas favorable à l’entreprise. L’homme, pour créer, a besoin d’espérer ; au-delà d’un certain seuil, la présence de la mort inhibe et détruit17. On peut déduire, sans crainte, de la confrontation des chiffres et des textes, que dans le temps où elle s’est déroulée — entendez de 1576 à 1579 — la redoutable épidémie a eu un effet dépressif certain sur l’économie coloniale, non directement impliquée, pourtant, dans la catastrophe.
41Mais si un tel phénomène de volatilisation démographique, responsable du passage de la population mexica des plateaux centraux de la Nouvelle Espagne de 4 400 000 habitants en 1565 à 2 500 000 habitants environ seulement à la fin du xvie siècle18, peut ne pas avoir eu d’autres effets immédiats que des effets psychologiques..., il est impossible qu’au bout de quelques années, il n’ait pas eu, médiatement, au moins, les effets les plus lourds sur l’économie coloniale, en la frappant à la source même de sa richesse, ses possibilités de recrutement d’une main-d’œuvre bon marché. Effets immédiats, penserons-nous, par action vraisemblable sur le psychisme collectif, effet plus lointain, par modification des conditions de recrutement de la main-d’œuvre.
42b. Le paradoxe. — On sera surpris pourtant... Comment expliquer l’apparent paradoxe de la première fluctuation primaire 1579-1583, et, dans une moindre mesure, même, de la seconde fluctuation primaire 1584-1587 du cycle 1579-1592 ? On s’attendrait, a priori, en effet, dans ces conditions ; à une décroissance régulière, sinon en chiffres absolus, du moins relatifs, du pourcentage de la Nouvelle Espagne dans la masse globale du trafic entre les Indes et Séville. L’effet dépressif de la chute de la population indienne qui réduit la masse de réserve de la main-d’œuvre à la disposition de l’économie coloniale. En fait, il n’en est rien et la part de la Nouvelle Espagne, avant d’être entraînée par la vague déprimante de fond précédemment étudiée19, se redresse, paradoxalement, au cours de la première fluctuation primaire du cycle.
43Les chiffres traduisent bien cette apparente anomalie d’un mouvement court qui vient contrarier ce qui semblait constituer la tendance, au moins, d’une double décade, l’anomalie d’une paradoxale reprise, à très court terme, de la Nouvelle Espagne. Alors que la part moyenne du trafic de la Nouvelle Espagne, au cours de la fluctuation décennale est, en Allers, par exemple, de 42 % (navires) et de 46,5 % (tonnage), elle va s’élever, de 1579 à 1583, à 48 et 50,9 % et, fait plus curieux encore, de 1584 à 1587, à 50 et 51,15 %.
44La situation est analogue en Retours, la moyenne du cycle est de 35,3 % et 44,3 %, mais la moyenne de la première fluctuation, de 39,28 % et 41,4 %, la seconde fluctuation 1584-1587 ne présentant plus, par contre, comme la précédente, la même anomalie, puisque le nombre des navires venant de la Nouvelle Espagne et leur tonnage représentent 31,1 et 41,4 % de l’ensemble.
45Pour les Allers et retours, la moyenne de la Nouvelle Espagne est à 38,7 et 44,4 %, respectivement, du total (nombre de navires et tonnage) pour l'ensemble du cycle, mais à 43,4 % et 50,49 % de 1579 à 1583, anomalie positive, avec 40,3 % et 46,5 %, par contre, la situation de la seconde fluctuation primaire se confond, pratiquement, avec la normale.
46Ces chiffres (pour la fluctuation primaire 1579-1583) excèdent, naturellement, ceux atteints lors de la seconde fluctuation primaire du cycle 1572-1578, soit, de 1576 à 1578 ; il leur arrive même de dépasser à la fois les niveaux des différents mouvements avec la Nouvelle Espagne du cycle 1572-1578 et ceux de la première fluctuation 1572-1575. C’est le cas pour les Retours et pour les Allers et retours. L’anomalie est, par contre, de moindre ampleur pour les seuls Allers, si le pourcentage du tonnage allant en Nouvelle Espagne, pour la fluctuation primaire de 1579-1583, dépasse le pourcentage correspondant du cycle 1572-1578 ; il est inférieur, par contre, à celui de la fluctuation primaire 1572-1575.
47Néanmoins, l’anomalie du trafic de la Nouvelle Espagne20 est, par rapport à une tendance qu’on a dégagée et expliquée pour le laps de temps de deux cycles pleins, à l’échelle de la fluctuation primaire 1579-1583, suffisamment importante, pour nécessiter quelques tentatives d’explication.
3. Essai d’explication
48S’il en va ainsi, c’est essentiellement pour deux raisons : parce que, vraisemblablement, la corrélation existant entre le tonus de l’activité de l’économie coloniale et la réserve de la main-d’œuvre indigène n’est pas une corrélation simple du moins, une corrélation immédiate ; parce que, des facteurs contrariants se sont fait jour... On s’est borné, jusqu’ici, en effet, à retenir, limitation factice, les facteurs dépressifs, alors qu’il en existe, manifestement, d’autres.
49a. Économie dominante et démographie des dominés. —Des rapports existent entre l’économie coloniale dominante et la pulsation démographique de la masse humaine dominée, mais la liaison s’établit à travers une certaine épaisseur de temps. On comprend, sans peine, qu’une liaison s’établisse, puisque l’économie coloniale, — l’économie minière, au premier chef — puise dans la main-d’œuvre indienne. On s’est efforcé de décrire, ailleurs21, quelques-uns des processus par lesquels l’économie coloniale se procurait cette main-d’œuvre. Ils sont assez souples pour permettre, à court terme, au prix d’un renforcement des moyens de pression, de pallier, pendant quelques années, les conséquences d’un effondrement démographique..., au risque, d’ailleurs, d’aggraver encore l’accident démographique. On peut donc admettre, dans ces conditions, que la catastrophe démographique indienne, après avoir exercé un effet dépressif, sur le trafic, ait pu être totalement masquée pendant quelques années22.
50Le fléchissement de l’activité de Séville en direction de la Nouvelle Espagne, au cours de la dernière fluctuation du cycle précédent, de 1576 à 1578, correspond très exactement à l’épidémie de matlazahualt : 1576-1578, d’une part, pour la récession, 1576-1579, d’autre part, pour l’épidémie. Le rétablissement du trafic correspondrait, suivant ce modèle, à l’euphorie consécutive à la fin du matlazahualt. Ayant agi comme facteur dépressif, soit par inhibition psychologique des dominants, soit par entrave à l’exploitation du capital humain dominé, la fin du matlazahualt aura entraîné une courte vague d’optimisme. La reprise de la chute prévisible, au-delà de 1583-1584, correspond, toujours d’après ce modèle, à la troisième phase, celle où le manque de main-d’œuvre, irréductible, désormais, aux expédients qui, valables à court terme, l’auront aggravé à long terme, fait sentir son action paralysante23.
51b. Un facteur positif de la conjoncture mexicaine : le Pacifique. — L’anomalie du trafic de la Nouvelle Espagne peut être due également, en dehors de la rémission passagère d’un facteur dépressif, à l’action de facteurs positifs.
52Ce facteur positif d’expansion doit être cherché en direction de l’Océan Pacifique. Depuis la réussite de l’expédition Urdaneta-Legazpi, la Nouvelle Espagne est à son tour le tremplin d’une colonisation..., en direction de l’Extrême-Orient et des Philippines. L’adjonction, à l’espace de la Nouvelle Espagne, des Philippines et de leur arrière-plan commercial chinois — on s’est efforcé de signaler, à plusieurs reprises déjà24 le rôle joué, dans les phénomènes d’expansion, par l’annexion, la conquête d’espaces nouveaux —, aura constitué pour l’économie de la Nouvelle Espagne un facteur positif. La correspondance de la Casa de la Contrataciόn dans laquelle on peut suivre les traces des arrivées du transit à Séville des produits du commerce extrême-oriental, mieux, le comportement du commerce dans le Pacifique25 constitue la présomption du passage d’un cap décisif à la charnière des décades des années 70 et 80. Cette nouveauté contribue, sans doute, à expliquer la résistance de la Nouvelle Espagne dont le repli sur l’indice d’activité du commerce avec Séville est moins rapide et moins régulier qu’on ne pouvait, a priori, le supposer.
53Mais le commerce du galion n’est pas suffisant, pour être, dès cette époque, un facteur majeur de conjoncture. Il le deviendra, plus tard, à la charnière des xvie et xviie siècles, dans les premières décades du xviie siècle surtout26 Pour le moment, son rôle est trop mince pour relayer valablement dans ses fonctions d’unité économique dominante, l’économie minière. Il n’y parviendra jamais totalement. La poussée du galion a pu contribuer, pourtant, facteur entre autres, à freiner, un temps, par le centre d’intérêt secondaire qu’elle a créé, l’action dépressive des facteurs précédemment envisagés,
54c. Le rôle de la Terre Ferme. — Si le comportement de la Nouvelle Espagne est intelligible, une grosse question demeure, la dépression elle-même, car cette dépression est causée, en dernier ressort, par le fléchissement du mouvement en direction de la Terre Ferme.
55En fait, cet affaiblissement de la Terre Ferme ne correspond pas à quelque chose de très profond. La montée des arrivées d’argent du Pérou est certaine27, dès la fin de la demi-décade 1576-158028.
56Le commerce en direction de la Terre Ferme, donc, du Pérou, est en phase d’expansion. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à l’almojarifazgo des entrées dans le port de Nombre de Dios. La série, malheureusement, n’est pas complète29 Elle permet, toutefois, de situer un changement de niveau, au moment même du creux 1577-1578. Le niveau des entrées à Nombre de Dios peut être évalué, pour les sept ou huit ans correspondant au creux baquet du mouvement global et de la première fluctuation du cycle 1578-1592, à une valeur fiscale présumable de quelques 900 millions de maravedis annuellement. Ce niveau dépasse tous les niveaux moyens précédemment atteints, voire même en période d’expansion des volumes.
57Ainsi30, le mouvement entre l’Espagne et le Pérou s’il ne répond pas tout de suite, en volumes, du moins, à la sollicitation de l’argent d’une économie minière en soudaine expansion, répond, pourtant, par la qualité des marchandises exportées31. La réponse à une sollicitation donnée — mais cela n’est pas pour nous surprendre — a donc été, d’abord, qualitative, avant d’être quantitative. Certes, on manque, pour ces années, du terme de référence précis de l’almojarifazgo de la Vera Cruz, mais la comparaison des valeurs à Nombre de Dios et des valeurs globales tirées de l’avería permet, quand même, d’affirmer qu’il y a eu un déplacement massif de l’axe-valeur du mouvement de la Nouvelle Espagne en direction de la Terre Ferme et du Pérou.
58Sur l’axe Pérou/Nombre de Dios-Espagne, le décrochement du mouvement en valeur aura nettement précédé le décrochement du mouvement en volume. Comme toujours, la montée des valeurs précède celle des volumes et la reprise du mouvement avec le Pérou aura, d’abord, provoqué un triage des marchandises. Le choix précède l’augmentation des volumes. Pour des raisons techniques évidentes. Le trafic avec le Pérou est particulièrement difficile à cause de la fragilité de la jonction à travers l’isthme. On conçoit, dans ces conditions que, même une amélioration substantielle de l’activité au sein de l’économie coloniale dominante du Pérou n’ait pu déclencher une reprise du trafic dans les premières années, celles qui, précisément, correspondent, selon notre hypothèse, au large creux ou à la première fluctuation primaire du cycle. La présence de Drake dans le Pacifique aura, peut-être, contribué à accentuer ce décalage.
59Le décalage exceptionnellement étiré sur le trafic avec la Terre Ferme, entre la courbe valeur plus sensible aux injonctions d’une conjoncture montante et la courbe du mouvement en volume plus lente à réagir des raisons géographiques et techniques évidentes, contient une des clefs les plus importantes de cette dépression.
II. — CARACTÈRES — RÉALITÉ — DYNAMIQUE
60Cet essai d’interprétation autour de la crise de 1578, qui déborde, au vrai, largement en deçà et au-delà de l’année qui lui est assignée, aura, peut-être, permis d’éclairer une fluctuation courte de quatre ans, au demeurant difficile à identifier. On pourra, désormais, revenant aux mouvements globaux et volume, en préciser les caractères et la réalité, avant de prétendre aborder une étude dynamique des années qui suivent 1578.
CARACTÈRES. — RÉALITÉ
61La seule constatation qui, jusque-là, s’est imposée d’une manière indiscutable, concernant cette fluctuation, c’est l’existence d’un palier, voire d’une zone déprimée. Et les principales caractéristiques qu’on pourra dégager de cette période de quatre ans, la lenteur, notamment, des séries à réagir au sortir de la crise de 1578 et la proportion anormale des Retours confirmeront encore cette impression.
1. Caractéristiques d’un palier. Proportion anormale des Retours
62A aucun moment, avant le terme de cette première phase de quatre ans, ni en Allers, ni en Allers et retours32, le niveau, pourtant, assez médiocre de la pointe cyclique secondaire de la deuxième fluctuation déprimée ne sera atteint et, a fortiori, bien sûr, jamais les niveaux beaucoup plus élevés de la pointe cyclique principale de 1572.
63C’est pourquoi, tout au cours de ces quatre années, le mouvement vrai, lent à prendre son départ, se tient toujours très en dessous de la tendance majeure33. On le notera pour les Allers et les Retours, exclusion faite des anomalies respectives de 1582 et de 158334, on le notera encore, en dehors de toute anomalie..., pour les Allers et retours, avec l’ébauche même d’une fluctuation relative construite autour de 1581. Cette période de quatre ans se caractérise, aussi, comme l’ensemble du cycle, d’ailleurs, par une proportion relativement forte, presque anormale des Retours, par rapport aux Allers. Les Retours ne constituent-ils pas 47,6 % du mouvement global en tonnage, de 1579 à 1583, soit une anomalie positive des Retours encore que pour l’ensemble des années de 1579 à 1592 (les Allers atteignent 55,5 % et les Retours, 44,5 %)35 ?
64a. Le rapport des Allers et des Retours : schéma général. — En réalité, le phénomène du rapport des Allers et des Retours au sein du mouvement global, ne s’éclaire qu’à condition de le replacer dans son véritable contexte : celui d’une anomalie de longue durée. Lors de la dernière fluctuation primaire du cycle précédent (1576-1578), on pouvait noter déjà une importance insolite des Retours (44 619 toneladas, contre 47 704 pour les Allers). Les Retours l’emportent, même, si on annexe à la fluctuation le creux médian de 1575, 62 115 toneladas contre 59 444, seulement, pour les Allers, fait exceptionnel, pour un laps de temps considérable de quatre années consécutives.
65Or, on retrouve le même rapport inverse, au cours de la fluctuation primaire médiane du cycle 1584-1587, avec, en Allers, 321 navires et 78 030 toneladas et, en Retours, 331 navires et 85 359 1/2 toneladas, soit 52,3 % pour les Retours, 47,7 % seulement pour les Allers. On peut être tenté, en fait, de faire passer plus tôt la ligne de démarcation, avant la pointe cyclique (1586 rétablissant un rapport normal, avec 33 270 toneladas à l’Aller et 15 285 toneladas au Retour).
66De 1575 à 1585, on aura sur onze ans : 180 426 toneladas en Allers et 174 636,5 toneladas en Retours ; sur treize ans, de 1575 à 1587, 216 671 toneladas et 219 490 ½ toneladas en Retours ; soit 48,5 % pour les Retours dans les onze premières années, mieux encore, 50,75 % au cours des treize années consécutives de 1575 à 1587.
67Le prodigieux déséquilibre (en sens inverse) des Allers, au détriment des Retours, de 1588 à 1592 (66,3 % contre 33,7 %), nous ramène plus près d’une situation moyenne36 320 090 toneladas en Allers, contre 271 874 ½ toneladas en Retours, 54 et 46 % pour l’ensemble du grand laps de temps qui va de 1575 à 1592, c’est-à-dire au cours de dix-huit années d’affilée. Quoi qu’il en soit, même dans ce laps de temps long de dix-huit ans, la proportion des Retours demeure anormalement forte ; elle l’est beaucoup plus encore de 1575 à 1587, nous l’avons vu, et c’est cette anomalie qu’il faut expliquer.
68On peut rendre compte, au prix d’une certaine gymnastique, de cette anomalie qui, de son côté, constituera, pour nous, un précieux apport. On a pu constater, à plusieurs reprises, au point de poser le principe presque sous forme de loi, que dans ce trafic, dont le moteur, longtemps, restera européen, lorsque la masse relative des Retours s’élève, sensiblement et longtemps, au-dessus de la moyenne37, il y a présomption de contraction et, présomption d’expansion, lorsque la proportion des Retours se tient, dans les mêmes conditions, en dessous de la moyenne. Les périodes de contraction sont celles, en effet, où les maisons de négoce rappellent vers leur siège social, c’est-à-dire vers l’Europe, à cette époque leurs capitaux engagés dans les très longs circuits du grand commerce colonial : l’anomalie se marque par une simple égalisation des Retours sur les Allers, puisque des raisons structurelles sont responsables du déséquilibre normal et de l’infériorité presque constante des Retours par rapport aux Allers.
69b. Cas particulier : le décalage, ses causes.
70Il semble que l’anomalie du pourcentage des Retours entre, ici, pour l’essentiel, dans le schéma traditionnel. On a délimité déjà, de 1574-1575 à 1583, une vaste dépression en baquet que le découpage cyclique normal risquait de masquer ; cette dépression anticipe, de quelques mois seulement, l’anomalie des Retours. Aucune difficulté, donc, pour les dix premières années.
71Difficultés. — La difficulté réside, par contre, dans les dernières années de l’anomalie, entendez au moment même où cette anomalie s’accentue, en dehors, donc, du cadre de la première fluctuation primaire, lors de la seconde fluctuation de 1584 à 1587, en pleine phase d’expansion, pourtant. On est, dirons-nous, en présence d’un phénomène de surfusion ou de vitesse acquise.
72L’équilibre Allers/Retours n’est pas immédiatement sensible à la modification de conjoncture après une période aussi longue — près de dix ans de tassement. Ce décalage explique l’anomalie. Il résulte lui-même, en grande partie, vraisemblablement, de conditions locales et passagères, guerre hispano-anglaise, notamment. A tel point que si on établit la balance, non plus seulement pour, la seconde fluctuations cyclique primaire, mais pour l’ensemble des deux dernières fluctuations (entendez, celles qui constituent la fluctuation cyclique proprement dite avec ses deux pentes symétriques)38, on aboutit à une proportion normale, 57 % pour les Allers, 43 % pour les Retours39.
73Mais on a intérêt sous un certain angle, à procéder à un autre découpage en écartant les années 1591 et 1592 qui appartiennent, manifestement à un temps de contraction.
74Décalage. — On aura isolé, ainsi, de 1584 à 1590, tout ce que l’on peut raisonnablement considérer comme faisant partie de la phase ascendante du cycle, les Retours ne représentent plus que 42,9 % et les Allers, 57,1 %40 du total. L’anomalie est donc abolie par l’expansion. Elle correspond, assez exactement, par contre, au creux en baquet de la période précédente. Le décalage s’explique par les conditions très particulières instaurées sur le marché de l’armement disponible par la guerre et plus particulièrement par les besoins de la grande expédition de l’invincible Armada. Il en est résulté, on l’a vu, qu’on ne passe de l’équilibre de contraction à l’équilibre d’expansion, qu’un peu tardivement, en fin d’expansion41.
75Première hypothèse : arrêt de l’« al traves ». — La possibilité d’un tel décalage n’en traduit pas moins l’existence d’une situation qui vaut la peine d’être retenue ; elle nous montre l’importance considérable, au cours de cette période, du volant de navires existant aux Indes : d’un stock accumulé, peut-être, au cours des périodes antérieures et utilisé à des trafics et à des cabotages intra-américains. Aucune impossibilité 42 dans les chiffres, à un tel comportement. Il suffit d’imaginer que, pour un temps assez court, les Indes ont cessé d’être ce cimetière de navires voués à la démolition plus ou moins rapide en vue d’être utilisés comme sources de biens d’investissement.
76Seconde hypothèse : poussée des constructions navales aux Indes. — Une dernière hypothèse peut être envisagée : la construction de navires aux Indes, bien qu’on n’en possède pas la mesure exacte et précise43. Il y en a des traces, pourtant, dans la correspondance de la Casa de la Contrataciόn... cette hypothèse simplement vraisemblable permet d’admettre plus facilement ce long déséquilibre dans un sens insolite. La poussée de construction aux Indes, que l’analyse des rapports internes du mouvement nous incite à imaginer n’est pas contradictoire avec le silence des séries du tome VI44. Ces séries, en effet, ne sont pas complètes45.
77Il y a possibilité, d’accepter, d’ailleurs, la double suggestion apparemment contradictoire d’une poussée des constructions navales aux Indes et de la non apparition sur nos séries, il est vrai, incomplètes des navires « créoles » au cours de cette période46 : il suffit d’admettre que les navires construits aux Indes ont pu, très vraisemblablement, faire la relève, au cours de ces années, des vieux navires européens utilisés, en temps normal, au cabotage interne d’Inde en Inde. Au point de vue technique, nous avons là une transition, la jeune construction indienne suivant ainsi une ligne d’adaptation progressive à des tâches nouvelles et de moindre difficulté47. Hypothèse, sans doute, mais qui, en l’absence de textes décisifs, a l’avantage d’écarter toutes les apparences de contradiction à l’intérieur d’un ensemble de séries de chiffres qui, eux, du moins, ne sont pas hypothétiques. Cette constatation donne aux hypothèses précédentes un caractère de quasi-certitude48, dans dans l’exacte mesure où elles sont les seules susceptibles de dénouer des contradictions certaines émanant de séries chiffrées non moins certaines49.
2. Réalité de la fluctuation et difficultés d’un découpage
78Le palier étant justifié, est-il possible d’aller plus loin et de parier, à propos de ces années apparemment stagnantes, d’une véritable fluctuation ? Si les chiffres bruts n’y incitent guère50, les chiffres relatifs des mouvements rapportés à la tendance majeure le font clairement51 et, beaucoup plus encore, la représentation du mouvement valeur52. Mais l’interprétation n’est ni simple, ni immédiate. Elle nécessite qu’on y réfléchisse quelque peu.
79a. Chiffres vrais. — Au sortir du creux de 1578, sur lequel on s’est déjà longuement expliqué53 (, débouche sur un plateau plus que horizontal, très légèrement ascendant, en Allers et retours (volume), de 14 % en quatre ans, soit une pente annuelle de 3,5 %, sensiblement inférieure à la pente de la tendance majeure. Le même tracé s’observe sur la ligne du mouvement unitaire. Cette concordance est rassurante.
80Il existe, pourtant, une fluctuation dessinée sur les chiffres vrais des tonnages et sur les mouvements unitaires, avec en Allers, une pointe en 1582 et en Retours, une pointe en 1580. Mais comme on peut s’en apercevoir, les dessins respectifs de ces mouvements ne cadrent pas, il existe entre eux, une discordance grave.
81b. Écarts à la moyenne. — Les chiffres relatifs aux trends donnent, cela va sans dire, un dessin beaucoup plus net. En Allers, surtout, puisque 1582 arrive à 112,29 % du niveau correspondant de la tendance majeure dégagée par les moyennes mobiles de treize ans. En Retours, 1580 se détache aussi, encore que moins vigoureusement avec un 94,59 %. Mieux, en faisant intervenir le report au trend, en substituant, par conséquent, aux chiffres absolus, des chiffres relatifs, on verra, même, sur les globaux Allers et retours, une fluctuation cyclique se dessiner. Elle culmine en 1581, avec 92,03 %, elle est encadrée par le niveau relatif 78,03 % de 1578, 91,03 % de 1579, 89,62 % de 1580, 91,14 % de 1582 et 88,53 % de 1583. Mais tout cela n’est vrai qu’approximativement, puisqu’il s’agit de niveaux relatifs globaux qui ne tiennent pas compte de la ventilation interne d’un trafic dont tous les éléments composants ne sont pas, il s’en faut de beaucoup, interchangeables.
82Peut-être, sera-t-il plus juste, en s’efforçant de tenir compte du plus grand nombre possible de facteurs, de distinguer dans cette fluctuation qui est, essentiellement, une fluctuation de palier, au cours de laquelle le mouvement reprend haleine..., trois périodes : une phase d’expansion relative, à partir de 1578 jusqu’en 1580, sur deux ans, un plateau qui engloberait trois années consécutives : 1580, 1581 et 1582, puis une phase de contraction qui irait de 1582 au creux de 1583.
LA PHASE D’EXPANSION RELATIVE (1579-1580)
83C’est à partir de l’accident de 1578, que le mouvement se définit ; il n’y a plus à y revenir : on a dit longuement54 et l’importance de la dépression et son authenticité — rien qui soit imputable au décalage accidentel d’un mouvement, aux hasards du calendrier, de la mer ou de l’ennemi... Il y a fléchissement déterminant, à l’Aller, des départs en direction de la Terre Ferme, un simple fléchissement relativement limité, certes55, mais non équivoque, comme cela arrive en d’autres circonstances, face à une simple disparition plus ou moins accidentelle, ou à un effet de la biennalité du mouvement56. Si bien que les pourcentages des chiffres vrais à la moyenne, 71,31 % en Allers, 81,31 % en Retours et 78,03 % en Allers et retours doivent être pris, au sens strict et premier, marquant sur tous les mouvements, le lieu d’un creux bien dessiné.
84Le creux est d’autant mieux dessiné qu’on le retrouve préparé par une zone déprimée sur les prix. Les indices les plus généraux reportés au trend correspondant donnent les positions suivantes : 93,07 % en 1577 et 95,94 % en 1578. Creux relatif exceptionnel, donc. Le creux absolu le plus profond se trouve situé, en 1577, également, sans hésitation possible57. 1577 est au centre de la dépression des prix ibériques presque partout, en Nouvelle-Castille, Vieille Castille-Léon et Valence. Partout, sauf sur la série andalouse où il y a une assez forte présomption pour que le creux de la vague se trouve placé, un peu plus tôt, en 1576 et non en 1577. Une antériorité de deux ans sur les prix andalous, par rapport aux respirations du mouvement Allers en volume nous l’avons observé déjà à plusieurs reprises, est aussi plausible qu’une antériorité d’un an.
85C’est, par rapport à ce creux — manifestement cyclique — que se définit le reste de la fluctuation et tout naturellement, la première partie : la partie ascendante.
1. 1579
861579 nous conduit, en effet, sur un plateau d’où le mouvement, pendant quatre ans, ne s’écartera pratiquement pas.
a. Expansion relative
87Le calcul des décrochements, tout le long du cycle, démontrerait, sans peine, cette vérité. 1579 abolit toute seule l’excentricité de 1578. L’expansion des Allers et retours, en tonnage, est de 17 %. Au-delà et jusqu’en 1584, aucun décrochement calculé dans les mêmes conditions ne dépassera 5 % (entre 1579 et 1580), 2 ou 3 %, la plupart du temps.
88Le pourcentage des Allers, facteur conjoncturel positif. — Ce décrochement est plus sensible sur les Allers (22,5 %) que sur les Retours (12,9 %). Le couple Allers/Retours traduit, d’ailleurs, cette réalité. Et cette ascension plus rapide des Allers doit être considérée comme un indice assez mince en soi, mais valable, entre plusieurs, d’expansion — d’une expansion, elle-même, très limitée —, au sein d’une période qui, vue sous un certain angle, doit être considérée comme une vaste dépression en baquet 58. 1579 se trouve — on l’a vu59 — au milieu d’une période assez longue, au cours de laquelle, très paradoxalement, les Retours s’égalisent, voire l’emportent très légèrement sur les Allers. En 1579, la part des Retours dans le mouvement global-tonnage paraîtrait, en tout autre moment, particulièrement forte (48,06 %)60 ; on parierait d’anomalie positive des Retours. Elle est, pourtant, au-dessous de la moyenne des dix ans dans laquelle cette année est encastrée, c’est pour quoi on peut considérer le pourcentage des Allers (51,94 %), si faible soit-il, comme un facteur conjoncturel positif.
89Le trafic marchand sévillan domine. — La répartition entre les éléments constitutifs fondamentaux du complexe portuaire61 des navires et du tonnage au départ, invite également à prendre, au sérieux la reprise de 1579. Les parties les moins riches, marginales, en quelque sorte, du trafic sont relativement peu représentées : armada, Cádiz et Canaries ne totalisent que 5 navires et 2 080 toneladas. Le trafic clef, entendez les navires marchands partant en convois de Séville et du Guadalquivir, représentent, avec 43 navires, 12 800 toneladas, plus de 90 % des départs de l’année.
90Cette dernière considération62 contribue à donner un poids tout particulier au décrochement de 1579 par rapport à 1578. L’année 1579 est beaucoup plus en progrès par rapport à 1578 que la simple comparaison des chiffres globaux des Allers, Retours et Allers et retours ne le laisserait à penser63.
91On se rappellera, en effet, la ventilation des Allers du creux de 1578, avec 14 navires canariens représentant 1120 toneladas64 16 navires d’armada représentant 4 280 toneladas. En face de cette importance exceptionnelle des éléments marginaux, économiquement, les moins denses, le mouvement le meilleur, celui des navires marchands de Séville ne faisait plus que 20 unités et 6 785 toneladas. Le véritable décrochement entre 1578 et 1579 peut être aussi valablement, voire plus valablement approché par la mise en présence des 6 785 toneladas, d’une part, du mouvement marchand sévillan de 1578 et les 12 800 toneladas de 1579, soit un décrochement positif de près de 90 %65.
92Conditions de ce décrochement. — Il n’est pas difficile d’expliquer la genèse de cette reprise : elle est, essentiellement, commandée par le terme normal de la dépression centrée sur 1578. On a vu les conditions de la longue dépression à laquelle 1579 participe encore. Pour que 1579 atteigne un niveau plus normal, il suffit d’un effacement progressif des facteurs de la crise. Une fois parvenu au fond de la crise, au terme, elle-même, d’une longue dépression, il ne faut qu’assez peu de choses pour en effacer les effets les plus marquants, donc, les plus fragiles. La reprise s’effectue d’autant plus rapidement que l’écart négatif a été plus considérable.
93Le rôle des prix. — Les prix y ont, vraisemblablement contribué, On manque, malheureusement, de données66 sur l’indice des prix andalous en 1577, 1578 et 1579, mais les indices de la Nouvelle Castille, souvent très proches, peuvent fournir une indication par analogie (une analogie approximative que l’on peut raisonnablement supposer en vertu d’un comportement analogue souvent observé). Cette poussée des prix en 1579 en grande partie retrouvée sur les autres séries géographiques a été suffisante pour ébranler l’indice composé des prix-argent, brusquement hissé des indices 94,00 et 97,84 en 1577, 1578 à l’indice 107,77 en 1579, à 104,59 % du trend, c’est-à-dire, la seule année de rapport à la moyenne positif, depuis 1576 inclusivement jusqu’à 1581 inclusivement. Choc, pratiquement, sans lendemain immédiat, puisque l’indice retombe ensuite et que le rapport se maintient en dessous du pair, à 99,15 % et 99,33 % en 1580 et 1581. Cette année 1579 aura, toutefois, été décisive sur le chemin de la reprise des prix. Elle abolit le plus profond de la dépression, les 95 et 93 % de 1576, 1577, 1578 ne se retrouveront plus de tout le cycle. On ne retrouve plus pratiquement, un trou relatif aussi large et aussi béant avant les années 1594,1595, 1596, puisque les indices des prix de 1580 et de 1581 sont très proches du niveau correspondant de la tendance.
94L’ébranlement de 1579 aura été insuffisant pour effacer complètement l’effet dépressif d’une longue série de prix lourds. Le niveau indiciel de 1579 est, en effet, très incomplètement consolidé, on l’a vu, dans les années qui suivent. Ces prix lourds d’Espagne, qui répercutent, à leur manière, les événements démographiques des plateaux mexica, suffisant, sans doute, à faire comprendre la reprise timide du mouvement ascendant et, plus particulièrement, les deux décrochements du mouvement volumétrique entre 1578 et 1579, d’une part, 1579 et 1580, d’autre part. La position des prix espagnols, toutefois, est en parfaite concomitance avec la consolidation du plateau des trafics juste au sortir du creux cyclique de 1578. Le choc faible sur les prix explique un choc atténué sur les trafics : les deux faits sont, du moins, d’une étonnante similitude67.
95Un signe conjoncturel : la chronologie du mouvement. — Plus qu’un progrès véritable plus qu’une marche en avant, on est en présence, sur les expressions du trafic, de l’atténuation d’un creux. Il en va de même sur les trafics dans l’océan Atlantique. Les départs de 1579 ont été précoces, à la différence du mouvement de 1578 qui fut un mouvement, chronologiquement, particulièrement bien centré sur le milieu de l’année68, sur la période, statistiquement, la plus intense69, En 1578, les flottes étaient sorties dans les premiers jours de juillet. Les Retours, par contre, avaient eu lieu, relativement, de bonne heure dans l’année, 10 juillet pour la Nouvelle Espagne, 8 août pour la Terre Ferme.
96Ces retours assez précoces, non excessivement déprimés (45 navires, 12 190 toneladas) et les perspectives jugées favorables, en Terre Ferme surtout, par suite de la faible masse des Allers, l’année précédente, expliquent la chronologie précoce des départs de 1579 : 3 avril 1579 vers la Terre Ferme et, surtout, 25 mai 1579 vers la Nouvelle Espagne. Sept mois, à peine, avaient séparé les départs en direction de la Terre Ferme de 1578 de ceux de l’année suivante, un peu moins de onze mois, les départs en direction de la Nouvelle Espagne de 1578 et ceux de 1579.
97Le hiatus, par contre, entre 1579 et 1580 sera plus prononcé, près de 13 mois sur l’axe de la Nouvelle Espagne, entre seize et dix-sept mois, au départ, sur l’axe de la Terre Ferme. Cette plus grande précocité des départs en 1579 doit être interprétée, incontestablement, comme un facteur favorable pour l’année. Mais cet effort s’essouffle tout de suite.
b. Expansion apparente, contraction véritable
981579 n’en demeure pas moins une année de conjoncture basse. Les facteurs dépressifs à plus long terme la déterminent intégralement.
99Niveaux : Récupération incomplète. — Les niveaux, tout d’abord, ne peuvent faire illusion. Il y a, en 1579, un mouvement de récupération, mais de récupération incomplète par rapport aux niveaux très bas, pourtant, des années précédentes. Le niveau de 1579, 14 880 toneladas et 48 navires en Allers est assez peu supérieur à celui de 1578, 50 navires et 12 180 toneladas et ne diffère pas fondamentalement de 1577, 45 navires et 14 470 toneladas, mais les 51 navires et 13 765 toneladas des Retours, en 1579, sont nettement inférieurs aux 61 navires et 17 359 toneladas de 1577 et, a fortiori, les Allers et retours : 99 unités et 28 645 toneladas, contre 106 navires et 31 829 toneladas en 1577.
100Cette infériorité de 1579, par rapport à 1577 est plus vraie encore, si on passe des chiffres bruts à une comparaison des rapports à la tendance majeure : 89,24 %, 87,96 % et 91,03 %, en Allers, Retours et Allers et retours, pour 1579, contre 90,62 %, 122,02 % et 108,28 %, respectivement, en 1577. Ces chiffres, l’un dans l’autre, ne sont pas fondamentalement différents de ceux du creux cyclique médian du cycle précédent, 1575, ce cycle, dont on a, tant de fois et à juste titre, répété70 qu’il fallait le considérer comme un cycle relativement déprimé. Le plateau, qui constitue le point de départ du cycle 1579-1592, se situe, donc en gros, au même niveau que le creux cyclique médian du cycle, de marasme, pourtant, de 1571 à 1578.
101Les sources littéraires de la correspondance de la Casa de la Contratación expriment bien, elles aussi, cette réalité révélée par les chiffres d’une conjoncture encore toute hésitante et comme enbourbée d’un marasme qui n’en finit pas.
102Le marasme dénoué. — Tout au long — ou presque — des lettres de l’année, les officiers de la Casa de la Contratación parlent du marasme et des difficultés du moment71, soit qu’ils prennent ce jugement à leur compte, soit qu’ils se fassent, simplement, les échos fidèles et quelque peu complices des doléances des marchands.
103Ces plaintes ne sont jamais ni objectives, ni désintéressées. Elles impliquent toujours une revendication et une excuse : revendication contre les taux et les modalités de la fiscalité existante, excuse, à l’encontre des retards éventuels survenus dans les préparatifs d’une flotte, d’un refus de participer à un convoi projeté72, événements en face desquels la Casa ne se montre pas, la chose va à peu près sans dire, spectateur désintéressé. Ces plaintes sont d’autant moins objectives qu’elles présentent une explication et défendent un point de vue. Ce marasme, que les gens de Séville ressentent profondément — témoins pour nous, et acteurs d’un drame que nous cherchons à comprendre —, les officiers de la Contratación l’attribuent à la faillite de Morga et aux puissantes répercussions financières que l’événement avait eu sur l’équilibre de presque toutes les maisons sévillanes73.
104Mais l’accentuation, l’orientation de ces plaintes apparaissent révélatrices de toute une psychologie en profondeur : on ne trouva pas mentionnés de la même manière des faits que nous rendons responsables de la grande crise de ces années difficiles. L’optique de ce contemporain collectif capital, la Casa de la Contratación, n’est pas la nôtre. Silence, par exemple, sur la grande catastrophe démographique de l’épidémie des plateaux du Mexique qui a dû affecter, beaucoup plus activement, pourtant, les conditions du trafic dans l’Atlantique que la faillite de Morga. Mais c’est, naturellement, sur l’affaire de Morga que Séville met l’accent.
105Or, si la Casa et les marchands mettent l’accent sur la faillite de Morga, c’est, sans doute, parce que l’événement tout proche les touche plus directement que n’importe quel événement, plus lourd, peut-être, mais plus lointain et plus difficile à détecter dans l’immédiat, c’est surtout, parce que la faillite de Morga, manifestement causée par la banqueroute de 1575, permet une imputation bien définie, une mise en cause de l’État, fournit, par conséquent, une excellente excuse, constitue un admirable alibi. Ce contexte aide, à comprendre, peut-être, l’accentuation très particulière des explications données par la Casa de la Contratación. Il ne dispense absolument pas de prendre les gens de la Contratación au pied de la lettre quand ils parient de marasme. Le marasme est sérieux. Il ne se dissipe que lentement. On en possède bien d’autres preuves.
106Le marché du mercure en Nouvelle Espagne. — Le marché du mercure en Nouvelle Espagne sera particulièrement révélateur. On sait l’extrême sensibilité du mercure, clef de l’industrie minière, aux faits de conjoncture. L’importance, en 1579, des quantités exportées, 3 795 quintales74 témoigne d’un optimisme démesuré. Pourquoi cette démesure lourde de conséquences ? En raison, peut-être, des insuffisances des années précédentes elles sont connues à Séville et l’effort d’investissement sur Almaden doit commencer à porter ses fruits ; de la fin, qu’on espère, de la grande épidémie mexicaine. Or, au même moment, on apprend de Nouvelle Espagne que le mercure ne se vend plus75. Le marché est saturé. La situation est assez inattendue. Comment l’expliquer ? On ne peut, malgré le silence des textes, faire intervenir la crise de la main-d’œuvre indienne. Elle ne peut manquer de faire défaut — nous le savons par ailleurs — dans les mines mexicaines, après bientôt trois ans de matlazahualt dévastateur.
107Quoi qu’il en soit, on ne saurait, en aucun cas, en conjoncture, surestimer la valeur d’un tel signe. Depuis l’adoption en Nouvelle Espagne du procédé d’extraction de l’argent par amalgame avec le mercure, voici vingt ans, presque annuellement, on avait assisté à une augmentation régulière des quantités exportées et entendu dénoncer la pénurie de mercure et l’insuffisance des envois. Le goulot d’étranglement de mercure était rendu responsable d’une gêne à l’expansion.
108Depuis peu, les plaintes avaient cessé, mais rien ne permettait d’assurer malgré des exportations croissantes, que le point de saturation fût atteint La première apparition certaine de la saturation montre, dans la mesure où elle sera confirmée, combien la conjoncture est modifiée, en profondeur, au cours de ces années. Et ce signe affecte la Nouvelle Espagne, entendez le point conjoncturellement sensible, pour des raisons trop évidentes76 ... en raison, au tout premier chef, de la grande faillite démographique du Mexique
109De tous les signes qu’il est possible de relever, la saturation du marché mercuriel, sans doute, est le plus important, parce qu’il dénonce une crise de l’économie minière, dont le rôle, dans l’ensemble de la vie économique, est celui d’unité dominante.
110L’échec de la flotte de Terre Ferme. — L’échec, finalement, après bien des difficultés, d’une seconde flotte77 qui eût été envoyée, cette année-là même, en direction de la Terre Ferme, est également significatif. Il révèle le peu d’élasticité de la Carrera, le peu de flamme, aussi, des marchands du Guadalquivir, seuls responsables, à l’encontre du désir évident des pouvoirs publics, du non départ de convois plus nombreux ou plus importants. Or, ce refus — et c’est dans cette localisation, surtout, que réside l’indice — affecte la Terre Ferme ; non pas la Nouvelle Espagne dont on sait les difficultés. Ainsi, même la Terre Ferme n’a pas été capable de susciter plus d’enthousiasme.
111La poussée xénophobe. — Une violente poussée de xénophobie78 — autre facteur à porter au dossier conjoncturel — tranparaît, en avril 1579, dans les lettres échangées entre la Casa et le Conseil des Indes. Le contexte, au vrai, n’en est pas simple. Le Consejo, agissant à l’instigation de quels mobiles, sous la pression de quels groupes et de quels intérêts79, menaçait les groupes du Monopole, par le canal de la Casa, d’ouvrir la Carrera aux étrangers, si les négociants du Monopole ne mettaient pas plus d’empressement à assurer le départ des convois. La menace aura — il faut le reconnaître — obtenu, dans l’immédiat, l’effet attendu, puisque les départs des convois, en avril et mai, sont — on l’a vu —, relativement précoces. Peut-être ne faut-il pas, conséquence pratique, accorder, de ce fait, à la précocité de ces départs80 toute la signification, en conjoncture, qu’on serait en droit de leur accorder, normalement. Négociants et armateurs de Séville se sont, sans doute, en hâtant le départ des convois, bornés, en partie, du moins, à obtempérer à une injonction qui leur avait été signifiée, sans aménité, acceptant de céder sur le détail et soucieux de ne rien abandonner sur l’essentiel81. Il ne faudrait pas, peut-être, dans ces conditions, attribuer trop d’importance à la chronologie des départs, le faible écart entre 1578 et 1579, l’écart beaucoup plus considérable entre les départs de 1579 et ceux de 1580.
112La poussée xénophobe, dont la Casa se fait l’écho — mieux, que la Casa, totalement solidaire des marchands, prend à son compte, — est, sans doute, un signe conjoncturel mitigé. Puisque l’argument de la Casa, avocat des marchands, doit être interprété comme un contre-chantage à l’encontre du chantage que je Consejo s’est efforcé d’opposer aux lenteurs du Monopole. Signe complexe, donc, mais signe, quand même, de graves difficultés de conjoncture, que cette poussée xénophobe replacée dans son contexte.
113Le mécontentement du « Consejo » et la pression de l’État sur les marchands. — Mais les attitudes respectives, fort différentes, du Conseil du Roi, de la Casa de la Contratación et des marchands sont autant de signes. La cédule du 14 mars et la réponse de la Casa du 10 avril 157982 montrent clairement une pression, non équivoque, du Roi, sur le Monopole, pour l’inciter à plus d’ardeur. On juge donc, à l’Escorial, qu’il y a carence des armateurs et des marchands du Monopole, à tel point qu’on envisage, verbalement, du moins, de les stimuler par un chantage83. Or l’intervention du Roi, pour stimuler le zèle défaillant du commerce, n’est-ce pas, pour l’analyse en conjoncture, le signe d’un malaise, d’un essoufflement conjoncturel ?
114Cette intervention aura été, on peut s’en douter, finalement, d’une médiocre ou, du moins, d’une efficacité à court terme. L’échec du projet de flotte supplémentaire en direction de la Terre Ferme suffirait à le prouver. Ce projet n’a même pas servi à avancer sérieusement le départ de la flotte84 de Terre Ferme, prévu pour 1580. Aussi, la concession faite, une fois sur un point de détail l’avance de quelques deux mois de la date de départ des flottes de 1579...) n’aura été, de la part des groupes marchands de Séville — en accord, on peut difficilement en douter, avec les oficiales reales de la Casa de la Contratación — qu’une concession tactique permettant d’éviter des capitulations plus graves.
115La densité de la fraude. — Les affaires de fraude — dernier point qui mérite d’être retenu comme un indice valable de conjoncture difficile — reviennent avec insistance, au cours de ces années 1579-158085.
116Il n’est pas question de rappeler, ici, ce que sont les partidas adicionadas86. En 1579-1580, la pratique en est dénoncée, sur l’axe de commerce avec la Nouvelle Espagne et les échos du scandale parvenus au Consejo ont été filtrés à travers la correspondance de la Casa de la Contratación.
117Il en va de même des attaques contre les Veedores de armada87. Sans trancher de problèmes de moralité, insolubles et sans intérêt, on retiendra un seul aspect : celui des tensions que l’on peut percevoir à travers ces attaques contre la gestion des veedores, plus particulièrement virulentes, au cours de ces années.
118Ce point de vue, volontairement limitatif, n’épuise pas les multiples aspects possibles du problème. Il ne s’agit, nullement, d’esquiver une grave question de contrôle administratif, de minimiser l’importance de la moralité de3 groupes, bref, de sacrifier la liberté et l’indétermination des comportements indépendants à un quelconque déterminisme économique. La présente analyse se borne à retenir dans le déroulement des faits ce qui est susceptible d’apporter quelque chose à la connaissance de la conjoncture88.
119Toutes choses étant égales, on peut supposer que les conflits ont plus de chances de se produire, les scandales, plus de chances d’être dénoncés, quand le volume économique global cesse de s’accroître. En soi, le fait serait assez mince, puisque beaucoup d’autres facteurs, que l’on saisit mal, peuvent en être cause. Mais, replacé dans son contexte, il prend toute sa valeur.
2. 1580
120Que la conjoncture de 1579 reste, dans l’ensemble, défavorable, les chiffres de 1580 le confirment. Rien ne s’est passé, à la charnière de ces deux années, qui permette d’affirmer une modification importante de la situation.
a. Physionomie de l’année : ascension relative et conjoncture hésitante
121Il faudrait, même, si l’on s’en tenait aux seuls chiffres du mouvement unitaire — sur lequel l’absence des petits navires canariens continue à peser, — parler de stagnation, voire de recul89.
122Mouvement unitaire. — En Allers, 44 navires, au lieu de 48 en 1579 et 50 en 1578. C’est le chiffre le plus bas depuis 1575, mais sans qu’on puisse invoquer, pour expliquer cette défaillance, un accident analogue à celui de 1575, puisque, en 1580, à la différence de ce qui s’était passé alors, les deux convois de Nouvelle Espagne et de Terre Ferme partent normalement. En Retours, 54 navires contre 51 en 1579 et 45 en 1578. Au total, 98 navires contre 99 et 95, les années précédentes. Pour retrouver des totaux aussi bas, il faut remonter aussi jusqu’en 1575 (où ils sont commandés par des circonstances très particulières et partiellement extra-économiques), voire en 1559 et 1554, les deux creux d’effondrement cyclique maximum du grand intercycle de contraction du demi-siècle.
123Mouvement volumétrique. — Mais le tonnage unitaire croissant des navires, en grande partie, compense ce recul, si bien que le mouvement étant exprimé en toneladas ou en tonneaux constants90, il semble que l’on puisse parler, entre 1579 et 1580, d’un progrès sensible par rapport au point de départ, il est vrai, extrêmement médiocre de 1579. Un progrès de 8 % sur les Allers, de 7,5 % sur les Retours et d’un peu moins de 8 % sur les Allers et retours. Par rapport au creux cyclique de 1578, dont on a dit, pourtant, la vigueur91, compte tenu, même, de l’accroissement vraisemblable du tonnage unitaire moyen des navires, le décrochement, sur deux ans, du mouvement, entre 1580 et 1578, reste de l’ordre de 23 %, sur les deux directions du mouvement et sur la résultante des globaux. Tandis que l’équilibre entre Allers et Retours se maintient en tonnage, d’une manière troublante (Allers, 50,57 %, Retours, 49,43 %) et que les Retours alignent sur l’expression unitaire du mouvement 54 navires, contre 44 départs seulement. Il est manifeste, dans ces conditions, que le trafic de Retour est assuré par un fort reflux de petits navires92 (soit reliquat d’un stock constitué dans les années d’expansion précédentes, soit résultat de la construction navale aux Indes). Pour bien comprendre les curieux phénomènes dont la Carrera est le théâtre, en 1580, c’est donc, exceptionnellement, aux expressions unitaires du mouvement, plus qu’aux expressions en tonnage, qu’il faut être attentif.
124Pourcentages à la moyenne. — Les niveaux-tonnages de 1580, exprimés en pourcentages à la moyenne mobile de treize ans, sont inférieurs à ceux de 1579, 81,33 % en Allers, en recul par rapport aux 89,24 % de l’année précédente, sur le global Allers et retours, 89,62 % contre 91,03 %. Seuls, les Retours (94,59 % contre 87,96 %), se comportent d’une manière différente. Il ne faut pas attacher, d’ailleurs, à la comparaison des écarts de 1580 et de 1579, une trop grande importance. Le recul de 1580, assez apparent, est dû au progrès du terme de référence, la moyenne médiane de 13 ans. Un pourcentage à une moyenne arrière ne donnerait pas le même résultat. La vérité se situe donc, vraisemblablement, à mi-chemin entre les approches fournies par les pourcentages de décrochement et les écarts à la moyenne médiane. 1580 consolide, tout au plus, dans ces conditions, les maigres récupérations de 1579, mais sans vraiment les améliorer.
125Prix. — Consolidation — et consolidation médiocre — c’est bien la même observation que l’on fera sur les prix. Il semble, en effet, que sur la plupart des séries géographiques93 à l’exception de la lointaine et excentrique Valence, 1580 accuse, après la pointe très relative de 1579, un sérieux repli. C’est certain pour tout le royaume de Castille (Nouvelle Castille et Vieille-Castille, Léon), c’est assez vraisemblable encore, en dépit de l’insuffisance des sources pour l’Andalousie.
126En ce qui concerne l’espace pilote de l’Andalousie, on peut, tout au plus, il est vrai, présumer ce repli, par analogie avec le reste du Royaume de Castille. Le retrait des indicés généraux94 (de 107,77 à 102,77), tel qu’il apparaît ici, de cinq points, constitue bien un minimum. Par rapport au trend approximatif de la moyenne de treize ans, on passe de 104,57 % à 99,15 %. Ce palier, maintenu sur deux ans, 99,15 % avec l’indice 102,77 en 1580, 99,33 % avec l’indice 103,95 en 1581..., traduit assez bien, pour les prix, une réalité qui présente avec celle des trafics, de grandes analogies, entendez, pour les deux ordres de séries des progrès médiocres ; par référence seulement à un point de départ très bas.
b. Le terme discutable d’une ascension relative
127N’est-il pas paradoxal, dans ces conditions, de considérer 1580 comme marquant le terme de l’expansion — bien relative — de cette curieuse fluctuation primaire qu’on hésite à considérer comme telle, tant elle fait penser plutôt à un plateau à peine organisé ?
128Deux ou trois facteurs positifs, au moins, et, beaucoup plus important, un facteur négatif, incitent quand même à le faire.
129Analyse du mouvement Allers au départ.95 — Presque tous les navires et presque tout le tonnage, dans la ventilation au sein du complexe portuaire andalou entre dans la catégorie économiquement la plus dense, celle des navires marchands sévillans allant en convoi aux Indes : 40 navires et 14 261 toneladas, contre 4 unités représentant 940 toneladas, seulement, pour les armadas. Le décrochement, entre 1579 et 1580, est donc sur l’axe le plus important du trafic, l’axe conjoncturellement dominant de 11,4 % en tonnage et sous l’effet, uniquement, d’ailleurs, de l’accroissement du tonnage unitaire96.
130Mouvement en valeur. — Cette impression est corroborée par le mouvement valeur. L’avería perçue sur les Allers 97 dénote un niveau des valeurs fiscales relativement élevé, 861 844 670 maravedís (60 %, seulement, bien sûr, d’une année record comme 1572), mais si on met ces chiffres en parallèle, avec le volume correspondant des navires, on constate que la valeur unitaire des Allers s’est presque maintenue, comparée à la valeur unitaire du mouvement des années record du cycle précédent : 45 000 maravedis par tonelada contre un peu plus de 50 000 maravedis par tonelada, entre 1574 et 1575. L’argument est à double tranchant, il pourrait aussi bien servir à mesurer l’ampleur d’un repli qu’il nous sert, en fait, à souligner le caractère relativement modéré de ce repli.
131Importance relative des départs en direction de la Terre Ferme. On ajoutera, enfin, et ceci sera le simple corollaire de cela, l’importance relative, cette année, des départs en direction de la Terre Ferme98, 21 navires et 8 081 toneladas (contre 19 navires et 6 730 toneladas l’année précédente et 13 navires, 3 770 toneladas, seulement, en 1578). Entre 1578 et 1580, les Allers en direction de la Terre Ferme se sont accrus de 120 % par rapport au niveau de 1579, de plus de 200 % de 1578 à 1580, tandis que, dans le même temps, la Nouvelle Espagne ne s’est pas modifiée (18 navires, 6 635 toneladas en 1578, 22 navires, 7 250 toneladas en 1579, 19 navires, 6 610 toneladas en 1580). Étant donné ce qui résulte de l’analyse de l’ensemble du cycle, la Terre Ferme, quelle que puisse être l’importance passagère d’un repli99, constitue bien, depuis la fin de la décade des années 70, l’élément moteur de la vie économique dans l’Atlantique espagnol. L’importance relativement forte des Allers en direction de la Terre Ferme (53,15 %), supérieure au pourcentage des Allers vers la Terre Ferme à l’intérieur du cycle (46,7 % de 1579 à 1592) et, a fortiori, plus encore à l’intérieur de la fluctuation primaire (43,6 % de 1579 à 1583), doit être considérée comme un facteur faiblement positif, qu’on peut avancer, entre autres, mais timidement, et qui donne une présomption de conjoncture moins mauvaise, à l’intérieur d’une période — par ailleurs — extraordinairement déprimée.
132L’allure vraie de 1581. — Le facteur négatif — c’est l’allure vraie de 1581. Un coup d’œil trop rapide sur les chiffres bruts100, pourrait donner l’impression erronée d’un progrès continué entre 1580 et 1581. Il convient, en fait, de se déprendre de cette illusion, en faisant une place à part101 aux navires d’armada de l’expédition de Pedro Sarmiento de Gamboa et Diego Flores de Valdés. C’est ainsi que l’axe moteur des départs des navires marchands accuse en un an un reflux de près de 50 %. Si on fait la moyenne arithmétique annuelle des départs marchands en convois de 1581 et de 1582, on obtient un niveau légèrement en contrebas par rapport à 1580. Or, cela ne résulte pas d’une illusion, le comportement des valeurs102 en fournit la preuve : 1581, là aussi, est sensiblement en contrebas par rapport à 1580. On verra bientôt dans quelle mesure103.
133Il semblerait donc raisonnable de considérer 1580 comme marquant le terme de la phase ascendante (combien médiocrement d’ailleurs) de la première fluctuation primaire 1579-1584... et de lui attribuer, par conséquent, malgré tout, une place en conjoncture ascendante.
c. Les signes d’une contraction à long terme
134En conjoncture ascendante, mais très relativement et à très court terme. Il est hors de doute, en effet, que les signes d’une contraction à plus long terme ne manquent pas.
135Chronologie des départs. — Les dates de départ des convois..., tout d’abord. On a vu comment, sous la pression du Roi en son Conseil, transmise et amortie par la complaisante Casa de la Contratación, les départs de 1579 avaient été avancés, pour combler104 — bien imparfaitement, au vrai — le gouffre conjoncturel béant de 1578. Le rythme n’a pu, de ce fait, être maintenu en 1580 : les temps qui séparent les départs de 1579 et ceux de 1580 sont beaucoup plus longs que ceux qui séparent les départs de 1578 et de 1579. Ils excèdent même la durée des écarts moyens.
136A l’exception d’une très sommaire Armada de la Guardia de 4 unités et 940 toneladas105 qui part le 30 mars et arrive le 9 mai 1580 à Cartagena, deux frégates à la Floride à la fin juin et un navire suelto106, la quasi totalité des départs est constituée par deux convois, une flotte de Nouvelle Espagne qui part le 10 juin, soit douze mois et demi après celle de 1579107 et une flotte de Terre Ferme dont le départ s’échelonne entre le 27 août et le 2 septembre, soit dix-sept mois après celle de 1579. C’est, essentiellement, sur cet écart qu’il faut attirer l’attention, malgré le médiocre relais de l’armada dont la minceur ne peut échapper. En consacrant l’échec des pressions de l’État pour obtenir une accélération du rythme des départs vers la Terre Ferme, le retour à des dates plus tardives et l’allongement des délais — joints à l’extrême faiblesse des niveaux — prouvent combien la conjoncture de la période demeure lourde108.
137La crise mexicaine du mercure. —Second signe plus probant, la crise de suralimentation mercurielle du marché des mines de la Nouvelle Espagne109.
138On l’avait notée, pour la première fois, aux Indes, en 1579 ; elle ne tarde pas à se faire sentir au départ, cette fois. On va assister, en effet, à un prodigieux effondrement, absolument sans précédent dans toute la Carrera, des exportations de mercure espagnol en direction des mines mexicaines : ne passe-t-on pas, en effet110, d’une année à l’autre, de 3 795 quintales en 1579 à 1231 quintales en 1580, soit moins du tiers ? Bien pire, en 1581, les quantités tombent à 600 environ, dont 210 quintales pour la Nouvelle Espagne et près de 400 pour le Honduras111. Il faut attendre 1582112 pour que la tendance de la courbe mercurielle se renverse et que l’on soit en présence, enfin, d’un véritable mouvement de reprise113.
139Cette prodigieuse dépression, la première qui atteigne une telle amplitude et une telle durée, prouve à quel point les indications rapportées par la correspondance de la Casa de la Contratación114 de l’année précédente de 1579 doivent être prises au sérieux. De 1579 à 1581 avec des modalités particulières, s’ouvre, dans la Carrera, ce que l’on pourrait appeler la grande crise du mercure mexicain : elle est le signe, cela va sans dire, sur un point névralgique, de ce grand drame de l’économie nouvelle espagnole des années 1576-1580.
140Autres séries, autres signes. — La correspondance de la Casa de la Contratación se fait le véhicule, encore, au cours de ces années, d’autres signes non contestables de contraction.
141La présence de Drake, la hantise de Drake...115 pèse lourdement et n’invite guère à entreprendre. Elle incitera, du moins, à la mise sur pied de cette gigantesque expédition de Sarmiento et Valdés au détroit de Magellan dans l’espoir — vite déçu — d’y constituer un taquet d’arrêt, un bouchon étanche formant un Pacifique qui fut, fort longtemps, le mare clausum des Ibériques, et protégeant plus spécialement la frange côtière andine de la Mer du Sud, indissociable de l’Atlantique espagnol.
142La pression exercée par Drake s’exprime à l’état second dans les préparatifs étalés sur près de deux ans de cette grande expédition de Gamboa aux terres magellaniques, le grand fait qui domine toutes les années 1581 et, par ricochet, encore 1582. Cette pression est responsable, sans doute, d’un facteur qui, dans un autre contexte, peut être considéré comme un facteur d’expansion, mais qui constitue, ici, un élément de gêne à la reprise et de conjoncture basse : l’introduction en 1580, d’équipages étrangers116.
143Bien d’autres facteurs peuvent intervenir, aussi. On signale, dans les convois de Retours117, un nombre important de vieux navires. En soi, on pouvait s’y attendre et d’autres indices incitaient à le penser118. La précision de la connaissance n’est pas telle qu’on puisse l’affirmer à coup sûr. Il est certain, pourtant, que l’âge du stock des navires utilisés passe par un maximum — sinon, peut-être, le maximum absolu, jamais atteint au cours du siècle-et-demi d’histoire que nous nous efforçons de saisir, du moins, le maximum relatif, qui se situe, précisément, à la hauteur des Retours de 1580. Cet âge moyen élevé des navires sur l’axe Amérique-Andalousie prouve l’écoulement d’Amérique, en direction de l’Espagne, d’un vieux stock de navires qui s’y était constitué en des temps meilleurs. Ce schéma est parfaitement conforme au modèle que nous avons proposé de l’écoulement des navires en période de dépression.
144Telles sont les grandes lignes — en conjoncture — de cette année 1580. On s’étonnera, mais superficiellement seulement, du silence de nos textes, sur les événements tout proches, pourtant, du Portugal et appelés à peser lourdement sur la Carrière des Indes. Tout au plus, aura-t-on relevé quelques plaintes contre la contrebande portugaise119,... plaintes qu’on trouve, souvent, aussi, en période de difficultés conjoncturelles.
145Les opérations en direction du Portugal auront eu, peut-être, dans l’immédiat, en rapprochant la guerre de la Carrera, et en détournant, à des fins militaires, une fraction des forces normalement consacrées au trafic un effet dépressif..., tout comme le succès de la réunion des deux Couronnes se fera indirectement sentir quelques années plus tard. L’énorme poussée des années 1585 est, peut-être, imputable, très indirectement, entre de nombreux facteurs, au succès des opérations entreprises à la fin de l’année 1580. L’Union des deux Couronnes aura été, d’abord, pour la Carrera, un facteur paralysant, mais à plus long terme, en renforçant, même modérément, la cohésion de l’Atlantique des Ibériques, elle se révélera une opération payante pour l’Atlantique des Ibériques suivant des modalités complexes qu’il faudra préciser, le moment venu.
LE PLATEAU (1581-1582)
146Pour le moment, la réunion des deux Couronnes, une association plus étroite du Portugal à la vie de l’Atlantique ne semble avoir aucune influence tonique sur une conjoncture qui reste une conjoncture faiblement expansive. Le mouvement semble plafonner sous l’action de causes qui ont été analysées ailleurs120. C’est la raison pour laquelle il paraît judicieux de considérer globalement les deux années de 1581 et 1582 comme une espèce de palier haut (relativement à une fluctuation dont on a vu, par ailleurs, la médiocrité121.
147Or, une telle position pourra sembler, de prime abord, quelque peu paradoxale. Les Allers globaux, en effet, constituent, de 1579 à 1582, une pente ascendante relativement régulière. On en a vu la montée assez rapide de 1578 à 1579, très atténuée de 1579 à 1580122. Elle reprend un peu de 1580 à 1581, où le décrochement est de Tordre de 6,5 % en volume123 et plus important encore, quant au seul nombre des navires124. La tendance du mouvement unitaire est renversée. Pour la première fois, depuis quatre ans, le chiffre de 1578 est égalé, voire même légèrement dépassé. Le tonnage unitaire du mouvement n’est plus seul en cause, la montée des volumes qui continue n’est plus imputable, uniquement, à la taille des navires125.
148Mais c’est de 1581 à 1582, surtout, que le progrès est le plus sensible, de 51 à 73 navires, de 16 186 à 20 440 toneladas, soit, en unités, un décrochement de 43,1 % et, en tonnage, un décrochement de 26 %126.
149On pourrait être tenté ainsi de placer le sommet du mouvement en 1582, si les Retours et, de ce fait, les Allers et retours127 ne se comportaient d’une manière sensiblement différente.
150Mais la raison déterminante qui invite à ne pas dissocier 1581 et 1582 est ailleurs : la grande expédition en direction des terres magellaniques. Le mouvement des années 1581, 1582 est fortement influencé par l’existence de cette puissante expédition : ne représente-t-elle pas 50 % des départs globaux de 1581 et près de la moitié encore de ceux de 1582 ? Étant donné sa date de départ, le 28 novembre 1581128, après des préparatifs qui ont traîné en longueur toute une année, comme c’est, en général, le cas pour les armadas de cette espèce — la correspondance de la Casa de la Contratación l’atteste —, on peut affirmer que l’événement, en détournant une partie importante du potentiel naval et économique de la Carrera hors du terrain des transactions commerciales courantes et hors de l’espace géographique couramment englobé dans l’Atlantique de Séville, pèse non seulement sur 1581, mais aussi sur 1582.
151Il a semblé préférable d’incorporer au mouvement global la puissante armada, puisque sa masse a été prélevée sur le tonnage de l’Atlantique de la Carrera... On peut difficilement, d’autre part, comme c’est toujours le cas pour les armadas et plus particulièrement pour les expéditions de découverte, d’exploration ou de défense129, en faire totalement abstraction : l’expédition Gamboa-Flores, comme toutes les expéditions de cette nature participe, dans une mesure réduite, certes, mais indubitables, au mouvement général des affaires. Elle aura, entre autres effets, gêné les départs de 1581, diminué, par conséquent, le volume des navires marchands qui prennent la mer cette année-là, elle aura contribué à reporter, vraisemblablement, sur 1582 une partie des départs qui aurait dû être normalement imputée à l’année précédente.
152C’est pourquoi il semble impossible de dissocier 1581 et 1582 cimentés, en quelque sorte, par l’élément perturbant de l’expédition aux terres magellaniques. Plutôt que d’opposer aux niveaux, qui précèdent et qui suivent, les chiffres respectifs de 1581 et de 1582, il ne faudra jamais perdre de vue le niveau moyen du mouvement de ces deux ans. Lui seul, permet, la plupart du temps, des comparaisons utiles.
1. 1581, l’année de la grande expédition
153De prime abord, si on se réfère aux seuls indices volumétriques globaux, le mouvement de 1581 ne diffère pas sensiblement de celui de 1580. Le mouvement en valeur, par contre, révèle un recul sensible de 1581, par rapport à l’année précédente, contre lequel on doit, d’ailleurs, se mettre en garde en raison de l’imbrication extrême des années 1581-1582.
a. Entre un maintien apparent et une contraction réelle : dangers du découpage annuel
154Mouvement volumétrique. —En Allers, sans doute, on l’a vu130, la différence entre 1581 et 1580 bien que faible, demeure sensible : de 44 à 51 navires et de 16 186 à 20 440 toneladas (de 15 377 à 19 418 tonneaux) avec des décrochements respectifs d’une année sur l’autre, de 15,9 et 6,5 %. Mais le mouvement sur les Retours est étale, de 54 à 52 navires, de 14 860 à 14 591 toneladas (de 13 374 à 13 861 tonneaux). Il est pratiquement étale aussi sur les globaux : de 98 à 103 navires, de 30 061 à 30 777 toneladas (27 055 à 28 038 tonneaux), étale ou à peu près, aussi, en pourcentages d’écarts à la moyenne mobile de treize ans en Allers (de 81,33 % à 98,33 %), Retours (94,59 % à 88,86 %), plus encore en Allers et retours (89,62 % à 92,03 %) ; étale, également, le mouvement des prix : les indices composés, par rapport à la tendance majeure, ne passent-ils pas de 99,15 % à 99,33 %, entendez de l’indice 102,77 à l’indice 103,95 ?
155Mouvement en valeur. — Cette égalité, en fait, est une égalité trompeuse. Sur les 51 navires et 16 186 toneladas qui quittent Séville et le complexe portuaire du Guadalquivir en 1581,28, seulement, appartiennent à la catégorie optimale des navires marchands, totalisant 7 830 toneladas, contre 23 navires et 8 356 toneladas pour les armadas, c’est-à-dire pour la grande expédition de peuplement « anti Drake » — osera-t-on écrire — des terres magellaniques.
156Mais ce gonflement des armadas a son revers. Sur l’axe moteur du mouvement, de 1580 à 1581, une chute brutale de l’ordre de 50 % se produit, en effet, puisqu’on passe de 40 à 28 navires et de 14 261 à 7 830 toneladas. Qu’une telle chute ne soit pas compensée par l’expédition magellanique, rien de surprenant. Le mouvement valeur saisi à travers 1’avería, le montre, puisque à tonnage égal, voire même légèrement supérieur, on note une baisse sensible des valeurs mises en œuvre de 861 844 670 maravedís (valeur officielle pour 1580) à 613 405 238 (valeur fiscale officielle pour 1581)131, soit un repli de l’ordre de 25 %.
157Le repli de la valeur présumée des exportations de l’Europe vers l’Amérique de 1580 à 1581 est, la chose vaut la peine, sans doute, d’être notée, à mi-chemin entre le comportement des volumes Allers des seuls navires marchands (repli de 50 %) et celui des volumes globaux (plan palier, pratiquement, puisque décrochement en expansion de 6,5 %). Ce comportement des chiffres valeur et volume confirme notre position sur ce problème : compter les navires d’armada, même quand il s’agit d’expéditions, comme celle-ci, marginales, mais les compter moins que les navires du trafic normal,... beaucoup moins, même, que ces simples éléments de comparaison ne permettraient de le penser132.
158Imbrication des années 1581 et 1582. — Il serait erroné, toutefois, si on restait trop fidèle à la leçon du découpage annuel, de considérer uniquement les chiffres de 1581 et de parler ainsi de creux conjoncturel même relatif venant s’inscrire entre la prospérité tout aussi relative de 1580 et la prospérité plus certaine de 1582. Car il est impossible de séparer le mouvement de ces deux années. L’importance apparente des départs marchands de 1582 est aussi exagérée, vraisemblablement, que celle des départs de 1581 était insuffisante. En prélevant sur le stock des navires disponibles une masse représentant plus que la moyenne normale des départs annuels, l’expédition aux terres magellaniques aura contraint un certain nombre de négociants à retarder d’un an, — les chiffres tendent à le prouver — leurs exportations en direction des Indes.
159Le convoi de Terre Ferme et l’expédition magellanique. — Ce détournement se sera effectué de la manière suivante : par le non-départ, tout à fait insolite, au cours de cette série, du convoi vers la Terre Ferme : quelques sueltos, 5 navires, 520 toneladas, pratiquement rien, donc, qui prenne la direction des espaces de la Terre Ferme133. Le mouvement économique vrai entre l’Espagne et les postes courants de ce morceau des Indes, qu’on a coutume d’appeler Terre Ferme, dessine, de ce fait, une fois éliminée la grande armada du Sud, un creux extrêmement profond. Extrêmement profond et d’autant plus décisif qu’il s’agit, au cours de ces années, de l’axe dominant de l’Atlantique134. C’est ainsi que les départs marchands vers l’espace traditionnel de la Terre Ferme descendent en 1581 à 5 navires et 520 toneladas, contre 21 navires et 8 081 toneladas en 1580 et 31 navires et 9 750 toneladas en 1582. Sur les Allers et retours, nous aurons 17 navires, 5 661 toneladas contre 33 navires et 14 201 toneladas en 1580, 31 unités et 9 705 toneladas en 1582. On mesure mieux, ainsi, l’ampleur du décrochement.
b. Les signes d’une conjoncture médiocre
160Cet élément et quelques autres donnent la mesure de la médiocrité conjoncturelle de 1581.
161Le déséquilibre Allers-Retours. —La prise en considération de cette réalité, entendez l’élément perturbant de l’expédition au détroit de Magellan rend plus aigu encore et plus troublant, le déséquilibre Allers/Retours. La part des Retours est donc plus importante que ne le laisseraient croire des calculs établis sur la simple comparaison des totaux bruts Allers et retours135. On a vu, à plusieurs reprises déjà, pourquoi une proportion élevée des Retours dans l’ensemble du mouvement — soit proche de la médiane (50 %), soit la dépassant, constituait une épreuve ou, du moins, un signe de difficultés conjoncturelles. Il faudra donc modifier profondément l’impression de retour à la normale que pourraient donner les pourcentages de la table 159136 : 45,6 % (1581) et 33,25 % (1582). Élimination faite de l’Armada aux terres magellaniques, les Retours sur deux ans (1581-1582), 96 navires et 24 771 toneladas, arrivent presque à égalité avec les Allers, 101 navires, 28 270 toneladas, soit une moyenne élevée de 46,7 % par rapport au mouvement global 1581-1582. Si on envisage, par contre, 1581 seulement, élimination faite de l’Armada, le pourcentage des Retours à l’ensemble passe de 45,16 % (Armada comprise) à 66 % (Armada exclue).
162Certes, le rapport Allers sur Retours, pour la seule année 1581, ne peut être pris tout à fait au pied de la lettre : il résulte, pour une large part, de la rétention artificielle des départs. Mais le rapport Allers sur Retours, pour l’ensemble du plateau 1581-1582, est à peu près valable, élimination faite de l’Armada, soit 53,3 % et 46,7 %. Ce rapport, on le voit, ne laisse aux Allers qu’une marge très faible. Ce faible excédent — au milieu d’une période qui, il est vrai, présente l’anomalie curieuse de Retours anormalement importants — invite à ne pas exagérer l’expansion du sommet-plateau relativement médiocre des années 1581-1582.
163La chronique de la « Casa de la Contratacion ».
164La correspondance de la Casa de la Contratación confirme, d’ailleurs 137, cette impression de relative médiocrité... et de difficultés persistantes.
165N’attribue-t-elle pas, en effet, les lenteurs de la rotation des convois aux Indes et le départ relativement tardif de Nombre de Dios (le 28 mai 1581)138 à l’arrivée tardive (11 avril 1581) des navires du Pérou à Panama ? Bien sûr, ces lenteurs ne sont, peut-être, pas voulues. La médiocrité des techniques, le caprice de la mer, l’aléa des chemins à travers l’isthme... suffisent à en rendre compte. Mais les autorités de Panama qui parient, pas très sérieusement, sans doute et pour se justifier aux yeux des jueces oficiales de Séville et du Conseil des Indes, de faire embarquer les négociants péruviens vers l’Espagne pour les y exposer au châtiment du Roi, ne semblent pas douter de la responsabilité des gens du Pérou, avec qui ils n’entretiennent pas, d’ordinaire, de mauvais rapports. Et si, finalement, les échanges se font avec des marges substantielles de bénéfices, 51 %, 52 % au comptant, 56 à 57 % au crédit, en moyenne, pour les cargadores sévillans, le peu d’enthousiasme, qu’on a mis, de part et d’autre, à ouvrir le marché, doit être considéré comme un facteur d’une conjoncture qui reste peu entraînante.
166La disette, — autre fait peu encourageant —, en avril 1581, a coûté la vie au tiers des équipages du convoi. Le capitaine général Don Antonio Manrique139 dans la lettre qu’il adresse, au large du Cap Saint-Vincent, le 20 août 1581, à la Casa de la Contratación, attribue à cet accident quelques-unes des difficultés et des lenteurs du voyage. Cette famine dans l’isthme, on peut l’attribuer, selon toute vraisemblance, plus qu’à la faiblesse des départs de Séville en direction de la Terre Ferme, au cours des années 1578 et 1579140 à un accident de récolte local qu’il ne nous est pas possible de préciser. Et plus vraisemblablement à l’action cumulative des deux facteurs. On peut penser qu’ils ont contribué à refroidir l’enthousiasme, des cargadores limeños, dans la mesure où les conditions pénibles qui régnaient dans l’isthme ont été rapidement et bien connues au Pérou.
167Il y a crise sérieuse dans l’isthme. La décision prise à Séville de faire porter sur les départs vers la Terre Ferme le sacrifice imposé par la raréfaction du tonnage disponible dans le Guadalquivir était donc motivée141. La crise, qui affecte, ainsi, l’espace économiquement dominant de la Terre Ferme, permet de conclure, malgré des signes d’amélioration, à la persistance des difficultés.
2. La prospérité relative de 1582
168Semblable situation — quelles que soient, d’abord, les apparences — va peut-être, être radicalement modifiée d’une année sur l’autre... 1582, tout e constituant le point haut du premier cycle primaire, n’est pas encore totalement dégagée du complexe dépressif de cette période intermédiaire.
a. Analyse
169L’analyse des chiffres de 1582 n’est pas commode : trop de facteurs extra-économiques entrent en ligne de compte et on n’est pas toujours assuré de pouvoir les éliminer tous sans danger.
170Mouvements volumétriques. — Une analyse limitée aux seuls tonnages globaux serait dangereuse. Elle pourrait faire croire à un palier incliné, alors qu’il vaut mieux parler, au contraire, de palier redressé, du prolongement, sur plusieurs mois, d’une expansion limitée.
171Si on se réfère à la seule comparaison des chiffres globaux, par exemple142, en Allers, même si on porte intégralement au compte de 1581, ce qui est excessif, la grande armada de découverte, de consolidation et de conquête aux terres magellaniques, on se trouve en présence d’un progrès certain, puisqu’on passe de 51 à 73 unités, soit de 16 186 à 20 440 toneladas (voire de 15 377 à 19 418 tonneaux), soit une expansion volumétrique de 26 à 27 %, et de plus de 43 %, si on ne fait entrer en ligne de compte que le seul mouvement unitaire des navires. Mais toute cette avance semble être épongée par un recul symétrique des Retours, à tel point que les totaux des deux ans s’équilibrent finalement, sur les globaux, un peu plus de navires, 117 au lieu de 103, mais un volume sensiblement égal, 30 620 toneladas (en 1582) contre 30 777 toneladas (en 1581), ou 29 089 tonneaux contre 28 038 tonneaux. Or, des chiffres en équilibre reportés sur la toile en fond d’une tendance à la hausse, épousent bien le mouvement d’une esquisse de contraction. C’est bien ce qu’indiquent, d’ailleurs, les pourcentages d’écart à la moyenne mobile de treize ans143.
172Mais cette égalité, voire cette plongée ne résiste pas à une analyse plus minutieuse des mouvements. C’est une insuffisance du mouvement Retours qui contrecarre, en 1582, l’expansion des Allers et donne aux globaux un niveau comparable à celui de l’année précédente.
173Or l’échec des Retours de 1582 est uniquement imputable à l’absence, cette année, à Séville, de navires venant de Terre Ferme144. Rien, alors que le niveau des Retours de Terre Ferme, était de douze bateaux en 1581, représentant 5 141 toneladas, 22 unités et 6 120 toneladas en 1580 et qu’il sera de 18 unités et 6 240 toneladas en 1583, 20 unités et 6 287 1/2 toneladas en 1584... On trouvera une confirmation a contrario, dans l’évolution des Retours de la Nouvelle Espagne qui, de 1581 à 1584, sont uniformément croissants145. Le léger fléchissement des navires venant des îles146 est imputable à la même cause que l’anéantissement des Retours de Terre Ferme, dont aucun navire ne fait son entrée à Séville, du 14 septembre 1581 au 13 septembre 1583, soit pendant un laps de temps de deux années pleines.
174L’absence de tout retour de Terre Ferme, en 1582, est facilement explicable. Elle se borne à répercuter le hiatus du mouvement Allers dans cette direction, l’année précédente, en 1581. Le gros de l’expédition aux terres magellaniques ne reviendra jamais. Tout se passe donc comme si les seuls départs valables pour la Terre Ferme en 1581 se limitaient aux cinq unités et aux 550 toneladas déjà signalées147. Mais le hiatus des Allers en Terre Ferme est, on l’a vu, en partie, accidentel, extraéconomique148. Il est, sans conteste possible, la conséquence de la grande expédition aux terres magellaniques149, la conséquence, de l’intrusion anglaise dans l’Océan Pacifique. Le hiatus des Retours de Terre Ferme en 1582 découle, donc, tout naturellement de cet accident, pour l’essentiel, extérieur à la dynamique économique propre de l’espace Atlantique.
175Cet accident, on ne peut l’éliminer par la pensée qu’au prix d’un sérieux artifice. Il est possible d’imaginer qu’on aurait eu, sans l’énorme ponction de cet effort divergent, un mouvement au départ en 1582 un peu inférieur à celui qui apparaît sur les globaux tels que nous les totalisons150 mais sans conteste, des Retours supérieurs des 7 à 8 000 toneladas que la grande Armada a prélevées151. Si on se reporte aux globaux, Allers et retours, on peut donc considérer que l’intrusion de l’extra-économique a contribué à masquer et à ralentir le dynamisme du mouvement. On aurait été en présence d’un décrochement de plusieurs milliers de tonneaux et de quelque 20 % au moins.
176Une étude plus attentive du mouvement volumétrique, lui-même, confirmera cette première impression de rythme ascensionnel continu d’une année sur l’autre. Tout d’abord, ce sont les Allers qui donnent le ton. Et cela a, on le sait, toute son importance. Seuls comptent, du moins, au premier chef, pendant ce siècle de la phase longue d’expansion, les départs d’Espagne. Même compte tenu de l’Armada aux terres magellaniques, le décrochement du mouvement Allers était de 26 à 27 % en tonnage, de 43 % en imités152. Mais, élimination faite du facteur armada153 et compte tenu seulement de l’axe majeur au départ du complexe portuaire, le saut en avant est de 138 % en tonnage entre 1581 et 1582, de 7 830 à 18 640 toneladas, 128 % en unités entre 1581 et 1582, de 28 à 64 unités.
177L’expansion vraie du mouvement est, la chose va sans dire, intermédiaire entre le décrochement obtenu dans le premier cas et le décrochement calculé par le second procédé, beaucoup plus proche, toutefois, du second chiffre que du premier.
178Tonnage unitaire. — Il n’est pas sans intérêt, non plus, de noter, entre 1581 et 1582, sur la série des Allers globaux154, un léger fléchissement du tonnage unitaire moyen, attesté, d’ailleurs, par la supériorité du décrochement sur l’expression unitaire du mouvement155. Le fléchissement du tonnage unitaire serait, à lui seul, un indice fragile (bien que sensible, en l’occurrence, puisque le repli de 315,4 à 287,9 toneladas est de l’ordre de 9 %), s’il ne venait s’inscrire dans un cadre particulier. Après le détournement de gros navires en direction de l’espace insolite de la Patagonie et du détroit de Magellan, il est naturel que la demande du négoce ait exercé une forte tension sur l’armement, et qu’on ait été obligé, de ce fait, d’utiliser un matériel plus petit. Un fléchissement à très court terme du tonnage unitaire moyen des navires à l’Aller doit être, par conséquent, considéré comme un indice d’expansion relative. Et cela, d’autant plus qu’il viendra s’inscrire dans un complexe d’autres indices concordants.
179Répartition des départs. — On appréciera, également, la manière très équilibrée dont les départs sont répartis. Le niveau assez faible, à l’Aller, des navires d'armada (9 navires, 1800 toneladas), à l’exclusion de tout autre secteur secondaire, est un élément favorable. Entre les grandes directions fondamentales, l’équilibre est à peu près réalisé, avec 30 navires et 9 200 toneladas pour la Nouvelle Espagne, 31 navires et 9 750 toneladas pour la Terre Ferme. Comme en 1580, le volume des départs le plus important est celui de la Terre Ferme. Étant donné le rôle, à cette époque, de la Terre Ferme, en tant qu’espace économique dominant156, cet indice a sa valeur.
180Mouvement en valeur. — D’autant plus qu’il est corroboré par la leçon du mouvement valeur lui-même157. Bien que les impôts ad valorem ne permettent d’atteindre qu’une approche assez grossière158, on notera l’extraordinaire décrochement du mouvement au départ de 1581 à 1582, de 613 405 238 maravedís, niveau particulièrement bas, il est vrai, à 2 079 736 000 maravedís, chiffre particulièrement élevé159. L’expansion d’une année sur l’autre sur cette approche particulière du mouvement est de l’ordre de 240 %.
181Un rapport aussi insolite se comprend, dans la mesure où la différenciation porte sur la Terre Ferme. En effet, entre 1581 et 1582, l’expansion du trafic des navires marchands ne dépasse pas 135 % sans commune mesure, donc, avec les 240 % du mouvement-valeur. Cette distorsion corrobore un fait qu’on peut prouver d’une autre manière. Au cours de ces années, la valeur unitaire des produits exportés en direction de la Terre Ferme et de l’isthme Pérou est double, environ, de celle des marchandises qui prennent le chemin de la Nouvelle Espagne. Voilà pourquoi la comparaison entre le niveau valeur de 1582 et celui de 1580 est presque plus probant, du point de vue de la conjoncture annuelle que la comparaison 1581-1582, puisque la ventilation des départs entre les directions fondamentales est, entre 1580 et 1582, sensiblement analogue à la différence de la grande disparité 1581-1582 (avec, tout au plus, une expansion de 30 % des volumes de 1582 par rapport à 1580).
182Le progrès du mouvement en volume, sur l’axe essentiel des seuls navires marchands, est entre les deux années 1580 et 1582, de 30 %, en valeur, le décrochement calculé dans des conditions comparables se situe à plus de 140 %. La mise en parallèle des deux séries voisines (volumes et valeurs160) prouve donc que la reprise des exportations, après les préparatifs et le départ tardif de la grande Armada aux terres magellaniques, n’a pas entraîné, seulement, un accroissement quantitatif, mais aussi, comme de coutume, un triage des marchandises exportées. En 1582, le tonnage disponible a dû être inférieur aux besoins du négoce. D’où choix et élimination, suivant un schéma souvent tracé : seules, les marchandises les plus chères partent, parce qu’elles sont plus susceptibles de payer un fret dense161 et parce qu’elle rapporteront davantage aux négociants qui les engagent.
183La correspondance de la Casa de la Contratación, nous montre qu’il ne s’agit pas d’une hypothèse simplement vraisemblable162, mais d’un état de fait, dont on peut suivre les modalités. On signale, sur les berges du Guadalquivir163 une surabondance de vin telle qu’il ne parvient pas à s’embarquer. Cette pléthore, au demeurant, toute relative, exprime plus qu’un excès de l’offre, une diminution des possibilités de transport et une élimination conséquente des pondéreux, en tête desquels le vin occupe la place de choix.
184Manque de navires. — Un effort est fait, sous la pression du besoin, en 1582, pour accroître le stock insuffisant des navires disponibles : cet effort s’exprime, de plusieurs manières, par un plus gros besoin de gréements164 — ce qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes —, par une importante vague de constructions navales165 en Espagne, par la question de l’admission des hourques qui paraît s’être posée en termes particulièrement nets, au cours de ces années166. Les séries statistiques 167 tirées de la colonne nature des tableaux ne sont pas de grand secours, parce que les bases en sont trop étroites pour qu’on puisse en tirer un argument décisif. C’est en 1584, seulement, que la première hourque a été relevée dans les séries après une interruption de dix ans, depuis 1574.
185On s’est fait l’écho, déjà, de ces joutes presque scolastiques168 qui opposent, en 1582, dans la Carrera, les forces qui tentent de faire admettre les hourques aux forces qui tendent à les exclure. On a l’impression, en fait, qu’il n’y a plus contre les hourques qu’un faible barrage sur le point de craquer. C’est la raison pour laquelle, il ne faut pas trop prendre au pied de la lettre la lacune de la colonne169, entre 1574 et 1584 : elle traduit une interdiction légale, plus, vraisemblablement, qu’une exclusion réelle170. Cette interdiction légale va être emportée. Deux dates semblent jalonner l’aventure : le dossier de 1582, la réapparition effective des hourques dans la colonne « nature » en 1583, d’abord, puis en un tissu plus dense, à la fin du cycle.
186Si des pressions s’exercent — victorieuses, on ne peut en douter, — sur la Carrera pour l’admission d’un matériel naval étranger, c’est, sans conteste, un signe de conjoncture favorable. Cela implique, en effet, que l’armement n’arrive pas à satisfaire complètement les besoins du négoce. Parallèlement, et chargée d’une signification analogue, l’intrusion, qu’on a déjà cru déceler, vers ces années171, d’un plus petit matériel, de seconde zone pour les îles et les espaces marginaux des Indes. Tout cela tendrait bien à impliquer que, dès 1582, certains caractères de l’expansion, qui se manifeste clairement dès 1584 dans la phase ascendante de la seconde fluctuation primaire du cycle, sont déjà annoncés.
b. Causes
187Le problème des causes de cette montée doit être posé. Il est difficile de ne pas céder à la tentation d’établir une corrélation entre ces signes avant-coureurs d’une reprise du trafic et les prix.
188Les Prix. — Il est certain que les prix en Espagne et ce que l’on peut entrevoir des Indes marquent en 1582 un net progrès, par rapport à 1581. Ce décrochement, un des plus forts depuis longtemps, commande, on s’efforcera de le montrer172, le mouvement de reprise de la phase ascendante de la seconde fluctuation primaire, la fluctuation culminante du cycle. Mais est-il possible d’imaginer qu’il ait eu une interaction immédiate ? Une interaction immédiate entre un sursaut de la courbe des indices des prix173 et le trafic s’inscrit, pourtant, dans la réalité.
189L’indice géographique balancé ne passe-t-il pas de 103,95 à 106,57, le pourcentage de l’indice vrai au trend, de 99,33 à 101,54 % ; tandis que l’indice andalou, le plus important, semble, autant qu’on en puisse juger174, qui n’est pas toujours facile, particulièrement nerveux, passant du niveau 103,21 à 111,48 de 1580 à 1582, de 1582 à 1584, par contre, de 111,48 à 112,68 seulement, il est presque stable. Dans le même temps on a observé déjà un sensible progrès sur les expressions les plus importantes du mouvement volumétrique et en valeur.
190Est-ce rencontre fortuite ? Le ben rationnel entre ces deux séries d’événements trop parfaitement simultanés n’est pas facile à établir. Surtout, il n’est pas courant. On ne peut totalement écarter, a priori, cependant, la possibilité d’une influence de la reprise des prix sur celle des trafics et vice versa.
191D’autant plus que, pour une fois, nous savons avec certitude que les prix hauts d’Espagne correspondent bien, ou si l’on préfère, commandent bien des prix hauts, [aussi, en Amérique, en Nouvelle Espagne, du moins175. Les vins, tous les produits d’Espagne se vendent bien, les prix augmentent au cours de l’automne 1582, comme nous le révèle la correspondance de la Casa de la Contratación176. Il suffit, au demeurant, que les facteurs dépressifs, qui exercent depuis plusieurs années leur action déprimante, se relâchent, un instant, pour rendre compte du redressement des courbes en 1582, par rapport à l’année précédente.
192L’Union des deux Couronnes. — Dernier facteur tonique, très certainement : l’Union des deux Couronnes qui est, pratiquement, chose faite. Facteur dépressif177, d’abord, par l’incertitude qu’il a pu faire peser, au début, sur la paix aux abords de Séville et sur un relais aussi important que l’archipel des Açores, en sécession, pratiquement, jusqu’en 1582. Peut-être, aura-t-il contribué quelque peu à handicaper le trafic en 1580 et en 1581. Mais, facteur expansif, après coup : 1582 en bénéficie vraisemblablement. En réalité, l’Union des deux Couronnes, affecte assez peu la structure respective des deux empires qui demeurent, côte à côte, sans s’interpénétrer. Les Portugais seront, à plus longue échéance, les vrais bénéficiaires, mais Séville, à court terme, en tire, peut-être, l’avantage non négligeable, entre autres choses, d’une utilisation plus commode, au retour, de l’archipel des Açores. Quoi qu’il en soit, deux conclusions, au moins, s’imposent.
193La première : c’est que l’union des deux Couronnes n’a eu sur le trafic dans l’Atlantique de Séville qu’une action à peu près négligeable : les séries sont là qui le montrent. Puisque les courbes du trafic global ne réagissent qu’assez faiblement, dans le laps de temps qu’on pourrait attendre et encore, au milieu d’autres facteurs qui interdisent de lui attribuer, seul, tout le mérite d’un progrès difficilement analysable.
194Seconde conclusion, s’il y a action de l’union des deux Couronnes, elle n’est pas immédiate, l’action tonique se fait sentir plusieurs années, seulement après l’événement. En ce sens, les effets toniques de l’union des deux Couronnes — ils ne sont pas niables — seront plus sensibles au début de la seconde fluctuation primaire du cycle qu’un an ou deux seulement après l’événement. L’union des deux Couronnes est plus, par conséquent, un facteur de conjoncture demi-longue et, a fortiori, de conjoncture longue, que de conjoncture très courte. Rien là, d’ailleurs, qui puisse et doive surprendre.
195L’Atlantique de Séville, c’est certain, se révèle assez peu réceptif, aux événements politiques, même s’ils sont de toute première grandeur — comme c’est le cas ici —, même s’ils appartiennent, a priori, à son propre espace géographique.
c. L’ombre au tableau
196Tels sont rassemblés, tant bien que mal, les facteurs explicatifs du léger ressaut du mouvement en 1582178. Mais le caractère expansif indéniable de l’année ne doit pas être surestimé. 1582 est absolument indissociable de 1581 et son niveau est dû à un fait de rétention. La cause la plus certaine des hauts niveaux de 1582 n’en demeure pas moins l’armada aux terres magellaniques de 1581 et l’onde de perturbation qu’elle a provoquée à travers toute la masse Atlantique.
197La chronologie du mouvement le prouve : tous les départs179 se placent dans la première moitié de l’année. L’énorme armada y flota de Terre Ferme, quitte le Guadalquivir, sous le commandement de Diego Maldonado, le 7 avril 1582. L'armada y flota Diego Maldonado, c’est, à la rigueur, ce convoi de Terre Ferme, qui n’est pas parti en 1581 et sort, différé, en avril 1582, refoulé et retardé par la pression concurrentielle de l’expédition de Diego Flores de Valdés. La flotte de Don Alonso de Quinones sort moins de trois mois plus tard, puisque le désengorgement du Guadalquivir s’échelonne, on l’a vu, du 20 juin au 8 juillet 1582. Dans ces conditions, moins que les chiffres obtenus par le découpage fictif du calendrier, ce sont les moyennes sur deux ans qui valent : en valeur fiscale, par exemple180, on arriverait entre 1581 et 1582 à un niveau annuel moyen des exportations de près de 1350 000 000 maravedís — 1 350 000 000 maravedis pour 1581 et pour 1582, 2,7 milliards pour les deux ans, s’inscrivent victorieusement, entre les 862 millions de maravedis de 1580 et les 932 millions de 1583. On retrouve, par ce biais légitime, la réalité d’un vigoureux plateau d’expansion cyclique entre les deux creux cycliques de 1578-1580 et de 1583. On peut trouver une contre-épreuve dans les départs des seuls navires marchands. La moyenne annuelle des départs sur deux ans, entre 1581 et 1582, s’élève à 13 235 toneladas. On est donc en présence d’un plateau 1580-1581-1582 entre 1578-1579 et 1583181.
198Il n’y a aucun arbitraire à procéder de la sorte : la chronologie de l’histoire de la Carrera, au cours de ces années, nous y invite.
1991581 et 1582, indissociables, forment bien un palier, légèrement ascendant, au centre d’une première fluctuation primaire d’un niveau médiocre au début d’un grand cycle de puissante mais tardive expansion. Cette prospérité prend son vrai relief en face de la dépression relative, très courte, de 1583.
III. — LE CREUX DE 1583
200Cette année, qui fait, de toute évidence, la jonction entre la première fluctuation primaire d’un long palier d’essoufflement, d’une part, et la seconde fluctuation de la grande expansion, d’autre part, est d’une analyse délicate, souvent contradictoire.
201Creux, certainement et, d’autant plus sûrement, d’autant plus profondément, qu’on s’en tient moins aux apparences et qu’on soumet les chiffres à une analyse plus attentive.
202Mais ce creux semble plus accidentel, plus imputable aux techniques de la mer qu’à un véritable ralentissement du négoce. Les affaires de 1583 portent en elles les spectaculaires ascensions des années suivantes.
LA RÉALITÉ OBJECTIVE
203La respiration de 1583 ne se laisse pas saisir immédiatement, elle nécessite même, pour se laisser bien cerner, quelques travaux d’approche.
1. Mouvement volumétrique
204Le mouvement volumétrique global accuse, en effet, une légère augmentation par rapport au plateau élevé de 1581-1582 : 31 070 toneladas (29 516,5 tonneaux) en 1583, contre 30 620 et 30 777 toneladas (29 089 et 28 038,15 tonneaux) en 1581 et 1582, un progrès aussi infime à l’échelle de la précision des mesures (1,5 à 2 %) ne permettrait guère d’induire autre chose qu’une présomption d’égalité, si le nombre des navires, de son côté, n’avait subi une progression sérieuse de 8 unités par rapport à 1582, 22 par rapport à 1581 et 27 unités par rapport à 1580.
205On peut tirer deux conclusions de cette constatation. D’une part, le léger progrès (1,5 à 2 %) enregistré, d’après nos calculs, en volume, d’une année (1583) sur l’autre (1582), correspond bien, selon toute vraisemblance, à une réalité : le mouvement unitaire, absolument incontestable, corrobore parfaitement le sens du décrochement qu’on a pu observé par ailleurs. D’autre part, cette baisse, à contre-courant, du tonnage unitaire182 implique des difficultés dans l’ordre de l’armement, c’est-à-dire, le retour massif du tonnage accumulé aux Indes, entendez, de navires relativement plus vieux, de navires retenus aux Indes en d’autres temps, donc plus petits. Elle implique aussi qu’un prélèvement de gros navires, comme celui de la grande armada de Diego Flores de Valdés ne s’est pas produit, sans causer à l’équilibre de la Carrera de graves perturbations. Cette constatation corrobore l’impression — cette idée est au cœur de l’explication que nous proposons — que les difficultés, qui pèsent sur 1583 et, peut-être même, sur l’ensemble des années difficiles qui marquent la fin de la première fluctuation primaire du cycle, sont plus du domaine de l’armement que du domaine du négoce.
206Mais l’apparence de faible progrès qui résulte des chiffres, nombre de navires et tonnage global, est corrigée, si on s’appuie sur le pourcentage à la tendance, puisqu’on passe alors au niveau le plus bas depuis 1578, avec 88,53 % en 1583 contre 91,03 %, 89,62 %, 92,03 % et 91,14 %. Le faible progrès en chiffres absolus cède donc la place, ici, à un net recul en position relative.
207Mais est-ce suffisant pour parier de creux même secondaire, à l’intérieur d’un cycle ? On pourrait en discuter, s’il n’y avait pas, facteur favorable, par contre, le rapport très particulier des Allers aux Retours.
2. Rapport Allers/Retours
208Le niveau des globaux de 1583 est dû, pour l’essentiel183, à la part exorbitante des Retours (59,80 %), part importante déjà en cette période de niveau élevé des Retours par rapport aux Allers, part de 50 % supérieure, presque, au pourcentage moyen des Retours par rapport à l’ensemble du mouvement. La moyenne annuelle du mouvement Retours, en toneladas, au cours de la première fluctuation primaire, 14 395,2 toneladas, la moyenne des cinq années précédentes, plus encore, à peine plus de 13 000 toneladas de 1578 inclusivement à 1583 exclusivement, donne l’ampleur de l’anomalie des Retours de 1583. En tonnage, elle est de l’ordre de 5 à 5 500 toneladas, suivant le terme de référence choisi. C’est bien, d’ailleurs, ce qu’exprime le pourcentage d’écart à la moyenne mobile de 13 ans, qui est 94,59, 88,86 et 62,76 % en 1580, 1581,1582, passe à 110,15 % en 1583184. Pour la première fois, depuis 1579, le niveau du mouvement Retours passe au-dessus de la moyenne.
209Or, il convient d’accorder à ce fait une importance qu’il faudra bien se garder, pourtant, de gonfler démesurément. En effet, on pourrait être tenté de parier, sur trois ans, de 1583 inclusivement à 1586 exclusivement, d’une clef de voûte d’expansion du volume des Retours. Il est certain qu’au cours de ces trois ans, qui couvrent le creux charnière et le début de la seconde fluctuation du cycle, le déséquilibre insolite des Retours, au profit des Allers, atteint des chiffres jamais égalés : 242 navires, 59 125,5 toneladas pour les Retours d’une part, contre 193 navires et 54 275 toneladas pour les Allers d’autre part.
210Cette abondance de la masse des Retours constitue, à la longue, un élément favorable. Ne serait-ce que dans la mesure où, en contribuant à reconstituer le tonnage en Espagne, elle rend, techniquement, possible l’utilisation à plein de la conjoncture haute des années qui suivent.
211Malgré tout, le mouvement Retours qui est, au premier chef, en l’occurrence, un mouvement, en partie, à vide, de récupération du tonnage, ne peut, en aucun cas, être compté au même titre que l’élément conjoncturellement moteur des Allers. De plus, les Retours de 1583 — seconde raison d’atténuer la valeur indicative de leur niveau — sont, en partie, des retours différés imputables à la conjoncture des années précédentes. On se souvient comment185 les Allers de 1581 et de 1582 ont été perturbés par un événement, la grande Armada aux terres magellaniques (intrusion du militaire et du politique dans la vie de la Carrera), étranger à la dynamique économique propre du mouvement. La sous-tension, en partie exogène, des Allers de 1581, entraîne la sous-tension analogue des Retours de 1582, tandis que la surtension, non moins extérieure, des Retours de 1582, entraîne une surtension analogue des Retours de 1583.
212La ventilation entre les principales directions et les provenances fondamentales donne des indications précieuses à cet égard186. Au creux absolu des navires marchands allant en direction de la Terre Ferme en 1581, correspond le creux absolu des Retours de 1582 : en conséquence, les 18 navires et les 6 240 toneladas des Retours de 1583 (soit en l’occurrence, pour l’essentiel, l’armada y flota de Don Diego Maldonado187 peuvent être avec beaucoup de bonnes raisons, considérés comme un indice d’activité valable, pour les deux ans. On serait presque tenté dans ces conditions de proposer une correction ainsi menée, 53 navires de Retour et un peu plus de 13 000 toneladas imputables à 1582, quelque 65 navires et un peu plus de 15 000 toneladas imputables à 1583. Le crochet des Retours s’en trouverait considérablement atténué et la position des Allers et retours, affectée. Le creux volumétrique de 1583 ne serait plus simplement un creux relatif par rapport à la tendance, mais sensible, également, au prix d’une convention limitée et acceptable, en niveaux absolus.
213Si on se tourne, par contre, vers les Allers, on pourra apprécier toute l’ampleur d’un recul : les Allers de 1583 sont les plus déprimés depuis le creux de 1578, dont on a dit, par ailleurs188, toute l’amplitude. Le reflux, par rapport, à Tannée précédente de 1582, est particulièrement important, de 22 navires et de 7 950 toneladas189 ; le nombre des navires et le tonnage de 1583 ne représentent plus, respectivement, que 69 % et 61 % du niveau précédent. Mais, si on se limitait aux seuls navires marchands, on noterait une chute plus substantielle encore. Sur cet axe moteur, le recul est de près de moitié, de 64 à 38 navires, plus encore, de 18 640 à 9 620 toneladas. La réduction du mouvement s’opère donc, de deux manières, par une diminution du nombre des navires et, parallèlement, une substantielle réduction du tonnage unitaire. Par rapport à la tendance majeure, l’écart est sensiblement plus grand pour 1583 qu’il ne l’était pour 1578, le creux cyclique initial ; le niveau relatif des Allers atteint 67,97 % seulement contre 71,31 %, dans les mêmes conditions en 1578.
214Ce comportement, il est vrai, peut prêter à diverses interprétations : une chose est certaine, la défaillance porte uniquement sur la Terre Ferme, tandis que les départs pour la Nouvelle Espagne sont en progression sensible, de quelque 23 % sur l’expression unitaire du mouvement, de 15 % à peu près, en volume.
3. Défaillance de la Terre Ferme
215Cette disparition de la Terre Ferme, traduit un malaise. La Carrera s’est révélée incapable, malgré le départ précoce des convois de l’année 1582 (avril et juin), à mettre sur pied en temps normal les convois de 1583. La grande armada y flota de Don Antonio de Manrique part le 13 juin190. En une année pleine, aucun convoi, pratiquement, n’aura quitté le Guadalquivir.
216La cause profonde de cette difficulté, doit être recherchée dans la date tardive des Retours, presque tous les Retours, pourtant, très maigres, de 1582, se situent à la fin août, autour du convoi de Don Alonso Manrique191, presque tous les Retours énormes de 1583, se situant tardivement, autour du convoi de Don Diego Maldonado et à partir du 13 septembre 1583192. Autrement dit, le négoce ne pourra bénéficier, avant 1584, soit directement par la jouissance des rentrées de numéraire, soit indirectement par de plus larges disponibilités en tonnage, des gros retours de 1583. On comprend, dans ces conditions, que, sous la pression de difficultés qu’on s’efforcera de préciser à leur heure193, le départ du convoi destiné à la Terre Ferme ait été peu à peu retardé et, finalement, repoussé en dehors des limites de l’année. Et le sacrifice aura porté sur la Terre Ferme — ce qui n’est pas dépourvu d’intérêt — sans affecter la Nouvelle Espagne, l’élément régulier, qui fait volant.
217Mais deux facteurs, au moins, incitent à ne pas exagérer la signification de ce phénomène, entendez la disparition du convoi de Terre Ferme.
218La tendance, à nouveau, du mouvement avec la Terre Ferme à la biennalité. Convois annuels et biennaux alternent, suivant les cas ; depuis plusieurs années, les convois de Terre Ferme, on l’a vu194, avaient repris leur rythme annuel, mais un retour à la biennalité se dessine. Si on fait abstraction de l’armada Diego Flores en direction de la Patagonie et des détroits, on s’aperçoit que de 1580 à 1587, à nouveau, c’est la biennalité des convois avec la Terre Ferme qui prévaut au départ. Cette tendance de la navigation et, partant, du commerce avec la Terre Ferme, à se dérouler sur un rythme plus saccadé encore que ne le fait le négoce avec la Nouvelle Espagne, est commandée par des raisons géographiques évidentes : la difficulté des connexions d’un océan à l’autre, de l’Atlantique et du Pacifique à travers l’isthme.
219On peut se demander, en effet, dans quelle mesure ce n’est pas tant la biennalité que l’annualité qui constitue la normale, face à une telle situation.
220Il faut une pression conjoncturelle particulièrement forte et des conditions exceptionnellement favorables, pour que l’annualité des départs en convois soit comme imposée du dehors à un espace qui la refuse. Le creux des départs de 1583 peut être imputé, en partie du moins, à l’adoption à nouveau, d’une biennalité qui, historiquement, est aussi normale — est-il besoin de le rappeler ? — que l’annualité195. Il n’en demeure pas moins que la position de l’année creuse, par rapport à l’année pleine, n’est pas, vraisemblablement, sans porter le reflet d’une santé conjoncturelle (d’une conjoncture à très court terme).
221Mais la clef nous est fournie par la date des convois de 1584. Deux flottes partent pour la Terre Ferme196. Celle de Francisco de Novoa Feijo quitte Cádiz, le 18 janvier, celle de Don Antonio Osorio quitte San Lúcar, le 30 novembre 1584 et Cádiz, définitivement, le 8 décembre. Or, la flotte de Francisco de Novoa Feijo (la toute petite flotte de Feijo) n’est pas autre chose que le convoi de 1583, dont le départ fut tant différé qu’il devait mordre, finalement, au-delà du cadre de l’année et prendre la voile, à cette époque défavorable et paradoxale de la mi-janvier. Le trou reste béant, toutefois, entre les deux convois de Don Diego Maldonado et celui de Feijo : du 7 avril 1582 au 18 janvier 1584, bien près de deux ans se sont écoulés.
222La vérité, sans conteste, est à mi-chemin entre deux positions extrêmes, ni expansion bien prononcée, ni contraction. La conjoncture hésite. 1583 est au terme d’une longue respiration des mouvements, mais d’une respiration qui s’achève..., lourde déjà des promesses de la belle reprise des années qui viennent.
223Réduit à de justes proportions, le creux de 1583 peut s’expliquer par toute une série de circonstances, en partie, accidentelles.
INTERPRÉTATION
1. Causes politiques et militaires
2241583 est une année de relative insécurité. Elle marque la liquidation de la tension consécutive à la conquête du Portugal, d’une part, le terme d’une grande tension franco-espagnole, dont le terrain de manœuvre était dans les Flandres, d’autre part. Le point tournant en est, bien sûr, l’écrasement de la résistance portugaise aux Açores197. Cette résistance, soutenue par Catherine de Médicis, a fait peser une certaine incertitude sur les communications dans la Carrera, d’autant plus compréhensible qu’on sait le rôle de relais des Açores sur la route de retour des convois. C’est pourquoi la reconquête de l’île de la Terceira par Alvaro de Bazan, le 26 juillet 1583, est très certainement, une date à ne pas négliger. Mais elle intervient trop tard pour permettre un nouveau départ des affaires avant la venue paralysante de la mauvaise saison.
225Quelle put être l’influence déprimante de ces événements sur le traintrain du commerce franco-espagnol ? Henri Lapeyre nous le dit admirablement, à travers la correspondance de la banque Ruiz. Dans la mesure où Séville dépend, en partie, de ses centres d’approvisionnement, et de ses prolongements en direction de l’Europe et, tout particulièrement, de la France, les craintes, dont les spécialistes de l’import-export franco-espagnol se sont faits les échos, furent aussi, un peu, celles des cargadores d’Amérique. On le comprend d’autant plus aisément que, les affaires des Açores le prouvent, les relations franco-espagnoles ne sont pas sans affecter, en son centre même, l’Atlantique des Ibériques. Or, en ces années, l’Espagne est plus sensibilisée, sans conteste, aux incidents venant du côté français qu’elle ne l’est du côté du Nord. Avant l’expérience de l’invincible et du grand raid de Drake sur Cádiz, on est accoutumé à craindre le Français après un siècle presque de conflits violents ou larvés, plus que quiconque, plus que l’Anglais ou, a fortiori, plus que les Gueux cantonnés encore, très loin, au nord de l’Atlantique tropical de Séville et des Indes.
226L’atmosphère qui découle de ces événements — atmosphère et événements que Henri Lapeyre a parfaitement et définitivement éclairés —a eu une double influence. Elle a accentué et prolongé dans le temps le complexe de causes ou de présomptions de causes responsables du long palier qui se termine en 1583. De plus, en freinant de quelques mois la reprise qui s’exprime en 1584, elle aura, peut-être, contribué à marquer ce creux relatif sur la nature et l’ampleur duquel on s’est longuement étendu198. Influence déprimante, sans doute, au moment même, où les choses s’arrangent, où l’angoisse d’une guerre franco-espagnole ouverte se dissipe, où l’échec des Français en Flandres, le succès de Farnèse, rendent espoir aux Bonvisi et aux Ruiz, ces bons baromètres de conjoncture. On a souvent rencontré et analysé semblable situation199. L’attente d’une amélioration, la fin prévue d’un conflit paralyse et inhibe beaucoup plus sûrement encore, les milieux d’affaires de Séville, que ne le font perspectives de conflits ou nouveaux périls montant à l’horizon. On est plus sensible à un danger que l’on connaît qu’à un danger difficilement imaginable et nouveau. Mais, surtout, pourquoi se hâter, pourquoi ne pas patienter un peu, encore, quand on est en droit d’espérer le retour imminent à une situation meilleure ?
227Dans son cadre d’histoire politique, le creux de 1583 marque, donc, avant le commencement, au milieu de l’année 1585, du grand conflit hispano-anglais, la fin d’une ère de tension hispano-française et la liquidation heureuse du petit conflit qu’entraînera, dans l’Atlantique, autour du point névralgique des Açores, l’union des deux Couronnes. Le mouvement dans l’Atlantique hispano-américain, longtemps paralysé par toute une série de contingences s’ajoutant à des causes plus graves, ramasse ses forces sur lui-même, avant de partir dans un nouvel et vertigineux effort, d’autant plus puissant, d’autant plus irrésistible qu’il aura été plus longtemps différé et contrarié.
228Ce départ s’effectuera dans un court moment de paix et de calme relatif, entre la fin d’une période de tension franco-espagnole, avant le commencement du grand conflit anglo-espagnol dont Henri Lapeyre a raison de situer le point de départ effectif au début du second semestre de l’année 1585200. Après la relance de l’expansion, contingences politiques et contingences militaires seront, à nouveau, reléguées au second plan, capables certes, d’influencer la dynamique des mouvements dans leur détail, incapable, toutefois, de dicter en profondeur leurs démarches à plus long terme.
229Le creux conjoncturel secondaire de 1583, a, d’ailleurs, d’autres causes que ces incidences politiques et militaires sur le trafic de Séville. Des causes techniques, notamment. On peut se demander, en effet, dans quelle mesure, le négoce de Séville ne s’est pas trouvé dans l’impossibilité matérielle de faire face à la demande des Indes. 1583 révélerait, une fois de plus, les étroites limites techniques d’une époque dont on ne soulignera jamais assez les différences qui l’opposent à la nôtre.
2. Causes techniques. — La crise de tonnage
230Il est évident, quand on parcourt la correspondance de la Casa de la Contratación, que le creux de 1583 ne peut être imputable, que d’une manière bien indirecte et bien minime, à un relâchement de la demande aux Indes. De nombreuses plaintes de sous-approvisionnement ne partent-elles pas des Indes. Il est vrai, des îles et des parents pauvres de la Carrera. Plusieurs appels angoissés sont lancés entre 1582 et 1583 de Puerto-Rico et de Saint-Domingue, notamment201.
231Ce n’est pas la solution préconisée et vainement réclamée par les victimes de la négligence de Séville, qui importe. On réclame de petites flottes, composée de plus petits navires qui aborderaient plus facilement les îles, et plus fréquemment. Elles seraient mieux adaptées — à les entendre — aux besoins d’économies plus uniquement agricoles. Tout cela n’est pas neuf. Guère plus, somme toute, qu’une aspiration au bon vieux temps, qu’un retour à un mode de navigation qui correspondait, dans la première moitié du siècle, à la grande prospérité des îles..., sans qu’il y ait eu, entre cette première prospérité et ce mode particulier de navigation, le lien spécifique de cause à effet, que les représentants des intérêts économiques des îles semblent admettre et cherchent, du moins. Ces plaintes pourraient être portées, sans plus, au dossier des grandes modifications des structures. On a vu, en d’autres circonstances202, combien de protestations a pu provoquer, à partir du milieu du xvie siècle, le long étouffement des îles, au profit du continent vainqueur.
232Mais les plaintes de 1582 et 1583 ne sont pas seulement éclairantes de la position permanente des îles. Elles ont aussi une signification conjoncturelle. Elles jaillissent, nombreuses, en effet, et brusquement, au moment, pourtant, où le drame de l’abandon des îles a perdu de son acuité, sans avoir encore recouvré ce regain de jeunesse qu’il retrouvera plus tard. Que prouvent-elles donc, ces doléances en conjoncture ? Qu’il y a eu une forte poussée de la demande et une demande insatisfaite aux Indes, du moins aux îles, à la fin de la phase déprimée du grand creux palier des années 1575-1583. Même si cette demande s’exerçant dans une zone secondaire a moins de signification qu’elle n’en aurait, ailleurs, saisie, avec certitude, par exemple, sur les axes du trafic avec la Terre Ferme ou la Nouvelle Espagne, elle n’en implique pas moins qu’un courant d’appel s’effectue aux Indes, à la veille même de la reprise du trafic en Europe. Voilà qui confirme ce que l’on pouvait penser, a priori.
233Mais cette constatation conduit à penser que Séville s’est trouvée plus particulièrement gênée, au cours de ces années, pour satisfaire à la demande des Indes. Le fait qu’elle ait dû la laisser insatisfaite le prouve. Cela, malgré le comportement tonique des prix. Or, s’il en est ainsi, n’est-ce pas, que des circonstances indépendantes de cette demande, l’ont empêchée d’agir ? Faute de véritables preuves, on peut penser, du moins, qu’il y a présomption dans ce sens.
234Le rebondissement de la résistance portugaise aux Açores peut être une de ces circonstances ou une de ces présomptions. Mais il faut voir, vraisemblablement, dans l’insuffisance du stock des navires disponibles, un facteur beaucoup plus sérieux. A priori, on pouvait s’y attendre. De nombreuses références le confirment, d’ailleurs, dans la correspondance de la Casa de la Contratación. Cette extrême pénurie des navires, en 1583, s’explique aisément par plusieurs facteurs, dont deux, au moins, ont une importance tout à fait exceptionnelle : l’armada de 1581, le fait que nous sommes en 1582 et 1583, à la fin d’un palier conjoncturel de près de dix ans, tout au long duquel, suivant un processus souvent décrit, la construction navale, en Espagne, a été, nécessairement, sacrifiée. Le long excédent des Retours, dont l’importance est tout à fait anormale par rapport à l’équilibre moyen des Allers aux Retours, n’est-il pas une expression, entre autres, de ce processus de désinvestissement du secteur armement dans la Carrera... que l’on saisit par ce biais ?
235Mais à ces causes profondes s’ajoute une autre cause qui, pour relever de la chronologie très précise des flottes, n’est pas négligeable. Il pourrait sembler paradoxal, en effet, à un observateur superficiel de parler de pénurie de navires, après un long excédent relatif des Retours et, notamment, en face des énormes Retours de 1583, qui dépasse de près de 50 % les Allers de la même année.
236Mais il importe, en fait, de ne pas perdre de vue le détail de la chronologie : toute la masse énorme des Retours de 1583, 74 navires, 18 580 toneladas (17 651 tonneaux d’après nos équivalences), arrivent à San Lúcar, à partir du 13 septembre203. Si on songe à la lenteur de la remontée du Guadalquivir, à l’extrême lenteur, bien plus, des opérations de déchargement, on comprendra, sans parler de la fatigue des équipages des coques et des gréements que les navires récupérés des grands convois de Don Alonso de Flores de Quinones et Don Diego Maldonado ne peuvent dénouer la crise du tonnage au départ avant l’année suivante. Entendez 1584, l’année même de la reprise.
237Cette interprétation s’impose d’autant plus que tous les départs de 1583204 ont précédé ces Retours massifs de septembre, dont l’action n’a pu se faire sentir que beaucoup plus tard. Les Retours qui commandent les faibles disponibilités en tonnage de 1583, ce sont, encore, les faibles Retours de 1582205 (44 navires, 10 180 toneladas, 9 671 tonneaux). La crise du tonnage de 1583 est donc commandée, dans l’immédiat, par la masse exceptionnellement forte des Allers de 1582 et la masse non moins exceptionnellement faible des Retours de la même année. Les faibles Retours de l’année sont incapables d’équilibrer la masse globale des Allers de 1582 et 1583. D’où l’impossibilité de mettre sur pied en 1583 une flotte de Terre Ferme..., c’est l’isthme qui fait les frais, une fois de plus, de difficultés insurmontables au départ. La situation est grave dans la mesure où, selon toute vraisemblance, il n’existe plus de volant dans le Guadalquivir après une longue période de désinvestissement dans le secteur de l’armement. Il faudra, donc, attendre que la masse des navires rentrés, fin 1583, soit disponible à nouveau, pour une nouvelle navigation, afin que la Terre Ferme, sacrifiée, puisse, à nouveau, être desservie.
238A l’appui de cette hypothèse sur le primat de la crise du tonnage, pour l’essentiel, responsable, sinon seule responsable, de la crise de 1583, on peut aligner plusieurs preuves.
239Tout d’abord et en plus du témoignage des documents déjà retenu206 — la date du départ, en 1584, de la petite flotte de Francisco de Novoa Feijo207. La sortie de Cádiz, entre le 16 et le 18 janvier 1584, est tout à fait insolite. Cette flotte transporte, évidemment, des marchandises à mettre à l’actif des départs de 1583. Son départ aura été différé, faute de tonnage. Dans le même sens, on invoquera le rythme de rotation insolite des navires. Il est presque impensable, en effet, de voir, par exemple, la Santa Catalina de Hernando Guillén, arriver à San Lúcar, le 13 septembre et repartir de Cádiz, le 16 janvier208. On n’a rien vu de comparable, depuis les toutes premières décades de l’histoire de la Carrera. Un tel rythme était possible, alors avec des navires de l’ordre d’une centaine de tonneaux. Mais l’exemple de la Santa Catalina prend un relief tout à fait exceptionnel, en raison des 450 toneladas de la nao, cinq à six fois, selon nos hypothèses, le tonnage des navires du premier âge.
240Il ne peut, en tout état de cause, s’agir que d’un tour de force et un tour de force dangereux qui exclut toute possibilité de réfection du matériel naval, si utile, pourtant, en raison de la nature de ces navires fragiles, exposés à la force mécanique de la mer et des vents, à l’action biologique et chimique des eaux tropicales. Pour qu’on se résolve à de telles imprudences, il faut des conditions tout à fait exceptionnelles, celles, notamment, de marchandises depuis longtemps immobilisées et en danger, attendant sur les berges en vue d’une prise en charge immédiate. Mais c’est dans la mesure, précisément, où le rythme de rotation de l’automne 1583 et de l’hiver 1583-1584 est bien un tour de force presque unique209 qu’il prend toute sa valeur, en tant qu’indice de conjoncture.
241Le premier argument, résulte, donc, de rapprochement des dates des arrivées dans le Guadalquivir, à l’automne 1583 et des départs, vers la Terre Ferme, de la flotte différée de 1584.
242Le schéma de cette analyse mérite d’être conservé ; il est, en effet, le schéma même de la reprise conjoncturelle, après une période, au cours de laquelle le niveau du tonnage s’est, par désinvestissement, aligné sur le niveau des besoins du négoce : quand le négoce reprend, le niveau du tonnage se révèle brusquement insuffisant. Pour pallier cette difficulté, on soumet, alors, le tonnage réduit existant à une brusque accélération de son rythme de rotation. Voilà un argument qui servira à placer la reprise cyclique dans les derniers mois mêmes de 1583. Quant aux signes avant-coureurs, ils se placent beaucoup plus avant, même, dès la fin de 1582, peut-être, dès les premiers appels des îles délaissées210.
243Deux autres signes, enfin, corroborent l’hypothèse du primat de la crise du tonnage, achevant d’en faire une certitude. Le fléchissement très net du tonnage unitaire moyen des navires, lors des départs de 1583... Le tonnage unitaire moyen tombe à 244,9 toneladas contre 295 1/2 toneladas pour l’ensemble des départs du premier cycle primaire de 1579 à 1583. Quelle que soit la marge des hésitations qui subistent, à cette époque, sur la mesure du tonnage des navires, une chute aussi brutale, de cette importance, ne saurait être dépourvue de signification. La réduction du tonnage unitaire constitue une des caractéristiques majeures des deux dernières fluctuations primaires du cycle. Il est bien évident, dans la mesure, précisément, où elle s’inscrit à contre-courant de l’évolution technique la plus générale de toute l’histoire de la Carrera, c’est-à-dire, dans le sens d’une augmentation régulière, lente mais inexorable211, du tonnage unitaire des navires, qu’elle implique quelque chose de grave, entendez, en l’occurrence, une brusque tension de la demande d’armement. Cette brusque tension oblige à l’utilisation d’un matériel moins désirable, un stock de petits navires tenus à l’écart, en des circonstances meilleures212, vieux matériel extérieur à la Carrera, matériel étranger, sinon forcément à l’Espagne, du moins au trafic hispano-américain du Monopole.
244Enfin, et surtout, s’il y a bien eu, dès 1583, reprise du négoce, mais une reprise gênée et freinée par la rigidité d’un armement incapable, tout de suite, de faire face à des charges plus lourdes..., cette reprise doit se marquer par une aggravation de la valeur unitaire du tonnage transporté. Un tri a dû se faire et les marchandises les plus chères ont dû trouver place sur les navires en partance en direction de l’Amérique. Le malheur est qu’il faudrait, pour apprécier semblable comportement, une sensibilité statistique, en dehors, vraisemblablement, de nos possibilités... Et pourtant, là encore, notre matériel statistique, en dépit de son caractère rudimentaire, va répondre et dans le sens attendu. Il suffit de mettre en regard du mouvement volumétrique les indications fournies, en valeur, par l’averίa213. Sur la courbe du mouvement en valeur, le creux de 1583 est moins profondément dessiné qu’on ne pourrait, a priori, s’y attendre, s’il s’agissait d’un creux conjoncturel ordinaire. Tout dépend, bien sûr, du terme de référence choisi : par rapport à la seule année 1582, que l’on prenne le mouvement volumétrique sur l’axe des Allers globaux (de 20 440 toneladas en 1582 à 12 490 en 1583) ou plus probants sur les seuls navires marchands partant de Séville, en face de quoi, les valeurs accusées au départ passent de 2 079 736 000 à 932 270 344 maravedίs. Mais il faut faire entrer deux facteurs nouveaux en ligne de compte : la position tout à fait extraordinaire sur les valeurs, en flèche, de 1582214, la ventilation intérieure du mouvement, d’autre part.
245Sur le premier point, il suffit de se reporter aux pages précédentes : le caractère sélectif en faveur des seules marchandises plus chères des Allers de 1582 n’est plus à démontrer, parce que trop évident. Il suffit de comparer les niveaux-volume et valeur des années 1583 et 1580, par exemple (année normale du plateau cyclique de la fluctuation primaire), pour éprouver combien la valeur unitaire des marchandises transportées s’est accrue dans l’intervalle. En 1580, en face de 15 201 toneladas (globaux au départ) et 14 261 toneladas pour les seuls départs de navires marchands de Séville, 861844 670 maravedís, en 1583, pour 12 490 et 9 620 toneladas, respectivement 932 270 344 maravedís.
246Une seconde observation renforcera encore la valeur de cette constatation. On sait qu’en règle générale, la valeur des exportations vers la Terre Ferme215 est plus élevée que celle des exportations vers d’autres directions. En particulier elle est supérieure à la valeur unitaire des exportations en direction de la Nouvelle Espagne. Seule, une mise en parallèle de secteurs chronologiques équivalents, à l’intérieur de chacune de ces deux directions fondamentales, est pleinement valable et la supériorité des valeurs allant en Terre Ferme s’explique, dans la mesure où, destinées, pour l’essentiel, au Pérou, ces marchandises qui doivent emprunter un chemin plus long et plus accidenté, plus brisé et plus coûteux, sont normalement soumises sur la route de la Terre Ferme à une sélection plus rude encore que celles destinées à la route de la Nouvelle Espagne.
247Or les exportations de 1583 sont à peu près uniquement destinées à la Nouvelle Espagne216, Terre Ferme en est presque totalement exclue. Il en allait d’une manière tout à fait différente, la chose va sans dire, en 1580 (6 610 toneladas vers la Nouvelle Espagne, 150 pour les îles contre 8 081 toneladas pour la Terre Ferme), voire même en 1582 (9 200 toneladas vers la Nouvelle Espagne, 1 490 pour les îles, contre 9 750 pour la Terre Ferme). En 1583, par contre, 10 690 et 990, respectivement, pour la Nouvelle Espagne et les îles, contre 810, seulement, pour la Terre Ferme.
248Dans ces conditions et compte tenu de l’infériorité structurelle217, en valeur, des exportations en direction de la Nouvelle Espagne, la supériorité conjoncturelle de la valeur unitaire du mouvement, en 1583, est prodigieusement marquée et assise dans une robuste certitude par rapport à 1580. En outre, on peut même, dans une certaine mesure, parler d’égalité à l’égard de la position, tout à fait exceptionnelle, dans ce domaine, de 1582.
249En vérité, il serait parfaitement ridicule de chercher à opposer, sur ce point, 1583 et 1582. Toutes deux participent, dans le Guadalquivir, au même mouvement de reprise, mouvement de reprise freiné par le manque grave de tonnage. On a eu, pour 1582, l’illustration des textes ; l’éloquence des chiffres de 1583 se passe de tout autre commentaire. Depuis deux ans, au moins, au cœur même du creux cyclique médian, seules, les marchandises les plus chères sont chargées en direction des Indes et les valeurs qui partent, sinon les volumes, sont véritablement impressionnantes.
250Comment ne pas admettre, dans ces conditions, que la crise de 1583 ait été, d’abord, une crise de tonnage ? C’est pourquoi, la reprise, qui éclate, souveraine, en 1584, entraînant, de 1584 à 1587, l’ensemble du mouvement vers des altitudes jamais atteintes, a été longuement préparée à l’avance. Sans doute, dès 1583, vraisemblablement même, dès 1582.
Notes de bas de page
1 Cf. ci-dessus, p. 566-570.
2 Cf. t. III, p. 238, 250 et 262.
3 Cette dernière se trouve, toute calculée, dans notre t. VI1 (table 157, p. 354), au prix d’une simple translation : le chiffre de 1573, par exemple, s’applique à 1575, celui de 1574, à 1576, etc.
4 Cf. ci-dessus, p. 335-340.
5 Cf. t. III, p. 226.
6 Cf. t. III, p. 266.
7 Cf. ci-dessus, p. 463-464.
8 Cf. ci-dessous, p. 658.
9 Cf. ci-dessous, p. 753-840.
10 La règle est valable pour une forme de guerre d’un moment de l’Ancien Régime qui exclut, naturellement, les formes de destruction collective systématique que notre époque a renouvelées et perfectionnées, en les prenant à d’autres époques et à d’autres civilisations.
11 A une époque où, nous en avons, du moins, pour 1582, 1583, 1584, la preuve formelle (cf. t. III, p. 312 sq., 1582 A. à 1584 R...), il existe une certaine dépendance entre les prix des marchés des Indes et ceux d’Europe, tels qu’on peut les suivre sur les indices de E. J. Hamilton (p. 198-200).
12 Cf. ci-dessus, p. 382-395.
13 Cf. ci-dessus, p. 488-489.
14 Cf. ci-dessus, p. 518-519.
15 Autre signe de la modification du tonus péruvien : à partir de 1576 (cf. ci-dessus p. 561-564), malgré le lourd contexte géographique et technique qui pèse sur son commerce avec l’Europe, la Terre Ferme cesse de commander dans sa navigation avec Séville, un rythme biennal, pour imposer à sa navigation un rythme annuel presque aussi régulier que celui de la Nouvelle Espagne.
16 Le seul terme de référence possible, il faudrait le chercher dans l’Ancien Monde, dans l’épisode de la Peste Noire de 1349-1352. Quantitativement, la masse d’hommes tués est moindre, du fait du matlazahualt, mais cet avantage, l’humanité des plateaux mexica le doit seulement à son moindre volume initial.
17 Et ceci est vrai, quel qu’ait pu être, d’ailleurs, le degré d’insensibilité et d’indifférence de cette colonie d’Européens à l’égard des Indiens, proches et lointains.
18 Responsable d’après les chiffres de Cook et Simpson, cités par W. Borah (New Spain’s century of d pression, op, cit, p. 3), d’une chute de population des plateaux mexica de l’ordre de 30 % environ.
19 Cf. ci-dessus, p. 556-560.
20 Il est bien évident que l’on pourrait établir avec le comportement des mouvements Europe-Terre Ferme, une relation certaine. Les mouvements Europe-Terre Ferme ne sont-ils pas, en effet, les symétriques inverses, à peu de chose près, de ceux précédemment observés : avec la Nouvelle Espagne ? Cette analyse apporterait une contre-épreuve, aisément accessible et, de ce fait, sans doute, inutile tant elle va de soi.
21 Cf. t. VII1, p. 773-788 et 6e partie, Le Pérou.
22 Pendant l’épidémie, il peut être dangereux d’exiger la même quantité de main-d’œuvre. En prélevant, en effet, de la main-d’œuvre forcée d’un village contaminé, on risque de contaminer d’autres villages, et le lieu même de l’exploitation. L’épidémie, par simple reflexe de prudence, en l’absence de tout reflexe humain, peut conseiller, tant qu’elle dure — en l’occurrence, de 1576 à 1579 —de limiter la main-d’œuvre que l’économie dominante est en droit de prélever sur l’économie dominée. Mais aussitôt le temps d’épidémie passé, il est loisible à l’économie dominante, d’exiger une quantité égale, c’est-à-dire porportionnellement plus grande, de main-d’œuvre, pour ses besoins. Elle y sera d’autant plus encline qu’elle cherchera à récupérer un manque à gagner. Pendant quelques années, un rythme accru d’exigences pourra masquer le vide. Le rythme accru des exigences de l’économie dominante paralysera les possibilités de récupération de l’économie dominée et les possibilités de récupération démographique de la population indienne. Jusqu’au jour où il n’y a plus moyen de tricher, où, devant l’épuisement effectif de la main-d’œuvre possible, il faut à l’économie dominante se résigner à restreindre ses exigences... Mais ce peut être plusieurs années, seulement, après la catastrophe démographique.
23 La première grande épidémie mexicaine, celle de 1546 (W. Borah, New Spain’s century of depression, op. cit., p. 3) est responsable d’un mouvement analogue, encore que moins sensible, peut-être. On peut se demander, en effet, dans quelle mesure, ce n’est pas elle, qui commande, entre autres facteurs, mais à cinq ou six ans, au moins, d’intervalle, la grande récession intercyclique du demi-seizième siècle, et, plus particulièrement, ce spectaculaire repli de la Nouvelle Espagne, élément important incontestablement, de la grande récession du demi-seizième siècle. Les grandes épidémies amérindiennes sont donc, responsables de trains d’ondes aberrantes, porteuses de graves perturbations à travers le commerce Atlantique et, par répercussion, à travers toute la masse, en profondeur, de l’économie européenne. Il y a matière à de sérieuses et fructueuses études. Nous n’avons pu, en ce qui nous concerne, que nous borner à l’indiquer. Il serait souhaitable que la question fût méthodiquement étudiée par une équipe qui associerait un spécialiste de la démographie américaine coloniale et quelques spécialistes de l’histoire économique européenne.
24 Cf. ci-dessus, p. 382-392.
25 Cf. notre étude sur Les Philippines et le Pacifique des Ibériques.
26 Cf. ci-dessous, p. 1346-1348.
27 Cf. E.J. Hamilton, 1501-1650, op.cit., p. 34 et 43.
28 Cf. ci-dessus, p. 564. C’est l'effet de la généralisation de l’amalgame.
29 Cf. t. VI1, table 226, p. 471.
30 Ou, si on veut, de la mise en parallèle des séries volume et valeur, pour la Terre Ferme.
31 La brusque montée du niveau, en valeur, peut s’expliquer par l’action combinée de deux facteurs concordants : une montée des prix localisée en Terre Ferme, sous l’action des arrivées massives de l’argent du Potosi..., mais, plus encore, allant au devant de cette montée de richesses nouvelles, un enrichissement substantiel des marchandises transportées.
32 Et si, en Retours, 1583 (74 navires, 18580 toneladas, 17651 tonneaux) dépasse le niveau des Retours de 1576 et de 1577, c’est de très peu, seulement, en raison d’un accident de navigation, et non pour des raisons de conjoncture profonde.
33 Cf. t. VI1, table 163, p. 362.
34 Ces anomalies, on le verra (cf. ci-dessus, p. 651-672) sont dues, essentiellement, à des accidents de navigation.
35 Si on faisait intervenir le nombre des navires : 267 navires à l’Aller, 275 navires au Retour, le rapport serait plus insolite, encore, puisque les meilleurs navires, entendez les plus gros, reviennent, de préférence aux moins bons, entendez les plus petits.
36 De 1576 à 1592, pour 17 ans, nous nous trouvons en présence d’une situation redevenue normale, 46 % pour les Retours, 54 % pour les Allers.
37 Moyenne qui est (cf. t. VI1, tables 159-160, p. 356-357) de l’ordre, pour les Allers, de 58 %, par rapport aux globaux Allers et retours.
38 Cf. ci-dessous, p. 630-766.
39 De 1584 à 1592, les Allers représentent 181 449 toneladas, les Retours, 137 743,5 toneladas.
40 De 1584 à 1590, Allers, 155 919 toneladas, Retours, 117 530,5 toneladas.
41 C’est en fin, seulement, du temps d’expansion, qu’une des caractéristiques normales du temps d’expansion sur l’équilibre des Allers et des Retours se manifeste.
42 On comprendrait ainsi, l’extraordinaire décalage — mais dans le sens normal de l’anomalie positive des Allers — des Allers par rapport aux Retours, dans l’ordre de 2 contré 1, de 1588 à 1592, dans une conjoncture globale qui n’est pas, par ailleurs, tellement favorable à un tel équilibre. Au cours de la fluctuation 1588-1592, c’est le stock des navires disponibles aux Indes qui se reconstitue. Il s’agit donc, d’une recherche d’équilibre plus profond qui dépasse le cadre de la conjoncture intradécennale, voire décennale, elle-même.
43 Cf. le silence, sur ce point, des séries (t. VI1, tables 1 à 12 et 12 A à 12 E, p. 114457 et 159-167).
44 Cf. note 2 ; t. VI1, p. 114-167.
45 Nous avons beaucoup insisté déjà (cf. notamment t. VI1, p. 10-14), sur ce point.
46 Ajoutons que cette non-apparition peut être imputable, dans une certaine mesure, à la crainte de heurter le quasi-monopole, juridique des biscayens.
47 L’entrée massive et repérable des navires créoles dans la Carrera se situe à la hauteur de la demi-décade 1596-1600 (t. VI1, table 12 E, p. 167 et t. VII, p. 36-37). Il s’agit d’une entrée très large dans le trafic transocéanique. Il est tout à fait naturel qu’une transition ait été ménagée. Cette transition, c’est celle de l’hypothétique phase de cabotage que nous supposons, à la hauteur des années 80, une dizaine d’années plus tôt. L’hypothèse formulée a le mérite, du moins, en l’absence de textes explicites, de relier entre eux plusieurs séries qui deviennent, grâce à elle, parfaitement raccordables.
48 On voit, ainsi, jusqu’où peut aller la révolution de l’introduction, en histoire, de constructions statistiques menées bien au-delà des limites qui étaient, jusque-là, communément admises. Elle permet, dans certains cas précis, de pousser la connaissance jusqu’au-delà de la stricte et étroite leçon du document littéraire. Il suffit de posséder, sur la rigueur de la construction statistique, une certitude de précision suffisante. Le Modèle qui résoud les apparentes contradictions de séries statistiques sûres, s’il est unique, enlève, du même coup, une quasi-certitude. On voit, ainsi, dans quelle mesure la série statistique a l’énorme avantage de faire reculer la connaissance historique — même au sens étroit du mot — au-delà des limites traditionnelles.
On aura eu recoins, souvent, à cette approche particulière. On pourrait l’appeler la méthode des raccords statistiques. Elle choquera, peut-être, l’historien orthodoxe, justement fidèle aux seules leçons des textes explicites. Elle est, pourtant, méthodologiquement, parfaitement légitime. Elle est la conséquence logique de l’introduction des séries statistiques à haute dose. Elle constitue une source d’enrichissement certain, bien que moins évident, conséquence naturelle de la généralisation des méthodes sérielles en histoire.
49 Nous n’avons pas épuisé, en outre, tous les textes. Il est possible, donc, que l’on trouve, quelque jour, une vraie confirmation par les textes.
50 Cf. t. VI1, tables 130 à 142, p. 328 à 340.
51 Cf. t. VI1, table 162, p. 361 ; t. VII, p. 52-53.
52 Cf., notamment, t. VI1, table 226, p. 471.
53 Cf. ci-dessus, p. 551-564.
54 Cf. ci-dessus, p. 551-564.
55 Cf. t. VI1, table 166, p. 365, 13 navires, 3 770 toneladas.
56 Les pourcentages des pertes, par exemple, assez forts (cf. t. VI1, table 610, p. 870), 4,92 % en 1578, 5,63 % en 1579, ne sont pas de ceux, pourtant, qui peuvent avoir sur la conjoncture une action déprimante décisive.
57 C.f E.J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 198.
58 Cf. ci-dessus, p. 569-605.
59 Cf. ci-dessus, p. 571-574.
60 D’autant plus que ces chiffres tiennent compte du tonnage, cette année-là, un peu plus fort, des navires à l’Aller, alors que c’est souvent l’inverse ; sans ce facteur, le pourcentage serait exactement inverse, puisque sur 99 navires, 48 vont, mais 51 viennent.
61 Cf. t. VI1, table 182, p. 384.
62 Les facteurs qui donnent le plus de poids au mouvement Allers agissent, nécessairement, en Retours et partant, en Allers et retours. On retrouvera, bien sûr, en Retours, la ventilation des Allers..., c’est ainsi que les facteurs, qui tendent à diminuer la portée des Allers, se retrouvent ensuite dans l’ensemble du mouvement.
63 Les renseignements, que l’on peut indirectement tirer de la composition du mouvement, au départ du complexe, sont un substitut d’une meilleure approche qui fait défaut, les données des séries du mouvement en valeurs fiscales. Les renseignements sont, pour ces années, malheureusement, très fragmentaires (t. VI, table 226, p. 472). On peut, toutefois, présumer de 1’almojarifazgo de Nombre de Dios que la valeur unitaire des exportations de 1578 était élevée. Peut-être, en raison même du très faible volume disponible des départs de Séville. Si la croissance du mouvement valeur a été, entre 1578 et 1579, conforme à ce que l’on peut augurer de la répartition meilleure des navires à l’intérieur du complexe au départ, il faudra supposer, en 1579, un niveau très élevé des exportations.
64 La seule présence de ces canariens, à une époque où ils sont virtuellement exclus — officiellement, du moins — est, elle-même, symptomatique du désarroi causé par l’insuffisance des, départs du Guadalquivir.
65 Chacune de ces approches, plus ou moins Valables, renferme une fraction plus ou moins grande de vérité... Le décrochement vrai entre 1578 et 1579 n’est pas représenté par les 90 % des départs des seuls navires marchands de Séville, ni par les 22,5 % ou par les 17,5 % des Allers globaux et des Allers et retours globaux. La vérité doit être recherchée entre ces deux termes : plus proche, peut-être d’un écart de 90 % que de 20 %.
66 E.J. Hamilton, op. cité, p. 198-200.
67 Ibid., p. 403 op.cit., t. VI1, table 162, p. 361.,
68 T. III, p. 250.
69 T. VI1, tables 18-19, 20-21, p. 180-184.
70 Cf. ci-dessous, p. 497-503.
71 Cf. t. III, p. 266.
72 On verra cf. ci-dessous, p. 636-637, qu’il s’agit, en l’occurrence d’excuser l’avortement d’un second départ en direction de la Terre Ferme que le Conseil des Indes aurait voulu obtenir.
73 Il ne s’agit de contester, ni l’objectivité du fait, ni de minimiser l’ampleur de son influence, cf. ci-dessus p. 611-612.
74 Cf. t. III, p. 262. T. VIII2, appendice, p. 1958-1978. C’est le niveau-record des exportations de mercure, depuis l’adaptation de l’amalgame, de 400 quintales supérieur au précédent record de 1577.
75 Cf. t. III, p.269.
76 Cf. ci-dessus, p. 617-620.
77 Cf. t. III, p. 266.
78 Cf. t. III, p. 266.
79 Officiellement, la cédule du 14 mars 1579 (cf. t. III, p. 266) devra être mise à l’actif du souci du Consejo de veiller à la sauvegarde des liaisons impériales. Le Roi, en son conseil des Indes, fait, ici, son métier de Roi. Mais ce point de vue est, sans doute, trop simple... On pourrait peut-être, retrouver quels groupes étrangers ou quelles communautés coloniales des Indes sont derrière ce brusque éveil du Conseil des Indes aux nécessités des communications plus régulières. Une étude plus poussée permettrait, vraisemblablement, de trancher.
Le Conseil des Indes craint, peut-être, aussi l’incidence de l’espacement des convois sur les arrivées des métaux précieux. Pour cela, il n’est besoin d’aucune pression du dehors.
80 Cf. ci-dessus p. 633.
81 L’essentiel — entendez ici — le droit à un comportement de « malthusianisme » économique (si on peut risquer un tel anachronisme), soit, pour un groupe monopoleur assez cohérent, la possibilité de répondre, toujours, semble-t-il, au moindre fléchissement des prix des Indes, au moindre relâchement de la demande, par une réduction massive de l’offre. Travailler sur de faibles quantités avec des grosses marges bénéficiaires est un des comportements constants, bien sûr, des techniques commerciales de l’Ancien Régime économique, mais c’est aussi la tentation de toute économie de Monopole quelque peu cohérente... et c’est une tentation tout particulièrement évidente dans le cas de Séville,
82 Cf. t. III, p. 226.
83 On sera sensible, dans toute cette affaire, à l’ambiguïté de la position des marchands, du Consejo et de la Casa. Des étrangers, il y en a, contre la loi même, à Séville et dans toute la Carrera. Le négoce s’en accommode, dans la mesure où ils sont acclimatés, que Séville les ait mangés, ou, mieux peut-être, que Séville ait été, par eux, assimilée. Mais ces marchands étrangers assimilés jouent le jeu, ils se considèrent comme sévillans, quand le Consejo menace d’ouvrir grandes les portes à des étrangers — il faut entendre, à des étrangers nouveaux... qui gêneraient les anciens et rendraient inutiles les vieilles fictions du passé. La menace est-elle sérieuse ? C’est, évidemment, impossible. Mais la valeur du signe — en conjoncture — est indépendante, ici, de la sincérité des hommes.
84 Cf. ci-dessous, p. 639-645.
85 Cf. t. III, p. 226-267.
86 Cf. t. I, p. 97.
87 Cf. t. III, p. 266-267.
88 Nous n’entendons — est-il besoin de le rappeler, une fois encore — rien retrancher, rien mutiler, rien simplifier et, moins encore, rien subordonner.
89 Le tonnage unitaire moyen des navires — compte tenu des évolutions possibles de l’unité de jauge — exprimé en toneladas, est, en Allers, de 296,5 toneladas, de 1579 à 1583,268 toneladas en Retours et 279 en Allers et retours, soit un des plus élevés..., en toneladas du moins, de toute la période, le plus élevé du cycle... (Cf. t. VI1, table 13, p. 168.) On notera la situation paradoxale d’un tonnage unitaire des Retours inférieur au tonnage unitaire des Allers.
90 Avec la marge d’approximation, bien sûr, qu’une telle conversion comporte.
91 Cf. ci-dessus, p. 610-623.
92 C’est ce qui explique la différence paradoxale du tonnage unitaire moyen, anormalement plus faible, au Retour qu’à l’Aller ; cf. ci-dessus, p. 639, note 1.
93 Cf. E.J. Hamilton, 1501-1650, op. cité, p. 198-200.
94 Ibid., p. 403 et cf. t. VI1, table 163, p. 362.
95 Cf. t. VI1, table 182, p. 384-387.
96 Puisque dans le même temps, on passe de 43 à 40 navires, seulement.
97 Cf. t. VI1, table 226, p. 471.
98 Cf. t. VI1, table 166, p. 365.
99 Cf. ci-dessus, p. 615-616.
100 Cf. t. VI1, tables 133, 136 et 139, p. 331, 334, 337.
101 Cf. t. VI1, table 182, p. 384-387 et t. III, p. 292.
102 Cf. t. VI1, table 226, p. 471.
103 Cf. ci-dessous, p. 647-648.
104 Cf. ci-dessus, p. 638.
105 Cf. t. III, p. 276-277.
106 Cf. t. III, p. 278-279.
107 Cf. t. III, p. 280-281.
108 Du moins, dès qu’on se dégage de la conjoncture la plus courte et du seul terme de référence de l’année 1578.
109 Cf. ci-dessus, p. 635-636.
110 Cf. t. III ; p. 269 et 276 et t. VIII2, Appendice, p. 1958-1978.
111 Cf. t. III, p. 290-281 et t. VIII2, Appendice, p. 1958-1978.
112 Cf. ci-dessous, p. 651 sq. et t. III, p. 308-309 et t. VIII2.
113 . Avec 4 174 quintales (t. III, p. 308-309).
114 On ne pourra qu’être sensible à la qualité de l’information dont disposent les services de la Casa de la Contratación.
115 Cf. t. III, p. 288.
116 Cf. t. III, p. 280.
117 Cf. t. III, p. 288.
118 Cf. notamment, t. VI1, table 14, p. 170. L’âge des navires connus passe, apparemment, par un maximum, en 1579 et en 1580 et, plus particulièrement, lors des Retours de 1580.
119 Cf. t. III, p. 280.
120 Cf. ci-dessus, p. 558-564.
121 Cf. ci-dessus, p. 575-577.
122 Cf. ci-dessus, p. 630-631.
123 Cf. t. VI1, table 131, p. 329, de 15 201 à 16 186 toneladas.
124 De 44 à 51 navires, ceci n’est pas sans intérêt, puisque en 1578 le progrès était assumé, malgré la diminution du nombre des unités par la seule augmentation du tonnage unitaire des navires.
125 Elle est due plus ici, même, à leur nombre : accroissement de 15,9 % du nombre contre 6,5 % seulement des tonnages globaux respectifs, à l’Aller.
126 Même pente régulière par rapport au trend : 81,33 % (1580) 98,33 % (1581), 112,29 % (1582). T. VI1, table 163, p. 362.
127 Cf. t. VI1, tables 134, 137, 140, 141, p. 332, 335, 338, 339.
128 Cf. t. III, p. 296.
129 La grande armada de Pedro de Sarmiento participe un peu à ces trois types d’expédition. Son but de défense — il s’agit de constituer un bouclier d’arrêt — susceptible de préserver le mare nostrum du Pacifique ibérique compromis par Drake, ne doit pas faire oublier qu’il s’agissait, d’abord, d’explorer, de reconnaître et de peupler un espace resté complètement en dehors des prises de la colonisation espagnole ; on sait qu’il en ira à peu de chose de près, ainsi, jusque dans la deuxième moitié du xixe siècle.
130 Cf. ci-dessus, p. 641.
131 Cf. t. VI1, table 226, p. 472.
132 L’analyse du mouvement n’est pas aussi simple. Il faudrait tenir compte, peut-être aussi, entre 1580 et 1582, d’une tendance à l’augmentation de la valeur unitaire volumétrique des exportations, (1580 :13 392 tonneaux représentant 861 844 670 maravedis ; en 1582,19 418 tonneaux représentant 2 079 736 000 maravedis), soit presque un doublement de la valeur unitaire fiscale du tonneau, qui passe de 60 000 maravedis à quelque 110 000 maravedis. La conjonction de ces facteurs conduit à penser que les navires d'armada comptent pour très peu dans l’expression valeur du mouvement, du moins, officielle.
133 Cette réalité — attention — est masquée par la répartition entre les directions et provenances fondamentales (cf. t. VI2, tables 166,169 et 172, p. 365, 368, 371), puisque toute l’armada aux terres magellaniques est comptée ici, dans l’articulation Terre Ferme. On ne pouvait faire autrement. Sur 28 navires, soit 8 876 toneladas portées comme allant en Terre Ferme, en 1581 23, soit 8 356 toneladas doivent être portées à l’actif de l’expédition vers les terres magellaniques. Le même retranchement s’impose sur les Allers et Retours.
134 Comme tend à le montrer, entre autres facteurs, la comparaison du mouvement-vale de Nombre de Dios avec celui de la Vera-Cruz et avec le mouvement-valeur global (cf. t. V table 226, plus spécialement, p. 471).
135 Cf. t. VI1, table 159, p. 356.
136 Cf. t. VI1, p. 356 ; t. VII, p. 52-53.
137 Cf. t. III, p. 304, note 1.
138 Cf. t. III, p. 300.
139 Ct. 5106 A., Cap Saint-Vincent, 20 août 1581.
140 Rappelons, quand même, l’ampleur du creux : 1578, 13 navires, 3 770 toneladas, 1579, 19 unités et 6 730 toneladas, soit une moyenne, sur deux ans, de plus de 50 % inférieure à la moyenne sur deux décades des départs en direction de l’isthme.
141 On ne pourra qu’être frappé, une fois de plus, par l'excellence des informations dont disposent, aux extrémités de la Carrera, facteurs et marchands, sur des espaces éloignés l’un de l’autre, par des milliers de nos « kilomètres » et par des mois souvent, de navigation. Une leçon, du moins, s’en dégage par une utilisation maximale des possibilités offertes par la faible densité du réseau de navigation on aboutissait à une connaissance peu commune — connaissance empirique, certes, et intuitive — des signes qui permettaient de prévoir à l’avance les divers éléments des diverses conjonctures économiques.
142 Cf. t. VI1, tables 131, 134, 137, et 141, p. 329, 332, 335, 339.
143 Cf. t. VI1, table 162, p. 361. Sur les Allers et retours, on passe de 92,03 % (1581) à 91,14 % (1582).
144 Cf. t. VI1, table 169, p. 368.
145 De 14 unités et 5 700 toneladas en 1581 à 25 unités et 7 710 toneladas en 1582,25 encore mais 8 140 tonealdas en 1583 et 27 et 9 205 toneladas en 1584.
146 Cf. t. VI1, yable 169, p. 368 : 19 unités, 2 740 toneladas en 1582 contre 26 unités, 3 750 en 1581, 31 unités et 4 200 toneladas en 1583.
147 Cf ci-dessus, p. 649, 652.
148 Le prélèvement est d’ordre extra-économique, mais le choix de la Terre Ferme n’est pas fortuit. Le sacrifice a porté sur le secteur, pour des raisons de conjoncture, surtout pour des raisons économiques, donc, parce que la Terre Ferme constituait, vraisemblablement, en 1581, le point faible des Indes.
149 Cf. ci-dessus, p. 649. Il était normal que la Terre Ferme souffrît au premier chef de l’effort qu’on faisait, par ailleurs, de Séville, pour elle.
150 51 navires, 16 186 toneladas, 15 376, 7 tonneaux en 1581 ; cf. t. VI1, tables 131, 141, 182 p. 329, 339, p. 384-387.
151 Soit quelques 6 000 toneladas en moins pour les Retours de Terre Ferme, et, certainement, plus pour l’ensemble du mouvement.
152 Cf. ci-dessus, p. 652.
153 Cf. t. VI1, table 182, p. 384.
154 De 315,4 à 287,9 toneladas.
155 Pour les seuls Allers de Séville, il y a pratiquement égalité de 279,6 on passe à 290,6.
156 Comme l’attestent entre autres, les diverses séries (t. VI1, tables 198-229, p. 414-474), du mouvement en valeur (plus particulièrement tables 226-228, p. 471-473).
157 Cf. t. VI1, table 226, p. 471.
158 Elle est valable, toutefois, à condition de se borner à des comparaisons dans un court laps de temps — ce que nous faisons ici — et à chercher plus des variations, plus une mesure relative que l’appréciation toujours chanceuse d’un niveau réel.
159 Le niveau est particulièrement élevé. Il ne semble avoir été dépassé que deux fois, au cours du cycle et tout à fait vers la fin, en 1590 et en 1592 (cf. t. VI1, table 226, p. 471).
160 Cf. t. VI1, tables 166, 182 et 226, p. 365, 384, 471.
161 Le fret est plus dense en cas de raréfaction artificielle du matériel disponible.
162 Le document vient, ici, confirmer la déduction obtenue par la méthode, souvent préconisée, du raccordement hypothétique des séries.
163 Cf. t. III, p. 312.
164 Cf. t. III, p. 312.
165 Cf. t. III, p. 313-314.
166 Cf. t. III, p. 314.
167 Cf. t. VI, table 4, p. 122 et 12 C, p. 162.
168 Cf. t. III, p. 314.
169 Cf. t. VI1, table 12 C., p. 162.
170 On aura observé que cette exclusion (officielle ou réelle) des hourques correspond, avec un décalage normal de deux ans, à la phase de demi-récession que nous avons, par ailleurs, signalée. Le lien entre les deux ordres de phénomènes est trop évident pour valoir d’être précisé davantage.
171 Cf. t. III, p. 316-317.
172 Cf. ci-dessous, p. 682-687.
173 Cf. t. VI1, table 162, p. 361.
174 E.J. Hamilton, 1501-1650, op. cit., p. 198 et 200.
175 Cf. t. III, p. 322, note 1.
176 La valeur d’une telle concordance dépasse, d’ailleurs, le cadre étroit de l’année 1582. Elle entre dans ce faisceau d’indices qui, faute pour le moment, d’études plus précises, nous permet d’affirmer, quand même, une relative homogénéité entre les prix andalous et les prix des principaux ports d’Amérique ; homogénéité certaine, mais assez grossière.
177 D’autant plus qu’il y a eu quelques résistances..., aux Açores surtout, jusqu’en 1583.
178 Cf. ci-dessus, p. 651-652. On y est sensible, en raison, surtout, de ce que l’on sait des années à venir.
179 Cf. t. III, p. 306 et p. 308.
180 Cf. t. VI, table 226, p. 471.
181 Soit la formule 1581-1582 entre les creux de 1578-1580 et 1583.
182 Cf. t. VII, p. 46-47.
183 Cf. t. VI1, table 159, p. 356.
184 Cf. t. VI1, table 163, p. 362.
185 Cf. ci-dessus, p. 649.
186 Cf. t. VI1, table 166, p. 365, table 172, p. 371 et, surtout, table 169, p. 368.
187 Cf. t. III, p. 332 et 336-337.
188 Cf. ci-dessus, p. 566-569.
189 C’est-à-dire (cf. t. VI1, table 131, p. 329), de 73 départs totalisant 20 440 toneladas en 1582, à 51 départs totalisant 12 490 toneladas en 1583.
190 Cf. t. III, p. 324.
191 Cf. t. III, p. 320.
192 Cf. t. III, p. 332 sq.
193 Cf. ci-dessous, p. 706-707.
194 Cf. ci-dessus, p. 557-558.
195 Si, du moins, on se réfère aux statistiques existantes.
196 Cf. t. III, p. 340 et 344.
197 Henri Lapeyre, Une famille de marchands, les Ruiz (Paris, Centre de Recherches historiques, « Affaires et gens d’affaires », no 8, 1955, in-8°, 671 pages).
198 Cf. ci-dessus, p. 659-664.
199 Cf. ci-dessous, p. 703 sq.
200 H. Lapeyre, Les Ruiz, op. cit., p. 421.
201 Cf. t. III, p. 329.
202 Cf. t. VIII1, p. 513 sq.
203 Cf. t. III, p. 332.
204 Cf. t. III, p. 324 et 326.
205 Cf. ci-dessus, p. 652-654.
206 Cf. t. III, p. 328.
207 Cf. t. III, p. 340.
208 Cf. t. III, 1583 R., no 55 (p. 334-335) et 1584 A., no 11 (p. 340-341).
209 Une étude attentive des tableaux des tomes II à V montre, sans peine, l’extrême rareté de ce rythme de rotation. Il est presque unique.
210 Cf. ci-dessus, p. 667.
211 Cf. t. VI2, table 13, p. 168.
212 Nous n’avons pas, malheureusement, suffisamment de données pour suivre, sur la marche de l’âge moyen des navires, un décrochement analogue, vraisemblable, d’après notre hypothèse, qui rend presque nécessaire un brusque vieillissement : notons, quand même, faute de mieux, dans nos tableaux, plusieurs unités qui en sont à leur troisième voyage aux Indes, ce qui est beaucoup (cf. t. III, p. 325, 333, 341).
213 Cf. t. VI1, table 226, p. 471.
214 Cf. ci-dessus, p. 654-656.
215 Cf. ci-dessus, p. 562.
216 Cf. t. VI1, table 166, p. 365.
217 La différence des niveaux en valeurs unitaires est, le plus souvent, de l’ordre de près de 1 contre 2.
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