Chapitre premier. Caractères généraux et justification
p. 47-63
Texte intégral
1De 1504 — mieux, peut-être, de 1506 à 1550, — depuis la première prise de vue furtive sur une connaissance chiffrée du mouvement entre le vieux monde et l’Amérique encore à naître jusqu’au début de la grande récession, toutes les séries — elles sont malheureusement, encore peu nombreuses et de signification limitée —, tous les graphiques sont emportés, malgré les imprescriptibles temps de la contraction cyclique, dans un irrésistible mouvement ascensionnel. 1505-1550 représente, relativement, la plus grosse montée que l’on verra jamais, si on compare le point de départ, un néant, pratiquement, à l’ampleur du trafic en 1550, au début du premier grand rebroussement durable. Et rien, là, de surprenant : le primum mobile s’y lit au chapitre de la conquête.
2En 1504, même en 1506, l’Amérique n’existe pas, elle est encore à découvrir. C’est, tout au plus, une frange à Espanola et au sud de Cuba, d’où sont partis quelques raids d’exploration. Nul n’oserait affirmer encore l’existence d’un continent autonome. Et que signifient ces fragments de terres dans la Mer des Antilles, — la Méditerranée américaine1 — pour les pionniers d’un Atlantique vieux de dix ans à peine — dix ans, une goutte de temps, avant l’accélération de l’histoire, au rythme lent des modifications structurelles ? Ils sont, seulement, un premier jalon sur la route de l’Asie : Cipangu et Cathay, le remords de Colomb. Les innombrables tentatives, toujours à la recherche du passage, avant et après la découverte de la Mer du Sud, en 1513, par Vasco Nuñez de Balboa2, en sont la preuve. Ce rêve sera concrétisé, partiellement, pour les tenants de la route ouest, avec le périple de Magellan et lorsque, pour la première fois, en 1565, Legazpi et Urdaneta auront jeté le pont entre Nouvelle-Espagne et Extrême-Orient par le relais des Philippines3.
3En 1550, par contre, l’Amérique est née, dans la mesure, précisément, où les Espagnols ne l’ont pas cherchée, où ils ont poursuivi, avec ténacité, la découverte de la route extrême orientale — et au-delà de 1550 encore, comme en témoigne l’entreprise tardive de 1564-1565. Ils ont parcouru et saisi leur immense domaine avec une étonnante rapidité — qu’on la compare à la pénétration lente des Portugais au Brésil, des Portugais et des Hollandais, plus tard, dans la Sonde. Partis des îles, ils ont réalisé, en trois grandes étapes, la prise de possession de leur empire : autour de 1513, l’isthme et la Terre Ferme, autour de 1520-1525, la Nouvelle-Espagne, entre 1530-1540, le domaine des Incas, les hautes terres andines et, presque au même moment, le Nouveau Royaume. L’empire espagnol d’Amérique ne sera jamais, dans l’espace, beaucoup plus que la Méditerranée américaine que cernent l’Isthme, la côte de Carthagène et du Venezuela au Nord, les plateaux de l’Anahuac et l’immense frontière — quelques millions de kilomètres carrés de steppe de la Floride au nord de la Californie — où la conquête espagnole a pu jeter les mailles lâches de son filet ; au Sud, le plateau andin et ses annexes, le Chili, puis la Plata, no maris land, plus que terre espagnole. Au-delà de 1550, il pourra bien y avoir une pénétration en profondeur, une saisie réelle des hommes, des choses, des terres et des mines ; les Indes de Castille sont, pourtant, dès cette date, intégralement construites dans la réalité profonde de leurs infrastructures géopolitiques. Et c’est bien cette réalité que traduisent dans leurs chiffres les mouvements volumétriques de l’Atlantique de la conjoncture.
AMPLEUR ABSOLUE ET RELATIVE DU PREMIER GRAND INTERCYCLE DE HAUSSE DU XVIe SIÈCLE
4Supposons un moment que les données du début soient bien exactement comparables à celles de la fin — vue optimiste, sûrement, dans le détail, mais vue vraisemblable dans la généralité — et comparons le plancher de départ et celui d’arrivée. Non pas, certes, le mouvement de 1504 (300 toneladas, 210 tonneaux de 2,8m3), ni même celui de 1506 (3 390 toneladas, 2 373 tonneaux)4 avec celui de 1550 (32 355 toneladas ou 24 266, 25 tonneaux constants en Allers et retours)5. Ces deux éléments ne sont pas comparables : parce que la position des deux années n’est pas la même dans la conjoncture du cycle et qu’on ne peut comparer, raisonnablement, un creux cyclique et un sommet cyclique, mais, surtout, parce qu’il faudrait, pour les années du début, en particulier pour 1504, tenir compte des expéditions d’exploration, du rescate, voire du coulage et des hésitations inévitables, dans les premières années, lors de la mise en place des contrôles, chose que nous n’avons pas pu faire, toujours suffisamment, dans nos tables de conversion6.
1. Ampleur absolue
5On peut, néanmoins, comparer, sans trop d’inconvénients, un groupe d’années du début avec un groupe d’années de la fin de la période. Soit, par exemple, les années 1506, 1507,1508 et les années 1548, 1549, 1550. Ces deux groupes sont placés à peu près dans la même position de la géographie cyclique — entendez en période d’expansion — et font figure de sommets cycliques, l’un au début, l’autre à la fin du premier grand intercycle de la phase de hausse A du xvie siècle. On lira, alors, un mouvement de navires de 23, 33, 45 et de 104,104,133 navires pour les Allers, de 12,19, 21 et de 73, 74,82 navires pour les Retours, de 35,52,66 et de 177,179,215 navires pour les Allers et retours7. Le mouvement en toneladas est, respectivement, de 2 210, 3 300, 4 480 et de 14 790, 17 525, 18 620, pour les Allers, de 1 180, 1 830, 2 100 et de 9 760, 11 555, 12 735 pour les Retours, de 3 390, 5 103, 6 580 et de 24 550, 29 080, 32 355 pour les Allers et retours8. Les chiffres en unités pondérées, enfin, sont les plus intéressants, puisqu’on s’est efforcé de tenir compte, dans cette pondération, non seulement de la variation de la valeur de l’unité des tonnages, mais du plus grand nombre d’éléments de correction possibles9. Ces chiffres donnent les résultats suivants : 1 547, 2 310, 3 136 et 11 092,50, 13 143,75, 14 715 pour les Allers, 826, 1 281, 1 470 et 7 320, 8 666, 25, 9 551,25 pour les Retours, 2 373, 3 591, 4 606, et 18 412,50, 21 810,24, 24 266,25 pour les Allers et retours10. Illustration d’une véritable rupture de structure.
6On peut encore comparer — bien que le procédé soit, peut-être, moins rigoureux — les mouvements globaux semi-décadaires Allers, Retours, et Allers et retours pour 1506-1510 et pour 1546-1550, première et dernière décade de cet intercycle d’expansion. On mettra ainsi, en regard des mouvements unitaires de 139, 87, 226 et de 504, 370, 874 navires11, soit, en unités constantes de 2,8 m3, un volume de 9 653 tonneaux pour les Allers, 6 027 pour les Retours, 15 680 pour les Allers et retours dans la demi-décade 1506-1510, de 55 421,25 pour les Allers, 40 038,75 pour les Retours, 95 460 tonneaux pour les Allers et retours dans la demi-décade 1546-155012.
7Une dernière comparaison s’impose entre les divers planchers du trend calculés par les moyennes mobiles, médianes, au début et à la fin de l’intercycle d’expansion. Soit, par exemple, les chiffres indiciels de base donnés par les moyennes de 13 ans pour les volumes en unités pondérées : 2 294,92, en 1512, 9 605,94 en 1551, pour les Allers, 1 687 en 1512 et 7 446,403 en 1552 pour les Retours, 3 981,92 en 1512 et 16 938,69 en 1551 pour les Allers et retours13. La comparaison, en utilisant les moyennes de cinq ans, plus valables, parce que plus sensibles, doit s’établir entre 3 136,31, 3 134,60, chiffres indiciels de 1508 et 1509 et 21 468,90, chiffre indiciel de 1550 pour les Allers et retours en unités pondérées14.
8Toutes ces données sont concordantes et permettent de situer autour de 800 % le rapport du volume du commerce Espagne-Nouveau Monde, entre les premières années et les dernières années de la première phase d’expansion du xvie siècle. Le plancher des années 1548, 1549, 1550 est donc situé à un niveau 8 fois supérieur à celui du plancher des années 1506, 1507, 1508. Ces deux chiffres permettent d’apprécier l’ampleur absolue de l’expansion du trafic dans ce premier intercycle15.
2. Ampleur relative
9Si l’on cherche à mesurer, d’une manière relative, l’ampleur exacte de cette expansion, on est amené à la comparer à l’expansion réalisée, lors du second intercycle de hausse, de 1560 à 1610. Ce travail sera fait, plus tard, avec plus de précision16. On retiendra seulement, pour l’heure, les chiffres suivants tirés du mouvement global Allers et retours en unités constantes de 2,8m3 : 95 460 pour la demi-décade 1546-1550, 273 560, 4 pour la demi décade record 1606-161017. Le rapport n’est pas tout à fait dans l’ordre du simple au triple. Si on compare le creux de la grande récession 1556-1560 : 67 732,5 et la crête absolue de 1606-1610 : 273 560,4, le rapport est encore, seulement de l’ordre du simple au quadruple. Le volume du trafic dans l’Atlantique espagnol et hispano-américain est donc multiplié par 8 dans les 40 premières années 1510-1550, il n’est plus multiplié que par 3 dans les 60 années qui suivent, de 1550 à 161018.
10Étonnant dynamisme de cette première phase d’expansion ! On est bien en présence ici — et cette vérité ne doit jamais être perdue de vue, pendant toute la période — d’une vraie rupture de structure. Disparité qui s’explique aisément : 1504-1550, n’est-ce pas le passage d’un néant à l’être ?
3. Les prix
11Cette prodigieuse expansion est, aussi, celle — on le sait — de la révolution des prix qui porte le plancher des prix-métal, en Espagne, d’abord, puis en Europe et dans tout le monde occidental, d’un plancher 1, au début du xvie siècle, à un plancher 5, lors des premières décades du XVIIe. 1501 se trouvait, il est vrai, — l’histoire des prix l’a bien montré — situé partout19 (et plus particulièrement, peut-être, dans la péninsule ibérique20, à un niveau très bas, au terme d’une plongée qui avait, à Valence, de 1390 à 1500, porté le niveau des prix-argent des indices 107, 2 pour la demi-décade 1391-1395,110,1 pour la demi-décade 1396-1400, aux indices 86,5 en 1486-1490 et 86,7 en 1496-150021. La chute des prix-or, dans ce même royaume de Valence, avait été plus accentuée encore, passant des indices 109,8 pour la demi-décade 1391-1395, 112,7 pour la demi-décade 1396-1400, aux indices 66,8 pour la demi-décade 1486-1490 et 67, pour la demi-décade 1496-150022). Mais l’effondrement des prix-or paraît encore plus spectaculaire dans le Royaume d’Aragon, où les planchers indiciels descendent de 111,9 et de 134,1, pour les demi-décades 1381-1385 et 1411-1415, à 49,8 et 50,3 lors des demi-décades de la grande famine de l’or, 1486-1490,1496-150023. (En Navarre, enfin, le creux des prix en or — on ne peut, malheureusement le suivre au delà de 1540 — semble avoir été, au moins, aussi profond24.
12Il faut situer la grande révolution des prix du xvie siècle dans son contexte et ne pas perdre de vue que la première phase, qui va de 1500 à 1550, n’a guère fait, tout d’abord, que remplir le creux de la longue et dramatique vague qui recouvre la seconde moitié du xive siècle et la totalité du xve. On est en présence d’une famine de l’or, plus encore que d’une famine de l’argent25. Et ce n’est peut-être pas pur hasard, si le premier cycle des métaux précieux d’Amérique, qui s’ouvre de 1500 à 1550 sur cette grande famine de l’or, est, précisément, un cycle de l’or26. Le rapport or-argent dans les importations est, en effet, de 100 % à 0 % de 1503 à 1520. L’argent ne fait qu’une bien timide apparition de 1521 à 1530, avec 3 % en poids des importations de métaux précieux contre 97 %, pour l’or, moins de 0,3 % en valeur. L’or, dépassé par l’argent, quant au poids, depuis 1531, ne cédera la première place en valeur qu’à partir de 1561. Ce premier cycle vient, donc, combler une grande famine d’or... Par de l’or. L’or est, par priorité, l’objet de toutes les préoccupations. Plus facile à exploiter (par simple orpaillage), il nécessite de moindres investissements27, dans les conditions particulières de surpeuplement de l’Amérique pré-colombienne28.
13L’expansion des prix, pendant la première-moitié du siècle, due à l’entrée en scène de l’or d’Amérique, est de l’ordre de 50 à 100 %, suivant les termes de référence choisis. On passe, en effet, dans la série des composite index numbers of silver prices29 du chiffre indice 33,26 en 1501 à 70,63 en 1549. Les années 1506, 1507, 1508, qui ont servi de départ dans la comparaison des volumes du trafic, au début et à la fin de la grande expansion de la première moitié du xvie siècle, sont représentées, ici, par les chiffres indices de 46,89, 46,42, 44,78, tandis que les années 1548, 1549, 1550, second terme de la précédente comparaison sont représentées par 66,32, 70,63, 69,05. Les prix passent donc de l’indice moyen 46 à l’indice moyen 68-69, tandis que les volumes en mouvement entre l’Amérique et le complexe andalou s’élèvent dans le rapport de 1 à 8, voire de 1 à 630.
14Les prix espagnols n’ont encore franchi, en 1550, qu’une assez faible partie de la rude ascension qui leur reste à parcourir pour atteindre l’indice 143,45 en 1601. La révolution des prix démarre, donc, plus lentement, que la révolution du trafic américain dans l’Atlantique. Or les deux séries de phénomènes sont intimement liées par des liens étroits d’inter-réaction. La découverte a lancé la révolution des prix, qui, à son tour, favorise la révolution des trafics, ce qui donne toute sa valeur à la comparaison31. Sans en exagérer la portée, ces phénomènes sont d’ordre et d’âge différents. Les prix ont une existence bien antérieure à la révolution du xvie siècle, le trafic qu’on étudie, par contre, est une création ex nihilo : il n’est pas antérieur à 1493. Il a pour lui — et l’allure de sa pente, dans les premières décades, en est l’expression — l’étonnante vigueur de la jeunesse. Sa courbe bénéficie de l’exponentialité formelle des séries sans passé.
L’INDIGENCE DOCUMENTAIRE
15Ces quarante cinq premières années qui voient la sortie du néant d’un Atlantique transversal né à la civilisation avec le xvi e siècle, ont un intérêt particulier pour l’étude entreprise. L’Atlantique espagnol et hispano-américain prend, d’emblée dès les toutes premières années, pour deux siècles, au moins, ses caractéristiques majeures : double monopole de l’Andalousie qui donne ses ports, entre autres, et de la Cantabrique ses hommes et ses navires, rôle précoce et primordial des étrangers, de leurs capitaux, contrôle bénéfique de l’État, représenté dès 1503, par la Casa de la Contratación, présence immédiate, aussi, de la fissure qui détourne, dès le début, une fraction non négligeable des richesses destinées à Séville, par Lisbonne et le Portugal, vers d’autres destins.
16Ces quarante cinq premières années mêlent donc, inextricablement, structures et conjoncture, et ce n’est, évidemment, qu’au prix d’un artifice, qu’on peut, dans un espace économique sans passé, tout en présent et en avenir, donc, intégralement, dans son devenir, dissocier structures et conjoncture. La conjoncture est, ici, en quelque sorte, à elle-même, sa propre structure.
17L’indigence documentaire, au cours de ces quarante cinq premières années, les lacunes des séries, qui commencent, presque toutes, au-delà de 1550,32 n’en sont que plus regrettables. On déplore d’avoir à reconstituer cette phase structuro-conjoncturelle si capitale avec une telle pénurie de moyens. Pénurie, relative au vrai, par rapport à l’extraordinaire richesse de l’ensemble, qui ferait l’heur d’autres domaines, d’autres périodes. Mais il importe de ne pas tomber, en raison même de cette pauvreté première et de cette richesse dernière, dans la tentation inévitable qui consiste à transposer, sans nuances, nos connaissances d’un passé proche dans le passé lointain de ce premier Atlantique. Il faut se contenter de cette pauvreté. On en sait déjà les causes et les limites.
1. Le trafic
18Le livre de Registres, clef de voûte de la reconstitution qu’on a tentée, ne fournit pas directions et provenances d’une manière régulière avant 1548, à l’exception de 1544. Cette lacune traduit, sur le plan des strutures, une organisation administrative qui se cherche encore : la valeur intrinsèque de l’Atlantique espagnol et hispano-américain n’a pas encore été exactement mesurée, ni les conséquences administratives de cette valeur, intégralement tirées. On a pu suppléer à cette carence, dans près de 50 % des cas, par le dépouillement attentif de plusieurs tomes du Catálogo de los fondos americanos del Archivo de Protocoles de Séville33. par l’ample moisson qu’ils livrent de contrats d’affrètement — la série notariale a permis, cette fois encore, de suppléer à la défaillance de la série administrative — et par la méthode dite « de la boule de neige », qui consiste à suivre chaque navire, un par un, dans ses différents voyages et à reporter les données fournies pour un voyage sur les autres voyages34. Le résultat est appréciable : sur 4 412 voyages qui constituent, de 1504 à 1550, le mouvement du complexe portuaire de Séville avec l’Amérique (2 669 voyages d’aller et 1 743 voyages de retour), 2 099 directions et provenances sont connues 2 313 résistent et demeurent inconnues (1452 directions inconnues, 1217 connues, 861 provenances inconnues, 882 connues), il n’y aura guère plus, par contre, au-delà de 1550, que 15 directions ou provenances inconnues, en moyenne, par tranche de 5 000 voyages dénombrés. Ces deux chiffres permettent de mesurer la différence de degré dans notre approche, avant et après 1550, pour ce point aussi capital qu’est la connaissance exacte et exhaustive de la répartition géographique du trafic.
19Mais il ne faut pas trop se laisser abuser par des chiffres bruts, dans ce cas particulier surtout. Les îles — et parmi les îles ; Espanola — représentent, en effet, la presque totalité des directions et des provenances pendant les vingt premières années du trafic. L’entrée effective et autonome de la Terre Ferme, de la Nouvelle-Espagne n’est guère antérieure à 1531. Ainsi, l’ignorance des directions et des provenances est, pratiquement, sans importance, pendant les dix premières années du siècle, au moins, au cours desquelles Española constitue, pour 90 % et plus, la seule direction et la seule provenance possibles. Elle se trouve impliquée par prétérition. Dans la demi-décade 1521-1525, directions et provenances sont connues pour 40,87 % des voyages. Ce pourcentage est rassurant. On peut penser, en effet, que la répartition entre les principales directions et provenances, au sein des 40,87 % de voyages connus, donne une image fidèle de la répartition au sein des 59,13 % de voyages inconnus, puisque la répartition des navires dans ces deux catégories est due au seul fait du hasard. La même remarque est valable pour la demi-décade 1536-1540, où, directions et provenances sont connues pour 38,1 % des voyages, la répartition au sein de ces 38,1 % peut être étendue, sans inconvénient, aux 61,86 % demeurés inconnus. Les demi-décades 1541-1545, 1546-1550 ne posent réellement plus de problème, avec des proportions de directions et de provenances connues de 65,72 % et de 83,14 %. La répartition géographique des trafics nous échappe totalement, par contre, pour les demi-décades 1526-1530, 1531-1535. Mais un hiatus de dix ans n’est pas impossible à combler et l’on peut raisonnablement escompter un résultat honorable, sinon d’une rigueur scientifique absolue, par une extrapolation en dégradé des résultats connus entre 1521 et 1525,1536 et 1540. Une certaine imprécision dans la répartition géographique du trafic subsiste, néanmoins, faisant contraste avec la rigueur et l’absolue certitude des données recueillies pour les périodes postérieures.
20Dans le même ordre d’idées, le tonnage — autre disgrâce, pour la connaissance de cette première période — présente une marge d’incertitude, une marge de tolérance supérieure à celle des périodes suivantes. Tableaux et tables le prouvent35 : il suffit d’y suivre la répartition des navires entre les trois grandes catégories, connus directement, connus indirectement, évalués. Cette répartition, si on prend l’ensemble des trois demi-siècles, est environ de 50 % pour la première catégorie, d’un peu plus de 20 % pour la seconde et d’un peu moins de 30 % pour la troisième. Mais ces proportions sont très différentes, si l’on envisage, seulement, la première moitié du xvie siècle ; il faut attendre 1519, en effet, pour voir apparaître les navires de la première catégorie, et plusieurs années ne comportent aucun navire appartenant à la première et à la seconde. Cette lacune, dont il ne faut pas se dissimuler la gravité, a moins d’importance, toutefois, qu’on ne pourrait le craindre, parce que le matériel de la Carrera présente, jusque vers 1530-1540, voire même, dans une certaine mesure, jusqu’en 1550 — et contrairement aux périodes suivantes — une très grande homogénéité. Le siècle s’ouvre par l’ère des petits navires révolutionnaires qui contrastent avec les lourds bateaux européens du xve siècle36. Les nécessités de l’exploration, l’absence de bons ports reconnus et équipés, la faiblesse, le morcellement des têtes de trafics, la longue prédominance des îles jusqu’en 1530, au moins, la proximité relative des Antilles, les voyages individuels, ou, plus exactement, par petits groupes, de préférence aux voyages en gros convois, peu nombreux encore, la moindre acuité, enfin, des problèmes de défense, tous ces faits, causes et conséquences, expliquent une telle révolution, rendent compte d’une telle homogénéité...
21Au-delà de 1535, le matériel de la Carrera commence à se transformer, à se différencier. C’est alors, aussi, que les moyens dont nous disposons pour le connaître avec précision, s’améliorent. Néanmoins — on aurait mauvaise grâce à le nier — une bonne part de subjectivité ou, si on préfère, de raisonnement a priori demeure. L’analyse de la conjoncture pour cette période s’en trouve affaiblie. Elle n’a pas, dans ces conditions, la rigueur qu’elle atteindra au-delà de 1550.
22La participation au trafic, pour cette même période 1504-1550, des différents éléments du complexe portuaire andalou-canarien n’est pas toujours connue avec tous les détails souhaitables37. On a cru pouvoir distinguer, dans la ventilation des différents départs du complexe portuaire, outre les départs de Séville, ceux des armadas du Bas Guadalquivir, de Cádiz, des Canaries et les départs des négriers. A bon droit, certes. C’est aussi à bon droit que certaines de ces colonnes — celle des armadas, celle de Cádiz — restent vides, ou presque, pendant la première moitié du xvie siècle. Pour les Canaries, par contre, on affirmerait difficilement qu’elles ont figuré, brusquement, pour la première fois, en 1548, avec 15 unités et 1 200 toneladas, puis en 1550, avec 42 unités et 3 360 toneladas38. Il y a eu, certainement, avant cette date, des années de transitions pour le trafic canarien, des avancées, des repentirs. Les tableaux du tome II en font état, le plus souvent. Mais que certains navires aient échappé à un monopole astreignant, qu’ils aient passé au travers du contrôle des hommes de la Casa de la Contratación, lors de la mise en place du système, bien outrecuidant qui oserait le nier... On s’est assez expliqué sur ce point39.
2. Les prix
23Cette moindre précision de la connaissance du mouvement, pour les années 1504-1550, se retrouve, malheureusement, aussi, dans les prix de Hamilton, les seules séries valables dont nous disposons, à l’heure actuelle, pour l’espace baigné par l’Atlantique hispano-américain. Les séries des indices des prix de Nouvelle-Castille ou de Valence sont sans défaillance apparente, bien que de qualité différente, suivant les époques. Les séries de prix de Vieille-Castille-Léon n’ont que 9 lacunes en 150 ans, mais ces 9 lacunes sont, toutes — ce n’est pas un hasard — réparties de 1501 à 1550. La série andalouse, la plus précieuse pour nous — mais aussi, on l’a vu40, la plus faible — comprend 51 lacunes en 150 ans, dont 35 dans la première moitié du xvie Siècle41. La courbe des indices des prix andalous est, donc, très fortement hypothétique : 15 points, seulement, calculés en partant d’un nombre restreint de données peu représentatives, contre 35 points reconstitués. D’où sa faible sensibilité et souvent, son impuissance à rendre compte, dans le détail, dés accidents des courbes du trafic. Cette carence, en outre, se répercute fâcheusement sur les composite index numbers of silver prices42 et leurs représentations graphiques. Les données de Nouvelle Castille, Vieille Castille-Léon et Valence, de moindre intérêt, pour notre étude des mouvements dans l’Atlantique hispano-américain, pèsent beaucoup plus lourd et déterminent, presque seules, une courbe globale qui se trouve être, de ce fait, pour notre propos, de moindre signification.
3. Les autres données
24Cette carence n’est pas le propre des données fondamentales, répartition géographique et volume du trafic, prix... Elle est commune à toutes les données, en raison même de l’inexistence, de l’insuffisance, en-deçà de 1550, des grandes séries continues de la Casa de la Contratación, séries chiffrées et correspondances. En raison de la mise en place progressive et tardive de la fiscalité et des grands services administratifs, qui sont à l’origine de nos reconstitutions, partant, responsables de la réussite ou des limites de cette entreprise. Sans parler des simples hasards de la conservation.
25Les mouvements en valeur, les mouvements des marchandises, totalement tributaires—ou presque — de la fiscalité, n’existent guère avant 1550. L’almojarifazgo de la Vera Cruz est connu à partir de 154043, celui de Nombre de Dios, en 155044, l’avería n’est guère saisie avant 156645. Il faut attendre 1551, pour reconstituer les mouvements globaux en valeur, d’après les évaluations de la Casa de la Contratación. Le mouvement en valeur du port de Nombre de Dios a pu être reconstitué à partir de 1544, mais pour les entrées seulement46. Quant aux différents mouvements des marchandises47, les plus précoces datent de 1562.
26Le matériel de la Carrera n’est connu dans ses détails qu’au-delà de 1550. Dans les tables concernant la répartition des navires dans l’Atlantique espagnol, d’après leur type et leur lieu d’origine, deux rubriques seulement, sur 100 rubriques distinguées, sont utilisées entre 1504 et 1550, les plus simples, les plus vagues, les plus communes d’entre elles : barques ou caravelles, parfois galions et quelques navires français48. Ces tables, sans doute, rendent compte — on l’a vu — dans une large mesure d’une réalité historique : l’homogénéité plus grande du matériel de la Carrera pendant les cinquante premières années. Elles sont, néanmoins, le produit de l’indigence de notre information : entre 1504 et 1550, les sources où puiser les renseignements concernant les navires, sont inexistantes : telle, la correspondance de la Casa de la Contrataciôn ou insuffisantes, comme le Livre de Registres, trop succinct, et les registres, en trop petit nombre encore.
27Les tables, qui donnent l’âge moyen des navires, dénotent, pour le premier demi-siècle, une pénurie plus grande encore49. Rien d’étonnant, car elles ont les mêmes sources, à peu de choses près, que les tables des navires, Cette lacune est d’autant plus grave que l’âge moyen du matériel naval de la Carrera permet de mesurer les rapports fret-armement et constitue un procédé efficace d’approche de la conjoncture. Les périodes d’expansion, au cours desquelles l’armement s’essouffle derrière le négoce, sont des périodes de fret cher, donc, d’investissement dans la construction navale, et donc, au bout d’un certain temps, de navires jeunes. Pour des raisons exactement inverses, les périodes de contraction deviennent, assez vite, des périodes de vieux navires, au cours desquelles on procède à la liquidation du stock du matériel naval existant, tant que l’effondrement complet du système ne vient pas renverser l’ordre de la relation50. On aura l’occasion, souvent, et sur des exemples concrets, de préciser les termes d’un rapport capital pour notre étude de conjoncture.
28La mesure rationnelle des temps de traversée est impossible avant 155151, avant l’existence de ce journal de bord de la Carrera, la correspondance de la Casa de la Contratación, d’où l’on tire l’essentiel des données chronologiques. Les données qu’on peut obtenir, avant cette date, sont, donc, beaucoup trop sporadiques et fragmentaires pour être soumises à des méthodes statistiques valables. Cette carence est regrettable, puisque l’on a pu considérer la vitesse des voyages et le rythme de rotation des navires — vitesse et rythme s’accélérant en expansion et ralentissant pendant la contraction — comme un des meilleurs éléments d’appréciation de la conjoncture, surtout, à partir de la mise en place du système des convois52.
29Il manque, enfin, pour cette période, cette admirable source d’atmosphère, cette bande enregistreuse des impressions du négoce qu’est la correspondance de la Casa de la Contratación53. Source officielle d’un organe « officiel », mais source sérielle, ce document a autant de prix qu’en aurait une correspondance privée de firmes sévillanes, s’il en existait, ce qui n’est malheureusement pas le cas pour cette époque. De ci, de là, quelques indications, des rapports à interpréter, tirés des collections de documents du xixe siècle, données sporadiques, sans plus.
30C’est donc un embryon de conjoncture, seulement, qu’on proposera au lecteur avant 1550, une conjoncture risquée sur des séries limitées, souvent fragmentaires et hypothétiques, justifiée, certes, mais dont les résultats en doivent être retenus avec le minimum indispensable d’humour.
ESSAI DE CHRONOLOGIE CYCLIQUE
31Ces données fragmentaires, dont on dispose, sont, néanmoins, suffisantes pour tenter le rudiment d’interprétation cyclique qu’on se propose de suivre, au cours de cette première partie. Une telle interprétation trouve sa justification dans les courbes superposées des mouvements globaux annuels, Allers, Retours et Allers et Retours, en unités pondérées et en unités non pondérées — il existe, en effet, entre ces trois mouvements des analogies qui ont, incontestablement, une grande valeur de preuve. Complément utile, l’analyse de la courbe des moyennes mobiles de 5 ans reportée à une tendance majeure dégagée par les moyennes mobiles de 13 ans54. Ces courbes donnent la tonique. Il faudra, en outre, s’efforcer d’apprécier dans quelle mesure il peut exister des éléments de corrélation entre la géographie cyclique tirée des volumes globaux et ce que l’on peut savoir des prix, pour l’ensemble de la péninsule et plus particulièrement, l’Andalousie. L’analyse montre qu’il y a, parfois, entre ce premier groupe d’éléments et le second, une certaine marge d’indépendance : elle n’interdit pas, pourtant, toute possibilité de covariation. Ce sont ces données, essentiellement — les seules qu’on possède, pour affronter la grande disette du premier cinquantenaire — qui dicteront les grandes lignes de la géographie cyclique proposée à la méditation du lecteur.
1. Le cycle de 1506-1510
32On peut distinguer un premier cycle court partant de 1506 — voire de 1504 — culminant en 1508 pour les Allers et les Allers et retours, en 1509, pour les Retours — léger décalage normal, puisque la plus grande partie des Retours de 1509 est constituée par les Allers de 1508 — puis descendant de 1508 à 1510.1510 constitue, incontestablement, un creux cyclique sur les trois courbes des Allers, Retours, Allers et retours. On note, en effet, sur les courbes des globaux annuels en unités pondérées, les chiffres suivants : 3 136 tonneaux en 1508, 1190 en 1510 pour les Allers, 1 750 en 1509, 1 700 en 1510, pour les Retours, 4 606 en 1508, 1890 en 1510 pour les Allers et retours. La pointe d’expansion cyclique se trouve, donc, en moyenne à 250 % du niveau du creux de contraction.
33Quatre cycles de Juglar viennent ensuite : 1510-1522,1522-1532,1532-1544 ; un dernier cycle, enfin, d’une belle vigueur, à cheval entre l’expansion de la première moitié du siècle et la grande récession du xvie, 1544-1554. Chacun de ces cycles peut se diviser lui-même en un certain nombre de cycles courts élémentaires.
2. Le cycle de 1510-1522
34Le premier cycle de 1510 à 1522 se décompose aisément en trois fluctuations pour les Allers : 1510, 1512, 1513 ; 1513, 1517, 1518, et 1518, 1520, 1522 ; en deux ou trois fluctuations, au choix, pour les Allers et retours : 1510, 1512, 1513 et 1513, 1514, 1516, si on suit scrupuleusement les points de rebroussement, en fait, 1510, 1514, 1516, si on considère comme négligeable le très léger fléchissement de 1513 par rapport à 1512. Puis une autre fluctuation : 1516, 1520, 1522. Les Allers et retours empruntent ce rythme binaire aux Retours sur lesquels deux fluctuations courtes se dessinent nettement, engendrant le cycle, en gros, décennal ; une première fluctuation : 1510, 1513,1515, normalement décalée sur la fluctuation analogue des Allers, puisque le point haut de 1512 se retrouve en 1513 et le creux de 1513, un peu étiré, en 1515 ; puis une seconde fluctuation : 1515, 1517, 1524, dont la pointe des Retours, 1518, est décalée d’un an sur celle des Allers, avec une seule descente continue de 1518 à 1524. Le cycle des Retours mord, ici, de deux ans sur celui des Allers et des Allers et retours, au détriment du cycle suivant, plus court pour les Retours que pour les Allers et les Allers et retours. On peut noter, dès cette époque, le décalage régulier et constant d’un à deux ans des Retours sur les Allers, ce qui semble bien impliquer, déjà, un rythme de rotation des navires plus long, — en contraction surtout — que celui qu’on lui attribue, d’ordinaire.
3. Le cycle de 1522-1532
35Le second cycle est plus court, dix ans au lieu de douze, de 1522 à 1532 et son rythme binaire est à peu près parfait. Il comprend, en effet, une première fluctuation courte, énergiquement dessinée, sur les courbes des Allers, des Retours, des Allers et retours : partant du point de 1522 pour les Allers et les Allers et retours, de 1524 pour les Retours, le mouvement monte jusqu’en 1527 et se creuse, profondément, de 40 % environ, en 1528. Une sous-respiration peut se distinguer dans la phase ascendante, 1526 représentant un léger fléchissement sur les courbes des Allers, des Retours et des Allers et retours. La phase d’expansion 1522-1527 peut donc, à la rigueur, s’articuler ainsi : 1522, 1526, 1527 pour les Allers et retours, 1524, 1526, 1527 pour les Retours. Une seconde fluctuation cyclique courte, au-delà de 1528, se retrouve sur les Allers, les Allers et retours et les Retours : 1528 est un point creux, 1529 le point haut des Retours, 1530, le point haut des Allers, et 1532, le point bas des Allers et des Allers et retours, 1531, le point bas des Retours. Les deux précycles de Kitchin, qui engendrent un précycle de Juglar, sont ici étrangement. syncopés, entre la première fluctuation cyclique qui mord à la contraction et la troisième fluctuation cyclique qui, pour les Retours, mord à l’expansion. Ce second cycle, formé de deux ou trois vibrations courtes assez mal synchronisées entre elles, peut sembler manquer de cohérence, mais moyennes mobiles de cinq ans et comportement des prix donnent à l’ensemble une cohésion qui n’apparaît pas de prime abord et permettent de conclure, malgré tout, à la probabilité d’une fluctuation d’ensemble.
4. Le cycle de 1532-1544
36Le troisième cycle de 1532 à 1544 pourrait s’appeler le cycle manqué : on ne lui réserve sa place que par souci d’homogénéité. En effet, la période engendre mal un cycle de Juglar, elle donne naissance, par contre, à deux fluctuations plus courtes qu’on lit sur les moyennes mobiles de cinq ans et, mieux encore, sur les mouvements annuels sur canevas semi-logarithmiques. Une première fluctuation culmine en 1536, descend en 1537. La montée 1532-1536 est continue pour les Allers et pour les Allers et retours. Elle marque un palier pour les Retours : l’expansion part, en effet, de 1531 et 1533 est légèrement en retrait sur 1532 — cette particularité ne compromet pas, pourtant, la cohésion de cette fluctuation. 1537, 1542, 1544 pour les Allers et les Allers et retours, 1537, 1541,1544 pour les Retours délimitent une seconde fluctuation courte. Le léger palier de 1540, en retrait sur 1538 pour les Allers, n’en infirme pas plus que précédemment la marche générale.
37Ces deux cycles courts accolés, dont on a apprécié les concordances sur les trois démarches du mouvement général, n’engendrent qu’avec beaucoup de bonne volonté une fluctuation globale 1532-1536-154455. Cette période, en effet, loin d’être marquée par une expansion continue, dénote plutôt un léger ralentissement de l’ascension, on le pressent même dans le fléchissement du trend dégagé par la moyenne mobile de 13 ans, dans les années 1530, 1531, 1534. En fait, la courbe hésite un peu, le trafic respire profondément, avant de se lancer à l’assaut des points d’ascension-record de la prodigieuse expansion des années 1544, 1550, qui vont marquer l’arrivée effective du nouveau continent dans la conjoncture de l’Atlantique espagnol et hispano-américain. La première ponction qui s’opère sur les îles, au profit du continent américain, explique, peut-être, le ralentissement des années 30, sensible même sur la courbe des moyennes mobiles de 13 ans. Le capital humain nécessitant quelques années d’adaptation, avant d’atteindre à sa pleine efficacité, l’arrivée du continent et de ses terres vierges, responsable, à dix ou quinze ans d’échéance, de la prodigieuse poussée des années qui précèdent 1550, a, peut-être, été cause, par son incidence sur les îles, du léger ralentissement du troisième cycle. Les graphiques semi-décadaires rendent très bien compte des hésitations de la conjoncture, dans la première moitié de la décade des années 30, où l’on voit, d’abord, les îles se vider, avant d’assister au peuplement des terres nouvelles de la Nouvelle Espagne et des Plateaux des Andes par la colonisation espagnole56.
5. Le cycle de 1544-1554
38Le quatrième cycle présente une grande originalité. Tout d’abord, il est à cheval entre la première phase d’expansion et la grande récession du xvie siècle57. D’où son extraordinaire netteté et son caractère presque parfait : on peut en juger par la (orme qu’il épouse, dans les moyennes mobiles de cinq ans, par rapport aux moyennes mobiles de treize ans58. Il présente — autre particularité — à l’inverse des deux cycles précédents, une fluctuation décennale très marquée, au détriment des fluctuations secondaires abolies. Ce fait s’explique par le renversement, en 1550, de ce que l’on pourrait appeler la tendance secondaire. Les vibrations secondes sont, en effet, à peine perceptibles sur les Allers : 1544, 1545, 1546, 1550, 1551, 1552, 1554 — on en admirera le parfaite symétrie autour de la grande pointe de la crise cyclique et tendancielle de 1550. Le rebroussement majeur se fait, pour les Retours, en 1550-1551, avec un retard d’un an sur les Allers et les Allers et retours : décalage normal, les Allers de 1550 se retrouvent dans les Retours de 1551 et plus lourds que les Retours, ils donnent le ton aux Allers et retours. Deux sous fluctuations pour les Retours : 1544, 1547, 1548 et 1548, 1551, 1554. Deux sous-fluctuations, aussi, pour les Allers et retours : leur rythme est un compromis entre le rythme des Allers et celui des Retours ; on y retrouve la première onde mentionnée sur les Allers, 1544, 1545, 1546, les deux dernières vibrations des Allers 1546, 1550, 1551 et 1551, 1552, 1554 y sont fondues, par contre, sous l’influence des Retours, en une prodigieuse fluctuation, qui représente, à elle seule, à peu près tout le « cycle de Juglar » : 1546, la tête record de 1550 et le creux non moins spectaculaire de 1554.
39Rythme des volumes que l’on retrouvera, avec une admirable perfection, dans le rythme des prix. Cette fluctuation est la plus belle de la première moitié du xvie siècle.
40Il suffira donc, désormais, — la tâche est simple — de se laisser porter par cette géographie cyclique dont l’évidente transcendance dépasse tout discours.
Notes de bas de page
1 La carte 1501-1510 (t. VII, p. 92, en bas) donne une idée à peine suspecte de cette insignifiance.
2 Cf. t. II, p. 111 et t. VIII1, p. 128-129.
3 Cf. t. VIII1, p. 4344.
4 Cf. t. VI1, tables 136 et 140, p. 334 et 338.
5 Ibid.
6 Cf. t. I, p. 144-146, Les facteurs dans l’élaboration d’une grille générale de pondération, et t. VI1, table 129, p. 327.
7 Cf. t. VI1, tables 130, p. 328, 133, p. 331, 136, p. 334.
8 Ibid.
9 Cf. t. I, p. 144 sq. et t. VI1, table 129, p. 327, table 140, p. 338.
10 Cf. t. VI1, table 140, p. 338.
11 Cf. t. VI1, table 139, p. 337.
12 Cf. t. VI1, table 143, p. 341.
13 Cf. t. VI1, table 150, p. 347, table 151, p. 348, table 153, p. 350, table 154, p. 351, table 156, p. 353, table 157, p. 354.
14 Cf. t. VI1, table 156, p. 353.
15 Même si on faisait intervenir un coefficient supplémentaire de pondération (en raison de ce qui a pu échapper, par suite de la moindre efficacité des contrôles, au cours des toutes premières années, on ne peut vraiment descendre en dessous d’un coefficient d’expansion de l’ordre de 600 %.
16 Cf. ci-dessous, p. 365-374.
17 Cf. t. VI1, table 143, p. 341.
18 Un graphique dont l’échelle des ordonnées est arithmétique et qui permet, par conséquent, d’apprécier, surtout, le mouvement absolu, masque, totalement, cette réalité qui apparaît, par contre, très clairement, sur un graphique, dont l’échelle des ordonnées est logarithmique, donc, plus apte à faire surgir des rapports qu’à mettre en valeur des volumes absolus.
19 Il faudrait citer, ici, toute l’historiographie des prix et plus particulièrement, les ouvrages mentionnés dans l’ensemble de cette étude (cf. notamment t. I, p. 28-29).
20 E.J. Hamilton, Money, prices and wages in Valencia Aragon and Navarre 1351-1500, Cambridge Mass. Harvard University Press 1936, vol. LI des Harvard Economic Studies, in-8, XXVIII, 310 pages.
21 Ibid., p. 59-60.
22 Ibid.
23 Ibid., p. 101-102.
24 Ibid., p. 162-163.
25 Sans doute, parce que l’approvisionnement qui se faisait par le Maghreb aux sources de l’orpaillage soudanais est devenu difficile, comme l’a montré Fernand Braudel (De l’or du Soudan à l’argent d’Amérique Annales E.S.C., 1946, no 1). Et parce que la technique du xve siècle avait réussi, pour l’argent, à tirer meilleur parti des vieilles mines usées d’Allemagne. Les phases B sont, d’ordinaire, en histoire, des périodes de grand progrès techniques parce que l’ingéniosité des hommes est comme surexcitée par la difficulté à vaincre, mais c’est en phase A que l’avance technique pionnière de la phase B s’étale, gagne en surface. Phase B, période de progrès en profondeur ; phase A, période de progrès en surface, période des grandes découvertes géographiques.
26 E. J. Hamilton, op. cit. 1500-1650, Pourcentage of total import of gold and silver weight, p. 40-41, Bimetallic ratios, p. 71 et les remarquables développements, depuis, de Frank C. Spooner. Les frappes monétaires en France, op. cit.
27 Ces chiffres des importations d’or et d’argent sont d’autant moins suspects (en ce qui concerne la part très importante de l’or, par rapport à l’argent jusqu’en 1560) que la fraude sur l’or est beaucoup plus facile et plus rentable, encore, que la fraude sur l’argent (valeur dix à onze fois plus grande à poids égal). Si on a pu reprocher, parfois, à E.J. Hamilton, avec raison, d’avoir sous-estimé la part d’une contrebande qui, par définition, n’est ni constante, ni négligeable, il est incontestable que cette contrebande a pu jouer, surtout, sur les résultats globaux au-delà de 1600, plus particulièrement quand s’est aggravé le poids de la fiscalité et la crainte de l’embargo, au détriment de l’or par rapport à l’argent, mais, certainement, jamais, en aucun cas, au détriment de l’argent par rapport à l’or.
28 Cf. t. VIII1, p. 495-510
29 E.J. Hamilton, op. cit., 1500-1650, p. 403.
30 Cf. ci-dessus, p. 50, note 3.
31 La différence des accélérations est visible sur les représentations graphiques à échelle semi-logarithmique, cf. t. VII, p. 54-55.
32 Cf. t. I. Indigence signalée, à propos du Livre de Registres, des Registres, des papiers de compte..., de la correspondance de la Casa de la Contratación.
33 Catálogo de los fondos americanos del Archivo de Protocolos de Sevilla. Colección de documentas inéditos para la Historia de Hispano-América, Publicaciones del Instituto hispano Cubano de Historia de América de Sevilla, Séville, 6 tomes ; t. I, III, IV, V utilisés.
34 Cf. t. I, p. 296.
35 Cf. t. I, p. 293 sq., et t. II à VI, pour l’application pratique.
36 Sur la poussée du tonnage unitaire, à la fin du moyen âge, de nombreux témoignages, un peu partout. Cf. Fernand Braudel, Méditerranée, op. cit. ; Frédéric C. Lane, Venetian Ships and Shipbuilders of the Renaissance, Baltimore, 1934, in-8, IX, 285 pages, etc.
37 Cf. t. VI1, table 181, p. 380-383.
38 Cf. t. I, p. 157 sq.
39 Cf. t. VIII1, livre second, chapitre I, p. 161 sq.
40 E.J. Hamilton, op. cit., 1501-1650, p. 189,198,215.
41 Ibid.
42 Ibid., p. 403, et t. VII, p. 54-55, graphique du bas.
43 Cf. t. VI1, tables 209 A et 209 B, p. 434, 437.
44 Cf. t. VI1, tables 212-213, p. 446-449..
45 Ibid., tables 198 sq., p. 414 sq.
46 Cf. t. VI2, table 544, p. 692 sq et suivantes.
47 Ibid., tables 669-759, p. 980-1035.
48 Cf. t. VI1, tables 1 A à 12 E, p. 114 à 167.
49 Ibid., table 14, p. 170-171. Il s’agit d’une pénurie totale avant 1555.
50 Huguette et Pierre Chaunu. A la recherche des fluctuations cycliques, article cité et surtout ci-dessous, p. 770-772 et t. VIII2bis, p. 1563-1564, 1596-1598...
51 Cf. t. VI1, série B, tables 18 à 128, p. 177 ter à 319.
52 Cf. ci-dessous p. 408.
53 Cf. t. I, p. 252 sq.
54 Cf. t. VI1, tables 146-147 à 158, p. 344 à 355 et t. VII, p. 50-52.
55 Le procédé élémentaire des pourcentages d’écart à la moyenne (T. VI1, table 162, p. 361 et t. VII, p. 52) permet de trancher, en faveur d’une présomption de fluctuation globale, résultante. Si les Retours sont désarticulés en deux fluctuations primaires, sans véritable lien organique, il n’en va de même, totalement, ni pour les Allers, ni même pour les Allers et retours. Le procédé montre, en outre, où culmine vraisemblablement le cycle, en 1536 et non pas, comme une vue superficielle des mouvements bruts le laisserait à penser, en 1542.
56 On verra plus loin comment le rapport prix-trafic s’établit dans cette unité de temps. Cf. ci-dessous p. 142 sq. et p. 169 sq.
57 Son étude devra, par conséquent, être morcelée entre la première partie et la seconde partie.
58 Et naturellement, sur les écarts à la moyenne, t. VI1, table 162, p. 361 et t. VII, p. 52.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Meurtre au palais épiscopal
Histoire et mémoire d'un crime d'ecclésiastique dans le Nordeste brésilien (de 1957 au début du XXIe siècle)
Richard Marin
2010
Les collégiens des favelas
Vie de quartier et quotidien scolaire à Rio de Janeiro
Christophe Brochier
2009
Centres de villes durables en Amérique latine : exorciser les précarités ?
Mexico - Mérida (Yucatàn) - São Paulo - Recife - Buenos Aires
Hélène Rivière d’Arc (dir.) Claudie Duport (trad.)
2009
Un géographe français en Amérique latine
Quarante ans de souvenirs et de réflexions
Claude Bataillon
2008
Alena-Mercosur : enjeux et limites de l'intégration américaine
Alain Musset et Victor M. Soria (dir.)
2001
Eaux et réseaux
Les défis de la mondialisation
Graciela Schneier-Madanes et Bernard de Gouvello (dir.)
2003
Les territoires de l’État-nation en Amérique latine
Marie-France Prévôt Schapira et Hélène Rivière d’Arc (dir.)
2001
Brésil : un système agro-alimentaire en transition
Roseli Rocha Dos Santos et Raúl H. Green (dir.)
1993
Innovations technologiques et mutations industrielles en Amérique latine
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela
Hubert Drouvot, Marc Humbert, Julio Cesar Neffa et al. (dir.)
1992