Préface
p. 11-13
Texte intégral
1Parmi les renouvellements de l’historiographie des relations internationales, la prise en compte de leur dimension culturelle constitue probablement l’un des terrains les plus féconds et les plus prometteurs à l’heure actuelle. Dès les années 1930, Pierre Renouvin avait invité à élargir le champ convenu des relations politiques, diplomatiques ou militaires entre États pour mettre en lumière les « forces profondes » les sous-tendant1. Après la Seconde Guerre mondiale, un certain nombre de travaux – nord-américains notamment – avaient ouvert des voies pionnières en la matière2, mais il fallut attendre le début des années 1980 pour que, profitant de l’essor de l’histoire culturelle en tant que telle, l’étude des relations internationales intégrât pleinement les multiples dimensions du soft power3. Pour le cas particulier des relations internationales de l’Amérique latine, cette nouvelle approche apparaît aujourd’hui d’autant plus essentielle qu’elle permet de contourner une tradition issue du marxisme et longtemps dominante, qui tendait à réduire la question de l’insertion internationale du sous-continent à celle de ses relations avec les États-Unis – pensées en termes d’impérialisme et de néo-colonialisme. Sitôt abordées sous l’angle culturel, les choses apparaissent pourtant infiniment plus complexes comme l’ont montré, notamment pour le cas du Brésil, de récents travaux4.
2C’est dans cette perspective d’une histoire des relations culturelles internationales que se situe la recherche de Juliette Dumont, prélude d’une thèse de doctorat en cours depuis septembre 2007. Consacré au rôle que joua le Brésil au sein de l’Institut International de Coopération Intellectuelle (IICI), l’ancêtre de l’Unesco né sous les auspices de la Société des Nations (SDN) au lendemain de la Grande Guerre, cet ouvrage constitue un apport essentiel à deux égards au moins. D’une part, il donne à voir avec précision des aspects méconnus de l’histoire de l’IICI sur laquelle peu d’études sérieuses s’étaient jusque-là arrêtées5. Dans le contexte particulier d’un entre-deux-guerres nourri d’utopies pacifistes et de rêves de paix perpétuelle, la coopération intellectuelle apparaît en effet comme l’un des moyens possibles pour prévenir les conflits, mais aussi pour intégrer au concert des nations certains espaces qui, à l’instar de l’Amérique latine, en étaient demeurés en marge depuis le Congrès de Vienne. D’autre part et surtout, ce livre décrypte les nouvelles stratégies internationales du Brésil qui, bien qu’ayant claqué la porte d’une SDN jugée trop européocentrée dès 1926, n’en fait pas moins le choix pionnier de la diplomatie culturelle pour cesser d’être « le grand inconnu du monde moderne » et exister enfin sur la scène internationale. L’IICI apparaît alors comme l’un des lieux privilégiés pour la définition et le déploiement de cette nouvelle ambition : non seulement la coopération intellectuelle permet de réfracter en Europe l’image d’une nation civilisée, mais elle sert également les ambitions hégémoniques du Brésil à l’échelle latino-américaine en lui conférant de nouvelles formes de légitimité.
3Cela étant posé, l’intérêt de la recherche de Juliette Dumont – fondée sur le dépouillement des archives de l’IICI à Paris et de celles du ministère des Relations extérieures brésilien à Rio de Janeiro – réside aussi dans le fait de replacer son objet dans un contexte plus général, autrement dit de ne pas sacraliser la place de l’IICI dans la politique extérieure d’Itamaraty. Ce serait en effet faire peu de cas des États-Unis vers lesquels le Brésil s’est tourné dès les premières années du xxe siècle, à l’époque où le baron Rio Branco dirigeait la diplomatie. Bien que n’étant pas membres de la SDN, ceux-ci n’en constituent pas moins un destinataire privilégié de la diplomatie culturelle, comme en témoigne le fait que le Brésil soit également partie prenante de l’Institut Interaméricain de Coopération Intellectuelle, organisation concurrente de l’IICI créée à l’initiative de Washington en 1928. Aussi le Brésil apparaît-il durant toute la période considérée comme une sorte de passerelle entre l’Europe et les Amériques, dans une sorte d’équidistance lui permettant de ne s’aliéner aucun partenaire à la différence notable de l’Argentine – dont le désir de leadership régional apparaît difficilement compatible avec l’hostilité systématique que Buenos Aires manifeste à l’égard des États-Unis.
4Aussi, si l’on considère avec Alain Rouquié que le Brésil est « l’un des rares États du sous-continent qui se sont dotés d’une véritable politique étrangère, et non simplement de relations extérieures protocolaires et normatives6 », le travail de Juliette Dumont éclaire utilement l’émergence de cette tradition diplomatique.
Notes de bas de page
1 Pierre Renouvin, La crise européenne et la Première Guerre mondiale, Paris, Alcan, 1934.
2 Cf. notamment Ruth E. McMurry et Muna Lee, The cultural approach : an other way in international relations, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 1947.
3 Pour un bilan historiographique, cf. Hugo R. Suppo et Mônica Leite Lessa, « O estudo da dimensão cultural nas Relações Internacionais : contribuções teóricas e metodol ó gicas », in Mônica Leite Lessa et William da Silva Gonçalves (org.), História das Relações internacionais. Teoria e processos, Rio de Janeiro, Editora da Universidade do Estado do Rio de Janeiro, 2007, p. 223-250.
4 Cf. notamment Antônio Pedro Tota, O Imperialismo sedutor. A americanização do Brasil na época da Segunda Guerra, São Paulo, Companhia das Letras, 2000.
5 À l’exception notable de la thèse de Jean-Jacques Renoliet, soutenue en 1995 à l’Université de Paris 1 et publiée sous le titre L’Unesco oubliée. La Société des Nations et la coopération intellectuelle (1919-1946), Paris, Publications de la Sorbonne, 1999.
6 Alain Rouquié, Le Brésil au xxie siècle. Naissance d’un nouveau grand, Paris, Fayard, 2006, p. 327.
Auteur
Maître de conférences en histoire, directeur de la recherche novembre 2008
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